Avant-propos
p. 409-410
Texte intégral
1Le changement en Vendômois est bien au cœur de cette dernière partie. Non qu’il y soit inédit : l’étude du xviiie siècle vient de montrer que sur bien des plans des évolutions s’amorçaient dans la région, au temps de Louis XV et de Louis XVI, même si elles n’étaient pas toujours clairement perçues. Ce qui est nouveau, à partir de 1789, c’est que le changement désormais s’impose sur le devant de la scène avec une si spectaculaire soudaineté que nul cette fois ne peut l’ignorer : « Dans cette année, écrit dans son journal le vigneron François Lattron, on fit dans la France le renouvellement de l’Etat ; ce fut un grand troublement de la France ». De fait, l’irruption de l’événement est telle qu’elle donne aux contemporains le sentiment de connaître un moment exceptionnel, que celui-ci soit vécu dans l’inquiétude par ceux qui l’interprètent comme la fin d’un monde, ou avec l’enthousiasme que confère à d’autres l’enivrante impression d’assister à l’aube d’une ère nouvelle — ces attitudes admettant évidemment bien des positions intermédiaires, et ayant pu varier au fil des années, au gré d’une conjoncture révolutionnaire fort changeante.
2Cependant, s’en tenir à cette seule approche voyante du changement serait méconnaître les leçons les plus classiques de l’école historique française, et d’abord celles de son maître Fernand Braudel : on sait bien, à la suite des travaux de ce dernier, qu’il y a, comme on l’a déjà rappelé, temps et temps. Cela laisse à penser qu’il y a aussi changement et changement. Le changement, c’est certes la nouveauté brutale, spectaculaire et souvent choquante, dont la décennie révolutionnaire constitue précisément une belle illustration ; mais c’est aussi l’évolution progressive, moins voyante, mais non nécessairement moins efficace, dont l’ensemble du xixe siècle fournit de nombreux exemples. Entre les deux, l’apparence est celle de l’opposition. Mais la réalité est davantage celle de la complémentarité qui s’établit entre la proclamation de l’innovation et sa progressive mise en œuvre, et il conviendra de ne pas l’oublier. Après tout, n’est-ce pas à cette logique temporelle que se conforme François Furet lorsqu’il entreprend de repenser dans une perspective séculaire la Révolution française1 ?
3Ainsi considéré, le changement ne peut naturellement pas être dissocié de son enracinement social. En effet, ce changement ne constitue pas un objet historique désincarné. Il se conçoit, et il prend forme, au sein d’une société qui peut l’accepter ou le refuser, favorisant son développement ou entraînant son rejet. Plus profondément même, il peut constituer pour cette société un considérable enjeu, par rapport auquel se construit toute une distribution des rôles, distinguant ceux qui le prennent en charge, ceux qui s’y opposent, ceux qui y sont progressivement gagnés. C’est dans cet esprit qu’on entend relire ici l’histoire du Vendômois, du début de la Révolution à la fin du xixe siècle.
4Au cœur de cette analyse, les notables. Un premier chapitre examinera comment, forts de leur prééminence confirmée, conférée ou renforcée par la Révolution et qui se maintient tout au long du premier xixe siècle, ils s’efforcent de prendre en charge le changement. Face à toutes les inerties que connaît la région, et qu’ils sont prompts à qualifier de routine, ils entendent en effet se faire les artisans de l’innovation et du progrès.
5Non sans succès du reste. Pendant la seconde moitié du siècle, le progrès tant souhaité est souvent au rendez-vous. Dans tous les domaines de la vie économique et sociale, du recul de la mort à l’accroissement de la production agricole, du développement des réseaux de communication à la généralisation de la scolarisation s’observent des améliorations décisives. Mais ces dernières ont des effets que n’avaient pas toujours prévus les notables, et qui donnent bientôt à ces derniers le sentiment d’être dessaisis de leur traditionnelle fonction d’encadrement social : c’est à analyser ces transformations, leurs conséquences pour les différents groupes de la population et la manière dont les notables y réagissent que sera consacré le second chapitre de cette partie.
Notes de bas de page
1 Furet (F.), La Révolution de Turgot à Jules Ferry, 1770-1880, Paris, 1988.
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