Le recours à l’écrit dans les pratiques marchandes en contexte interculturel : les contrats de commerce entre chrétiens et musulmans en Méditerranée
p. 59-72
Texte intégral
1Ce qui frappe lorsque l’on étudie les relations qu’entretiennent les marchands latins dans les ports musulmans, c’est l’apparent cloisonnement entre les diverses communautés et la faiblesse des contacts avec les acteurs locaux du commerce. Tout est fait, il est vrai, pour favoriser cet isolement dans des fondouks d’où les marchands européens sortent le moins possible. À lire les rares contrats notariés instrumentés dans ces ports, on aurait presque l’impression que ces chrétiens ne viennent dans les ports musulmans que pour faire des affaires avec d’autres chrétiens. L’absence de contrats en arabe conservés dans les archives confirme cette impression1. On pourrait expliquer ce paradoxe par le recours à des intermédiaires spécialisés, au premier rang desquels les drogmans et les courtiers2, qui permettent de limiter au maximum les relations directes avec le milieu local. Mais il n’était pas obligatoire et était peu justifié dans le cas des marchands résidant pour de longues périodes. On pourrait ajouter que la grande majorité des opérations étaient des ventes au comptant, qui ne nécessitaient pas la signature d’un contrat. Mais les relations d’affaires entre marchands chrétiens et musulmans ne se limitaient pas toujours à ces opérations simples et elles nécessitaient parfois la rédaction d’un contrat devant notaire. Ce recours à l’écrit ne va cependant pas sans poser des problèmes dans un contexte interculturel qui met en relation des marchands de langues, d’origines et de religions différentes, dont les normes et les pratiques en matière de droit commercial sont souvent, sinon totalement, opposées, du moins dissemblables, et dont les statuts juridiques enfin favorisent un certain cloisonnement.
2La première question qui se pose est celle de la licéité de tels contrats entre musulmans et chrétiens. Elle s’est posée d’abord dans le cadre de la réflexion sur les relations avec les dhimmī-s. Sur le principe, de telles associations sont interdites, car elles impliquent une égalité formelle entre contractants, qui remettrait en cause les hiérarchies sociales et politiques3. Dans la pratique, elles font l’objet de débats, notamment parmi les jurisconsultes malikites4. Le mufti tunisois al-Rammāḥ (t 749/1348-1349) considère ainsi qu’un musulman ne peut licitement confier un qirāḍ à un dhimmī, et qu’à l’inverse, un dhimmī doit éviter d’en recevoir d’un musulman5. Quoi qu’il en soit, si les normes concernant les dhimmī-s servent souvent de référence pour régler les relations avec les marchands latins, elles ne s’appliquent pas pour autant mécaniquement6. On pourrait arguer du fait que les fatwas contemporaines de l’expansion latine vers le monde musulman n’évoquent pas de tels contrats. Mais ce silence n’est guère probant, car d’une manière générale elles passent sous silence les relations avec les chrétiens, sauf dans les cas de piraterie. De même, dans le sens inverse, la papauté ne semble pas avoir vu d’un bon œil les contrats passés avec les musulmans7. Mais, quelles que soient les normes juridiques, du côté musulman comme du côté chrétien, les sources montrent – même si c’est souvent de manière indirecte – que de tels contrats étaient bien passés entre les musulmans et les marchands latins.
3On a en effet des traces d’associations commerciales entre des chrétiens et des musulmans qui montrent que les relations ne se limitaient pas à de simples opérations de ventes. Ainsi, en 1347, le notaire génois de Bougie fait état d’un certain nombre de créances dues par des musulmans de la ville à divers marchands latins8. On trouve également des propriétés conjointes de navires, comme en 1277 un bateau détenu par un musulman de Tunis et un Pisan9, ou en 1363 la Santa Maria, une nave possédée pour moitié par un certain Hamet ben Bien, au nom du sultan hafside, l’autre moitié étant détenue par deux marchands majorquins10. Dans les deux cas, ce n’est qu’à l’occasion de la vente des navires que ces associations sont révélées, et on n’a pas conservé le contrat d’association. Les marchands musulmans qui embarquaient sur les navires chrétiens faisaient par ailleurs des contrats de nolisement11. Parfois cependant ils se contentaient de remettre leurs marchandises au capitaine du navire pour qu’il les livre à son arrivée. Dans tous les cas, on peut raisonnablement penser qu’un contrat écrit était rédigé, ce que confirment, du reste, les contestations qui apparaissent dans la correspondance diplomatique.
4Certains de ces documents ont d’ailleurs été conservés dans les archives européennes. C’est le cas en particulier de quelques contrats latins faisant intervenir des musulmans. Quelques-uns, assez logiquement, ont été instrumentés dans les ports chrétiens, pour lesquels les minutiers sont mieux conservés, mais aussi parce que, dans ce contexte, l’absence de notaire musulman ne laissait de toute façon guère le choix. C’est le cas, par exemple, de celui instrumenté en 1227 par le notaire Januaire de Marseille entre Bernard Manduel et le marchand alexandrin Alfaquin en vue d’une opération vers Ceuta12. De même, en 1247 Acmet Abenyequir d’Alicante vient à Palma et loue la moitié d’un linh appartenant à Bernat de Quart, de Sant Feliu, pour un voyage d’Alicante à Alger ou Bougie13. En 1285, à Majorque, Ali de Bougie et Mahomet de Cordoue empruntent 26 livres de réaux valenciens à Bernardo de Rosanes et Johannes Dominguez, dont une grande partie doit servir à rembourser A. de Vilamar qui leur a prêté un total de 31 doubles en Afrique et à Majorque. Un mois plus tard, les mêmes empruntent 30 livres à Mathieu de Porto Venere, dont 27 vont à Bernardo et Giovanni14. Enfin, en 1354, le marchand bougiote Hamet Atzuahi prend en commande du Majorquin Bernat Bru 5 réaux majorquins et s’engage à les porter à Bougie à un autre marchand de file, Antoni Garcia15.
5On trouve également des musulmans dans les rares contrats instrumentés dans les ports du Maghreb ou d’Égypte et conservés jusqu’à nous. Ainsi, le notaire génois de Tunis Pietro Battifoglio rédige en 1289 un contrat, dans l’enceinte de la douane, entre l'alfaqui Ben Maroanno et Balianno Embrono, le premier reconnaissant avoir reçu du second 3000 doubles d’or et un sac de perles16. De même, en 1435, le notaire vénitien d’Alexandrie Nicolo Turiano enregistre une procuration du marchand musulman Abdrexach faite à Benedetto Paravicino pour réclamer ses dus à Rhodes et autres lieux, notamment une dette de 1 220 ducats contractée par un Pisan pour une vente d’épices17. Il faut cependant reconnaître que ces contrats sont rares dans les minutiers instrumentés dans les ports musulmans, qui contiennent pour l’essentiel des accords entre marchands chrétiens. On n’a pas conservé, en revanche, de minutiers de notaires musulmans pour cette période18. Il y a bien trois contrats de prêt maritime, rédigés en arabe et instrumentés en Sicile dans les années 1130-1160, qui associent des marchands musulmans de l’île et des chrétiens, peut-être génois19. Mais c’est, à ma connaissance, le seul exemple que l’on ait conservé. En revanche il n’est pas exceptionnel de trouver, dans les contrats des notaires latins, des références à des documents en arabe. En 1289, Pietro Battifoglio fait à deux reprises allusion à des actes écrits en arabe qui témoignent de dettes de la curia du roi de Tunis, c’est-à-dire de la douane20. De même, en 1344, deux ambassadeurs sont envoyés auprès du sultan de Tunis pour réclamer une créance de 14 500 doubles d’or et ils doivent porter avec eux un contrat (instrumentum) en arabe qui en témoigne21. En 1435, le notaire vénitien d’Alexandrie traduit dans son minutier une carta debiti in lingua arabicha scripta présentée par le Florentin Francesco Manelli22. Enfin, dernier exemple, en 1452, un capitaine de navire génois refuse de payer à des musulmans ses dettes qui, précise le texte de la réclamation du sultan de Tunis ‘Uṯmān conservée aux archives de Gênes, résultent d’actes stipulés devant notaire23, sans que l’on sache cependant s’il s’agit d’un notaire chrétien ou musulman.
6Ces témoignages ne sont certes pas très nombreux, car ils n’apparaissent le plus souvent qu’en cas de contestation ou dans des opérations complexes qui nécessitent de faire référence à un accord antérieur. Il faut par ailleurs rappeler que les musulmans se rendaient exceptionnellement dans les ports chrétiens et donc ont rarement l’occasion d’apparaître dans les minutiers des notaires. Quant aux contrats passés dans les ports musulmans, ils n’ont été que rarement conservés, et il s’agit toujours de contrats de notaires européens. On peut donc supposer que les accords entre chrétiens et musulmans étaient plus nombreux que ce que nous laisse voir aujourd’hui la documentation conservée, et que les marchands leur accordaient une valeur, ce qui suppose une confiance dans le document et entre partenaires.
7Il n’en reste pas moins que de tels contrats posent des questions multiples : qui avait autorité pour les enregistrer, et selon quelles formes ? Qui pouvait ou devait témoigner ? Dans quelle mesure faisaient-ils foi en justice ? Pour les contrats rédigés en arabe, nous ne pouvons guère nous appuyer que sur celui conservé en Sicile et étudié par Jeremy Johns, qui est lié à un contexte particulier et n’est certainement pas totalement représentatif de ce qui pouvait se faire dans les pays musulmans. Johns note que, dans sa formulation, l’acte emprunte aux deux traditions latine et musulmane, auxquelles s’ajoutent des particularités propres au contexte sicilien24. Ainsi, la formule précisant que se portent garants « les vivants pour les morts et les présents pour les absents » ne se trouve pas dans les documents latins, mais est présente, presque identique, dans les papyrus égyptiens à partir du ixe siècle. À l’inverse, la formule « sous peine du double », si commune dans les documents latins, ne se rencontre jamais dans les contrats arabes ou judéo-arabes. Il en conclut qu’il s’agit d’un véritable hybride, qu’il explique par le contexte particulier de la Sicile normande. Mais on ne sait rien ou presque des contrats arabes passés dans les ports musulmans. Le traité de 1422 entre Florence et les Mamelouks précise seulement que les ventes doivent se faire devant notaires ('udūl) et selon la Loi (Sharī’a)25. Dans certains cas c’est le cadi qui intervient, comme lors de la vente, en 1277, d’une partie d’une nave entre un Pisan et un Tunisois, faite devant le cadi du calife dans le Majlis al-ḥikma, et en présence de cinq témoins musulmans26.
8On est un peu mieux renseigné sur les contrats instrumentés par les notaires latins. Dans leur forme, ils ne diffèrent pas des autres actes présents dans les minutiers et suivent donc les règles en usage en Europe. Tout au plus font-ils intervenir des témoins musulmans – encore n’est-ce pas toujours le cas. Ainsi, en 1448, à Alexandrie, le notaire vénitien établit un contrat entre deux marchands musulmans dont le Valencien Galip Ripol27, le tout devant deux témoins musulmans. Et le notaire ajoute dans la marge que ces deux témoins ont été spécialement convoqués pour cela28, ce qui pourrait s’expliquer par la volonté de respecter la règle selon laquelle, en Islam, les contrats doivent être faits devant au moins deux témoins29. Cette règle des deux témoins est d’ailleurs rappelée dans le traité de 1442 entre Venise et les Mamelouks, à propos des opérations de troc30. On retrouve des situations similaires dans d’autres contrats31, mais parfois avec un seul témoin musulman32. Et, dans d’autres cas, tous les témoins sont chrétiens. Ce n’est donc pas une règle toujours suivie, et tout indique des pratiques relativement souples. De même, lorsque les contractants prêtent serment, ils le font selon une forme propre à chacun. En 1162, à Gênes, Bombarchet (Abū Bakr ?) et Yūsuf, dont on ne sait s’ils sont musulmans ou juifs, et Simon, tous trois procurateurs du qa id Abū l-Qāsim, prennent un prêt du Génois Soliman : Simon jure de respecter l’accord sur les Evangiles, alors que les deux autres le font selon leur loi33.
9En tout cas, je n’ai pas trouvé trace de contestation d’un contrat pour une raison de forme qui n’aurait pas été reconnue comme valide, car s’écartant de la norme, que ce soit du côté chrétien ou musulman. En 1439, un sujet hafside vient à la cour d’Alphonse le Magnanime pour porter plainte contre un pirate catalan, et présente pour cela des documents (scripturi) qui sont soumis au Sacro Regio Consiglio, lequel n’en reconnaît pas l’authenticité et estime qu’ils ne peuvent être présentés en justice. Le document ne précise pas malheureusement les raisons de ce rejet, et on peut penser que les arguments opposés à sa validation portaient, du moins officiellement, sur la forme de l’acte. Cependant, l’examen même des documents par le Sacré Conseil montre que des actes, que l’on peut raisonnablement supposer rédigés en arabe par une autorité musulmane, étaient en principe recevables en justice dans le royaume d’Aragon34. En effet, les contrats sont bien considérés, de part et d’autre, comme ayant une valeur reconnue35. Il est fait régulièrement allusion à des documents pour prouver la validité d’une transaction ou pour réclamer des droits, notamment dans la correspondance diplomatique. À l’inverse, l’absence d’un document peut justifier aux yeux des autorités qu’un accord ne soit pas respecté. Lors de la disgrâce d’al-Lulyānī, le ministre du sultan hafside al-Mustanṣir, des marchands francs viennent réclamer une créance de 300 dinars, mais leur demande est rejetée car ils ne peuvent fournir de document à l’appui36. Certes, cette question n’est pas abordée par les juristes et, comme souvent pour les relations entre marchands latins et musulmans, on est dans une pratique qui est pudiquement ignorée par la loi générale37 – ce qui n’empêche pas de la régler parfois dans les traités bilatéraux passés entre les puissances musulmanes et européennes, lesquels ont force de loi38. Ainsi, celui conclu entre les Mamelouks et les Vénitiens en 1442 fait obligation aux musulmans de respecter les termes d’un accord commercial, surtout lorsqu’il a été établi avec le témoignage d’un notaire public39. De même, le traité de 1403 entre les Hafsides et la Couronne d’Aragon prévoit qu’une vente faite avec un agent du sultan et avec une carta testimonial ne pourra pas être contestée40. Le contrat sicilien évoqué plus haut envisage d’ailleurs la possibilité de se tourner vers la cour en cas d’absence de paiement, ce qui semble supposer que le contrat devra être alors produit comme preuve41. En 1476, dans une lettre qu’il adresse au duc de Milan, alors seigneur de Gênes, le sultan hafside ‘Uthmān évoque un conflit à propos du rachar d’une captive musulmane détenue par un Génois et affirme que le plaignant lui a présenté « un acte certifié correctement aux yeux des juges musulmans et d’une parfaite validité dans notre Loi42 ». On ignore cependant s’il s’agit d’un contrat de rachat instrumenté par un notaire chrétien ou musulman. Les plaintes ne manquent pas, en effet, qui font référence à des contrats non respectés. En 1287, ce sont des Génois qui protestent pour des accords non honorés qui ont fait l’objet de contrats avec des témoins musulmans ou figurant dans les registres de la douane43. De même, quelque temps avant 1293, un Vénitien, sur le point de quitter Tunis, rédige un acte écrit (fecit [...] quoddam scriptum) soldant ses affaires et attestant qu’il a réglé ses dettes – ce qui ne l’empêche pas cependant d’être arrêté et emprisonné lors de son retour dans la capitale hafside44. Mais la protestation adressée par le Sénat de Venise au sultan montre que, aux yeux des autorités de la République, le document aurait dû normalement suffire à prouver les affirmations du marchand.
10Certes, se posaient des problèmes de droit et de langue. Mais les contrats passés entre chrétiens et musulmans – principalement des prêts, parfois des nolisements, mais sans doute exceptionnellement des associations plus complexes – couvraient des opérations simples, prévues par le droit, aussi bien dans le monde musulman que chrétien, souvent en des termes assez proches45. En tout cas, on ne trouve pas dans la documentation de problème qui aurait été causé par une différence dans les législations. Tout se passe comme si, dans les faits, l’important était que le contrat soit conforme au droit du notaire qui l’avait instrumenté. Les traités qui posent la nécessité de respecter les contrats notariés ne précisent en effet jamais que ceux-ci devaient faire l’objet d’une double validation par des autorités musulmanes et chrétiennes. Or, il ne fait pas de doute que, si cela avait posé un problème pour la bonne marche des affaires, le cas aurait été prévu et réglé par les accords bilatéraux entre États. En définitive, peu importe que les normes suivies par les notaires diffèrent entre chrétiens et musulmans. Ce qui compte est que le contrat soit conforme au droit d’une des parties46.
11La question de la langue posait d’autres difficultés, car il fallait que le document puisse être lu et compris. Dans un contrat, instrumenté par le notaire vénitien de Tunis en 1472, on précise que les trois témoins chrétiens connaissent la langue arabe, ce qui garantit leur compréhension de la transaction47. Dans un autre, passé à Barcelone entre un certain Abū ‘Imrān, ambassadeur du sultan de Tlemcen, et des marchands catalans, le musulman souscrit en arabe, à la suite de ses fidéjusseurs et avant les témoins48. Au besoin, on a recours aux drogmans49 pour assurer une traduction orale ou on rédige une traduction de l’acte. Ainsi, en 1435, le notaire vénitien d’Alexandrie traduit un contrat rédigé en arabe trois ans auparavant entre des Génois et des marchands musulmans, « mot à mot et sans ajouter ni retrancher quoi que ce soit qui changerait le sens ou modifierait sa compréhension50 ». Le traité de 1403 entre les Hafsides et la Couronne d’Aragon stipule d’ailleurs que la cour et la douane doivent payer ce qu’elles doivent aux procurateurs des sujets de la Couronne, sans contester leurs procurations écrites en latin et non en arabe, qui devront alors être traduites d’une langue à l’autre51.
12La pratique semble cependant assez souple, et le contrat notarié n’est pas le seul à avoir force de preuve. Ainsi, le registre de la douane, qui ne se limitait pas à l’enregistrement des taxes, est parfois mentionné comme attestant une opération. Dans une affaire de dette de la cour de Tunis à des marchands vénitiens en 1282, on apprend que le consul devra faire écrire un acte portant légalité de la créance ou, au moins, la faire figurer dans les registres de la douane de Tunis52. Par ailleurs, des livres de comptes semblent avoir été pris en considération53, comme le montre un acte du notaire vénitien d’Alexandrie en 1435 : à l’occasion d’un litige avec un marchand musulman, celui-ci présente ses « livres et écritures » (libris et scriptores), que l’on peut interpréter comme des livres de comptes, et que le notaire traduit en idiome latin et recopie avec l’aide du drogman des Vénitiens54. Un document écrit n’est cependant pas toujours nécessaire. Le traité de 1314 entre Bougie et la Couronne d’Aragon prévoit ainsi que la douane doit obliger les marchands musulmans à acquitter leurs dettes, lorsqu’elles sont attestées par un document écrit ou des témoins55. On retrouve ici la possibilité de faire appel aux témoins de l’acte que l’on connaît dans le droit musulman, où la déposition des témoins instrumentaires a même plus de valeur que le contrat écrit56. Cette possibilité ne semble pourtant pas avoir été souvent prévue. D’une manière générale, les contrats de commerce, entre des marchands qui par obligation se déplaçaient beaucoup, se prêtaient mal à l’utilisation du témoignage oral et nécessitaient des traces écrites. C’était encore plus vrai lorsqu’un des partenaires rentrait dans le monde chrétien, ce qui rendait encore un peu plus difficile la convocation des témoins.
13En dépit de cette possibilité de recourir au seul témoignage oral, il est incontestable que le recours à l’écrit ne fut pas exceptionnel dans les transactions entre chrétiens et musulmans, loin de là. Il est d’autant plus surprenant que l’on ait conservé si peu de contrats de ce type, et surtout que pratiquement aucun contrat en arabe ne nous soit parvenu. Gabriella Airaldi explique leur absence dans les archives européennes par les interdictions de l’Église frappant les transactions avec les musulmans57. Mais l’interdiction du commerce avec les musulmans n’était pas absolue et concernait principalement les sujets des souverains en guerre avec la chrétienté (principalement en Orient) et les produits considérés comme stratégiques. L’Église pouvait faire preuve d’une grande souplesse sur cette question, lorsque c’était nécessaire. Il y a sans doute, plus simplement, un problème de conservation de ces contrats : les exemplaires remis aux marchands n’avaient pas de raison d’être archivés par ces derniers, une fois l’opération réalisée, ce qui n’est pas propre aux affaires menées dans le monde musulman. Reste la question des copies réalisées et conservées par les notaires. Les minutiers des notaires latins travaillant dans les ports musulmans ont été rarement conservés, mais ce n’est guère surprenant, et il est d’ailleurs possible qu’ils soient demeurés dans les établissements d’outre-mer, même lorsque le notaire rentrait dans sa patrie58.
14Le problème se pose différemment pour les contrats passés devant des notaires musulmans. Outre les problèmes généraux de conservation des archives dans le Dār al-Islām, abordés par Christophe Picard dans ce volume, on doit se demander si les notaires conservaient même une copie des contrats qu’ils rédigeaient. Dans sa présentation des témoins légaux, Ibn Khaldūn écrit qu’ils tenaient « des registres inventaires des droits, des biens, des dettes et des transactions légales59 ». Pourtant, il ne semble pas qu’ils y aient été obligés, ni même qu’ils en aient eu toujours l’habitude. C’est ce qui ressort d’un document de 1475, relatif à un vol commis par deux Barcelonais dans le domicile d’un marchand génois à Bougie. Celui-ci se plaint d’avoir perdu dans l’affaire « divers documents écrits en arabe et en latin », dont deux, écrits en arabe, qui attestent les dettes des deux accusés – ce qui suggère d’ailleurs que des notaires musulmans pouvaient à l’occasion intervenir dans des affaires liant deux partenaires chrétiens. Mais le plus intéressant est cette précision du plaignant : il affirme que les Barcelonais ont brûlé ces documents parce que les notaires musulmans ne conservent pas de copie des contrats qu’ils ont instrumentés (notarii barbari non tenent autenticum instrumentorum per eos compositorum)60. La pratique du minutier, telle que nous la connaissons dans l’Europe latine, n’existait donc pas à Bougie, et il n’y aurait alors eu production que de deux copies données aux contractants, dont la conservation au-delà de la réalisation de l’opération ne s’imposait pas61.
15On a trop souvent tendance, lorsque l’on étudie la présence latine dans les ports musulmans, à se concentrer sur l’organisation interne des nationes, laissant dans l’ombre les relations avec le milieu local62. Tout concourt, il est vrai, à présenter des sociétés portuaires cloisonnées : les sources, bien sûr, qui masquent, volontairement ou non, les contacts interculturels, mais aussi l’idée que les normes et les différences de coutumes limitaient les relations directes entre chrétiens et musulmans. Pourtant, l’exemple des contrats montre une pratique très souple qui permettait de franchir facilement les frontières communautaires et culturelles. Si les différences entre les contrats latins et musulmans sont réelles (dans la forme, par le statut du notaire, des témoins, par les caractéristiques juridiques des conventions commerciales ou par la langue), il est manifeste que ces documents écrits étaient reconnus comme valides de part et d’autre. C’était la condition d’une bonne marche du commerce, et c’est bien cela qui semble avoir permis, dans les faits, une adaptation des normes – ou plus exactement la reconnaissance réciproque des normes de l’Autre en matière de pratique notariale et de recours à l’écrit d’une manière plus générale.
Notes de bas de page
1 Voir le texte de Christophe Picard dans ce volume.
2 Cf. M. Talbi, « Les courtiers en vêtements en Ifrīqiya au ixe-xe·siecle, d’après les Masā’il al-Samāsira d’al-Ibyānī », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 5 (1962), p. 160-194
3 B. Johansen, « Échange commercial et hiérarchies sociales en droit musulman », Les institutions traditionnelles dans le monde arabe, éd. H. Bleuchot, Paris, 1996, p. 24-26.
4 R. Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, des origines au xve siècle, Paris, 1940, t. 1, p. 412, à partir d’al-Burzulī.
5 H.-R. Idris, « Commerce maritime et ḳirāḍ en Berbérie orientale d’après un recueil inédit de fatwās médiévales », Journal of the Economie and Social History of the Orient, 4 (1961), p. 233.
6 Voir une fatwa tunisoise d’époque hafside, qui distingue, à propos de la question de l’église du fondouk, le cas des dhimmī-s de celui des marchands européens, pour lesquels s’appliquent avant tout les dispositions du traité de paix signé par le souverain musulman. Cf. D. Valérian, « Les fondouks, instruments du contrôle sultanien sur les marchands étrangers dans les ports musulmans (xiie-xve siècle) ? », La mobilité des personnes en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne : procédures de contrôle et documents d’identification, éd. Cl. Moatti, Rome, 2004 (Collection de l’École française de Rome, 341), p. 693.
7 C’est ce qu’affirme G. Airaldi, « I Genovesi nel mondo islamico : “carta sarracenica” e “carta in arabico” », Critica storica, nouv. sér., 9 (1972), p. 117. Ces types de documents sont pourtant nombreux dans les terres conquises par les chrétiens, où les musulmans apparaissent régulièrement dans des contrats avec des chrétiens.
8 Genova, Archivio di Stato, Notai antichi, min. 275/Π, fol. 50v. Le passage de la peste a causé la mort de certains d’entre eux, d’où des problèmes de recouvrement de ces créances.
9 M. Alarcón y Santon, R. Garcia de Linares, LOS documentas arabes diplomάticos del Archive de la Corona de Aragon, Madrid-Grenade, 1940, p. 245-246, no 115, 2e décade de rabī’II 676/11-21 septembre 1277.
10 Archivo de la Corona de Aragon, Cancillerίa, Reg. 1422, fol. 87-88, 13 mars 1363.
11 Voir, pour l’époque ottomane, D. Panzac, « Le contrat d’affrètement maritime en Méditerranée : droit international et pratique commerciale entre l’Islam et la chrétienté (xviie-xviiie siècles) », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 45 (2002), p. 342-362.
12 Documents inédits sur le commerce de Marseille au Moyen Âge, éd. L. Blancard, Marseille, 1884-1885, t. 1, p. 18-19. Il s’agit d’une vente à crédit, que Alfaquin doit payer à son arrivée à Ceuta. Mais cette vente pourrait être fictive et dissimuler un prêt doublé d’un change.
13 Archivo del Reino de Mallorca, Protocolos, Reg. 343, fol. 243v-244, 29 décembre 1247, Ejecutoria del reino de Mallorca, éd. A. Santamarîa Arández, Palma de Majorque, 1990, p. 639-640, no 51.
14 Le même jour Mathieu leur promet de leur faire quitter Majorque avant le 15 août : Archivo del Reino de Mallorca, Protocoles, Reg. 351 (19 avril 1285 [?] et 24 mai 1285), cité par E. LOURIE, « Free Moslems in the Balearics under Christian Rule in the Thirteenth Century », Speculum, 45 (1970), p. 634.
15 Arxiu Capitular de Mallorca, Protocoles, 14580, fol. 58v, 2 juillet 1354, cité par M. D. López Pérez, La Corona de Aragon y el Magreb en el siglo XIV (1331-1410), Barcelone, 1995, p. 377.
16 Notaigenovesi in oltremare. Atti rogati a Tunisi da Pietro Battifoglio (1288-9), éd. G. Pistarino, Gênes, 1986, no 124, 14 juin 1289.
17 Venezia, Archivio di Stato, Cancelleria Inferiore (désormais : ASV, Canc. Inf.), busta 211, notaire Nicolo Turiano, cahier V, fol. 38-v, 8 février 1435.
18 Sur l’institution du notariat dans le monde musulman, voir É. Tyan, Le notariat et le régime de la preuve par écrit dans la pratique du droit musulmane, 2e éd., Beyrouth, 1959 ; P. Cano Avila, « El notario musulman andalusi », Actas del II coloquio hispano-marroqui de sciencias bistoricas. Historia, cienciay sociedad, Granada, 6-10 noviembre de 1989, Madrid, 1992, p. 89-106.
19 J. Johns, « Arabic contracts of Sea Exchange from Norman Sicily », Rarissime Gotifride. Historical Essays Presented to Godfrey Wettinger on bis Seventieth Birthday, dir. P. Xuereb, Malte, 1999, p. 55-78.
20 Notai..., op. cit. n. 16, no 25, 12 mars 1289, et no 27, 15 mars 1289.
21 Quondam instrumentum pergameneum sarraceneum : Archivo de la Cqrona de Aragon, Cancilleria, Reg. 555, fol. 78v, 28 octobre 1344, éd. R. Brunschvig, « Documents inédits sur les relations entre la Couronne d’Aragon et la Berbérie orientale au xive siècle », Annales de l’Institut d’études orientales, 2 (1936), p. 254-255.
22 ASV, Canc, inf, busta 211, notaire Nicolo Turiano, cahier V, fol. 36v, 8 février 1435.
23 ‘Uhūd bi l-‘adāla, éd. M. Amari, « Nuovi ricordi arabici sulla storia di Genova », Atti della Società ligure di Storia Patria, 5 (1867), rééd. à part, Gênes, 1873, texte p. 27, trad. p. 73.
24 Johns, « Arabic contracts... », loc. cit. n. 19, p. 61.
25 J. Wansbrough, « Venice and Florence in the Mamlulc Commercial Privileges », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 28 (1965), texte p. 498-499 (art. 2 et 4) et trad. p. 511-512.
26 Cf. supra n. 9.
27 C’est un cas un peu exceptionnel où un notaire chrétien établit un contrat entre deux musulmans. Mais l’un d’eux est un sujet de Valence, donc d’un roi chrétien.
28 Duobus testibus aliis mauris infrascriptis, convocatis specialiter et rogatis (Servodio Peccator, notaio in Venezia e Alessandria d’Egitto (1444-1449), éd. Fr. Rossi, Venise, 1983, p. 46-47, no 23, 14 octobre 1448).
29 Cf. Cl. Cahen, « À propos des Shuhūd », Studia Islamica, 31 (1970), p. 71-79, repris dans Id., Les peuples musulmans dans l’histoire médiévale, Damas, 1977, p. 162. Sur les règles de la preuve en Islam, voir R. Brunschvig, « Le système de la preuve en droit musulman », La preuve, Bruxelles, 1963 (Recueils de la société Jean Bodin, 18), t. 3, Civilisations archaïques, asiatiques et islamiques, p. 170-186, ici p. 171 et 180-181 ; Id., « Bayyana », Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., Leyde, 1960, t. I, p. 1185-1186 ; s.v. ; Tyan, Le notariat..., op. cit. n. 18, p. 14, 51 ; Cano Avila, « El notario... », loc. cit. n. 18, p. 89-91.
30 Art. 7 : I marchadi veramente e barati che fara i Venetiani cum marchadanti Mori de che raxon che se sia, volemo e comandemo chel se debia scriver i diti marchadi cum do testimonii (Wansbrough, « Venice... », loc. cit. n. 25, p. 493).
31 Voir également Servodio..., op. cit. n. 28, p. 38-40, no 19, 5 octobre 1448 : un marchand musulman, en son nom et au nom du sultan mamelouk, désigne un marchand catalan comme procurateur, en présence notamment de deux témoins musulmans. Notai..., op. cit. n. 16, no 124, 14 juin 1289 : l'acte est instrumenté dans la douane de Tunis avec pour témoins les alfachini de la douane et Asem, dit Pistoa.
32 Par exemple à Tunis, en 1472, Hameth Bengoth, musulman de cette ville, passe un contrat en présence notamment de magistro domino Cayto Mahametho : ASV, Canc. Inf., busta 27, notaire Francesco de Belleto, 2'livre (1465-1492), fol. I6v, 9 juin 1472.
33 Il Cartolare di Giovanni Scriba, éd. M. Chiaudano, M. Moresco, Turin, 1935, t. 2, p. 80, no 970, rééd. R. Urbani, G. N. Zazzu, The Jews in Genoa, t. 1, 507-1681, Leyde-Boston-Cologne, 1999, p. 7, no 9. On retrouve une pratique similaire à l’époque moderne à Tunis : « Suivant une pratique ancienne, un serment de chacun des signataires sur sa propre religion pouvait servir à sanctionner les actes juridiques. Les beys de Tunis reconnaissaient les serments chrétien et juif comme preuve judiciaire » (Chr. Windler, « Diplomatie et interculturalité : les consuls français à Tunis, 1700-1840 », La Méditerranée : politique, négoce et culture, dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 50 [2003], no 4, p. 85). Cf. St. A. Epstein, Purity Lost. Transgressing Boundaries in the Eastern Mediterranean, 1000-1400, Baltimore, 2006, p. 76 (sur la valeur des serments de juifs dans les contrats à Chio), p. 111-117 (sur les serments dans les traités de paix entre chrétiens et musulmans).
34 F. Cerone, « Alfonso il Magnanimo ed Abu Omar Othmân, Trattative e negoziati tra il Regno di Sicilia di qua e di là dal Faro ed il Regno di Tunisi (1432-1457) », Archivio storico per la Sicilia Orientale, 9 (1912), p. 60 et 10 (1913), p. 22-23, doc. 6, 22 octobre 1439.
35 En contexte mudejar, les contrats passés devant témoins musulmans et en arabe étaient acceptés comme valables par le bayle général de Valence dans les procès, cf. Μ. V. Febrer Romaguera, « Los tribunales de los alcadies moros en las aljamas mudéjares valencianas », Anuario de Estudios Medievales, 22 (1992), p. 62.
36 Mūğib, que Reinhart Dozy (Supplément aux dictionnaires arabes, Leyde, 1881, t. 2, p. 790) traduit par « pièce qu’on produit à l’appui de sa demande », en s’appuyant sur ce passage d’IBN Khaldün, Kitāb al-‘Ibar, 6 : chapitre sur la croisade de Louis IX (éd. Beyrouth, 2000, p. 426 ; trad. fr. W. Mac Guckin de Slane, Histoire des Berbères, Alger, 1852-1856, nouv. éd. P. Casanova, Paris, 1956, t. 2, p. 361).
37 La trattatistica notarile medievale non sfiora neppure il tema dell’uso documentario di lingue diverse dal latino e tanto meno, quindi, quelle delle redazioni seconde sistemi estranei (Airaldi, « I Genovesi... », loc. cit. n. 7, p. 1 17). On pourrait en dire autant du côté musulman.
38 Sur le caractère dérogatoire à la Loi des clauses des traités avec les puissances chrétiennes, cf. la fatwa citée supra n. 6.
39 Art. 1 : Commandemo che sia otegnudo el marchado chomo serà scritto per li noderi soprascripti, e sia otegnudi e sforzadi i Saraini de consigner le sepctie al marchadante senza alguna exception, siando scripto el marchado juridicamente ; art. 2 : Perche nui comandemo che da puo chel serà concluxo el marchado in mezo le do generation, zoè Saraini e Venetiani, e maormente siandole testimonianza de noder publico, e sia devedado che non se possa retornar le marchadantie indriedo ; art. 3 : Quando è facto testification de noder segondo raxon e zustitia (Wansbrough, « Venice... », loc. cit. n. 25, p. 487-488).
40 Éd. E. de K. Aguiló, « Pau feta entre els reys de Aragó y de Sicilia de una part y el rey de Tunis de l’altre (1403) », Boletίn de la sociedadarqueológica luliana, 9 (1902), p. 353, art. 30.
41 Johns, « Arabic contracts... », loc. cit. n. 18, p. 62.
42 Ἁqdmašhūdṯābit ‘inda quḍāt al-muslimīn tubütan sahihan fīšarī’ati-nā (R. Brunschvig, « Une lettre du calife hafside ‘Utmàn au duc de Milan (1476) », Cahiers de Tunisie, 105-106 [1978], p. 30-31).
43 Qui habent instrumenta de testibus Saracenorum, seu scripturam in cartulariis duganae testimoniatis super duganam seu super aliquem extra duganam (éd. L. de Mas Latrie, Traités de paix et de commerce et documents divers concernant les relations des chrétiens avec les Arabes de TAfrique septentrionale au Moyen Age, Paris, 1866, p. 126).
44 Fecit ante discessum rationem et quietationem cum omnibus creditoribus suis [...] fecit dicto Johannino quoddam scriptum continens quod ipse Johannis plene rationem de omnibus fecerat et satisfacerat quod debeat et quod nulle tempore molestari posset (ibid., p. 210). Son arrestation suggère que des sujets du sultan étaient concernés par ces créances.
45 On a longuement discuté sur la possible influence du contrat musulman de qirāḍ sur la commenda du monde latin. Sans prendre position dans ce débat, ce qu’il faut constater ici est la très grande ressemblance entre les deux types de contrats d’association. Voir principalement A. L. Udovitch, « At the Origins of the Western Commenda : Islam, Israel, Byzantium ? », Speculum, 37 (1962), p. 198-207, et les critiques de J. H. Pryor, « The Origin of the Commenda Contract », Speculum, 52 (1977), p. 5-37. Même s’il convient de rester prudent sur ces questions de filiation, il est indéniable que la nature et les formes des contrats étaient, sinon totalement assimilables, du moins très proches.
46 On constate le même phénomène à l’époque moderne, mieux documentée, comme le note Christian Windler (« Diplomatie... », loc. cit. n. 33, p. 85) pour Tunis au xviiie siècle : « Que la conduite d’un interlocuteur fût conforme à ce qu’on identifiait comme les normes de son propre groupe contribuait à lui donner du crédit, tandis que l’infraction de ces normes jetait le discrédit sur lui, même si les faits imputés étaient, en eux-mêmes, acceptables pour d’autres interlocuteurs. Ainsi, dans les contestations sur les affaires commerciales ou sur les prises maritimes, la réputation de fidélité de l’interlocuteur à son propre ordre normatif permettait de reconnaître ses procédés judiciaires comme base d’une décision fondée en justice. »
47 ASV, Canc. Inf, busta 27, notaire Francesco de Belleto, 2'livre (1465-1492), fol. 16v, 9 juin 1472.
48 J. Miret y Sans, « Un missatge de Yarmorasen rey de Tremecen a Jaume Ier », Boletίn de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, 8 (1915), p. 50.
49 Cf. Notai..., op. cit. n. 16, no 1, 20 décembre 1288 : le drogman de la douane Asem, musulman, traduit le document. Ces drogmans jouent un rôle essentiel dans les ports musulmans. Mais on trouve aussi des traducteurs de l’arabe dans les ports chrétiens, comme à Gênes en 1271, où est présent un scriba littere sarracenice Communis Ianue. Cf. G. Jehel, « Jews and Muslims in Medieval Genoa : from the Twelfth to the Fourteenth Century », Mediterranean Historical Review, 10 (1995), p. 123.
50 ASV, Canc, inf., busta 211, notaire Nicolo Turiano, cahier V, fol. 36v, 8 février 1435. Cela suggère que cette traduction n’avait pas été faite au moment de la rédaction du contrat par le notaire musulman.
51 Aguiló, « Pau... », loc. cit. n. 40, p. 354, art. 43. Voir également le traité entre Gênes et les Hafsides de 1343 (art. 30) ; éd. G. Petti Balbi, « Il trattato del 1343 tra Genova e Tunisi », Saggi e documenti, Gênes, 1978, t. 1, p. 320, repris dans EAD., Una città e il suo mare. Genova nel Medioevo, Bologne, 1991, p. 220.
52 ASV, Maggior Consiglio, Reg. 3, 9 mai 1282, cité par A. Sacerdoti, « Venezia e il regno hafsida di Tunisi : trattati e relazioni diplomatiche (1231-1534) », Studi veneziani, 8 (1966), p. 308. Il s’agit, il est vrai, d’une dette du sultan. Cf. également Ch.-E. Dufourcq, « Documents inédits sur la politique ifrikiyenne de la Couronne d’Aragon », Analecta sacra Tarraconensia, 25 (1952), p. 258 : une dette du sultan est réclamée pro ut asserit in quaternis magazeni vestri scriptum et noticium fuisse (Archivo de la Corona de Aragon, Cancilleria, Reg. 90, entre les fol. 27v et 27bis, septembre 1291).
53 Comme c’est le cas en Europe à partir du xive siècle, où ces livres de comptes peuvent être présentés en justice, cf. Y. Renouard, Les villes d’Italie de la fin du xe siècle au début du xive siècle, Paris, 1969, p. 212.
54 ASV, Canc, inf., busta 211, notaire Nicolo Turiano, cahier V, fol. 63, 21 septembre 1435. L’acte est instrumenté au domicile du marchand musulman, ce qui pourrait confirmer que ce sont bien ses livres de comptes personnels que le notaire vénitien est allé consulter et traduire.
55 Ab carta o ab albara o ab testimonis, traité entre la Couronne d’Aragon et Bougie de 1314, dans La Corona de Aragon y los estados del Norte de Africa, éd. A. Masia de Ros, Barcelone, 1951, p. 41 1 - 414, no 128 (art. 10). On retrouve la même disposition dans le traité de 1403 entre Tunis et la Couronne d’Aragon (art. 31) : per mans de torcymanys o corredors ab testimonis (Aguiló, « Pau... », loc. cit. n. 40, p. 353).
56 Cf. Brunschvig, « Le système... », loc. cit. n. 29, p. 183-184 ; Cahen, « À propos des Shuhūd... », loc. cit. n. 29, p. 162.
57 Airaldi, « I Genovesi... », loc. cit. n. 7, p. 118.
58 Les actes instrumentés dans les ports musulmans qui nous sont parvenus sont souvent conservés dans des minutiers composites, qui conservent aussi des contrats rédigés en métropole.
59 Ibn Khaldūn, Muqaddima (éd. Beyrouth, 2001, p. 280 ; trad. fr. V. Monteil, Discours sur l’histoire universelle, Paris, 1967-1968, p. 446). Le terme de siğillāt, qui est employé par Ibn Khaldūn, s’il désigne bien un écrit, ne renvoie cependant pas nécessairement à la tenue de registres au sens propre. Voir Émile Tyan (Le notariat, op. cit. n. 18, p. 78) qui écrit que le document a plus de valeur s’il est conservé non par les tiers, mais par le témoin lui-même, c’est-à-dire le notaire, mais il ne parle pas de copie dans des minutiers ni de conservation de ces documents. Selon Pedro Cano Avila (« El notario musulman », loc. cit. n. 18, p. 95), il ne semble pas que ces documents aient été conservés dans des registres, à la différence des sentences judiciaires.
60 Genova, Archivio di Stato, notai antichi, filza 871, notaio Emanuele Granello, no 274, 296, documents de 1479, cités par L. Balletto, « Famiglie genovesi nel Nord-Africa », Dibattito su grandi famiglie del mondo genovesefra Mediterraneo ed Atlantico. Atti del convegno Montoggio, 28 ottobre 1995, dir. G. Pistarino, Gênes, 1997, p. 59.
61 En ce sens, on peut noter que, lorsqu’il est fait référence à un contrat en arabe dans les minutiers latins, il n’est jamais fait mention de l’intervention d’un notaire musulman qui aurait apporté ce document. Il semble bien que l’écrit était conservé par les parties contractantes.
62 Voir les réflexions de L. Valensi, « La tour de Babel. Groupes et relations ethniques au MoyenOrient et en Afrique du Nord », Annales HSS, 41 (1986), p. 828-829.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Orient et Méditerranée (CNRS, UMR 8167)
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