Conclusion de la première partie
p. 183-184
Texte intégral
1Les chapitres de cette partie consacrée à la présentation du Vendômois du xviiie siècle et de ses habitants permettent de dégager un certain nombre d’enseignements. Et d’abord ceux concernant le pays vendômois lui-même. L’analyse en a confirmé la réalité, notamment aux yeux des contemporains. Elle en a précisé aussi les grands traits matériels et humains, soulignant du même coup combien ce petit pays est caractéristique de la province française. C’est vrai de l’équilibre qui s’y observe entre tendances centripètes et sollicitations centrifuges comme ce l’est de la diversité de ses paysages : sur quelques centaines de kilomètres carrés se juxtaposent ici les trois France que Jacques Dupâquier distingue dans le grand Bassin parisien, celle des bocages, celle des coteaux et celle des limons — dans ce dernier cas, disons plutôt, pour être plus précis, celle des plaines1. Le Vendômois est tout aussi représentatif de la France provinciale par la répartition de ses habitants entre citadins et ruraux, ou par la hiérarchisation des communautés, de la cité capitale aux modestes paroisses rurales : avec en 1790 un petit cinquième de sa population résidant en ville, à Vendôme, Montoire et Mondoubleau, un bon cinquième dans les bourgs de plus de 1 000 habitants, et trois cinquièmes vivant dans des localités plus petites, il présente bien une situation banale dans la province de l’époque, dès lors qu’on fait abstraction des plus grandes cités. Toute aussi classique, dans la France du xviiie siècle, est la place tenue dans l’économie locale par l’agriculture et le textile, soit les deux activités qui satisfont aux besoins les plus fondamentaux des populations, nourriture et vêtement. Ces traits ne suffisent sans doute pas à faire du Vendômois un échantillon représentatif de la province française : il est cependant légitime de penser que les conclusions que dégage son étude sont instructives sur cette dernière.
2Second grand enseignement de ces développements, celui qui a trait à la richesse matérielle — ou à son absence... A cet égard, l’analyse a d’abord permis d’en fixer la répartition géographique et sociale. Mais à partir des inégalités ainsi constatées, elle a aussi mis en évidence certains aspects de la circulation de cette richesse. Circulation entre régions d’abord, à travers de nombreux échanges commerciaux. Circulation entre groupes sociaux ensuite, assurée notamment par les prélèvements frappant la production agricole. Mais cette circulation ne se borne pas au seul territoire du Vendômois. Les échanges commerciaux peuvent mettre en jeu des relations beaucoup plus lointaines. Quant aux prélèvements, une partie en quitte le Vendômois : c’est vrai de l’impôt royal ; mais ce l’est aussi, pour une part il est vrai difficile à préciser, des autres ponctions opérées sur la terre — rente seigneuriale et rente foncière notamment. Par ce biais, le Vendômois s’inscrit sans surprise dans un schéma déjà présenté à propos des relations observées à l’intérieur de ses limites, mais qui vaut en réalité pour l’ensemble du royaume : d’un côté, une masse essentiellement terrienne assurant par son labeur l’existence de toute la société ; de l’autre, coiffant cette dernière, une minorité, favorisée par l’avoir et le savoir, concentrée dans les villes, et d’abord dans les plus grandes, et qui, à partir des moyens qu’elle en reçoit, élabore tous les raffinements d’une civilisation attentive à assurer son contrôle sur ce monde rural.
3Au-delà de cette relation entre la ville et la campagne, ce sont bien deux manières d’être et de vivre qui se dessinent, comme en témoignent encore, par exemple, les différences de comportement observées entre ces deux milieux en matière de criminalité. Des différences analogues se repèrent au sein de chacun de ces ensembles. En ville, elles sont illustrées par la diversité des attitudes constatées en 1759, au moment de l’affaire du vol domestique qui se termine par la pendaison de Marie Lanoue à Vendôme. A la campagne, la force des enracinements matériels et traditionnels rend certes compte d’abord de la grande variété des activités agricoles qui coexistent en Vendômois, des vallées aux plateaux, de la Beauce au Perche. Mais à celle-ci, il n’est pas difficile de faire correspondre des hiérarchisations sociales différentes, franchement inégalitaires en zone de grande culture, plus égalitaires dans le vignoble, et les relations entre individus s’en trouvent très concrètement affectées, comme le démontre la comparaison de la situation du bordager et de celle du soiton. Enfin, partout l’étude sociale met en évidence l’importance des réseaux d’interconnaissance, en eux-mêmes porteurs de processus d’exclusion, qui jouent d’abord à l’encontre de l’extérieur mais aussi, en ville, à celui de groupes marginalisés et anonymes.
4C’est donc toute une architecture sociale qui prend ainsi forme à partir des limites, des partages et des relations révélés par l’analyse des données statistiques, et dont l’examen des comportements des populations vendômoises confirme et précise la réalité. Cette architecture n’est certes pas immuable. Les choix professionnels et matrimoniaux démontrent que des glissements sont sur ce plan possibles : mais ils révèlent aussi que la marge de manœuvre est en cette matière relativement étroite, ce qui est une autre manière de confirmer la force des structures décrites dans ces premiers chapitres. Il appartient maintenant à d’autres investigations d’en préciser plus avant les traits.
Notes de bas de page
1 Dupâquier (J.), La population rurale du Bassin parisien à l’époque de Louis XIV, Paris-Lille, 1979, p. 152.
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