Chapitre 2. Une économie régionale
p. 49-96
Texte intégral
1Le parti ici retenu d’ouvrir la présentation d’une économie régionale en partant des hommes dent à deux raisons. A l’origine comme au terme de toute activité sont ces hommes qui produisent et qui consomment, et cela pourrait suffire à justifier qu’on fonde sur eux une première approche de l’économie vendômoise. Mais cette approche est aussi une nécessité de méthode. La description de l’économie de la région au xviiie siècle rencontre en effet de nombreuses difficultés, dès lors qu’en dépassant le niveau purement qualitatif on entend appréhender le poids respectif de ses différents secteurs et leur éventuelle évolution : trop souvent, les sources sont ponctuelles, fragmentaires ou malaisément raccordables, et elles exigent d’être utilisées avec beaucoup de précautions. Cela fait ressortir par contraste le prix des quelques données sûres résultant d’une étude centrée sur la population — et, plus précisément, sur sa répartition spatiale et ses structures professionnelles.
2Ce n’est qu’après avoir présenté ces données, et en se référant souvent à elles, qu’on s’attachera à l’examen des différentes branches de l’économie vendômoise : l’agriculture en premier lieu, indiscutablement dominante dans le travail, la production et les préoccupations des habitants du Vendômois au xviiie siècle ; puis les activités plus diverses relevant des secteurs secondaire et tertiaire. Il reviendra alors à une dernière partie de dresser le bilan des acquis des développements précédents, du double point de vue du rapport entre la production et les hommes, et des échanges qui affectent l’économie vendômoise, tant à l’intérieur de la région qu’au-delà de ses limites.
D’ABORD LES HOMMES
LA GÉOGRAPHIE DES DENSITÉS
3L’analyse de la répartition des hommes, qu’on considérera ici d’un point de vue structurel, réservant pour plus tard l’étude des éventuelles évolutions démographiques du xviiie siècle, peut se fonder sur trois séries de chiffres : les nombres de feux résultant du dénombrement du ressort des gabelles effectué en 1726, ceux figurant dans l’Etat général des noms de paroisses de la généralité d’Orléans, qui date de 1768, et les populations communales, comptabilisées cette fois en habitants, recensées en 1806. Ces trois séries se signalent par leur sérieux : celle de 1726 est le fruit d’un dénombrement ordonné par le Contrôleur général et expérimenté déjà en 1725 ; celle de 1768 a été établie dans les bureaux mêmes de l’intendance ; quant au recensement de 1806, il est habituellement tenu pour être d’une grande qualité, et il est suffisamment proche du xviiie siècle pour être encore pris en compte. Il n’est pas indifférent, par ailleurs, que ces trois séries se répartissent à intervalles réguliers (42 puis 38 ans) de la fin du premier quart du xviiie siècle au tout début du xixe. De plus, elles prennent place à des moments où l’évolution démographique ne semble pas connaître d’accident particulier. Du reste, les coefficients de corrélation qui s’établissent entre elles sont élevés1: ils plaident donc pour une permanence de la géographie de la population du Vendômois, ce qui d’un point de vue structurel est bien l’essentiel.
4Premier enseignement des dénombrements, l’effectif de la population régionale. En chiffres ronds, celui-ci s’établit dans les limites de l’arrondissement de Vendôme à 13 000 feux en 1726 comme en 1768, et à 70 000 habitants en 1806. Dans le cadre plus restreint de l’élection (dans ses limites postérieures à 1730), on compte 9 000 feux en 1768 et 50 000 habitants en 1806. Ce qui correspond à des densités au kilomètre carré de 7,5 feux au xviiie siècle et de 40 habitants en 1806.
5Mais cette densité moyenne masque d’importantes variations. La première d’entre elles tient à l’existence des villes. Encore faut-il s’entendre sur la définition de ces dernières. En 1806, l’arrondissement comprend, outre Vendôme (7 248 habitants), deux communes de 2 500 à 3 000 habitants, deux autres de 1 500 à 2 000, et huit de 1 000 à 1 500. Où, dans cet ensemble, situer la limite du fait urbain ? La réponse à cette question est fournie par le recensement de 1820, qui donne pour chaque commune la population de la principale agglomération, qualifiée de « bourg ». Réponse sans ambiguïté au demeurant, trois bourgs seulement se détachant à la fois par leur population et par leur part dans la population communale totale : Vendôme (6 707 habitants, 92,8 % de la population totale), Montoire (2 634 habitants, 89,7 % du total) et Mondoubleau (1 805 habitants, 95 % du total). Les autres bourgs sont loin derrière : Villiers, le plus gros d’entre eux, ne compte que 582 habitants, et 45,2 % de la population totale. Quant à Savigny, ses 2 787 habitants (davantage que Mondoubleau) sont à mettre au compte de l’exceptionnelle étendue de son terroir (6 718 ha), et non d’un caractère urbain prononcé : son bourg ne compte que 534 habitants (19,2 % seulement de la population communale).
6Il n’y a donc bien que trois villes en Vendômois au tournant des xviiie et xixe siècles. Sans doute la définition ancienne de la ville — un lieu clos de murs et de fossés et rempli de maisons — permettrait-elle d’allonger cette liste, en y incluant par exemple Morée et Trôo, qui répondent à ces critères (comme le font du reste les trois villes retenues à l’instant). Mais l’approche par la population, qui est de plus en plus celle des observateurs du xviiie siècle, conduit à les éliminer. Une approche fonctionnelle aboutirait du reste à un résultat identique : ni les institutions administratives détenues par ces localités, ni leurs activités économiques ne correspondent à ce qui, de plus en plus, est considéré comme caractéristique d’une ville.
7Retenons enfin, à partir de ces données, que la part des citadins dans la population du Vendômois est très minoritaire : en 1726, Vendôme et Montoire ne représentent que 22 % de la population de l’élection ; et en 1806, ces deux villes et Mondoubleau ne rassemblent que 17 % de celle de l’arrondissement. Il ne faut pas chercher dans ces taux, calculés à partir de bases différentes, les éléments d’une évolution. En revanche, ils soulignent clairement le contraste qui oppose en Vendômois une étroite minorité urbaine à la masse rurale.
8S’agissant de ce monde rural, la densité s’en établit, une fois les trois villes exclues, à 6,5 feux par kilomètre carré au xviiie siècle pour le futur arrondissement (et 6,2 pour l’élection) et à 34 habitants au kilomètre carré en 1806 pour l’arrondissement (33 pour l’ancienne élection). Mais ces densités rurales ne constituent qu’une moyenne : en effet, d’importantes différences de peuplement s’observent dans les campagnes vendômoises (carte ci-dessous). Ainsi la vallée du Loir connaît-elle, du moins à l’aval de Vendôme, des niveaux d’occupation très élevés, de 10 voire 20 feux au kilomètre carré au xviiie siècle, 50 et parfois plus de 100 habitants au kilomètre carré en 1806 : c’est tout particulièrement vrai à l’ouest de Vendôme (Villiers, Naveil, Thoré), à l’est de Montoire (Les Roches, Villavard, Lavardin) et, plus à l’ouest, de Saint-Quentin et Ternay à Sougé et Couture. En dehors de la vallée, les densités sont bien plus faibles. C’est en Beauce, en Gâtine orientale et dans la région de La Ville-aux-Clercs qu’elles sont les plus basses : moins de 6 et parfois moins de 4 feux au kilomètre carré au xviiie siècle, moins de 30 et souvent moins de 20 habitants au kilomètre carré au xixe. En revanche, dans la zone proprement percheronne (Mondoubleau, Droué, Savigny) et dans l’ouest de la Gâtine, les densités s’élèvent couramment, par kilomètre carré, à 6 et même 8 feux sous l’Ancien Régime, 30 et même 40 habitants en 1806.
9Cette dissymétrie entre l’est et l’ouest de la région se relie naturellement aux caractères que l’étude des milieux naturels y a mis en évidence. Mais elle doit aussi se replacer dans un cadre plus large. Les densités relativement fortes du Perche et de la Gâtine occidentale donnent à ces zones des traits proches de ceux des régions qui se trouvent plus à l’ouest, cependant que les densités plus faibles de la Beauce vendômoise annoncent celles qui s’observent plus à l’est2. Entre les bocages plus peuplés de l’Ouest et les espaces découverts du cœur du Bassin parisien à l’occupation humaine plus lâche, le Vendômois prend donc une fois de plus figure de zone de contact et de transition.
LA GÉOGRAPHIE PROFESSIONNELLE
10Les différences de densité qui viennent d’être évoquées ne sont pas sans lien avec la répartition des activités pratiquées dans la région. Mais elles ne permettent pas de préciser davantage ces dernières. L’analyse socioprofessionnelle peut au contraire constituer ici un précieux indicateur.
11Cette analyse a été menée à partir du dépouillement des 2 772 actes de mariage enregistrés dans les 114 communes de l’arrondissement de Vendôme de l’an VII à l’an xii3. De ce relevé n’ont été retenus ici que les mariés résidant en Vendômois lors de leur mariage, l’étude portant sur le lieu de résidence des mariés — et non sur leur lieu de mariage, notion plus ambiguë dans la mesure où rien dans les actes ne permet de préciser si le mariage y est ou non suivi d’installation. Malgré cette restriction, l’analyse porte encore sur un ensemble de 2 386 mariés, qui ont été ventilés entre 12 catégories professionnelles : les notables, sans qu’il faille chercher dans ce terme un autre sens que de commodité (ce sont les propriétaires, les fabricants, les négociants, les magistrats et les auxiliaires de justice, les enseignants, les médecins) ; les militaires (y compris les gendarmes) ; les travailleurs du textile (tisserands, sergers, cardeurs, cotonnadiers) ; ceux de l’industrie (verrerie, forge, tannerie, ganterie) ; ceux de la forêt (bûcherons, fagoteurs...) ; les artisans (de l’alimentation, du vêtement, du bâtiment, de l’outillage agricole, du commerce de détail...) ; les meuniers ; les cultivateurs ; les vignerons ; les jardiniers ; les laboureurs ; les journaliers (et les domestiques de culture).
12On voit bien les limites d’une telle source. Par la force des choses, elle néglige la partie de la population active qui se marie hors du Vendômois : toutefois, ce phénomène, au demeurant minoritaire, se retrouve dans les différentes catégories sociales, si bien que le résultat de l’analyse n’en est pas altéré. D’autre part, la saisie de la population active au moment du mariage a pour effet de légèrement réduire la part des professions ou des statuts liés à des âges plus faibles (domestiques ou bergers) ou plus élevés (notables) : mais cette distorsion ne peut qu’être mineure. Plus gênante, dans l’optique d’une analyse économique, est la rareté des doubles métiers figurant dans les actes, alors que la spécialisation professionnelle se nuançait à la fin du xviiie siècle de nombreuses activités d’appoint, qui ne doivent pas être négligées. Admettons tout de même ici des compensations : s’il est vrai que des tisserands participaient à la moisson, il l’est aussi que des paysans désignés comme tels tissaient en hiver. Il est grave aussi que l’enquête ne prenne pas en compte la profession des femmes : la source utilisée ne permet pas de le faire, ce renseignement faisant défaut dans la très grande majorité des actes. Si une telle lacune n’est pas de nature à bouleverser les résultats de l’analyse, elle peut affecter, négativement, le poids apparent des activités à main-d’œuvre principalement féminine, comme par exemple la ganterie. Enfin, il va de soi que les conclusions qui résultent de l’enquête valent pour la fin du xviiie siècle, et seulement pour cette époque. En bonne méthode, le dépouillement effectué en appellerait d’autres, à l’amont, afin de situer permanences et évolutions. Mais il n’a pas été possible de les réaliser, parce que beaucoup trop d’actes, au xviiie siècle, sont dépourvus d’indications professionnelles. Retenons donc notre enquête pour ce qu’elle est : une solide référence, dès lors qu’on est conscient de ses limites, pour analyser les activités professionnelles de la région à un moment précis, et pour ancrer à partir de là des analyses régressives conduites par d’autres voies, à partir d’autres sources.
13L’enquête révèle d’abord, sans surprise, que près des deux tiers de la population active du Vendômois sont engagés dans des activités agricoles : 20,8 % de cultivateurs, 15,2 % de laboureurs, 15 % de journaliers, 11,9 % de vignerons et 1,5 % de jardiniers, soit en tout 64,3 % des actifs. D’un point de vue économique, retenons que le pourcentage de jardiniers reflète mal l’importance du jardinage, pratiqué aussi par les cultivateurs et les journaliers ; et soulignons que près d’un paysan sur cinq se déclare vigneron (même si la vigne n’occupe pas toujours tout son temps) : cela souligne l’importance du rôle du vignoble dans l’économie régionale.
14En ce qui concerne les activités non agricoles, les artisans (17,8 % des actifs) assurent, à la ville comme à la campagne, des fonctions d’approvisionnement et d’équipement. La part des notables (2,6 %) correspond aux fonctions d’encadrement administratif, économique, culturel et médical attendues dans une société provinciale de l’époque. Celle des travailleurs du textile (7,3 %) est davantage révélatrice d’une orientation spécifique de l’économie régionale ; il en va de même de la présence des meuniers (3,2 %), ainsi que des travailleurs de la forêt (2,1 %) et de l’industrie (1,8 %). Enfin, il faut mettre à part les militaires (0,9 %), dont la résidence vendômoise est souvent récente, et généralement temporaire.
15Mais c’est en la replaçant sur le terrain géographique que l’analyse professionnelle prend tout son sens. L’enquête permet en effet de calculer, pour chaque canton de l’époque révolutionnaire, la part de résidents exerçant les grandes activités distinguées plus haut. La carte ci-dessous établie à partir de ces calculs met clairement en évidence, pour s’en tenir à quelques exemples, les contours des zones de vignoble, d’exploitation forestière, ou de fort artisanat textile. Aussi constitue-t-elle une base précieuse pour les développements qui suivent.
L’AGRICULTURE
ÉLÉMENTS D’INFORMATION
16Principale activité de la région, et de loin, l’agriculture vendômoise peut, dans la perspective d’une description globale, s’appréhender à partir de deux types de sources : des tableaux établis au xviiie siècle, et qui peuvent aller jusqu’à la précision statistique d’une part ; et, d’autre part, des descriptions générales, non chiffrées cette fois, et dont les caractères sont pour notre propos assez communs, qu’elles émanent d’administrateurs (rapports d’intendants par exemple) ou d’esprits éclairés de la région, comme Salmon du Châtellier ou l’abbé Simon, déjà cités.
17En ce qui concerne le premier type de sources, les tableaux légués par le xviiie siècle sont de qualité inégale. La Table alphabétique... des paroisses de la généralité d’Orléans établie par Daniel Jousse en 1735-1736, si riche pour les élections proches d’Orléans, est beaucoup plus pauvre en ce qui concerne le Vendômois, où elle n’est guère utilisable que pour fixer l’emplacement et parfois l’étendue des bois. L’Etat de 1741 est plus précieux : il permet en effet de localiser les principales productions agricoles (céréales, vigne, « fruits »), voire d’en quantifier certains aspects (surfaces occupées pour la vigne, et même pour toutes les cultures dans l’élection de Châteaudun, rendements céréaliers dans l’élection de Vendôme). Beaucoup plus succinct, l’Etat général des noms de paroisse de la généralité d’Orléans dressé en 1768 indique cependant la principale production de chaque paroisse, ce qui permet de dégager les grands ensembles de l’agriculture régionale4.
18Mais ces données ne sont pas sans limites. Elles ne concernent guère que l’utilisation des sols, ce qui impose, pour l’élevage, le recours à une enquête de l’an III5, malheureusement sans équivalent à une époque antérieure. Surtout, les données chiffrées du xviiie siècle sont trop souvent partielles, et elles sont nécessairement approximatives, puisque ne reposant sur aucun arpentage systématique. Il ne faut pas pour autant les rejeter : ceux qui les ont établies sont en général des hommes de terrain, connaissant bien la région. Mais il faut être prudent dans leur interprétation, leurs indications ayant une valeur plus relative qu’absolue : si les nombres d’arpents ou de quartiers qui nous sont livrés peuvent légitimement être comparés entre eux, il est plus délicat de fonder sur eux une reconstitution exacte de la structure des terroirs. De plus, tout n’est pas quantifié dans les documents du xviiie siècle : ainsi, et sans même parler des friches, les brières, ou bruyères, pourtant étendues dans certains secteurs du Perche ou de la Gâtine, n’y apparaissent pas.
19Toutes ces considérations justifient le recours à des sources un peu postérieures, puisque datant du premier tiers du xixe siècle. Il s’agit pour l’essentiel d’une enquête de l’an X et des tableaux récapitulatifs de l’utilisation des sols par nature de culture portés au début de la matrice cadastrale de chaque commune6. La qualité de ces sources, surtout de la seconde, établie à partir d’un véritable arpentage, est bien supérieure à celle des tableaux du xviiie siècle : aussi est-ce à partir de cette dernière qu’a été établie la carte ci-dessus. Sans doute l’utilisation de données du xixe siècle dans l’approche d’une réalité du xviiie appelle-t-elle à son tour des réserves, dans la mesure où elle fait bon marché des évolutions qui ont pu survenir d’un siècle à l’autre. Mais dans l’ensemble la permanence est bien ici la règle : la confrontation des données du xixe siècle avec celles des indications du xviiie révèle à cet égard des convergences très rassurantes quant à la réalité de ces structures profondes de l’agriculture vendômoise pendant l’ensemble de la période.
20Il est plus délicat de préciser les éventuelles évolutions qui viennent d’être évoquées. Parce qu’elles sont difficilement raccordables entre elles, les sources utilisées jusqu’alors sont d’un maigre secours, et souvent elles ne permettent pas de quantifier progrès ou reculs survenus ici ou là. De plus grande utilité est à cet égard le second type de source retenu pour cette étude, celui des descriptions globales, qui situe au moins des tendances, en même temps qu’il vient à propos nuancer ou compléter la richesse des indications tirées des tableaux précédents. Comme pour ces derniers, il arrive que les sources sollicitées ne soient pas strictement confinées au xviiie siècle, et qu’elles débordent sur le xixe. Mais l’inconvénient cette fois est mineur, dans la mesure d’abord où s’observent toujours les mêmes permanences entre les deux périodes ; dans la mesure aussi où il n’est pas rare que, loin de brouiller les pistes, un document du xixe siècle aide à préciser les évolutions, quand son rédacteur précise ce qui se passe « depuis peu », ou ce qui se passait « autrefois »7.
21Les réserves ne manquent donc pas, qui appellent à nuancer les tableaux et les descriptions de l’agriculture vendômoise légués par le xviiie siècle ou le début du xixe. Encore s’en est-on tenu jusqu’ici à une critique interne de ces sources, en se plaçant en quelque sorte sur leur terrain, pour ne retenir de leurs insuffisances que celles touchant à leur objectif affirmé, qui est de livrer de l’agriculture régionale une vue globale. Mais la démarche même des auteurs des documents sollicités jusqu’à maintenant appelle un autre type de critique : c’est que sa prétention à dégager une synthèse, certes utile, se paie de simplifications bien réductrices par rapport à une réalité infiniment plus riche, comme le suggère ce qui a été dit des friches et des brières. D’autres sources sont beaucoup plus éclairantes sur ces données très concrètes de la vie rurale : tel est le cas de journaux rédigés au fil des mois et des années par des paysans du xviiie siècle, en particulier ceux de Pierre Bordier, fermier de Lancé déjà cité, et de François Lattron, vigneron de Naveil8. Mais il y a beaucoup à tirer aussi des archives judiciaires, et également de certaines pièces notariales, comme les procès-verbaux de visite d’exploitation.
22Ces documents révèlent d’abord l’extraordinaire variété des ressources qui s’offrent alors aux ruraux, et dont les grandes catégories habituelles — céréales, bois, vigne, plantes textiles, élevage herbager — sont loin de rendre complètement compte. Enumérons donc, et sans prétendre être exhaustif, d’autres cultures — notamment d’arbres fruitiers (pommiers du Perche, certes, mais encore guigniers, cerisiers, pruniers et noyers, pourvoyeurs d’huile) et de « potages » (c’est-à-dire de légumes : pois et fèves, choux et haricots) —, d’autres élevages aussi, notamment de volaille. Mais n’allons surtout pas oublier tout ce qui n’est pas cultivé, et qui pourtant participe à la fois du paysage familier, du savoir et de la subsistance du rural, de l’herbe qui borde les chemins aux ressources des ruisseaux, de ce que recèlent les sous-bois à ce qu’offrent toutes les formes dégradées de brières et de broussailles. Ainsi prennent vie en s’enrichissant de multiples détails les tableaux de l’agriculture du Vendômois trop grossièrement brossés dans un premier temps. Mais du même coup apparaît en pleine lumière la complexité de détail de la vie rurale : cette complexité défie naturellement toute quantification globale et impose de toujours considérer avec prudence les évaluations tentées à partir des principales ressources de la campagne, les seules qui se laissent mesurer.
23L’autre grande impression que laissent ces témoignages, c’est celle d’une nature omniprésente et foisonnante, qui s’impose quotidiennement aux ruraux du xviiie siècle. Sous ses multiples visages, du ciel à la terre, du végétal à l’animal, celle-ci maintient constamment les hommes sous la menace de ses dérèglements et de ses excès, sans qu’ils puissent grand-chose contre elle.
24S’agissant du ciel météorologique, les ruraux n’ont pas à redouter que les rigueurs orageuses ou hivernales déjà évoquées. Ils sont constamment aussi à la merci de la chaleur ou de la fraîcheur, de la pluie ou du beau temps, qu’il se refuse ou qu’il consent à dispenser, avec modération ou avec violence, à la terre et aux cultures. Pierre Bordier est tellement conscient de l’importance de ces éléments qu’il va jusqu’à animer de sentiments les plantes qui les subissent, écrivant que les vignes fatiguent (par suite de pluies excessives), que des orges se lassent (pour la même raison), qu’une gelée a chagriné les bleds ou encore que des pluies faisoient plaisir aux avoines : en établissant de la sorte une relation directe entre le ciel météorologique et la plante cultivée, hors de toute médiation du paysan, notre témoin souligne l’impuissance de ce dernier, qu’il exprime encore lorsqu’il rapporte que l’excès de pluie ou au contraire la trop grande sécheresse interdisent de travailler les champs.
25La terre, quant à elle, impose au rural — qui sait fort bien les distinguer9 — la variété de ses qualités et de ses défauts. Ces derniers ne peuvent être que difficilement corrigés, au prix de gros efforts toujours à recommencer : ainsi dans les terres du Perche qui appellent des marnages ; ainsi aussi dans ces champs où abondent les pierres, celles-ci patiemment arrachées au sol par les paysans qui s’en débarrassent en formant ici et là des murgers.
26La nature est tout aussi présente dans la vie rurale sous sa forme végétale : entendons par là que face aux espèces que le paysan cultive, et à leurs dépens, elle en impose d’autres. Elle peut le faire sous les formes déjà évoquées du taillis, de la lande ou de la brière. Mais elle ne se prive pas non plus d’entrer en concurrence avec les plantes cultivées dans les champs eux-mêmes. Dans les blés se trouvent de la ravenelle (radis sauvage) et de la sauve (moutarde des champs), de la maroute (camomille puante) et du piécot ou pied de coq (renoncule rampante), du cornillau (bleuet des prés) et du pied de chat (une synanthérée à vertu de pectoral), ainsi que des plantes moins facilement identifiables (langue de pivert) et des herbes. Les avoines, quant à elles, sont envahies par l’achée, herbe rampante peu gênante pour la récolte, et par la pamplume (petit trèfle sauvage) et les chardons, qui le sont davantage. En outre, il n’est pas rare que les champs, pour peu qu’ils aient été mal entretenus, soient progressivement gagnés par les épines normalement circonscrites aux haies : cela s’observe aussi dans certains prés, menacés également, pour les plus humides, par des joncs. Les prés constituent du reste un terrain privilégié pour le développement d’une végétation parasite. L’abbé Marchand écrit à propos des prairies des communes sarthoises de Rahay et Valennes, proches de Mondoubleau, qu’elles « sont remplies de paquettes (pâquerettes), de salsifis sauvages, de scabieuses, de nicotiane ou herbe à la veine, de pimprenelles, d’arrête-bœuf, de millepertuis et de chiendent » et qu’ « on y trouve aussi différentes espèces de satyrion, de la colchique ou tue-chien, etc. ».
27Dernier visage de la nature, celui de l’animal. Celui-ci peut être le loup, dont l’inquiétante présence parfois élevée à la hauteur d’un mythe (ainsi la Beste que signale Pierre Bordier) se repère à travers tout le siècle — ou le gibier dont les allusions à la chasse révèlent la présence10. Mais à tout prendre, c’est le petit animal qui est le plus souvent évoqué, sans doute parce que le plus insaisissable. Il faut mentionner ici les taupes, qui truffent les prés de taupinières, les souris qui menacent les grains, les lumas (escargots) redoutés des vignerons. Les insectes sont encore plus fréquemment cités. Pierre Bordier nomme les cheranssons (charançons) qui s’en prennent aux vieux blés, et les senilles (chenilles) contre lesquelles on va jusqu’à pratiquer des exorcismes : celles des chênes menacent la récolte des glands. Le vigneron François Lattron mentionne quant à lui la teigne, papillon du genre pyrale dont la chenille s’attaque à la grappe, et l’hirbet, encore appelé urbec, coléoptère qui pour pondre ses œufs s’en prend à la feuille de vigne11.
28D’un tel tableau, nécessairement incomplet, il ressort clairement que le rural est en permanence confronté à une nature qu’il contrôle mal, et qui en même temps qu’elle imprime sa marque au paysage lui impose une sévère concurrence : les fleurs multicolores qui lèvent au printemps à travers les blés, les broussailles qui s’installent dans les terres délaissées si peu que ce soit par la charrue, les joncs qui gagnent dans les prés les plus humides, les haies qui se dégradent, les feuilles de vigne ravagées par les urbecs en sont de spectaculaires manifestations. Il serait pourtant excessif de s’en tenir à partir de là à une vision uniquement négative du rapport entre l’homme et la nature dans les campagnes vendômoises du xviiie siècle. Car si le rural est en permanence confronté à l’exubérance de la nature sauvage, et s’il est mal armé pour la combattre, il sait aussi composer avec elle, en l’intégrant à son système économique et aux gestes de sa vie quotidienne. Nuisible l’herbe qui lève à travers les champs et les prés ? Sans doute, mais il est plus que vraisemblable qu’on y puise les simples de la pharmacopée populaire, et celle qui pousse au bord des chemins est la bienvenue pour nourrir les oies. Les espaces couverts de broussailles font défaut pour la céréaliculture ? Certes, mais ils peuvent offrir d’intéressantes compensations comme terrain de parcours ou comme zone de cueillette. Il n’est pas jusqu’aux épines des haies qui ne présentent quelque utilité, même en dehors des secteurs où elles s’inscrivent clairement dans une perspective herbagère : Pierre Bordier témoigne de la protection qu’elles offrent au travailleur des champs, contre les ardeurs excessives du soleil comme par temps de grand vent.
29C’est à travers les subtils équilibres qui s’établissent ainsi entre nature et culture, qu’on serre sans doute au plus près la véritable réalité de l’économie agricole du Vendômois au xviiie siècle, et c’est pourquoi il fallait en souligner fortement l’existence, même s’il est vain, cette fois encore, d’espérer les quantifier. En outre, ces équilibres ne sont pas donnés une fois pour toutes. Parce qu’elle est multiforme, et permanente, la confrontation entre nature et culture débouche sur d’incessantes remises en cause, qui déterminent autant de retouches au tableau global de l’agriculture régionale : modifications de détail sans doute, mais qui, multipliées, finissent par en affecter l’ordonnance générale. Ce n’est pas le lieu d’évoquer davantage des évolutions qui en tout état de cause ne se manifesteront dans toute leur ampleur qu’ultérieurement. Mais avant d’aborder, sous l’angle de leurs permanences surtout, la description des grands postes de l’agriculture vendômoise, il importait de suggérer combien l’inertie qui caractérise dans l’ensemble le monde agricole des campagnes de l’Ancien Régime laisse place par le biais de dynamiques discrètes à des possibilités d’évolution qui pour être mesurées n’en sont pas moins réelles.
LES PRINCIPALES PRODUCTIONS
La céréaliculture
30L’étude de la céréaliculture impose de poser d’abord la question des terres labourables, puisqu’avec la jachère (qui entre dans son système de culture) cette activité en accapare la quasi-totalité. L’enquête de l’an X révèle que les terres labourables occupent la majorité des terroirs (dans des proportions variant de 60 à 80 %) dans l’ensemble des cantons vendômois, et même dans ceux qui connaissent un développement particulier des vignes (Villiers), des prés (Savigny, Villedieu) ou des bois (Morée, La Ville-aux-Clercs, Droué, Selommes, Saint-Amand). Toutefois, la même enquête met aussi en évidence l’existence de friches, de landes et de bruyères, mais en proportion très variable d’un canton à l’autre : très faible en Beauce (moins de 2,5 % des terroirs), celle-ci s’élève dans le Perche (6 à 8 % de Savigny au Gault) et surtout en Gâtine (11 à 14 % à Villedieu et Montoire) et dans le nord-est forestier (14 à 16 % à Droué et La Ville-aux-Clercs). Cette géographie retrouve celle des pays couverts de 1741 et même celle des paroisses à brières, briolages et terres en non-valeur d’une enquête de 169112: elles plaident donc pour la permanence des contrastes agraires du Vendômois à travers le xviiie siècle.
31Cette permanence laisse-t-elle place à certaines évolutions, en particulier en ce qui concerne d’éventuels défrichements ? Les enquêtes d’Ancien Régime sont trop approximatives pour résoudre cette question, tout comme les appréciations de l’intendant d’Orléans Jubert de Bouville exposant en 1728 qu’il ne se trouve aucune terre laissée en friche dans l’élection de Vendôme, et que dans l’élection de Châteaudun « il y a dans le Perche aux environs de Montmirail quelques terres incultes [...], il y en a encore en quelques endroits, entre Vendôme et Châteaudun »13. Les indications sur les défrichements réalisés à la suite de l’arrêt du 16 avril 1761 semblent plus précises : les déclarations consécutives à cet arrêt portent sur environ 2,5 % des terroirs du Vendômois. Ce taux moyen recouvre de grandes variations locales : la vallée et la Beauce sont peu concernées ; l’effort porte surtout sur certains secteurs du Perche (Cellé, Danzé) et de la Gâtine, c’est-à-dire dans des zones aux friches étendues, et aussi sur les confins boisés de Rocé, Faye et La Chapelle-Enchérie. En apparence, les surfaces défrichées ne sont pas négligeables : le taux vendômois est supérieur à celui du reste de la généralité — Sologne exceptée —, et mesuré par rapport aux seules terres cultivées, il serait plus élevé encore. Mais, et la nuance est fondamentale, toutes ces évaluations reposent sur des déclarations ; rien n’assure que les défrichements déclarés ont été réalisés, ni qu’ils portent sur de véritables friches, et non sur des terres abandonnées par la culture quelques années plus tôt. Sans reprendre ici le détail de la démonstration présentée par François Lebrun à propos de l’Anjou, on en retiendra les conclusions qui conduisent à minorer les résultats réels des défrichements : à partir des taux constatés en Vendômois, il semble difficile de conclure à une extension significative des surfaces cultivées14.
32Parmi les céréales cultivées sur ces terres labourables figure presque toujours le froment : seules quelques paroisses du Perche (Arville) et du nord-est forestier (Fontaine-Raoul, La Fontenelle, Villebout) ne le produisent pas, et ne cultivent que le méteil (mélange de blé et de seigle) comme céréale d’hiver. Mais si le froment est rarement absent, il est peu fréquent aussi qu’il soit la seule céréale d’hiver cultivée : presque partout, à la notable exception de la Beauce (et de quelques paroisses du nord-ouest, autour de Choue), l’état de 1741 mentionne au côté du froment la culture de méteil. Pendant les années 1770, Michel Simon tend à présenter ce contraste entre l’est et l’ouest de la région comme une survivance appelée à rapidement disparaître, par suite du recul du méteil. En réalité, en bon chanoine de la collégiale Saint-Georges de Vendôme, et donc détenteur de rente foncière, qu’il est depuis 1752, il raisonne là à partir du cas beauceron. En effet, le méteil ne régresse pas en bas Vendômois au xviiie siècle, ni même pendant la première moitié du xixe, puisque sa culture y est toujours bien attestée par l’enquête agricole de 185215. En Beauce au contraire, il y a bien, comme le suggère Michel Simon, recul du méteil au xviiie siècle : la métairie de Villemalin, à Crucheray, était affermée par l’abbaye de la Trinité de Vendôme à la charge annuelle de 20 septiers de bled moitié froment moitié méteil en 1702, en 1711, en 1714 ; or, en 1723, un nouveau bail élève cette charge à 22 septiers, et l’exprime uniquement en bled froment, comme le feront tous les baux ultérieurs16.
33L’étude des céréales de printemps découvre au sein du Vendômois un autre contraste, attesté par l’état de 1741, et bien décrit par Michel Simon : « Dans le haut Vendômois, on sème ordinairement l’avoine après la récolte des blés ; et dans le bas Vendômois, c’est toujours l’orge qui succède au froment, ce qui est une preuve que les terres labourables du bas Vendômois sont beaucoup plus fortes et plus fertiles que celles du haut Vendômois ». Encore faut-il relever, cependant, que le haut Vendômois se limite, du côté est, à la Beauce la plus stricte, celle de Selommes, mais que ses caractères se retrouvent dans le nord de l’élection ; et que si les terres du bas Vendômois sont certes plus fortes que celles de la Beauce, il est plus contestable d’affirmer qu’elles sont plus fertiles, comme le montrera dans un instant l’étude des rendements.
34En matière de labour, les pratiques constatées au début du xixe siècle ont déjà cours au xviiie : « On donne généralement trois labours à la terre qu’on veut ensemencer en blé [...] le premier en mars, le second en juin, le troisième en septembre, deux labours pour l’orge, le premier immédiatement après la moisson et le second en avril, pour l’avoine [...] on ne donne à la terre qu’un seul labour, dans les mois de mars et d’avril »17. Quant à la technique du labour, elle varie d’un lieu à l’autre, comme l’observe Michel Simon : « Dans toute la province, le labour des terres est le même, et on leur donne les mêmes façons que dans la Beauce, mais les planches n’y sont pas à beaucoup près si larges, elles n’ont qu’environ trois pieds, et sont séparées les unes des autres par des sillons assez profonds, où il n’y a aucune semence, mais qui servent seulement pour l’écoulement des eaux » ; on a déjà dit, avec Salmon du Châtellier, comment une telle disposition constituait une adaptation à la nature des lourdes terres argileuses et imperméables de l’Ouest percheron.
35Dans la plus grande partie de la région, la céréaliculture s’organise à partir d’un assolement triennal. A Meslay, selon l’enquête de l’an X, « l’usage de la commune dans l’exploitation des terres est de les diviser en trois coutaisons égales. Une année par exemple on fait du bled, l’année d’après de l’avoine ou de l’orge et la troisième année on la laisse en repos pour lui donner les préparations pour recevoir du bled la quatrième année ». Ce système connaît bien, ici ou là, des altérations : à Mazangé par exemple, la même enquête signale que sur 1 295 arpents de terre labourable, on en compte « 990 dont le tiers se repose tous les ans et 305 dont la moitié se repose tous les ans ». Cela n’empêche pas l’usage des trois saisons — des blés, des mars et des guérets — de constituer le modèle normal de la céréaliculture dans la région.
36Cette règle souffre cependant une notable exception, celle du Nord-Ouest percheron, autour de Mondoubleau, où selon Salmon du Châtellier on divise les terres en quatre cottaisons : « une en labours, une en bled, une en menus grains et ensemencée quelquefois en trèfle, la dernière reste en herbage et ainsy tour à tour ». Descriptions et plans abondent, qui confirment la double originalité du système percheron, celle du rythme quadriennal, et celle de la place faite à l’herbe18. Un tel constat est sans surprise dans une zone qui fait une place importante, on le verra, à l’élevage. Il doit pourtant être nuancé, dans la mesure où les baux continuent à porter sur des durées exprimées en multiples de trois ans : c’est le cas de 196 des 213 baux contrôlés au bureau de Mondoubleau pendant l’année 1780, soit 92 % du total — les 17 baux qui n’obéissent pas à cette règle correspondant à des situations fort diverses, mais pratiquement jamais à des cas d’assolement quadriennal. Pour essayer de rendre compte de cette apparente contradiction, il faut se souvenir que l’adoption de cycles de rotation de cultures d’une durée supérieure à trois ans peut avoir des causes très variées. Souvent, il s’agit d’une simple adaptation à de médiocres conditions naturelles : ainsi au Gault, où l’enquête de l’an X indique qu’ « on cultive [...] en 4 ou 5 coutaisons, les terres étant trop froides et ayant besoin de repos ». Mais ailleurs, notamment quand le trèfle est introduit dans l’assolement, celui-ci répond à un réel souci agronomique, et c’est naturellement à cette orientation que les notables qui rédigent les témoignages de l’époque sont d’abord attentifs : car tout laisse à penser qu’en présentant ce système qu’ils encouragent et qu’ils considèrent comme le meilleur, ils en exagèrent l’influence, négligeant du même coup la résistance des structures traditionnelles ayant la faveur des simples paysans, lesquels estimeront longtemps encore qu’ « ils ne peuvent se défendre que par le boisseau »19 — en d’autres termes que le grain doit passer avant l’herbe. Du reste, il arrive qu’au détour de leurs observations la réalité apparaisse plus nuancée que ce que suggèrent en général leurs témoignages : ainsi Beauvais de Saint-Paul relevant pendant la Monarchie de Juillet que « les baux à ferme ont pour conditions trois, six ou neuf ans ou quatre, huit ou douze années selon que l’assolement est triennal ou quadriennal ». En fait ces indices semblent esquisser une histoire de l’assolement dans la région : le second xviiie siècle y correspondrait au démarrage d’une évolution qui se poursuit au xixe, évolution encore en cours dans les années 1830 selon Beauvais de Saint-Paul, et achevée au milieu du siècle, quand l’enquête agricole de 1851 note que, dans le canton de Mondoubleau, « toutes les terres sont soumises à un assolement de quatre ans »20.
37La définition d’un rendement moyen est indispensable pour apprécier l’aptitude globale d’une céréaliculture, ainsi que ses nuances régionales. Dans l’élection de Vendôme, on dispose pour l’établir de l’état de 1741 qui indique pour chaque paroisse la récolte attendue « année commune ». Cette évaluation est faite en fonction des quantités semées. Or, on sait qu’en Vendômois on sème en général un boisseau à la boisselée : par-delà les différences de contenance du boisseau et de la boisselée existant entre les systèmes de mesure qui se partagent la région, ce taux recouvre en fait des réalités très voisines de l’ordre, par hectare, de 2,4 à 2,6 hl, ou 1,7 à 1,85 q.
38Dans ces conditions, comme l’état de 1741 situe la récolte « année commune » de froment à un niveau compris, selon les lieux, entre 2 et 5 fois la semence, et le plus souvent entre 3 et 4 fois, le rendement en Vendômois se situe entre 7 et 10 hl, ou 5 et 7 q à l’hectare. Ce sont là des résultats fort modestes à l’aune des normes du xxe siècle, mais fort courants dans la France d’Ancien Régime. Du reste, plusieurs témoignages enracinés dans la région viennent clairement les confirmer21.
39Les rendements qu’indique l’état de 1741 ne semblent guère se modifier au cours du siècle, si l’on en juge par l’exemple des trois cantons pour lesquels les données de l’époque révolutionnaire permettent de calculer un rendement pour les années 179022. Par rapport à un niveau 100 en 1741, ce rendement s’établit au niveau 115 dans le canton de Villiers (et même 120-130 dans les communes du vignoble), 94 dans celui de Saint-Amand et 93 dans celui de Montoire. Compte tenu des approximations qui affectent tous ces calculs, et en dehors peut-être d’un léger progrès dans le vignoble (mais les communes concernées ne sont pas les plus céréalières de la région), il est raisonnable de conclure à la stabilité des rendements céréaliers en Vendômois, au moins pendant les deux derniers tiers du xviiie siècle.
40D’un point de vue géographique (carte ci-dessous), c’est sans surprise la Beauce qui apparaît comme la zone la plus favorisée sur le plan du rendement. Bénéficiant déjà du fait qu’elle cultive davantage de froment que de méteil, elle se signale encore par une récolte plus abondante que celle du reste du Vendômois : une fois la semence déduite, son rendement moyen excède de 40 % celui du Perche ; encore ce constat ne tient-il pas compte de la nécessité fréquente dans le Perche de jachères plus longues, réduisant d’autant la surface emblavée, alors qu’en Beauce l’assolement triennal classique est le plus souvent respecté.
L’élevage
41La céréaliculture ne constitue pas la seule ressource agricole du Vendômois, même si elle est la principale, et sans aucun doute la plus précieuse aux yeux des hommes du xviiie siècle. L’élevage joue aussi un rôle important dans la région. Mais il est difficile d’en prendre une vue synthétique avant l’extrême fin du xviiie siècle, et la précieuse enquête de l’an III, utilement complétée par celle de l’an X23. C’est sur ces enquêtes qu’on appuiera l’analyse (carte ci-dessous), se réservant naturellement de relever au passage les indices attestant la validité pour les décennies antérieures des traits structurels qu’elles révèlent.
42S’agissant des cheptels bovin et chevalin (auxquels on adjoindra celui des bêtes asines, ânes et mulets), trois grandes zones s’individualisent en Vendômois. En premier lieu, le Perche, et surtout la région de Mondoubleau. Cette zone élève des bovins, pour le lait et la viande (plus de 80 % des animaux sont des vaches, des génisses ou des veaux) comme pour le trait : elle est la seule du Vendômois à présenter des densités de bœufs notables, ce qui corrobore de nombreux témoignages sur la traction bovine qui y a ordinairement cours. Elle élève aussi des chevaux, mais à la manière d’un pays naisseur : par rapport aux autres secteurs du Vendômois, le cheptel chevalin se singularise ici par sa plus forte densité, et par une composition originale, juments et poulains représentant plus de 80 % de l’effectif total. Ce sont là, pour les chevaux comme pour les bovins, des traits anciennement attestés24.
43La vallée du Loir est elle aussi une région d’élevage bovin. Mais, ici, celui-ci n’est pas lié à l’usage du bœuf pour le trait (sauf peut-être à Tréhet et à Couture). L’autre particularité de cette zone, surtout en aval de Vendôme, est la présence de nombreux ânes et mulets : on sait que ce sont là les animaux de trait et de bât habituels dans les zones de vignoble, auxquelles ils sont bien adaptés, techniquement par leur petite taille, et économiquement par leur coût réduit, qui convient bien aux modestes exploitants que sont les vignerons.
44La Beauce, enfin, présente une situation symétrique de celle du Perche : peu d’élevage bovin, et encore moins de bœufs — la zone ignore la traction bovine ; des chevaux certes, mais à peu près uniquement pour le trait, juments et poulains représentant moins de 20 % de l’effectif chevalin total.
45En dehors de ces trois cheptels, les enquêtes mentionnent régulièrement l’existence de caprins et de porcins. Les premiers se repèrent surtout dans l’ouest de la région, et sont beaucoup plus rares en Beauce. L’image de la chèvre est double, comme le souligne la réponse de la commune de Longpré à l’enquête de l’an X : « Les chèvres sont augmentées par le grand prix des vaches. Les petits particuliers ont suppléé aux vaches par une chèvre, mais cet animal malfaisant mériteroit qu’on prît des précautions pour sa conduite ». D’un côté donc, un aspect social d’animal du pauvre (à Fontaine-Raoul « il n’y a de chèvres que chez quelques malheureux pour allaiter leurs enfants ») ; mais en même temps une réputation négative de destructeur de haies, dénoncée à Couture comme à Oigny et à La Ville-aux-Clercs (où on estime que les 20 chèvres de la commune sont « en état de détruire entièrement les hayes des clôtures »). La présence de porcs, assez générale dans la région, mais plus marquée dans le Perche, n’appelle pas ces réserves. Le plus souvent l’enquête de l’an X indique qu’il n’en est guère fait d’élève, les paysans se contentant d’engraisser des animaux achetés jeunes, soit pour leur propre consommation, soit pour tirer parti de leur revente comme à Oigny où « il y a beaucoup de maisons qui élèvent un porc pour le vendre afin d’aider à payer leur rente quand la Toussaint est venue ».
46Tout autre est l’importance du troupeau ovin. Selon l’enquête de l’an III, le Vendômois en compte plus de 60 par kilomètre carré, et cette densité est assez remarquablement constante à travers la région, à de rares exceptions près que justifient des conditions agricoles particulières.
47Aucun élevage ne peut en effet être dissocié de ces dernières. Dans le cas du mouton par exemple, il est clair que, outre les terres vagues, cet animal s’accommode bien des jachères qu’impliquent les assolements pratiqués en Vendômois. Ce système vient-il à s’effacer, l’élevage du mouton est moins développé25. Les chevaux, quant à eux, sont dans le Perche élevés en pâture. Ailleurs, précise le vétérinaire Beller, « le cheval est nourri presque toujours au sec, à cause du défaut de pâturage et du travail agricole qu’il fait quelquefois depuis l’âge de 16 ou 18 mois »26. Les exigences des bovins sont d’une autre nature : prés et pâtures sont pour eux indispensables. De là la localisation de cet élevage dans la vallée du Loir, grâce aux riches prairies qui bordent ce cours d’eau. De là aussi son développement dans le Perche, où l’herbe est présente sous toutes les formes, depuis les prés des bords de rivière et les noues des fonds mal drainés jusqu’aux bruyères et aux landes, plus étendues ici qu’ailleurs, sans négliger la place croissante que fait aux cultures fourragères un système d’assolement en cours d’évolution27.
48A suivre les rapports qui complètent l’enquête de l’an III, la région n’a pas connu de grandes épizooties pendant les dernières décennies de l’Ancien Régime : pareille affirmation doit être nuancée, si l’on s’en rapporte aux processions organisées à des fins d’exorcisme. Du reste, les mêmes rapports conviennent que de nombreux risques, d’accident ou de maladie, menacent les troupeaux, qu’il s’agisse des vaches, souvent victimes d’indigestion, ou des moutons, pour lesquels sont redoutés l’excès d’humidité (soit en raison de la fréquentation de « lieux aquatiques », soit du fait de « pluies chaudes ») et la mauvaise hygiène des bergeries dont l’exiguïté malsaine est rendue responsable de la perte de nombreux animaux — notamment dans le Perche. Autre faiblesse, massivement soulignée celle-ci : le « dépérissement » des espèces, par suite de l’absence d’étalons, de béliers, de taureaux ou d’ânes (pour les mulets) de race plus forte, qui seuls permettraient de régénérer les cheptels. La préoccupation qu’expriment à cet égard les vétérinaires, non sans donner une certaine impression de découragement, se retrouvera au xixe siècle28.
La viticulture
49« Le Vendômois a toujours été un pays vignoble » : tous les contemporains s’accordent sur cette observation de Michel Simon, qui en effet n’est guère discutable. En aval de Vendôme surtout, la vigne tapisse depuis le Moyen Age les coteaux de la vallée du Loir, et elle peut même déborder ce site pour peu qu’elle rencontre des expositions favorables. Mais ce vignoble est installé à proximité de la limite septentrionale de la culture de la vigne, qui traverse le Vendômois. De là un nouveau contraste au sein de la région entre le monde de la vigne et celui des « fruits » : il ressort aussi bien des données des états de 1741 (carte ci-dessous) et de 1768 que de celles du premier cadastre, où s’opposent les communes à pressoir (à cidre s’entend) et celles à caves29. Un tel contraste tient évidemment à des différences de conditions naturelles, les terres plus froides et moins bien exposées du nord de la région convenant mal à la vigne. Mais la limite de la viticulture n’obéit pas à un simple déterminisme naturel, comme le montre son évolution. Elle tend en effet à l’époque de Louis XIV, sinon plus tard, à reculer vers le sud : ainsi un mémoire de la généralité de Tours signale-t-il en 1691 « des prez et des vignes considérablement » dans la paroisse de Saint-Cir de Sargé (précisant encore que la paroisse jumelle de Saint-Martin « produit... du vin ») ; or, l’enquête de l’an X n’indique à Sargé que 6 arpents de vigne d’un fond très médiocre et le premier cadastre, établi en 1812, confirme ce recul en ne mentionnant qu’à peine 4 ha de vigne dans la commune héritée des deux paroisses jumelles30.
50Le nord-ouest est donc la zone des poiriers et surtout des pommiers, dont le nombre tend à augmenter au xviiie siècle, et qui sont souvent plantés dans les haies et dans les chaintres. C’est en conséquence celle du cidre. Passac affirme que ce cidre a « plus de douceur » et qu’il charge moins l’estomac que celui de Normandie. Mais il doit reconnaître aussi qu’il n’en a pas la force, ni la durée.
51Les vins du Vendômois sont eux aussi plutôt médiocres. En 1728, l’intendant d’Orléans Jubert de Bouville juge que le vin produit dans l’élection est de mauvaise qualité. Un siècle plus tard, Passac lui fait écho : « En général, le haut Vendômois produit du vin rouge, et le bas Vendômois du vin blanc. Au reste, les vins du premier sont faibles et inférieurs à ceux de Blois et de Beaugency. Les vins blancs du second, quoiqu’ils n’aillent pas de pair avec ceux de Touraine et d’Anjou, ne sont cependant pas sans mérite : leur défaut essentiel est d’être capiteux et d’affecter le genre nerveux ».
52Des raisons naturelles peuvent rendre compte de cette médiocrité. Mais les contemporains s’accordent surtout à incriminer la négligence des vignerons : « Rares sont les closiers qui apportent aux vignes les cinq façons normales », écrira encore en 1809 le sous-préfet de Vendôme31. On leur reproche aussi de ne pas prêter assez d’attention au choix des cépages, et de ne pas employer de charniers (c’est-à-dire des échalas) ou d’en utiliser de trop courts. Ces observations d’ordre technique ne sont pas sans fondement. Mais la critique des vignerons se renforce chez tous nos témoins des habituels griefs des propriétaires — dont ils épousent naturellement la cause — à l’encontre des vignerons à qui ils confient le soin de leurs closeries : « Le propriétaire a la faiblesse de dépendre du vigneron », écrit ainsi le sous-préfet de Vendôme dans la lettre précitée. Surtout, l’attitude des vignerons vendômois renvoie moins à la négligence qu’à un choix économique délibéré, celui de la quantité aux dépens de la qualité. Les observateurs contemporains admettent d’ailleurs ce point, mais c’est Passac qui cette fois encore se montre le plus précis : « La vigne, dans le haut et le bas Vendômois, se multiplie par les provins ; mais leur quantité et le trop de fumier altère la qualité des vins. On a aussi le défaut de tenir peu à celle des cépages et de préférer ceux qui colorent beaucoup et donnent abondamment. Ces défauts viennent d’un esprit de commerce qui n’est pas tout à fait mal entendu : le terroir et les expositions de ce pays ne sont pas susceptibles de produire un vin qui s’approche beaucoup de celui des crus qui ont un nom, et il faut donc, pour le spéculateur, essayer de balancer par l’abondance cette infériorité. D’une autre part, cette grosse couleur pourpre foncé plaît aux habitants de la Beauce chartraine et du Perche qui enlèvent tout ce qui s’en exporte ; il serait maladroit de ne pas chercher à l’obtenir ». Les chiffres moyens de rendement confirment ce qu’avance Passac : selon Stanislas Neilz, le taux s’en établit à Naveil à 3,5 pièces au quartier dans les années 1720, et 2,85 pendant les années 1730, soit respectivement 38,5 et 31,4 hl par hectare. Or l’intendant d’Orléans Louis-Guillaume Jubert de Bouville estime en 1728 le rendement moyen dans sa généralité (qui pourtant ne manque pas de vignobles de masse) à 5 ou 6 tonneaux à l’arpent, soit environ 22 hl par hectare, ce qui conforte l’image d’un vignoble vendômois orienté vers la quantité, et donc l’exportation32.
53Dans quelle mesure cette orientation du vignoble vendômois a-t-elle entraîné une évolution de son extension en surface, c’est difficile à déterminer, sauf pour quelques secteurs marginaux déjà évoqués, dont le devenir ne préjuge pas de celui de l’ensemble. Les comparaisons entre l’état de 1741 et les résultats de l’enquête de l’an X sont ici d’un maigre secours, sinon pour souligner qu’à aucune de ces dates la vigne n’occupe nulle part la majorité des terroirs33. Ces deux sources sont approximatives — puisque ne reposant sur aucun arpentage — et elles ne présentent que deux instantanés, ce qui ne permet guère de reconstituer une évolution. Sans doute l’indicateur démographique auquel on va recourir — celui des nombres de feux — est-il lui aussi approximatif. Mais la série des données est cette fois plus nourrie, et à suivre ce qui s’observe dans d’autres vignobles de la région, ses enseignements sont au moins instructifs sur les grandes tendances34. Ainsi est-il frappant que dans les trois paroisses viticoles de Naveil, Villiers et Thoré, le nombre des feux s’élève de 43,5 % de 1665 à 1735, soit 0,62 % par an, alors que dans le même temps la population de l’élection, toujours mesurée en feux, augmente cinq fois moins vite (0,12 % par an). Il y a donc bien pendant le règne de Louis XIV et le début de celui de Louis XV un décollage de la population du vignoble, qu’il est difficile de ne pas relier à une expansion de ce dernier : c’est au terme de cette évolution, ou peu s’en faut, que prendrait place le vignoble vendômois tel que le décrit l’intendant d’Orléans en 1728, un vignoble produisant annuellement 60 000 pièces, soit 136 800 hl, ce qui représente 18 % de la production de la généralité — proportion honorable quand on sait l’importance de la production du vignoble de la vallée de la Loire qui se trouve aussi dans cette généralité35. De 1735 à la fin de l’Ancien Régime, la croissance de la population des paroisses viticoles est beaucoup plus lente : l’augmentation du nombre des feux n’y est plus que de 0,05 % par an, à peine plus que dans l’ensemble de l’élection (0,04 %) — et à partir de là c’est bien en termes de stabilisation qu’il convient d’apprécier désormais l’évolution du vignoble vendômois.
UNE APPROCHE GLOBALE DE LA RICHESSE AGRICOLE
54Deux conclusions principales se dégagent de cette rapide présentation des grandes productions agricoles du Vendômois.
55L’agriculture régionale apparaît caractérisée, en premier lieu, par une réelle stabilité structurelle, au moins pendant les deux derniers tiers du xviiie siècle : l’étendue du vignoble semble alors à peu près fixée, après la croissance de l’époque louis-quatorzienne, les positions de la céréaliculture se maintiennent, en surface comme en rendement, et même les quelques variations qui s’observent ici ou là dans le Perche entre céréaliculture et élevage ne semblent pas de nature à remettre en cause l’équilibre global.
56Ce point acquis, c’est à une seconde conclusion qu’on s’attachera surtout ici, en tentant de mettre en évidence une géographie de la richesse agricole en Vendômois. Une telle approche globale, qui exige qu’on n’analyse plus les productions isolément, mais qu’on prenne en compte simultanément au moins les principales d’entre elles, n’est pas facile à mettre en œuvre. On s’y est risqué pour trois secteurs de la région : le canton révolutionnaire de Selommes, le plus typiquement beauceron ; les trois paroisses viticoles de Villiers, Naveil et Thoré ; et enfin le canton révolutionnaire de Mondoubleau, choisi comme représentatif du Perche, et amputé en la circonstance des deux communes de Mondoubleau et Cormenon, pour cause de caractère urbain.
57Dans ce triple cadre géographique, l’analyse s’est attachée, à partir des indications de surface, de rendement, d’effectif de cheptel et de prix livrées par les sources36, à estimer la valeur de la production agricole, du moins celle des trois postes essentiels (céréales, vin, produits d’élevage). Ces calculs révèlent d’abord que l’élevage n’occupe jamais que des positions minoritaires, même dans le canton de Mondoubleau, où il occupe la place la plus importante (19,5 % du produit agricole total, contre 8,7 % à Selommes, et 5,6 % dans le vignoble) ; la viticulture peut en revanche imposer nettement sa suprématie : à Villiers, Naveil et Thoré, elle assure à elle seule 71,5 % du revenu agricole.
58Ramenée à l’hectare non boisé, la production agricole s’établit à 87 livres dans le vignoble, 43 livres en Beauce et 29 livres à Mondoubleau. On voit bien les approximations qui affectent ces évaluations : d’une part, elles ne représentent pas des revenus nets, qui ne pourraient être établis qu’après défalcation des frais d’exploitation, ce que la documentation ne permet guère de faire ; d’autre part, toute la production agricole n’étant pas prise en compte, il conviendrait, pour le Perche par exemple, d’ajouter au résultat obtenu la récolte de cidre et celle de chanvre ; mais il est vrai que ces productions sont de valeur limitée, et que leur omission est sans doute compensée par une certaine surévaluation des produits d’élevage. En bref, s’il est vain de prétendre atteindre dans cette tentative de quantification à une précision absolue, il est cependant raisonnable de retenir nos estimations comme des ordres de grandeur significatifs du produit agricole des trois zones considérées.
59L’indicateur fiscal apporte sur ce point un utile éclairage. Pour l’appréhender, on dispose de trois séries de taux d’imposition à l’hectare, toutes établies dans le cadre paroissial (ou communal qui lui a succédé) : celle du principal de taille de 1789 (cet impôt étant surtout assis sur l’exploitation de la terre), celle de l’impôt foncier en 1806, enfin celle qui figure sur la totalisation cadastrale qui ouvre la matrice de chaque commune — cette dernière calculée à partir d’une double évaluation de chaque terre, en surface (par arpentage) et en qualité. Ces trois séries étant convenablement corrélées entre elles, on appuiera l’analyse sur celle de 1806 ; en effet, la série de 1789 présente quelques lacunes, et celle des données cadastrales souffre d’avoir été établie sur une durée d’un quart de siècle, et bien tardivement en certains secteurs (jusqu’en 1837, près d’un demi-siècle après la fin de l’Ancien Régime).
60Dans le cadre des échantillons retenus pour le calcul de la production agricole, l’imposition à l’hectare s’établit en 1806 à 9,99 F dans le vignoble, à 4,65 F à Selommes et à 3,56 F à Mondoubleau. C’est dire qu’on retrouve tout à fait la hiérarchie définie précédemment à partir de l’étude des récoltes. Tout au plus constate-t-on cette fois un léger resserrement des écarts. Outre les approximations qui affectent tous ces calculs, deux éléments peuvent en rendre compte : l’incidence des frais d’exploitation, indiscutable par exemple dans le vignoble, dont les lourdes exigences en main-d’œuvre sont bien connues ; et l’inégale étendue des bois (pris en compte dans le calcul de l’impôt foncier et qui, taxés à un taux inférieur, abaissent la moyenne à l’hectare) d’un secteur à l’autre : 4 % de la surface dans le vignoble et 5 % à Mondoubleau contre plus de 19 % à Selommes.
61En règle générale, le niveau d’imposition fiscale reflète donc bien celui de la richesse agricole. Si l’on étend l’observation à l’ensemble du Vendômois (carte ci-dessus), certaines zones apparaissent sous ce rapport privilégiées : la vallée du Loir, autour de Vendôme et à l’ouest de cette ville, où le niveau d’imposition dépasse couramment 10 F/ha ; et à un degré moindre, la Beauce, ainsi que quelques communes percheronnes (Sargé, Souday, Saint-Agil, Le Gault...), où l’impôt foncier s’établit entre 4 et 6 F/ha. A la lumière des données du premier cadastre, il est clair que la vallée doit son avantage à la présence conjointe d’herbages et de vignes ; la Beauce, dépourvue de ces éléments, bénéficie en revanche de la qualité de ses terres labourables ; et le nord de la région, aux terres moins riches que celles de la Beauce, compense dans les meilleurs des cas cette infériorité par la présence d’herbages.
62Du même coup s’éclaire la situation des autres zones du Vendômois : ce sont celles qui ne bénéficient d’aucun des privilèges des précédentes. Tel est le cas de la Gâtine, de Villedieu à Saint-Amand, celui aussi du Perche vendômois, qui court de Savigny à Saint-Hilaire-la-Gravelle : ces deux ensembles se caractérisent par des taux médiocres, compris entre 2 et 4 F/ha.
63Enfin, il faut souligner la pauvreté du secteur de Beauchêne, Chauvigny et Fontaine-Raoul, le plus démuni de tout le Vendômois : ici les taux sont inférieurs à 2 F/ha, parfois même le seuil de 1,50 F/ha n’est pas atteint — ainsi à Beauchêne, à Romilly et à Villebout. C’est que cette zone cumule tous les handicaps : elle ne possède ni vignes ni prés et, on a eu l’occasion de le noter à plusieurs reprises, les terres y sont de très médiocre qualité.
LES AUTRES ACTIVITÉS
LA SINGULARITÉ URBAINE
64C’est à la ville d’abord que se repèrent les activités non agricoles. Sans doute se trouve-t-il toujours, au sein de sa population, des cultivateurs, des vignerons, des jardiniers, des laboureurs et des journaliers : ces catégories représentent 11 % des mariés à Mondoubleau, 31 % à Vendôme et 34 % à Montoire. De tels taux peuvent en partie s’expliquer par les liens étroits qui unissent ces petites villes aux campagnes environnantes. Mais ils sont dus surtout, notamment à Vendôme et à Montoire, à l’étendue d’un terroir qui enferme des secteurs de campagne. Ces deux villes ont leurs « villages » : mais leur existence quotidienne est bien autonome par rapport à celle des quartiers proprement citadins ; avec les agriculteurs qui y vivent, ils ne remettent donc pas en cause la spécificité des activités pratiquées dans les villes.
65S’agissant de ces activités, et en réservant pour l’instant le cas du textile, nos trois villes présentent des structures de population active assez comparables, et qui tranchent sur celles des campagnes en ce qui concerne les notables et les militaires. Les premiers (8 % des mariés à Vendôme, 5 % dans les deux autres villes) renvoient au monde de l’administration et de la justice, à celui de l’enseignement et de la médecine et aussi, toutes proportions gardées, à une certaine élite économique, celle des marchands et négociants par exemple, tous gens pour qui la ville constitue un lieu d’implantation privilégié — en raison des facilités professionnelles qu’elle leur offre, en raison aussi du genre de vie et des relations sociales qu’elle permet. Il est logique également que ce soit à la ville, où sont implantées leurs garnisons, que les militaires, gens d’origine souvent lointaine on le verra, s’intègrent à la société régionale : ils y représentent 4 à 6 % des mariés.
66A leur manière, les gros bataillons des artisans — mêlés ici avec les boutiquiers et les petits marchands qui ne s’en distinguent pas toujours nettement — contribuent fortement aussi à la singularité urbaine. Sans doute apparaissent-ils aussi dans les cantons ruraux : mais ils n’y représentent jamais plus de 20 % de la population active, et parfois même moins de 10 %. Dans nos trois villes au contraire, ils en regroupent toujours au moins le tiers, et même 43 % à Vendôme. En dehors d’elles, et parmi les communes dont le nombre d’actifs est suffisant pour livrer des pourcentages significatifs, de tels taux ne se retrouvent qu’à La Ville-aux-Clercs (30 %) et à Fréteval (41 %), ce qui confère à ces localités une image de bourg actif, sans cependant aller jusqu’à en faire des villes, par suite de l’absence de certaines fonctions, administratives notamment. La forte présence des artisans en milieu urbain tient à trois raisons.
67En premier lieu, la nécessité de satisfaire les besoins les plus élémentaires de la population, en matière d’habillement et de nourriture, de travaux et d’équipements de base : sans doute de tels besoins sont-ils communs à la ville et à la campagne, si bien que leur influence sur la statistique ne devrait pas varier d’un milieu à l’autre ; mais les citadins, et notamment les plus aisés d’entre eux, ont dans ces matières des exigences supérieures à celles des ruraux, que ce soit dans leur manière de s’alimenter ou dans celle d’aménager leur résidence. Second élément d’explication de l’avance urbaine : il est des activités qui de fait ou de droit sont le monopole exclusif de la ville : ce sont celles qui renvoient à un niveau culturel supérieur ou à un genre de vie plus raffiné qui n’ont pas ordinairement cours dans les campagnes — imprimerie, horlogerie, orfèvrerie... Ces branches ne représentent qu’une part modeste des artisans. Mais dans 90 % des cas elles sont implantées dans les trois villes : en dehors de celles-ci, elles ne sont représentées que dans le gros bourg déjà cité de Fréteval. Enfin, la vocation artisanale de la ville est renforcée par le fait qu’elle contribue aussi à l’équipement des campagnes : de toutes les campagnes de la région, en ce qui concerne les activités les plus spécialisées ; mais aussi, pour ce qui est des artisanats élémentaires, des campagnes proches, comme le suggère un plus bas taux de présence des artisans dans les communes rurales voisines des villes.
68Les activités industrielles représentées dans les villes du Vendômois correspondent à trois branches d’importance inégale. La papeterie d’abord, à travers le moulin à papier de Vendôme, fort ancien, signalé par l’intendant d’Orléans en 1728 comme par Tribert à la fin de l’Ancien Régime37: à cette dernière époque, le moulin, situé en fait sur le Loir à une demi-lieue de la ville, produit un papier très commun expédié vers Orléans, où il est employé à des ouvrages de dominoterie et à envelopper des sucres. L’exploitation des ressources minérales du sous-sol (tuileries, carrières), seconde branche industrielle représentée dans les trois villes, répond sans aucun doute aux besoins de la construction locale : loin du reste de se limiter au milieu urbain, elle se retrouve largement à travers toute la région, si l’on s’en rapporte aux données du premier cadastre. Tel n’est pas le cas du travail du cuir, beaucoup plus spécifiquement citadin, tant pour la ganterie que pour la tannerie.
69La ganterie est anciennement signalée à Vendôme, comme l’atteste la tradition locale. A la fin du xviie siècle, l’intendant d’Orléans observe que « la ganterie se doit considérer comme le principal trafic de cette élection ; les cuirs qu’on y emploie se tirent du Poitou et de Saintonge, et les ouvrages sont envoyés à Paris par les messagers et par les coches ». Un siècle plus tard, la ganterie demeure active. L’abbé Simon signale dans les années 1770 que les maîtres gantiers de Vendôme ont un bureau à Paris et, quelques années plus tard, Tribert retrouve les courants mentionnés un siècle plus tôt par l’intendant d’Orléans38: les peaux de chevreaux arrivent toutes apprêtées du Maine, celles de moutons et d’agneaux, également apprêtées, proviennent de Saintonge. Mais Tribert donne surtout des indications chiffrées : à la fin de l’Ancien Régime, Vendôme compte 13 maîtres qui emploient 44 ouvriers et 700 ouvrières. Ces dernières, qui n’apparaissent pas dans l’étude des mariages, ne sont d’ailleurs pas exclusivement, contrairement aux maîtres et aux ouvriers, des habitantes de Vendôme : conformément au schéma de la manufacture dispersée, elles sont largement implantées dans les paroisses environnantes39. Ces chiffres, certes non négligeables, ne doivent pas dissimuler que la branche est en déclin. Tribert le précise, en indiquant que « le commerce [en] est diminué de moitié depuis vingt ans ». De fait, le nombre des maîtres qu’il indique est très inférieur à celui de 50 que donne l’intendant d’Orléans en 1728, et même à celui de 20 qui se constaterait encore en 177540. Tribert explique ce recul par plusieurs raisons : des faiblesses techniques de la production vendômoise (des gants mal cousus et qui se tachent facilement par suite du manque de fixateur) ; une exportation plus facile des peaux mégissées (ce qui rend d’autant plus chères celles qui demeurent en France) ; des concurrences accrues (de l’Angleterre comme de Grenoble).
70Plus encore que celle de la ganterie, l’histoire de la tannerie en Vendômois est celle d’un long déclin. Si l’on est mal armé pour apprécier l’évolution de celle de Mondoubleau et du bourg voisin de Cormenon, celle de Montoire semble bien reculer au cours du siècle, si du moins l’on s’en rapporte à un mémoire de 178841. Mais c’est à Vendôme, son principal centre, que le déclin est le plus marqué. Déclin ancien au demeurant. A suivre la tradition locale, le point de départ en aurait été donné, dès la fin du xvie siècle, au lendemain de la mise à sac de la ville par les troupes d’Henri IV venant de la reprendre aux hommes qui la tenaient pour le compte de la Ligue : à ce moment, de nombreux tanneurs vendômois, concentrés jusqu’alors au cœur de la cité, l’auraient quittée pour Château-Renault, dont la fortune remonterait à cette époque. En vérité, cette tradition n’est étayée par aucun élément vérifiable, et on pense aujourd’hui qu’elle a été forgée après coup42. Ce qui est sûr en revanche, c’est que toutes les notations relatives à la tannerie vendômoise et postérieures à cette date insistent sur le déclin de l’activité : « Ce que la tannerie [de Vendôme] peut faire s’enlève pour Paris », écrit à la fin du xviie siècle l’intendant d’Orléans, qui ajoute que « ce commerce [...] a beaucoup diminué »43. A la fin de l’Ancien Régime, Tribert ne compte dans toute l’élection de Vendôme (soit dans cette ville et à Montoire) que 4 maîtres tanneurs et 4 ouvriers, soit respectivement 3 et 1,5 % des effectifs de la généralité : c’est dire que la branche est devenue une activité très mineure.
L’ARTISANAT ET L’INDUSTRIE AUX CHAMPS
71Fortement représentés en milieu urbain, les secteurs secondaire et tertiaire ne sont pas pour autant absents des campagnes (carte ci-dessous). Le cas des artisans en témoigne : rares sont les communes où il ne s’en trouve pas quelques-uns. Mais le même exemple atteste la double infériorité qui sur ce plan caractérise les campagnes ; infériorité numérique, au vu des taux déjà indiqués ; et infériorité qualitative, la ville comptant surtout des cordonniers, quand à la campagne on rencontre d’abord des sabotiers (17 cordonniers contre 3 sabotiers dans les trois villes ; 15 cordonniers contre 38 sabotiers en zone rurale).
72A travers les moulins, les campagnes sont aussi le théâtre d’une première transformation de leur production. L’Annuaire de Loir-et-Cher de 1806 mentionne pour l’arrondissement l’existence de 120 moulins, dont 115 à eau : moulins à tan dans quatre cas, et à foulon dans quatre autres. Les 112 moulins restants (soit plus de 90 % du total) sont des moulins à blé. Ces chiffres situent l’importance de l’activité meunière en Vendômois. Celle-ci ne devait pas être moindre sous l’Ancien Régime : faute d’indications plus globales, les 38 moulins repérables alors sur le Coëtron, sur la Grenne et sur la Braye en amont de Savigny le suggèrent clairement44, tout comme la proportion de meuniers parmi les mariés des années 1798-1804 (3,23 % du total).
73Les effectifs employés à l’exploitation des forêts sont un peu moindres, globalement, que ceux de la meunerie (2,10 % des mariés). Mais ils sont beaucoup moins dispersés : leur répartition géographique renvoie à celle de la forêt, si bien qu’ils peuvent représenter jusqu’à 5 %, et même 8 % de la population active dans les cantons où ils sont le plus nombreux (Morée, La Ville-aux-Clercs). Le travail de ces bûcherons, fendeurs, scieurs et autres fagoteurs met en évidence ce que peut apporter la forêt à l’économie régionale. En effet, toute inquiétante et redoutée qu’elle soit45, la forêt n’importe pas seulement aux hommes par les ressources de la chasse, du ramassage et de la cueillette qu’on en retire plus ou moins licitement. Elle appelle une exploitation plus systématique. Ainsi voit-on en 1783 le seigneur de Montmirail rendre la Braye flottable afin d’acheminer le bois de sa forêt vers Nantes46. Sans doute le manque d’entretien et les contestations des meuniers et des cultivateurs riverains — tous éléments renforcés peut-être par la conjoncture politique troublée de l’époque — entraîneront-ils dès 1807 l’interruption définitive du flottage. La tentative n’en est pas moins révélatrice de l’intérêt économique que présente un produit indispensable alors à l’ensemble de la société, comme bois d’œuvre ou comme bois de chauffage. Or, cette denrée semble bien se faire rare au xviiie siècle, si l’on en juge par une représentation de l’assemblée des habitants de Vendôme du 29 mai 1769 opposée à la création d’une forge à fer à Fréteval pour la raison que « le bois de chauffage est des jà porté à un prix excessif et que sy cet établissement avoit lieu il ne serait pas possible qu’il se trouvast dans tout le pays du bois pour subvenir aux besoins desdits habitants »47. Sans doute faut-il, dans cette représentation, faire la part des circonstances, mais d’autres témoignages tendent à la confirmer48. Du reste, elle demeura vaine, et la forge à fer projetée fut bien installée à Fréteval en 1772, à l’instigation de la duchesse de Chevreuse, et avec le bienveillant appui de l’intendant d’Orléans49.
74A ce titre, cette forge témoigne de ce que la forêt peut être à l’origine d’implantations industrielles en plein milieu rural, sous l’impulsion des seigneurs qui la possèdent : ce qui est vrai de la forge de Fréteval l’a été aussi, beaucoup plus tôt, des verreries de La Ville-aux-Clercs et du Plessis-Dorin. A dire vrai, la première qu’on voit successivement implantée en divers points de la forêt de Fréteval — tous reconnaissables à leur toponyme de Verrerie — et en dernier lieu à la Brulonnière à Bus-loup, ne paraît pas avoir été jamais considérable. Elle borne son activité à la production de bouteilles et de verre à vitre, et en 1789 Tribert indique qu’on n’y travaille plus depuis deux ans. La situation de la verrerie du Plessis-Dorin apparaît alors nettement plus brillante, par une production plus diversifiée et de plus grande valeur : selon Tribert, on y fabrique « toutes sortes de verres pour le service de la table, des verres blancs pour les lanternes, des bouteilles bleues et ordinaires, et toutes sortes de vases pour les expériences de physique et de chymie », le tout écoulé surtout sur Paris (alors qu’à Busloup on ne travaillait que pour le marché local). Cette activité plus importante explique que la verrerie du Plessis-Dorin « emploie 60 ouvriers et [qu’elle entretienne] presque toute l’année deux fours allumés ».
LE TEXTILE
75Avec le textile, on atteint la première activité non agricole du Vendômois après l’artisanat, puisqu’elle est le fait de plus de 7 % des mariés — taux qui d’ailleurs minimise quelque peu son importance réelle. Dans plusieurs cantons même celui-ci approche ou dépasse le niveau des 10 % (Montoire, Selommes, Savigny, Villedieu), voire celui des 20 % (Mondoubleau) : telle se dessine la géographie du textile vendômois, une géographie rurale et urbaine d’ailleurs, car cette activité se pratique dans chacun de ces milieux, encore qu’avec des modalités différentes parfois. Ajoutons que sous cette étiquette d’artisanat textile sont rassemblées des activités travaillant des fibres variées : chanvre, coton, laine. Cette double diversité, affectant à la fois la géographie de la branche et ses productions, s’impose naturellement à l’analyse.
76Le travail du chanvre est pratiqué un peu partout, par de modestes tisserands, par leurs épouses, ou par des gens ayant par ailleurs une autre activité, et qui cherchent là une ressource d’appoint : par ce point déjà, la seule étude de la profession des mariés apparaît insuffisante pour appréhender sa réelle importance. Mais cette importance est aussi sociale. Ce qu’observe sur ce plan Paul Bois dans le Maine voisin50 vaut aussi pour le Vendômois : à partir d’une culture et d’une transformation purement locales, le chanvre permet de dégager les excédents en numéraire indispensables pour boucler les budgets populaires. On comprend dans ces conditions la place que tient cette plante dans de nombreuses paroisses du Vendômois : à suivre l’enquête de l’an X, sa culture est particulièrement développée dans le Perche, et plus largement dans l’ouest de la région, alors que la Beauce apparaît nettement en retrait. Populaire au niveau de la production de sa matière première comme à celui de sa transformation, la toile de chanvre l’est encore par sa destination, puisqu’elle est surtout utilisée dans les milieux modestes de la région. Il n’est pas sans intérêt de souligner combien de sa production à sa consommation ce textile demeure confiné socialement (aux couches modestes, les plus nombreuses), fonctionnellement (à la satisfaction des plus élémentaires besoins, en matière de vêtement) et géographiquement (au marché local). Dans une large mesure, ce trait lui épargne les fluctuations conjoncturelles qui s’observent à propos d’autres textiles : contrairement à ce qui se passe pour ces derniers, les rapports et mémoires de la fin du siècle ne déplorent pas pour le chanvre de déclin à la veille de la Révolution51.
77S’agissant des autres textiles, ils sont travaillés essentiellement dans trois zones de la région. En premier lieu, la ville de Vendôme et ses abords immédiats. A la fin du xviie siècle encore, cette ville est réputée pour le tissage de belles étamines : elle compterait alors 60 métiers battants. Mais la dureté des temps et aussi, selon un rapport de 1715, le fait que « les ouvriers ne furent pas fidèles à la largeur des étoffes obligèrent les marchands à se pourvoir à Dreux à cause de la bonne qualité des marchandises ». Toujours en 1715, l’inspecteur des manufactures ne trouve plus que deux métiers à Vendôme. En 1728, l’intendant d’Orléans n’en compte plus aucun, et vers 1730 l’on ne doit plus « regarder cette ville comme lieu de fabrique »52.
78C’est vers cette époque justement, et la coïncidence n’est sans doute pas fortuite, que le fermier général Jean-François de la Porte fonde à Meslay, dont il est le seigneur, une manufacture de siamoises : il en fait construire les bâtiments, en même temps qu’un nouveau château, une église et son presbytère, et la plus grande partie du village, remodelé pour la circonstance. Après plusieurs changements de main au milieu du siècle, cette manufacture est acquise en 1763 par René Josse, qui en était jusqu’alors l’inspecteur53. Sa prospérité ne se dément pas jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Dans les années 1770, l’abbé Simon signale qu’ « on y teint le coton et [qu’] on en fait des étoffes dans tous les goûts que les marchands peuvent désirer pour assortir leurs boutiques. Les curieux y voient avec plaisir trois grandes halles où il y a plus de cent métiers, sans compter celle où est la calandre ». Tribert de son côté indique en 1789 qu’on « y fait fabriquer de jolies siamoises pour meubles et habillement [et que] ces étoffes sont presque entièrement vendues à Paris, où elles sont connues sous le nom de siamoises de la Porte ». Il observe en outre — ce qui est exceptionnel dans l’industrie textile régionale — que « cette manufacture se soutient et paraît prendre de l’accroissement ». Deux indices confirment à la fois l’importance de cette activité, et sa prospérité : de 1798 à 1804, 70 % des mariés de Meslay sont des cotonnadiers ; et la population de la paroisse, qui avait déjà connu une croissance spectaculaire au moment de la création de la manufacture (26 feux en 1735, et 50 en 1741, +92 % en six ans à une époque où la tendance régionale est à la baisse), manifeste après un léger tassement à la fin du règne de Louis XV (45 feux en 1768) un nouvel essor pendant les dernières décennies de l’Ancien Régime : 61 feux en 1789, soit + 35 % par rapport à 1768, ce qui est beaucoup plus que ce qui s’observe dans le reste de la région (+ 8 % environ).
79Tout autre est alors la situation de la broderie vendômoise. Cette ancienne spécialité locale, que la tradition fait remonter à l’époque de la duchesse Marie de Luxembourg, au xvie siècle, est certes encore signalée par l’abbé Simon. Mais son témoignage suggère une dégradation qualitative : « La broderie en couleur ne se fait aujourd’hui, à Vendôme, qu’au point de chaînette, qui est si solide qu’il dure plus que l’étoffe, mais qui n’est pas si propre que le point passé, pour les nuances et les carnations ». A lire Tribert, le déclin est aussi quantitatif : « A Vendôme, un petit nombre d’ouvrières font des ouvrages de broderie. Il y a vingt-cinq à trente ans que 200 ouvrières brodaient avec beaucoup d’art dans cette ville des manchettes et autres ouvrages dont la plus grande partie était exportée en Espagne et dans nos colonies d’Amérique. Cette branche de commerce est entièrement tombée ».
80Seconde zone d’industrie textile de la région, le bas Vendômois demeure davantage fidèle à cette vocation jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Sans doute note-t-on, ici comme à Vendôme, des difficultés au début du siècle. Mais en 1728 l’intendant d’Orléans signale encore qu’ « à Montoire, Trôo, Lavardin et Sougé, il y a des manufactures de serges, bonnets et toiles ordinaires » — ces dernières fabriquées en chanvre, les autres produits l’étant en laine ; et il ajoute : « Le marché de Montoire est considérable les mercredis par la vente des toiles et des serges de Tours, et les toiles pour Orléans et Blois ». A la fin de l’Ancien Régime, la fabrique des étoffes de laine est toujours attestée dans cette zone. En 1806, l’Annuaire de Loir-et-Cher observe qu’ « avant la révolution, plus de 40 fabricants pour la serge occupaient, tant à Montoire qu’à Trôo, 1 000 à 1 200 ouvriers ». La même source mentionne la bonneterie de Lavardin, qui fait vivre presque toute la population de cette commune — « hommes, femmes et enfants » — en produisant de gros bas et des gants de laine : mais ces derniers ne semblent plus guère s’écouler que chez les gens des campagnes, dans un rayon d’une trentaine de lieues, après avoir été exportés jusqu’à Nantes. A travers ce dernier trait, l’Annuaire de Loir-et-Cher suggère une dégradation à la fin de l’Ancien Régime. Mais il n’insiste guère sur cette dernière, préoccupé qu’il est d’abord de celle qui s’observe pendant les quinze années suivantes. Un mémoire du printemps 178854 est beaucoup plus éloquent sur les difficultés que traverserait alors l’industrie lainière locale. Selon ses auteurs, de toute évidence proches des artisans façonniers de la région (qui y sont nommés fabricants), les raisons de ces difficultés tiendraient à la perte en 1763 du Canada — vers lequel était exportée une notable part de la production lainière du bas Vendômois — mais surtout aux menées de négociants vivement accusés à la fois d’étrangler économiquement les façonniers (en s’assurant le double contrôle de l’approvisionnement en matières premières et de l’écoulement des produits finis) et de tricher sur la qualité des laines et la mesure des étoffes livrées dans les grands marchés de Tours et de Nantes, disqualifiant du même coup la production locale. Peut-être, de par sa nature même — qui est celle de la doléance — un tel témoignage tend-il à assombrir le tableau. Il est symptomatique toutefois que notre mémoire tienne un tout autre discours, nullement alarmiste, sur la toile de chanvre. De plus, ses indications concordent trop avec ce qu’on sait par ailleurs de l’évolution de l’industrie lainière dans les régions voisines — le Maine comme le cœur de l’Orléanais — pour ne pas être prises en compte.
81La région de Mondoubleau est sans conteste la zone du Vendômois dont la vocation textile est la plus affirmée, que ce soit en ce qui concerne le chanvre ou le travail de la laine. Comme à Montoire et dans quelques paroisses du bas Vendômois (Les Roches, Lavardin, Trôo, Sougé), comme aussi à Vendôme au début du siècle, et à l’inverse de ce qui se passe pour celui du chanvre, ce dernier est ici le fait d’artisans spécialisés regroupés surtout dans les localités de Mondoubleau et de Cormenon, celle-ci satellite de la précédente. Le rôle des tailles de Mondoubleau pour l’année 1789 révèle que 34 % des chefs de feu masculins exercent une profession en rapport avec le travail du textile. Ce taux, proche de celui résultant de l’analyse des actes de mariage (38 %), situe bien l’importance de l’industrie lainière de Mondoubleau, surtout si on y ajoute ceux qu’indique l’étude des mariages pour Cormenon (41 %) et pour la commune rurale voisine de Saint-Mars-du-Cor (27 %).
82La « manufacture » de Mondoubleau reproduit l’organisation de celle de Montoire telle que l’évoquait le mémoire précité : à suivre les rôles de taille de Mondoubleau pour 1789, on trouve ainsi à citer un marchand-étaminier et un négociant, 19 fabricants (ou marchands-fabricants) et 78 simples travailleurs (peigneurs, tessiers, cardeurs, sergers, sans compter 6 fileuses) employés sans aucun doute chez les fabricants, ces derniers dépendant eux-mêmes des négociants pour l’écoulement de la production comme pour l’approvisionnement en laine (le cheptel ovin local ne suffisant pas, selon toute vraisemblance, à soutenir l’industrie de la région)55. Cette organisation en trois niveaux du travail industriel autorise une certaine dispersion géographique des deux niveaux inférieurs, conformément au schéma classique de la manufacture dispersée. Mais le niveau supérieur, celui du négoce qui contrôle l’ensemble, n’échappe pas à la ville, sauf pour cette dernière à dépendre ensuite des centres plus importants du Maine, et tout particulièrement du Mans.
83En effet, contrairement au bas Vendômois, à bien des égards tourné vers Tours, la région de Mondoubleau doit être rattachée, en ce qui concerne l’industrie lainière, au Maine. On sait depuis les travaux de François Dornic que cette industrie est orientée vers deux types de production : des serges ou droguets, étoffes communes, faites avec les moins bonnes laines, et des étamines camelotées, faites de laine peignée, plus légères et plus fines56. La région de Mondoubleau n’ignore aucune de ces productions. Toutefois, si elle fabrique bien des étamines, tant façon du Mans (généralement teintes en noir à l’usage des gens d’Eglise ou des gens de loi) que de couleur (rayées ou non), elle fait figure sur ce plan de centre secondaire : en 1762-1766, Mondoubleau ne compte que 3,37 % des métiers de la province, et n’assure que 0,95 % de sa production d’étamines. En ce qui concerne au contraire les droguets et autres grosses étoffes de laine, Mondoubleau occupe une place importante : 20,66 % de la production du Maine, seuls les centres de Saint-Calais (33,72 %) et de Mayet (21,67 %) faisant mieux57.
84Si l’importance de l’industrie drapière de la région de Mondoubleau n’est pas douteuse, il est plus délicat, faute d’indications précises, d’en décrire l’évolution. Compte tenu de ses liens avec le grand négoce manceau, il n’est cependant guère aventuré de lui faire épouser la courbe qui globalement s’observe dans l’ensemble du Maine : prospérité pendant le premier xviiie siècle, difficultés au contraire au cours des dernières décennies de l’Ancien Régime, et surtout après 1763. Quelques renseignements confirment d’ailleurs cette courbe, du moins en ce qui concerne sa seconde phase : de 47 en 1762, le nombre des métiers de Mondoubleau tombe à 32 en 1780 ! De même l’évolution de la population de la ville de Mondoubleau, mesurée en nombre de feux, révèle-t-elle des difficultés sérieuses à la fin des années 1760. Alors que de 1741 à 1761 la croissance de l’effectif urbain est de 1,13 % par an en moyenne, elle s’abaisse à 0,07 % de 1761 à 1766, et on observe même au cours des années suivantes un recul sensible (— 1,07 % par an entre 1766 et 1771). Sans doute à partir de cette date la situation se redresse-t-elle : +1,03 % par an entre 1771 et 1786 ; il n’en reste pas moins qu’au vu de telles données il est difficile de ne pas conclure à une certaine fragilité, à la fin du siècle, de la principale branche industrielle de cette zone. Mais un tel constat ne remet pas en cause l’importance relative de la production de Mondoubleau par rapport à l’ensemble de la province : en 1785 encore, l’inspecteur de la généralité Huet de Vaudour estime que le bureau de Mondoubleau est « un des plus forts en fabrique de lainerie de l’inspection du Mans »58.
LES SECTEURS SECONDAIRE ET TERTIAIRE : RYTHMES ET GÉOGRAPHIE
85Mesuré globalement, le rôle joué par les secteurs secondaire et tertiaire dans la vie économique du Vendômois est important. On se contentera ici de rappeler que 36 % des mariés du Vendômois sont en 1798-1804 employés dans ces secteurs — ces taux étant d’ailleurs quelque peu sous-évalués, dans la mesure où ils ne prennent en compte ni l’importance de la main-d’œuvre féminine dans certaines branches, comme le textile ou la ganterie, ni le fait que des gens se déclarant paysans peuvent prendre leur part, qui n’est pas négligeable, à des activités artisanales — ainsi pour le travail du chanvre.
86D’autre part, il faut bien se souvenir que toutes ces évaluations prennent place à la fin du xviiie siècle. Ce qui impose d’autres corrections dès lors qu’on entend apprécier les situations antérieures. En effet, contrairement à ce qui s’observait en général dans le secteur agricole, les activités secondaires et tertiaires connaissent souvent d’importantes évolutions au cours du siècle — et des évolutions presque toujours orientées à la baisse. Sans doute ce constat ne s’applique-t-il pas à certaines branches importantes, comme l’artisanat d’équipement, la meunerie ou le travail du chanvre, dont la vitalité semble se maintenir à travers le siècle : encore dans leur cas aucun élément n’autorise-t-il à parler de progrès. Mais dans le travail de la laine, dans la broderie, dans la tannerie, dans la ganterie, la tendance au déclin ne fait pas de doute : le plus souvent, on l’a vu, des difficultés sont signalées à l’époque de Louis XIV, puis après une période de reprise ou de stabilisation plus ou moins réussie — reprise plutôt dans la laine, persistance du recul au contraire dans la ganterie —, de nouvelles difficultés se font jour dans les années 1760. L’importance de la date de 1763 a été soulignée pour le travail de la laine. Mais dans la ganterie Tribert fait remonter le déclin à une vingtaine d’années — c’est-à-dire également aux années 1760 — et à propos de la broderie il situe vingt ou vingt-cinq ans en arrière, c’est-à-dire encore vers 1760, l’époque d’une certaine prospérité, complètement révolue au moment où il écrit. Deux créations industrielles seulement viennent au cours du siècle s’inscrire à contre-courant de l’évolution générale : celle de la manufacture de Meslay, et celle de la forge de Fréteval — cette dernière très contestée dans la région. Malgré leur réussite, notamment celle de Meslay, qui localement vient heureusement compenser la disparition de l’industrie lainière vendômoise d’une part, peut-être aussi certaines difficultés des verreries de la forêt de Fréteval de l’autre, elles sont insuffisantes à compenser un déclin général, surtout à partir des années 1760.
87Cependant, ce déclin ne remet pas en cause la répartition des activités secondaires et tertiaires à travers le Vendômois. Celle-ci repose durant tout le siècle sur trois types d’implantation. En premier lieu, les trois villes, caractérisées par la diversité des activités qui s’y pratiquent — toutes y sont représentées — et par l’importance du rôle qu’elles jouent dans ce secteur : 30 % des travailleurs non agricoles résident dans ces villes, alors qu’elles ne rassemblent guère plus de 15 % de la population régionale.
88Tout différents apparaissent les centres spécialisés isolés en milieu rural. Ils se rattachent soit à une ville qui en contrôle la production — ainsi pour le travail de la laine à Lavardin, Les Roches, Trôo, Sougé —, soit à une forêt qui peut induire toute une série d’activités ; ce dernier trait s’observe bien dans la forêt de Fréteval, ou dans celle de Montmirail, qui non seulement font vivre fendeurs et bûcherons, mais encore ouvriers de forge ou de verrerie : de là vient que 8 à 10 % des mariés des cantons de Morée, de La Ville-aux-Clercs ou du Gault soient, en dépit même de l’allure très rurale de ces zones, engagés dans des activités forestières ou industrielles.
89Dernier type d’implantation enfin, celui des activités diffuses, présentes déjà à la ville, et qui se retrouvent dans la plupart des communes rurales : c’est le cas surtout de l’artisanat, de la meunerie et du travail du chanvre. Economiquement distinctes du travail agricole, ces activités s’y rattachent pourtant par de nombreux liens : le tisserand ou le meunier travaille sur place une marchandise livrée par le paysan (ce que le premier est d’ailleurs souvent, peu ou prou), l’artisan villageois a pour principal client ce même paysan. On comprend dans ces conditions que la spécialisation économique n’exclut pas l’intégration sociale (surtout dans le cas du tisserand et de l’artisan) au reste du monde rural, intégration que la proximité géographique contribue à renforcer.
ESQUISSE D’UN BILAN
LES PRODUCTIONS ET LES HOMMES
90Une économie régionale ne se réduit pas à un catalogue de productions. Sans doute dans un premier temps fallait-il en indiquer les principaux éléments, pour autant du moins que la documentation le permettait. Mais il convient maintenant de dépasser cette première approche, en tentant d’en établir un bilan global.
91Un tel bilan ne peut qu’être approximatif. Il lui faut ignorer quantité de ressources secondaires, parce qu’elles échappent à toute approche statistique, quand bien même elles ne sont pas négligeables pour la population, et cela n’est pas vrai que pour l’agriculture. D’autre part, il ne peut guère se construire qu’à partir de moyennes, sans s’arrêter aux variations interannuelles, souvent importantes, et rarement indifférentes, psychologiquement ; mais la prise en compte de ces dernières ne s’impose pas dans la perspective structurelle qui est celle de ce chapitre ; c’est pourquoi l’examen en a été réservé pour un développement ultérieur.
92Ces approximations admises, il est possible d’esquisser une géographie de la richesse régionale, tous secteurs confondus. Pour l’établir, on ne dispose pas cette fois d’indice synthétique, comme c’était le cas pour la richesse agricole, avec le niveau d’imposition foncière à l’hectare. Cependant, la fiscalité foncière permet une approche indirecte de la richesse globale, à condition de la mesurer par habitant : en effet, sachant que son taux moyen s’établit en 1806 à 10,60 F/hab., et 11,54 F si l’on exclut du calcul les trois villes, il est intéressant de considérer comment se situent les différentes zones du Vendômois par rapport à cette échelle (carte, p. 88), et d’examiner jusqu’à quel point les activités non agricoles en corrigent ou non la hiérarchie.
93Ainsi les très faibles taux, inférieurs à 9 F/hab., et souvent bien plus bas, qui s’observent dans les trois villes, ainsi qu’aux Roches ou à Cormenon, ne doivent-ils pas être considérés comme l’indice d’une pauvreté particulière : il est clair que dans tous ces cas les habitants disposent d’autres ressources — celles de l’artisanat et de l’industrie — que l’agriculture pour assurer leur subsistance. Dans une certaine mesure, il en va de même au Plessis-Dorin et à Busloup. En revanche, dans les zones boisées du nord-est de la région (de Villebout au Temple) et du sud de la Gâtine (des Hayes à Villedieu), ce raisonnement ne tient plus : faute de mise en valeur industrielle, les forêts ne peuvent être ici considérées comme bases de ressources significatives, et c’est donc bien en termes de pauvreté qu’il faut apprécier le bilan économique de ces zones.
94Dans l’ouest de la région, de Savigny au Gault, la fiscalité foncière révèle un niveau d’imposition par habitant proche de la moyenne régionale. La présence de chènevières, celle surtout des prés qui bordent la Braye, la Grenne et le Couëtron peuvent expliquer cette meilleure performance. Cette honnête aisance, combinée aux ressources d’un important artisanat textile, permet à l’ouest bocager de tirer assez bien son épingle du jeu, sur la base d’activités plus diversifiées que dans d’autres zones de la région.
95D’une certaine manière, ces traits se retrouvent dans la vallée du Loir. Sans doute les aptitudes agricoles de ce secteur — prés et vignes — sont-elles supérieures à celles du Perche ; mais la population y est beaucoup plus dense, en raison des besoins en main-d’œuvre des activités qui s’y pratiquent : vignoble autour de Vendôme, artisanat textile autour de Montoire. Cela explique que les communes très herbagères (Saint-Rimay) ou fortement viticoles (Villiers, Thoré) n’apparaissent que moyennement imposées dès lors qu’on apprécie la pression fiscale par tête. A un autre niveau de ressources et de densité humaine, elles reproduisent bien le schéma percheron d’une population disposant d’un niveau moyen de richesses, sur la base de productions variées.
96La Beauce offre une image toute différente : ici, le niveau de 14 F/hab. est pratiquement toujours atteint, ceux de 20, voire 25 F peuvent être dépassés ; dans les limites cantonales du xixe siècle, Selommes atteint 17,77 F/hab., et Saint-Amand (en partie non beauceron) 14,70 F, alors qu’aucun autre canton n’atteint 11 F. L’avantage de la Beauce est donc spectaculaire, et les bases en sont très simples : la céréaliculture, et elle seule — ici point ou peu de viticulture ou d’élevage, et guère plus d’artisanat textile ; et sur le plan de l’occupation humaine, des densités réduites, les plus faibles de la région.
97C’est donc par un constat de diversité qu’il faut conclure cette tentative de bilan. Diversité des ressources dont disposent les habitants du Vendômois à travers les différents secteurs. Diversité des niveaux de richesse. Diversité enfin des combinaisons économiques observées en Vendômois : la Beauce et les secteurs les moins herbagers du Perche fondent l’essentiel de leur existence sur la céréaliculture, alors que l’ouest bocager et la vallée s’appuient sur des ressources beaucoup plus variées ; mais il n’existe pas de relation simple entre richesse et diversité économique : l’absence de variété de ressources peut aussi bien fonder la prospérité beauceronne que la médiocrité du nord-est forestier, et l’hétérogénéité des activités pratiquées dans le Perche ne permet pas de nourrir une population aussi dense que celle de la vallée du Loir.
LES ÉCHANGES
98Les analyses qui précèdent le démontrent : entre production et population (c’est-à-dire consommation) existent d’importants décalages. Ceux-ci nourrissent des échanges compensateurs tant à l’intérieur du Vendômois qu’entre ce dernier et les contrées environnantes, les décalages ne jouant pas seulement au niveau local, mais aussi, on le verra, au niveau interrégional.
99Evoquer les échanges, c’est rencontrer d’abord les foires et les marchés, importantes manifestations de la vie sociale qui impliquent l’ensemble des habitants de la région, à la fois comme vendeurs (c’est-à-dire le plus souvent producteurs) et comme acheteurs, donc consommateurs.
100Les sources permettent assez bien d’en rétablir la liste. La Table alphabétique de Daniel Jousse mentionne ainsi les marchés hebdomadaires de Vendôme (le samedi), de La Ville-aux-Clercs (le vendredi), de Droué (le mardi), de Montmirail (le jeudi), d’Oucques (le mercredi), de Cloyes (le samedi). A ces marchés, il faut ajouter celui de Montoire (le mercredi), que Jousse omet, mais qui est bien attesté par sa mercuriale, et tous ceux que Jousse ne mentionne pas, parce que extérieurs à la généralité : Mondoubleau, Château-du-Loir, Vibraye, Saint-Calais, Château-Renault. Cet ensemble de marchés dessine en Vendômois un maillage serré, qui comme partout organise la vie du pays sur un double plan : spatial, puisque deux sièges de marché ne sont jamais distants de plus de 4 à 5 lieues ; et temporel, puisque dans leur rythme hebdomadaire ces marchés occupent l’ensemble des jours de la semaine — dimanche excepté —, avec des décalages qui permettent au même individu d’en fréquenter plusieurs dans la semaine.
101Le rythme des foires est différent. A l’époque révolutionnaire, Vendôme en connaît sept par an : celles de la Chandeleur, de la Saint-Martin d’été et de la Saint-Martin d’hiver durent un jour pour le bétail et huit jours pour les boutiques des marchands colporteurs ; les quatre autres, au Lazare, à la Saint-Georges, à la Trinité et à la Saint-Michel ne durent qu’un jour. Daniel Jousse mentionne par ailleurs six foires à Montoire, cinq à La Ville-aux-Clercs, six à Droué ; il en mentionne également à Montmirail et à Saint-Mandé. D’autres sources évoquent les foires de Mondoubleau, ainsi que celles de Saint-Calais, de Bouloire et de La Ferté-Bernard, qui intéressent aussi le Vendômois59.
102Si les foires et les marchés se distinguent nettement par leur rythme, il est plus difficile de préciser ce qui les différencie par ailleurs. Sans doute tend-on souvent à considérer, comme à Vendôme, que « la vente du bétail n’a lieu [...] que les jours de foire et non les jours de marché »60. Mais à Mondoubleau et à Montoire, ces distinctions n’ont pas cours, et on insiste davantage sur une différence quantitative entre les deux types de manifestation : « Les foires sont beaucoup plus nombreuses en marchands et en marchandises »61.
103Tout le négoce local ne passe pas par les foires et les marchés. Leur échappent d’abord tous les secteurs disposant d’une organisation commerciale spécifique, comme l’industrie drapière de la région de Mondoubleau (intégrée dans les circuits d’échange des négociants manceaux), la verrerie, la tannerie, la ganterie. Il en va de même pour le vin : « Les transactions sur le vin se font aux caves et dans les villages, elles ne se font pas aux foires et aux marchés urbains »62. D’autre part, contrairement à ce qui se passe dans celui du bourg voisin d’Oucques, les marchés du Vendômois ne commercialisent pas de mercerie, de bonneterie, de quincaillerie et de chapellerie : ce qui démontre que les lieux où ils se tiennent disposent d’un réseau de détaillants et de revendeurs qui avec l’apport de colporteurs satisfont à ce type de besoin.
104En revanche, on y vend des « comestibles divers » (volaille, légumes, fruits, viande) et des produits textiles : laines, chanvres, étoffes et toiles (et peaux aussi) à Mondoubleau, chanvre et lin à Montoire63. Surtout, on y vend du grain. Pour ce produit, le marché est ouvert d’abord aux habitants, ensuite aux boulangers, enfin aux marchands. Mais tous les échanges de grain ne passent pas par le marché : certaines transactions ont lieu au village, entre laboureurs et petits paysans, soit que les premiers achètent aux seconds leur récolte sous prétexte de semence, mais en réalité pour la revendre ultérieurement à un meilleur cours, soit au contraire qu’ils leur fournissent le grain de leur subsistance à un prix fixé par eux ; des relations directes s’établissent aussi entre laboureurs aisés et marchands, surtout à partir du moment où le monopole du marché est aboli en 1763, même si ce n’est que temporairement64.
105Dans ces conditions, les indications chiffrées dont on dispose, tardivement d’ailleurs, sur l’activité des foires et des marchés, doivent être utilisées avec prudence. A les suivre, les plus grosses foires de la région se tiennent à Montoire, avec un chiffre d’affaires unitaire de 30 000 F chacune, celles de Mondoubleau figurant pour 20 000 F chacune, et celles de Vendôme pour 15 000 F. Mais si l’on prend en compte l’ensemble des foires, la hiérarchie est quelque peu modifiée : derrière Montoire, dont le chiffre d’affaires annuel est de 180 000 F, se trouve cette fois Vendôme (105 000 F), qui précède Mondoubleau (80 000 F). Cette dernière hiérarchie est exactement celle des marchés, dont le chiffre d’affaires hebdomadaire est évalué à 7 000 F à Montoire, 6 000 F à Vendôme, et seulement 1 000 à 1 500 F à Mondoubleau. Les positions de Droué et de La Ville-aux-Clercs sont beaucoup plus modestes65.
106Globalement, les affaires qui se font annuellement dans les foires et les marchés des cinq localités qui viennent d’être mentionnées peuvent être évaluées à 1 200 000 F, compte tenu des imprécisions concernant Droué et La Ville-aux-Clercs. Pour fixer les idées, indiquons, sans y insister davantage, que cette somme équivaut à la valeur de 40 à 50 000 q de froment, soit environ le tiers de la récolte du Vendômois (mais on sait que les transactions auxquelles elles correspondent affectent en réalité bien d’autres produits que les céréales). Et il n’est pas indifférent de relever que plus des trois quarts du chiffre d’affaires des foires et marchés de la région sont le fait des deux villes de la vallée du Loir, Montoire et Vendôme : celles-ci laissent loin derrière elles les modestes centres percherons.
107Cependant, le commerce du Vendômois ne doit pas s’analyser seulement à partir des lieux où les transactions s’en organisent. Il faut s’arrêter aussi aux courants d’échange qui affectent les principaux produits qu’il négocie.
108Parmi eux, d’abord, les grains. Concernant cette production fondamentale, les sources disponibles permettent de calculer par paroisse ou commune la récolte globale, puis en la rapportant à la population, la quantité disponible par feu (sous l’Ancien Régime), ou par habitant (au xixe siècle). Sachant que la ration annuelle moyenne d’un individu s’élève à 2,5 q (au sens actuel) et celle d’une famille (d’un couple et 2 ou 3 enfants) à environ 12,5 q, il est possible à partir de là d’apprécier, au moins grossièrement, ce que représente cette quantité disponible par rapport aux besoins. En Beauce, la quantité disponible atteint couramment 30 voire 40 q par feu, 6 à 8 q par habitant, soit deux à trois fois la ration normale : on est ici en situation de net excédent. Dans la vallée du Loir (herbagère comme viticole) se découvre au contraire une situation gravement déficitaire : la récolte ne couvre que la moitié, au mieux, voire, dans les cas extrêmes, comme celui de la paroisse très viticole de Villiers, que le cinquième des besoins. Contraste sans surprise, qui se retrouvera pendant la Révolution, entre les zones chargées de réquisitions, c’est-à-dire les zones excédentaires, et celles auxquelles seront attribués des secours, pour l’essentiel celles où se trouvent des communautés peuplées et fortement consommatrices. Dans le Perche, le déficit est moins marqué que dans la vallée, et quelques paroisses peuvent même apparaître excédentaires (du moins en année « normale ») : l’impression globale est pourtant que cette zone, par ailleurs éloignée des régions exportatrices, n’est habituellement pas assurée de satisfaire ses besoins alimentaires ; cela explique sans doute la sensibilité des Percherons aux problèmes de ravitaillement, et la revendication taxatrice qui se fera jour parmi eux pendant la Révolution. Plus largement, les constats qui viennent d’être dressés — excédent de blé ici, insuffisance là — expliquent d’importants échanges, tant à l’intérieur du Vendômois qu’avec l’extérieur : échanges de grains en premier lieu ; mais aussi échanges d’autres produits — viticoles, animaux ou textiles —, qui ont pour fonction de les compenser.
109La céréaliculture vendômoise ne nourrit pas, toutefois, que des échanges de marchandises. Elle est à l’origine aussi de déplacements de main-d’œuvre, car en matière de bras également existent d’importants déséquilibres. A cet égard, les sources permettent de calculer, de manière approximative, d’une part, le nombre d’hommes nécessaires pour moissonner le terroir d’une paroisse et, d’autre part, la quantité d’hommes dont dispose cette paroisse pour réaliser la moisson. Le rapprochement de ces données permet d’opposer la Beauce, qui manque de bras (puisque ne couvrant que 60 à 80 % de ses besoins dans ce domaine), au Perche et à la Gâtine, qui en auraient plutôt en trop (avec des taux de couverture compris entre 100 et 200 %) et à la vallée, où l’excédent est encore beaucoup plus marqué (le taux de couverture peut atteindre 600 %, voire 1 000 % dans certaines paroisses viticoles, comme Naveil ou Villiers). De telles disparités entre les zones où sont les bras et celles où est le blé ne peuvent à l’époque cruciale de la moisson demeurer sans effet : elles sont à l’origine des mouvements saisonniers de travailleurs, caractéristiques de la région comme de celles qui l’avoisinent.
110Mais les échanges concernant les céréales ne s’arrêtent pas aux limites du Vendômois. En effet, l’élection de Vendôme (de même que celle de Châteaudun) est en ce qui concerne ce produit normalement excédentaire au xviiie siècle. En 1728, l’intendant d’Orléans Jubert de Bouville estime que « la récolte [y] est plus que suffisante d’un tiers pour la subsistance des habitants » ; et lorsqu’il envisage d’établir six magasins de blé à travers la généralité, il en prévoit un à Vendôme, qui recevrait un sixième du grain et ne serait dépassé en importance que par ceux de Chartres et d’Orléans. L’estimation du subdélégué de Vendôme affirmant en 1773 que dans son élection « une année commune peut nourrir pendant trois ans » la population est sans doute excessive66. Mais elle confirme au moins que le Vendômois est habituellement excédentaire. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas de mauvaises années, à l’occasion desquelles, explique Jubert de Bouville, « on tire [les bleds] de la Beauce chartraine et si la Beauce a manqué on [les] tire de l’Anjou et de la Touraine ». Mais la situation normale est bien celle de l’excédent qui, rapporte encore Jubert de Bouville, « se vend du côté d’Orléans et de Blois ». L’axe ligérien, qui débouche à la fois vers la capitale par Orléans et vers l’Atlantique (c’est-à-dire le Midi comme les colonies) par Nantes, constitue en effet la grande voie d’écoulement des blés vendômois. Quelques années plus tôt (1722), Delamare observait déjà dans son Traité de police que Blois et Beaugency ont deux marchés importants, où se réunissent les céréales de la Beauce et du Vendômois — et ce trait demeurera vrai jusqu’à la fin de l’Ancien Régime67.
111Pour être les mieux connus, les échanges de céréales ne sont pas seuls à s’observer en Vendômois Leur étude a conduit à évoquer au passage des échanges de vin, de produits d’élevage, de textiles — et aussi de bras. Bien d’autres trafics encore pourraient être évoqués — ne serait-ce que ceux qui se développent entre ville et campagne. Il n’est pas question de tous les décrire dans le détail, les sources ne le permettraient d’ailleurs pas. On se bornera à évoquer ici les échanges internes au Vendômois et les relations avec l’extérieur concernant les principales productions de l’économie régionale — celles de la viticulture, de l’élevage et des activités industrielles.
112S’agissant du vin, Passac écrit au début du xixe siècle que « les habitants de la Beauce chartraine et du Perche [...] enlèvent tout ce qui s’en exporte ». Cette observation suggère d’abord une consommation régionale — ce qui suppose une diffusion commerciale, compte tenu du caractère très localisé de la production. Elle confirme ensuite la permanence d’un courant d’exportation attesté de longue date, puisqu’en 1698 l’intendant d’Orléans André Jubert de Bouville signalait déjà que les vins du Vendômois sont conduits vers le Maine, le Perche et la Normandie68. Retenons pour l’instant qu’en s’orientant vers l’Ouest bocager plus proche et dépourvu de vigne, les exportations de vin vendômois tournent le dos à l’axe ligérien. Ce qui les distingue à la fois de celles du vignoble de la vallée de la Loire (qui par le fleuve s’écoulent vers le marché de la capitale) et de celles du blé vendômois.
113Les échanges affectant la production animale sont plus malaisés à décrire. Les administrateurs de l’époque ne se désintéressent pas de l’élevage, et ils prennent même au xviiie siècle des initiatives de nature à en améliorer la qualité69. Mais cette spéculation est tout de même moins vitale à leurs yeux que les grains, si bien qu’ils nous ont laissé moins d’indications sur elle. Faute de précisions, force est donc de s’en tenir ici à quelques notations. Il est clair que les produits d’élevage sont l’objet d’échanges internes au Vendômois : si du lait, de la viande ou de la laine provenant des troupeaux vendômois sont consommés localement, à l’intérieur même du bordage, de la métairie ou du village — davantage sans doute dans le cas des porcins et des caprins que dans celui des bovins —, une partie de la production prend le chemin des marchés urbains de la région. De même des poulains percherons sont-ils acheminés vers la Beauce vendômoise, comme le suggère la comparaison de la structure des cheptels chevalins de ces deux zones. Mais ils le sont aussi, sans aucun doute, au-delà, conformément au courant bien attesté par ailleurs qui dans ce domaine s’établit entre le Perche et les grandes plaines du cœur du Bassin parisien70. C’est qu’en effet les produits animaux nourrissent également des échanges qui débordent les limites du Vendômois. Ceux qui affectent la laine sont intégrés dans les courants commerciaux de l’industrie textile qu’on retrouvera dans un instant. Le marché de la viande, quant à lui, porte au xviiie siècle sur des échanges de grande ampleur, comme en témoignent les bêtes qu’on voit traverser la région depuis le Berry ou le Limousin, en route pour les pays chartrains, normands, et sans doute la région parisienne71. D’un point de vue local, les viandes consommées en Vendômois proviennent majoritairement de l’Ouest : « Les boucheries de notre district étoient comme celles des districts voisins alimentées par les bœufs qu’on amenait des départements théâtre actuel de la guerre intestine », notent à cet égard les auteurs d’une enquête réalisée en l’an III72.
114L’étude des activités non agricoles a permis déjà de mentionner au passage un certain nombre d’échanges, ceux-ci étant même la raison d’être de certaines d’entre elles — ainsi de ces détaillants et revendeurs qui se rencontrent dans les principales villes de la région. Encore faut-il distinguer ici selon les branches. On sait que les artisans travaillent pour l’essentiel des matières premières locales, et que leur production s’adresse également à une consommation régionale. Il en va sans doute de même pour les bûcherons. Mais en ce qui concerne les tisserands de chanvre, les choses sont déjà moins simples. Car s’il est vrai que la matière première qu’ils utilisent est locale, comme est locale la plus grande partie de la consommation de leur production, il existe cependant, on l’a vu, un courant d’exportations de toiles de chanvre.
115Dans d’autres secteurs, les liens commerciaux avec l’extérieur sont plus nets encore. Les observations de l’intendant d’Orléans à la fin du xviie siècle et celles de Tribert à la fin du xviiie le disent clairement, pour l’approvisionnement en matières premières comme pour l’écoulement de la production.
116Côté importations de matières premières, les renseignements sont souvent approximatifs. Si compte tenu de son déclin la tannerie trouve sans doute sur place à l’époque de Louis XVI les peaux qui lui sont nécessaires, il n’est pas certain que c’était le cas au début du siècle. Pour la laine, l’industrie du Vendômois repose principalement — comme souvent dans le Maine et l’Orléanais — sur les ressources locales. Il est malaisé de préciser si la « famine lainière » qui se développe dans le royaume au xviiie siècle, surtout dans sa seconde moitié, a conduit à une diversification des approvisionnements : en tout état de cause, si celle-ci a eu lieu, elle est largement le fait de négociants extérieurs à la région. La situation est beaucoup plus claire en ce qui concerne la manufacture de Meslay, dont le coton est importé par Marseille, et la ganterie, dont on sait qu’elle travaille au début comme à la fin du siècle des peaux provenant des provinces de l’Ouest s’étendant du Maine à la Saintonge.
117Au chapitre des débouchés, une partie de la production vendômoise est dirigée vers Paris : tel est le cas des cuirs tannés, au moins au début du siècle, de la verrerie de qualité (celle du Plessis-Dorin, mais non celle de Busloup), des siamoises de Meslay et aussi des gants de Vendôme (ceux-ci paraissant s’exporter un peu partout dans le royaume, et même pour une petite part à l’étranger). Le papier de Vendôme prend, on le sait, la route d’Orléans. Quant aux étoffes de laine non consommées sur place, elles s’écoulent sur les marchés du Mans et de Tours, d’Orléans et de Nantes, d’où elles peuvent être réexpédiées plus loin, y compris en Amérique — notamment grâce à la Loire et à son prolongement atlantique ; c’est pour cette raison d’ailleurs que les pertes coloniales de 1763 sont si durement ressenties par cette branche.
118En dépit de beaucoup trop d’imprécisions, l’analyse des échanges effectués en Vendômois permet donc de dégager des enseignements éclairants sur l’ensemble de l’économie régionale.
119Ces échanges peuvent s’apprécier d’abord par rapport à la production globale. Qu’on les analyse à l’intérieur du Vendômois, ou entre cette région et l’extérieur, il apparaît qu’ils n’affectent qu’une part minoritaire de cette production. A tous les niveaux en effet, celui de l’exploitation ou du village comme celui de la région, la part de la consommation semble considérable, même si elle est variable selon les produits (on commercialise davantage de vin ou de grain que de légumes) et selon les années (car il ne faut pas perdre de vue qu’on a toujours raisonné, dans ce chapitre, à partir de moyennes), et s’il est impossible de prétendre sérieusement la chiffrer. Mais comme nulle part il n’y a égalité parfaite entre production et consommation — l’étude de quelques produits davantage favorisés par la documentation l’a bien montré —, et comme cette égalité n’existe pas davantage à l’échelle de la région, les échanges, pour minoritaires que soient les quantités sur lesquelles ils portent, apparaissent indispensables pour assurer les rééquilibrages, tant internes qu’externes. Si ce n’était pas le cas d’ailleurs, on s’expliquerait mal la place tenue dans la vie sociale par les foires et les marchés.
120D’un point de vue géographique, les échanges constatés en Vendômois présentent des orientations variées, qui renvoient aux caractéristiques mêmes du pays. Ceux qui s’effectuent à l’intérieur du Vendômois sont l’expression des complémentarités existant entre les différentes parties de cette région : ville et campagne, vallées et plateaux, Beauce et Perche. Les échanges extérieurs sont quant à eux marqués par la position de frontière qui caractérise la contrée. Aux confins des plaines du cœur du Bassin parisien et des bocages de l’Ouest, le Vendômois peut s’intégrer aux courants commerciaux du premier — en participant par exemple à travers l’axe ligérien à l’approvisionnement de la capitale en grain. Mais il exploite aussi sa proximité avec le bocage pour jouer des complémentarités qui existent avec ce dernier (en prolongement de celles qui s’observent à l’intérieur de ses limites), soit en y écoulant sa production — cas du vin —, soit en accueillant des marchandises produites en abondance à l’ouest et dont il manque — cas des cuirs et peaux par exemple.
121Globalement enfin, et en s’en tenant cette fois aux échanges externes, il n’est guère douteux que le solde n’en soit pour le Vendômois positif. C’est vrai pour les principales productions agricoles, qui constituent de loin la première activité de la région : en année normale, le Vendômois est exportateur de grain, de vin et de produits d’élevage. Ce l’est aussi de maints produits industriels, textile et papier, gants et verre. Mais dès lors qu’est constatée l’existence de cet excédent se pose le problème des profits qu’il entraîne, et de leur répartition. Sans surprise, l’économique débouche sur le social.
Notes de bas de page
1 Ils sont respectivement de + 0,956 entre 1726 et 1728, +0,974 entre 1768 et 1806, +0,964 entre 1726 et 1806.
2 En 1713, la densité rurale est de 8,3 feux/km2 dans l’élection de Château-du-Loir et 9,4 dans celle de La Flèche, contre 4,8 dans celle de Beaugency et 3,4 dans celle de Romorantin, selon Dupâquier (J.), La population rurale du Bassin parisien à l’époque de Louis XIV, Paris-Lille, 1979 ; en 1801, la densité globale (villes + campagnes) est de 60 hab./km2 dans la Mayenne, et de 62 dans la Sarthe, contre 31 dans le Loir-et-Cher non vendômois.
3 Registres conservés aux AD 41, sous-série 4E.
4 Sur ces sources du xviiie siècle, se reporter à la n. 2, p. 26.
5 AN, F10 505. Sur ce point, Festy (O.), Les animaux ruraux en l’an III, Paris, 1941.
6 Enquête de l’an X, AD 41, série M Agriculture, non cotée ; matrices cadastrales conservées aux AD 41, série P (premier cadastre, 1811-1837).
7 Principales sources de ce type : Simon (abbé M.) et Gaucher de Passac (P.-J.), op. cit., n. 1, p. 25, chap. 1 ; Salmon du Chàtellier, op. cit., n. 2, p. 28, chap. 1 ; Marchand (abbé), op. cit., n. 3, p. 29, chap. 1 ; Beauvais de Saint-Paul (P.-A.), op. cit., n. 4, p. 29, chap. 1 ; Annuaire de Loir-et-Cher, 1806.
8 Nouel (E.), « Journal d’un vigneron vendômois », SA V, 1875, p. 321-389.
9 . Ainsi Pierre Bordier mentionne-t-il dans son Journal les landas, terres fortes exemptes de cailloux d’après Martellière (P.), op. cit., n. 1, p. 29, du chap. 1, et les terres chaudières, « terres brûlantes où les récoltes sont échaudées avant d’arriver à maturité », selon le même auteur.
10 Allusions à la chasse dans le Journal de Pierre Bordier, en juin 1753 et en février 1766. Pierre Bordier lui-même possède un fusil, comme l’indique l’inventaire de ses biens établi à sa mort, en décembre 1781.
11 Des cérémonies d’exorcisme ont lieu à Naveil lors d’épizooties, en 1731 et 1763. D’autres sont organisées contre les hirbets, toujours à Naveil, en 1769 et 1787. Sur ce point, Nouel (E.), op. cit., n. 2, p. 57.
12 Mémoire sur la généralité de Tours, 1691, AD 53, manuscrit n°7.
13 Jubert de Bouville (L.-G.), Mémoire sur la généralité d’Orléans contenant les détails et Eclaircissements qui ont estés demandés par Monseigneur le contrôleur général, touchant les grains et les différentes natures de commerce et de manufacture qu’il y a dans chaque Election, BM Orléans, manuscrit n°602.
14 Registres de déclarations de défrichement, AD 41, 4B 118, 4B 119, 4B 120. Sur la Sologne, Guérin (L.), L’intendant de Cypierre et la vie économique de l’Orléanais, 1760-1785, Mayenne, 1938. Sur l’Anjou, Lebrun (F.), Les hommes et la mort en Anjou aux xviie et xviiie siècles, Paris-La Haye, 1971.
15 Simon (abbé M.), op. cit., t. 3, p. 27-28 ; Statistique agricole de 1852 dite quinquennale, AD 41, M Agriculture : cette enquête indique dans le canton de Montoire 2 300 ha de froment et 2448,5 de méteil ; dans celui de Selommes, respectivement 3 501 et 274.
16 AD 41, 21 H 33, abbaye de la Trinité.
17 Peuchet et Chanlaire, Description topographique et statistique de la France, département de Loir-et-Cher, 1810, p. 10.
18 Gaucher de Passac (P.-J.), op. cit., p. 7 ; Beauvais de Saint-Paul. (P.-A.), op. cit., p. 20 ; « Plan de la métairie de la Billetière de Boursay et de la dixme d’Alleray, paroisse de Choue », 1772, AD 41, plan 212.
19 « Enquête agricole de 1852 », supplément au questionnaire, canton de Savigny, « Opinions et usages relatifs à l’agriculture, proverbes et dictons agricoles, préjugés », AD 41, série M.
20 Ce schéma est confirmé par l’enquête de l’an X, où à côté de communes qui indiquent pratiquer l’assolement triennal, on voit celle de Sargé préciser : « Les terres se cultivent en 3 cotaisons. On commence à les mettre en 4 ».
21 Par exemple, Lavoisier (A.-L. de), Mémoires présentés à l’Assemblée provinciale de l’Orléanais, cité par Lesueur (F.) et Cauchie (A.), Les cahiers de doléances du bailliage de Blois et du bailliage secondaire de Romorantin, Blois, 1907, t. I, introduction ; ou le procès-verbal établi à Lancé pour constater les dégâts de la grêle du 14 juillet 1752, et qui fixe la récolte habituelle à quatre fois la semence (AD 41, sous-série 3E, étude 15). Notons toutefois que les rendements sur lesquels on raisonne ici sont des rendements communaux moyens, lesquels n’excluent pas, ponctuellement, des performances supérieures, comme celles que présente Viaud (D.), « Un domaine rural en Vendômois : la Blotinière (par. de Lunay) à la fin du xviiie siècle », AHRF, 1978, n°1, p. 20-33.
22 1. AD 41, L 1734.
23 Pour les références de ces deux enquêtes, se reporter n. 2, p. 55 et 1, p. 56.
24 Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, art. « Fredonnière ».
25 « Le mouton n’est pas en grande quantité à cause des petites cultures », écrit en l’an III le vétérinaire Denis à propos du canton de Villedieu, AN F10 505. Précisons que ce canton ne compte que 37 ovins au kilomètre carré, et le canton urbain de Vendôme 34. Tous les autres cantons ont une densité comprise entre 60 et 70 — sauf Droué, qui atteint 80.
26 AN F10 505.
27 En l’an X, dans la partie méridionale de l’élection de Châteaudun (qui correspond au nord du Vendômois), les prés couvrent 6,9 % des sols dans un échantillon percheron de 11 paroisses, et seulement 0,9 % dans un échantillon beauceron de 12 paroisses.
28 Sur les efforts du xviiie siècle en matière d’amélioration de l’élevage, et sur leurs limites, AN F10 505, et Guérin (L.), op. cit., p. 99-111 (sans perdre de vue que ce dernier, en s’attachant à l’action d’un intendant, décrit davantage les intentions de l’administration que les résultats obtenus).
29 1. AD 41, premier cadastre, série P.
30 Mémoire sur la généralité de Tours, AD 53, manuscrit n°7 ; Enquête an X, AD 41, M Agriculture, non cotée ; premier cadastre, AD 41, série P.
31 Lettre du 12 septembre 1809 au ministre de l’Intérieur, citée par Trobert (A.), L’agriculture en Loir-et-Cher de 1789 à 1815 et le monde rural de ce département dans ses rapports avec l’administration consulaire et impériale, Paris, DES, 1949.
32 Sur les rendements à Naveil, Neilz (S.), Histoire de la Condita de Naveil, Vendôme, 1867, tableaux p. 165-168 ; sur les courants d’exportation à la fin du xviie siècle (qui sont déjà ceux cités par Gaucher de Pas-sac), Beaucorps (C. de), « Une province sous Louis XIV, l’administration des intendants d’Orléans, de Creil, Jubert de Bouville et de la Bourdonnaye (1686-1713) », Mémoires de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, 1911.
33 A Villiers, paroisse la plus viticole de l’arrondissement, l’enquête de l’an X ne mentionne que 260 arpents de vigne (soit 215 ha) contre 550 septrées de terres labourables (341 ha) et 48 quartiers de pré (10 ha). Le premier cadastre, établi pendant l’Empire, indique de même que les vignes n’occupent que 30 % du terroir, contre 53 % pour les terres labourables.
34 Ainsi cet indicateur traduit-il bien le développement du vignoble blésois sur la rive droite de la Loire à l’époque de Louis XIV. Sur ce point, voir le graphique que j’ai publié dans Croubois (C.) (dir.), Le Loir-et-Cher de la Préhistoire à nos jours, Saint-Jean d’Angély, 1985, p. 224.
35 Chatagnier (C), « La généralité d’Orléans sous l’intendance de Louis-Guillaume Jubert de Bouville (1713-1721) », Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, 1961, p. 3-93.
36 Indications de surface tirées de l’enquête de l’an X pour les cantons de Mondoubleau et de Selommes, et du premier cadastre (établi en 1811) pour le vignoble ; indications de rendement tirées de l’état de 1741 ; prix du grain tirés de la mercuriale de Montoire ; rendements de la vigne et prix du vin tirés du Journal de François Lattron, Nouel (E.), op. cit., et de Neilz (S.), op. cit. ; pour l’élevage, effectifs des cheptels tirés de l’enquête de l’an III, et prix en 1789 fournis rétrospectivement par une enquête de l’an IX (AD 41, M Agriculture, non cotée) : on a retenu au titre du produit annuel de l’élevage la valeur totale des poulains, veaux et agneaux, et 20 % de celle des animaux adultes.
37 Jubert de Bouville (L.-G.), op. cit., et Mémoire sur l’état des manufactures de la généralité d’Orléans et sur les moyens de l’améliorer par Monsieur Tribert, Inspecteur des Manufactures (1790), AD 41, L 434.
38 Indications sur la ganterie tirées de Dupâquier (J.), Statistiques démographiques du Bassin parisien (1636-1720), Paris, 1977, p. 364, Simon (abbé M.), op. cit., t. 3, p. 35, Mémoire de Tribert, op. cit.
39 AD 41, L 1730. Les manufactures de ganterie (et celles de broderie) sont présentées comme « les seules ressources des femmes et des enfants des grandes communes et des campagnes ».
40 Annuaire de Loir-et-Cher, 1806, p. 74.
41 Mémoire concernant la demande de la route de communication de Montoire à Tours, et les chemins qui y ont rapport dans les généralités d’Orléans et de Tours, AD 41, C 257.
42 Se reporter sur ce point à la démonstration de Pasquier (J.-C.), « Henri IV et le sac de Vendôme », SA V, 1991, p. 71-88 (voir notamment les p. 86 et 87).
43 Dupâquier (J.), op. cit., n. 1, p. 77.
44 Arnould (J.), 1789, les assemblées préliminaires et la rédaction des cahiers de doléances dans le bailliage secondaire de Mondoubleau, Vendôme, 1984, p. 38-41.
45 Dans sa Table alphabétique... des paroisses établie en 1735 dans le but de recenser les zones propices au banditisme de grand chemin, Daniel Jousse note comme dangereuses les étendues boisées, notamment, sur les marges du Vendômois, les forêts de Montmirail et de Marchenoir. En 1790, le district de Vendôme mentionne la proximité des bois et des forêts parmi les raisons qui justifient un renforcement de la maréchaussée (AD 41, L 1681, 22 novembre 1790).
46 Arnould (J.), op. cit., p. 43.
47 Registres municipaux de Vendôme, Archives municipales de Vendôme.
48 C’est par exemple à une exploitation renforcée de leurs bois de Courtiras que les Oratoriens de Vendôme demandent à de nombreuses reprises au xviiie siècle — après autorisation du Conseil d’Etat — les ressources nécessaires à l’agrandissement de leur maison : preuve indirecte de la valeur qu’a alors le bois (AD 41, 41H 49).
49 Sur la création de cette forge, Guérin (L.), op. cit., p. 179. En 1790, cette création n’est toujours pas acceptée par la population : « Les forges à fer de Fréteval occasionnent un dommage infini aux prairies pour le regard des eaux ; elles causent aussi la disette des bois dans cette paroisse et dans celles qui l’avoisinent » (AD 41, L 417, Tableaux de mendicité, 1790, Observations du canton de Morée).
50 Bois (P.), Paysans de l’Ouest, Paris, 1971, p. 224-229.
51 Mémoire concernant... la route... de Montoire à Tours, op. cit.
52 Chatagnier (C), op. cit., p. 71.
53 Saint Venant (R. de), Dictionnaire, art. « Meslay ».
54 Mémoire concernant... la route... de Montoire à Tours, op. cit.
55 C’est ce que suggère Arnould (J.), op. cit., p. 38.
56 Dornic (F.), L’industrie textile dans le Maine et ses débouchés internationaux, 1650-1815, Le Mans, 1955.
57 Arnould (J.), op. cit., p. 35-36.
58 Arnould (J.), op. cit., p. 38.
59 Sur cette géographie des marchés et des foires, Table alphabétique... des paroisses de Daniel Jousse, op. cit., Annuaire de Loir-et-Cher de 1806, Arnould (J.), op. cit., p. 54.
60 AD 41, L 1730 (subsistances, district de Vendôme), an III.
61 Arnould (J.), op. cit., p. 55.
62 Vallaux (C), op. cit., p. 176.
63 Annuaire de Loir-et-Cher, an VIII.
64 Lefebvre (G.), Etudes orléanaises, Paris, 1962, t. I, p. 235-237, qui rapporte que le subdélégué de Vendôme observe en 1773 que « les fermiers aisés ne viennent pour ainsi dire plus au marché », et en 1789 que le curé et le vicaire de Savigny vendent du grain en dehors du marché.
65 Données tirées de l’enquête de l’an X, AD 41, M Agriculture, non cotée.
66 Observation rapportée par Guérin (L.), op. cit., p. 89.
67 Voir à ce sujet l’attention que porte Pierre Bordier à ce qui se passe à Blois, Martellière (J.) et Nouel (E.), op. cit. ; ou encore le « Mémoire... sur la nécessité d’achever le chemin entre la ville de Blois et le marché d’Oucques » cité par Lesueur (F.), « L’Assemblée du département de Blois et de Romorantin (1787-1790) », Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Blois, 1910 (Oucques se trouve sur les marges beauceronnes du Vendômois).
68 Texte cité par Dupàquier (J.) (op. cit. n. 1, p. 77), p. 364.
69 Se reporter supra, n. 4, p. 68.
70 Sur ce point, voir Mulliez (J.), « Du blé, mal nécessaire. Réflexions sur les progrès de l’agriculture, 1750-1850 », RHMC, janvier-mars 1979, p. 9.
71 On trouve des témoignages sur ce phénomène dans les archives judiciaires (AD 41, série B non cotée, justice de Montoire-Querhoent). Sur ce point, voir infra, chap. 5.
72 AN F10 505, réponse du district de Vendôme.
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