Chapitre 8. Le temps des notables (de la Révolution au milieu du xixe siècle)
p. 411-464
Texte intégral
1Solidement assis sur une fortune en général terrienne, parfois liée au négoce ou à la manufacture, et qui en tout état de cause place beaucoup de gens sous leur dépendance, et/ou sur une compétence religieuse, juridique ou médicale, les notables vendômois du xviiie siècle estimaient naturel de dominer la société régionale. Ils souhaitaient même que cette autorité se développe, et reçoive une légitimité accrue, ne tenant plus à la seule délégation venue d’en haut : l’Assemblée provinciale organisée en 1787 en Orléanais (comme dans l’ensemble des provinces) et la réflexion économique que conduit un Salmon du Châtellier (non sans rapport avec cette dernière d’ailleurs) répondent dès avant 1789 à cette volonté de développer le rôle des notables.
2Or, loin d’affaiblir la position de ces notables, la Révolution la confirme, et souvent même la renforce. Sur ce point, la continuité est donc de règle, et elle le demeure au cours des décennies suivantes, comme l’exposera la première partie de ce chapitre. Mais la même continuité se retrouve dans quantité de domaines touchant à la vie matérielle comme à la vie culturelle des habitants de la région, sans que le démarrage d’évolutions souvent encore incertaines ou partielles suffise à la remettre en cause : une deuxième partie présentera la force de ces permanences. Il restera alors à un dernier développement à analyser comment les notables, convaincus que leur position maintenue leur confère un rôle de direction sociale, entendent combattre ces pesanteurs, en développant un programme de progrès.
UNE PRÉÉMINENCE CONFIRMÉE
AU TEMPS DE LA DÉCENNIE RÉVOLUTIONNAIRE
3Trois dossiers permettent de mesurer comment pendant la Révolution évolue l’autorité des notables, par rapport à la société régionale et par rapport au pouvoir central, mais aussi comment se renforcent ou s’affaiblissent les bases de leur puissance propre : celui de la préparation des états généraux, occasion à la fois de choisir des représentants et d’exprimer des revendications ; celui des élections (municipales en l’occurrence), révélatrices des choix de la population locale et du degré du contrôle qu’exerce sur la région le pouvoir parisien ; celui enfin de la vente des biens nationaux, instructive sur les rapports de force matériels entre les différents groupes sociaux.
4Concernant la préparation des états généraux, les procès-verbaux des assemblées de paroisse ont en Vendômois généralement disparu. Ceux des 14 paroisses du bailliage secondaire de Mondoubleau, conservés quant à eux1, révèlent que sur 33 députés, il se trouve 5 représentants du commerce et de l’artisanat, 1 sacriste, mais surtout 7 hommes de loi et 2 propriétaires ; les 18 autres vivent du travail de la terre, mais parmi eux l’on compte 3 fermiers généraux, 11 laboureurs-fermiers et 3 marchands-laboureurs. La représentation des ruraux se restreint donc aux plus aisés d’entre eux, et parmi les paysans, seule l’élite des laboureurs accède à la députation de paroisse. Au niveau de l’assemblée de bailliage, le filtrage est plus impitoyable encore : à Vendôme, il n’est plus question, pour aller à Versailles, de paysans ou même de ruraux ; sont en effet alors choisis comme députés du tiers état deux négociants, le Montoirien Pothée-Chéron et le Vendômois Crénières. La représentation régionale est bien confisquée par les notables aux dépens des milieux plus modestes (d’autant que s’ajoutent aux députés du tiers état ceux des ordres privilégiés) — et par la ville aux dépens des campagnes.
5Au chapitre des doléances, l’analyse peut partir des cahiers des trois ordres du bailliage de Vendôme, qui émanent en effet des notables, directement pour ceux des deux premiers ordres, et du fait des conditions de sa rédaction pour celui du tiers état2. Ces trois cahiers présentent d’importantes divergences. Celui du clergé est le plus fermé aux idées nouvelles : il revendique que « le culte romain soit le seul reconnu et exercé dans tout le royaume » et il réclame la sanction des atteintes aux bonnes mœurs, à la religion, à la personne sacrée du roi et aux principes du gouvernement. Sous l’influence de Rochambeau (le fils du vainqueur de Yorktown), qui a présidé l’assemblée de l’ordre, le cahier de la noblesse apparaît plus ouvert, défendant les idées de liberté, voire d’égalité ; toutefois, il se montre attaché aux « droits honorifiques et [aux] prééminences dont la Noblesse française a joui ou dû jouir jusqu’à ce jour », et il laisse ouverte la question du vote par ordre ou du vote par tête. Le cahier du tiers état conteste au contraire vigoureusement l’ordre seigneurial, « marque de l’ancienne servitude », et il revendique le vote par tête.
6Cependant, ces différences ne doivent pas dissimuler les importantes convergences rapprochant les trois cahiers. Chacun d’eux dénonce les impôts indirects (aides et gabelle), chacun aussi défend la liberté individuelle — quitte ensuite à en limiter la portée, comme fait le cahier du clergé. Surtout, tous trois organisent leur réflexion autour d’un même schéma constitutionnel : au centre du royaume des états généraux régulièrement assemblés, seuls habilités à consentir l’impôt, et contrôlant les ministres ; et localement des états provinciaux, chargés de l’assiette et du recouvrement des impôts. Il était certes assez facile aux gens des trois ordres de s’accorder sur un programme de limitation de l’absolutisme royal, notamment en matière de liberté et de fiscalité. Mais du point de vue qui est le nôtre, il faut surtout souligner que l’accord se fait sur des institutions qui, compte tenu des mécanismes de représentation alors en usage, ne pouvaient que renforcer la position des notables.
7Par rapport à leurs aspirations, les débuts de la Révolution apportent à ces derniers d’importantes satisfactions. La monarchie constitutionnelle qu’ils souhaitaient est rapidement établie. Surtout, le nouveau système politico-administratif consacre leur position, légitimée à la fois d’en haut par la décentralisation, et d’en bas par le biais des élections. En effet, loin de remettre en cause leur autorité, ces dernières, et d’abord les élections municipales, étudiées ici d’après l’exemple vendômois, la confirment nettement3. Le corps électoral a bien été élargi en 1789 à tous les hommes domiciliés et contribuables, ce qui donne à Vendôme 1 500 électeurs pour 7 000 habitants. Mais ces nouveaux électeurs n’exploitent pas l’instrument qui est mis à leur disposition pour changer brutalement les hommes et les groupes chargés de gérer la ville. La participation électorale est médiocre, jamais supérieure à 35 %, et souvent moindre : il est vrai que les électeurs sont parfois illettrés (alors que le vote implique rédaction d’un bulletin manuscrit), qu’ils sont dépourvus d’expérience politique, et que la durée des scrutins, étalée sur plusieurs jours, n’est pas supportable pour ceux d’entre eux qui vivent d’un salaire quotidien. Surtout, comme le note Jean Dupuy, « volontairement ou non, les électeurs restent fidèles à certains usages du passé », si bien que les administrateurs de la ville continuent à être choisis parmi les hommes de loi, les commerçants ou les artisans aisés. Ainsi Bûcheron-Boisrichard comme de Trémault, portés à la mairie respectivement en février et novembre 1790, appartiennent-ils à des familles enracinées dans la meilleure société locale — le second surtout, dont des parents ont déjà accédé à la même dignité. Sans doute Chevé, élu en novembre 1791, fait-il davantage figure d’homme nouveau ; encore n’est-il pas un homme de peu : maître de poste, il sera un gros acquéreur de biens nationaux. Du reste, un an plus tard, le retour à la mairie de Bûcheron-Boisrichard confirme le rôle que les notables continuent à jouer dans les affaires municipales.
8Autres satisfactions pour les notables, celles que leur apporte la vente des biens nationaux — dont le rythme rapide, surtout en sa première phase, est à la mesure des convoitises qu’elle suscite. On ne présentera pas ici un bilan détaillé de l’opération4. On s’est borné en effet à analyser pour les biens de première origine du district de Vendôme toutes les ventes d’une valeur d’au moins 2 000 livres (en numéraire)5. Procéder ainsi revient certes à ne relever que 22 % des cotes et à laisser de côté les petits lots provenant des domaines des cures et des fabriques. Mais les cotes de plus de 2 000 livres réunissent 85 % de la masse totale vendue, et notamment 136 métairies (ainsi que 5 bordages et 5 closeries), 90 pièces de terre, autant de pré, 18 de vigne, 13 de bois, 24 moulins, etc., ce qui n’est pas rien. En outre, les dépouillements exhaustifs effectués dans quelques paroisses montrent que la prise en compte des petits lots ne modifie guère le bilan global de l’opération6.
9Ainsi conduite, l’enquête révèle qu’en Vendômois la vente des biens nationaux demeure une affaire interne à la région : en valeur, 80 % des lots de plus de 2 000 livres sont acquis par des habitants du district (et cette part est encore plus forte pour les petits lots). Mais les transactions ne s’effectuent pas pour autant au niveau le plus local : cela s’explique par le rôle des citadins (et d’abord ceux de Vendôme), qui acquièrent plus de 48 % du total vendu, soit bien plus que la part des biens localisés dans les terroirs urbains.
10Un tel constat renvoie à la répartition sociale des acquisitions, dont le tableau qui suit précise le détail, pour les cotes de plus de 2 000 livres.
11A suivre ces données, l’avantage des groupes traditionnellement dominants de la société régionale — noblesse, bourgeoisie et clergé — est, avec les deux tiers des acquisitions, évident. Parmi eux, la noblesse fait belle figure, alors que les officiers ne retrouvent pas la position qu’ils occupaient sur le marché foncier à la fin de l’Ancien Régime : il est vrai que la perte de leur office peut alors les placer en situation difficile. La bourgeoisie économique des marchands et des fabricants, active déjà sur le marché foncier avant 1789, tire mieux son épingle du jeu, comme le font aussi les notaires et les employés de l’administration. En revanche, les gens des professions libérales — parmi lesquels les avocats —, les enseignants et les médecins figurent en position beaucoup plus modeste : les gens à talent ont bien peu participé à la grande redistribution foncière ouverte par la Constitution civile du clergé. La part du clergé aussi est plutôt modeste : il est vrai que la richesse matérielle de ses membres tenait souvent davantage à celle de leur ordre — atteinte précisément par les ventes décidées par les Constituants — qu’à leur fortune propre. Mais toutes ces nuances ne doivent pas faire perdre de vue l’essentiel, à savoir que sauf exception se retrouvent en tête du tableau les groupes qui d’avance dominaient la population régionale : la vente des biens nationaux confirme donc les positions acquises bien plus qu’elle ne redistribue les cartes.
12Il en va de même, d’ailleurs, au sein du reste de la société régionale. Ici c’est l’élite paysanne des laboureurs et des cultivateurs qui se taille la part du lion. Ces achats concernent certes davantage des pièces de terre que des métairies : ils permettent cependant à certains représentants de ce groupe — ainsi les Tardiveau, en Beauce — de compter au rang des acquéreurs importants. Il en va de même pour certains riches meuniers, acheteurs surtout de moulins. A l’inverse, les artisans ne doivent qu’à leur nombre de figurer honorablement sur le tableau. Vignerons et jardiniers n’y apparaissent quant à eux que symboliquement, et les compagnons et les journaliers en sont complètement absents. Ces catégories améliorent certes légèrement leur part quand on prend en compte les petits lots. Mais si ces modestes achats ne sont pas négligeables, psychologiquement (en satisfaisant des convoitises anciennes) et politiquement (en déterminant l’adhésion de l’acheteur à la Révolution qui a permis l’acquisition et en garantit le maintien), ils ne sont pas de nature à remettre en cause l’ordonnance de la société provinciale.
13Celle-ci en effet conserve bien dans sa hiérarchie l’organisation qui était la sienne avant 1789. Pour les notables, le bilan de la première partie de la Révolution semble donc positif. Mais cette conclusion, bien que globalement recevable, souffre des exceptions et admet des nuances : tous les notables ne portent pas sur le nouveau cours des choses le même regard, comme pouvait d’ailleurs le laisser prévoir la diversité des cahiers de doléances de 1789.
14Certains, comme les nobles qui refusent la remise en cause de leur prééminence, ou les prêtres réfractaires, qui n’acceptent pas la Constitution civile du clergé, jugent la Révolution excessive (ce qui peut les conduire à émigrer ou à entrer dans la clandestinité). D’autres estiment au contraire qu’elle a été trop timide : tel est le cas de certains membres de la bourgeoisie à talent, qui n’ont pu manquer de ressentir quelque frustration en constatant qu’ils n’étaient guère partie prenante dans la grande redistribution des biens d’Eglise.
15La majorité des notables, en revanche, ne partage pas ces préventions. Mais parmi ces satisfaits, des différences de sensibilité se font jour. Un esprit plus révolutionnaire se manifeste chez certains, acquis au nouvel ordre socio-politique qui a émergé à partir de 1789 : sur cette ligne peuvent se retrouver aussi bien les acquéreurs de biens nationaux qu’une bourgeoisie à talent qualifiée alors de « patriote » ; d’autres sont attentifs d’abord à la défense de la propriété, et cette préoccupation peut rallier aussi bien les acquéreurs de biens nationaux que des contre-révolutionnaires modérés.
16Ces nuances n’empêchent pas la plupart des notables de s’accorder pour refuser à la fois un retour à l’Ancien Régime (qui signifierait annulation de leurs acquis) et une radicalisation de la Révolution (à terme déstabilisante pour leur position). Ce dernier danger est incarné un moment par Hésine et les Ballyer (père et fils), défenseurs de Babeuf lors de son procès, organisé à Vendôme en 1797, et qui semblent rencontrer une certaine audience dans la population urbaine et dans le vignoble7. Mais c’est bien la Contre-Révolution qui préoccupe le plus nos notables. Ils sont particulièrement inquiets lors de la virée de galerne (décembre 1793), au point que s’observe alors un regain de militantisme révolutionnaire, jusqu’à ce que l’échec des Vendéens devant Le Mans y mette fin8. Cependant, au cours des années suivantes, l’agitation chouanne réactive leurs craintes, et ils vont, pour y faire face, jusqu’à collaborer avec Hésine.
17Pareille attitude peut sembler manifester une grande confusion idéologique. Mais il ne faut pas perdre de vue que les notables doivent composer avec des réalités sur lesquelles ils n’ont pas toujours prise. Dès le début de la Révolution, ils ont été confrontés à des choix et à des événements dont l’origine est bien extérieure à la région, et avec lesquels il leur a fallu composer : la politique religieuse de la Constituante, la décision d’entrer en guerre, la progressive radicalisation de la Révolution ou le soulèvement de l’Ouest — pour s’en tenir à quelques exemples — se jouent ailleurs qu’en Vendômois, et s’imposent bon gré mal gré à tous ses habitants, des plus puissants aux plus modestes. Ce trait se retrouve au cours des années qui suivent, notamment quand on étudie les élections municipales de Vendôme pendant la seconde partie de la Révolution. De ce point de vue, ce qui importe est moins le fait que les habitants de la ville continuent à bouder les urnes (même si la participation électorale est en progrès par rapport aux années 1790-1791)9 et qu’ils persistent à choisir les dirigeants de leur cité parmi les magistrats, les juristes et les entrepreneurs que les étonnants revirements que peuvent manifester leurs choix politiques.
18En effet, aux élections de brumaire an IV et de brumaire an V, les électeurs vendômois se conforment à leurs choix habituels, et c’est à Bûcheron-Boisrichard qu’échoit la présidence de la municipalité. Mais le coup d’Etat parisien du 18 fructidor, inspiré par un esprit de réaction républicaine, remet brutalement en cause cette orientation : la municipalité Bûcheron-Boisrichard est destituée. Toutefois, l’équipe Chevé qui lui est substituée n’a pas une composition sociale très différente de la sienne. Mais surtout, si le changement alors imposé à Vendôme est du point de vue parisien logique, il est plus surprenant de constater que le corps électoral de la ville entérine en germinal an VI, en reconduisant la municipalité Chevé, une décision qui désavoue ses choix antérieurs. Ce faisant du reste, les Vendômois se retrouvent bientôt à nouveau en porte à faux par rapport à l’évolution politique nationale : il en résulte au cours des années qui suivent de nouvelles corrections, moins brutales cependant qu’à l’automne 1797.
19Les revirements que manifeste ainsi l’électorat vendômois suggèrent bien — même en tenant compte de la pression parisienne — que les facteurs idéologiques n’entrent pas seuls en ligne de compte dans ses déterminations. D’autres préoccupations sollicitent l’attention des habitants de la ville, et d’abord, essentielle pour notre propos, celle des notables qu’ils ne cessent de placer à leur tête. Or une décennie de révolution a beaucoup appris à ces derniers. Sans doute à l’époque du Directoire sont-ils toujours porteurs de principes et d’aspirations voisins de ceux qui les animaient en 1789. Mais ils ont aussi acquis une expérience qu’ils n’avaient pas alors, et celle-ci leur a donné le sens de leur fragilité : chez eux, le tranquille optimisme de 1789, fondé sur la certitude de pouvoir amener tout le monde sur leurs positions, fait place au temps de la République bourgeoise à une incertitude inquiète. Aussi la plupart n’hésitent-ils pas à approuver les coups d’Etat qui assurent leur survie politique et sociale, en attendant de se résigner, pour les mêmes raisons, à celui qui le 18 brumaire constitue la négation des aspirations qu’ils exprimaient dix ans plus tôt dans leurs cahiers de doléances. Nul doute que cet état d’esprit continue à rendre compte des étonnantes fluctuations qui affectent — pendant la Révolution comme après d’ailleurs — les choix politiques de certaines personnalités, comme Bûcheron-Boisrichard, ou Mareschal et Dessaignes (deux anciens Oratoriens, qui assurent pendant la décennie révolutionnaire, et au-delà, la continuité d’un enseignement secondaire à Vendôme), capables de tenir, écrire ou publier, selon les moments, des discours libéraux, jacobins, napoléoniens ou royalistes. L’historiographie locale s’est plu à dénoncer le comportement de girouette de ces Talleyrand de sous-préfecture. Mais au-delà de toute considération sur la force morale ou la fermeté de caractère des individus, il faut se demander, en constatant ces retournements répétés, si les trahisons idéologiques qu’ils paraissent traduire ne masquent pas en fait une profonde fidélité à un objectif qui ne cesse d’être considéré comme essentiel — à savoir la défense d’une prééminence sociale locale.
PENDANT LE PREMIER XIXe SIÈCLE
20A l’époque de l’Empire puis de la monarchie parlementaire, la domination des notables continue à s’imposer à la région. Cette domination s’inscrit d’abord dans la pierre : seuls quatre châteaux du Vendômois ont été détruits pendant la Révolution10, et pendant le premier XIXe siècle, beaucoup sont bâtis (l’Etoile à Authon), rebâtis (Rocheux, reconstruit dans le goût des villas italiennes, à la limite des communes de Lignières et de Fréteval), ou restaurés (Baillou, Droué, Saint-Agil, Mont-marin à Sargé, etc.).
21Autre élément architectural à forte signification sociale : les portes cochères. Les rôles de la contribution des portes et fenêtres permettent d’en restituer la répartition11.
22Elles révèlent que ces portes cochères se rencontrent surtout dans les villes et leurs abords, et aussi, mais à un degré moindre, dans la vallée du Loir (carte ci-contre) : une telle répartition renvoie sans surprise à la géographie la plus traditionnelle du commandement dans la région.
23Mais derrière ces pierres vivent des hommes et des femmes. Pour mieux les connaître, arrêtons-nous un instant, grâce aux données du recensement de 1841, dans les trois châteaux que porte le terroir de Lunay, aux confins de la vallée du Loir et du Perche. A la Blotinière vit M. de Trémault, pour l’heure maire de la commune, descendant d’une vieille famille vendômoise qui a acquis le château en 1746 ; veuf depuis 1821, il est entouré de ses trois filles et de son fils, ainsi que de six domestiques (trois hommes et trois femmes), et de deux filles de domestiques : ce ne sont donc pas moins de treize personnes qui vivent au château. La Montellière, au nord du bourg, est le domaine de M. de Brunier, qui a épousé en 1807 sa cousine Constance de Kervasegan, issue d’une famille qui à travers plusieurs alliances possède le château depuis le xvie siècle : outre M. de Brunier, sa femme et sa belle-mère (veuve depuis qu’en 1807 son mari est mort d’une chute de cheval), y vivent alors leurs quatre filles et six domestiques (deux hommes et quatre femmes) : soit cette fois encore treize personnes en tout. A la Mézière enfin, beau château de style Renaissance, le jeune vicomte de Sarrazin, âgé de 21 ans seulement, et qui n’a hérité de son père (lequel a été maire de Lunay pendant la Restauration) que trois ans plus tôt le domaine qui appartient à la famille depuis le milieu du xvie siècle, entretient quant à lui huit domestiques : on peut donc penser qu’une fois le mariage et les enfants du vicomte venus, la Mézière sera aussi peuplée que les deux autres châteaux de Lunay.
24La vie que mènent ainsi ces notables dans leur château au milieu de leurs domestiques, le spectacle du passage de leur voiture ou de leur présence à la messe dominicale — sans compter leur fortune terrienne plaçant de nombreux paysans dans leur dépendance : tout cela ne peut qu’entretenir au village leur autorité sociale.
25Cette autorité a aussi, en ce premier xixe siècle, un fondement juridique. Du Consulat à la Monarchie de Juillet, les régimes de l’époque limitent en effet la participation politique à une étroite frange de la société provinciale, dont les listes de notabilité de l’époque napoléonienne, et celles du corps électoral censitaire après 1815, définissent précisément les contours.
26Pour préciser ces derniers, partons de l’exemple du collège électoral de l’arrondissement en 1843, et du tableau, p. 420, qui précise comment les 630 membres s’en répartissent, par canton et par catégorie sociale12.
27Ce tableau révèle d’abord de grandes différences d’un canton à l’autre. Sera-t-on surpris de constater que c’est dans le Perche et le bas Vendômois que la domination des propriétaires est la plus nette ? Que c’est à Vendôme que s’affirment le mieux tant les entrepreneurs que les fonctionnaires, les officiers publics et les gens des professions libérales ? Que c’est à Droué, à Saint-Amand et surtout à Selommes que les cultivateurs sont le plus nombreux au sein du corps électoral ? En fait, par tous ces traits, la géographie de ce dernier ne fait que traduire fidèlement : les réalités sociales de la région. De même n’est-il pas étonnant que les électeurs soient nombreux surtout dans les zones que la densité des portes cochères signalait comme étant celles de la notabilité (villes et vallée du Loir) ; mais ils le sont aussi en Beauce : il est vrai que le cens électoral est pour l’essentiel assis sur la terre, et que la valeur élevée de celle de Beauce ne peut que favoriser l’accession de ceux qui la détiennent au statut d’électeur.
28C’est du reste parce que la terre joue un rôle majeur dans la détermination du cens que les propriétaires jouent un tel rôle sur le tableau. Encore tous les propriétaires n’y figurent-ils pas : certains en effet, qui détiennent des terres en Vendômois tout en étant domiciliés à l’extérieur, n’y apparaissent pas ; c’est le cas surtout d’aristocrates (non de tous cependant, la plupart des familles nobles de la région y figurant), la bourgeoisie censitaire étant quant à elle beaucoup plus implantée sur place. En tout état de cause, la propriété, moyenne ou grande, donne aux notables qui la contrôlent une influence sur la population. Une telle influence ne s’efface que lorsque la petite propriété devient suffisamment importante pour rendre très minoritaires ceux des paysans que les notables peuvent maintenir dans leur dépendance directe : c’est le cas avant tout de la vallée du Loir viticole. Non sans paradoxe, cette zone, qui est terre d’élection des notables, se révèle ainsi imperméable aux formes de domination qui ont cours ailleurs.
29Mais les propriétaires ne sont pas les seuls à devoir leur statut d’électeur à la terre. C’est le cas aussi des cultivateurs, dont la fortune foncière — souvent liée à des acquisitions de biens nationaux, notamment en Beauce — explique la présence sur le tableau. En outre, compte tenu des caractères de l’économie régionale de l’époque, on peut penser que bien des entrepreneurs doivent à leur patrimoine terrien bien plus qu’à leur activité principale le fait d’être électeurs : c’est vrai pour les meuniers par exemple ; mais la fréquente présence, au sein du collège électoral, de marchands de bois, bien représentatifs des activités d’encadrement d’une économie terrienne, est à cet égard très significative aussi. Enfin, on ne peut négliger le cas des notaires. Ceux-ci figurent certes automatiquement dans le collège électoral après trois ans d’exercice dans l’arrondissement : mais beaucoup d’entre eux se sont constitué un patrimoine suffisant pour accéder au cens. On sait combien la position de ces hommes, qui font figure de gardiens de la propriété, s’est trouvée réévaluée à la faveur des transformations induites par la Révolution de 1789 : en Vendômois comme ailleurs, le notaire s’est bien imposé comme un personnage qui compte dans la société provinciale de ce premier xixe siècle.
30Par rapport aux groupes précédents, les autres catégories de notables sont beaucoup moins représentées au sein du collège électoral. Mais l’influence d’une catégorie peut être supérieure à ce que suggère le seul critère censitaire.
31Tel est sans doute le cas des fonctionnaires, dont la situation est très diverse, et qui ne semblent apparaître sur le tableau que lorsque leur traitement se complète des revenus d’un patrimoine. Leur présence dans la région pourrait poser problème, dans la mesure où leur autorité et la mission qui leur est confiée semblent les placer en concurrence avec les autres notables — et de fait il leur arrive de les critiquer13. Mais les chevauchements ne sont pas rares entre les deux groupes14. En fait, notables et fonctionnaires appartiennent aux mêmes milieux, et sont animés par la même volonté éclairante et modernisatrice : ils peuvent donc se retrouver sur les mêmes projets.
32Concernant le corps médical, les 22 médecins, chirurgiens et officiers de santé que compte l’arrondissement en 1805 sont sans doute moins nombreux que les chirurgiens attestés dans les bourgs de la région avant 1789, et leur nombre progresse peu : en 1845, ils ne sont encore que 25. Mais la qualité du groupe s’améliore, puisque les docteurs en médecine en représentent une part croissante : aussi la considération entourant les médecins grandit-elle15.
33Le reste de la bourgeoisie à talent tire moins bien son épingle du jeu, et certains de ses éléments paraissent en éprouver quelque amertume : c’est dans ce milieu que s’élaborent alors les programmes les plus radicaux, tel celui de l’avocat Richard Lahautière, disciple de Pierre Leroux. La position des enseignants est plus modeste encore : les instituteurs sont complètement absents du tableau, et à côté du directeur du collège de Vendôme et d’un chef d’institution de cette ville, il ne se trouve qu’un professeur pour y apparaître.
34Reste enfin le cas du clergé, qui n’occupe visiblement pas au sein du collège électoral une place correspondant au rôle qu’il joue dans la vie sociale. Encore convient-il de marquer que bien des éléments contribuent, pendant le premier xixe siècle, à dégrader sa position. Il n’a retrouvé ni individuellement ni collectivement, dans le cadre du système concordataire, sa position de fortune d’avant 1789. Sans doute le prêtre du premier xixe siècle doit-il à son traitement une aisance qui le distingue de la plupart de ses paroissiens. Mais le plus souvent ses ressources s’arrêtent là. Le personnage s’est fonctionnarisé, et d’une certaine manière c’est cette évolution que sanctionne son absence du collège électoral. De surcroît, le clergé continue à souffrir des conséquences de la politique révolutionnaire. Longtemps non renouvelé, il a été affaibli par les morts et les démissions, si bien qu’en dépit de regroupements de paroisses, de nombreuses cures sont vacantes. C’est le cas de 42 % de celles du Vendômois en 1825 — ce qui éclaire d’un jour singulier l’image d’union du Trône et de l’Autel attachée à cette époque ; par la suite, la situation s’améliore, mais 15 % des cures ne sont toujours pas pourvues en 184516.
35Or, ce clergé trop peu nombreux est encore divisé par l’affaire de la Petite Eglise, dissidence rassemblant autour de l’ancien évêque de Blois Thémines ceux qui refusent le Concordat, et qui a de nombreux partisans en Vendômois17. En outre, jusqu’au rétablissement en 1823 du diocèse de Blois, l’évêque est lointain, la région étant alors rattachée au siège d’Orléans. Surtout, les prêtres sont confrontés à la fois à la persistance de pratiques superstitieuses et au développement d’une indifférence que la rupture révolutionnaire a accélérée, transformant souvent en détachement définitif ce qui n’était jusqu’alors que tiédeur18. On comprend que face à toutes ces difficultés, ces prêtres s’engagent souvent aux côtés de la Restauration dans son entreprise de rétablissement des positions de l’Eglise. Mais un tel choix, qui se traduit par l’organisation de spectaculaires missions — comme celle de Vendôme en 1824 — n’est pas sans danger : il expose le clergé à des réactions, brutales en 1830 (par exemple à Mondoubleau, où la population détruit la croix de mission érigée en 1825), moins violentes mais toujours sensibles (notamment à propos des sonneries de cloches)19 dans les années qui suivent.
36Des signes plus positifs pour l’Eglise se manifestent bien pendant la Monarchie de Juillet : dès 1833, la loi Guizot confie aux prêtres la surveillance de l’école. Ces signes se multiplient après 1840, quand s’affirme l’évolution conservatrice du régime : c’est alors par exemple qu’est reconstruite en style néogothique flamboyant la chapelle de Villethiou, lieu de pèlerinage populaire (1843) et qu’est fondée à Vendôme, par la famille Mareschal-Duplessis, l’institution hospitalière du Saint-Cœur (1846). Mais il n’est pas certain que cela suffise toujours à complètement rassurer le clergé.
37Au terme de cette rapide présentation, le monde des notables apparaît donc structuré, en ce premier xixe siècle, autour des propriétaires, tout à la fois base, majorité et dominants, par la richesse comme par l’autorité, du groupe. Autour, tantôt chevauchant ce puissant noyau, tantôt s’y juxtaposant, se retrouvent les élites de l’entreprise, du service de l’Etat, du « talent » et du sacré. La diversité de tous ces gens ne peut être niée : diversité de fonction, de compétence, de fortune. Ajoutons que certains ont le sentiment d’une dégradation de leurs positions : c’est le cas du clergé ; d’autres ont davantage l’impression d’un développement de leur rôle : ainsi les fonctionnaires, ou encore les gens à talent, chez lesquels cette conviction peut nourrir impatiences et frustrations, ainsi qu’on l’a dit des avocats.
38Cependant, cette diversité n’exclut pas d’importantes convergences, entre des catégories de notables qui prolongent celles rencontrées déjà au xviiie siècle. Tout au plus sont-elles définies désormais par rapport à la propriété, qui a acquis du fait de la Révolution une fonction de légitimation sociale accrue : mais compte tenu de ce que la répartition de cette propriété n’a pas été bouleversée, les positions des uns et des autres n’ont été affectées que par des redistributions limitées. D’autre part, quantité d’éléments contribuent à rapprocher ces gens : le fait de partager une éducation qui distingue ceux qui l’ont reçue en fortifiant chez eux le sentiment de ne pas appartenir aux couches populaires — éducation dont localement le collège continue à constituer un modèle, même si la jeunesse de la région ne fournit qu’une minorité de sa clientèle20 ; l’existence plus raffinée et plus confortable que permet à tous leur aisance ; les unions matrimoniales qui, tout en se conformant aux usages d’un monde sachant cultiver ses nuances, contribuent à resserrer davantage les liens entre certains de ses membres. Tous ces facteurs, qui à l’évidence appelleraient bien d’autres recherches afin d’en cerner au plus près la portée, tous ces facteurs donc jouent dans le sens de la cohésion du groupe.
39Dans quelle mesure cette cohésion se retrouve-t-elle sur le terrain politique, c’est ce qu’il faut maintenant considérer, en ne perdant pas de vue qu’elle a à la fois une définition interne, fondée sur ce qui rapproche les notables, et une définition externe, qui se construit à partir de la distance que leur autorité sociale établit par rapport au reste de la population.
40De ce point de vue, il est clair que pendant toute la période les notables de la région se partagent entre des courants politiques variés : certains adhèrent au bonapartisme, beaucoup sont royalistes (ultras puis légitimistes, ou orléanistes), quelques-uns ont même des sympathies républicaines. Sans doute ces choix évoluent-ils selon la conjoncture de l’époque, en vertu d’une capacité d’adaptation au pouvoir en place déjà évoquée. Ils n’en génèrent pas moins des débats et des oppositions très vifs. Encore dans leur immense majorité les notables entendent-ils que ces débats demeurent confinés à leur milieu, comme le prévoient du reste les systèmes institutionnels alors en vigueur : de fait, s’il arrive que les gens des milieux populaires y fassent irruption, ce n’est qu’à la faveur de circonstances exceptionnelles, et jamais durablement. C’est une autre caractéristique en effet des notables vendômois du premier xixe siècle que leur capacité à manifester une réelle cohésion globale, en dépit même des divergences politiques qu’ils peuvent connaître.
41Ce trait est sensible dès le début du Consulat : les oppositions entraînées par la Révolution sont alors trop proches pour ne pas avoir laissé des traces dans les esprits. Mais le régime a l’habileté d’en annuler l’effet en faisant place à tous — ainsi à la municipalité de Vendôme le royaliste Crénières voisine-t-il avec le « républicain » Parain — si bien que chacun peut se retrouver dans la normalisation consulaire. Les royalistes, qui voient dans cette stabilisation une première étape vers le rétablissement de la monarchie, sont sans doute déçus par la proclamation de l’Empire. Mais ils trouvent une belle compensation dans l’ « aristocratisation » du régime voulue par Napoléon lui-même : ainsi les voit-on peupler en nombre les collèges électoraux, cependant que Bûcheron-Boisrichard, à nouveau maire de Vendôme, leur est complètement acquis, et que le préfet Corbigny leur manifeste une certaine bienveillance.
42L’autorité sociale des notables ainsi solidement assise dans la région n’est guère atteinte par les difficultés qui se font jour à partir de 1810 — lassitude devant la guerre, problèmes de subsistances, etc. —, difficultés qui sont avant tout imputées au régime. Et quand ce dernier s’effondre en 1814-1815, le rétablissement de la monarchie ne peut que renforcer leur position locale.
43Sans doute assiste-t-on alors au développement en Vendômois d’une terreur blanche qui semble avoir été vigoureuse. Mais selon Régis Bouis, « ses trop nombreuses victimes [sont] des petites gens pour la plupart ». Du côté des notables ne semblent avoir été sérieusement visés que des gens ouvertement fidèles à des idéaux hérités de la Révolution, surtout quand ils semblent porteurs d’une déstabilisation sociale évidemment refusée : ainsi Hésine, qui est alors contraint de quitter Vendôme. D’autre part, si la mairie de Vendôme revient en 1815 à un ultra, Josse-Bois-bercy21, il est significatif que demeure en place comme adjoint, au côté de Deschamps, autre ultra connu dans la ville sous le nom d’avocat des émigrés, le « républicain » Parain.
44En fait, la plupart des notables se retrouvent bien alors sur la ligne d’un royalisme auquel ils adhèrent soit par conviction réelle, soit par volonté de faire oublier des choix du passé devenus compromettants. Cependant, au cours des années 1820, beaucoup refusent les positions de plus en plus outrancières du régime, notamment sous Charles X. Cette évolution affecte même l’étroit corps électoral censitaire, qui désigne à partir de 1827 des libéraux, Pelet de la Lozère puis Crignon-Bonvallet, c’est-à-dire des hommes qui feront partie des « 221 » et approuveront la Révolution de Juillet.
45Cela peut expliquer que la plupart des notables de la région traversent sans grand dommage le changement de régime de l’été 1830. Sans doute ceux d’entre eux qui étaient le plus liés à la branche aînée sont-ils atteints par les événements : une bonne trentaine de maires du Vendômois (sur 110) perdent leur place à la suite des Trente Glorieuses22. Au cours des mois qui suivent, la vigilance du régime demeure vive à l’égard des personnalités carlistes, châtelains ou curés, notamment dans le Perche. Cependant, le préfet Lezay-Marnésia conserve le poste qu’il détenait avant 1830. Il est vrai qu’en période de crise économique sa présence est rassurante face aux risques de subversion que peut entraîner une telle conjoncture23. Mais son maintien traduit peut-être aussi les connivences qui par-delà les clivages politiques continuent à s’observer parmi les notables. D’autres signes plaident en ce sens, comme ce témoignage du sous-préfet observant en 1832 qu’ « à Vendôme la société présente une grande union, les hommes de tous les partis se voient chaque jour [...] ; les plus opposés au gouvernement fréquentent le monde avec assiduité, gaîté et cordialité »24.
46Il est vrai que ces opposants ne menacent guère le nouveau régime. Dans le corps électoral élargi de la Restauration, les légitimistes sont irrémédiablement dominés, et réduits à se replier sur des positions plus locales, cantonales ou communales.
47Les idées républicaines et socialistes défendues à Vendôme par Richard Lahautière sont sans doute de plus grand avenir : mais pour l’heure, leur audience est limitée, et elle ne se développera qu’à la faveur de la Révolution de 1848. Dans ces conditions, la vie politique locale, telle qu’elle se joue au sein du corps électoral censitaire, fait alterner à la députation conservateurs et libéraux. Entre les uns et les autres, le débat est politique, et retrouve celui qui s’est fait jour dès le début du régime entre les tenants de la Résistance et ceux du Mouvement. Mais il ne remet pas en cause la domination des notables : au contraire, l’élection en 1846 comme député de Dessaignes, fils du directeur du collège de Vendôme à l’époque révolutionnaire et impériale, illustre la solide permanence de ces derniers à la tête de la région pendant tout le premier xixe siècle. Sans doute s’agit-il là du choix des électeurs censitaires, c’est-à-dire de notables. Mais tout laisse à penser que le reste de la population ne le renie pas : aux élections municipales de Vendôme, où le corps électoral est beaucoup plus large (puisqu’il réalise les conditions demandées par les réformistes de 1848), il continue à se conformer aux réflexes les plus traditionnels25. En fait il faudra, sinon pour abattre, du moins pour ébranler cette domination des notables, la conjonction de la profonde crise du milieu du siècle et de la révolution qu’elle entraînera en 1848.
LA FORCE DES PERMANENCES
48A bien des égards, le Vendômois que dominent les notables du premier xixe siècle présente des traits voisins de ceux qui étaient les siens au xviiie. Sans doute ne faut-il pas ici schématiser à l’excès : sur certains plans, la Révolution donne une image de bouleversement radical, et de manière moins brutale, les décennies suivantes peuvent connaître des évolutions significatives, annonciatrices pour certaines des changements plus importants qui se déploieront pendant le second xixe siècle. Mais ces constats ne sauraient dissimuler l’importance des permanences, présentes jusqu’au cœur de la période révolutionnaire, en dépit même de la volonté de faire table rase du passé si souvent proclamée alors. Pour décrire ces permanences, et aussi d’ailleurs les infléchissements qui peuvent les affecter, on reprendra ici trois questions déjà étudiées au xviiie siècle : celle du rapport au temps et à l’espace, celle de la scolarisation, celle enfin de l’évolution économique et démographique.
LE TEMPS ET L’ESPACE VENDÔMOIS A L’ÉPREUVE DE LA RÉVOLUTION
Le temps
49La Révolution n’est pas sans effets sur le rythme d’existence de la population : par l’effet mécanique des changements qu’elle entraîne — c’est, si l’on veut, la marque des circonstances ; mais aussi, plus explicitement, en raison d’une volonté consciemment exprimée de remodeler le temps.
50La marque des circonstances est particulièrement sensible dans l’évolution de la nuptialité (graphique ci-dessous). A Vendôme, le niveau de cette dernière, à peu près stable jusque fin 1792, s’élève brutalement en 1793, et progresse encore en 1794 ; ensuite il s’abaisse, mais demeure cependant plus élevé qu’à la fin de l’Ancien Régime : ce n’est qu’en 1799-1800 que se retrouvent ses positions de départ.
51Une telle évolution ne peut guère être mise au compte d’un accroissement brutal de la population, que les dénombrements vendômois ne corroborent guère26. Pour l’essentiel, elle semble bien tenir à un plus grand empressement des citadins à se marier, en vue d’éviter les levées d’hommes, dont sont précisément exemptés ceux qui ont convolé. De fait, l’envol de la nuptialité intervient en 1793, année où ont précisément lieu les grandes levées (levée des 300000 hommes en mars, levée en masse en août). Ajoutons que le gonflement de la nuptialité ne peut se prolonger durablement dans une population, comme il le fait ici, sans que le mariage ne déborde les catégories de la population normalement concernées, pour en atteindre d’autres, plus âgées ou plus jeunes, qui ne l’étaient plus, ou pas encore. Ainsi la « grande histoire », celle des gouvernants et des batailles, peut-elle influer sur celle, plus modeste mais non moins essentielle, des petites gens. Ces deux registres d’écoulement du temps sont certes habituellement distincts, mais ils ne sont pas complètement autonomes, et ils le deviennent beaucoup moins en période de tension aiguë.
52Dans les campagnes, l’évolution de la nuptialité est semblable à celle constatée à la ville, si ce n’est que le maximum en est plus précoce et plus marqué27. Et ici il ne saurait être question de gonflement de la population : c’est bien le refus d’aller porter les armes qui explique la nuptialité accrue des ruraux. Cet accroissement de la nuptialité est particulièrement marqué dans le Perche et dans la vallée viticole. Mais il est difficile de faire la part de ce qui, dans un tel refus de la mobilisation, relève de l’hostilité à la Révolution, ou de l’attachement au terroir.
53Cependant, si le déroulement global des existences peut être affecté par les circonstances, il arrive aussi que ces dernières se plient aux rythmes les plus traditionnels. Relevons seulement ici combien la période de la fin de l’été et du début de l’automne, c’est-à-dire celle qui d’août à octobre clôt l’effervescence printanière et estivale, est durant toute la décennie riche en ruptures souvent décisives28. On n’insistera pas davantage sur un constat qui dépasse de loin le cadre vendômois ; il importait cependant de souligner cette force des permanences saisonnières les plus traditionnelles.
54Pour ce qui est de la volonté affirmée de remodeler le temps, c’est le 6 novembre 1793 que les autorités vendômoises font entrer dans leurs actes l’usage de l’ère républicaine. A dire vrai, l’idée d’ère nouvelle est apparue dès le début de la Révolution, et certains documents font même alors référence à une ère de la Liberté qui commencerait en 1789. Mais finalement, c’est l’ère de la République, dont l’origine est fixée le 22 septembre 1792, qui est retenue. Ce choix a une justification politique — la République et la démocratie plutôt que la monarchie constitutionnelle et le libéralisme élitaire. Mais il signifie aussi qu’avec le choix de 1792 on établit le nouvel ordre temporel à partir d’une fondation, alors que celui de 1789 aurait conduit à privilégier une rupture : ce faisant, la Convention retrouve dans sa construction temporelle le même recours à l’épisode fondateur que celui constaté quelques années plus tôt chez l’abbé Simon dans son histoire du Vendômois.
55On ne présentera pas ici en détail le calendrier révolutionnaire. Il suffit de rappeler qu’il est marqué à la fois par une volonté de rationaliser le rythme du temps (quatre saisons de trois mois, des mois de trente jours organisés en trois décades, des dénominations situant clairement le jour dans la décade — primidi, duodi, etc. —, ou le mois dans sa saison par le jeu des terminaisons en aire, ôse, al, or) et par un esprit déchristianisateur : en évacuant au profit de références agraires tout le contenu religieux de l’ancien calendrier, il supprime brutalement l’ensemble des jalons — Noël et Pâques, Toussaint et Saint-Jean, sans compter le dimanche — qui traditionnellement scandaient la vie sociale, à travers un rythme qui débordait largement le cadre liturgique.
56Les fêtes officielles multipliées pendant la Révolution entretiennent un rapport étroit avec le nouvel ordre temporel. Sur ce plan, le Vendômois ne manifeste aucune originalité. Comme partout, les fêtes y ont pour fonction de célébrer le régime qui les organise à travers des prestations de serment et un cérémonial spectaculaire faisant place au chant, à l’encens, à la torche, voire au banquet, en bref mobilisant toutes les perceptions sensitives des assistants ; de manifester l’adhésion générale à travers des rassemblements et des cortèges dont l’ordonnance ignore les distinctions sociales pour ne connaître que celles qu’impose la nature (hommes-femmes, jeunes-vieillards) ou la vie civique (civils-militaires) ; et enfin, ce qui pour notre propos n’est pas le moins important, d’enraciner la célébration dans la durée, que la fête soit fondatrice (comme celle de la Fédération) ou qu’elle soit commémorative, comme souvent à l’époque directoriale.
57On sait ce qu’il advint de ces fêtes, et notamment de celles de l’époque directoriale, puisque ce sont elles surtout qui avec le culte décadaire remettent en cause le calendrier traditionnel. Conçues pour attacher la population au régime, elles ne connaissent quelque succès que lorsque celui-ci se donne la force d’en imposer la fréquentation, par exemple au lendemain du coup d’Etat du 18 fructidor. La courbe de leur vitalité épouse étroitement celle de la conjoncture politique, au lieu de la modeler, comme l’espéraient ses promoteurs : on ne saurait mieux dire leur échec, un échec qui laisse pressentir celui du nouvel ordre temporel tout entier.
58De fait, ce dernier ne fait guère de doute. Dans son journal, où il mentionne pourtant des événements révolutionnaires, François Lattron n’utilise jamais le nouveau calendrier ; il continue à se référer aux repères les plus traditionnels et ne cesse de recourir, pour désigner les dates, aux quantièmes, aux noms de mois traditionnels et à ceux des saints.
59La continuité est de règle aussi en matière de répartition des mariages dans l’année. Sans doute relève-t-on sur ce point quelques infléchissements : les mois de janvier, février, juin, juillet et novembre, qui cumulaient 81 % des mariages à Lunay et 83 % à Lancé et Saint-Amand en 1780-1789 n’en concentrent plus que 70 % et 77 % en 1790-1800. Parallèlement, l’interdit du mariage pendant le Carême est moins bien respecté : à Villiers, où 3,6 % des mariages étaient célébrés pendant cette période en 1776-1785, et aucun au début de la Révolution, on en relève 5 % en 1794, 11 % en 1795, 9 % en 1796. Toutefois, cette rupture, qui doit être mise au compte de la vague déchristianisatrice du cœur de la Révolution, n’est pas durable : dès 1797, on n’observe plus de mariage pendant le Carême, et pas davantage les années suivantes. Au bout du compte, c’est donc bien la fidélité qui l’emporte, comme elle le fait pour le jour du mariage, puisque comme sous l’Ancien Régime on continue à convoler surtout le lundi et plus encore le mardi29.
60Dans un tout autre domaine, celui des vacances scolaires prévues par les différents cantons en application de la loi Daunou sur les écoles primaires, il en va de même. Les choix effectués par les cantons mettent d’abord en évidence les très longues vacances prévues par ceux de Beauce — quatre, voire six mois —, pour permettre aux enfants de garder les moutons. Mais ils révèlent aussi combien la référence au calendrier ancien demeure présente : si quelques cantons fixent conformément à l’esprit de la loi les vacances à l’époque des travaux agricoles (Villiers : « pendant la moisson et la vendange »), exceptionnels sont ceux qui recourent sans détour au calendrier révolutionnaire, comme Morée (« vacances en thermidor »). La plupart utilisent purement et simplement le calendrier traditionnel, en en retenant les repères les plus traditionnels (Selommes : « du 24 juin au 1" novembre »), ou alors ils traduisent en calendrier révolutionnaire des choix tout aussi conformistes (Saint-Amand : « du 12 floréal au 10 brumaire », soit du 1er mai au 1er novembre)30.
61Ainsi, mais sur ce point le Vendômois ne fait que se conformer à la règle générale, faut-il bien conclure globalement à la fidélité aux normes temporelles traditionnelles, et donc à l’échec de l’entreprise révolutionnaire dans ce domaine : le nouveau calendrier était trop déracinant, en dépit même des parallélismes structurels qu’il pouvait présenter avec l’ancien31, pour avoir quelque chance de s’imposer, surtout en aussi peu de temps.
L’espace
62En matière de rapport à l’espace, l’époque révolutionnaire établit de nouveaux repères, et elle met en mouvement d’importantes fractions de la population. Cependant, la permanence de beaucoup de comportements et d’attitudes permet de conclure, ici aussi, à l’existence de fortes continuités.
63Concernant la redéfinition des repères spatiaux, la réforme administrative de la Constituante ne fait pas place à un département vendômois, et à Vendôme on s’y résigne rapidement. Il est vrai que la ville trouve des compensations intéressantes dans la manière dont est découpé le Loir-et-Cher. Blois, à qui a été attribué ce département, ayant échoué à s’assurer Beaugency (face à Orléans) et Amboise (face à Tours), il lui faut obtenir dans d’autres secteurs les territoires qui lui ont été refusés dans la vallée de la Loire. C’est ainsi que certaines parties du Perche, jusqu’alors plutôt tournées vers le Maine, ou de la Gâtine, qui regardaient vers la Touraine, lui sont, en dépit de quelques protestations32, rattachées. Pour Vendôme, cela signifie que non seulement elle conserve dans le cadre du nouveau département sa traditionnelle zone d’influence, mais encore que celle-ci se trouve agrandie, notamment vers le nord, conformément à une tendance qui se repérait déjà pendant l’Ancien Régime. Est-ce pour cette raison que les Vendômois prennent progressivement de l’assurance ? En tout cas, la ville revendique en l’an III l’école centrale du département, qui dans un premier temps a été fixée à Blois. Après avoir rappelé le passé prestigieux du collège de la ville, et la ruine que signifierait pour cette dernière l’absence d’établissement d’enseignement secondaire, l’adresse rédigée alors par les Vendômois recourt à une argumentation d’une rare modernité géographique. Relevant que le choix de Blois a été justifié par la « centralité » de cette ville, elle rétorque qu’ « on a [...] réclamé la préférence pour Vendôme, en opposant [à cette raison] qu’il y avait deux centralités, celle du terrain et celle de la population ; en disant que la dernière était la seule qui méritât quelque considération, et que Vendôme était, eu égard à la population du département, à peu près aussi central que Blois »33.
64Le département constitué, il faut l’organiser. Cela passe d’abord par sa division en districts, dont le nombre a été fixé à six, ce qui en assure deux au Vendômois (carte, p. 432). Si le premier est attribué sans contestation possible à Vendôme, le choix du chef-lieu du second est plus discuté : Montoire y prétend, en raison d’une certaine tradition administrative, et sa demande peut s’appuyer sur la vieille opposition entre haut et bas Vendômois. Mais c’est Mondoubleau qui est finalement choisie : de population équivalente à Montoire, cette ville a pour elle d’avoir détenu jusqu’en 1789 des fonctions administratives plus importantes, et d’être plus éloignée de Vendôme.
65Concernant la délimitation de ces deux districts, il est frappant de constater combien les ressorts qui leur sont attribués retrouvent, quoi qu’on dise parfois, les structures les plus traditionnelles de la région. Celui de Vendôme s’organise à partir de l’axe de la vallée du Loir, ne débordant nettement ce secteur que vers la Beauce, et secondairement la Gâtine : cette configuration, qui retrouve celle du comté-duché d’Ancien Régime, joue la carte des complémentarités. La délimitation du district de Mondoubleau s’inspire quant à elle d’une autre logique : celle de l’homogénéité percheronne, celle aussi d’une forme beaucoup plus ramassée autour de la ville-centre.
66Pour ce qui est des cantons enfin, les deux districts de Vendôme et de Mondoubleau en définissent respectivement sept — la ville de Vendôme en constituant un à elle seule — et cinq. Sans surprise, sont promus comme chefs-lieux de ces cantons des localités autrefois sièges de grenier à sel ou de doyenné, et leur désignation n’est guère contestée (sauf par Fréteval, qui réclame — en vain — le chef-lieu attribué à Morée).
67La géographie administrative ainsi établie en 1789-1790 est remaniée au début du Consulat (carte ci-dessus). D’une part, le territoire des deux districts est alors réuni au sein de l’unique arrondissement de Vendôme. D’autre part, le nombre des cantons de la région est ramené de 12 à 8 : disparaissent alors des cantons remarquablement homogènes (La Ville-aux-Clercs en zone forestière, Villiers dans le vignoble), ce que ne sont pas toujours ceux redessinés au début du xixe siècle, comme en témoignent les cas de Savigny, Saint-Amand ou Morée ; à cet égard, le Consulat apparaît donc moins respectueux des réalités locales que les autorités révolutionnaires qui l’ont précédé.
68En ce qui concerne les paroisses, les retouches apportées à leur carte au début de la Révolution sont inégalement accueillies. A la campagne, où elles correspondent en général à des suppressions de paroisses fiscales34, elles ne posent guère de problèmes : elles apparaissent il est vrai comme des agglomérations de villages analogues à celles dont la région présentait déjà de nombreux exemples. En ville, les choses peuvent se passer beaucoup moins bien. A Montoire, la regroupement des deux paroisses provoque une émeute en 1791. A Vendôme surtout, où la paroisse correspond il est vrai à une forte réalité sociale35, le remplacement des quatre qui existaient dans la ville par celle, unique, de la Trinité, créée pour la circonstance, provoque un vif mécontentement — autant d’ailleurs dans la paroisse huppée de Saint-Martin que dans les paroisses faubouriennes de Saint-Lubin et Saint-Bienheuré : l’affaire entraîne des murmures et des incidents, et plusieurs pétitions attestent qu’elle ne cesse de préoccuper la population jusqu’au printemps 1792 sinon plus tard36.
69Sur un autre plan, les autorités vendômoises décident que les noms des rues seront peints à l’huile sur des planchettes, et que les maisons seront numérotées : ce quadrillage de la cité répond à l’idéal des Lumières d’une ville clairement ordonnée. Mais en même temps, elles décident de modifier le nom de certaines rues, d’abord en l’an II, puis à nouveau, quelquefois, en l’an VI. On ne reprendra pas ici le détail de ces changements37. Il suffira de noter que même si subsistent alors certains noms chrétiens (rues Notre-Dame et Saint-Martin), alors que disparaissent des dénominations idéologiquement neutres (rues Poterie, au Blé, de la Volaille, etc.), la philosophie générale de ces changements est de promouvoir en l’an II, outre la déchristianisation, des héros (Marat), des inspirateurs (Brutus, Rousseau) et des valeurs (Liberté) de la Révolution, et d’atténuer en l’an VI ce que cette époque de reflux révolutionnaire peut trouver excessif dans les choix de l’an II : c’est alors que la rue du Change, qui avait été rebaptisée rue des Sans-Culottes, devient la rue des Hommes-Libres ; et alors aussi que la rue des Ecuelles, dont l’an II avait fait la rue de la Gamelle, reçoit le nom de rue de la Frugalité.
70A l’évidence, il entre beaucoup de conformisme dans ces choix, et tout laisse à penser que les nouveaux noms attribués aux voies vendômoises ne furent guère utilisés que dans les documents administratifs. Il en va largement de même des changements de noms de communes, qui dans le district de Vendôme se bornent à éliminer les vocables saint, ville et chapelle, soit en leur substituant un attribut géographique (Saint-Firmin devenant Prés-Firmin), soit en procédant à une simple transposition : Brévainville devient ainsi Brévain-Commune, Villemardy Commune-Duodi et Ville-dieu Commune-Etre Suprême ; seule Vendôme manifeste quelque esprit militant en décidant de s’appeler Vendôme régénérée. Cependant, ce conformisme est plus grand encore dans le district voisin de Mondoubleau, ou des communes comme Saint-Agil ou Saint-Avit conservent leur nom. Seule La Chapelle-Vicomtesse modifie le sien : encore le fait-elle incomplètement, puisqu’elle prend celui de La Chapelle-sur-Grène38.
71Dernier repère spatial remis en cause par la Révolution, celui du système de mesures, et surtout de celles de longueur et de surface. Mais les mesures anciennes sont trop familières aux populations habituées à fonder sur elles leurs estimations pour que le système métrique institué en 1795 ait quelque chance d’entrer dans les mœurs, en dépit de sa mise au programme des écoles primaires, et de la diffusion de tableaux de correspondance entre mesures anciennes et nouvelles. En outre, parce qu’il est uniforme et unificateur, le nouveau système s’en prend à l’une des bases de l’identité locale des campagnes, chaque petite région se singularisant jusqu’alors par son arpent et sa toise : ce trait aussi ne pouvait que précipiter l’échec du système métrique.
72Concernant les déplacements de la population, la Révolution a souvent pour effet de les développer, à la fois en ampleur et en nombre. Ainsi déclenche-t-֊elle un mouvement d’émigration : certes relativement modeste, celui-ci n’en laisse pas moins des traces dans les esprits39. Parmi ces émigrants figurent de nombreux prêtres, qui se rendent aux Pays-Bas et en Allemagne, mais surtout en Savoie, en Suisse et en Italie, et plus encore en Angleterre40 ; d’autres prêtres connaissent la déportation à l’île de Ré, à Blaye ou en Guyane. Certains reviennent, et reprennent leur place au sein du clergé vendômois. Ces expériences aussi marquent les esprits, des gens concernés d’abord, de leur entourage ensuite. Enfin, il faut évoquer ceux des prêtres qui, maintenant un culte réfractaire sur place, sont contraints à des déplacements permanents, afin d’échapper à l’arrestation. Jacquet de La Haye, ci-devant curé de Ternay, parvient ainsi, de métairie amie en bois isolé, d’entresol de château en cave en roc, et grâce à de nombreuses complicités, à entretenir une présence catholique dans la région de son ancienne paroisse41. D’autres prêtres font de même dans les secteurs de Sougé, de Prunay, d’Azé ou de Boursay, ainsi qu’à Montoire et à Vendôme. On notera que leur activité inverse la situation habituelle, où la vie sociale s’organisait autour de l’église, puisqu’en raison des circonstances, c’est le prêtre, par nécessité mobile, qui se fond dans la société ; et qu’elle se déploie tout particulièrement dans les zones de confins départementaux, le passage d’un département à l’autre pouvant assurer au prêtre clandestin un refuge en cas de danger trop pressant.
73Au chapitre de la mobilité figurent encore les mouvements liés aux problèmes de subsistance. Dès le printemps 1789, des habitants de Vendôme se rendent à Sainte-Anne, à Crucheray ou à Saint-Firmin — c’est-à-dire dans les plus riches des terroirs qui entourent la ville — pour réclamer du blé. Fin 1792, le mouvement des taxateurs, parti de la forêt de Montmirail, impose en quelques semaines (souvent avec l’appui des citadins) la fixation d’un prix maximum du grain dans tous les marchés de la région. Enfin, à partir de 1795, de modestes Vendômois s’attroupent en Beauce ou dans la vallée du Loir, entre Meslay et Pezou, toujours pour quémander leur nourriture. Ainsi pendant la Révolution des habitants de Vendôme ont-ils pris la route pour satisfaire aux conditions les plus élémentaires de la survie, selon un processus qui n’est pas sans rappeler celui des citadins d’autres villes allant grossir les bandes qui écument alors la Beauce — au premier chef celle d’Orgères42.
74Dernier facteur de mobilité, mais non le moindre, la guerre. Les habitants de la région ne manifestent certes pas un grand zèle à aller porter les armes, comme l’a montré l’étude de la nuptialité, et en 1793 les opérations de recrutement donnent lieu à des incidents à Selommes (en mars) et surtout à Mondoubleau (à l’automne)43. Pourtant, certains doivent bien finir par partir, si bien que la réalité militaire est présente au cœur de la société régionale. Une enquête de l’an X (été 1802) révèle que 7 à 800 habitants de l’arrondissement se trouvent alors sous les armes — et il convient de compléter ce total par tous ceux qui, ayant été à un moment ou à un autre incorporés, sont à ce moment démobilisés ou morts. Or, certains de ces soldats ont effectué des déplacements considérables. On signale ainsi à Artins un militaire « revenu d’Egypte », à Brévainville « trois morts au frontière et un qui est rentré [...] avec un bras de manque c’est-à-dire coupé », et à Couture que « tous les réquisitionnaires ayant été faits prisonniers et envoyés en Bohême y sont péris à l’exception d’un ou deux ». Des frontières (celles du nord-est vraisemblablement) à la Bohême et à l’Egypte, l’élargissement des horizons est spectaculaire, pour les soldats concernés, et aussi, à travers leur correspondance et les récits de ceux qui reviennent, pour l’ensemble de la population régionale44.
75Mais à côté des déplacements qu’elle entraîne au sein de sa population, modifiant la vision de ceux qui les effectuent et indirectement celle de leur entourage, la décennie révolutionnaire soumet aussi le Vendômois à de vastes mouvements dont il subit, redoute ou même suppose le déferlement. Tel est le cas de la Grande Peur (juillet 1789), de la « virée de galerne » (décembre 1793), de la chouannerie, plus diffuse et présente surtout à partir du printemps 1795, et même du mouvement déjà évoqué des taxateurs (novembre 1792), et qui est dans son origine extérieur au Vendômois.
76Ces mouvements répondent à des inspirations idéologiques variées, favorables ou au contraire hostiles à la Révolution. Mais ce n’est pas sur ce plan, par ailleurs bien connu, qu’on les analysera d’abord ici. On s’attachera plutôt à cerner, à travers eux, si la circulation des hommes et celle des nouvelles demeurent ou non fidèles aux traits observés au xviiie siècle.
77Dans le mécanisme de la Grande Peur, par exemple, se retrouvent bien des aspects de la traditionnelle transmission des nouvelles par contact. Mais cette transmission est ici accélérée par la panique née d’une conjoncture politique exceptionnelle, en une saison — celle de la veille de la moisson — où la nervosité est toujours grande dans les campagnes : aussi, au lieu d’utiliser l’habituelle médiation des marchés, on recourt cette fois au tocsin et aux messages envoyés aux paroisses environnantes, comme fait le curé de Mazangé dans la soirée du 23 juillet pour prévenir de la menace « d’une invasion de 600 jeunes libertins Bas-Bretons »45. On vérifie bien là comment « une panique orale [...] transmise par contact de village à village circule beaucoup plus vite [...] que les mots d’ordre et les idées-forces »46. Il est vrai que la correspondance administrative transmet une information orientée, d’un expéditeur vers un destinataire, alors que les thèmes diffusés par la panique trouvent dans la même population, et simultanément, leur origine et leur audience : ce qui a pour effet d’entraîner en quelque sorte une annulation de l’espace.
78L’étonnant mouvement des taxateurs, qui déferle sur la région à partir de la forêt de Montmirail, est plus inédit. En dehors du noyau de bûcherons portant feuille de chêne au chapeau qui la conduit, la troupe taxatrice, rapidement forte de 5 à 6 000 hommes, est constamment renouvelée, et ceux qui la rejoignent ne l’accompagnent que quelques jours, le temps d’atteindre la ville voisine, mais sans aller plus loin ; ce qui démontre à la fois que l’expédition est bien accueillie par de larges franges de la population (journaliers des campagnes, artisans et compagnons des villes), et qu’elle n’élargit pas sensiblement l’horizon géographique familier47. Sur un plan plus politique, ce mouvement, populaire dans son recrutement et puissant par les effectifs concernés, peut jusqu’à un certain point faire figure de pendant rural et provincial des grandes journées révolutionnaires qui scandent alors la vie de la capitale.
79La chouannerie répond à une autre logique, plus individuelle, dont le ressort est le secret et la surprise, et non plus la masse, conformément à un schéma qui serait plutôt, cette fois, celui de la conspiration, à laquelle recourent volontiers, à la fin de la Révolution, les royalistes (sans en avoir cependant l’exclusivité, comme le montre le complot babouviste). L’agitation chouanne peut prendre la forme d’incursions tirant leur origine des bocages de la Sarthe. Mais le plus souvent, elle présente le visage d’une agitation latente. Il arrive que celle-ci soit le fait de la population locale : en février 1796, on signale en bas Vendômois des insoumis qui « chouannent le jour dans le bois de la Haye et la forêt de Gâtine, et qui reviennent chez leurs parents une fois la nuit tombée ». Mais les hommes qui contraignent en avril 1796 un patriote à couper l’arbre de la liberté d’Azé sont, selon ce dernier, étrangers à la région.
80Une telle diversité n’est pas sans entraîner une certaine ambiguïté autour de la signification de la chouannerie, dans la perspective de la relation entre ailleurs et ici, tous deux gros de menace, mais de manière différente. Comme l’observe en février 1796 l’administration du canton de Saint-Calais dans un rapport adressé à son homologue de Vendôme, « les chouans peuvent être considérés sous deux aspects, en chouans connus et en chouans inconnus. Les premiers sont ceux qui sont en insurrection ouverte [...], s’organisent sur le pied militaire [...] Les seconds sont ceux qui dans le sein même de nos communes, et jusque dans le sein de leur famille même, corrompent l’esprit public [...] Cette espèce de chouannerie plus dangereuse que la première, parce qu’elle est à nos portes et jusque dans nos foyers entoure, circonscrit nos demeures, sans que nous puissions leur opposer une force ouverte »48.
81Mais l’opposition entre ici et ailleurs, déjà rencontrée au xviiie siècle, n’est pas la seule à rejouer pendant la Révolution. Celle existant entre ville et campagne demeure tout aussi active : les villes redoutent la Grande Peur, et sont placées au cœur de leur stratégie par les taxateurs ; par la suite, elles sont pensées en permanence comme le lieu de l’autorité révolutionnaire par rapport à des campagnes considérées comme porteuses de fanatisme. Une telle opposition est assurément forcée, car la Contre-Révolution peut se déployer aussi en milieu urbain. Mais elle démontre que les villes, lieu traditionnel de toutes les régulations et de tous les pouvoirs, continuent à revendiquer ces fonctions pendant l’époque révolutionnaire.
82Concernant l’orientation des grands mouvements qui affectent ou menacent le Vendômois au temps de la Révolution, les conclusions que dégage la carte, p. 438, sont sans ambiguïté : c’est à l’ouest que prennent naissance la menace de la Grande Peur et celle de la virée de galerne — c’est de l’Ouest aussi que proviennent taxateurs et chouans. Sur ce plan, la mobilité révolutionnaire retrouve tout à fait les traits repérés à travers les migrations de l’Ancien Régime : ici aussi, il faut conclure à la continuité structurelle.
83Cette continuité s’enracine dans la géographie, qui a placé le Vendômois au contact des pays de bocage et de ceux de plaine. Mais cette situation explique aussi que la région apparaisse constamment en position de front politique, prenant en quelque sorte figure de boulevard avancé de la Révolution face à toutes les menaces dissimulées derrière les haies de l’Ouest. Sans doute le Vendômois ne manifeste-t-il pas pendant la période un particulier zèle révolutionnaire. Du moins ne bascule-t-il jamais dans la révolte ouverte, si bien qu’il demeure rattaché, au moins sur le mode conformiste, aux régions du cœur du Bassin parisien, où la Révolution est globalement acceptée.
84Conformiste mais sans excès : ce comportement du Vendômois peut certes s’analyser, depuis Paris, en termes de tiédeur. Mais il peut se percevoir aussi comme une marque de modération. N’est-ce pas à celle-ci que Vendôme doit d’être choisie en 1796 comme siège de la Haute Cour destinée à juger Babeuf et ses amis ? La lettre de la loi imposait certes que ce procès se tienne à une certaine distance de Paris. Mais on ne peut négliger le fait que le jugement de Babeuf s’inscrit dans une longue série de procès politiques qui de 1791 à 1870 se tiennent, sinon en Vendômois, du moins à proximité, dans les pays de la Loire moyenne49. Voici qui complète le signalement géopolitique du Vendômois : boulevard avancé de la Révolution sans doute, cette province fidèle est aussi le terrain d’une certaine retenue, qui permet à l’appareil judiciaire de s’y déployer à l’abri des emballements parisiens.
LE DEVENIR DE L’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE
85Par rapport à l’école élémentaire qui existait en Vendômois avant 1789, la Révolution n’apporte d’abord guère de changement. La politique religieuse de la Constituante remet bien en cause les fabriques, ce qui atteint les fondations : mais on sait que celles-ci ne concernaient qu’une minorité d’élèves.
86A partir de l’an II, les autorités révolutionnaires deviennent plus volontaristes. La loi du 7 brumaire interdit aux ministres du culte, aux ci-devant religieux et ecclésiastiques, aux aristocrates et aux anciens magistrats d’enseigner dans les écoles primaires. D’autres lois tentent d’organiser un enseignement élémentaire. Mais la loi Bouquier du 29 frimaire an II et surtout la loi Lakanal du 27 brumaire an III sont trop peu de temps en vigueur pour avoir un effet réel sur le terrain. La loi Daunou du 3 brumaire an IV, nettement en retrait par rapport à la précédente50, est en revanche appliquée jusqu’en 1802.
87Mais son bilan est bien modeste. Elle entraîne certes la création d’écoles : par rapport à la norme qu’elle fixe (une école pour 1 000 habitants), le taux d’écoles existantes passe entre novembre 1794 et mai 1795 de 52 à 84 % dans le district de Vendôme ; et entre mai 1795 et octobre 1800 de 65 à 77 % dans les deux districts de la région51. Mais il reste qu’après six ans de politique républicaine, le Vendômois ne dispose que des trois quarts de l’équipement scolaire prévu par la loi. En outre, tous les enfants sont loin de fréquenter ces écoles : l’affirmation des administrateurs du canton de Savigny selon laquelle « moins du quart des enfants sont offerts à l’instruction » semble bien valoir pour l’ensemble du Vendômois rural, la fréquentation masculine l’emportant nettement sur celle des filles. La situation est meilleure en ville (à Vendôme, deux tiers des garçons et un tiers des filles sont scolarisés en prairial an II), mais ce n’est pas nouveau. Il n’est donc pas surprenant que les taux d’alphabétisation ne connaissent guère alors d’évolution significative52.
88Au vu de ces constats, il est difficile de nier l’échec de l’école républicaine, même si l’on admet que l’expérience fait découvrir aux populations des principes et des valeurs (enseignement d’Etat, laïcité) appelés par la suite à progressivement s’enraciner parmi elles53. Faut-il imputer cet échec à l’orientation idéologique de l’école de la Révolution ? De fait, on évoque à Savigny « le dégoût des campagnes pour l’instituteur républicain », et à Morée le « peu d’estime [...] pour la République ». Et les manuels qu’elle utilise, élaborés au moment de la Révolution la plus extrême, ne sont pas de nature à atténuer ces préventions : leurs titres (Catéchisme républicain, Evangile républicain) peuvent bien répondre à de hautes considérations philosophiques, ils n’en ont pas moins une allure provocatrice, et c’est cette dernière qui est reçue au village. Du reste, ils ne sont guère employés, et en 1798 une inspection découvre que le Catéchisme républicain utilisé par un maître vendômois contient « des oremus et des instructions pour faire une bonne confession et une bonne communion » — preuve que circulent à Vendôme des livres truqués...
89Cependant, ces constats ne suffisent pas à expliquer l’échec de l’école républicaine. Sinon on comprendrait mal que cette dernière réussisse moins bien là où l’alphabétisation (et donc la scolarisation) d’Ancien Régime étaient les plus faibles, et soit un peu mieux accueillie là où la situation scolaire était avant 1789 plus favorable. Faut-il s’étonner de ces continuités ? En réalité, par-delà leur différence d’orientation idéologique, l’école de l’Ancien Régime et celle de la République présentent de nombreuses similitudes : après comme avant 1789, le maître demeure recruté sur un double critère de moralité (« de bonnes vie et mœurs ») et d’idéologie (catholique autrefois, républicain désormais) ; sacristain sous l’Ancien Régime, on songe maintenant à en faire un secrétaire de mairie, et alors qu’il était chargé de faire de ses élèves de bons catholiques en les menant à la messe, il doit désormais préparer de bons républicains, en les conduisant aux fêtes du nouveau régime. Même similitude en ce qui concerne le programme d’enseignement (la trilogie lire-écrire-compter, complétée du catéchisme avant 1789, de morale républicaine au temps du Directoire), ou les méthodes pédagogiques, toujours fondées sur l’enseignement individuel. Si l’on ajoute encore que l’école républicaine rencontre les mêmes obstacles matériels (pauvreté des familles, mauvais état des chemins en hiver, travail des enfants) que sa devancière d’Ancien Régime, on admettra que les difficultés de l’école républicaine sont au moins autant celles d’une certaine structure scolaire que le résultat d’un enseignement orienté.
90C’est donc d’une situation peu brillante qu’hérite le Consulat, lorsque avec la loi Fourcroy il en revient à une organisation très proche de celle de l’Ancien Régime : les écoles sont mises à la charge des communes, mais faute de moyens, celles-ci reprennent souvent le système de l’écolage. En même temps, les difficultés traditionnelles persistent, comme l’observe l’Annuaire de Loir-et-Cher de 1815 : « Les soins [des] instituteurs dans les campagnes n’obtiennent pas toujours tout le succès désirable, parce que la plupart des habitants sont dans l’usage de n’envoyer leurs enfans aux écoles que pendant l’hiver, et de les en retirer au commencement de la belle saison pour les employer aux travaux des champs. [Cela a pour effet] de diminuer les moyens d’existence des maîtres d’école dans les communes rurales, d’en éloigner les instituteurs capables, et d’empêcher que le nombre des gens sachant lire et écrire, déjà trop petit dans les campagnes, ne s’augmente ».
91Une enquête conduite en 1833 et les rapports établis au cours des années suivantes par l’inspecteur des écoles Prat, alors que s’amorce l’application de la loi Guizot, permettent de dresser le bilan de l’école du premier tiers du xixe siècle54. Le réseau scolaire du Vendômois s’est indiscutablement étoffé, puisque sur 110 communes, il s’en trouve 101 qui, seules ou réunies, entretiennent une école. Mais quel que soit le critère retenu — qualification et compétence, pratique pédagogique, zèle —, la qualité des enseignants qui les desservent est globalement très moyenne, sinon médiocre. Il est vrai que leur condition est difficile : d’origine souvent modeste, et pour beaucoup d’entre eux mal payés, ils consacrent dans 39 % des cas une partie de leur temps à une autre activité que l’école : la persistance de ce trait traditionnel n’est évidemment pas un gage de qualité. Les conditions matérielles de fonctionnement des écoles sont également loin de donner toute satisfaction. Selon Prat, seules 48 % des maisons d’écoles sont de taille convenable, et le mobilier de l’école n’est suffisant que dans 12 % des cas. Insuffisance aussi en ce qui concerne les livres, trop souvent différents d’un élève à l’autre — ce qui renforce la tendance des maîtres à recourir à la méthode individuelle.
92Concernant les matières enseignées, l’enquête de 1833 signale partout l’instruction religieuse, la lecture et l’écriture, et presque toujours le calcul (93 % des cas). Loin derrière, l’orthographe n’est mentionnée que dans 38 % des écoles, et la grammaire dans 25 %. Rare ou exceptionnel enfin est l’enseignement des autres disciplines : géographie (14 %), histoire (7 %), arpentage (1 %), dessin linéaire (1 %) ; le profil moyen du programme d’enseignement d’une école du Vendômois au début de la Monarchie de Juillet n’est donc guère éloigné de celui qui avait cours avant 1789.
93Ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur de la loi Guizot (1833) que s’amorcent des évolutions significatives : de 1836 à 1846, le taux de fréquentation scolaire des garçons passe de 57,8 % (niveau probablement un peu surévalué) à 61,5 %, celui des filles de 42 à 54,1 %. Logiquement, les taux d’alphabétisation progressent : en 1855-1856, ils sont de 62 % chez les hommes et de 42 % chez les femmes (contre respectivement 34 % et 20 % au début du siècle). L’inflexion est donc majeure, et à travers elle la Monarchie de Juillet prépare les progrès décisifs du second xixe siècle. Encore convient-il de relever que ce démarrage ne s’effectue pas partout de la même manière. En Beauce, la fréquentation est plus massive que dans le Perche, mais elle se développe dans une école de moindre qualité : le maître beauceron pratique plus souvent que son homologue percheron un second métier, et la fréquentation de l’école baisse davantage en été en Beauce que dans le Perche55. Un tel contraste entre une scolarisation de qualité mais moins répandue dans le Perche, et une scolarisation plus médiocre, mais aussi plus généralisée en Beauce, n’est pas sans rappeler des observations faites au xviiie siècle, quand le Perche était terre d’élection d’écoles de fondation qui n’atteignaient qu’une minorité, alors que la Beauce privilégiait la responsabilité paroissiale pour diffuser plus massivement (au moins chez les garçons) des rudiments sans doute moins élaborés. Des structures héritées des générations passées continuent donc à marquer la région au moment où celle-ci amorce l’achèvement de son alphabétisation.
LES LIMITES DE L’EXPANSION
94L’évolution de l’économie du Vendômois pendant le premier xixe siècle — dont on n’indiquera ici que les grandes lignes, en visant à en dégager le bilan plutôt qu’à en restituer le détail —, cette évolution donc appelle un jugement nuancé, dans la mesure où les progrès qui peuvent y apparaître doivent souvent être relativisés.
95Ainsi dans l’industrie observe-t-on au lendemain de la Révolution de nombreux signes de renouveau : dans la ganterie vendômoise, à la forge de Fréteval, et dans les fabriques de coton des régions de Mondoubleau, Savigny et Vendôme — dont l’essor contraste avec le marasme de l’activité lainière. Pour autant, l’industrie régionale, toutes branches confondues, n’emploie alors pas plus de 2 000 personnes, femmes et enfants compris. Surtout, les promesses du début du siècle ne sont pas tenues : la plupart des branches — tannerie, ganterie, forge, papeterie — ne connaissent pas de progrès, et au mieux poursuivent jusqu’en 1850, et au-delà, une existence médiocre, animée seulement par les fluctuations de la conjoncture. Quant au coton, sur lequel étaient fondés tant d’espoirs au lendemain de la Révolution, il se maintient, sans plus, pendant la Monarchie de Juillet, avant de s’effondrer sous le Second Empire : la manufacture de Meslay cesse définitivement son activité en 1865.
96L’agriculture présente un bilan apparemment plus favorable. Concernant l’utilisation des sols56 s’observent pendant les trois premières décennies du siècle d’intéressantes évolutions : partout reculent les friches, et progressent les prairies ; les bois, quant à eux, régressent dans le vignoble (au profit des labours) et s’étendent en bas Vendômois (aux dépens des friches). Pendant la Monarchie de Juillet, ces évolutions ralentissent, la nouvelle distribution des terres entre les grandes activités agricoles semblant stabilisée ; toutefois, la vigne continue à reculer dans la région de Vendôme, alors qu’elle consolide ses positions dans celle de Montoire.
97Mais, par définition, les progrès liés à ces évolutions concernant l’utilisation des sols sont davantage extensifs qu’intensifs. Sur le plan qualitatif, l’agriculture vendômoise du premier xixe siècle n’est pas à l’abri de tout reproche. En 1851 encore, l’Almanach agricole observe que « les vignes sont mal plantées dans les environs de Vendôme. Le rouge, le blanc, le tardif, le précoce, tous les cépages sont mêlés sans goût et sans intelligence ». De fait, la viticulture régionale s’oriente de plus en plus vers la quantité. Entre 1810 et 1866, le rendement en vin est de 3,43 pièces au quartier (+29 % par rapport à la période 1740-1789), mais la qualité moyenne, mesurée selon la même méthode qu’au xviiie siècle, n’est que de 2,47 (-15 %)57. La céréaliculture est également l’objet de critiques, en raison de certains archaïsmes. Cependant, dans ce domaine s’observent aussi des améliorations, notamment en matière d’assolement : au milieu du siècle, le passage à un système quadriennal faisant place au trèfle est achevé dans le Perche58. Mais ces progrès n’évitent pas le retour périodique des crises de subsistance, fidèlement enregistrées par la mercuriale de Montoire (graphique ci-dessous), notamment en 1811-1812, en 1817, en 1829, en 1846-1847, et qui ne sont pas sans conséquences sociales, voire politiques.
98L’élevage connaît à la même époque d’importantes mutations structurelles59. Ainsi celui du cheval progresse-t-il parce qu’en matière de trait cet animal se substitue au bœuf (dans le Perche) ou à l’âne et au mulet (dans le vignoble) et que dans le nord-ouest de la région se développe un élevage spécialisé60. L’élevage bovin, lui aussi en progrès — dans le Perche où il était déjà important, mais surtout dans les autres secteurs de la région — s’oriente de plus en plus vers le lait et la viande, et beaucoup moins vers la production de bœufs de trait. L’élevage ovin demeure également bien implanté dans le Perche. Cependant, c’est en Beauce que son essor est le plus brillant, à la fois en nombre et en qualité : le cheptel est ici constitué à 100 % de mérinos et autres races perfectionnées, contre seulement 22 % dans le canton de Mondoubleau. Les progrès, souvent importants, que connaissent au même moment les cheptels des porcins et des caprins n’ont sans doute pas, aux yeux des agronomes de l’époque, le même intérêt que les améliorations précédentes. Mais les ruraux sont sensibles au précieux apport de ressources que continuent à représenter pour eux ces élevages mineurs. L’essor de ces derniers démontre donc à la fois la persistance de traits bien attestés déjà au xviiie siècle, et la capacité que conservent les paysans, au temps de la monarchie parlementaire, de faire prévaloir leurs choix face aux préventions de milieux qui ne sont pas les moins influents de la région. D’un autre point de vue, ces progrès témoignent aussi des limites d’une agriculture dont la médiocrité des résultats continue à imposer aux ruraux de ne négliger aucune ressource.
99Sur le plan routier, en revanche, le premier xixe siècle est marqué par une réelle amélioration du réseau. Cette dernière implique un important effort financier, dont souvent on s’efforce de transférer la charge à d’autres : ainsi le département réclame-t-il que soient accrus les crédits consacrés aux routes royales traversant la région, cependant que les communes tentent de faire classer comme chemins de grande communication, voire comme routes départementales, des chemins jusqu’alors vicinaux61. Mais elle entraîne aussi des débats concernant le choix des itinéraires : La Ville-aux-Clercs s’assure ainsi le croisement des voies Vendôme-Droué et Montoire-Cloyes, cependant que Montoire réussit à être reliée directement à Château-Renault, plutôt que de rechercher par Lavardin un rattachement avec la route royale à Villethiou. A la même époque, Mondoubleau obtient le passage de la route Saint-Calais-Brou, et Moisy (plutôt que Fréteval ou Morée) celui de la liaison Oucques-Châteaudun62. Ne multiplions pas ces exemples : il suffit de souligner que c’est alors que se fixe définitivement le réseau routier régional (carte, p. 445).
100Autre débat, déjà sensible au xviiie siècle, et réactivé par les travaux routiers : celui qui oppose une approche globale des voies de communication à une vision toute locale, sensible aux seuls chemins les plus proches. Commentant les conclusions des assemblées réunies dans chaque canton au sujet de la question des chemins, un rapport du conseil général en donne une belle illustration en observant en juillet 1833 : « Quelques-unes de ces assemblées ont eu en vue des chemins d’une importance réelle par leur longueur prolongée à travers le territoire de plusieurs cantons [...] ; d’autres réunions n’ont demandé que des chemins qui n’intéressent qu’une ou deux localités rapprochées l’une de l’autre. Chaque délégué n’a semblé voir, généralement parlant, que l’intérêt de sa commune, de son bourg, de son hameau, de sa métairie »63.
101Mais ces débats n’empêchent pas le réseau routier de la région de se mettre progressivement en place. Les rapports des inspecteurs des Ponts et Chaussées permettent d’en suivre l’avancement64.
102Concernant les routes royales, l’axe Paris-Bayonne, réalisé à 93 % déjà à la fin de l’Ancien Régime, est achevé sous l’Empire, en raison de l’intérêt qu’il présente pour la conduite de la guerre d’Espagne : c’est alors qu’est comblée la lacune qui subsistait au sud de Vendôme. La route Blois-Vendôme, bien avancée au début de la Restauration, est complètement terminée en 1825. Les travaux avancent beaucoup moins vite entre Vendôme et Saint-Calais, où ils ne s’achèvent qu’en 1842.
103Parmi les routes départementales, c’est la liaison Vendôme - Château-du-Loir qui est le plus rapidement établie : construite aux deux tiers déjà à l’époque du Consulat, elle est achevée pendant les années 1820. La route Saint-Calais - Brou, faite à 50 % en 1816, et à 90 % environ en 1829, n’est terminée qu’à la fin des années 1830. La construction de la route Montoire-Brou (par Savigny et Mondoubleau) s’étend de 1820 à 1850. Etablies plus tardivement, les deux dernières départementales de la région le sont aussi plus rapidement : Montoire - Château-Renault entre 1837 et 1846 (et surtout entre 1839 et 1842) ; et Epuisay-Mondoubleau entre 1841 et 1846, après que ses travaux aient été plusieurs fois reportés.
104C’est donc un équipement précieux pour le Vendômois qui se trouve ainsi réalisé au milieu du xixe siècle. En facilitant la circulation, des hommes comme des marchandises, il ne peut qu’être bénéfique pour l’économie régionale. Tout laisse à penser aussi qu’il contribue à transformer la perception qu’a de l’espace la population, comme le fait au même moment, d’un tout autre point de vue, l’établissement du premier plan cadastral, en diffusant jusqu’au village une approche cartographiée précise et complète de l’ensemble des terroirs, ce qui est sans précédent (graphique ci-dessous)65. On retrouvera pendant le second xixe siècle les implications de cette nouvelle perception de l’espace.
105Pour autant, il ne faut pas exagérer l’importance et la portée des réseaux de voies de circulation existant en Vendômois au milieu du xixe siècle. A ce moment, la région dispose certes de routes royales et départementales convenables. Mais l’établissement de certaines d’entre elles vient tout juste d’être achevé. En outre, concernant les voies vicinales, la situation est beaucoup moins brillante, et pour longtemps encore66. D’autre part, malgré plusieurs études poussées, notamment celle de l’ingénieur Gérard en 1826, et celle de Pétigny en 1840, et en dépit d’initiatives locales — notamment la société financière constituée à Vendôme en 1841 avec le soutien du conseil général en vue de réaliser enfin la canalisation de la rivière —, le vieux projet régional de rendre le Loir navigable n’aboutit pas67. Le Vendômois n’est pas plus heureux avec le chemin de fer : on y caresse bien un moment l’espoir d’être intégré au « premier réseau », avec le projet d’une liaison Paris-Tours par Chartres, mais cet espoir est déçu quand en 1842 est arrêté le choix de l’itinéraire Paris-Orléans-Tours. Le journal Le Loir est sans doute excessif en écrivant alors que « Vendôme est dorénavant une ville perdue ». Sa réflexion a cependant le mérite de mettre en évidence les limites que rencontre l’économie régionale, jusque dans un domaine — celui des voies de circulation — où l’époque peut pourtant se targuer de certaines réussites.
106Par un autre biais, l’évolution de la population témoigne aussi sur ces limites, et plus globalement sur celles de l’ensemble de l’économie de la région. Sans doute pendant les premières décennies du xixe siècle la démographie vendômoise connaît-elle un réel dynamisme. La population de l’arrondissement, qui avait déjà crû entre 1789 et 1806 de 6 %, augmente à nouveau de près de 15 % entre 1806 et 1846, pour atteindre à cette date 79 846 habitants ; par rapport à l’indice 100 de 1685, elle est en 1846 au niveau 125 (graphique ci-dessous). Cette croissance s’explique avant tout par l’excédent naturel ; mais pendant quinze ans (1831-1846), le solde migratoire, habituellement négatif, devient positif (graphique ci-dessous). Enfin, il faut souligner que cette croissance est générale : jusqu’au début des années 1830, celle des campagnes égale celle des villes (graphique, p. 468). En bref, du point de vue de l’histoire de la population, la région vit alors, dans la continuité de la croissance qui a été décrite pendant les dernières décennies du xviiie siècle, ce qui peut être considéré comme l’apogée d’une certaine civilisation rurale68.
107Cependant des signes d’essoufflement se font rapidement jour. Au cours des années 1830, les campagnes sont irrémédiablement décrochées par les villes. Et si ces dernières poursuivent d’abord une spectaculaire croissance, elles atteignent pendant les années 1840 un plafond qu’elles sont incapables de crever, comme le confirmera leur évolution ultérieure. Faut-il s’étonner dans ces conditions du ralentissement de la croissance de la population de l’arrondissement entre 1841 et 1846, en attendant la régression entraînée par la crise du milieu du siècle, entre 1846 et 1851 ? Tous ces constats suggèrent bien, à la fin des années 1840, un blocage de la croissance démographique du Vendômois. Celui-ci est illustré, d’une autre manière, par le recul qui affecte la population de certains cantons. Dans celui de Mondoubleau, la baisse commence dès 1826 ; elle atteint celui de Savigny en 1836, et celui de Montoire en 1841. Or, de telles baisses ne peuvent être imputées au solde naturel, qui partout demeure positif. Elles s’expliquent donc par une émigration, qui certes n’est pas nouvelle, mais qui devient désormais suffisante pour annuler l’effet de l’excédent des naissances. Ce mouvement ne fait sans doute que prolonger celui qui s’observait déjà au xviiie siècle depuis les zones de bocage vers les pays de plaine. De plus, les habitants que perd le Vendômois en ses secteurs les plus occidentaux se retrouvent pour partie dans ses cantons beaucerons, dont la population continue alors à croître. Il reste que le phénomène révèle des déséquilibres au sein de la population régionale, et qu’il pourrait, en prenant de plus vastes proportions, mettre à terme en danger la population de l’arrondissement, si les migrations vers les plaines devaient atteindre de nouveaux cantons, ou se prolonger davantage vers l’est. Ces perspectives, encore hypothétiques, mais que concrétisera le second xixe siècle, n’échappent sans doute pas aux plus perspicaces des notables de la région.
UNE AMBITION MODERNISATRICE
108Les permanences et les limites qui viennent d’être présentées, notamment sur le plan économique, et aussi, pendant longtemps, sur le plan scolaire, ne peuvent laisser indifférents les notables de la région. En raison de l’autorité sociale dont ils se considèrent investis, ceux-ci estiment qu’il leur revient de les combattre. Mais ils enracinent ce combat dans leur vision de la société : la responsabilité des inerties qui s’observent en Vendômois incombe à la masse de la population, et les indispensables transformations, même si elles sont bénéfiques pour l’ensemble de la région, ne peuvent être que leur fait. C’est dans cet esprit qu’on présentera ici la manière dont les notables dénoncent la routine, puis celle dont ils s’efforcent de promouvoir le progrès.
CONTRE LA ROUTINE
109Pendant la Monarchie de Juillet le curé de Prunay se plaint d’une « dévotion particulière à certaines paroisses du bas Vendômois, [...] celle que l’on a pour St-Exive, corruption du mot Aigues-Vives, près Montrichard, qu’ils prennent pour un saint, et qu’ils invoquent avec la ferveur la plus grande. Toute maladie que les médecins ne guérissent pas aussitôt est appelée mal d’Exive. Alors on se rend chez le guérisseur [...]. Il prend d’abord un cierge et il en fait couler quelques gouttes dans un vase rempli d’eau. Il examine attentivement l’effet que produit la cire en tombant. Si elle grésille (c’est l’expression consacrée) il est sûr que la personne est atteinte du mal d’Exive [...] Alors le guérisseur fait le signe de croix à l’envers en disant : mal d’Exive je te conjure au nom du père et du fils et de Saint Exive [...] Cette superstition est si enracinée dans mon pays que plusieurs personnes préfèrent même ne pas recevoir l’absolution et abandonner les sacrements plutôt que de renoncer à ces pratiques ridicules et coupables. Les instructions n’y font rien, et tous ceux qui ont recours à ces moyens le font en secret, de peur de s’attirer ou les réprimandes ou les railleries des personnes éclairées »69.
110L’enquête agricole de 1852 trouve des accents voisins pour déplorer qu’à Savigny « les cultivateurs disent qu’ils ne peuvent se défendre que par le boisseau ; de là vient qu’ils font peu de prairies artificielles. Cette culture si productive et si favorable au repos et à l’amélioration des terres arables est sacrifiée à la culture des céréales ». Le même document ajoute que « les semailles commencent ordinairement [...] le 21 septembre, jour de saint Mathieu, qu’on appelle pour cette raison le Premier Semeur [...] Beaucoup de cultivateurs tiennent particulièrement à semer le 4 octobre, jour de saint François d’Assise. Dans leur opinion, c’est le jour le plus favorable du mois. Mais le 6, jour de saint Bruno, aucun cultivateur ne sème, toutes les charrues se reposent ; ils pensent que les blés semés ce jour-là ne prospéreraient pas »70.
111L’inspecteur des écoles Prat tient le même langage quand il observe en 1836 : « L’habitant des campagnes est méfiant, son ignorance le mettant dans l’impossibilité de juger [...] lui fait concevoir des préventions injustes contre les méthodes soit simultanées soit mutuelles, il les accueille avec répugnance, précisément parce qu’il se rappelle avoir été enseigné autrement »71.
112Arrêtons là ces exemples. A eux trois, ils illustrent bien la manière dont les notables conçoivent la mentalité populaire, et le rôle qu’ils ont à jouer pour la modifier. Première certitude, le peuple est dans l’erreur : selon le curé de Prunay, « ses pratiques sont ridicules et coupables » ; à suivre l’enquête de 1852, il sacrifie ce qui lui serait le plus favorable ; et pour Prat, « son ignorance [...] lui fait concevoir des préventions injustes ». Or, cette erreur est ancienne, et de cette ancienneté elle tire une force toute particulière : le curé de Prunay parle d’« enracinement », Prat laisse clairement à entendre que les méthodes mutuelle et simultanée sont refusées parce qu’elles sont nouvelles, et c’est naturellement dans la tradition encore que les habitants du canton de Savigny puisent leurs usages en matière de pratiques agricoles, pour leur calendrier (lequel atteste, soit dit au passage, la persistance au xixe siècle du repérage temporel par le recours aux saints décrit au xviiie siècle), comme pour le choix des plantes cultivées — le grain plutôt que l’herbe. En réalité, un mot manque dans tous ces témoignages, qui pourtant qualifierait remarquablement l’appréciation portée par les notables sur la vision populaire : c’est celui de routine. Ce terme en effet renvoie à la vision cyclique traditionnelle — celle d’un monde toujours recommencé identique à lui-même — longuement présentée dans un précédent chapitre ; mais il le fait avec une nuance négative tout à fait en harmonie avec la réprobation de ceux qui la décrivent.
113Cependant, nos témoins ne se bornent pas à dénoncer cette routine. Ils insistent aussi, chacun à sa manière, sur la difficulté qu’il y a à la corriger. Aux yeux des ruraux en effet, la tradition a pour elle la force de ce qui déjà a été, contre ce qui, peut-être seulement, sera. De là la méfiance qui par nature s’oppose à la nouveauté : Prat la mentionne explicitement, mais elle ressort aussi de l’observation des cultivateurs du canton de Savigny sur le boisseau. C’est là un obstacle bien malaisé à surmonter : la raison ici est d’un maigre secours, car l’habitant des campagnes est « dans l’impossibilité de juger », selon Prat, et le curé de Prunay dit à sa manière la même chose quand il observe que « les instructions n’y font rien ». Ce dernier va plus loin en soulignant l’impuissance dans cette circonstance de la pression religieuse, puisqu’on préfère « ne pas recevoir d’absolution [...] plutôt que de renoncer à ces pratiques », ce qui constitue un cruel aveu pour un prêtre, mais surtout celle de la pression sociale : sans doute craint-on réprimandes et railleries, mais on y échappe en se réfugiant dans le secret, et cette dernière réflexion ouvre en face de l’ordre des justes principes qu’entendent faire triompher les notables la perspective de tout un univers malaisé à cerner, obscur, et pour tout dire inquiétant.
POUR LE PROGRÈS
114Naturellement, pour ces notables, une telle situation ne saurait persister : en raison du rôle dirigeant dont ils s’estiment dépositaires, il leur revient de tout mettre en œuvre pour qu’au contraire elle prenne fin. De fait, on les voit pendant le premier xixe siècle saisir toutes les occasions pour développer cette vaste entreprise de pédagogie sociale. Ainsi, quand en 1848 « la commune de Saint-Arnoult demande du secours pour remplacer la cloche qui a été brisée en tintant pendant l’orage », le conseil général répond que « la cause de l’accident est un motif de refus, et [qu’il] invite M. le Préfet à éclairer les habitants de cette commune sur les dangers à tinter pendant l’orage »72 : face à un usage populaire séculaire et général, les notables énoncent la leçon de la raison, et s’efforcent de l’imposer à travers une sanction matérielle.
115Mais un programme aussi ambitieux que celui qui anime les notables ne peut se remplir au seul gré des circonstances. Sa réalisation exige une action plus systématique, laquelle est effectivement entreprise et soutenue pendant toute la période. Une telle action passe d’abord par l’exemple même qu’entendent offrir les notables. Ainsi est-ce en soumettant à Blois en 1801 leurs propres enfants à l’inoculation de la vaccine que le préfet Corbigny et le médecin Desparanches, bientôt imités par « toutes les personnes les plus recommandables », s’efforcent de répandre cette nouvelle pratique dans la population. En même temps, dans son arrêté du 30 germinal an XII, destiné à être « imprimé et affiché dans toutes les communes du département », le préfet prévoit que « toutes les autorités civiles, les administrateurs des hospices, des bureaux de bienfaisance et de charité, les directeurs des écoles secondaires, les chefs des manufactures et ateliers qui occupent les enfants, les ministres des cultes, les sœurs de charité, les officiers de santé sont chargés d’user de toute l’influence que leur donnent leurs fonctions pour propager la méthode de la vaccination, en en faisant connaître les avantages et en éclairant les incertitudes de ceux qui balanceraient encore à en faire profiter leurs enfants »73. Cet exemple illustre parfaitement la stratégie des notables — fondée sur l’exemple, renforcée par le patronage des autorités et relayée sur le terrain par le jeu de toutes les influences locales —, qu’on retrouvera souvent utilisée par la suite.
116Ainsi l’Annuaire de Loir-et-Cher de 1806 indique-t-il que « M. de Saumery à La Ville-aux-Clercs depuis huit ans effectue le croisement des mérinos avec les races environnantes ». En 1811, le même Saumery ayant obtenu un prix pour ses vergers de pommiers, il précise au préfet qui le félicite — et cette observation est essentielle pour notre propos — que « plutôt que de transplanter [les nouveaux pieds qu’il a obtenus], il va les vendre »74. Pour être l’un des plus réputés parmi les notables qui paient d’exemple pendant l’Empire, Saumery n’est pas le seul. En témoigne cet extrait de l’Annuaire de Loir-et-Cher de 1815, qui oppose les efforts novateurs de ces notables à la lourde inertie traditionnelle des masses rurales : « La culture des prés artificiels, si longtemps repoussée par l’esprit de routine, a pris dans le département, depuis quelques années, un accroissement sensible [...] Les cultivateurs éclairés apprécieront ces résultats, fruit des expériences faites et des conseils donnés par plusieurs propriétaires amis de l’agriculture [...], MM. le Marquis de Saumery, à La Ville-aux-Clercs [...], Pardessus à Baigneaux [...], le Comte Taillevis de Périgny [...], Ferrand, à Selommes, Bignier, à Périgny, etc. ».
117Pareille attitude ne disparaît pas avec l’Empire. Des manifestations s’en observent encore pendant les décennies suivantes. Evoquons, comme représentative de l’action de ces « propriétaires éclairés », celle que conduit pendant la Monarchie de Juillet le maire de Lunay, De Brunier, lequel affirme avoir, en seize années d’exploitation directe de son domaine de la Montellière, « donné à [sa] ferme une valeur de location, et même de vente, à peu près triple de celle qu’elle pouvait avoir en sortant des mains du fermier »75.
118Telle se présente donc la stratégie de l’exemple, qu’illustrera encore le comte de Gouvello, en fondant en 1863 dans sa ferme de Fontenailles, à Nourray, une colonie agricole destinée à former de jeunes orphelins au travail des champs76 : cette stratégie est celle du modèle descendant, destiné à faire tache d’huile. Ceux qui l’impulsent escomptent au fond que se mette en place le schéma de diffusion d’une innovation, tel que le présente Henri Mendras, en distinguant les innovateurs, les premiers adoptants, la majorité précoce, la majorité tardive, et enfin les traînards77. Mais la réalisation d’un tel schéma demande en tout état de cause du temps. Ce délai a déjà été souligné à propos des prairies artificielles. Il se retrouve dans le cas de la vaccine. En dépit des efforts déployés pendant l’Empire, on ne compte alors, dans l’ensemble du département, que 2 à 3 000 vaccinations par an pour 6 à 8 000 naissances ; ce n’est pas rien sans doute, mais on est loin encore de l’objectif initial. En fait, il faut attendre les années 1840 — soit plus d’une génération — pour que le nombre des vaccinations équilibre en gros celui des naissances, et que puisse commencer à être considéré comme rempli le programme fixé dans ce domaine au début du siècle.
119D’autre part, la réussite du modèle implique que les ruraux adoptent l’innovation qui leur est proposée. Or, s’il est facile aux notables de faire connaître, il l’est moins d’entraîner l’adhésion. Sans doute escomptent-ils que l’efficacité de leur modèle séduise un premier noyau d’innovateurs à partir duquel pourra s’enclencher le processus de transformation recherché. Mais on voit bien que pour l’assurer comme pour l’accélérer, la vertu du modèle, si précieuse soit-elle, ne suffit pas. D’autres méthodes, plus incitatives, doivent la compléter, pour que soit atteint l’objectif visé.
120C’est le sens qu’il faut donner à certaines institutions créées durant cette période et qui ont précisément pour fonction d’éclairer les campagnes vendômoises afin d’y susciter les transformations souhaitées à la fois par les notables et par l’administration. C’est le cas de la Société d’agriculture du Loir-et-Cher créée en 1805 après une tentative avortée en 1799-1801. Née à l’initiative du préfet Corbigny, elle demeure pendant l’Empire très proche de l’administration dont elle apparaît à bien des égards comme un instrument. Comme l’observe l’Annuaire de Loir-et-Cher de 1806, « le mérite reconnu des membres qui la composent lui assure une influence puissante pour l’adoption des meilleures méthodes en tout genre de culture et la propagation des idées utiles ». Son attention se porte surtout sur le développement des prairies artificielles, le perfectionnement des assolements (notamment par introduction de légumineuses inédites, telles que luzerne et sainfoin), la culture des betteraves, mais aussi sur des problèmes techniques plus spécifiques : elle distingue ainsi trois mémoires (sur le tirage de l’huile de noix, sur une machine à battre, sur l’élève du ver à soie), et elle promet une médaille d’or de 120 F au meilleur fabricant de sirop, selon le procédé Parmentier ; à suivre l’Annuaire de 1815, un de ses membres propose de semer « de la vesce dans les sentiers des vignes, pour suppléer à l’engrais de fumiers », cependant qu’un autre imagine « une bascule propre à la destruction des loups » ; enfin, la Société s’intéresse aussi à des questions touchant davantage à la société rurale qu’à l’économie agricole : en 1812 sont récompensés deux officiers de santé ayant vacciné 6 850 enfants depuis l’an IX. En fait, comme l’affirme l’Annuaire de 1815, aux yeux de l’administration et des notables, « les progrès de la science de l’économie rurale, quoique lents, le sont moins cependant dans les pays où les conseils du savoir et de l’expérience peuvent être réunis et analysés, et où les procédés ingénieux inventés, soit pour la culture soit pour l’exploitation et la conservation des produits de la terre, peuvent être recueillis et mis en pratique. L’existence d’une société d’agriculture [...] procure ces avantages ».
121A n’en pas douter, cela explique que l’institution poursuive son existence pendant la Restauration. Cependant, elle est rapidement réorganisée par le nouveau régime. Un décret préfectoral du 5 octobre 1819 crée en effet une Société d’agriculture propre à l’arrondissement de Vendôme (comme en est créée une pour l’arrondissement de Romorantin). En rapprochant l’institution du terrain qu’elle a en charge, cette mesure « ne peut manquer, selon l’Annuaire de 1820, d’avoir d’utiles résultats dans un temps où les bienfaits de la paix et la sécurité générale, due au rétablissement du trône légitime et à l’affermissement de nos institutions nouvelles, rappellent les propriétaires vers le goût de l’agriculture ». Selon le même Annuaire, cette Société compte à son origine 17 membres : s’y retrouvent des gens distingués déjà pour leur action en faveur de l’agriculture, comme Cuiller-Perron à Authon, Ferrand à Selommes, Pesson-Maisonneuve à Ville-dieu, Saumery à La Ville-aux-Clercs ; ils y voisinent avec quelques-uns des noms les plus illustres de l’aristocratie régionale, à laquelle se rattache d’ailleurs Saumery (ainsi Courtarvel à Souday, Montmarin à Sargé, Passac à Vendôme, Rostaing à Savigny, Trémault de la Blotinière à Vendôme, Verthamon à Ambloy), et avec des personnalités acquises au régime, comme Josse-Beauvoir, Josse-Boisbercy et Dessaignes, toutes domiciliées à Vendôme. A l’évidence donc, une société de notables, qui rassemble des propriétaires, et non des paysans, pour conduire une action très semblable à celle de sa devancière départementale. Du reste, la société vendômoise n’est pas sans liens avec son homologue blésoise : Saumery est membre non résident de cette dernière, et un marquis de Courtarvel, de Baillou, parent du vicomte de Courtarvel déjà mentionné à Souday, en est membre associé correspondant.
122La Monarchie de Juillet contribue aussi à cette entreprise d’encadrement institutionnel de l’agriculture vendômoise. En 1835, elle crée le Comice agricole de l’arrondissement, dont le règlement définit l’objectif dans un esprit conforme à celui qui ne cesse d’animer les notables de la région en matière d’agriculture pendant ce premier xixe siècle : « Le but du comice agricole est de contribuer à l’amélioration de l’agriculture par la pratique et par l’exemple. Les membres qui le composent prennent l’engagement de porter à la connaissance des habitants des campagnes qui se trouvent dans leur voisinage les méthodes dont l’usage aura été reconnu utile par le comice, de leur expliquer le sujet des primes, de les exciter au concours et de les aiguillonner par des essais qu’ils feront eux-mêmes »78. Toutefois, ce projet est servi par une volonté plus grande encore que par le passé de rapprocher l’institution du terroir. Le Comice en effet est divisé en trois sections, selon un partage géographique classique entre Beauce, vallée et Perche — ce qui n’empêche pas chaque section d’être invitée à faire profiter de son expérience les gens qui dans les autres sections pratiquent les activités constituant sa spécialité habituelle. La composition sociale du Comice est sans surprise : une fois encore, il s’agit d’une assemblée de notables, et on ne compte pas moins de 13 noms à particule parmi les 23 membres fondateurs (dont quelques-uns illustres dans la région, comme de Trémault ou Rochambeau, même si ne figurent pas les personnalités les plus engagées dans le légitimisme, comme Courtarvel). Quant aux actions concrètes que se propose de mener le Comice, elles peuvent se saisir à travers la manière dont il prévoit en mai 1835 de répartir les 800 F de prime qu’il entend distribuer : 400 F sont affectés à récompenser les améliorations apportées aux assolements (à raison de 200 F), aux prés (pour 100 F) et aux vignes (pour 100 F aussi) ; 250 F le sont pour primer des éleveurs de chevaux (à raison de 100 F), de bêtes à cornes, d’ovins et de porcs (à raison de 50 F pour chacun de ces types d’élevage) ; et enfin 150 F seront offerts à part égale au garçon laboureur, au berger et à la servante qui par leur travail, leur bonne conduite et leur probité auront mérité l’estime de leur maître et seront restés avec le même maître pendant le plus longtemps. Ainsi la dimension économique, la dimension technique et la dimension sociale de l’agriculture demeurent-elles comme dans les institutions précédentes étroitement associées dans les préoccupations des membres du Comice. Un état, établi en 1845, des recettes et des dépenses depuis la création du Comice permet de constater, à travers la liste des « objets des encouragements », qu’il n’en va pas autrement au cours des années suivantes79.
123Cependant, le Comice ne limite pas son action à l’octroi de primes. Ses membres recourent aussi à l’imprimé pour diffuser les innovations qu’ils souhaitent répandre. Ainsi trouve-t-on dans l’Almanach agricole de l’arrondissement de Vendôme publié en 185180 la signature de quelques-uns des plus éminents d’entre eux, qui s’y expriment ès qualités, comme Mareschal-Duplessis, « Secrétaire de la section de Beauce », ou Blondel, « Président du Comice ». En fait, ce recours à l’imprimé comme instrument de vulgarisation de l’innovation dans la région n’est pas nouveau : il s’observe aussi, à la fin des années 1830, quand il s’agit d’asseoir dans les campagnes l’usage du système métrique. Mais il prend ici une portée nouvelle, dans la mesure où la publication de l’Almanach survient à un moment où le taux d’alphabétisation a nettement franchi la barre des 50 %, chez les conscrits comme chez les mariés. Sans doute pour les générations plus âgées, mais toujours en activité, le taux d’alphabétisation est-il plus faible, ce qui atténue d’autant l’efficacité de l’Almanach : mais à l’évidence, les notables comptent d’abord sur les jeunes générations, et sur celles à venir, pour diffuser leur message.
124Concrètement, celui-ci passe d’abord par une description critique de l’agriculture de l’arrondissement au milieu du siècle. Les auteurs de l’Almanach procèdent à un inventaire des conditions (pédologiques, sociales, etc.) et des productions de cette agriculture — selon un programme hérité des Lumières : mieux connaître pour mieux agir — et ils dénoncent tous les vices qui s’observent dans l’économie et dans la vie des campagnes vendômoises ; ainsi sont mis en cause la médiocrité de l’habitat et l’excessif développement de la grande propriété dans le Perche, et dans le vignoble au contraire le trop grand morcellement de cette propriété, en même temps que l’orientation de la production vers la seule quantité, ou les abus de l’esprit chicanier. Significativement, seule la zone beauceronne n’encourt pas ce type de reproche : comme le note Blondel, « on [y] trouve [...] la santé, la force du corps et l’aisance. Tout fermier de la Beauce est fier de sa position et regarde comme son inférieur le vigneron et même le fermier percheron. Il a tort assurément d’en agir ainsi, mais c’est un fait d’aristocratie que nous tenons à constater »81.
125Si Blondel tempère sa condamnation du sentiment de supériorité des fermiers beaucerons, c’est bien parce que les méthodes de ces derniers s’approchent au plus près de l’idéal qui est celui des gens du Comice : ainsi, dans le cadre de l’assolement triennal qui continue à avoir cours dans leur région, font-ils une place croissante aux plantes fourragères. C’est juste après ce constat du reste — et non pas après avoir rappelé, quelques lignes plus haut, que la Beauce présente « une terre végétale profonde » — qu’Arsène Gendron se plaît à souligner l’aisance de ces fermiers : « Le fermier de la Beauce boit du vin ; sa nourriture se compose de pain de bonne qualité ; il mange assez souvent de la viande ; sa constitution physique est bonne, bien développée, ses mouvements sont agiles. Les constructions [...] sont mieux distribuées qu’autrefois : des meubles modernes y ont remplacé les anciens »82.
126C’est l’autre — et principal — volet du discours de l’Almanach, en effet, que de proposer un programme de perfectionnement de l’agriculture régionale. Ce programme vise d’abord à permettre au paysan de mieux connaître la nature avec laquelle il est appelé à travailler. Ainsi l’incite-t-on à attentivement observer les sols qu’il cultive, afin d’en mieux cerner les caractères. De même une longue notice rédigée par Mareschal-Duplessis s’attache-t-elle aux « pronostics atmosphériques », manifestant une préoccupation sensible tout au long du siècle parmi les notables de la région83. L’auteur de ce texte dégage d’abord quelques règles générales à partir de l’observation du rythme des changements de temps, des nuages, des vents, des époques (autrement dit des saisons, y compris les phases de la lune), du baromètre, des minéraux, des végétaux, des animaux... Cependant, et le fait vaut d’être noté, car il n’est pas si fréquent, si Mareschal-Duplessis entend « tenir compte des observations scientifiques dont la vérité est généralement et journellement reconnue par les hommes de notre temps », il estime aussi qu’« il est sage et prudent d’écouter les avertissements que nous ont laissés nos pères dans leurs vieux dictons ». C’est pourquoi il les reprend à la fin de sa notice, en complétant ceux qu’il a recueillis dans la tradition par d’autres qu’il a lui-même forgés, en vers libres, à partir des observations précédemment exposées. Ainsi s’éclaire mieux ce recours à la tradition, sollicitée seulement quand ses enseignements sont corroborés par la science moderne, et surtout en raison de son efficacité formelle : « Une fois admis dans la mémoire [les dictons] n’en sortent plus »84.
127Ces constats présentés, l’Almanach donne des conseils pour en tirer le meilleur parti. Il présente d’abord un calendrier des travaux agricoles de chaque mois, dont la lecture confirme l’intérêt qu’il porte aux cultures fourragères, au drainage et à l’irrigation, au plâtrage des prairies artificielles, au hersage et au roulage... Des notices particulières complètent les données de ce calendrier (dont sont complètement absentes, soit dit au passage, celles qui ont trait à la culture de la vigne, ce qui atteste qu’aux yeux du Comice aussi cette activité revêt un caractère particulier) : ainsi explique-t-on aux cultivateurs comment sélectionner une vache laitière, ou comment user au mieux d’un sol, en modifiant sa composition ou en adaptant son exploitation85.
128Avec ces conseils, l’Almanach achève de donner corps à la vaste entreprise de pédagogie sociale que les notables du Vendômois développent pendant tout le premier XIXe siècle. Après avoir décrit les modalités de cette dernière, il convient de la replacer dans une perspective plus vaste. C’est dans cet esprit qu’on considérera ici son bilan, puis qu’on examinera comment il est possible de retrouver à travers elle certains éléments de la culture des notables.
129Pour ce qui est du bilan, il est clair que l’entreprise des notables repose avant tout sur un projet modernisateur lui-même fondé sur la raison. Ce projet pourra être considéré comme réalisé le jour où, selon les termes mêmes du président du Comice, « nul [...] ne voudra cultiver son champ sans avoir médité et résolu, par le raisonnement, quel est le meilleur genre de culture qui lui convient »86. Aussi, et même si l’ambition des notables ne porte pas exclusivement sur ce terrain, c’est d’abord à l’aune de la modernisation de l’agriculture qu’il faut juger leur réussite. Or sur ce point, et à quelques exceptions près (comme l’essor des prairies artificielles en Beauce), ce bilan est au milieu du siècle très modeste. Cela tient à trois grandes raisons. En premier lieu, l’époque est avant tout, on le sait, celle du progrès extensif, lequel peut s’obtenir dans le cadre des structures les plus traditionnelles, alors que la stratégie des notables privilégie l’intensification, qui implique pour sa part modification structurelle : on comprend bien que pour d’évidentes raisons psychologiques les ruraux donnent la préférence au progrès extensif, beaucoup moins dérangeant pour eux, et que l’intensification n’ait quelque chance de s’imposer qu’une fois épuisées les possibilités de la simple croissance quantitative — ce qui justement ne commence qu’à peine à s’observer au milieu du siècle. En même temps, il faut bien mesurer combien l’ambition des notables est servie par de faibles moyens : culturellement, dans une société longtemps majoritairement analphabète ; mais aussi, et même surtout, financièrement. Ainsi, entre 1835 et 1844, le Comice ne dispose-t-il que d’un budget de 1 250 F, alors qu’il est en pleine activité. A l’échelle de l’arrondissement entier, c’est évidemment très peu, et la modicité de cette somme laisse facilement prévoir celle des résultats. C’est pourquoi du reste — et l’on touche là à la troisième des raisons annoncées — les notables sont conduits à miser sur des actions symboliques, dont ils attendent imitation et démultiplication, conformément à un processus déjà évoqué. En soi, cette stratégie n’est pas nécessairement inefficace. Mais pour réussir, elle exige du temps. Aussi ne fallait-il guère en attendre de résultats avant 1850 ; ce n’est que durant la seconde partie du siècle que l’effet pourra éventuellement en être saisi.
130En revanche, il est possible d’appréhender dès le premier xixe siècle, et notamment à partir de l’Almanach de 1851, ce que l’entreprise modernisatrice des notables révèle de leur vision de l’espace et du temps. Concernant l’espace, l’analyse retrouve d’abord des thèmes classiques. Ainsi l’Almanach reprend-il à la suite du Comice l’habituel partage de la région entre plaine, bocage et vignoble. De même retrouve-t-il la traditionnelle distinction entre est et ouest (tant au sein du Vendômois qu’au-delà de ses limites), une distinction qui se construit à partir d’oppositions touchant l’économie (richesse/médiocrité), les mouvements des hommes (appel de main-d’œuvre/émigration) voire l’état d’esprit : non sans maladresse, de la part d’un responsable du Comice s’adressant à des ruraux, Blondel l’exprime brutalement en écrivant qu’ « il y a du Bas-Breton chez le fermier des environs de Mondoubleau »87.
131L’Almanach apparaît plus original quant aux voies de la diffusion du progrès à travers le Vendômois. Deux passages sont à cet égard éclairants. Le premier est un texte en forme de parabole présentant les différents types de sol et la manière d’en tirer parti à travers les conseils de Pierre, « beau vieillard de 80 ans, d’une physionomie grave, propre et décent dans son extérieur, vénérable par ses cheveux blancs », à ses petits-fils. Or ce Pierre, agent de la modernisation, précise : « Quand, par des circonstances que vous connaissez tous [...], je vins habiter cette commune à 100 lieues de laquelle je suis né, j’avais 25 ans »88. Dans ce cas, créé de toutes pièces à des fins pédagogiques, le progrès vient donc d’ailleurs. Nul doute qu’il ne faille voir là l’application au terrain de la modernisation agricole de l’importance que prend, comme on le verra, le regard extérieur dans l’approche qu’ont les notables de l’espace.
132L’autre élément révélateur de l’Almanach est livré par Arsène Gendron89. Celui-ci signe la note qu’il donne sur le Vendômois et les habitants de ses campagnes en se qualifiant de « Solitaire de l’Arrêté », du nom d’une ferme qu’il possède à Espéreuse ; et il qualifie Chautard, secrétaire du Comice et présenté comme destinataire de ce texte, d’« ermite de Malignas », ferme située à Crucheray90. Il faudra revenir sur la signification de ces références à l’érémétisme. Pour l’instant, on se bornera à relever la symétrie quasi parfaite entre la ferme installée aux portes du Perche vendômois et celle qui occupe la même position du côté beauceron : par rapport à Vendôme, centre de la région et siège du Comice, l’Arrêté et Malignas prennent figures de véritables avant-postes de la modernisation. Ainsi dans le cadre de l’espace mieux appréhendé qui est, on le sait, celui des notables du XIXe siècle, le progrès est-il censé emprunter à la fois les voies de l’apport extérieur, comme le montre la biographie imaginaire de Pierre, et celle du cheminement du centre vers la périphérie (c’est-à-dire aussi de la ville vers les campagnes).
133D’un point de vue temporel, l’Almanach présente en huit pages une histoire générale de l’agriculture, rédigée par Blondel91. A la lire, trois temps peuvent y être distingués : naissance, stagnation, et enfin essor.
134Sur le premier point, Blondel affirme que l’agriculture est « le plus ancien des arts ». Cependant, il est moins clair quant à la date de son apparition : tantôt en effet il la fait remonter à l’origine du monde (en s’appuyant sur la Genèse : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ; tu cultiveras la terre qui sans cela ne te produira que des épines ») ; tantôt il situe sa naissance à l’origine de la civilisation (« Le pain est la base de la nourriture de l’homme civilisé. Le sauvage seul vit des chairs que sa chasse lui procure ») ; tantôt encore il la fait remonter, du moins pour la France, à la conquête romaine (Les Gaulois « furent initiés à cette science [l’agriculture] par les Romains »).
135C’est sans ambiguïté aucune, en revanche, que Blondel souligne l’état de stagnation qui pendant des siècles caractérise cette agriculture : « Le régime féodal, éminemment guerrier, était peu favorable aux agriculteurs. » L’essor d’une monarchie centralisée lui paraît certes de nature à améliorer la situation, mais aux xviie et xviiie siècles, « les guerres civiles et les guerres étrangères permirent peu au gouvernement de s’occuper spécialement de l’agriculture », alors que « l’Eglise, le Parlement et la carrière des armes absorbaient toutes les ambitions ». Jusqu’au dernier siècle de l’Ancien Régime, le tableau de l’agriculture demeure donc bien sombre. Aux yeux de Blondel, trois éléments seulement viennent alors quelque peu le nuancer : l’embellie que constitue le règne d’Henri IV, auquel sont consacrées deux des huit pages de la notice ; le fait que si maltraitée soit-elle, l’agriculture demeure une activité assez honorable pour ne pas entraîner dérogeance et pour inspirer, au xviiie siècle surtout, des poètes (de Delisle à Florian) ; et enfin les « immenses progrès agricoles » qui en ce même xviiie siècle se développent en Angleterre.
136Avec la Révolution s’ouvre un nouvel âge pour l’agriculture. Blondel a certes des mots très durs pour « ces jours de sang et de guerre civile ». Mais en même temps, son « impartialité » l’« oblige à reconnaître [...] qu’au milieu des ruines qui s’amoncellent de toutes parts, une transformation sociale s’accomplit [...] : il est une vérité que l’agronome ne peut méconnaître, c’est que ces grands actes de spoliation, si déplorables soient-ils, si contraires qu’ils soient à la morale et à la justice, et auxquels on pouvait, quant aux biens du clergé, arriver par des voies de conciliation et de légalité parfaites, ont tourné à l’avantage de l’agriculture ». Ainsi, de la Révolution qui est à bien des égards un mal est sorti pour l’agriculture un bien. Cette contradiction est bien représentative de l’ambiguïté déjà analysée de l’appréciation que portent les notables de la région sur l’épisode révolutionnaire — ambiguïté liée au statut même de l’événement, qui peut être interprété en termes de rupture aussi bien que de fondation. Mais contradiction et ambiguïté ne s’arrêtent pas là. Car ce qui une fois a été un bien — à savoir les transferts de propriété provoqués par la Révolution — ne saurait l’être une autre fois : « que pour l’avenir, la propriété, chez nous, devienne chose sacrée ; que le sol ne tremble pas sous le pied du propriétaire ». Ainsi la Révolution est-elle un événement éminemment exceptionnel, et appelé à le demeurer. Elle est aussi un événement fondateur, à l’origine de conditions nouvelles, plus favorables pour l’agriculture.
137Dès lors, les progrès s’enchaînent — il est vrai que « les gouvernements divers qui se sont succédé en France depuis cinquante ans ont encouragé le cultivateur » : les prairies artificielles, la culture de la pomme de terre, celle de la betterave se développent, les instruments aratoires et les méthodes de culture se perfectionnent, les sociétés et les comices d’agriculture, les fermes modèles et les ouvrages techniques se multiplient. Devant cette accumulation d’améliorations, Blondel en vient à dresser un bilan qui semble très exagéré en ce qui concerne le Vendômois, et qui d’ailleurs contredit en partie sa démonstration antérieure, puisqu’il fait démarrer les progrès dès le xviiie siècle : « Quant aux produits de l’agriculture [...] on peut affirmer qu’ils sont aujourd’hui triples de ce qu’ils étaient en 1715, à la fin du règne de Louis xiv, et doubles de ce qu’ils étaient il y a soixante ans, à la fin du règne de Louis XVI ».
138Comme il se doit dans un ouvrage de vulgarisation, Blondel n’a autant exploré le passé que pour mieux construire l’avenir : « Vous avez beaucoup fait pour améliorer jusqu’à ce jour, mais ne vous reposez pas, car il reste encore beaucoup à faire », lance-t-il aux cultivateurs. A la clé de l’effort sollicité, une réussite dont il ne doute pas, comme le révèle ce passage exprimant remarquablement la philosophie des notables en la matière : « La routine, cet ennemi du progrès, a été et est encore tous les jours attaquée avec succès [...], et le temps n’est pas éloigné où elle aura complètement disparu ».
139Blondel conclut donc son texte sur le schéma d’un progrès cumulatif enraciné dans le passé, et qu’il ne reste plus qu’à achever. Mais un tel schéma est en contradiction avec sa vision de la Révolution, présentée comme une rupture par rapport à la longue stagnation qui a précédé. Il ne se retrouve pas non plus dans d’autres passages de l’Almanach. Revenons un instant à Pierre. Celui-ci peut bien se dire, à son arrivée dans sa commune d’adoption, et alors qu’il vient d’acheter au père Mathieu le petit domaine où il va appliquer ses méthodes nouvelles : « Etranger à mes nouveaux concitoyens, il faut que j’étudie leurs mœurs, leurs usages, leur esprit, pour que je retire de mon séjour au milieu d’eux tous les avantages possibles » ; en fait, il inspecte ses nouveaux champs, pioche à l’épaule, les sonde tous, et peut affirmer : « Vingt-quatre heures après mon acquisition, je savais mieux que Mathieu à quels terrains j’avais à faire, et quelles ressources chacun d’eux me présentait ». Malgré l’affirmation initiale, Pierre n’est pas lié par la tradition, à laquelle il préfère l’observation : homme de l’extérieur, il est aussi un homme nouveau, un homme du commencement, qui n’est pas guidé par la répétition des gestes du passé, mais par une démarche rationnelle indépendante des usages hérités.
140Certaines de ces conclusions valent aussi pour le solitaire de l’Arrêté et pour l’ermite de Malignas. Par ces dénominations s’établit une référence explicite aux premiers temps chrétiens (qui se retrouve dans la forme de parabole donnée au récit de l’expérience de Pierre), et plus précisément à l’évangélisation de la région. Ce parallèle est instructif d’abord sur une culture historique, celle-là même qui s’exprime dans l’Histoire de Vendôme et du Vendômois de l’abbé Simon92. Mais il est révélateur surtout de la manière dont les notables pensent leur entreprise comme un commencement, point de départ d’une nouvelle étape de la civilisation, lequel fait inévitablement songer, cette fois encore, à la manière dont l’abbé Simon présente les débuts de l’histoire régionale (à la fois d’ailleurs au temps de la christianisation, et au xie siècle). Par son assimilation, au moins analogique, à un tel précédent, l’entreprise des notables apparaît à la fois considérable, et assurée, à terme, de réussir. Cette dernière certitude peut apparaître paradoxale, rapportée aux modestes moyens dont disposent — à suivre l’image érémitique qui en souligne l’isolement — ceux qui en sont les agents. En fait, une telle présentation peut se lire comme la forte affirmation individuelle d’hommes se sentant investis d’une mission historique. Davantage encore sans doute, le contraste entre l’apparente faiblesse des nouveaux missionnaires et la réussite attendue — et implicitement annoncée — de leur action exprime une conviction, celle de la force de leur message : comme la foi des premiers évangélisateurs, la raison modernisatrice des notables balaiera tous les obstacles...
141Par rapport à l’agriculture, et plus largement à la vie sociale de la région, la conception du temps des notables vendômois du premier xixe siècle peut donc se définir par trois caractères : d’une part ce temps est orienté, et ce n’est donc plus le temps répétitif et cyclique de la routine ; d’autre part il est porteur d’améliorations qui fondent le progrès ; et enfin il a un commencement, qui correspond à l’impulsion donnée au progrès par ces notables. Pour ces derniers, une telle conception est donc à la fois optimiste et valorisante.
142Beaucoup de ces traits se retrouvent dans le texte de Blondel. C’est évident pour les deux premiers points. Mais ce l’est moins pour le troisième. Cette différence peut s’expliquer, et pas seulement en invoquant la confusion qui souvent caractérise l’argumentation de Blondel. Le président du Comice s’adresse en effet à des paysans — les interpellations de la fin de son texte le montrent bien — sans l’adhésion desquels aucun progrès n’est possible. Mais comment obtenir cette adhésion si l’on commence par rejeter brutalement tout ce à quoi les paysans sont attachés, leur passé individuel et collectif, en bref leurs traditions ? Après tout, Pierre lui-même, si éclairé soit-il, est un paysan. D’autre part, les notables qui connaissent bien le monde rural, et qui le pensent en termes de routine, estiment que n’a quelque chance d’y être accepté que ce qui a déjà été rencontré. Autrement dit, pour réussir, le progrès ne doit pas seulement être un projet, par nature abstrait, parce que théorique. Il doit être également un objet déjà concrètement constitué : tel est le sens des derniers paragraphes du texte de Blondel, et tel est aussi celui de l’histoire de Pierre, homme nouveau et porteur de modernisation certes, mais qui compte tenu de son âge peut parler de cette dernière au passé, au nom de l’expérience, et du même coup la replacer dans une perspective familière aux ruraux auxquels on le fait s’adresser. Ces considérations sur la stratégie des notables relèvent sans aucun doute de l’entreprise modernisatrice conduite par ces derniers, et c’est dans cet esprit d’abord qu’elles ont été ici présentées. Mais on ne peut pas ne pas observer qu’au-delà de ces impératifs d’efficacité la confrontation des groupes sociaux et de leurs représentations débouche une fois de plus sur les reclassements et les infléchissements par lesquels ne cesse de se recomposer en permanence, même si ce n’est que par retouches mineures, la société provinciale.
Notes de bas de page
1 Ces cahiers ont été publiés et commentés par Arnould (J.), 1789, les assemblées préliminaires et la rédaction des cahiers de doléances dans le bailliage secondaire de Mondoubleau, Vendôme, 1984.
2 Ces cahiers sont conservés à la bibliothèque de la Société archéologique du Vendômois. Ils ont été analysés par Loisel (J.-J.), L’Almanach vendômois du bicentenaire, année 1789, Vendôme, 1989, p. 42-91.
3 Dupuy (J.), « La municipalité de Vendôme de 1790 à 1940 », 1re partie (1790-1848), SAV, 1966, p. 71-80.
4 Tel par exemple que celui établi dans une région voisine par Caisso (R.), La vente des biens nationaux dans le district de Tours, 1790-1822, Paris, 1967.
5 Ce faisant, on élimine les ventes de biens de seconde origine, qui ne sont pas négligeables (à la fin de l’an III, elles représentent déjà un sixième de la valeur des biens d’Eglise alors vendus). Mais elles sont plus tardives, et une étude spécifique serait nécessaire pour en apprécier l’exacte portée. Précisons par ailleurs que toutes les valeurs mentionnées ont été converties en numéraire, d’après Caron (P. ), Tableaux de dépréciation du papier-monnaie, Paris, 1909.
6 L’introduction des petits lots gonfle un peu la part des gens modestes, et atténue légèrement celle des notables. Mais ces variations ne portent guère sur plus d’un point de pourcentage.
7 Bouis (R.), « Le patriote Pierre-Nicolas Hésine, ses luttes ardentes en Loir-et-Cher de la veille de la Révolution à la Restauration (1785-1817) », SAV, 1969, p. 86-101, 1970, p. 33-70, 1971, p. 45-65 ; du même, « L’évolution politique en Loir-et-Cher de l’an II à l’an IV. Son influence dans le choix de Vendôme pour siège de la Haute Cour », SAV, 1981, p. 56-63 ; Lemaire (D.), « Babeuf », SAV, 1991, p. 32-39.
8 Bouis (R.), « Les étapes de la réaction modérée en Loir-et-Cher (Frimaire an II-Thermidor an II) », AHRF, avril-juin 1951, p. 147.
9 Dupuy (J.), op. cit. En germinal an VI, la participation atteint 44 %.
10 Il s’agit du Châtellier à Savigny, de Courtemblay à Epuisay, de la Roche-Turpin à Artins et de la Tabaise à Baillou (Annuaire de Loir-et-Cher, 1811, p. 11).
11 AD 41, rôles des contributions directes, série Ρ non cotée.
12 Tableau établi à partir de la liste publiée par l’Annuaire de Loir-et-Cher de 1844, p. 357-376. Précisons que le collège électoral comprend alors 20 électeurs qui ne résident pas dans l’arrondissement. Ceux-ci n’ont donc pas été pris en compte dans les calculs de pourcentage (les cantons sont respectivement ceux de Droué, Mondoubleau, Montoire, Morée, Savigny, Saint-Amand, Selommes et Vendôme).
13 Comme on le constate à la lecture de certains de leurs rapports — tels ceux des inspecteurs des Ponts et Chaussées, ou de l’inspecteur des écoles Prat.
14 Quand Pétigny publie une brochure sur la canalisation du Loir, il n’est qu’un simple particulier. Cependant, il ne manque pas de se présenter comme « ancien conseiller de préfecture du département de Loir-et-Cher » (Pétigny (J. de), De la canalisation du Loir, Blois, 1840).
15 Données chiffrées tirées de AN F8 143, et des Annuaires de Loir-et-Cher, 1826 (p. 112-114) et 1846 (p. 209-214).
16 Données tirées des Annuaires de Loir-et-Cher, 1826 (p. 45-46) et 1846 (p. 97-101).
17 Chesneau (L.), « Les Dissidents vendômois de la Petite Eglise », SAV, 1919 à 1924 ; Boulard (F.), Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple francais (xixe-xxe siècles), Paris, notamment p. 545.
18 Boulard (F.), op. cit. ; Le Meur (M.-V.), Le culte des saints dans le diocèse de Blois aux environs de 1840, m. m., Tours, 1972, notamment la réponse du curé de Saint-Gourgon à l’enquête.
19 Muller (E.), Les fêtes en Loir-et-Cher, 1814-1852, m. m., Tours, 1974.
20 D’après les registres du collège de Vendôme conservés dans ses archives, en 1840-1846, 24 % des élèves sont originaires de l’arrondissement, et 21 % des départements voisins : 55 % sont donc d’origine lointaine. Sur la continuité du modèle d’éducation qui a cours dans cet établissement de la fin du xviiie siècle au premier xixe, Frijhoff (W.) et Julia (D.), « Les grands pensionnats de l’Ancien Régime à la Restauration », AHRF, janvier-mars 1981, p. 153-198.
21 Après l’intermède assuré pendant les Cent-Jours par l’officier d’Empire Renou-Debeaune, dit Quartier-Maître.
22 Observation tirée de la confrontation des listes de maires publiées par les Annuaires de Loir-et-Cher de 1830 et 1831.
23 Le même souci de continuité peut s’observer sur le terrain. Selon Rochambeau (A. de), SAV, 1885, Trémault de Bellatour reçoit en 1830 sa destitution de maire d’Espéreuse, avec invitation de conserver ses fonctions jusqu’à ce que le préfet lui ait trouvé un remplaçant : en fait, il demeura maire pendant trente-cinq ans encore.
24 . Citation tirée de Pajou (Α.), L’opinion publique et les élections en Loir-et-Cher, 1830-1834, m. m., Tours, 1970.
25 Sont en effet élus 7 membres de professions juridiques, 6 commerçants, 4 propriétaires, 2 médecins, 1 ingénieur des Ponts et Chaussées, 1 vétérinaire, 1 géomètre et 1 professeur.
26 7 053 habitants en 1790, 6 226 en l’an II, 7 325 en l’an IV, 7 555 en 1801, 7 123 en 1805, 7 248 en 1806. Il est vrai que les dénombrements de cette période sont entachés de beaucoup d’approximations. Chiffres publiés par Poitou (C), op. cit., n. 3, p. 37.
27 L’analyse du cas des campagnes a été conduite à partir des données des communes de Choue, Lunay, Saint-Amand, Lancé, Morée et Villiers.
28 Evoquons à titre d’exemples la proclamation des droits de l’homme et le retour du roi à Paris, double consécration de la Révolution accomplie, en 1789, la chute de la royauté en 1792, l’instauration du gouvernement révolutionnaire en 1793, la fin de la dictature jacobine en 1794, la réaction républicaine fructidorienne en 1797, etc.
29 Sauf en l’an VII et en Pan VIII, puisque les mariages ont alors obligatoirement lieu le décadi.
30 Exemples tirés de AD 41, L 763.
31 En effet, le décadi n’est à bien des égards qu’un dimanche transposé ; et c’est au nom de la même logique qui fait célébrer Noël au solstice d’hiver et la Saint-Jean au solstice d’été que le calendrier républicain situe la fête de la Jeunesse au début du printemps, celle des Epoux au moment où s’affirme cette saison et celle de la Vieillesse aux derniers feux de l’été.
32 Protestations de Saint-Etienne-des-Guérets et de Saint-Cyr-du-Gault qui demandent à être rattachés au district de Château-Renault ; de Saint-Martin-de-Sargé, qui demande à l’être à la Sarthe. Sur la création du département, Asfaux (D.), La formation du département de Loire-et-Cher, DES, Poitiers, 1955.
33 Texte cité par Bonhoure (G.), SAV, 1909, p. 249. Notons que la revendication de Vendôme sera en fin de compte satisfaite, l’école centrale du Loir-et-Cher étant définitivement installée dans la ville le 17 thermidor an IV (4 août 1796). Sur ce point, Frijhoff (W.) et Julia (D.), op. cit., p. 159-160.
34 C’est ainsi par exemple que Beaulieu est rattachée à Azé ; et que Chêne-Carré, Chicheray et Fontaine le sont à Pezou. Sur ce point, Poitou (C), op. cit., n. 3, p. 37.
35 Viaud (D.), « Recherches sur la société vendômoise... », SAV, 1981, p. 45-46.
36 Métais (abbé C), Vendôme pendant la Révolution, Vendôme, 1891-1892, t. I, p. 125-127.
37 Le tableau en a été publié par Métais (C), op. cit., t. II, p. 11-13.
38 Le tableau des changements de noms de communes a été publié par Gallerand (J.), Les cultes sous la Terreuren Loir-et-Cher (1792-1795), Blois, 1928, p. 769-770.
39 Pour replacer l’émigration vendômoise dans un contexte plus vaste, Gréer (D.), The Incidence of the Emigration during the French Revolution, Harvard, 1951. Pour un exemple d’émigrant, Arnould (J.), « Panache blanc et cocarde tricolore, 1750-1830. Chronique de la Société vendômoise au temps de son historien Monsieur de Passac », SA V, 1989, p. 21-28.
40 Sur l’émigration des prêtres, Gallerand (J.), op. cit., p. 58-76.
41 Loisel (J.-J.), Le Crapaud de nuit, Chambray-lès-Tours, 1982.
42 Sur le mouvement des taxateurs, et sur la bande d’Orgères, Vovelle (M.), Ville et campagne au xviiie siècle (Chartres et la Beauce), Paris, 1980, p. 230-276.
43 Sur l’affaire de Mondoubleau, Gallerand (J.), « Deux épisodes de la Terreur en Loir-et-Cher », Mémoires de la Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher, 1928, p. 197-225.
44 Enquête de l’an X, AD 41, M Agriculture, non cotée.
45 Métais (abbé C), op. cit., t. I, p. 29-30.
46 Vovelle (M.), La mentalité révolutionnaire. Société et mentalités sous la Révolution française, Paris, 1985, p. 197.
47 Sur le mécanisme du mouvement des taxateurs, Legras (M.), Troubles et émotions en Vendômois sous la Révolution, m. m., Tours, 1979.
48 Legras (M.), op. cit., p. 63. Dans la perspective de l’analyse du rapport à l’espace, soulignons la relation — qui n’est paradoxale qu’en apparence — que l’auteur de ce texte établit entre le connu et l’extérieur d’une part, l’inconnu et le local d’autre part.
49 Une Haute Cour a fonctionné à Orléans en 1791-1792. Des procès politiques auront lieu en 1832 à Blois (pour juger des complices de la duchesse de Berry) et en 1870 à Tours (pour juger le cousin de Napoléon III, meurtrier de Victor Noir) et à nouveau à Blois (pour juger un complot contre la sûreté de l’Etat et la vie de l’empereur, complot dans lequel sont impliqués Flourens et Ferré).
50 L’initiative de l’ouverture des écoles, retirée aux districts, est abandonnée aux cantons, le programme est ramené à la trilogie lire-écrire-compter, assortie d’éléments de morale républicaine, l’enseignement redevient payant. Sur l’école élémentaire de la Révolution, Vassort (J.), « L’enseignement primaire en Vendômois à l’époque de la Révolution », SAV, 1977, p. 49-88, et, sous le même titre, RHMC, octobre-décembre 1978, p. 625-655.
51 Ces taux démontrent que le district de Vendôme est en meilleure position que celui de Mondoubleau.
52 Sur un échantillon représentant un tiers de la population du Vendômois (et comprenant les deux principales villes), le taux d’alphabétisation, qui était pendant le Consulat de 44,8 % pour les hommes et 32,3 % pour les femmes, passe à la fin de l’Empire (quand convolent les gens qui ont fréquenté l’école de la loi Daunou) à respectivement 43,5 % et 34,6 %.
53 Kennedy (E.) et Netter (M.-L.), « Les écoles primaires sous le Directoire », AHRF, janvier-mars 1981, p. 3-38.
54 Enquête de 1833, AN, F17* 115 ; rapports de Prat, annuels, AD 41, série T, non cotée.
55 Dans le vignoble, la fréquentation scolaire estivale est supérieure encore à celle du Perche ; mais la pratique du double métier y est plus habituelle, et à peu près aussi fréquente qu’en Beauce.
56 Rétablie ici d’après AD 41, enquête de l’an X ; AD 41, série P, premier cadastre, « Etat des terres par nature de culture » porté en tête de la matrice de chaque commune (1811 à 1837, selon les cantons) ; AD 41, M Agriculture, « Statistique agricole de 1852, dite quinquennale ».
57 Calculs effectués d’après les données de Neilz (S.), op. cit., p. 168-170.
58 Dupeux (G.), Aspects de l’histoire sociale et politique du Loir-et-Cher, 1848-1914, Paris, 1962, p. 200.
59 Sur l’élevage, enquête de l’an III, AN, F10 505 ; AD 41, M Agriculture, « Statistique agricole de 1852, dite quinquennale ».
60 Sur cet élevage, Devau, « Considérations sur la race chevaline du Perche », Bulletin trimestriel de la Société d’agriculture du département de Loir-et-Cher, 1848.
61 Rappelons que les chemins de grande communication peuvent être à la charge de plusieurs communes, alors que les chemins vicinaux sont à celle d’une seule. Les difficultés des communes à financer les dépenses de voirie sont illustrées par le fait qu’à la fin de l’année 1831, seules 61 d’entre elles (sur les 110 que compte l’arrondissement) ont confectionné un rôle de prestations (AD 41, 1S 38).
62 Les indications sur ces débats sont tirées de AD 41, 1S 37, 1S 38, 1S 39.
63 AD 41, 1S 38, « Conseil général, session du 31 juillet 1833, chemins vicinaux, assemblées cantonales ». Ces assemblées rassemblent les maires et les principaux propriétaires de chaque canton.
64 AD 41, 1S 37, 1S 38, 1S 39, 1S 40.
65 Le cadastre est établi dans les communes du canton de Vendôme en 1811-1812, et dans celles du canton de Mondoubleau en 18121813. Suivent les cantons de Montoire (1823-1826), Droué (1825-1827), Selommes (1830-1831), Morée (1832-1833, sauf la commune de Danzé, cadastrée en 1811), Saint-Amand (1835) et Savigny (1837).
66 Dupeux (G.), op. cit., p. 218, observe qu’au milieu du siècle, « en dehors des relations de ville à ville [...] ou de gros bourg à gros bourg [...] les relations étaient difficiles pendant la bonne saison, souvent impossibles l’hiver ».
67 Sur les projets concernant la canalisation du Loir, Projet de navigation du Loir de l’ingénieur Gérard, AD 41, 1S 37, session de 1826, Pétigny (J. de), De ta canalisation du Loir, Blois, 1840, Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, article « Loir ». Il faut souligner que les premiers projets s’inscrivent dans la perspective d’une liaison Loire-Seine (la canalisation du Loir se complétant d’une liaison avec l’Eure), alors que par la suite on finit par se borner à envisager la seule canalisation du Loir de Château-du-Loir à Vendôme. Mais ce repli ne suffit pas à assurer le succès de l’entreprise.
68 Les résultats des recensements sont régulièrement publiés dans l’Annuaire de Loir-et-Cher. Ils ont également été rassemblés par Poitou (G), op. cit., n. 3, p. 37, à paraître. Les données de base en sont conservées aux AD 41, sous-série 201 M. Les indications concernant le mouvement naturel de la population se trouvent également aux AD 41, 200M 10 à 200M 58.
69 Citation tirée de Le Meur (M.-V.), op. cit., n. 3, p. 422.
70 Dupeux (G.), op. cit., p. 209.
71 Rapport de Prat pour l’année 1836, AD 41, série T non cotée.
72 AD 41, série N, Délibérations du conseil général de Loir-et-Cher, 1848, p. 58.
73 AN, F8 112.
74 Trobert (A.), L’agriculture en Loir-et-Cher de 1799 à 1815 et le monde rural de ce département dans ses rapports avec l’administration consulaire et impériale, DES, Paris, 1949, chap. XV.
75 Cité par Dupeux (G.), op. cit., p. 145.
76 Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, articles « Colonie de Nourray », « Gouvello de Keriaval ».
77 Mendras (H.), Sociétés paysannes, Paris, 1976, p. 181.
78 Règlement du Comice agricole de Vendôme, 8 mai 1835, BM Vendôme, ms 392.
79 Etat des dépenses pour les années 1835-1844, avec mention des « objets et encouragements », Comice agricole de Vendôme, BM Vendôme, ms 392.
80 Almanach agricole de l’arrondissement de Vendôme, Vendôme, 1851.
81 Almanach agricole, p. 78.
82 Almanach agricole, p. 49.
83 Nouel (E.), « Historique de la météorologie à Vendôme », SAV, 1894, p. 259-277. Cette préoccupation ne se restreint pas au seul monde des notables, comme en témoigne Stanislas Neilz en élaborant une Chronique statistique et météorologique du Vendômois, demeurée manuscrite (BM Vendôme, ms 373).
84 Almanach agricole, p. 40.
85 Almanach agricole : calendrier agricole, p. 14-15 ; sur le choix d’une vache laitière, p. 30 ; sur les sols, « Notes sur la géologie », p. 59-69.
86 Almanach agricole, p. 76.
87 Almanach agricole, p. 84.
88 Almanach agricole, p. 65. Notons que l’âge attribué à Pierre situe son arrivée approximativement à la fin de l’époque révolutionnaire.
89 Sur ce personnage, Simoni-Aurembou (M.-R.), « Chansons en Vendômois, le collectage d’Arsène Gendron en 1850 », SAV, 1981, p. 64-68.
90 Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, articles « Arrêté » et « Malignas ».
91 Almanach agricole, p. 70-77.
92 Rappelons que cet ouvrage est justement publié à l’époque de la Monarchie de Juillet, en 1834 pour être précis.
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1998
Pays ou circonscriptions
Les collectivités territoriales de la France du Sud-Ouest sous l’Ancien Régime
Anne Zink
2000
La permanence de l’extraordinaire
Fiscalité, pouvoirs et monde social en Allemagne aux xviie- xviiie siècles
Rachel Renault
2017
Un désordre européen
La compétition internationale autour des « affaires de Provence » (1580-1598)
Fabrice Micallef
2014
Entre croisades et révolutions
Princes, noblesses et nations au centre de l’Europe (xvie-xviiie siècles)
Claude Michaud
2010