Les paradigmes économiques de la mobilité durable
p. 25-46
Texte intégral
Introduction : mobilité, économie et modèles d’analyse de la mobilité durable
1La mobilité durable est un enjeu actuel de la société future (modèle de développement et mode de vie). Elle constitue un domaine de recherche et de pratique non stabilisé, tant du point de vue épistémologique (définition, étude scientifique), que du point de vue professionnel, des projets techniques et du cadre d’organisation sociopolitique. La mobilité durable déploie par conséquent de multiples propositions dans une arène dont les contours sont encore flous. Elle est soumise à des jeux d’influence qui l’orientent en priorité sur certaines voies plutôt que vers d’autres. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire, d’apprécier non seulement la validité des solutions techniques qu’elle propose mais de considérer également les schémas de pensée qui les sous-tendent. Le principal dispositif cognitif qui surplombe largement l’ensemble des débats sur la mobilité durable est celui de la science économique. Cette discipline fournit des ordres de grandeurs (Crozet, 2017 ; Orfeuil, 2008b), revendique de pouvoir résoudre un certain nombre de problèmes pratiques (Brecard et Bulteau, 2011 ; OCDE, 2004, 2014)1 mais de surcroît, parce qu’elle offre une palette diversifiée d’écoles de pensées (de paradigmes), elle dispose d’un important pouvoir d’organisation et d’orientation des choix de société. Il est par conséquent utile de débattre de l’approche économique de la mobilité durable2.
2Une lecture attentive de la littérature sur la mobilité durable peut parfois donner le sentiment que les solutions techniques proposées ne sont pas moins problématiques que les formules plus traditionnelles. Elles semblent souvent déplacer les problèmes dans un autre domaine ou sur un autre espace. Par exemple : l’apaisement des centres-villes reporte vraisemblablement le trafic automobile et l’accidentologie associée en périphérie ; l’électrification des véhicules déporte la charge de pollution et d’émission de gaz à effet de serre (GES) vers un autre secteur que le transport ou vers d’autres lieux ; les mobilités douces engendrent de nouveaux types d’accidents et d’incivilités, etc.
3C’est une première acception de l’expression « risques émergents de la mobilité durable ». Cela ne signifie pas qu’il faille frapper d’anathème la mobilité durable à la manière des auteurs réactionnaires vis-à-vis des politiques sociales et avancées démocratiques3. Cela signifie qu’il est utile de s’interroger sur les significations, les raisons d’être et les enjeux de la mobilité durable au-delà des arguments écologiques, de santé publique ou d’optimisation, habituellement avancés. Il n’est pas absurde de supposer que la mobilité durable aujourd’hui, compte tenu des formes qu’elle emprunte, vise surtout à expérimenter les potentialités des technologies numériques (nouvelles technologies de l’information et de la communication et Big Data), à encourager des innovations organisationnelles, à promouvoir de nouvelles formes d’organisation urbaines (métropoles, densification de l’habitat, smart cities, routes intelligentes, MaaS – mobility as a service), à justifier la connectivité généralisée des personnes et des objets, à conférer à la mobilité une nouvelle valeur marchande.
4En ce qui concerne le développement durable, nous devons prendre en compte le fait qu’il y a une contradiction d’une part entre les dispositifs d’accessibilité et de transport mobilisés pour exploiter l’ensemble des ressources terrestres pour satisfaire des besoins humains réputés illimités et d’autre part, les objectifs affichés de la « durabilité » (au sens de Gro Harlem Brundtland). Le cas particulier de la mobilité durable en milieu urbain n’est peut-être qu’un exemple parmi d’autres de ces contradictions associées aux choix techniques d’aménagement et de mobilité, mais surtout économiques, ces choix devant tout à la fois en principe, répondre à des impératifs environnementaux, de santé publique, d’équité sociale mais également de nombreuses contraintes d’efficience et de performance économique (financière, commerciale, territoriale, etc.). C’est ainsi que nous comprenons l’idée de « risques émergents de la mobilité durable ». Le risque d’entrer dans un système inextricable de faux-semblants, de contradictions entre des objectifs affichés et des objectifs tacitement poursuivis. L’intuition qui nous a guidés est qu’il faut rechercher une partie de ces risques dans les représentations cognitives fondatrices qui déterminent les nombreuses solutions économiques, techniques et organisationnelles de l’offre de mobilité durable.
5L’objet de la présente contribution est tout à la fois de montrer la place considérable qu’occupe l’économie (comme science, comme raisonnement et comme mode d’organisation) dans les débats et les projets de la mobilité durable, et de présenter et de commenter quelques modèles d’analyse qui structurent la réflexion. L’économie politique n’est évidemment pas la seule spécialité en sciences sociales à contribuer à l’étude de l’organisation spatiale urbaine et à participer à la réflexion générale sur la mobilité. Géographie, sciences politiques, sociologie, psychologie, urbanisme, anthropologie, droit, gestion, contribuent également à analyser, expliquer, mais aussi orienter le développement durable et la mobilité durable. L’économie est cependant la spécialité qui semble disposer de l’outillage le plus complet pour répondre à une large gamme de questions, probablement la seule discipline mentionnée qui soit en mesure de proposer un cadre d’analyse complet et cohérent, un système explicatif global pour gérer les flux, pour orienter les choix des acteurs privés et publics en matière de mobilité, et par conséquent paradoxalement pour former des représentations et générer des imaginaires.
6Science et imaginaire semblent s’opposer, du moins dans la démarche cartésienne, qui procède par la décomposition des problèmes en relations simples pouvant s’exprimer en langage mathématique. C’est bien ainsi que procèdent les théoriciens de la mobilité et des transports (Boiteux, 1994, 2001 ; Bulteau, 2009 ; Crozet, 2014, 2017 ; Ivaldi, 2018 ; Jullien et Rochet, 2005). Cependant la construction de modèles économiques et mathématiques de mobilité requiert des hypothèses plus ou moins réalistes. Le bien-fondé de ces modèles de mobilité individuelle et collective, dans le cadre du changement de référentiel que représente le projet de développement durable et de mobilité durable, sera discuté. Certains auteurs contestent la pertinence de cette approche et de ses hypothèses, ils proposent des approches à la fois plus territoriales, plus sociologiques et plus systémiques des systèmes de transport (Gallez et Chardonnel, 2018 ; Héran, 2017 ; Reigner et al., 2013).
7Mais l’économie n’est pas seulement une science, elle est aussi un raisonnement et une pratique que les individus et les institutions nationales, régionales et locales peuvent adopter au quotidien, une doctrine (comportant des variantes), une formule qu’ils peuvent appliquer dans la façon d’aménager l’espace ou de conduire leurs affaires, elle est enfin un état du monde (le niveau de développement, la conjoncture, le climat des affaires). Toutes ces facettes de l’économie interagissent entre elles et contribuent à entretenir, via les représentations et les pratiques, un très haut niveau de mobilité à courte, moyenne et longue distance. L’économie a donc par rapport à la mobilité un statut remarquable, elle explique la mobilité tout en contribuant à forger les caractéristiques de la mobilité du monde contemporain (Allemand et al., 2005 ; Bonnet, Desjeux, 2000 ; Marzloff, 2005 ; Lussault, 2013, 2017). Certains analystes de la situation critique de la mobilité et de l’écosystème planétaire reprochent à l’économie d’être un discours dominant à la fois juge et partie qui cautionne une vision néolibérale de l’organisation de la société (Ekeland, 2015 ; Passet, 2012 ; Pestre, 2013 ; Piron, 2018 ; Pottier, 2016 ; Rist, 2017). De fait, les divergences d’analyse sont profondes et anciennes. Le débat commerce-mobilité-nature inauguré au xviie siècle sur l’impact écologique et social des activités économiques connaît un regain d’actualité. La confirmation de l’hypothèse de l’anthropocène et plus précisément du « capitalocène », vient aujourd’hui contester la thèse de la mobilité généralisée et illimitée comme droit naturel, régulé par le marché, via les prix.
8Plus que les autres sciences sociales, l’économie entretient un rapport particulier à la mobilité. Bien que le plus souvent elle n’introduise pas explicitement la dimension spatiale dans ses modèles – l’analyse par le marché est une représentation fondamentalement a-spatiale et sauf exception4 les territoires dans leur complexité n’y sont pas pris en compte – la science économique est toute entière une science de la production, de l’échange et de la consommation et donc de la circulation générale, de la mobilité des personnes et des biens au sens large (marchandises, services, capitaux, technologies). Une formulation marxienne dirait que la mobilité généralisée est la traduction spatiotemporelle et la condition du cycle d’accumulation du capital. En dépit d’une palette très large de modèles et de paradigmes (Passet, 2012 ; Raveaud, 2013) la pensée économique hostile à la décroissance s’obstine à chercher dans la croissance (verte notamment), dans les gains de productivité et d’accessibilité (les deux étant fortement corrélés), dans les effets d’agglomération associés à la connectivité (via les infrastructures de transport), des solutions aux problèmes du développement, alors que ses propres modèles de mobilité démontrent (sauf dans l’éventualité d’un découplage, actuellement irréaliste) que toute croissance entraîne nécessairement plus de mobilité. Les multiples projets de mobilité durable peuvent par conséquent se lire comme un ensemble de tentatives s’efforçant de résoudre, dans un cadre relativement inchangé d’hypothèses et de contraintes, une contradiction majeure (Rouler plus, polluer moins5). Les plus compétents des analystes, dans le domaine de la mobilité, en conviennent, ils sont pour certains optimistes, pour d’autres plutôt pessimistes6 mais dans un climat d’incertitude radicale et d’intérêt général confus, ils continuent de se tourner vers le marché et les incitations monétaires pour orienter la mobilité – de la conception des dispositifs aux pratiques des usagers – vers une plus forte durabilité (Crozet, 2017 ; Flonneau, Orfeuil, 2016 ; Ivaldi, 2018 ; Orfeuil, 2008a, 2008b).
Mais comment croire que ces mesures cosmétiques seront suffisantes pour échapper à ce qui est présenté comme un cataclysme pour l’humanité ? Le constat d’incohérence s’impose également lorsqu’on se souvient que les politiques publiques en faveur de la mobilité durable mettent généralement l’accent sur le développement des transports collectifs de voyageurs ainsi chargés d’une nouvelle mission […] Ils doivent offrir une option alternative pertinente à la voiture, avec si possible, la capacité d’améliorer l’accessibilité. Mais pour atteindre ce résultat, on ne peut se contenter de quelques opérations symboliques comme la mise en place de vélos en libre-service ou le développement de voies de bus réservées […] Il serait nécessaire de trouver ces financements au sein même du système de transport […] Tarification systématique et massification sont au cœur de la maîtrise de la mobilité. Qui ose évoquer ces options lorsqu’il s’agit de mobilité durable ? Il y a donc dans les politiques de lutte contre le changement climatique une incohérence logique […] Les investissements qui pèsent comme du plomb sur les finances publiques sont transformés en or par la transmutation de l’accessibilité en productivité. Peut-on croire à cette forme moderne d’alchimie ? […] Plus chère pour les usagers, mais moins gourmande en fonds publics, telle doit être la mobilité du xxie siècle (Crozet, 2017, p. 154-177).
Le pouvoir de persuasion de l’analyse économique et les risques émergents de la mobilité durable
9La mobilité est généralement perçue comme une question économique avant d’être reconnue comme une question environnementale, politique ou sociale.
Vers une typologie des risques émergents de la mobilité durable
10Les « risques émergents de la mobilité durable », voilà bien une formulation énigmatique à plusieurs titres. La mobilité dite durable en dépit du flou qui l’entoure et de la diversité des propositions techniques qu’elle recouvre, constitue avant tout une esquisse de solution globale pour faire face à divers problèmes engendrés par la mobilité quotidienne de proximité en milieu urbain, de moyenne distance (pour relier entre eux le rural, le périurbain et le centre-ville), et par la mobilité à longue distance (mobilité interurbaine, interrégionale, transfrontalière et transnationale)7. Identifier ou déceler des risques dans les nouveaux dispositifs de mobilité, a priori plus vertueux, peut apparaître dès lors comme un a priori critique apparemment sans fondement. En effet, quoi de plus légitime que de rechercher à pallier les inconvénients actuels de nos modes ordinaires de mobilité : pollution atmosphérique, bruit, engorgement des infrastructures, accidentologie, etc. ?
11Dans cet environnement complexe, le besoin de simplification et donc de modélisation est par conséquent considérable. Face au défi qui consiste à démêler l’écheveau des multiples solutions existantes ou à venir ainsi que des problèmes actuels de la mobilité urbaine, le parti pris de l’étude des risques émergents apparaît pertinent. Il ne se donne pas pour objectif de hiérarchiser et d’évaluer les innombrables réponses en cours d’élaboration pour désigner les solutions d’avenir comme le font déjà plusieurs études (affirmant par exemple la nécessité de l’électrification des véhicules automobiles, le développement des transports en commun, l’extension de la pratique du vélo, la généralisation de l’intermodalité, la nécessité de concevoir des véhicules autonomes, etc.) mais de relever pour certaines de ces nouvelles pratiques quelques points problématiques dans la mise en œuvre, quelques enjeux ou conséquences non immédiatement perceptibles. Ces risques émergents sont de différentes catégories. Nous distinguerons trois classes de risques associés aux nouvelles mobilités.
12Il y a en premier lieu les risques avérés, observés ou fort probables au vu des données collectées, notamment en termes d’accidents, qui justifient des recherches spécifiques contextualisées, des études statistiques, des comparaisons nationales (entre plusieurs métropoles) et internationales. Les nouvelles mobilités fussent-elles douces ne sont pas dénuées d’inconvénients : les collisions tram-piétons, les déboires des premiers essais de véhicules autonomes, la fragilité des systèmes informatiques en réseau, etc.
13Dans le cadre d’une approche socio-économique plus large et d’une temporalité plus longue se dessine une seconde catégorie de risques. Il s’agit de risques dont les conséquences ne sont pas immédiates mais qui apparaissent à moyen terme sur le tissu urbain. Ils sont davantage structurels que conjoncturels. Ils sont associés à l’adoption de nouvelles infrastructures, aux effets des choix publics d’aménagement de la mobilité. Il s’agit pour l’essentiel de risques sociaux : les disparités de traitement des populations et des espaces, les risques de ségrégation, d’accroissement des inégalités, d’enclavement, d’externalisation en périphérie des nuisances générées par les reports de flux, de concentration des points noirs (accidentogènes) de circulation. Ces risques à moyen terme sont assez bien perçus par les experts capables d’évaluer les potentialités des aménagements et d’appréhender les conséquences sociales des nouvelles politiques de mobilité (Brenac et al., 2013 ; Crozet, 2017).
14Dans une perspective encore plus large (mais aussi peut-être plus lointaine) émergent des risques également structurels mais généralement irréversibles et associés à des erreurs d’évaluation des risques et enjeux réels. Le risque le plus important étant de ne pas comprendre correctement les enjeux de la nécessaire mutation des mobilités, de mal évaluer ou de sous-estimer les enchaînements probables, les obstacles qu’il nous faut surmonter. On semble croire par exemple qu’il est possible de maintenir l’hypermobilité à un niveau élevé et de la généraliser à tous et partout (en limitant ses conséquences environnementales par l’adoption de nouvelles technologies, des infrastructures reconfigurées, d’autres modes de transport ou simplement par une modification à la marge des comportements), sans modifier les déterminants de la mobilité eux-mêmes. Bien au contraire, le rapport des individus aux ressources dispersées sur un espace mondialisé, risque dans un contexte d’instabilité géopolitique et climatique, d’engendrer de nouveaux dysfonctionnements qui emballeront encore davantage la mobilité. Non seulement il est illusoire de croire qu’on peut maintenir l’hypermobilité en limitant ses conséquences environnementales, mais il existe un réel risque d’emballement des mobilités des personnes (migrations) et des actifs (résidences, capitaux, etc.)
15Selon certains travaux de prospective, les firmes multinationales et les global players en général, sont dotés de dispositifs de veille et d’évaluation en temps réel des risques tant financiers que climatiques. Ils sont en mesure de s’assurer contre des risques croissants en adoptant des stratégies de mobilité et d’allocations planétaires pour leurs investissements, leurs actifs et activités. « Une longue liste peut être envisagée dans le cadre de ce que les Anglo-Saxons appellent le family counseling et de ce que pratiquent les Chinois aisés au quotidien (double passeport, appartement à Vancouver, naissance du bébé aux États-Unis, éducation et mariage des enfants à l’étranger, assimilation dans le pays hôte, réserves en or et devises, etc.) » (Schieb et Muller, 2018, p. 104).
16Cette brève citation relative aux stratégies des ménages les plus aisés révèle un aspect particulier des enjeux de la mobilité, son lien direct avec d’une part le capitalisme mondialisé mais également avec les comportements et les représentations individuelles des opportunités spatiales forts bien analysés à l’échelle locale dans plusieurs ouvrages consacrés aux mobilités urbaines (Allemand et al., 2005 ; Buhler, 2015 ; Orfeuil, 2008a, 2008b). La mobilité qui correspond aux besoins du quotidien est également une réponse possible aux chocs exogènes économiques et climatiques. Le fait qu’une augmentation des risques estimés par les agents se traduise par un surcroît de mobilité envisagé comme dispositif assurantiel, à l’échelle locale, nationale et mondiale, n’est pas à ce jour une hypothèse sérieusement envisagée mais elle ne peut pas non plus être écartée.
17Les risques structurels émergents sont donc potentiellement nombreux. Outre le risque de surestimer l’apport des technologies nouvelles dans les mécanismes de transition vers une mobilité durable (Crozet, 2017 ; Vidalenc, 2018), il faut inclure de possibles transformations sociétales dont la mobilité durable ne serait qu’un prétexte commode pour engager une nouvelle mutation néolibérale : l’appropriation et l’exploitation systématiques des données individuelles via les objets connectés censés nous informer en tous lieux sur les meilleures opportunités de déplacements, ainsi que la transformation du citoyen en entrepreneur de soi et en consommateur perpétuel. Nous pouvons ranger dans cette catégorie de risques la possibilité de basculer dans une nouvelle organisation sociétale aux conséquences non maîtrisables, impliquant possiblement un recul des mécanismes démocratiques (c’est du moins ce que redoutent les opposants à la voiture autonome, au gouvernement numérique des villes, aux villes dites intelligentes ou smart cities).
18Il ne s’agit pas ici de formuler des prophéties sans fondement et chacun est évidemment libre d’entrevoir le futur qu’il craint ou espère. Cependant, un travail rigoureux sur les risques émergents de la mobilité durable devrait inclure une analyse des schémas de pensée et des modes d’organisation socio-économiques. Par exemple, ceux sur lesquels travaillent actuellement les Gafam (Haëntjens, 2018 ; Sadin, 2016) ou certains investisseurs qui rêvent de construire ex nihilo des cités modèles, sobres et attractives dans lesquelles l’ensemble des productions, des consommations et pour simplifier, des flux (matières, énergie, déchets, ainsi que les mobilités des personnes et des biens) seraient pilotés et optimisés par un dispositif central d’information et de gestion.
19Lorsque l’on est confronté à des défis inédits, le choix des outils avec lesquels les problèmes (ici les problèmes de mobilité en milieu urbain) sont appréhendés et formulés n’est pas indifférent. Le niveau le plus déterminant est métathéorique. Il pose le cadre général d’analyse. Il est capable d’évaluer les choix techniques et donc d’effectuer des arbitrages non seulement directement sur les instruments de la mobilité durable mais également sur les instruments d’évaluation eux-mêmes. Il correspond au paradigme au sens de Thomas Kuhn : il définit dans un régime de « science normale » les termes du problème ainsi que les outils analytiques pour le résoudre.
20L’approche métathéorique économique n’est pas seulement exposée dans les publications scientifiques, elle est relayée et incarnée par les grandes institutions qui veillent à réguler les mobilités et à les faire évoluer quand elles le jugent nécessaire8. Dans le domaine de la mobilité, il s’agit des institutions capables de bâtir un raisonnement global et cohérent à partir d’un corpus scientifique, issu des sciences du transport, de l’écologie, des sciences du climat et de la santé, de l’écologie politique, mais plus fréquemment, des sciences économiques. Le poids des justifications économiques et des raisonnements économiques est particulièrement notable, s’agissant des choix portant sur les infrastructures de transport et les grands enjeux de mobilité, le coût et la rentabilité sont déterminants en dernière instance.
21S’il semble a priori impossible de ne pas commettre des erreurs de jugement sur les outils (techniques et méthodes d’analyse) celles-ci pourront être aisément corrigées par des travaux concurrents. C’est bien ainsi que les sciences et les techniques fonctionnent, à coups d’essais et d’erreurs, d’itérations et de corrections à la marge. Par contre, le recours à une métathéorie inadaptée est beaucoup plus problématique. En explicitant certaines hypothèses des modèles économiques servant à résoudre les problèmes de mobilité urbaine, en montrant qu’elles sont paradoxalement incompatibles avec l’objectif de mobilité durable, on montre aussi qu’il existe d’autres options possibles (notamment en écologie politique).
La primauté du raisonnement économique dans les approches savantes de la mobilité
22Il s’agit de comprendre comment l’approche économique s’impose aux analyses de la mobilité. Il s’agit d’abord d’un constat. Deux postulats économiques (discutables) s’imposent généralement à toute réflexion sur la mobilité. Le premier est l’individualisme méthodologique. La mobilité est d’abord l’affaire de l’individu avant d’être socialement organisée. Le second est que la mesure de l’utilité d’un déplacement est subjective, cachée, incommensurable et laissée à l’appréciation des individus alors que le coût est mesurable et connu et partiellement socialisé (externalités négatives). Le problème contemporain de la non-durabilité de la mobilité provient de ce que les coûts sociaux atteignent aujourd’hui un niveau inacceptable.
23La fréquentation assidue de la littérature sur les évolutions en cours de la mobilité, sur les enjeux présents et futurs et sur la mise en place des nouvelles mobilités nous conduit à formuler un principe ontologique certes un peu réducteur mais ayant une valeur heuristique certaine : la mobilité et l’approche économique ne font qu’un. Il apparaît à la lecture de nombreux ouvrages, articles et rapports, que la mobilité est l’une des deux faces d’une pièce dont l’autre est nécessairement sa traduction économique au sens large (production, échange, consommation). En d’autres termes, il n’y a pas de mobilité sans incidence économique (ni d’ailleurs climatique ou sociale) ni d’économie sans un certain degré de mobilité. Mais alors même que la mobilité a également une portée, environnementale, sociale, juridique et philosophique reconnue, c’est invariablement le volet économique qui prime dans les raisonnements, les orientations et les décisions. Tentons de comprendre comment et pourquoi et avec quelles conséquences, notamment pour la mobilité durable.
24Lorsque Michel Lussault, géographe sensualiste, nous rappelle que « six activités contribuent à installer les hyper-lieux, références de la mondialité : la mobilité (matérielle et immatérielle), le commerce, le tourisme, le loisir, le business et la finance » (Lussault, 2017, p. 63), il suggère que la mobilité est une dimension de l’économie ou du moins une fonction indissociable de l’économie contemporaine. Le même auteur décrit longuement dans un autre ouvrage (Lussault, 2013) les modes d’organisation de l’hypermobilité des personnes et des marchandises (via la division intra-produit et le groupage/dégroupage, le juste à temps, la traçabilité, etc.), à l’échelle planétaire et déplore « l’incapacité à saisir la spécificité de la mobilité comme une expérience sociale et individuelle, spatiale et temporelle complète » (Lussault, 2017, p. 80). De fait, la mobilité n’apparaît pas comme une fin en soi mais un moyen au service de l’économie. Elle permet à un individu d’effectuer une activité ou de capter une ressource. Michel Lussault finit par se rallier à la définition de François Ascher du droit générique à la mobilité comme « l’affirmation d’une capacité effective pour tout individu d’accéder à des biens (publics, communs, privés) » (Allemand et al., 2005 ; Lussault, 2013).
25L’approche contemporaine de la mobilité est non seulement utilitariste mais surtout étroitement économique. Le lien inextricable de la mobilité avec des finalités et des enjeux économiques est particulièrement affirmé dans les ouvrages et dans les nombreux rapports (publics et privés) consacrés aux évolutions de la mobilité. Si les transports et la mobilité en général ne sont pas considérés en soi comme générateurs directs d’activités (au-delà des activités du secteur transport)9, le niveau de richesse d’un pays, d’une région ou d’une ville, est fortement corrélé au nombre de déplacements, à l’intensité de la mobilité des personnes et des marchandises.
26Nous sommes conduits à admettre que dans nos sociétés et dans les représentations qui la caractérisent, toute mobilité trouve en dernière instance sa justification dans une opération économique. Réciproquement, nous admettons que toute opération économique (de production, d’échange ou de consommation) implique un certain degré de mobilité. Cela étant posé, les débats sur le développement durable et sur la mobilité durable bénéficient d’un éclairage nouveau. L’indissociation économie-mobilité n’est pas neutre et il convient d’en rappeler la portée. Elle peut notamment signifier que toute préoccupation relative à l’organisation pratique de la mobilité, par exemple le souci de la rendre moins polluante, moins consommatrice de ressources énergétiques et d’espace, moins génératrice d’externalités négatives, moins carbonée, plus efficace, plus diversifiée, plus accessible, plus égalitaire etc., revêt simultanément une ou plusieurs dimensions économiques supplémentaires. Tout projet de transformation de la mobilité (énergétique, modal, informationnel, organisationnel ou autre) est toujours nécessairement sous-tendu par une certaine doctrine économique. Cette mise au point paraît particulièrement pertinente lorsqu’il s’agit, au nom de l’impératif de la mobilité durable, d’envisager le basculement du système mobilitaire dans un nouveau paradigme technologique (Marzloff, 2005 ; Amar, 2010 ; Ivaldi, 2018). Les propriétés de fluidité dans les trajectoires, de durabilité environnementale et sociale, s’accompagneraient (et pourraient n’être qu’un prétexte) d’un changement de paradigme économique, social et territorial plus significatif encore : la servicialisation et la mobilité dite intelligente, l’hyperconnectivité, c’est-à-dire, l’exploitation continue des données individuelles par les opérateurs de mobilité, l’emploi des objets connectés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (cf. le couplage des smartphones à des processeurs et des serveurs de données, sur le mode Future Mobility Sensing – FMS), afin d’optimiser les déplacements mais aussi de cibler des populations spécifiques et intensifier les échanges marchands.
Les implications théoriques et pratiques de l’approche économique de la mobilité durable
27L’analyse économique de la mobilité implique des hypothèses dont certaines vont à l’encontre de l’objectif principal de la mobilité durable.
La décision de mobilité résulte invariablement d’un calcul individuel
28Bien que mobilité et niveau de vie soient très fortement corrélés ainsi que le montrent les chiffres de la mobilité intérieure en France10, bien que les mobilités aient toujours d’innombrables causes et conséquences économiques immédiates, notamment parce que la mise en œuvre de moyens de transport ne peut s’imaginer sans d’importantes infrastructures et l’allocation préalable d’importantes ressources monétaires, la question de mobilité ne peut être entièrement réduite à un ensemble de considérations économiques. La mobilité en général pas plus que les options de mobilité durable ne sont naturellement et a priori des questions exclusivement économiques. Le fait que les questions relatives à la mobilité des personnes et des biens soient le plus souvent présentées comme résultant d’un calcul économique rationnel et complexe effectué par des millions d’individus qui prendraient chacun en compte les distances, les temps, les coûts, les vitesses, les utilités, etc., résulte surtout d’une puissante construction intellectuelle édifiée sur une certaine conception de l’homme, de son mode de raisonnement et de son mode de vie.
29En effet, et c’est là toute la force de persuasion de l’analyse économique, tout choix d’activité, toute allocation de ressource, toute option, doivent préalablement être posés sous la forme d’un calcul (coût-avantage). La décision de mobilité étant le plus souvent une initiative individuelle, le calcul qui conduit à entreprendre un déplacement est également individuel. Il est supposé pouvoir intégrer l’intégralité des données relatives aux moyens de déplacement, à la chaîne d’activités réalisée par choix ou par obligation, ainsi que les conditions générales du trajet (Cirillo et al., 2004). Mais ce calcul individuel ne prend que rarement en compte (et toujours très partiellement) le coût social de la mobilité (par ailleurs difficilement mesurable).
30La mobilité n’est pas demandée pour elle-même mais pour une activité qu’elle rend possible, une ressource qu’elle rend accessible. L’activité ou la ressource procurent un niveau d’utilité qui est rapporté au coût du déplacement dans le cadre d’un calcul économique standard résumé par le ratio : utilité/coût. Le temps étant considéré comme une ressource rare, l’accroissement des vitesses de transport augmente sensiblement l’aire géographique des opportunités pour un budget temps de transport (BTT) donné. Dans ce contexte, toute réduction du coût de transport (baisse du prix des carburants, baisse de la tarification des transports, gain énergétique, subventions publiques pour les transports en commun, etc.) ou toute augmentation du revenu réel (du pouvoir d’achat) sont assimilables à un gain de vitesse, et accroissent les opportunités d’activités nouvelles. Inversement une augmentation du coût de transport quelle qu’en soit la cause, réduit l’intérêt ou la portée du déplacement. Ce modèle comportemental qui associe dans une même formule : temps de transport, distance parcourue, coût monétaire (du déplacement et du temps de déplacement) et niveau d’utilité, a l’immense avantage de relier suivant une rationalité a priori convaincante des variables physiques (techniques) aux variables économiques. Si une approche cardinale de ce calcul (qui postule que chaque agent peut évaluer précisément l’utilité et les coûts) ne peut être prouvée à l’échelle d’un individu, les données sur la mobilité urbaine (inter-urbaine et intra-urbaine) ne contredisent pas l’idée que les agents gèrent leur temps et leur revenu afin de maximiser, au moyen d’une mobilité adaptée, leur programme d’activité. Temps, distances et externalités négatives sont postulés comme équivalents substituables convertissables en unités monétaires (Flonneau et Orfeuil, 2016) autorisant ainsi un calcul économique coût-avantage.
31Cela ne signifie pas que cette construction soit une pure vue de l’esprit. Elle est étayée par de nombreuses corrélations macroéconomiques et économétriques qui relient la croissance et l’augmentation du niveau de vie moyen à la progression de la mobilité avec une élasticité PIB de la distance parcourue, proche de 1. De tous les modèles explicatifs de la mobilité, l’approche économique fournit aujourd’hui le modèle apparemment le plus élaboré, le mieux étayé scientifiquement, le plus ancré dans les pratiques. Elle est par conséquent en position de formuler les grandes options de la mobilité future.
Le statut de la mobilité en économie : utilitariste, libre et illimitée
32La littérature sur la mobilité durable tient en général pour acquis une demande d’hypermobilité et tente d’apporter des réponses nombreuses et adaptées sans remettre en cause la liberté de chacun à pratiquer une mobilité de proximité, de moyenne et de longue distance sans aucune restriction. Ce point est rarement discuté, pas plus que les inégalités environnementales. Cependant, une réflexion sur la mobilité en général devrait constituer un préalable à l’étude des modalités de la mobilité durable.
33D’où vient ce besoin de mobilité généralisée ? Les réponses sont variables cependant et la plupart des interprétations et explications de ce phénomène nous sont fournies par l’analyse économique. Elles reposent en partie sur une certaine conception des besoins humains dans un contexte culturel donné mais surtout sur l’édification d’un système économique dont la mobilité incessante et sans restriction est une condition essentielle de son bon fonctionnement. En un sens, selon l’approche économique standard, il n’est pas de problème humain qui ne puisse être résolu par un plus haut niveau de développement, par des gains d’efficacité dans les technologies mises en œuvre et dans l’organisation des dispositifs, par de nouvelles innovations entraînant des gains de productivité, de la croissance et par conséquent, plus de mobilité.
34En ce sens, les moyens de la mobilité ne sont pas évalués sur la base de leur seule capacité à transporter à une certaine vitesse des individus ou des marchandises d’un point à un autre, mais sur leur capacité à pouvoir le faire à un certain coût individuel (coût global de la mobilité ou coût généralisé11) ainsi qu’à un certain coût social (coût social généralisé12) et à une certaine vitesse qui a également un coût élevé (vitesse généralisée et vitesse sociale généralisée13). Partant de l’équivalence monnaie-distance-temps, il est possible de convertir en unités monétaires le temps consacré au déplacement (coût généralisé). De même, une augmentation du pouvoir d’achat se traduit par une demande accrue de mobilité. Plus on est riche plus on est mobile. À travers le concept de vitesse généralisée (Vg), on convertit en « vitesse » des variables économiques (comme le coût kilométrique par personne transportée rapporté au taux de salaire horaire). En ajoutant la vitesse physique moyenne de chaque mode de déplacement (V), il est alors possible de comparer sur cette base économique et technique leurs performances respectives (Crozet, 2017).
35Les transports et l’organisation de la mobilité doivent, pour servir utilement l’économie, être globalement les plus efficaces possibles, pas seulement, en termes de services rendus (vitesses et distances parcourues) mais plus largement en termes de coûts (et de prix). Les coûts qui sont la cible de toutes les attentions, sont nombreux. Il s’agit des coûts d’investissement (infrastructures, réseaux, matériels circulants), des coûts de fonctionnement et d’organisation (coût d’exploitation et d’entretien des réseaux viaires, tarification des transports, contrats reliant les entreprises ayant délégation de service et les autorités en charge de la régulation des transports), et des coûts externes (coûts de congestion, coûts environnementaux, coûts associés à l’accidentologie).
36Pour l’essentiel, la littérature économique consacrée aux transports comme à la mobilité n’accorde pas la priorité aux coûts environnementaux et sociaux jugés relativement faibles comparativement aux autres coûts (Ivaldi, 2018) et s’appuie sur les mécanismes incitatifs monétaires, l’évolution des technologies et la concurrence par les coûts pour pallier les insuffisances actuelles dans l’organisation de la mobilité et évoluer vers des modes plus efficaces ou doux14. Les marges de manœuvre pour réduire la mobilité sont extrêmement faibles car la préférence pour la proximité n’est guère compatible avec les préférences ataviques de l’homo œconomicus pour l’hypermobilité.
Les hypothèses implicites et explicites de l’homo œconomicus auto-mobile
37À partir d’un nombre limité d’hypothèses et d’une grande économie de moyens, la démarche générale de l’économie politique semble pouvoir s’appliquer à la mobilité comme elle s’applique à d’autres domaines de la vie courante.
38Au préalable, il convient de préciser que s’il existe une méthode générale (l’analyse coût-avantage) qui semble presque faire consensus (Jean-Pierre Orfeuil en fait l’apologie ; Antonin Pottier en montre les limites), il subsiste à l’intérieur de la discipline (mais aussi à l’extérieur) des divergences de vues et des positions doctrinales différentes (des paradigmes) notamment à propos de certaines hypothèses qui orientent fortement les résultats des analyses et les préconisations qui s’y rattachent.
39Cependant, la mobilité pose un problème très particulier à l’analyse économique, un problème actuellement insurmontable, indépendamment des préférences doctrinales : il n’existe pas de marché unifié de la mobilité, ni même de procédure claire pour organiser ce marché. Dans d’autres domaines le marché n’existait pas a priori non plus, mais il a pu être organisé artificiellement. Face au problème des ressources non renouvelables (certaines matières premières, certaines énergies), des dégâts irréversibles (réchauffement climatique, biodiversité), des externalités négatives (pollution de l’air, destruction des écosystèmes), l’analyse économique a d’ores et déjà proposé de nombreuses solutions visant à réinternaliser les coûts naturels, à recréer une sorte de marché (marché intertemporel pour les ressources épuisables, valeurs attribuées aux services écosystémiques, droits à polluer, prix de la tonne de carbone rejetée dans l’atmosphère, etc. (Perthuis et Jouvet, 2013). Depuis le constat alarmiste de Garrett Hardin sur la prétendue tragédie des communs, l’analyse économique préconise d’affecter un prix et un droit de propriété à tout ce qui n’en dispose pas encore, de manière à régler les conflits d’usage et à responsabiliser les acteurs économiques dans la gestion des biens naturels. Ce schéma ne s’applique pas aux mobilités. Chaque mode, chaque segment de mobilité est régi par des contraintes et des règles spécifiques. L’organisation de la mobilité compte tenu de la variété croissante des modes de transport urbains et la dispersion des préférences individuelles, ne peut être unifiée. Il n’est pas possible aujourd’hui d’évaluer l’impact économique, social et environnemental réel de chaque déplacement pour en déterminer le juste prix.
40À ce jour, il existe bien un marché de l’automobile, du vélo, du deux-roues motorisé, une demande et une offre de transport collectif, des marchés segmentés de services de mobilité (autopartage, vélos en libre-service, location de véhicules, covoiturage, VTC, mobilité à la demande, etc.), etc. mais il n’existe pas un marché de la mobilité dans son ensemble, qui intégrerait le coût des nuisances, celui de l’entretien des infrastructures et le prix du transport. Il est impossible d’imaginer dans le domaine de la mobilité un ordre spontané qui résulterait involontairement de l’action de chacun comme dans le jeu de la catallaxie (un jeu d’échanges sans orientation collective délibérée) cher à Friedrich Hayek. La mobilité est appelée à demeurer un marché pluriel, désorganisé et donc régulé par les pouvoirs publics. Des solutions économiques ponctuelles peuvent néanmoins s’appliquer. D’où la diversité des propositions de mobilité durable qui relèvent de paradigmes économiques différents et le fort besoin de régulation (tableau en annexe).
41Le cadre général de l’analyse économique standard reconduit invariablement un a priori méthodologique (l’individualisme méthodologique) qui, dans le cas de la mobilité, devrait être débattu15. Ce cadre est complété par trois hypothèses fortes concernant le comportement de l’homo œconomicus qui se répercutent intégralement sur celui de l’homo mobilis.
421. La poursuite par chaque individu de son propre avantage, doublée d’un objectif de maximisation, de l’utilité ou du profit, avec la conviction16 qu’un tel comportement contribue involontairement mais efficacement à l’intérêt général. Cette proposition énoncée dès le xviie siècle, réaffirmée au xviiie puis « démontrée mathématiquement » au xixe, nuit à la prise de conscience de la responsabilité collective des actes individuels. Rappelons que cette hypothèse forte était initialement nécessaire à la démonstration mathématique de l’intuition libérale : pour faciliter les calculs il était indispensable de limiter les « frictions et interactions » d’un individu simplifié, en quête des satisfactions que lui dictent ses seules préférences et qui ne subit aucune influence extérieure. En conséquence, l’individu n’a pas de compte à rendre à la société, concernant ses choix de mobilité qui ne sont limités que par son budget temps et sa contrainte monétaire. Par la suite, les idéologies libérales et néolibérales se sont accommodées de règles de circulation et du Code de la route mais le postulat de l’autonomie complète de l’homo mobilis dans chacun de ses déplacements est reconduit17. L’incivilité est constitutive de l’approche économique de la mobilité.
432. De la recherche par chacun d’un niveau de satisfaction maximale, il découle que le comportement individuel de mobilité (s’il n’est pas réprimé ou freiné) ne peut être influencé que par deux types de stimulants : la valeur d’usage des biens (des services, des expériences, des activités) et leur valeur d’échange (le prix ou le coût dont il faut s’acquitter pour les obtenir). Cela écarte a priori toute autre possibilité d’incitation d’ordre moral ou réglementaire. En d’autres termes, comme l’expliquent les économistes de la mobilité, le choix de se déplacer d’un point à un autre et par un mode de déplacement donné est motivé par une « utilité » (activité, ressource, expérience) et conditionné par le ratio utilité/coût. Tout accroissement du numérateur (gain d’intérêt par l’enrichissement du programme d’activités) ou toute baisse du dénominateur (gains de temps, réduction de la distance à parcourir, baisse du coût de transport ou du tarif, gratuité, subvention, amélioration du confort et de la sécurité) entraîne une augmentation de la demande de mobilité. En conservant ce modèle, nous allons vers toujours plus de mobilité.
443. La préférence pour le présent. Lorsqu’il effectue un calcul destiné à orienter son comportement, l’agent économique prend en compte le temps et manifeste une préférence pour le présent. Dans sa recherche de maximisation de sa fonction d’objectif (utilité ou profit) sous contraintes (contraintes de revenu, contraintes technologiques et contraintes réglementaires, on notera l’absence de contraintes morales) l’agent n’est pas tenu de prendre en compte l’état futur de la planète. Au mieux peut-il considérer dans son rôle d’investisseur la rentabilité d’investissements décidés aujourd’hui pour préserver dans le futur des ressources naturelles et écosystémiques. Le reste relève de l’action publique.
45En résumé, le cadre analytique du modèle économique de mobilité n’est pas compatible avec l’hypothèse de préservation des écosystèmes et de réduction générale de la mobilité. Il envisage exclusivement la mobilité durable à travers un corps d’hypothèses et des processus rationnels utilitaristes (optimisation, innovation, marchandisation) inchangés. La mobilité durable est très largement précontrainte dans ses modalités de développement.
Conclusion : l’impact des hypothèses économiques sur les modèles urbains de la mobilité durable
46Comme d’autres d’activités, mais sans doute davantage, compte tenu de son caractère ultrasensible, en tant que moteur du développement économique et facteur de rayonnement des territoires, la mobilité fait l’objet d’une attention particulière. Le surgissement de nouvelles contraintes (environnementales, écosystémiques et sociales) ne remet pas en question la logique économique première : la nécessité d’effectuer des investissements rentables, de maintenir un territoire attractif, capable d’absorber et de gérer une demande de mobilité importante voire croissante. Certes les individus sont invités à faire évoluer leurs modes de vie et leurs comportements de mobilité, dans un sens plus vertueux, mais l’hypothèse de base est que les besoins de mobilité sont potentiellement illimités et que leur diversification est croissante. Les grandes orientations des politiques publiques et de politiques urbaines actuellement adoptées le sont sous l’hypothèse d’un mode de vie quasiment inchangé et de modèles de comportements individuels modifiés à la marge à travers la variété de l’offre de mobilité autorisant la transmodalité et l’intermodalité, par des incitations essentiellement monétaires et technologiques. La préoccupation de mobilité durable dans les métropoles se résume le plus souvent à un problème de minimisation du coût total du dispositif de mobilité (public ou privé) associé à un besoin de visibilité internationale, de prestige et d’attractivité du territoire pour les investisseurs, les touristes et les actifs créatifs (Kahn, 2018).
47Les hypothèses de travail en vue de réduire l’impact des activités humaines (dont la mobilité) sur le réchauffement climatique18, portent sur un horizon temporel lointain (au mieux 2030 mais plutôt 2050) et raisonnent à modèle de développement constant. Les caractéristiques de l’économie capitaliste sont téléportées dans le futur. Dans les scénarios envisagés, les changements portent principalement sur des améliorations technologiques et une organisation optimisée des mobilités. Les hypothèses relatives à une moindre mobilité ne sont envisagées qu’à la marge, et pressenties comme peu souhaitables (Crozet et Lopez-Ruiz, 2013). Elles résulteraient d’une diminution de la croissance économique (stagnation séculaire), d’une réduction de l’élasticité vitesse/PIB19 et à long terme d’une diminution – encore inexplicable – de l’élasticité des distances parcourues par rapport au produit intérieur brut (PIB). Dans ces conditions, les mobilités intra et interurbaines vont pour le moment encore continuer à progresser. Aucun travail en économie politique n’envisage sérieusement une réduction drastique de la mobilité des marchandises et des personnes. Bien au contraire, les territoires sont incités à s’équiper de manière ad hoc pour gérer au mieux ce besoin de mobilité généralisée.
Références
48Allemand S., Ascher F., Levy J., 2005, Les sens du mouvement, Paris, Belin.
49Amar G., 2010, Homo mobilis. Le nouvel âge de la mobilité, Limoges, FYP.
50Boiteux M., 1994, Transports. Pour un meilleur choix des investissements, Commissariat général du Plan, Rapport du groupe de travail présidé par Marcel Boiteux, Paris, La Documentation française.
51Boiteux M., 2001, Transports. Choix des investissements et coût des nuisances, Paris, Commissariat général du Plan.
52Bonnet M., Desjeux D., 2000, Les territoires de la mobilité, Paris, PUF.
53Bonnet-Fernandez D., 2017, « Économie de fonctionnalité, économie collaborative. Quels modèles de mobilité pour 2020 ? », dans Lazzari Y. et al. (dir.), Économie circulaire et territoires, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, p. 139-146.
54Brécard D., Bulteau J., 2011, « Les enjeux économiques et environnementaux de la mobilité durable », dans Abidi A., Fialaire J. (dir.), Quelle gouvernance au service de la mobilité durable, Paris, L’Harmattan, p. 45-61.
55Brenac T., Reigner H., Hernandez F., 2013, « Centres-villes aménagés pour les piétons : développement durable ou marketing urbain et tri social ? », Recherche transports sécurité, 29, p. 267-278.
56Buhler T., 2015, Déplacements urbains. Sortir de l’orthodoxie, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes.
57Bulteau J., 2009, La mobilité durable en zone urbaine. Efficacité et perspectives des politiques d’environnement, thèse en sciences économiques, université de Nantes.
58Cirillo C. et al., 2004, « Les enquêtes sur les comportements de mobilité, et après ? », Reflets et perspectives de la vie économique, 43, p. 111-121.
59Crozet Y., 2014, « Mobilité et vitesse des déplacements : vers une remise en cause de la tendance séculaire aux gains de temps ? », dans Flonneau M. et al. (dir.), Les transports de la démocratie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 193-208.
60Crozet Y., 2017, Hyper-mobilité et politiques publiques, Changer d’époque ?, Paris, Economica (Anthropos).
61Crozet Y., Lopez-Ruiz H., 2013, Enjeux spatiaux, économiques et politiques des scénarios de mobilité durable à l’horizon 2050, rapport Ademe-Predit.
62Ekeland E., 2015, Le syndrome de la grenouille. L’économie et le climat, Paris, Odile Jacob.
63Flonneau M., Orfeuil J.-P., 2016, Vive la république ! Vive la route, La Tour-d’Aigues, Aube.
64Foucault M., 2004, Naissance de la biopolitique (cours au Collège de France 1978-1979), Paris, EHESS/Gallimard/Seuil.
65Gallez C., Chardonnel S., 2018, « Transport et mobilité face au territoire : trois manières d’appréhender des relations complexes », dans Talandier M., Pecqueur B. (dir.), Renouveler la géographie économique, Paris, Economica (Anthropos), p. 221-235.
66Haëntjens J., 2018, Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes. La cité face aux algorithmes, Paris, Rue de l’Échiquier.
67Heran F., 2017, Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains de 1817 à 2050, Paris, La Découverte.
68Hirschman A.-O., 1991, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard.
69Huré M., 2017, Les mobilités partagées. Nouveau capitalisme urbain, Paris, Publications de la Sorbonne.
70Ivaldi M., 2018, « Outils numériques et économie de la mobilité », dans Landau B., Diab Y. (dir.), Le nouveau monde de la mobilité, Paris, Presses des Ponts, p. 29-40.
71Jullien B., Rochet J.-C., 2005, « La régulation en pratique », Revue d’économie politique, 115/3, p. 273-283.
72Kahn R., 2018, « La mobilité durable en milieu urbain », La lettre du financier territorial, 330-331, p. 37-41 et p. 43-48.
73Lussault M., 2013, L’avènement du monde. Essai sur l’Habitation de la terre, Paris, Seuil.
74Lussault M., 2017, Hyper-lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation, Paris, Seuil.
75Marzloff B., 2005, Mobilités. Trajectoires fluides, La Tour-d’Aigues, Aube.
76OCDE, 2004, Communicating Environmentally Sustainable Transport. The Role of Soft Measures, Paris, OCDE.
77OCDE, 2014, Le coût de la pollution de l’air. Impacts sanitaires du transport routier, Paris, OCDE.
78Orfeuil J.-P., 2008a, Mobilités urbaines, l’âge des possibles, Paris, Les Carnets de l’info.
79Orfeuil J.-P., 2008b, Vers une approche laïque de la mobilité, Paris, Descartes & Cie.
80Passet R., 2012, Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire, Arles, Actes Sud (Thésaurus).
81Perthuis C. de, Jouvet P.-A., 2013, Le capital vert. Une nouvelle perspective de croissance, Paris, Odile Jacob.
82Pestre D., 2013, À contre-science. Politiques et savoirs des sociétés contemporaines, Paris, Seuil.
83Piron S., 2018, L’occupation du monde, Bruxelles, Zones sensibles.
84Pottier A., 2016, Comment les économistes réchauffent la planète, Paris, Seuil (Anthropocène).
85Raveaud G., 2013, La dispute des économistes, Lormont, Le Bord de l’eau.
86Reigner H., Brenac T., Hernandez F., 2013, Nouvelles idéologies urbaines. Dictionnaire critique de la ville mobile verte et sûre, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Espace et territoires).
87Rist G., 2017, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Sciences Po.
88Sadin E., 2016, La silicolonisation du monde, Paris, L’Échappée.
89Schieb P.-A., Muller R.-A., 2018, Perspectives économiques pour le xxie siècle. Vers un autre New Deal ?, Paris, L’Harmattan.
90Vidalenc E., 2018, « Décarboner les mobilités à l’horizon 2030 », dans Landau B., Diab Y. (dir.), Le nouveau monde de la mobilité, Paris, Presses des Ponts.
Annexe. Les solutions de mobilité urbaine durable selon les principaux paradigmes économiques
Solutions politiques et réglementaires prioritaires | Techniques de rationalisation/optimisation prioritaires | Mécanismes de marché prioritaires | |
Grandes orientations de la mobilité durable | Transports collectifs durables (TCSP…) PTU et Plans de déplacements urbains Aménagements urbains Polycentrisme, proximité habitat-travail / ville compacte / partage équitable de l’espace | Optimisation technique écologique et économique décentralisée des pratiques Efficacité énergétique et écologique des véhicules Tarification des déplacements / optimisation des aménagements : Laure Gestion optimale des externalités : péages, taxes (Fiscalité durable / prix) | Innovations de rupture / nouveaux marchés Économie de la fonctionnalité Permis d’émissions négociables (gestion par les quantités et les prix) Dérégulation (coûts collectifs) |
Valeurs de base / principes | MD organisée politiquement Égalité/responsabilité/convivialité Altruisme/gratuité Communs/capital social Réglementation Innovation institut. Concertation | MD organisée par la rationalité scientifique (technologies numériques) Optimisation Lean management appliqué à la mobilité Multi- & intermodalité | MD organisée par le marché Incitations monétaires & marchandes Confrontation offre / demande |
Dispositifs de MD | Snit-Srit-PTU-PDU-AOM Tramways-bus-métro Piétonisation Pédibus Éco-Quartiers Certificats verts (CRIT’Air) Circulation différenciée Zones à faibles émissions Covoiturage (non-marchand, partage des coûts) | Outils de guidage Planificateurs d’itinéraires de transport / SIG / GPS Billetterie optimisée Véhicules en libre-service / véhicules hybrides / Flex-fuel / Low-cost / Microcar BHNS Covoiturage urbain particuliers Bonus-malus Péage écologique Péages congestion Gestion optimale du stationnement | Nouveaux services marchands de mobilité Nouveaux véhicules (électriques) Nouveaux carburants (H) Voiture autonome Sécurisation individualisée Autopartage & Covoiturage (à but lucratif) MD & gentrification |
Signification des sigles et acronymes : AOM, autorité organisatrice de la mobilité ; BHNS, bus à haut niveau de service ; GPS, global positioning system ; H, hydrogène ; Laure, loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie ; MD, mobilité durable ; PDU, plan de déplacements urbains ; PTU, périmètre de transport urbains ; SIG, système d’information géographique ; Snit, schéma national des infrastructures et des transports ; Srit, schéma régional des infrastructures et des transports ; TCSP, transports collectifs en site propre. |
Notes de bas de page
1 Problèmes de tarification, congestion, optimisation des dispositifs, comparaison des modes de transport, changements technologiques, etc.
2 Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet ANR-RED, où nous avons pu disposer d’une liberté d’investigation que nous croyons utile pour faire progresser la réflexion sur la mobilité durable. Cette liberté dont bénéficie le chercheur peut aller jusqu’à se demander si la société utilise les bons outils pour résoudre les problèmes qu’elle rencontre.
3 Dans un ouvrage éclairant (Deux siècles de rhétorique réactionnaire), Albert Hirschman (1991) montre avec brio et humour que de nombreuses tentatives de progrès social et politique ont été systématiquement contrées par trois sortes d’arguments : l’effet de péril, l’effet pervers et l’effet d’inanité.
4 Ricardo, von Thünen, Marshall, Lösch, Krugman, etc., en économie spatiale.
5 … et dépenser moins, c’est le sous-titre d’un ouvrage de Jean-Pierre Orfeuil (2008a).
6 Parmi les économistes, il n’y a pas unanimité sur ce qu’il conviendrait de faire. Jean-Pierre Orfeuil souhaite une plus grande rationalisation des politiques de transport et d’aménagement. Il place sa confiance dans la capacité des générations futures à répondre aux défis qui se présenteront ; Marc Ivaldi comme Nicolas Rousselet préconisent l’adoption des outils numériques et des techniques de machine learning pour optimiser l’organisation et la tarification de la mobilité, Dominique Bonnet-Fernandez plébiscite l’économie circulaire et de la fonctionnalité ; Charles-Antoine Schwerer et Maxime Huré pèsent les avantages et les inconvénients des mobilités partagées ; Frédéric Héran, le retour de la bicyclette ; Yves Crozet envisage l’hyperconnectivité comme un substitut à la mobilité, il demande une tarification plus réaliste et un désengagement partiel de l’État. Les économistes anglo-saxons (OCDE, 2004, 2014 ; Commission européenne), n’ont pas sur le sujet d’état d’âme, les villes doivent être les moteurs d’une sustainable competitiveness.
7 Selon l’enquête nationale transports et déplacements (ENTD) de 2008, en cours de réactualisation, et la Commission des comptes des transports de la Nation (dans son rapport sur les comptes des transports en 2017), chaque résident français parcourt en moyenne 15 500 km par an, soit 42 km/jour et mobilise par jour et par personne 14 tonnes-kilomètres de fret.
8 Parmi les institutions ou programmes qui relaient ces cadres métathéoriques, nous pouvons sans hésitation mentionner au niveau national, le ministère de la Transition écologique et solidaire, chargé des transports, l’OPECST, le Sénat, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), fédérées au sein du Groupement des autorités responsables de transport (GART), le Predit (Programme interministériel de recherche et d’innovation dans les transports terrestres au sein de l’ANR), l’Ademe, les Assises nationales de la mobilité, etc., ainsi qu’un très grand nombre de structures privées qui se consacrent à l’architecture et à l’organisation des systèmes urbains de mobilité.
9 Ils sont toutefois nécessaires et même indispensables à la bonne marche des activités économiques (production, échanges, consommation).
10 Ces chiffres sont les suivants : 941,3 milliards de voyageurs-kilomètres et 347,8 milliards de tonnes-kilomètres pour le transport des marchandises en 2017 (d’après le rapport de la Commission des comptes des transports de la Nation pour l’année 2017).
11 Le coût généralisé ajoute au coût monétaire du transport le coût du temps associé selon la valeur du temps accordée par l’usager. La valeur du temps n’est pas quantifiée mais révélée par les préférences. En effet, l’usager choisit le mode de déplacement qui minimise le coût de transport généralisé. Celui qui accorde une valeur élevée à son temps, choisira un mode de transport rapide.
12 Le coût social généralisé intègre outre le coût de transport, les coûts sociaux de la mobilité (les coûts externes et les coûts socialisés à travers les subventions publiques).
13 La vitesse généralisée (Vg) est un concept initié par Ivan Illich et Jean-Pierre Dupuy puis développé en particulier par Yves Crozet. Il s’agit de prendre en compte le temps du déplacement et la distance parcourue (soit la vitesse moyenne V) mais également le temps de travail nécessaire pour obtenir le revenu permettant de payer le coût monétaire du déplacement. k/w rapporte ainsi le coût kilométrique de transport d’une personne pour un mode de transport donné (k) au taux de salaire horaire w. La vitesse sociale généralisée (Vsg) inscrit au dénominateur le coût social du transport (ks). La formule devient : Vsg = .
14 Voir les scénarios Pégase – Chronos – Hestia ; Pénélope – Cassandre – Phénix dans Crozet, Lopez-Ruiz (2013) ainsi que Crozet (2017).
15 À l’heure actuelle, les dispositifs d’aide à la navigation privilégient une régulation individuelle des déplacements (optimisation des temps et des coûts individuels de transports) et non collective.
16 Sauf circonstances particulières d’actions délibérément opportunistes et de constitution de rentes informationnelles.
17 « Être libéral, ce n’est pas comme le “manchestérien”, laisser les voitures circuler dans tous les sens, suivant leur bon plaisir, d’où résulteraient des encombrements et des accidents incessants ; ce n’est pas, comme le planiste, fixer à chaque voiture son heure de sortie et son itinéraire : c’est imposer un Code de la route, tout en admettant qu’il n’est pas forcément le même au temps des transports accélérés qu’au temps des diligences. Nous saisissons aujourd’hui mieux que les grands classiques en quoi consiste une économie vraiment libérale. C’est une économie soumise à un double arbitrage : à l’arbitrage spontané des consommateurs qui départagent les biens et les services qui leur sont offerts sur le marché au gré de leurs convenances par le plébiscite des prix et d’autre part, à l’arbitrage concerté de l’État qui assure la liberté, la loyauté et l’efficience du marché » (Louis Rougier [1939] pour l’ouverture du colloque Walter Lippman qui est l’acte de naissance du néolibéralisme, cité par Michel Foucault dans Naissance de la biopolitique [Foucault, 2004, p. 167]).
18 La division par quatre des émissions de GES ou Facteur 4.
19 Les vitesses de transport des différents modes cessent tendanciellement de progresser en dépit de la croissance.
Auteur
René Kahn, maître de conférences (HDR) en sciences économiques, Bureau d’économie théorique et appliquée UMR 7522, université de Strasbourg.
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