Recours à l’écrit et validation du document entre Orient et Occident
p. 189-210
Note de l’éditeur
Atelier coordonné par Christophe Picard
Texte intégral
1Les quatre exemples d’inventaires de documents notariaux, de chancellerie et d’une bibliothèque personnelle démontrent tout l’intérêt des recherches menées sur les techniques d’enregistrement et de conservation des archives ou de bibliothèques, sous tous leurs aspects. Ils permettent de constater à quel point la manière de sélectionner les copies de lettres, comme les ouvrages de lecture que l’on veut faire figurer dans sa bibliothèque, aussi bien que les formules que l’on fait apparaître en bas des lettres, et la façon dont les notaires organisent l’enregistrement dans leurs minutiers ne relèvent pas du hasard mais, bien au contraire, constituent des signes forts d’une idéologie, qu’elle émane d’un calife ou du pape, du poids des cultures confrontées, en Morée, ou de la volonté de conserver le plus efficacement possible les traces de transactions ou de documents notariaux, à Pistoia en Toscane.
2La démarche ne va pas de soi ; elle est au contraire le fruit de lentes élaborations. Il faut tâtonner et trouver la meilleure technique, en Italie du Nord, tout au long du xiie siècle, pour que l’enregistrement des documents, dans les archives privées du notaire, acquière toute son efficacité et prenne sa forme définitive. L’étude d’Emmanuel Huertas sur le cartulaire canonial de Pistoia (Libro Crocé) montre les progrès accomplis, depuis l’« enregistrement à l’arrivée » de documents originaux jusqu’à l’« enregistrement à la source » des copies, devenu, avec Giovanni Scriba, le seul système adopté par le notariat d’Italie du Nord. Le problème n’est pas seulement technique, mais il ressort également d’une évolution des mentalités. À ce titre, l’inventaire de la bibliothèque de Léonard de Veroli, qui fut en Morée le chancelier de Guillaume II de Villehardouin, étudié par Isabelle Ortega, est du plus grand intérêt. Il y a en effet très peu de documents qui permettent de mesurer les courants et influences culturels de la noblesse, dans un espace méditerranéen pourtant largement traversé par les croisements culturels, ici latin et grec, alors que les réflexions sur ces phénomènes ont plutôt tendance à privilégier la confrontation que le « melting pot culturel ». On connaît mieux les récriminations de Liutprand de Crémone sur les mœurs « orientales » des Byzantins que le subtil mélange des lectures occidentales et orientales en Morée, dans la modeste cour des nobles latins à Mistra. Cette étude représente ainsi un nouvel exemple des interférences de cultures en Méditerranée, jusque-là mieux étudiées pour la Sicile normande et celle de Frédéric II, ou pour la péninsule Ibérique.
3Le cadre méditerranéen offre aussi des exemples privilégiés de la fabrique de systèmes idéologiques se prévalant d’universalisme. Les deux exemples donnés ici offrent une sorte de rivalité à distance entre les califes almohades et la papauté. Hicham El-Aallaoui décortique la syntaxe des formules sur les sceaux et à la fin des lettres de la chancellerie almohade pour discerner les expressions, telle la formulation de la taṣliyya des califes mu’minides, qui proclame le principe de l’unicité divine (waḥda), propre à la doctrine définie par Ibn Tūmart, le fondateur du mouvement almohade. Le plus étonnant, a priori, c’est que la formule non seulement survit à l’abandon de la doctrine par les califes mu’minides, au début du xiiie siècle, mais figure également sur les documents des Mérinides, qui ont éliminé violemment la dynastie et l’almohadisme, ainsi que sur ceux de leurs successeurs. La formulation de l’unicité divine semble être devenue l’un des symboles de la souveraineté au Maghreb, vidée de sa portée doctrinale. La technique utilisée par la papauté pour affirmer l’universalisme romain ressort également de l’étude des enregistrements de copies dans les archives de la Curie romaine, étudiée par Thomas Tanase. Là, c’est le choix des lettres diplomatiques à conserver qui montre que le tri et le classement des documents relèvent de l’idéologie plutôt que d’une logique « notariale » : seules les lettres adressées par les souverains pontifes au khan mongol pouvaient être recopiées et archivées, témoignant de la portée universelle du message romain, alors que les missives reçues des khans, réclamant la soumission des chrétiens, ne pouvaient être acceptées sans brouiller le message : l’archive apparaît alors comme une vitrine et non comme un simple système de classement à caractère « privé ».
4Ces quatre présentations ont finalement en commun de montrer que la diplomatique et l’étude des inventaires, nécessitant une technique minutieuse, sont des outils majeurs de recherche de l’historien, aptes à enrichir et renouveler notre appréhension des relations internationales, en particulier en Méditerranée, sous des angles extrêmement variés. Ce sont des pistes à encourager, pleines d’avenir, aussi bien dans le monde latin que dans les mondes grec et musulman.
1. Les actes originaux dans les cartulaires : l’exemple du Libro Croce de Pistoia, 1114-1145 (Emmanuel Huertas)1
5Certains cartulaires italiens du xiie siècle présentent une particularité diplomatique encore mal connue : la rédaction en leur sein d’actes originaux1. Cette pratique, fréquente dans les cartulaires génois, a été signalée pour la première fois par Dino Puncuh2. Je voudrais, pour ma part, attirer l’attention sur le cartulaire cathédral de Pistoia, dit Libro Croce, qui est, à ma connaissance, la plus ancienne attestation de ce phénomène en Italie, et probablement en Occident. Le Libro Croce de Pistoia, qui a été confectionné en deux temps par les notaires Gualbertus et Domitianus, entre 1114 et 1145, contient 241 copies authentiques et 5 originaux3. Quinto Santoli, l’éditeur du cartulaire, a qualifié ces derniers actes de « copies autographes » (copie autografe)4. L’ambiguïté de l’expression illustre bien les blocages conceptuels qui empêchaient à l’époque de concevoir la rédaction d’un acte original dans un cartulaire. Il est pourtant évident que l’écriture et les marques de validation de ces actes appartiennent bien au notaire qui a instrumenté. La présence d’originaux dans un cartulaire soulève inévitablement le problème des définitions et des classifications scientifiques5. La diplomatique italienne, qui connaît bien les « cartulaires-chroniques » et les « cartulaires-registres » communaux, a toujours préconisé en la matière une taxinomie souple6. Ainsi, Dino Puncuh a proposé récemment une définition générique des cartulaires entendus comme contenitori di documenti, littéralement « récipients de documents7 ». Les cinq actes du Libro Croce qui ne sont pas des copies appartiennent à trois typologies documentaires inédites, qui éclairent la genèse des actes et les pratiques de conservation documentaire au xiie siècle.
Trois originaux écrits par les cartularistes eux-mêmes
6Le premier original au fol. 26v est un acte de vente d’une pièce de terre à la Canonica de Pistoia, daté de février 11148. Le notaire Gualbertus a-t-il expédié un premier original sur parchemin – aujourd’hui perdu – destiné aux archives de la Canonica, sachant qu’il rédigeait par ailleurs le cartulaire des chanoines ? A-t-on affaire à un original unique ou à un original multiple ? En d’autres termes, un original au cartulaire correspond-il nécessairement à un original sur parchemin ? Les deux autres originaux d’avril 1115 (fol. 70v) et du 11 février 1141 (fol. 74), écrits respectivement par Gualbertus et Domitianus, n’apportent pas d’autres informations9. Faute de trancher, il est difficile de tirer des conclusions assurées. Je remarque cependant que, dans l’hypothèse d’un seul original écrit au cartulaire par le cartulariste lui-même, la simplicité apparente du geste bouleverse en réalité les principes de conservation de la documentation « entrante » et modifie les rapports entre cartulaire et chartrier.
Avril-juillet 1115 : une expérience d’enregistrement notarié ?
7Le cas suivant est plus complexe, puisque l’original est écrit par un notaire étranger à l’entreprise de cartularisation. Gualbertus s’interrompt au fol. 70v, après avoir rédigé l’original d’avril 1115. Les derniers feuillets du dixième cahier du cartulaire étaient vierges, quand le notaire Ildibrandus écrit, au fol. 70bis, un acte original en juillet 111510. Cet acte, qui est une donation à la Canonica, fait partie d’un montage documentaire, car, le même jour, au même lieu et devant les mêmes témoins, les donateurs reçoivent en concession les biens qu’ils ont précédemment donnés. Il s’agit techniquement d’une constitution de rentes en faveur des chanoines11. Cette concession, qui prend la forme d’une notice d’investiture ad affictum, est conservée en copie dans la deuxième partie du cartulaire12. Combien d’actes Ildibrandus a-t-il expédiés et sur quel support ? Il est certain que la notice d’affictum – aujourd’hui perdue – a été rédigée en original sur parchemin, puisqu’elle a été transcrite au cartulaire, trente ans plus tard. La rédaction de l’acte de donation est plus problématique. Dans l’hypothèse où Ildibrandus aurait rédigé l’original sur parchemin, pourquoi lui demander d’écrire un deuxième acte en original au fol. 70bis du cartulaire ? D’ailleurs, le notaire Gualbertus aurait pu transcrire lui-même l’original d’Ildibrandus. Il est donc plus logique de supposer que le notaire Ildibrandus a expédié directement l’acte de donation au cartulaire et remis la notice d’affictum sur parchemin. La rédaction successive d’originaux dans un cahier évoque nécessairement une pratique d’enregistrement documentaire13. La solution qui s’ébauche ici consiste, en l’absence de chancellerie, à laisser aux notaires eux-mêmes le soin de l’enregistrement. La série est limitée à deux actes (avril et juillet 1115), mais il n’est pas impossible d’y voir une timide expérience d’enregistrement de documents « entrants ».
Un acte de 1133 : copie figurée ou « pseudo-grosse » ?
8Le cas de la cartula 157 de 1133 est plus intriguant14. Dans cet acte de donation, un certain Riccobaldus, fils de Boncus, donne une parcelle dans les environs de Pistoia à la Canonica. Acte banal, si ce n’est la date, « 1133, en pleine mer entre Patare et Rhodes », au large de la Lycie : Hactum in pelago quod est inter Patera et Rodi. L’acte se présente comme un original de Bonifatius écrit directement au cartulaire, le notaire rédigeant à son retour cet original à partir de notes prises sur le bateau15. Or, l’écriture de l’acte n’est pas la sienne, malgré les tentatives du scribe pour en adopter les principales caractéristiques et imiter le seing manuel16. L’acte serait donc une copie figurée sans marques de validation. Ainsi, entre 1133 et 1145, un scribe inconnu aurait imité une expédition originale de Bonifatius faite au cartulaire, à la suite de celle d’Ildibrandus17. Bonifatius avait-il expédié, à son retour, un original (perdu) sur parchemin ? Si tel a été le cas, pourquoi ne pas bénéficier d’une copie authentique comme la très grande majorité des actes du cartulaire ? S’agit-il d’une copie figurée attendant de recevoir les marques de validation ? Ce n’est pas impossible, mais la pratique des copies figurées est plutôt rare à Pistoia18. Une autre hypothèse est envisageable : le notaire Bonifatius, mort durant le voyage ou trop âgé pour écrire lui-même à son retour, a laissé des notes ou un brouillon de l’acte. Son successeur ou un collègue a été chargé de l’expédition de l’acte in mundum, mais le scribe, qui nourrissait peut-être des doutes sur l’authenticité d’un tel acte, a préféré opter pour une imitation de l’écriture de Bonifatius. Au xiie siècle, l’extraction de la grosse à partir d’une minute deviendra monnaie courante, mais cette pratique est probablement encore dans sa phase expérimentale en 1133. Selon cette hypothèse, l’acte ne doit plus être considéré comme une copie (figurée), puisque l’original n’a jamais existé, mais comme l’imitation d’une première extraction de la grosse, une « pseudo-grosse » écrite dans un cartulaire19. Le fait que cette rédaction intervienne au fol. 70bisv entretient également l’illusion de continuer la série des originaux « enregistrés » au cartulaire depuis avril 1115.
9La rédaction d’originaux dans le cartulaire cathédral de Pistoia (entre 1115 et 1142) annonce la richesse typologique des cartulaires ecclésiastiques de l’Italie communale. Aux xiiie et xive siècles, la diversité de contenu des cartulaires ecclésiastiques – copies authentiques, copies informes, copies figurées, originaux, insertion de notes, de brèves ou de minutes notariales, listes de cens, serments, procès-verbaux, mémoires-, loin de montrer un essoufflement du genre, démontre au contraire sa vitalité. La participation massive du notariat professionnel à la confection des cartulaires, solution typiquement italienne, a durablement ancré les pratiques documentaires des institutions ecclésiastiques dans la modernité. Ces innovations techniques de la part des notaires aboutissent, à la fin du xiie siècle, à l’éclosion d’un genre nouveau : les cartulaires communaux, appelés libri iurium20. Je voudrais donc insister, avec Antonella Rovere, sur l’apport des cartulaires ecclésiastiques dans la genèse de cette nouvelle source essentielle pour l’histoire de l’Italie médiévale. Les notaires, qui en sont les maîtres d’œuvre, ont mis plusieurs décennies d’expérimentation documentaire au service des communes italiennes. La rédaction des originaux dans les cartulaires peut être considérée comme un des premiers jalons de la longue histoire de l’enregistrement notarié en Occident. Les premières expériences d’enregistrement notarié systématique datent des décennies 1130-1140. Les originaux contenus dans le cartulaire de Pistoia, sans présenter les caractères d’une rédaction systématique des documents « entrants », montrent toutefois qu’une timide expérience d’enregistrement a été tentée entre avril et juillet 1115. La rédaction d’originaux dans les cartulaires italiens mériterait une étude d’ensemble. L’expérience pionnière du Libro Croce de Pistoia sera bientôt suivie par celle du cartulaire de la Curie de Gênes, rédigé à partir de 1143 et comprenant une vingtaine d’originaux21. Ce n’est pourtant qu’au xiiie siècle que le phénomène se développera et participera alors pleinement à la révolution de l’enregistrement.
2. L’inventaire de la bibliothèque de Léonard de Véroli. Témoignage des influences occidentales et orientales dans la principauté de Morée à la fin du xiiie siècle (Isabelle Ortega)2
10La principauté de Morée, fondée en 1205 par des nobles originaires en grande partie du royaume de France, Champenois et Bourguignons en tête, est caractérisée par des institutions, des structures familiales et une culture nettement influencées par les provinces d’origine des conquérants. Or progressivement au cours du xiiie siècle, la noblesse compte dans ses rangs des Italiens venus en plus grand nombre. En effet, le royaume angevin voisin représente le seul soutien militaire et politique fort que peut attendre la principauté, après la chute de l’Empire latin de Constantinople en 1261 et après le traité de Viterbe en 1268, qui lie encore plus étroitement la Morée à la puissance angevine voisine. Au sein de cette principauté, la vie quotidienne des nobles se déroule en grande partie dans leurs seigneuries, disséminées dans tout le Péloponnèse, et dans leurs cours, composées en tout premier lieu par le cercle des parents, les feudataires, mais également par les auxiliaires du pouvoir seigneurial. Un genre de vie caractéristique s’y développe, qui associe les coutumes occidentales aux mœurs orientales. Dans ce cadre-là, la culture est affichée pour se démarquer du reste de la population indigène grecque, au même titre que la courtoisie ou le train de vie dispendieux de certains, qui sert à tenir son rang et à impressionner l’entourage. Dans ce contexte, il est donc intéressant d’étudier l’inventaire de la bibliothèque de Léonard de Véroli, chancelier du prince Guillaume II de Villehardouin (1246-1278), étant donné la pénurie de la documentation dans le domaine culturel. Si les inventaires de bibliothèques ne sont pas toujours aisés à étudier – en effet, il est difficile d’établir le lien entre les possessions et la lecture-, ils n’en constituent pas moins des indicateurs concernant le niveau culturel des élites lettrées. Les préférences littéraires du chancelier éclairent d’un jour nouveau la noblesse moréote, latine certes, mais dont les effectifs francs22 cèdent progressivement la place à des ressortissants italiens toujours plus nombreux. Cet inventaire est dressé après le décès de Léonard de Véroli en 1281. Ce dernier possédait entre autres choses :
Neuf romans, un livre intitulé Genes, les Constitutions du Royaume. Un volume dans lequel se trouve le traité de Roffredo sur le droit civil, ainsi que son traité sur le droit canonique, le livre de Geoffroy de Trani, un Tacuinum, un livre de médecine en quatre cahiers, un livre grec, un traité De modo medendi [...] la Somme d’Azon, un Décret, un livre des Décrétales. Cinq romans, un bréviaire, une chronique, une Bible, une paire de livres en deux langues23.
11Cette bibliothèque modeste de trente ouvrages nous renseigne toutefois sur les goûts de l’auteur et sur sa fonction. Dans de nombreuses bibliothèques du xiiie siècle, la proportion de manuscrits se rapportant à la religion est importante, car les amateurs de livres commencent généralement une bibliothèque avec des œuvres telles que la Bible ou un bréviaire24. Léonard de Véroli ne fait donc pas exception à la règle, puisqu’il possède plusieurs œuvres religieuses, dont un manuscrit de la Genèse. Cependant, l’inventaire met davantage en valeur les livres en relation avec sa fonction de chancelier et de conseiller privilégié de Guillaume de Villehardouin, car il laisse une place importante aux œuvres juridiques, notamment le droit canon et le droit civil, qui sont ainsi bien représentés avec six livres, dont l’œuvre de Roffredo de Bénévent, auteur d’un De ordine judiciario et d’un Super jure canonico25. Se trouve également en sa possession l’œuvre d’un canoniste du début du xiiie siècle, Geoffroy de Trani, dont le titre n’est pas précisé, peut-être est-ce la Summa super titulis Decretalium ou la Summa juris canonici26. Enfin, figure la Somme d’Azon, glossateur bolonais du XIIe siècle, qui est une œuvre majeure de la doctrine juridique27. Ces ouvrages témoignent de l’intérêt de Léonard de Véroli pour les auteurs les plus diffusés du xiiie siècle et de son étroite spécialisation juridique, indispensable pour la fonction de chancelier, complétée cependant par des livres reflétant des goûts plus éclectiques.
12En effet, il apprécie la littérature profane et l’histoire, car sa collection est composée de quatorze romans dont les titres ne sont pas révélés et qui représentent quasiment la moitié de sa bibliothèque, d’une chronique, ainsi que des Constitutions du Royaume. Ce titre, ainsi noté, ne semble pas très précis : peut-être y a-t-il là un amalgame entre les Constitutions de Melfi que Frédéric II a édictées en 1231, appelées Liber Augustalis, vaste corpus de législations antérieures, et le Liber de regno Siciliae, le plus important ouvrage consacré à l’histoire du royaume28. D’autres ouvrages rendent compte de son goût personnel pour la médecine. Il s’agit tout d’abord du livre de méthode de soins qui est peut-être celui d’un certain Gérard de Montpellier, auteur d’une Summa de modo medendi au xiiie siècle29. Les archives de Charles Ier d’Anjou, quant à elles, permettent de préciser la nature du livre de médecine formé de quatre cahiers : en effet, en 1279, le roi mande aux trésoriers de prêter son exemplaire de la traduction d’El Havvi, encyclopédie médicale en plusieurs cahiers30, que le roi tient du calife de Tunis, au scribe du chancelier de la Morée, afin qu’il en fasse une copie. Un autre mandement précise que les cahiers seront prêtés à deux copistes travaillant séparément et qu’il seront complétés par d’autres ouvrages non précisés31. Le travail de deux scribes témoigne d’un souci de précision et de reproduction, afin, peut-être, de pourvoir une autre bibliothèque du second exemplaire. Ce chancelier apprécie donc les ouvrages de médecine, en dehors de son activité professionnelle. Enfin, le mystérieux livre grec, dont le sujet n’est pas précisé, doit être mis en relief, car cela permet de supposer qu’il lit cette langue, à l’instar de Guillaume de Villehardouin32, le prince de Morée. Cela n’est certainement pas le cas du personnel administratif de Charles Ier d’Anjou, qui, ne pouvant déchiffrer le titre, relève simplement sa présence, tout comme les ouvrages rédigés dans une autre langue.
13Ainsi, cette bibliothèque, composée de trente ouvrages33, illustre la culture du milieu de la chancellerie, au service du prince. Appelé logothète en grec34, le chancelier est à la tête de l’organe administratif de la principauté, mais il joue également un rôle politique, allant jusqu’à présider la cour des barons, lors des procès35. À la mort de Guillaume II de Villehardouin en 1278, Léonard de Véroli entre au service de Charles Ier à Naples et il éclaire le souverain angevin de ses connaissances sur la principauté.
14Certes, les inventaires posent des problèmes de méthode et d’interprétation, toutefois ils sont révélateurs de la culture d’un individu et d’un milieu. Il est vrai que le rédacteur semble davantage préoccupé par la place des volumes dans la succession plutôt que par leur contenu. Néanmoins, l’exemple de Léonard de Véroli est intéressant, car il montre, au-delà du service d’État manifeste par la prédominance des ouvrages de droit, les goûts littéraires de la noblesse moréote à la fin du xiiie siècle, domaine dans lequel les connaissances sont éparses. Son exemple est révélateur du style de vie d’un groupe social bien particulier, certes restreint, mais incontournable, car au faîte du pouvoir. Les nobles latins de Morée s’inspirent des pratiques des régions occidentales, dont ils sont originaires, et apprécient particulièrement la littérature de cour, qui exalte la chevalerie notamment par le biais des romans. C’est ainsi que les livres venus d’Occident ou d’Orient, au retour des croisades, sont diffusés dans la principauté par le biais d’achats, de copies ou de lectures à haute voix36. À travers cet inventaire, il est possible d’envisager l’influence de la culture latine en Morée, car, à côté des ouvrages classiques, on peut noter des œuvres relativement récentes, datant du xiiie siècle, notamment dans le domaine juridique, sans oublier l’impact de la culture grecque, qui représente la particularité de cette principauté, zone de contact entre l’Occident et l’Orient.
15Au début du xiiie siècle, la chancellerie de Frédéric II était connue pour être un foyer de culture préhumaniste, avec quelques grandes personnalités cultivées et versées dans les langues, comme Pierre de La Vigne37. Mais, après la disparition de cet empereur en 1250, les événements qui s’ensuivirent ont obscurci notre connaissance de ce milieu culturel. Or, grâce à cet inventaire, il est possible de faire le lien avec les humanistes du xive siècle. La principauté de Morée, à l’instar de la cour angevine, représente le chaînon manquant entre les deux périodes, et cela dès le xiiie siècle, avant même la rédaction de la Chronique de Morée dans la première moitié du xive siècle : elle constitue un foyer de culture spécifique mêlant influences latine et grecque.
3. Le signe de validation almohade et post-almohade (Hicham El Aallaoui)3
Le signe de validation, emblème de l’autorité califale
16Si les Almohades, qui règnent sur le Maghreb et sur al-Andalus, du milieu du xiie siècle au milieu du xiiie siècle, ont hérité des Almoravides une chancellerie déjà établie à Marrakech avec une tradition administrative installée par les secrétaires andalous, ils durent toutefois la transformer pour répondre aux nouvelles exigences, politiques et idéologiques, de leur État. Parmi les éléments nouveaux du formulaire almohade, figure le signe de validation qui a pour but de donner de l’autorité à l’écrit califal : la ‘alāma almohade a été conçue pour distinguer la parole du vicaire de Dieu de celle de ses lieutenants. Cette formule courte, placée en tête des documents de la chancellerie, fut si importante qu’une fonction propre de chancellerie lui a été consacrée : le poste de ṣâḥib al-alāma. Par ailleurs, la ‘alāma almohade a traversé le temps en étant utilisée dans la plupart des dynasties postalmohades qui souhaitaient donner de l’autorité à l’écrit souverain.
17Dans ses Prolégomènes, l’historien maghrébin du xive siècle, Ibn Khaldūn, explique l’usage de la ‘alāma : « Quelquefois, on trace au commencement ou à la fin du document, en guise de sceau, une phrase renfermant soit des louanges à Dieu, soit une formule de glorification, et dans laquelle on introduit le nom du sultan, de l’émir ou de l’individu, quel qu’il soit, qui a écrit la lettre. Parfois, aussi, on se contente d’y inscrire une épithète qui puisse servir à le désigner. Ce monographe indique que l’écrit est authentique et valide. Dans le langage administratif (fi al-muta’ arraf), il se nomme ‘alāma, mais on l’appelle aussi khātam (“sceau”), parce qu’on l’assimile à l’empreinte laissée par le cachet que l’on porte au doigt38. » La ‘alāma est donc le signe de validation qui servait à authentifier les documents et devait figurer sur les originaux. Abd al-Mu’min a adopté une formule traditionnelle, comme signe de validation : la ḥamdala, c’est-à-dire la formule al-amdu li-Llāh waḥdahu (« Louange à Dieu seul »), placée en haut de ses documents. Pourtant le Rawḍ al-Qirṭās d’Ibn Abī Zaf affirme que c’est le calife al-Manṣūr (1184-1199) qui fut le premier à employer cette formule comme ‘alāma et à la tracer de sa propre main39. D’ailleurs, c’est à partir de ce souverain que cette devise dynastique apparaît sur les dinars almohades. La ‘alāma semble être une innovation almohade, mais, là encore, les avis divergent et la chronique des Ḥulal al-mawshiyya affirme que Yūsuf Ibn Tāshfīn, dès la fin du xie siècle, avait lui aussi son propre signe de validation qui était : al-mulk wa l-aẓama li-Llāh (« La souveraineté et la gloire appartiennent à Dieu »)40, mais cette formule n’apparaît sur aucun document almoravide41. Quasi présente dans tous les documents importants de l’État, comment la ‘amdala almohade résume-t-elle, à elle seule, le message des califes almohades ?
La ‘alāma, expression de l’idéologie almohade
18On est assez bien renseigné sur l’usage du signe de validation chez les Almohades, mais on en ignore la signification profonde. D’abord, il faut remarquer la place de ce signe de validation sur les actes de la chancellerie almohade. Il vient après la basmalta42 et la ṭaṣliya43. Si la première renvoie à une sacralisation de l’écrit almohade en mettant celui-ci sur le même plan que le Coran dont les versets commencent aussi par la basmala, la seconde a pour but d’attester la foi des Almohades et leur soumission au message du Prophète. Elle renvoie à Dieu et non au Prophète. La formule d’al-ḥamdu li-Llāh waḥda-hu, quant à elle, situe la foi almohade par rapport à l’islam oriental. Le terme waḥda-hu (« seul ») signifie en effet que les Almohades sont soumis à Dieu et seulement à lui, non au Prophète, ni à son successeur ou représentant. On comprend que les Almohades veuillent rendre compte uniquement à Dieu. Le message almohade est plus politique que religieux, il exprime l’indépendance des musulmans d’Occident par rapport à toute forme de loi existante, y compris l’Islam oriental. Ce serait une erreur de voir dans ce message une quelconque hétérodoxie, puisque les Almohades citent la ṭaṣliya juste avant la ḥamdala. La foi almohade consiste bien à glorifier Dieu et à s’inscrire dans la continuité du message prophétique, mais elle tend à considérer la révélation elle-même plus que le porteur. Grâce à l’usage qu’ils font de la ḥamdala, les Almohades ont réussi à exprimer le tawḥīd (l’« unitarisme »), dont le dogme a pour but politique de les dissocier de la gérance orientale, en créant leur propre modèle.
Le ṣāḥib al-’alāma
19L’importance de la ‘alāma apparaît clairement dans le choix de celui qui devait l’inscrire sur les actes de chancellerie. En effet, l’historien Ibn Khaldūn, qui donne des renseignements importants sur l’usage de la ‘alāma au Maghreb, lut lui-même un « secrétaire du sceau » (Henri de Castries) auprès du sultan hafside Abū Isḥāq. Dans son « autobiographie », Ibn Khaldūn explique lui-même en quoi consistait sa fonction : « Dès lors, j’écrivis la ‘alāma, au nom du sultan, et cela consistait à tracer en gros caractères, sur les décrets et sur les lettres impériales, la formule de la hamdala entre la basmala et la suite du texte44. » Cette fonction de la chancellerie devait être hautement prestigieuse, puisque le refus de renoncer à cette charge, qu’il exerçait au service des souverains de Tunis, valut une « mise à l’épreuve » à Ibn al-Abbār († 1260), un secrétaire valencien qui était passé au service de la dynastie hafside45. La force et l’universalité de la ‘alāma, qui exprime à elle seule l’idéologie almohade, ont inspiré les pouvoirs politiques post-almohades. En effet, l’usage de la formule al-ḥamdu li-Llāh apparaît chez les Nasrides d’al-Andalus, chez les Mérinides de Fès et chez les Hafsides de Tunis46, comme le rappelle Lévi-Provençal. Bien avant lui, Henri de Castries avait déjà montré le maintien de la ‘alāma almohade sous la dynastie des Saadiens47.
20Il est curieux de voir apparaître cette formule, devenue, contrairement à ce qu’a affirmé Lévi-Provençal, une sorte de marque territoriale ou nationale, dans différents documents officiels de la période coloniale. Selon le célèbre historien d’al-Andalus, la ‘alāma « n’allait pas tarder à voir son emploi supplanté par l’usage du sceau, dont on commença à apposer l’empreinte exactement à la même place que l’ancien paraphe d’authentification48 ». Or, dans l’ouvrage al-Thāmīal-Mazwārī, rédigé par ‘Abd al-Ṣādiq al-Glāwī49, qui était le fils de l’ancien gouverneur de Marrakech pendant la période coloniale, figurent des actes de nomination émanant des sultans ‘alaouites pour le compte de l’ancien pacha de Marrakech : le Glaoui. Dans les actes de nomination de ce dernier, on voit la formule al-ḥamdu li-Llāh waḥda-hu, en haut à droite du document. Cette ‘alāma semble être la marque de validation par laquelle les sultans alaouites successifs ont signé leurs actes de nomination de hauts fonctionnaires, mais aussi leurs documents officiels. Contrairement à ce qu’affirme Lévi-Provençal, cette ‘alāma ne fut pas réservée uniquement à la chancellerie de la dynastie, elle apparaît également sur les correspondances officielles du pacha de Marrakech lui-même et aussi sur les correspondances des nouveaux prétendants au trône alaouite50. S’agit-il d’une expression qui a perdu toute sa force idéologique, si bien qu’elle en est devenue banale dans l’écrit des personnages importants du makhzen de cette époque et même dans celui de la population, comme l’avait suggéré Henri de Castries51 ? Ou bien cette formule a-t-elle été revivifiée par l’usage qu’en a fait le maréchal Lyautey dans ses lettres au pacha de Marrakech52 ?
4. La rédaction et la réception en Occident des lettres des khans mongols dans la seconde moitié du xiiie siècle (Thomas Tanase)4
21Les lettres envoyées en Occident par les khans mongols, au nombre d’une douzaine (mais au moins deux lettres sur trois se sont perdues), peuvent avoir l’air d’une curiosité historique53. Il me semble cependant qu’en observant les aléas de leur conservation, en particulier dans les archives pontificales, il y a des enseignements à tirer sur le rôle de l’écrit diplomatique dans la construction des volumes d’archives, et notamment sur le rôle que joue l’enregistrement de la correspondance diplomatique dans le discours de la papauté sur elle-même. Les souverains occidentaux ont eu une correspondance soutenue pendant plus d’un demi-siècle avec les khans mongols, depuis l’an 1237, lorsque arriva en Occident le premier ordre de soumission envoyé par un khan mongol, jusqu’en l’an 1305, lorsque le khan de Perse Öljeitü rédigea une lettre pour Philippe le Bel. Mais, le plus souvent, ce sont les lettres adressées aux souverains pontifes qui se sont conservées. Cela n’a rien de très étonnant : la papauté joua un rôle majeur dans l’établissement d’une politique de défense face aux Mongols après le terrible assaut de 1241, qui dévasta l’Europe orientale, et ce fut elle qui envoya des frères mendiants établir les premiers contacts avec ce peuple inconnu au moment du premier concile de Lyon de 1245. Lorsqu’après 1260, le khanat mongol de Perse, né de la division du gigantesque Empire mongol, fit des ouvertures diplomatiques aux Occidentaux contre leur ennemi commun, les Mamelouks, c’est une nouvelle fois la papauté qui se retrouva au cœur des négociations liées à la croisade.
22C’est ainsi qu’est apparue une correspondance diplomatique très originale. Pour exister, elle avait besoin de tout un milieu d’intermédiaires, de traducteurs, d’ambassadeurs : faute d’une traduction adéquate, une lettre mongole en Occident était bien évidemment inutile. Or, des Latins s’installèrent en Perse, religieux, notaires, aventuriers, et jouèrent le rôle d’intermédiaires. Il est important de comprendre l’émergence de ce milieu pour comprendre les particularités des lettres qui nous intéressent ici. Souvent, en effet, nous ne possédons plus qu’un texte latin, présenté comme la lettre d’un khan mongol. Pourtant, les lettres étaient à l’origine rédigées en mongol, et c’est bien la langue de rédaction des originaux qui nous ont été conservés, aussi bien aux Archives nationales (deux exemplaires) qu’aux Archives vaticanes (trois documents, plus une lettre en persan). Toutefois, les lettres étaient délivrées avec une traduction, à l’image de la lettre en mongol d’Öljeitü à Philippe le Bel en 1305, conservée aux Archives nationales, qui porte sur son revers une traduction en italien. Néanmoins, dans la plupart des cas, la langue de ces traductions était évidemment le latin. Or, le latin, parfois très surprenant, très irrégulier, de certains des textes que nous avons conservés témoigne de ce qu’il ne peut s’agir d’une traduction faite par le clerc d’une cour occidentale, mais bien d’un texte latin écrit par un de ces aventuriers arrivés à la cour des khans mongols de Perse, et qui aura rédigé sur place, comme il le pouvait, une traduction à partir de l’original mongol. Le latin de ces scribes est d’autant plus original qu’il s’agit visiblement d’un décalque du style diplomatique mongol, ce qui donne ainsi naissance à une syntaxe latine pour le moins inédite. Et puis, pour peu que l’original se soit perdu, ce qui est arrivé dans la plupart des cas, il ne nous reste plus que le texte latin, recopié dans un manuscrit. Il est dès lors facile d’éditer ces différentes lettres et de conclure que ce genre d’originalité diplomatique n’a pu avoir qu’une conservation aléatoire. C’est vrai, et, en même temps, c’est une fausse évidence : cette non-conservation, ou cette conservation aléatoire, n’a rien d’aussi automatique, d’aussi naturel que cela peut en avoir l’air.
23D’abord, ces lettres mongoles ont connu un certain succès, comme en témoignent les quelques exemplaires originaux conservés. Surtout, pour la plupart des exemplaires que nous avons conservés, le texte a été recopié et a circulé. Bien sûr, les récits de voyage écrits au retour d’une ambassade nous ont transmis certaines de ces lettres, mais celles-ci peuvent parfois se retrouver dans des manuscrits beaucoup plus surprenants, à l’exemple d’une lettre du khan Abaqa adressée au pape Nicolas III, conservée dans un évangéliaire, qui se clôt sur quelques textes religieux, de sensibilité eschatologique, et dont le dernier feuillet contient cette lettre mystérieuse d’un khan mongol qui parle du retour de Jérusalem aux Latins54. Je cite ce dernier exemple pour montrer que ces lettres ont bien connu une diffusion hors des coffres de la papauté, ont suscité la curiosité et ont été recopiées dans les manuscrits. Et puis, surtout, les nombreuses lettres envoyées aux souverains pontifes auraient pu être enregistrées dans les registres de la Curie romaine, qui apparaissent justement au xiiie siècle. À cette époque, les registres n’ont pas encore une forme fixe, définitive, et des lettres envoyées par des souverains extérieurs à la chrétienté latine ont pu y trouver leur voie, non seulement dans le cas des réponses envoyées par les empereurs et les patriarches byzantins, mais aussi dans celui des lettres envoyées aux papes Grégoire IX ou Innocent IV par différents souverains musulmans (entre autres par le sultan de Konya, Kai-Qobad Ier, ou le sultan d’Égypte, al-Ṣāliḥ Ayyūb).
24Néanmoins, si nous prenons l’exemple des lettres byzantines, leur enregistrement était porteur de sens : elles pouvaient, à l’occasion, témoigner de l’engagement de l’empereur et de son patriarche en faveur de l’union des Églises, ou, sinon, elles pouvaient à tout le moins témoigner de l’état du débat, auquel les réponses pontificales apportaient la conclusion attendue. Les lettres des souverains musulmans reconnaissaient au pape le rôle de tête de la chrétienté, faisaient allusion à la protection des chrétiens et parlaient des communautés latines en terre d’islam : bref, elles illustraient, elles aussi, le rôle que la papauté entendait jouer. En fait, l’insertion de toutes ces lettres dans les registres avait un sens, manifesté avec encore plus de clarté dans les ouvrages de chancellerie rédigés à l’époque, les artes dictaminis, qui commençaient toujours par une section sur la primauté pontificale, laquelle comprenait des documents sélectionnés pour leur caractère exemplaire : lettres aux empereurs byzantins (pour réaffirmer la primauté pontificale sur tous les chrétiens), lettres à des souverains musulmans (pour rappeler la vocation universelle des souverains pontifes) et, parfois en ouverture, la lettre Cum hora undecima, dont étaient munis les envoyés du pape Innocent IV auprès du khan mongol. Il faut donc en revenir à la raison d’être des volumes d’archives de la papauté, qui avaient, dès l’origine, une fonction de publicité : les papes pouvaient les consulter et les citer lors des litiges communs ou pour développer un argumentaire diplomatique, et tout le corps de scribes qui s’était développé avec les progrès de l’administration pontificale connaissait ces registres, au minimum à travers les citations qui se trouvaient dans les artes dictaminis ou dans des recueils de décrétales. Ainsi, les lettres des registres permettaient de manifester en actes la vision que nourrissait la papauté d’elle-même.
25Les lettres mongoles auraient pu y avoir une place d’autant plus importante que les relations entre les souverains pontifes et les Mongols montraient que les missionnaires de la papauté avaient atteint les limites d’un monde dont on venait de saisir l’immensité. Mais que faire cependant avec les réponses faites par les khans mongols aux appels missionnaires de la papauté ? Ces réponses étaient en fait toujours des appels à la soumission, au nom d’une autre vision universelle (comme il n’y a qu’un dieu, le ciel, il ne doit y avoir qu’un souverain, le khan mongol) qui disaient très explicitement qu’elles ne comprenaient pas ce que voulait dire le pape, lorsqu’il invitait les khans à se faire baptiser ou, ainsi que l’écrivait le khan Argun en 1290 (une lettre dont les archives vaticanes ont gardé le texte mutilé, mais qui n’a pas été reportée dans les registres), que chacun peut faire son salut comme il le veut et qu’il n’est nul besoin de se convertir. Manifestement de telles missives ne cadraient pas avec ce que nous racontent les lettres envoyées par les souverains pontifes, qui décrivent les succès de la mission auprès des Mongols et remercient les khans pour la faveur dont ils témoignent envers le christianisme, lettres qui, elles, étaient naturellement systématiquement enregistrées dans les registres. En d’autres termes : mieux valait rester sur une note positive dans les registres et laisser de côté les réponses des khans mongols, manifestement incompatibles avec la vision que voulaient développer les registres d’archives.
26Il existe pourtant une exception, voire deux : une lettre du khan Argun de 1285 – une proposition d’alliance pour prendre les Mamelouks à revers – a été reportée dans le registre d’Honorius IV, preuve que rien ne s’opposait à l’enregistrement de ce genre de documents. C’est qu’en 1285, la situation des États latins de Terre sainte était particulièrement désespérée, et on conçoit facilement que cette lettre, qui pouvait entretenir l’espoir, ait été enregistrée après la mort d’Honorius IV dans le mince registre des lettres de ce pontificat très court, auquel on voulait donner un peu de consistance. Une autre lettre en latin (et il s’agit de la deuxième – fausse – exception) fut tirée des coffres de la papauté pour être enregistrée dans les registres pontificaux, un siècle plus tard, vers 1367. Cette lettre, écrite par Abaqa pour le pape Clément IV en 1268, n’avait pas été reportée dans les registres de Clément IV, mais elle le fut dans le fameux registre Vatican 62, qui faisait une recension des différents documents missionnaires des papes avignonnais du xive siècle (à une époque où les lettres envoyées par les souverains extérieurs à la chrétienté n’étaient plus reportées dans les registres)55. Le but du Vatican 62 était de construire un outil de droit canonique, destiné à montrer le rôle universel de la papauté et ses rapports avec le monde hors de la chrétienté romaine. La lettre du khan Abaqa était accompagnée d’une notice, qui nous informe que cette lettre avait été trouvée dans un coffre qui, outre des lettres byzantines ou arméniennes, comprenait un certain nombre d’autres lettres du genre de celle d’Abaqa, dont on n’arrivait plus à comprendre qui les avait envoyées, à quel pape elles étaient adressées et ce quelles signifiaient. Ainsi, le copiste aura voulu insérer dans ce registre Vatican 62 une lettre dont il n’était plus capable de comprendre la signification, qui avait perdu de son actualité menaçante, mais qui, envoyée par un khan au nom exotique, pouvait servir, un siècle après les événements, à montrer comment la papauté s’adressait à tous les peuples du monde.
27Une nouvelle fois, à un siècle d’intervalle, il s’agissait bien d’utiliser dans les registres une lettre mongole pour illustrer la vision universaliste de la papauté. Une nouvelle fois, les registres ne nous présentent donc pas un simple enregistrement des lettres envoyées par la papauté aux Mongols et leur éventuelle réponse, mais ils nous distillent une vision du monde, ils relèvent bien d’une écriture missionnaire, dont a hérité toute une historiographie des missions médiévales, qui s’est appuyée principalement sur le contenu de ces registres d’archives de la papauté.
Notes de bas de page
1 Les cartulaires ont fait l’objet de questionnements renouvelés ces dernières années : Les cartulaires. Actes de la Table ronde organisée par l’Ecole nationale des chartes et le GDR 121 du CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), éd. O. Guyotjeannin, L. Morelle, M. Parisse, Paris, 1993 ; Charters, Cartularies, and Archives : The Preservation and Transmission of Documents in the Medieval West, Proceeding of a Colloquium of the Commission Internationale de Diplomatique (Princeton-New York, 16-18 september 1999), éd. A. J. Kosto, A. Winroth, Toronto, 2002 ; Les cartulaires méridionaux (Béziers, 20-21 septembre2002), dir. D. Le Blévec, Paris, 2006 ; voir également P. Chastang, Lire, écrire, transcrire : le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc, xie-xiiie siècles, Paris, 2002 ; et Id., « Cartulaires, cartularisation et scripturalité médiévale : la structuration d’un nouveau champ de recherche », Cahiers de civilisation médiévale, 49 (2006), p. 21-31.
2 D. Puncuh, Liber privilegiorum Ecclesiae Ianuensis, Gênes, 1962, p. xii-xiv. Voir également A. Rovere, « Libri “iurium – privilegiorum, contractum – instrumentum” e livellari della Chiesa genovese (secc. xii-xv). Ricerche sulla documentazione ecclesiastica », Atti della Società Ligure di Storia Patria, 98 (1984), p. 105-170, ici p. 118-133. Panorama italien dans D. Puncuh, « Cartulari monastici e conventuali : confronti e osservazioni per un censimento », Libro, scrittura, documenta della civiltà monastica e conventuale nel basse medioevo (secoli xiii-xv), Atti del convegno di studio (Ferme, 17-19 settembre 1997), éd. G. Avarucci, R. M. Borraccini Verducci, G. Borri, Spolète, 1999, p. 341-380, ici p. 351-353. En l’absence d’inventaires exhaustifs en Italie, l’article constitue une précieuse synthèse sur les cartulaires ecclésiastiques.
3 Pistoia, Archivio Capitolare, C 115. Pour l’édition du cartulaire, voir Libro Croce, éd. Q. Santoli, Rome, 1939 (Regesta Chartarum Italiae, 26), dorénavant abrégé LC ; les actes transcrits au cartulaire sont datés entre 927 et 1142.
4 LC, p. xviii-xix. Voir également Regesta Chartarum Pistoriensium, Canonica di S. Zenone. Secolo XII, éd. N. Rauty, Pistoia, 1995 (Fonti storiche pistoiesi, 12), p. vi.
5 Définition classique d’un cartulaire comme recueil de copies dans Vocabulaire international de la diplomatique, éd. Μ. M. Cárcel Ortî, 2e éd., Valence, 1997, p. 35-36. Voir également G. Nicolaj, « Originale, authenticum, publicum : una sciarada per il documento diplomatico », Charters, Cartularies…, op. cit. n. 1, p. 8-21.
6 Sur les « cartulaires-chroniques » ou « chroniques avec documents », je renvoie aux considérations méthodologiques d’A. Pratesi, « Cronache e documenti », Fonti medioevali e problematica storiografica, Atti del Congresso internazionale tenuto in occasione del 90° anniversario della fondazione dell’Istituto Storico Italiano, 1883-1973 (Roma, 22-27 ottobre 1973), Rome, 1976-1977, t. 1, p. 337-350, et de G. Arnaldi, « Cronache con documenti, cronache “autentiche” e pubblica storiografia », ibid., t. 1, p. 351-374. Voir également les analyses de P. Toubert, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du IX à la fin du xiie siècle, Rome, 1973, t. 1, p. 76-88, et de L. Feller, Les Abruzzes médiévales. Territoire, économie et société en Italie centrale du ixe au xiie siècle, Rome, 1998, p. 18-83 ; sur les « cartulaires-registres » communaux, appelés libri iurium, voir la synthèse d’A. Rovere, « I “libri iurium” dell’Italia comunale », Civiltà Comunale : Libro, Scrittura, Documento, Atti del Convegno (Genova, 8-11 novembre 1988), dans Atti della Società ligure di storiapatria, 1032, (1989), p. 159-199, ici p. 162-164, pour la définition diplomatique du genre. Voir également les réflexions de P. Cammarosano, « I “libri iurium” e la memoria storica delle città comunali », Il senso della storia nella cultura medievale italiana (1100-1350), 14° convegno di studi del Centre italiano di studi di storia e d’arte (Pistoia, 14-17 maggio 1993), Pistoia, 1995, p. 309-325, ici p. 322-325, qui défend la thèse d’une discontinuité entre les deux traditions documentaires.
7 Puncuh, « Cartulari monastici… », loc. cit. n. 2, p. 341-342 : Contenitore di documenti, non necessariamente in copia, avendo pero’sempre presente che in essi, accanto a documenti di cui l’ente è destinatario, se ne trovano anche altri di cui è autore.
8 LC, cartula 51 (février 1114), p. 113-115.
9 LC, cartula 154 (avril 1115), p. 284-285, et LC, cartula 163 (11 février 1141), p. 298-299.
10 LC, cartula 155 (juillet 1115), p. 285-286.
11 Voir E. Huertas, La rente foncière à Pistoia (xie-xiie siècle). Techniques notariales et histoire économique, doct. histoire (dir. L. Feller), univ. Paris-Est Marne-la-Vallée, 2008, p. 299 sq.
12 LC, breve 26 (juillet 1115), p. 370 (copie de Domitianus).
13 Dans les libri iurium, les originaux forment parfois des séries. Antonella Rovere a expliqué ce phénomène par la pratique notariale qui consistait à extraire les originaux à partir des minutes directement dans les cartulaires, et ce à intervalles réguliers, voir Rovere, « I “libri iurium”… », loc. cit. n. 6, p. 175.
14 Voir LC, cartula 157 (mai 1133), p. 288-289.
15 Le notaire Bonifatius a été actif à Pistoia de 1099 à 1117. Il était certainement âgé lors de cette traversée : s’agit-il d’un pèlerinage à la fin de sa vie ?
16 L’observation est de Rauty, Regesta…, op. cit. n. 4, p. 80.
17 L’acte numéroté est mentionné dans la table des matières du cartulaire : l’écriture est donc antérieure à 1145.
18 Sur les copies figurées dans les cartulaires communaux, voir les mises en garde d’A. Rovere, « I “libri iurium”… », loc. cit. n. 6, p. 174-175.
19 Sur la pratique de l’extraction des grosses par un notaire différent dans les cartulaires communaux, voir ibid., p. 183.
20 Sur la diversité du matériel recueilli, je renvoie aux remarques de D. Puncuh et A. Rovere, I Libri Iurium della Repubblica di Genova, Introduzione, Rome, 1992, p. 41-42. Sur la présence d’originaux dans les libri iurium, voir Rovere, « I “libri iurium”… », loc. cit. n. 6, p. 174-175.
21 M. Calleri, « Per la storia del primo registro della Curia Arcivescovile di Genova. Il manoscritto 1123 dell’archivio storico del comune di Genova », Atti della Società Ligure di Storia Patria, 109 (1995), p. 21-57 (rédigé de 1143 à 1178).
22 Le qualificatif de « latine » renvoie au problème de dénomination des sources qui ne se pose pas uniquement pour la principauté de Morée. En effet, dès la fin du xiie siècle, certains pèlerins de Terre sainte s’insurgent contre l’assimilation du terme de « Franc » avec celui de « Français », car tous ne le sont pas. Les « Francs » étaient pour les Byzantins les sujets de l’Empire carolingien, ce qui constitue une vaste aire géographique, alors que le terme de « Latins » désigne tous les chrétiens de rite romain venus d’Occident : une référence étant géographique et politique, l’autre étant religieuse, voir J. Koder, « Latinoi. The image of the others according the Greek sources », Bisanzio, Venezia e il monde franco-greco (xii-xv secolo), Atti del colloquio internazionale organizzato nel centenario della nascita di Raymond-Joseph Loenertz o.p., Venezia, 1-2 dicembre 2000, éd. C. A. Maltezou, P. Schreiner, Venise, 2002, p. 38-39 ; A. V. Murray, « The origins of the frankish nobility of the kingdom of Jerusalem », Mediterranean Historical Review, 4 (1989), no 2, p. 295 ; J. Richard, « Le pouvoir franc en Méditerranée orientale », La France et la Méditerranée : vingt-sept siècles d’interdépendance, Leyde, 1990, repris dans Id., Croisades et États latins d’Orient, Aldershot, 1992, p. 77.
23 Romanzis IX, liber unus qui in principio intitulatur Genes, constitutiones Regni. Volumen unum in quo est libellas Rofredi super iure civili et libellus eius super iure canonico, et liber Goffredi de Trano, Tacuinum unum, liber medicinalis unus qui est quaterni (sic) IV, liber grecus unus, libellus unus de modo medendi […] summaAczonis una, Decretum unum, liberDecretalium unus. Romanzi v, breviarum unum, cronica una, Biblia una, par de bilangiis unum (I Registri della cancellaria angioina, éd. R. Filangieri, Naples, 1976, t. 24, p. 176-177, no 188).
24 G. Hasenhor, « L’essor des bibliothèques privées aux xive-xve siècles », Histoire des bibliothèques françaises, éd. A. Vernet, Paris, 1989, p. 242.
25 Ce juriste apparaît dans l’entourage de Frédéric II dès les années 1220, voir E. Kantorowicz, L’empereur Frédéric II, Paris, 1987, p. 106. On retrouve ces ouvrages dans l’inventaire de la bibliothèque de Saint-Victor (D. Nebbiai, La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille, xi-xve siècles, Paris, 2005, R 356, R 410, Pb 87, Pb 96, R 357).
26 On retrouve ces mêmes ouvrages dans les inventaires de Saint-Victor et de Pontigny, cf. D. Nebbiai, ibid., Arbis 21, R 323, R 325, R 368, R 391, R 392, Pb 32, Pb 37, Pb 53, Pb 55, Pb 59, Pb 81, Pb 136 ; M. Peyrafort-Huin, La bibliothèque médiévale de l’abbaye de Pontigny (xiie-xixe siècles). Histoire, inventaires anciens, manuscrits, Paris, 2001, C 161, E 124, G 238, H 122, I 163.
27 J. Gaudemet, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science du droit, 2e éd., Paris, 1999, p. 309.
28 L’attribution en est incertaine, mais l’auteur est lié à la chancellerie royale normande, nettement hostile à Guillaume Ier (R.-H. Bautier, « Chancellerie et culture au Moyen Âge », Cancellaria e cultura nel Medio Evo. Comunicazioni presentate nelle giornate di studio della commissione. Stoccarda, 29-30 agosto 1985. xvi Congresso Internazionale di Scienze Storiche, dir. G. Gualdo, Vatican, 1990, p. 13).
29 Longtemps attribuée à tort à Gérard de Solo, l’un des maîtres montpelliérains du début du xive siècle, cf. A.-S. Guénoun, « Gérard de Solo et son œuvre médicale », L’université de médecine de Montpellier et son rayonnement (xiiie-xve siècles). Actes du colloque international de Montpellier, 2001, dir. D. Le Blévec, Turnhout, 2004, p. 73). Un exemplaire de cette Summa de modo medendi attribuée à Gérard de Montpellier se trouve à Saint-Victor (Nebbiai, La bibliothèque…, op. cit. n. 25, p. 157).
30 Le système de la pecia, mis en place à partir du xiiie siècle, utilise un feuillet détaché, généralement un cahier, d’un ouvrage reproduit à partir d’un exemplar, destiné à être emprunté ou loué afin d’en faciliter la consultation ou la copie (C. Beaune, Education et culture du début du xiie siècle au milieu du xve siècle, Paris, 1999, p. 163). Dans son écrit, Charles Ier emploie le mot « essemplaire » (P. Durrieu, A. de Boüard, Documents en français des Archives angevines de Naples, t. 1, Mandements aux trésoriers, Paris, 1933, p. 110, 140).
31 Ibid., p. 138, 139-140.
32 Il fait des discours en grec, notamment à l’empereur Michel Paléologue, cf. Le Livre de la conqueste de la princée de l’Amorée, Chronique de Morée (1204-1305), éd. J. Longnon, Paris, 1911, § 308.
33 Au xve siècle, la moyenne du nombre de livres dans les bibliothèques des hommes de loi est d’une soixantaine (Hasenhor, « L’essor des bibliothèques », loc. cit. n. 24, p. 239).
34 The Chronicle of Morea, éd. J. Schmitt, Londres, 1904, v. 4404 ; Chronique de Morée, éd. R. Bouchet, Paris, 2005, p. 166.
35 Il en est ainsi lors du procès de Marguerite de Passavant dans les années 1270 (Le livre de la conqueste…, op. cit. n. 32, § 516-517).
36 D. Jacoby, « Knightly values and class consciousness in the crusaders States of Eastern Mediterranean », Mediterranean Historical Review, 1 (1986), repris dans Id., Studies on Crusaders States and on the Venetian Expansion, Northampton, 1989, p. 165.
37 Sur Pierre de La Vigne, chancelier de Frédéric II, voir Kantorowicz, L’empereur…, op. cit. n. 25, p. 275 sq.
38 Ibn Khaldūn, Prolégomènes, trad. De Slane, Paris, 1927, t. 2, p. 61.
39 Ibn Abī Zar’, Rawḍ al-Qirṭās, Fès, 1886, p. 154.
40 Hulal al-mawšiyya, éd. S. Zakkār, A. Al-Qādir Zemāma, Casablanca, 1979, p. 30.
41 Ce fait n’implique pas nécessairement l’absence de la ‘alāma à l’époque almoravide. Il est fort probable que les documents signés par Yūsuf b. Tāšfīn aient disparu.
42 C’est-à-dire la formule bi-smi Llāh al-raḥmān al-raḥīm (« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux »).
43 Soit la formule ṣallâ Allāh ‘ālâ Muḥammad wa… (« Que Dieu bénisse Muhammad et… »).
44 Ibn Khaldün, Prolégomènes, op. cit. n. 38, p. 61.
45 ‘Abd al-’Azīz ‘Abd al-Maǧîd, Ibn al-Abbār, ḥayātu-hu wa kutubu-hu, Rabat, 1951, p. 155.
46 « La même formule de ‘alāma devait, après les Almohades, être conservée par les Mérinides, et, bien entendu, aussi par les Hafsides d’Ifriqiya ; ceux-ci toutefois ajoutèrent à la ḥamdala les mots wa-al-shukru li-llāh (“et la reconnaissance est à Allah !”) […] Quand aux Nasrides de Grenade, on sait qu’ils prirent au xive siècle comme formule de ‘alāma la devise bien connue là gâliba illā ‘llāh, “il n’y a d’autre vainqueur qu’Allāh !”, qui figurait sur leur blason et qu’on peut lire encore sur des centaines de motifs décoratifs à l’Alhambra » (É. Lévi-Provençal, « Recueil de lettres almohades, étude diplomatique et historique », Hespéris, 28 [1941], p. 18-19).
47 « La ḥamdala des chérifs saadiens ne servit pas seulement à authentifier leurs écrits ; elle devint la marque distinctive et héréditaire de leur dynastie ; on la grava sur le bronze des canons et sur les pièces de monnaie ; elle forma le type de tàba dont par la suite ils timbrèrent leurs actes ; elle fut répétée à profusion dans leurs palais, sur les revêtements en plâtre comme sur les lambris de céramique. Elle constituait pour eux de véritables armoiries, et cela apparaît clairement sur une grande vue de Marrakech faite en 1641 par le peintre hollandais Adrian Matham, qui accompagnait l’ambassadeur des Provinces-Unies, Antoine de Liedekerke. L’artiste a intitulé son œuvre Palacium magni regis Maroci, titre qui se lit sur une banderole placée au haut du dessin. Mathan a, en outre, figuré à droite et à gauche deux médaillons avec les portraits du sultan et de l’ambassadeur ; enfin, aux deux angles supérieurs du dessin et du même côté que chacun des portraits, il a représenté un écu ; sur celui de droite, près du médaillon de l’ambassadeur, sont figurés les armes de Liedekerke, tandis que, sur celui de gauche on voit la ḥamdala saadienne » (H. de Castries, « Les signes de validation des chérifs saadiens », Hespéris, 1 [1921], p. 246).
48 Lévi-Provençal, « Recueil des lettres almohades… », loc. cit. n. 46, p. 19.
49 ‘Abd al-Ṣàḍiq al-Mazwārī al-Glāoui, Abī al-Ḥāǧǧ al-Thāmī al-Glāwī, al-awba, Rabat, s. d. L’ouvrage du fils de l’ancien pacha de Marrakech rappelle certaines sources des rois des Taifas, notamment les Mémoires du prince ziride de la Taifa berbère de Grenade, les Mudakkirāt al-amīr ‘AbdAllāh ou al-ṭibyān. L’auteur manifeste une claire volonté de se réhabiliter. L’ouvrage évoque la période allant de 1954 à 1957 et réaffirme la loyauté et la fidélité de l’ancien gouverneur de Marrakech aux sultans alaouites (p. 352-362).
50 Dans l’ouvrage de ‘Abd al-Ṣāḍiq al-Mazwārī al-Glāoui, figure une lettre d’Ibn ‘Arafa, le nouveau sultan du Maroc, en 1953, adressée au président de la République française. La lettre est très bien conçue : elle dispose d’une ‘alāma, et l’expression al-ḥamdu li-Llāh waḥda-hu apparaît en haut à droite du document. À gauche, on trouve la formule wa lā yadūmu illā mulku-hu (« Seul le règne de Dieu est éternel ! »). Vient ensuite l’adresse dans laquelle le destinataire est désigné par son laqab, al-Mutawakkil ‘alā Allāh, introduit par une formule, elle aussi, « almohade » : amïr al-mu’minīn b. ḫalifat amīr al-mu’minīn, b. amīr al-mu’minīn b. amīr al-mu’minīn b. amïr al-mu’minīn, c’est-àdire « fils du prince des croyants, fils du calife, prince des croyants, fils du prince des croyants » (ibid., p. 390).
51 « Ce fut le sultan Ya’qūb al-Manṣūr (1184-1199) qui, le premier, écrivit de sa main la ḥamdala en tête de ses lettres. L’usage s’en répandit rapidement dans son empire, qui s’étendait des Pyrénées à l’Égypte, et de là dans tous les pays de l’Islam. Aujourd’hui, c’est presque par un réflexe que les musulmans commencent par cette invocation l’écrit le plus insignifiant » (Castries, « Les signes… », loc. cit. n. 47, p. 246).
52 Al-Mazwārī al-Glāoui, Abï al-Ḥāğğ…, op. cit. n. 49, p. 362.
53 L’ensemble de la correspondance entre la papauté et les khans mongols est publiée par K. E. Lupprian, Die Beziebungen der Päpste zu islamischen und mongoliscben Herrschern im 15. Jahrhundert anhand ibres Briefivechsels, Vatican, 1981. Il faut y ajouter les lettres conservées aux Archives nationales, publiées dans A. Mostaert, F. W. Cleaves, Les lettres de 1289 et 1305 des ilkans Argun et Oldjeytü à Philippe le Bel, Cambridge (Mass.), 1962. Pour une étude du contexte et de l’idéologie de ces lettres, voir D. Aigle, « The Letters of Eljigidei, Hülegü and Abaqa : Mongol Overtures or Christian Ventriloquism ? », Inner Asia, 7 (2005), no 2, p. 143-162 ; P. Jackson, The Mongols and the West, Harlow, 2005 ; et J. Richard, « La croisade de 1270, premier “passage général” ? », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, an. 1989 (1989), Paris, p. 510-523, repris dans Id., Croisades et États latins d’Orient, Aldershot, 1992.
54 Lettre, encore inédite, qui devrait être publiée dans un prochain numéro spécial de la revue Oriente Moderne, dirigé par Denise Aigle et Pascal Buresi, et consacré aux échanges diplomatiques entre chrétienté et pays d’islam, xie-xvie siècle.
55 J. Richard, « Les papes d’Avignon et l’évangélisation du monde non latin à la veille du Grand Schisme », Genèse et débuts du Grand Schisme d’Occident, Avignon, 1978, Paris, 1980, p. 305-317, repris dans Id., Croisés, missionnaires et voyageurs : les perspectives orientales du monde latin médiéval, Aldershot, 1983 ; J. Muldoon, « The Avignon Papacy and the Frontiers of Christendom : The Evidence of Vatican Register 62 », Archivium Historiae Pontificae, 17 (1969), p. 125-195, repris dans Id., Canon Law, the Expansion of Europe, and the World Order, Aldershot, 1998.
Notes de fin
1 Emmanuel Huertas a soutenu, le 14 novembre 2008, à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, une thèse de doctorat intitulée « La rente foncière à Pistoia (xie-xiie siècle). Techniques notariales et histoire économique », sous la direction du Pr. Laurent Feller.
2 Isabelle Ortega a soutenu, le 29 novembre 2008, à l’université Montpellier 3, une thèse de doctorat intitulée « Les lignages nobiliaires dans la Morée latine (xiiie-xve siècle). Permanences et mutations », sous la direction du Pr. Gilles Grivaud et du Pr. Gérard Dédéyan.
3 Hicham El Aallaoui a soutenu, le 28 juin 2007, à l'université Lyon 2, une thèse de doctorat intitulée « L’art du secrétaire entre littérature et politique. Les actes des chancelleries almoravide et almohade (Maghreb et al-Andalus, fin xie-fin xiiie siècle) », sous la direction du Pr. Pierre Guichard. Cette communication s’intègre dans le cadre du projet ANR intitulé « Diplomatique, prosopographie et droit dans l’Islam médiéval occidental. Les documents de la chancellerie almohade : traduction et étude », dirigé par Pascal Buresi (CNRS). Participent aussi à ce projet Abdelhamid Fénina (univ. Tunis 1), Abdallah Fili (univ. d’al-Jadida) et Élise Voguet (univ. Toulouse 2).
4 Thomas Tanase prépare une thèse de doctorat sur « Les Mongols, les franciscains et l’ouverture de l’Asie aux Occidentaux, xiiie-xve siècles », sous la direction du Pr. Michel Balard (univ. Paris 1).
Auteurs
Professeur d’histoire médiévale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Orient et Méditerranée (CNRS, UMR 8167)
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
LAMOP (CNRS, UMR 8589)
Orient et Méditerranée (CNRS, UMR 8167)
Université de Nîmes
CREPMA (EA 4207), Montpellier
École française de Rome
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Orient et Méditerranée (CNRS, UMR 8167)
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (dir.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010