Place et traitement des enjeux de mobilité sûre et durable dans les agendas politiques locaux
Une analyse des professions de foi des listes candidates aux élections municipales de 2014 dans les agglomérations de Caen et Strasbourg
p. 47-70
Texte intégral
1Quelle place occupe l’enjeu « mobilité durable » dans les discours politiques locaux et quelles sont les chaînes argumentaires mobilisées quand il est affiché comme une priorité ? Cet article propose d’étudier la place et le traitement des enjeux liés à la mobilité durable dans les campagnes électorales. Il repose sur l’analyse des professions de foi des listes candidates aux élections municipales de 2014 dans les communes des agglomérations de Caen et Strasbourg, territoires étudiés par ailleurs dans d’autres articles de cet ouvrage. Il met en lumière des tendances lourdes quant au cadrage de ces enjeux et révèle les ambivalences des discours qui vont façonner l’action publique en matière de mobilité sûre et durable.
Introduction
2Les enjeux de la mobilité durable occupent une place de choix dans les agendas politiques locaux. La place de l’automobile en ville est remise en question et les injonctions, slogans, mots d’ordre sont nombreux pour inciter les citadins à utiliser les nouvelles offres de mobilité alternatives à l’automobile mises à leur disposition. On peut notamment appréhender cette montée en puissance des enjeux et des politiques en faveur de la mobilité durable à travers l’évolution des budgets dédiés aux transports publics (Faivre d’Arcier, 2003), à travers l’examen de l’évolution de la planification des déplacements urbains (Reigner et al., 2009), à travers encore, le déploiement spatial des aménagements de la mobilité durable. Dans le présent article, nous proposons d’étudier la place et le traitement des enjeux liés à la mobilité à partir des discours tenus à l’occasion des campagnes électorales. Pourquoi s’intéresser à ce type de matériau et à ces moments singuliers que sont les campagnes électorales ? Quels cadres d’analyse fondent ce type d’approche ? Quelles hypothèses guident cette enquête ?
3S’agissant du cadre d’analyse qui fonde cette enquête, nous défendons l’idée selon laquelle les discours sont à prendre au sérieux en ce qu’ils sont porteurs de représentations, de valeurs, de cadres cognitifs (Muller, 1994), de « récits » (Radaelli, 2000) qui vont façonner l’espace des possibles de l’action. Ces discours ne sont pas que discours. Ils sont des programmes politiques qui projettent des politiques publiques. Ils sont des répertoires cognitifs et argumentatifs dans lesquels puisent les acteurs pour construire et légitimer l’action. De ce point de vue, les campagnes électorales sont des moments singuliers où sont formalisés des discours électoraux dont la teneur mérite examen. L’échelle que nous avons privilégiée est celle des campagnes municipales. Après avoir beaucoup travaillé sur la planification des déplacements urbains (Reigner et Hernandez, 2007 ; Reigner et al., 2013), nous avons privilégié l’échelle des scrutins municipaux pour ce projet complémentaire visant à saisir la place et le traitement des enjeux de mobilité durable dans les agendas politiques locaux par le biais du discours politique. Même si, juridiquement, les compétences (voiries, stationnement, etc.) ont eu tendance à être transférées des communes vers les groupements intercommunaux et alors même que ces politiques intercommunales ne sont pas toujours pleinement intégrées aux débats qui structurent les campagnes municipales (Le Saout, 2009 ; Le Saout et Vignon, 2015), cette échelle reste la plus pertinente pour notre entreprise1.
4L’hypothèse centrale qui guide l’analyse de ces discours tenus localement sur la mobilité durable est que l’amélioration de l’offre de services ou d’infrastructures de mobilité alternatives à l’automobile ne peut suffire à amorcer une transition vers des mobilités moins carbonées. En effet, la suprématie automobile est très souvent présentée comme une conséquence d’un déficit d’alternatives. La solution consisterait alors à rétablir les conditions du choix du mode en augmentant l’offre en modes alternatifs (transports en commun, et plus récemment autopartage de véhicules électriques) et en favorisant les modes doux (marche à pied et bicyclette). Or, on partage avec d’autres (Dupuy, 2006 ; Sheller et Urry, 2000) l’idée selon laquelle il est indispensable de contraindre et freiner le mode routier pour renforcer l’attractivité des offres alternatives à l’automobile. Autrement dit, les politiques en faveur de la mobilité durable ne peuvent faire l’économie de s’attaquer au mode routier, à son avantage comparatif, à son monopole radical sans quoi elles risquent fort d’être vaines2. Ce faisant, il s’agit de s’émanciper du paradigme du « libre choix modal » pour reconnaître la force d’un système automobile dont nos sociétés urbaines contemporaines sont issues. Cette hypothèse guide l’analyse et l’exploitation de nos matériaux. En effet, si les discours les plus visibles sont nombreux à mettre en avant la promotion du vélo, du tramway pour des centres-villes pacifiés et libérés de l’automobile, force est de constater que ces mesures sont annoncées à la condition de pouvoir reporter le trafic automobile sur des infrastructures routières performantes, parfois nouvelles, souvent requalifiées, toujours plus périphériques. Cette ambivalence des politiques de transport et de déplacements, qui oblitère d’emblée leur potentielle soutenabilité future, a été tout particulièrement recherchée dans les corpus constitués.
5Une précédente enquête a été conduite lors des municipales de mars 2008. Ce scrutin a constitué une première occasion de prendre la mesure de l’appropriation des enjeux de transports et de mobilité durable dans le discours politique. L’analyse a porté sur un corpus constitué de 65 documents de campagne (programmes électoraux récoltés sur internet et blogs des candidats) produits par les « grandes listes » dans 33 villes françaises de plus de 100 000 habitants (Busson, 2009). Il s’est agi, de façon qualitative, de dresser un tableau décrivant la substance, le cadrage des discours relatifs aux politiques de déplacement. Suivant le postulat précédemment présenté, cette enquête s’est attachée à identifier et à rendre compte du sort projeté des infrastructures routières. Le principal résultat de l’enquête est que le mode routier est peu présent dans les discours, effacé derrière l’annonce de mesures visant à améliorer les offres de « mobilité durable ». Le discours type est donc modelé par le paradigme du libre choix modal. Quand le mode routier est mentionné, il est rattaché à des enjeux d’accessibilité et de soutien à l’activité économique, hors du chapitre « transport-déplacements ». C’est alors au sein du volet « économie-emploi » que sont mentionnés les projets d’infrastructures rapides. Ces différentes affectations thématiques permettent de faire fonctionner le consensus en combinant les exigences du développement durable grâce à l’amélioration d’une offre alternative à l’automobile (souvent dans les espaces les plus centraux des villes) avec celles de l’efficacité économique grâce à des infrastructures routières performantes et rapides (souvent dans les espaces plus périphériques : rocades, contournement, échangeurs…).
6Les élections municipales de 2014 ont fourni l’occasion de renouveler l’enquête en systématisant l’approche et la méthodologie, avec l’intention de suivre la trajectoire des enjeux de mobilité durable dans les agendas politiques locaux, à intervalles réguliers3. Les professions de foi sont apparues comme des documents permettant cette systématisation. En effet, encadré juridiquement dans leur format par l’article 29 du Code électoral, elles présentent l’intérêt d’être déposées en préfecture et d’être consultables publiquement4. Cette caractéristique fait des professions de foi un document sur la base duquel il est donc possible de construire des échantillons quasi exhaustifs… en théorie du moins5. Très synthétiques (un recto-verso), elles ne permettent pas d’entrer dans le détail des projets mais fournissent en revanche un accès rapide aux priorités politiques et aux principaux arguments et motivations qui les fondent. Elles offrent enfin la possibilité de combiner des traitements quantitatifs sur des effectifs importants et des traitements qualitatifs sur certaines variables. Elles permettent en effet de tester l’influence de différentes variables (couleur politique, taille de la commune, localisation dans l’agglomération notamment) sur l’éventuelle différenciation du traitement des enjeux de mobilité durable entre les communes.
Terrains et construction des échantillons
7Le présent article porte sur deux terrains : les agglomérations de Caen et Strasbourg.
8La Communauté d’agglomération (CA) du Grand Caen voit le jour en 2002. En 2004, elle est renommée « Communauté d’agglomération de Caen la Mer ». Au moment des élections municipales de 2014, elle rassemble 35 communes et 242 615 habitants6.
9L’intercommunalité est plus ancienne et plus intégrée dans l’agglomération de Strasbourg. La communauté urbaine (CU) de Strasbourg est créée dès 1966. Au moment des élections municipales de 2014, elle regroupe 28 communes et 480 731 habitants7.
10Pour ces deux agglomérations, les contacts pour collecter les professions de foi (PF) ont été pris auprès des services préfectoraux. La préfecture du Bas-Rhin a transmis la quasi-totalité des PF (78 sur 79) directement sous la forme de fichiers électroniques. La préfecture du Calvados nous a orientés vers les archives départementales où ont été scannées les PF existantes en format papier (62 sur 68). Sans être exhaustif, le corpus constitué est de bonne qualité.
Tableau 1 Effectifs des échantillons
CA de Caen la Mer | CU de Strasbourg | |
Nombre de communes dans l’intercommunalité | 35 | 28 |
Nombre de listes ayant déposé une profession de foi aux élections municipales | 68 | 79 |
Nombre de professions de foi récoltées | 62 | 78 |
Pourcentage de professions de foi récoltées | 91 % | 98 % |
La mobilité dans les professions de foi : dans quelle mesure en parle-t-on ?
11Lors de la première lecture des professions de foi, les PF qui parlent effectivement de mobilité ont été distinguées de celles qui n’en parlent pas du tout, et ce pour chaque intercommunalité. Pour ce faire, les expressions et les parties de phrase qui font directement référence à la mobilité ont été repérées.
12Le thème de la mobilité est évoqué dans près de 60 % des PF des listes aux municipales dans la CA de Caen et dans près de 70 % dans la CU de Strasbourg. C’est un premier résultat qui conforte l’hypothèse de l’importance de ces enjeux à l’échelle municipale. Globalement, on remarque que plus la taille de la commune augmente, plus les candidats aux élections municipales placent la mobilité comme l’un des enjeux phares de leur programme politique. Le second résultat est que la variable partisane n’est pas une variable explicative de cette absence ou cette présence des enjeux de mobilité dans les PF. Aucune couleur politique de liste n’est en effet significativement surreprésentée ou sous-représentée s’agissant de la présence ou de l’absence des enjeux de mobilité dans les PF.
Tableau 2 Effectifs des professions de foi évoquant la mobilité
CA de Caen la Mer | CU de Strasbourg | |
Nombre de PF | 62 | 78 |
Nombre de PF évoquant la mobilité | 37 | 54 |
Pourcentage de PF évoquant la mobilité | 59,7 % | 69,2 % |
13Concernant la nature des propositions faites, il est ressorti de l’analyse qualitative de l’échantillon que deux modalités d’évocation de la mobilité émergent nettement. D’une part, il est des cas où la mention des enjeux de mobilité s’inscrit dans un propos qui reste assez général quand d’autres renvoient à des mesures ou à des projets beaucoup plus concrets. Majoritairement, dans l’agglomération de Caen, c’est le registre des grandes orientations qui domine. Ce sont des propositions très générales qui peuvent s’appliquer à n’importe quelle commune et s’inscrivent dans une tendance floue sans évoquer d’actions concrètes. Le registre de la proposition concrète, caractérisée notamment par un ancrage spatial, est mieux représenté au sein de la CU de Strasbourg.
Tableau 3 Exemples de propositions générales et de propositions concrètes relatives à la mobilité8
Registre de la généralité | Registre du projet concret et souvent spatialisé |
« Nous déploierons les modes de transports écologiques afin de préparer l’avenir environnemental de notre commune » Commune de Démouville, CA de Caen la Mer, liste DIV | « Aménagement des voiries : route de Caumont entre le bar et le fleuriste, rue des Jardins, modification des ronds-points de Belle-Vue et de la Test Valley, mise en place de ralentisseurs rue de l’église, avenue de la Haie Hue et sur Belle-Vue, sécurisation du carrefour rue de la Gare, rue Henri Moulin et chemin de la Motte » Commune de Carpiquet, CA de Caen la Mer, liste DIV |
« Améliorer les conditions de circulation, les TC, le réseau cyclable » Commune de Wolfisheim, CU de Strasbourg, liste DIV | « Transformation de l’A35 en boulevard urbain » Commune de Strasbourg, CU de Strasbourg, liste SOC |
14L’analyse a porté plus avant sur les professions de foi au sein desquelles il est fait référence à des projets concrets : quand on parle de mobilité, de quoi parle-t-on au juste ? Pour faire quoi ?
« Réduire la place de l’automobile en ville » : une volonté affichée
15Les discours des candidats aux élections municipales de 2014 sont fortement empreints d’une volonté affichée de réduire la place de l’automobile dans leur commune. L’examen de chacune des professions de foi des communes des intercommunalités de Caen et Strasbourg, traitant de mobilité et formulant des propositions concrètes permet de constater que l’atteinte de cet objectif de réduction de la place de la voiture en ville est envisagée par la mise en œuvre de nouveaux aménagements ou de nouveaux services. De très nombreuses propositions concernent une offre alternative à l’automobile. Pour autant, nous verrons plus avant que l’objectif de « réduction de la place de l’automobile en ville » s’accommode, voire même justifie également de très nombreuses propositions relatives à de nouveaux aménagements et infrastructures routières.
Des propositions structurées par une logique d’offre en faveur de modes de déplacements alternatifs
16Mettre en œuvre un ensemble d’actions pour favoriser d’autres façons de se déplacer figure ainsi dans neuf programmes électoraux sur dix parmi ceux évoquant des propositions concrètes.
17Assez classiquement, cette nouvelle offre est structurée par mode de déplacement : le transport public, les mobilités douces ou actives (vélo, marche), l’automobile partagée.
Améliorer l’offre de transport public
18Le développement des transports en commun pour lutter contre la voiture est la stratégie la plus mobilisée par les candidats des intercommunalités de Caen et de Strasbourg. Quelles que soient la taille de la commune et sa localisation dans l’agglomération (périphérique ou plus centrale), nombreux sont les candidats aux élections municipales qui proposent une amélioration du service de bus ou de tramway.
19Nous avons identifié quatre déclinaisons de l’amélioration de l’offre en faveur des transports en commun. Il s’agit souvent d’intervenir sur les réseaux existants pour améliorer la desserte de la commune par l’extension et le prolongement de lignes existantes. Les candidats aux élections municipales au sein de la CU de Strasbourg sont nettement plus nombreux que leurs homologues normands à formuler ce type de propositions et ces dernières sont plus précises. Cela nous semble refléter les différences de contexte intercommunal en termes de dynamique d’extension du réseau. Les élus normands ne se risquent pas à des promesses hasardeuses là où leurs homologues alsaciens, même déjà bien desservis à l’échelle de l’agglomération strasbourgeoise, n’hésitent pas à s’avancer sur des compléments de desserte favorables à leur commune. D’autres propositions d’amélioration de l’offre en transport public visent une augmentation des fréquences et cadences de lignes existantes. Une troisième déclinaison de l’amélioration des transports publics est proposée à travers des mesures qui concernent les questions tarifaires et la simplification de la billettique pour l’usager. La gratuité des transports publics est une mesure proposée dans les deux agglomérations. Sur ce sujet, la variable partisane semble peser. En effet, la gratuité est essentiellement portée par des listes apparentées à des partis à gauche de l’échiquier politique. Enfin, quelques propositions concernent la mise en place de petits véhicules électriques (navette, minibus) à l’échelle de la commune, pour une desserte interquartiers qui cible, le plus souvent, les personnes à mobilité réduite (PMR) et les personnes âgées.
Tableau 4 Exemples de propositions concrètes visant une amélioration de l’offre en transport public
CA de Caen la Mer | CU de Strasbourg | |
Amélioration de l’offre par l’extension du réseau | « Prolongement de la ligne de bus vers route de Bayeux » Commune de Carpiquet, liste DIV | « Nous mettons à plat tous les projets urbains notamment ceux liés à l’arrivée du tram (route de Brumath) » Commune de Bischeim, liste UG « Améliorer les dessertes CTS existantes et créer un lien avec les communes de la première couronne en prolongeant les lignes 6 et 6A » Commune de Mundolsheim, liste DVG « Réaliser le tram qui passera dans les friches » Commune de Schiltigheim, liste SOC « Réclamer l’arrivée du tram » Commune de Wolfisheim, liste UMP |
Amélioration des fréquences et cadencement | « Augmenter la fréquence des TC » Commune de Verson, liste DIV | « Appuyer la démarche d’amélioration de la desserte et la révision du cadencement des transports en commun » Commune de Geispolsheim, liste UMP |
Amélioration de l’offre tarifaire ou billettique | « Transports gratuits le samedi » Commune de Caen, liste UC « Gratuité des transports en régie publique » Commune de Caen, liste DVG | « Promouvoir le ticket unique bus-train » Commune de Mundolsheim, liste DVG « Instaurer la gratuité pour une réelle liberté de déplacements pour tous et favorable au mieux vivre ensemble » Commune de Schiltigheim, liste FG |
Amélioration par l’offre de petites navettes électriques | « Minibus électriques entre les quartiers » Commune de Mondeville, liste DIV | « Mettre en place des navettes électriques dans les quartiers non desservis par les TC » Commune de Illkirch-Graffenstaden, liste UD |
Améliorer l’offre en cheminements piétons et cyclables sûrs
20Les propositions relatives aux mobilités douces, regroupant la pratique du vélo et de la marche à pied, sont bien représentées dans l’échantillon de projets repérés dans les professions de foi. Là encore, nous avons cherché à identifier la façon dont sont déclinées les propositions en faveur d’une amélioration de l’offre à destination des piétons et des cyclistes. Trois sous-ensembles émergent. Classiquement, comme pour les transports publics, il s’agit d’offrir à ces usagers (cyclistes ou piétons) un réseau étendu et garantissant des continuités. Les trames vertes, voies vertes, coulées vertes sont les outils mobilisés pour ce faire. Un second ensemble de mesures renvoient à des aménagements plus ponctuels de l’espace public et à la mise en place d’équipements sur ces espaces. Dans la CA de Caen la Mer, la question de la réfection des trottoirs pour le confort des piétons est un sujet soulevé dans de nombreuses communes. Dans la CU de Strasbourg, s’y ajoutent, par exemple, des propositions relatives à l’installation d’arceaux à vélo. Enfin, cette amélioration de l’offre pour les piétons et les cyclistes mobilise fortement le registre de la sécurisation de ces modes de déplacements. Il est à noter que les propositions en la matière sont rarement précises. Il semble par ailleurs supposé dans les professions de foi que le simple fait d’offrir de nouveaux espaces à ces modes suffit à assurer leur sécurité « à l’abri du risque automobile ».
Tableau 5 Exemples de propositions concrètes visant une amélioration de l’offre en cheminements piétons et cyclables sûrs
CA de Caen la Mer | CU de Strasbourg | |
Offre de réseau | « Systématiser et rendre plus identifiables les voies réservées aux piétons et cyclistes dans tous les quartiers » Commune de Bénouville, liste DIV « Nouvelle piste cyclable rue Lionel Terray » Commune de Giberville, liste UG « Centre-ville 100 % piéton » Commune de Caen, liste VEC | « Création d’un espace cyclable entre Blaesheim et Entzheim » Commune de Blaesheim, liste DVD « Développer une trame verte dédiée aux piétons et cyclistes » Commune d’Ostwald, liste UD « Créer un parcours sportif intergénérationnel » Commune de Reichstett, liste UMP |
Offre d’aménagements et équipements | « Programme de rénovations des trottoirs » Commune de Cuverville, liste DIV « Réfections de voiries et trottoirs » Commune de Giberville, liste UG | « Poursuivre l’installation des arceaux à vélo, notamment à proximité des transports en commun » Commune de Geispolsheim, liste UMP « [aménager] des trottoirs sécurisés tout en tenant compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap et des personnes âgées » Commune de Lingolsheim, liste SOC |
Offre en sécurisation | « Améliorer le plan de circulation afin de partager la voirie en toute sécurité » Commune de Lion-sur-mer, liste DIV « Créer des coulées vertes permettant la pratique des loisirs, sports et randonnées de façon sécurisée à l’abri du risque automobile » Commune de Mathieu, liste DIV « Aménagement du centre-bourg pour sécuriser piétons et cyclistes » Commune de Tourville-sur-Odon, liste DIV | « Développer un réseau de pistes cyclables sécurisé et continu » Commune d’Eckbolsheim, liste DVD « Renforcer la sécurité des déplacements à vélo et piétonniers » Commune d’Holtzheim, liste DIV « Favoriser les déplacements doux et sécuriser nos axes de circulation » Commune de Lampertheim, liste UMP |
Améliorer l’offre pour partager l’automobile : covoiturage et autopartage
21Les propositions d’amélioration de l’offre d’autopartage ou de covoiturage, bien que moins nombreuses que celles en faveur des transports publics et des mobilités douces, sont néanmoins présentes dans notre échantillon de professions de foi. L’amélioration du service d’autopartage par l’extension du nombre de stations est un sujet au sein de la CU de Strasbourg. S’agissant du covoiturage, il s’agit le plus souvent d’offrir une station, plateforme ou parking pour faciliter cette pratique. Une proposition, à Caen, évoque le projet de voiries routières réservées à des véhicules contenant plusieurs personnes, qu’il s’agisse de transport en commun ou de covoiturage.
Tableau 6 Exemples de propositions concrètes visant une amélioration de l’offre pour partager l’automobile
CA de Caen la mer | CU de Strasbourg | |
Autopartage | « CITIZ le service d’autopartage passera de 49 à 100 points » Commune de Strasbourg, liste DVD « Ouverture d’une seconde station d’autopartage » Commune de Hoenheim, liste DVD | |
Covoiturage | « Réserver 15 km de voies aux bus et au covoiturage » Commune de Caen, liste VEC « Développer des parkings-relais, le covoiturage » Commune de Verson, liste DIV | « Développer une plateforme de covoiturage » Commune de Souffelweyersheim, liste DVD « Mettre en place une station de covoiturage » Commune de Geispolsheim, liste UMP |
22Les stratégies des candidats aux municipales de 2014 dans la CA de Caen et la CU de Strasbourg pour réduire la place de la voiture en ville mobilisent sensiblement les mêmes outils, projets et cadrages des enjeux. Cependant, on perçoit dans la variété, le degré de précision et la combinaison des propositions des élus alsaciens le fait qu’ils évoluent dans une agglomération où l’offre existante en mobilité alternative à l’automobile est plus structurée et plus forte que celle de leurs homologues normands. Cela étant, on constate aussi que les propositions les plus variées, précises et combinées ont tendance à être émises par des listes présentes dans des communes plutôt peuplées, plutôt centrales dans l’agglomération et traversées par des réseaux de transport (tracé de lignes de tramway, d’axes routiers importants) ainsi que par des nœuds et points de rencontre entre ces réseaux (propices à des plateformes multimodales). Ainsi, dans la CU de Strasbourg, cela concerne les communes de Strasbourg, Geispolsheim, Hoenheim et Ostwald. Au sein de la CA de Caen la Mer, cela concerne Caen, Bretteville-sur-Odon et Hérouville-Saint-Clair.
23Au côté des propositions d’amélioration de l’offre en modes alternatifs, nombreuses et fortement mises en avant dans un contexte de promotion de la mobilité durable, des projets d’aménagement de voiries ou de création de nouvelles infrastructures routières sont également évoqués pour « réduire la place de l’automobile en ville ».
Des aménagements routiers pour expulser le trafic de transit indésirable et préserver la circulation liée à la vie locale
24Nous avons cherché à analyser notre corpus de professions de foi en repérant puis en catégorisant les propositions relatives aux aménagements routiers.
25« Réduire les bouchons ainsi que le trafic de transit […] et apaiser la circulation dans nos quartiers » (commune d’Ostwald, liste PS, CU de Strasbourg), voilà qui synthétise bien les mesures proposées par des candidats qui se posent en protecteurs représentant les intérêts de leur commune. Ce ne sont donc pas toutes les automobiles qui sont ciblées par des mesures restrictives, au nom d’une mobilité plus durable. Les argumentaires sont structurés autour d’un clivage qui oppose les véhicules en transit et les véhicules de la vie locale. C’est à l’échelle du centre-bourg ou du centre-ville que s’opère cette distinction entre ce qui est « transit » et ce qui est « vie locale ». Le traitement de la question du stationnement est particulièrement révélateur de ce tri opéré entre le mauvais trafic automobile et la bonne circulation nécessaire à la vie locale.
Se protéger du trafic de transit et de ses nuisances
26Nettement, l’objectif de « limiter le trafic dans nos rues » (commune de Fegersheim, liste DVD) en ciblant plus particulièrement une « Diminution du trafic de transit » (commune de Wolfisheim, liste UMP, CU de Strasbourg) et une moindre exposition à ses nuisances est l’objectif central et premier des candidats aux élections municipales de 2014.
27Nous avons ordonné les propositions repérées dans les professions de foi autour de cet objectif en quatre catégories : canaliser les flux de transit grâce à des plans de circulation et la mise en place d’itinéraires routiers de contournement, enfouir l’automobile en transit dans des infrastructures souterraines, réglementer le trafic de transit, aménager pour limiter les nuisances du trafic de transit. Le tableau suivant organise de la sorte quelques exemples de propositions repérées dans les professions de foi.
Tableau 7 Exemples de propositions concrètes visant à protéger les centres-villes du trafic de transit
CA de Caen la Mer | CU de Strasbourg | |
Canaliser les flux de transit : plans de circulation et itinéraires de contournement | « Continuité du plan de circulation » Commune de Giberville, liste UG « Mise en place d’un plan de circulation » Commune d’Eterville, liste DIV « Améliorer le plan de circulation afin de partager la voirie en toute sécurité » Commune de Lion-sur-Mer, liste DIV | « Reprendre les négociations pour aboutir au contournement d’Eckbolsheim » Commune d’Eckbolsheim, liste DVD « Nous réexaminerons les plans de circulation en concertation avec les habitants » Commune de Schiltigheim, liste UMP « Création d’un petit contournement » Commune de Vendenheim, liste DVD |
Enfouir l’automobile en transit | « S’engager pour la mise en souterrain de la RD 1083 » Commune de Fegersheim, liste DVD | |
Réglementer le trafic de transit | « Faire strictement appliquer l’interdiction de transit des poids lourds » Commune d’Eschau, liste DVD « Étude de faisabilité pour […] le respect des limitations de vitesse et des interdictions (poids lourds plus de 12 tonnes) » Commune de Bischheim, liste UDI | |
Aménager pour limiter les nuisances | « Atténuer le bruit de la «4 voies» » Commune de Mathieu, liste DIV | « Les nuisances sonores dues aux trafics : nous préconisons une étude de faisabilité pour la mise en place de murs antibruit » Commune de Bischheim, liste UDI |
« Apaiser la circulation » dans les centres-villes ou centres-bourgs
28Une fois ces espaces délestés des véhicules en transit, il s’agit alors d’organiser la circulation « pacifiée » et « apaisée » dans les centres-villes et centres-bourgs. Nous avons identifié trois catégories de propositions, parfois combinées. Nombreuses sont les propositions qui évoquent la requalification et la rénovation des voiries pour en faire des « axes de vie », en atténuant leurs caractéristiques routières, en améliorant leur insertion urbaine pour faciliter la cohabitation de l’automobile avec d’autres usagers de l’espace public. Étroitement liées à cette première catégorie, des mesures plus précises, ponctuelles ou spatialement circonscrites en faveur du ralentissement sont alors avancées. Elles mêlent souvent les outils de l’aménagement et ceux de la réglementation : zones 30, ralentisseurs, promotion du code de la rue, par exemple. Pour parachever cet apaisement de la circulation, quelques professions de foi font explicitement mention du déploiement de dispositifs de contrôle des vitesses de circulation au moyen de radars.
Tableau 8 Exemples de propositions concrètes visant à « apaiser la circulation » dans les centres-villes
CA de Caen la Mer | CU de Strasbourg | |
Requalifier les voiries | « Transformer la route de Bretagne en axe de vie grâce à un projet qui prend en compte le commerce local, le stationnement des riverains et les différents modes de déplacement » Commune de Bretteville-sur-Odon, liste DVG « Rénover et entretenir les voiries » Commune d’Etervielle, liste DIV | « Améliorer le cadre de vie, au cœur de ville et des quartiers » Commune d’Ostwald, liste UD « Transformation de l’A35 en boulevard urbain » Commune de Strasbourg, liste SOC |
Ralentir par l’aménagement et la réglementation | « Mise en place de ralentisseurs rue de l’Église, avenue de la Haie Hue et sur Belle-vue » Commune de Carpiquet, liste DIV « Instituer des zones 30 dans les lotissements » Commune d’Ifs, liste UD « Aménagements contre la vitesse » Commune de Saint-André-sur-Orne, liste DVG | « Limiter la vitesse à 40 km/h » Commune de Mundolsheim, liste DVD « Généralisation des zones 30, promotion du code de la rue » Commune de Strasbourg, liste VEC |
Ralentir par le contrôle | « Investissement dans des radars » Commune d’Hérouvillette, liste DIV | « Radars pédagogiques et mesures de contrôle de la circulation dans nos quartiers » Commune d’Hoenheim, liste UMP |
Faciliter le stationnement pour les véhicules participant de la vie locale
29Le stationnement est un enjeu très régulièrement mentionné dans notre échantillon de professions de foi. Alors que les discours des candidats aux élections municipales de 2014 sont empreints d’une volonté affichée de réduire la place de l’automobile dans leur commune, il est assez étonnant de constater que cet objectif ne concerne pas la question du stationnement. En effet, l’examen des programmes électoraux révèle que les candidats aux élections municipales, de façon unanime, proposent d’améliorer l’offre de stationnement dans leur commune. Cela confirme bien le fait que la réduction de la place de l’automobile en ville ne concerne que les véhicules en transit. Dès lors qu’il s’agit de la circulation locale, celle des résidents de la commune, celle des usagers des équipements et plus encore celle des clients des commerces de la commune, faciliter le stationnement automobile s’impose (ce qui va dans le sens des analyses de Claux, 2016). Nous avons ainsi identifié quatre catégories de mesures visant à améliorer le stationnement au service de la vie locale. Il peut s’agir, notamment dans les centres-villes des grosses communes, de créer de nouveaux parkings souterrains. Les candidats dans les communes de taille plus modeste proposent quant à eux d’augmenter la capacité de stationnement en surface, particulièrement aux abords des commerces de centres-bourgs. Une autre série de propositions vise à développer les parkings relais dans une logique de promotion de l’intermodalité. Enfin, la gratuité du stationnement est évoquée, souvent au service, elle aussi, de la dynamisation des commerces locaux.
Tableau 9 Exemples de propositions concrètes visant à faciliter le stationnement
CA de Caen la Mer | CU de Strasbourg | |
Augmenter l’offre en centre-ville, en souterrain | « Parking souterrain Fossés St Julien » Commune de Caen, liste UC | « Création d’un parking souterrain place de l’Étoile et place de Bordeaux » Commune de Strasbourg, liste DVD |
Améliorer l’offre en centre-bourg pour les résidents et les commerces | « Conduire une réflexion globale sur le stationnement dans la ville, notamment au centre-ville, afin de renforcer l’offre existante » Commune de Mondeville, liste UG | « Faciliter le stationnement pour les résidents et les clients des commerces » Commune d’Illkirch-Graffenstaden, liste UD « Limiter le stationnement anarchique et créer de nouvelles places de parking à proximité des commerces » Commune d’Ostwald, liste UD |
Augmenter l’offre périphérique au service de la multimodalité | « Développer des parking-relais » Commune de Verson, liste DIV | « Création d’une plate-forme multimodale (train, bus, parking à voitures) » Commune de Lingolsheim, liste SOC |
Proposer la gratuité | « 1 h de stationnement gratuit le samedi » Commune de Caen, liste UC | « Faciliter le stationnement pour les déplacements urbains (nouveau parking centre-ville et parking en voirie gratuit avec disque temps maximum) » Commune de Strasbourg, liste FN |
30Il apparaît nettement, à l’échelle des communes, que les mesures proposées dans les professions de foi cherchent à « donner une place à tous les moyens de déplacement, y compris l’automobile » (commune d’Ifs, CA de Caen la Mer, liste UD). Mais toutes les automobiles ne se valent pas. Les propositions sont structurées autour d’une dichotomie entre l’automobile qu’il faut chasser, celle qui traverse le territoire de la commune en y produisant des nuisances, et l’automobile qu’il faut préserver, celle nécessaire au bon fonctionnement de la vie locale et de celle des habitants. Cette opposition entre « transit » et « vie locale » s’impose comme une sorte d’évidence dans les discours alors qu’elle reflète mal la réalité des mobilités et des circulations dans des agglomérations telles que Caen la Mer et Strasbourg. On est en effet toujours le trafic de transit de quelqu’un, et on est souvent à la fois « transit » et « vie locale » sur un même trajet. Il est à souligner en particulier que ces discours tenus à l’échelle communale reposent essentiellement sur l’existence de grands projets routiers voire autoroutiers de contournement à l’échelle de l’agglomération qui sont cependant rarement évoqués dans les professions de foi des candidats aux élections municipales.
Des absents structurants : les grands projets de contournement autoroutier des agglomérations
31Lors des élections municipales de 2014, les deux agglomérations au sein desquelles nous avons conduit notre analyse ont pour point commun d’être concernées par des grands projets, non achevés, de contournements autoroutiers qui viennent compléter ou renforcer les armatures routières et autoroutières existantes. Ces projets ne sont jamais mentionnés dans les professions de foi. Pourtant, à maints égards, ces absents sont structurants. Grâce à eux, le trafic de transit va être déporté, reporté, ailleurs, plus loin et va « libérer » les parties les plus centrales de l’agglomération. Grâce à eux, finalement, les aménagements de la mobilité durable vont pouvoir se déployer dans les centres-bourgs « pacifiés » et les centres-villes « apaisés » des deux agglomérations. Pour trouver la trace de ces projets et de leurs justifications, il faut se déplacer vers d’autres échelles, métropolitaine ou nationale.
32Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire de ces projets mais de saisir à quelle échelle et comment sont justifiés ces projets qui, bien qu’absents des débats à l’échelle des élections municipales, n’en sont pas moins structurants pour les communes des deux agglomérations.
Le contournement sud de Caen
33Caen est doté d’un boulevard périphérique régulièrement congestionné dans certains de ses tronçons, aux heures de pointe. Un projet de « contournement sud de Caen » est en cours de réalisation, dont l’objectif est de désengorger ce boulevard périphérique caennais. Le projet commencé en 2008 se divise en trois parties. En 2018, deux portions de la future liaison ont déjà été réalisées. Le troisième reste en chantier. La liaison en rouge sur la carte ci-après est la partie du projet qui n’a pas encore été réalisée.
34Voici comment, lors d’une session de question orale à l’Assemblée nationale, Claude Leteurtre, ancien maire de Falaise, conseiller général du Calvados et député à deux reprises de la troisième circonscription du Calvados, interpelle le ministre des Transports à propos du « chaînon manquant » du contournement de Caen :
Monsieur le ministre, il y a quelques jours était inaugurée dans le Calvados, à l’est de l’agglomération de Caen, une nouvelle voie de liaison entre l’autoroute A13 Caen-Paris et la départementale 613, ancienne RN139. Cette nouvelle voie vise à décongestionner une partie du périphérique de Caen, aujourd’hui saturé aux heures de pointe. Elle vise aussi à détourner les véhicules de l’échangeur entre l’A13 et le périphérique nord, échangeur mal conçu où se cisaillent les voies de circulation, ce qui entraîne de nombreux accidents et de forts ralentissements.
De l’autre côté, à l’ouest, le conseil général du Calvados a mis en service, à la demande de l’État, une deux fois deux voies entre la RD65810 et la RD562A. Là encore, il s’agit de réduire, sur le périphérique, les trafics de transit en provenance de la Bretagne par l’autoroute A84.
Ces deux barreaux ne donneront toute leur efficacité que lorsqu’ils se rejoindront. Pour cela, il reste à construire, sur cinq kilomètres environ, un nouvel itinéraire au sud, entre la RD613 et la RD658. Ainsi serait doublée une partie du périphérique de Caen sur une de ses portions les plus chargées du fait du transit entre l’A84, la RD658 et l’A13.
Monsieur le ministre, ce « chaînon manquant » est indispensable à l’agglomération caennaise et aux villes qui l’entourent. L’installation, prévue sur le port de Caen, d’une zone de stockage et d’expédition de conteneurs en provenance du port du Havre, rend cet équipement encore plus urgent11.
35Invisible dans les professions de foi, l’existence de ce projet autoroutier, qui fait consensus chez les élus de l’agglomération, valide notre hypothèse centrale : si les discours les plus visibles sont nombreux à mettre en avant la promotion des mobilités non carbonées dans des cœurs d’agglomération pacifiés et libérés de l’automobile, ces mesures sont annoncées à la condition de pouvoir reporter le trafic automobile sur des infrastructures routières performantes, parfois nouvelles, souvent requalifiées, toujours plus périphériques.
Le grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg
36À Strasbourg, le projet de construction d’une nouvelle autoroute à deux fois deux voies (A355), dit grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg est évoqué depuis les années 1970. L’actuel projet de GCO doit permettre de résoudre un problème majeur concernant les déplacements dans la région strasbourgeoise : celui de la saturation, aux heures de pointe du matin et du soir, de la portion de l’autoroute A35 traversant l’agglomération de Strasbourg du nord au sud sur une vingtaine de kilomètres (axe à 2×3 voies). Le projet affiche pour ambitions de réduire la pollution et les nuisances à proximité de la ville centre mais également de « capter le trafic de transit nord-sud et de délester la rocade ouest. Le tracé, de 24 km, prévoit de relier l’échangeur de Hœrdt au nord, à Innenheim au sud » (plan de déplacements urbains de Strasbourg, 2012). Les travaux ont débuté à la fin de l’été 2018 et devraient s’achever en 2021.
37Or, là encore, ce projet de GCO est presque complètement absent des professions de foi des élections municipales de 2014. Le projet est évoqué de façon indirecte dans la commune de Strasbourg, par la liste PS, quand est évoquée la « transformation de l’A35 en boulevard urbain », ce qui suppose que le GCO soit réalisé. À l’inverse, quand la liste Europe-Écologie-les-Verts (EELV) de la commune de Geispolsheim propose d’« agir pour l’abandon de la rocade sud et utiliser les 60 millions pour réaménager l’échangeur de la Vigie », c’est bien en lien avec une opposition au projet de GCO. Là réside la principale surprise du cas strasbourgeois : alors que le projet de contournement autoroutier n’est pas consensuel, dès les élections municipales de 2014, les candidats n’évoquent finalement pas ce projet dans leur profession de foi. Signalons que la variable partisane, peu discriminante dans l’ensemble de nos traitements, surgit ici avec vigueur. Les candidats réunis derrière une liste EELV sont les seuls à contester les projets de nouvelles infrastructures routières de contournement.
38Jusqu’au début des années 2000, le projet de GCO a fait l’objet d’un consensus chez les élus du territoire : « Un tel consensus montre, qu’en ce début des années 2000, le paradigme d’un aménagement du territoire par de grands axes automobiles structurants incarnant la modernité, est toujours partagé par les acteurs politiques et techniques et les représentants du monde économique » (Vergne, 2017, p. 4). Les deux décennies qui suivent sont plus tumultueuses. Les années 2008 marquent un premier temps de quasi-abandon du projet sous l’influence notamment des élus écologistes lors des municipales de 2008. Tandis que dans la décennie suivante, le projet est remis à l’agenda sous l’influence notamment de la chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin, à l’origine d’une campagne de communication en faveur du GCO (Vergne, 2017). En 2018, l’opposition au projet, réunissant associations de riverains, associations écologistes, agriculteurs s’est également structurée, notamment sous la forme d’une « zone à défendre » (ZAD) quand ont débuté les travaux de déboisement.
39Il serait intéressant de suivre ce conflit autour du GCO et notamment de voir s’il sera un enjeu des prochaines élections municipales. Peut-être ce conflit porte-t-il le germe d’une rupture par rapport au mythe des effets structurants des infrastructures de transport (Offner, 1993 ; Kahn et Claux dans cet ouvrage).
Conclusion
40Le premier résultat que nous tirons de cette enquête est d’ordre méthodologique. Il n’était pas évident, a priori, que les professions de foi, du fait de leur format très ramassé, constituent un matériau pertinent pour enquêter sur la place et le traitement des enjeux liés à la mobilité durable dans les agendas politiques locaux. Or, ce matériau est intéressant pour la recherche, à plusieurs titres. D’une part, c’est une donnée assez facile à collecter (car déposée en préfecture) à partir de laquelle il est possible de construire des échantillons de très bonne qualité, quasi exhaustifs (91 % de PF récoltées dans la CA de Caen ; 98 % dans la CU de Strasbourg). D’autre part, les enjeux de mobilité sont bien présents dans ces documents : la mobilité est un sujet traité par les candidats aux élections municipales dans 60 % des cas dans la CA de Caen et 70 % des cas dans la CU de Strasbourg. Surtout, quand le sujet est traité, des objectifs, des projets, des mesures sont annoncés avec un niveau de détail finalement suffisant pour décrire, de façon très analytique, les axes structurants des politiques annoncées et comprendre leur agencement. Cela signifie qu’à intervalles réguliers, à chaque nouveau scrutin municipal (mais cela peut s’appliquer à d’autres scrutins, à d’autres échelles), ce matériau que constituent les corpus de professions de foi peut être mis en perspective et interrogé pour suivre l’évolution de la trajectoire du traitement des enjeux de mobilité durable. Autrement dit, on a là un matériau solide et récurrent pour constituer des séries sur le temps long et tracer le changement.
41Le second résultat, à l’issue de l’examen de ce corpus, est que l’arsenal et l’agencement des mesures proposées témoignent de la force et de la permanence du système automobile. Certes, les mesures en faveur de la promotion du vélo, des piétons, du tramway pour des centres-villes ou centres-bourgs pacifiés et libérés de l’automobile sont nombreuses et fortement mises en avant. On pourrait en rester là et se féliciter de cette inflexion en faveur des mobilités alternatives à l’automobile. Pourtant, force est de constater que ces mesures sont annoncées à la condition de pouvoir reporter le trafic automobile sur des infrastructures routières performantes, périphériques, parfois nouvelles, souvent requalifiées. Le contournement sud dans l’agglomération de Caen, le grand contournement ouest dans celle de Strasbourg sont des projets non mentionnés dans les professions de foi. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas, ces absents sont structurants. Ils permettent d’accueillir, à grande échelle, le trafic de transit, les flux intenses qui caractérisent nos sociétés urbaines contemporaines et notre modèle économique (voir René Kahn dans cet ouvrage). Finalement, le fait que la remise en question de la mobilité carbonée ne concerne que quelques îlots (centres-bourgs et centres-villes) protégés de l’automobile oblitère d’emblée le caractère durable des politiques contemporaines.
42Rendez-vous est pris pour le prochain scrutin municipal pour analyser notamment si l’opposition à des grands projets d’infrastructures de contournement routier, pour l’instant minoritaire et cantonnée aux représentants d’Europe-Écologie-les-Verts, devient une norme d’aménagement durable.
Références
43Busson J., 2009, « L’automobile dans le discours politique : un ménagement équivoque ? », Pouvoirs locaux, 80/1, p. 107-112.
44Chave T., Pillonnet P.-J., Spano J., 2018, Étude de la mobilité sûre et durable dans les professions de foi des élections municipales de 2014, rapport de stage, IUAR, Ifsttar.
45Chazel R., 2016, L’enjeu de la mobilité et des transports dans la campagne des élections régionales de 2015, rapport de stage, juillet, IUAR, Ifsttar.
46Claux M., 2016, « Réguler le stationnement en ville : les coûts sociaux et environnementaux de l’attractivité urbaine », Flux, 103-104, p. 57-71.
47Dupuy G., 2006, La dépendance à l’égard de l’automobile, Paris, La Documentation française.
48Experton A., Privat L., 2015, Place et traitement des enjeux de mobilité sûre et durable dans la campagne électorale des élections municipales 2014. L’exemple des départements de l’Hérault et du Vaucluse, rapport de stage, IUAR, Ifsttar.
49Faivre d’Arcier B., 2003, « Le transport ferroviaire régional, nouvel outil pour un aménagement durable du territoire en Rhône-Alpes », Territoires 2020, 2003, p. 45-52.
50Le Saout R. (dir.), 2009, L’intercommunalité en campagne. Rhétoriques et usages de la thématique intercommunale dans les élections municipales de 2008, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
51Le Saout R., Vignon S. (dir.), 2015, Une invitée discrète. L’intercommunalité dans les élections municipales de 2014, Boulogne-Billancourt, Berger-Levrault.
52Muller P., 1994, Les politiques publiques, Paris, PUF (Que sais-je ?).
53Offner J.-M., 1993, « Les effets structurants du transport : mythe politique, mystification scientifique », L’espace géographique, 3, p. 233-242.
54Orfeuil J.-P., 2008, Une approche laïque de la mobilité, Paris, Descartes & Cie.
55Radaelli C., 2000, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne », Revue française de science politique, 50/2, p. 255-275.
56Reigner H., Brenac T., Hernandez F., 2013, Nouvelles idéologies urbaines. Dictionnaire critique de la ville mobile, verte et sûre, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
57Reigner H., Hernandez F., 2007, « Les projets des agglomérations en matière de transport : représentations, projets, conflits et stratégie de “détournement” des réseaux », Flux, 69, p. 21-34.
58Reigner H., Hernandez F., Brenac T., 2009, « Circuler dans la ville sûre et durable : des politiques publiques contemporaines ambiguës, consensuelles et insoutenables », Métropoles, 5.
59Sheller M., Urry J., 2000, « The City and the Car », International Journal of Urban and Regional Research, 24, p. 737-57.
60Vergne O., 2017, « La contestation des projets d’infrastructures de transports : l’exemple du Grand Contournement Ouest (GCO) de Strasbourg », Revue géographique de l’Est, 57, p. 3-4.
Notes de bas de page
1 Signalons cependant que les élections régionales de 2015 ont fait l’objet, elles aussi, d’une enquête complémentaire par le biais de l’examen des professions de foi (Chazel, 2016).
2 Classiquement, cette amélioration de l’offre permet d’observer des augmentations, parfois significatives de la fréquentation des transports publics. Mais, souvent, cette augmentation des fréquentations ne se traduit pas par un report modal significatif de l’automobile vers le transport public. Pourquoi ? Parce que la fréquentation des infrastructures routières a simultanément augmenté autant (et parfois même davantage) que celle des transports publics. L’augmentation de la fréquentation des transports publics n’est donc pas un bon indicateur pour apprécier l’évolution vers la mobilité durable (Orfeuil, 2008).
3 Cet article s’appuie sur une enquête exploratoire conduite par deux étudiants en première année de master à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional d’Aix-en-Provence accueillis en stage de deux mois à l’Ifsttar, portant sur les campagnes des élections municipales dans l’Hérault et le Vaucluse (Experton et Privat, 2015). À cette enquête exploratoire, s’en est ajoutée une seconde incluant les terrains ici traités de Caen et Strasbourg (Chave et al., 2018). Ces différents travaux ont été réalisés sous la direction des auteures du présent article.
4 Les professions de foi sont des documents administratifs consultables par tous. Leur consultation est juridiquement encadrée par la circulaire du 23 juillet 1992 relative au traitement et conservation des documents produits ou reçus par les préfectures. Il suffit d’en faire la demande auprès de la préfecture du département concerné ou des archives départementales (selon la date de l’élection). Elles sont dans un premier temps récupérées et stockées par le service des élections des préfectures puis versées aux archives départementales.
5 On aurait souhaité travailler sur les professions de foi des communes de l’agglomération marseillaise mais la préfecture du département des Bouches-du-Rhône n’a pas été en mesure de répondre favorablement à notre demande… faute d’archivage des professions de foi des élections municipales de 2018.
6 Signalons qu’au 1er janvier 2017, la communauté d’agglomération devient une communauté urbaine. Celle-ci rassemble désormais 50 communes (soit une extension du périmètre intercommunal à 15 communes supplémentaires) et un peu plus de 260 000 habitants.
7 Le 1er janvier 2015, la communauté urbaine de Strasbourg est devenue l’Eurométropole de Strasbourg. En 2017, le périmètre intercommunal s’est élargi à cinq communes supplémentaires. Il rassemble désormais 33 communes et 487 299 habitants.
8 Dans l’ensemble du texte, les nuances politiques des listes candidates indiquées sont celles attribuées par le ministère de l’Intérieur lors des élections municipales et communautaires de 2014. DVD : Divers droite ; FN : Front national ; UDI : Union démocrates et indépendants ; DVG : Divers gauche ; SOC : Socialiste ; UG : Union de la gauche ; DIV : Divers ; UC : Union du centre ; UMP : Union pour un mouvement populaire ; FG : Front de gauche ; UD : Union de la droite ; VEC : Europe-Écologie-les-Verts.
9 RN : Route nationale.
10 RD : Route départementale.
11 Assemblée nationale (2012), XIIIe législature, Session ordinaire de 2011-2012, Compte rendu intégral, Première séance du mardi 31 janvier 2012, Questions orales sans débat, Question de Claude Leteurtre, no 1663, relative à l’aménagement du périphérique sud de Caen (http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120110.asp#P396_93252).
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