Entre tribus et État, entre Maghreb et Mashrek : le califat-imâmat almohade (xie-xiiie siècle)
p. 467-486
Note de l’auteur
Cet article s’insère dans le cadre du projet intitulé IGAMWI (Imperial Government and Authority in Medieval Western Islam) et financé par le 7e PCRD de l’European Research Council : FP7-ERC-StG-2010-263361. Participent à ce projet, dirigé par Pascal Buresi (CIHAM [CNRS, UMR 5648]/EHESS, IISMM), Mehdi Ghouirgate (université Bordeaux III), Hassan Chahdi (Orient et Méditerranée [CNRS, UMR 8167]), Travis Bruce (université McGill, Montréal), Amandine Adwan-Lefol (université Paris-Sorbonne).
Texte intégral
1Le texte que je présente ici s’inscrit délibérément dans une perspective comparatiste. C’est explicitement pour cette raison que ma participation avait été sollicitée dans le cadre de la réflexion menée par Jean-Philippe Genet sur les mutations politiques dans l’Occident latin au Moyen Âge et sur la question de la forme particulière de domination et de contrôle de la société et du territoire que représente l’« État » tel qu’il s’est développé dans les sociétés latines occidentales, depuis le Moyen Âge jusqu’à l’époque moderne. Sans trop s’avancer, on peut déjà affirmer que les sociétés maghrébines ont emprunté une voie différente de celle des sociétés latines malgré un substrat antique commun. Après avoir brossé rapidement les traits principaux de l’Empire almohade – probablement une des constructions politiques les plus abouties en Islam au Moyen Âge –, cet article reprendra les différents points développés par Jean-Philippe Genet dans son texte de présentation, à partir de l’exemple almohade et plus particulièrement des documents de chancellerie.
2Au début du xiie siècle, un mouvement de révolte, né dans les montagnes de l’Atlas, met fin à l’émirat almoravide et soumet progressivement les différentes principautés du Maghreb et d’al-Andalus. Ce mouvement peut être étudié à plusieurs échelles, qui correspondent sans doute à autant de phases chronologiques :
à un niveau local, il s’apparente à une contestation régionale et/ou tribale de la domination que les Sanhâja, des nomades sahariens de la constellation zénète, exercent sur la partie occidentale du Maghreb et sur al-Andalus depuis la fin du xie siècle ;
au niveau régional, il constitue une énième tentative de dépassement des clivages tribaux au nom d’une réforme de l’islam et il s’inscrit ainsi dans la continuité de nombreuses autres – Sufrites de Tlemcen s’appuyant sur les Ifren et les Maghrāwa (767-931), Midrarides de Sijilmāssa (772-977) et Ibadites rustémides de Tiaret (758-909) sur les Zénètes, Idrissides alides de Fès (789-985) sur les Baranis awraba, Fatimides de Kairouan et de Mahdiya (909-969) sur les Kutāma… Bien souvent les mouvements de réforme au Maghreb voient la collaboration d’un maître spirituel et d’un chef militaire et politique, qui parvient à fédérer autour d’une tribu un ensemble de tribus jusque-là opposées. C’est le cas des Almohades autour des Maṣmūda ;
au niveau de l’Islam, il est un mouvement d’émancipation progressif du Maghreb berbère par rapport aux auctoritates orientales arabes.
3Ce mouvement naît autour de la prédication d’un personnage charismatique, Ibn Tūmart (m. 1130), paré, sans doute après sa mort, de nombreuses qualités sur lesquelles nous reviendrons. Après un hypothétique voyage en Orient, dont nous ne savons rien que ce que nous en disent les sources partisanes, postérieures et souvent hagiographiques, Ibn Tūmart, lors de son retour, se serait illustré dans les villes traversées, par ses protestations véhémentes contre les pratiques non conformes à l’image qu’il se faisait de l’islam : jeux d’argent, instruments de musiques, femmes non voilées, chrétiens et juifs à cheval… S’agrégeant les populations mécontentes de la situation économique, politique et sociale, le réformateur critique les souverains almoravides et leurs liens privilégiés avec l’école malékite. Il les accuse d’anthropomorphisme pour l’interprétation littéraliste des versets coraniques qui prédominait alors dans cette école. La critique est donc à la fois politique (incapacité à repousser efficacement les princes chrétiens de la péninsule Ibérique), fiscale (contestation des taxes non coraniques) et théologique. Deux de ces critiques reçurent un écho positif dans la population, parce que les Almoravides avaient fondé leur conquête du pouvoir sur ces deux piliers : le ǧihād et le respect de la fiscalité coranique. Quelques défaites militaires almoravides en al-Andalus (par exemple Cutanda en 1120) avaient conduit les Almoravides non seulement à accroître la pression fiscale, mais aussi à recruter des mercenaires chrétiens pour assurer l’ordre au Maghreb extrême. Ainsi l’échec du ǧihād et les prélèvements fiscaux supplémentaires, sans compter l’utilisation des mercenaires non musulmans, discréditaient profondément les Almoravides et ouvraient la voie à la contestation généralisée de leur domination.
4À partir des années 1120, en deux décennies de conflit, le mouvement almohade se structure depuis la base de Tinmāl dans l’Atlas. Au centre de la révolte, les Masmūdas, des montagnards sédentaires. Jusqu’à sa mort, Ibn Tūmart dirige le combat contre les Almoravides qui tentent de contenir les rebelles dans leur montagne en bâtissant une série de forteresses sur les contreforts du Moyen Atlas1. Après la mort d’Ibn Tūmart en 1130, ‘Abd al-Mu’min s’impose comme son successeur (ḫalīfa) et construit sa légitimité en s’appuyant sur le statut d’« imām [« guide »] impeccable » et de « Mahdī2 reconnu » attribué à Ibn Tūmart, soit de son vivant disent les sources, soit plus probablement de manière posthume. Pour casser les solidarités tribales, Ibn Tūmart aurait organisé des purges internes : le tamyīz, renouvelé sous le règne de ‘Abd al-Mu’min ; chaque tribu devait désigner en son sein les partisans tièdes et les exécuter. Plusieurs milliers, peut-être plusieurs dizaines de milliers, d’exécutions auraient ainsi eu lieu au profit de la Cause (da‘wa), sans possibilité de vengeance inter-tribale.
5C’est probablement après 1147 et la conquête de la capitale almoravide, Marrakech, que les principaux caractères du nouveau pouvoir almohade sont progressivement mis en place, comme une synthèse très originale des héritages sunnites et chiites :
le nouveau souverain est tout à la fois « guide » (imām), calife (ḫalīfat), et prince des croyants (amīr al-mu’minīn). Il revendique une autorité sur l’ensemble des musulmans de l’époque et conteste toute légitimité aux souverains fatimides du Caire (969-1171) et abbassides de Bagdad (750-1258). Ce cumul des titulatures suprêmes semble sans équivalent dans l’histoire de l’Islam ;
dans une perspective eschatologique et cyclique du temps, l’arrivée du Mahdī, attendue pour le Jour dernier, marque aussi le début d’un nouveau cycle. Ses quatre premiers successeurs – ‘Abd al-Mu’min (r. 1130-1163), Yūsuf Ier (r. 1163-1184), al-Manṣūr (r. 1184-1199), al-Nāṣir (r. 1199-1214) – sont donc appelés dans les documents officiels almohades rāšidūn, soit « orthodoxes » ou « bien guidés », comme les quatre premiers califes de l’islam sunnite – Abū Bakr (632-634), ‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb (634-644), ‘Uṯmān b. ‘Affān (644-656) et ‘Alī b. Abī Ṭālib (656-661) –, ses victoires militaires sont appelées futūḥāt, comme celles de Muḥammad… On trouve cette référence aux califes « orthodoxes » dès la fin du xiie siècle, dans le titre de la chronique Le don de l’imâmat, rédigée par un fonctionnaire du maḫzin almohade (l’administration fiscale), Ibn Ṣāḥib al-Ṣalā (m. fin xiie siècle)3. Le titre complet de l’ouvrage, qui ne nous est que partiellement conservé, et dans un seul manuscrit4, constitue un programme à lui tout seul :
Livre sur le don de l’imâmat, concédé à ceux qui [auparavant] avaient été humiliés, après que Dieu les a faits imām-s et qu’Il a fait d’eux les héritiers [de leurs oppresseurs], et sur l’apparition de l’imām Mahdī à la tête des Almohades contre les « voilés » [i.e. les Almoravides], et ce qui arriva au cours du gouvernement de l’imām calife, prince des croyants, l’un des califes orthodoxes5.
6Les Almohades voient ainsi les Berbères comme les nouveaux Arabes de l’Islam, le nouveau peuple élu ; la prophétie est réactualisée au Maghreb, la prière orientée vers Tinmāl, nécropole dynastique ; un culte officiel est rendu sur la tombe du Mahdī, sur le modèle du pèlerinage à La Mecque. Plusieurs ḥadīṯ-s prophétiques retrouvés sont utilisés dans les panégyriques et les documents de chancellerie pour appuyer les revendications des « gens de l’Occident6 ».
aux doctrines chiites du pouvoir, les Almohades empruntent les notions de Mahdī et d’imām impeccable, inspiré par la lumière divine (nūr Allāh). Alors que dans l’islam sunnite, la mort de Muḥammad interrompt le cycle de la prophétie et Dieu cesse de se manifester quand disparaît le « sceau des prophètes », en revanche, dans l’islam chiite, Dieu continue d’éclairer les grands imām-s (5, 7 ou 12 selon les courants) de Sa lumière. On trouve dans le préambule des documents de chancellerie des allusions à cette inspiration divine du Mahdī et de ses successeurs :
Nous Lui demandons d’agréer l’imām impeccable, le Mahdī reconnu, héritier, par le mérite et l’exclusivité, des dignités de la prophétie et de l’impeccabilité, dégainant, pour défendre la religion de Dieu […], l’épée de l’aide et de la victoire, prêchant dans la voie de son Maître, suivant une intuition qui trouve sa source dans la niche des lumières [miškāt al-anwār], et son compagnon, son calife, son apôtre, l’imām, le prince des croyants, éclairant les vues et les consciences, menant Son pouvoir puissant au plus haut degré de l’élévation et de la manifestation7.
de nombreuses références renforcent cet héritage alide : Ibn Tūmart et ‘Abd al-Mu’min reçoivent des généalogies remontant à ‘Alī b. Abī Ṭālib, gendre et cousin de Muḥammad (m. 632), époux de la fille de celui-ci, Fāṭima, père de ses uniques descendants mâles, et premier imām légitime pour les chiites. Les fondateurs de l’Empire almohade pouvaient donc se revendiquer du sang du prophète, critère indispensable pour exercer la fonction suprême dans l’islam chiite. En outre l’animal emblématique de ‘Abd al-Mu’min (1130-1162), puis de sa dynastie, est le lion (asad), rappel du surnom de ‘Alī b. Abī Ṭālib (m. 661), asad Allāh, « le lion de Dieu » ;
des sunnites, les Almohades retiennent la valorisation du troisième calife « orthodoxe », ‘Uṯmān (m. 656), dont ils inventent en 1157 une relique coranique à laquelle ils rendent un culte officiel ; ils choisissent le blanc pour couleur de leurs étendards comme les Omeyyades de Cordoue, et décident même un temps, en 1161, de restaurer cette ville comme capitale d’al-Andalus, en souvenir du califat du xe siècle, aux dépens de Séville qui l’avait détrônée au début du xiie siècle ;
le Maghreb tout entier devient le nouveau berceau de la Révélation. C’est en Occident que se lève dorénavant la lumière comme le répètent les documents de chancellerie. Dès 1157, on voit apparaître cette idée dans la lettre-circulaire que le kātib Abū ‘Uqayl b. ‘Aṭiyya rédigea, le 8 šawwāl 552/13 novembre 1157, au nom du calife ‘Abd al-Mu’min pour rendre compte de la tournée du souverain parmi le territoire des tribus de la région de Marrakech, tournée s’achevant par une visite pieuse sur la tombe du Mahdī à Tinmāl :
Une fois cela achevé et terminé, et les espoirs de chacun réalisés pour la plus grande satisfaction de tous, les esprits se sont préparés – Que Dieu vous donne la force – à rendre visite à l’imām le Mahdī – Que Dieu l’agrée – là où a jailli sa lumière, là où il est apparu, quand le soleil de la religion [šams al-dīn] s’est levé, que les lumières de la certitude ont resplendi, et brillé les signes [āyāt] de la Vérité [ḥaqq] certaine8.
7Avant de présenter la conception de la société et le nouveau partage du pouvoir entre les élites politiques, militaires et religieuses, tels que les concevaient les Almohades, on doit insister sur le fait que l’avènement almohade, qui a pu être qualifié de « révolution », s’inscrit dans la conception cyclique du temps qui prévalait dans les théories du pouvoir en Islam9, et dans le respect des traditions les plus classiques.
8Les Almohades développent une conception holistique de la société. Chaque individu y occupe une place et un rôle qui lui ont été attribués par Dieu, au service de l’ordre almohade – al-amr al-‘aliyy, « l’ordre élevé » –, réalisation terrestre du dessein divin (amr Allāh)10. Des catégories fortement hiérarchisées sont créées, incluant toutes les tribus, tous les serviteurs du pouvoir, tous les corps de métier, et servant à l’organisation des cérémonies officielles et des défilés, destinés à exprimer le nouvel ordre du monde11. Le nom « Almohades » (al-muwaḥḥidūn) est le participe actif de la 2e forme de la racine W-Ḥ-D « être seul et unique », et le nom d’action correspondant, tawḥīd, « rendre unique, regarder comme seul et unique », est le nom du dogme almohade12. Les vrais musulmans sont donc ceux qui adhèrent certes au « monothéisme », le sens en définitive du mot tawḥīd, mais au monothéisme almohade (ce qui est pléonastique). C’est en substance ce que sous-entend la légende en arabe rimé des dirhām-s almohades (monnaie d’argent), avec un usage ambigu du possessif pour qualifier le prophète Muḥammad : « Dieu est notre maître, Muḥammad est notre [sic !] envoyé, le Mahdī est notre guide13 », alors que la profession de foi originale en islam est : « j’atteste qu’il n’y a de dieu que Dieu et j’atteste que Muḥammad est l’envoyé de Dieu ». Les minorités non musulmanes n’ayant plus lieu d’exister au moment de la parousie14, la ḏimma, le statut des gens du Livre, est supprimée, la conversion ou le départ étant exigés ; la conversion équivalant à soumission à l’autorité almohade, elle concerne donc non seulement les juifs et les chrétiens, mais aussi les musulmans eux-mêmes.
9Conçue comme un tout organique, la société almohade est tournée vers la réalisation du projet divin (amr Allāh). Cela impliquait une réorganisation profonde des modalités du gouvernement des hommes. À la délégation de pouvoir qui prévalait à l’époque almoravide pour les gouvernorats provinciaux, la dynastie almohade substitue une centralisation qui place la tente califale, l’Afrag, au cœur de l’autorité. C’est vers ce palais mobile, où résidait « [Sa] Présence imāmienne » (al-ḥaḍrat al-imāmiyyat), que convergeaient les ambassades, les dépêches régionales, et c’est de lui que rayonnait l’« ordre élevé » (al-amr al-‘aliyy), là qu’étaient rédigés les bulletins de victoire, prises les décisions importantes, dictées les nominations et ordonnées les destitutions des serviteurs de l’Empire.
10Les équilibres de pouvoir qui existaient à l’époque almoravide entre le détenteur de l’autorité et l’institution des savants, les oulémas, qui relevaient en majorité au Maghreb et en al-Andalus de l’école juridique malékite, sont remodelés en fonction des nouvelles conceptions dogmatiques. Gardiens de la Révélation dans le sunnisme traditionnel, interprètes du Verbe divin, les oulémas malékites exerçaient un pouvoir symbolique important, comme instance de légitimation ou de contestation des princes. Or le lien privilégié entretenu par le souverain almohade avec Dieu le place en unique interprète autorisé de la Révélation aux dépens des oulémas qui, depuis le ixe siècle, s’étaient imposés collectivement dans ce rôle en islam sunnite. À l’époque almoravide (1070-1147), les spécialistes du droit furent étroitement associés au pouvoir, en recevant des émoluments pour les avis jurisprudentiels qu’ils rendaient avant toute décision importante. Ils monopolisaient les charges de muftis, de juges, d’assesseurs, de témoins instrumentaires, de notaires… et trouvaient les ressorts de leur propre légitimation dans la lecture et l’interprétation des textes de référence, interprétation dont la technicité excluait toute personne ne faisant pas partie de leur groupe ou n’y ayant pas été admise.
11Par la conception qu’il développe de la nature du pouvoir (amr), comme réalisation du grand Dessein (amr Allāh), l’almohadisme ne pouvait tolérer d’autre instance de légitimation que lui-même. La doctrine juridique malékite qui plaçait la casuistique des oulémas au cœur de la pratique jurisprudentielle est donc interdite. Les grandes compilations de fatwá-s, outil principal des jurisconsultes malékites, sont donc brûlées, et eux-mêmes, accusés de taqlīd (« imitation [servile] ») parce que, pour rendre leurs avis, ils ne se référaient plus tant au Coran et à la Tradition qu’aux décisions de leurs prédécesseurs, doivent cesser d’en émettre. Réduits à l’inactivité, privés des revenus que leur procurait l’iftā’ (« le fait de rendre une fatwá »), les oulémas ne purent réagir parce qu’ils étaient trop proches du pouvoir précédent, celui des Almoravides, dont l’impopularité rejaillissait sur eux.
12Dépendant pour leur subsistance de la faveur du prince et de sa décision de les nommer à telle ou telle fonction (juges, assesseurs, chargés du bureau des plaintes, des partages successoraux, scribes…), les oulémas sont alors fonctionnarisés et leurs prérogatives réduites : même pour les crimes dont les châtiments étaient définis explicitement par le Coran et la Tradition15, le souverain exigea que les cas lui fussent présentés et il interdit toute exécution qu’il n’eût lui-même validée. Les exécutions capitales deviennent alors privilège régalien. La justice déléguée se limite ainsi au règlement des litiges et les tribunaux provinciaux deviennent des instances d’arbitrage pour les différends entre sujets.
13C’est aussi dans la chancellerie et les bureaux de l’administration que les spécialistes du droit se reconvertissent massivement, y remplaçant les lettrés qui y étaient traditionnellement recrutés pour leurs compétences poétiques et littéraires. Ce faisant, ils en infléchissent profondément le style et les références. Même si les documents de chancellerie sont souvent accompagnés de vers, dorénavant les échos et les références sont moins les poètes omeyyades et abbassides des viiie-xe siècles16, comme c’était le cas auparavant, que le texte coranique. La nouvelle rhétorique almohade brode autour de fragments coraniques recomposés dans une prose rimée dont le hiératisme est renforcé par l’insertion de vers. Les Almohades se démarquent ainsi de leurs prédécesseurs almoravides : en effet, les lettres conservées de l’époque almoravide sont beaucoup plus « fleuries », et les raffinements du style les rendent souvent hermétiques ; au sein de ce corpus de lettres almoravides, les lettres de réprimandes ou de conseils à la population sont particulières parce qu’entre les fleurs de rhétorique s’intercale un chapelet de citations coraniques, constituant l’armature de la lettre. Chacune de ces citations est introduite par la mention « Dieu Très-Haut a dit : “…” et Il a dit : “…”, etc. ». Or, à l’inverse, les Almohades citent très rarement le Coran de manière explicite. En revanche ils généralisent l’iqtibās – l’utilisation de versets recomposés en échos coraniques –, donnant ainsi à la langue officielle du pouvoir la musique du Verbe divin.
14De manière générale, les juristes se sont prononcés sur la licité de cet usage du texte coranique, dont pourtant le statut « inimitable » est devenu un élément du dogme en Islam au xe siècle. Or si al-Suyūṭī (1445-1505), un théologien d’époque mamelouke né au Caire, qui a rédigé plusieurs textes sur l’iqtibās, affirme d’un côté qu’il n’y a guère de divergences sur cette question, pourvu qu’un certain nombre de règles soient respectées17, d’un autre côté, dans un vers, il affirme aussi que Mālik b. Anas (m. 796), le fondateur présumé de l’école juridique malékite, l’aurait interdite catégoriquement18. Il semble donc que si cette pratique était tolérée par les oulémas de manière générale, l’école malékite y ait été réticente. Ainsi l’évolution qui affecte la chancellerie à l’époque almohade (changement des disciplines nécessaires ou valorisées pour devenir scribe, intégration des docteurs de la Loi formés dans une école de jurisprudence, désormais interdite, elle ainsi que les pratiques jurisprudentielles qui lui étaient propres) n’est pas qu’une manière pour les souverains de se rallier les savants en leur donnant des fonctions prestigieuses dans les cours provinciales ou au palais du souverain ; il semblerait que, par la pratique de l’iqtibās, ce soit en fait aussi l’expression d’une forme de domination symbolique exercée par le souverain et les théologiens et philosophes, promoteurs du dogme almohade, sur les jurisconsultes, amenés à renier les interdits du fondateur de leur école d’origine au service de leurs nouveaux maîtres.
15Ce renversement du rapport d’autorité entre l’institution des spécialistes du droit et le pouvoir politique au profit du second s’est accompagné de nombreuses et importantes réformes : monétaires, administratives, politiques, architecturales et artistiques. Outre les prérogatives traditionnelles de l’imām-calife – frappe de l’or (sikka), mention du nom du souverain dans le sermon du vendredi (ḫuṭba), port réservé au souverain d’habits, de certaines couleurs et de certains textiles, tissés dans les ateliers palatiaux (tirāz) –, les Almohades ont frappé des dirhām-s (argent) carrés, ils ont remplacé le dessin concentrique des dīnār-s (or), traditionnel depuis la réforme de ‘Abd al-Malik (fin viie siècle), par un carré inscrit dans le cercle ; ils ont ordonné l’établissement d’un cadastre sur tout le Maghreb, au nom de la mise en adéquation de la fiscalité avec la Loi divine ; ils ont rectifié la direction des murs de qibla des Grandes mosquées de l’Empire, en les orientant plus au sud ; en outre la diffusion d’un type décoratif commun sur les minarets almohades de Marrakech à Séville, en passant par Rabat, Tlemcen ou Fès, atteste la mise en place d’un programme décoratif impérial19.
16C’est probablement dans la chancellerie que les réformes acquièrent la signification la plus grande, car c’est par les documents qu’elle produisait que s’exprimait l’autorité et que s’exerçait le pouvoir : nominations et destitutions, consignes générales, bulletins de victoire, annonces et interprétation des défaites. Plus largement, les lettres de chancellerie sont le lieu où un sens est donné à la réalité, où les mots sont attribués aux événements : une révolte y devient hérésie, une victoire militaire un signe, une décision administrative la manifestation de l’élection divine, les relations avec l’étranger y sont expliquées et intégrées dans le Plan. Lues dans les Grandes mosquées de l’Empire, copiées et apprises par cœur, ces circulaires visent à forger une communauté par une série de références déclinées sous tous les modes : prose, prose rimée, vers20.
17Il s’agit d’une révolution quant à la nature même de la langue de chancellerie, caractérisée non plus par son hermétisme et sa technicité, comme c’était le cas pour les autres dynasties musulmanes, antérieures ou contemporaines, dans une certaine mesure aussi dans les chancelleries latines à la même époque, mais par sa vocation à rendre clairs les motifs d’un pouvoir en acte, par une rhétorique de la broderie en s’appuyant sur le texte le plus répandu et le mieux connu : le Coran. Cette conception de la langue de chancellerie, comme langue d’édification et d’éducation, trouve son expression dans les consignes données aux populations de réciter les morceaux choisis des lettres impériales, dans l’ordre donné aussi de faire apprendre par cœur à tous les écrits du Mahdī Ibn Tūmart, en particulier sa « profession de foi » (‘aqīdat), contenant les principaux éléments du dogme : « J’inclus dans cette obligation les hommes et les femmes, les libres et les esclaves, ainsi que tous ceux qui espèrent briguer une charge21 ».
18Cette conception de la chancellerie comme instrument d’explicitation du politique a plusieurs corollaires. D’abord la nécessité d’être entendu et compris, d’où découle l’exigence pour les grands secrétaires de chancellerie de connaître les « deux langues » (arabe et berbère)22, ensuite la diffusion de la lecture. Les documents de chancellerie étaient le support horizontal et matériel d’un acte de pouvoir, l’ordre califal. L’articulation entre « acte » (de pouvoir) et « acte » (document) se produisait lors de la lecture à haute voix du texte dans les Grandes mosquées ou sur la place publique : c’était là l’aspect vertical et immatériel de l’autorité qui préexistait au texte. Dans ses formes variées, la récitation véhiculait l’expression d’une autorité simple en dupliquant la présence vocale originelle du souverain.
19Outre la lecture ou récitation à haute voix des actes de pouvoir, dont témoignent tant la vocalisation présente sur les manuscrits des lettres, que le nom donné au porteur de lettres, le raqqās, c’est-à-dire le « danseur », qui devait « jouer » et mettre en scène la parole du souverain, une attention est portée par la dynastie à l’écriture officielle, qui connaît elle aussi une réforme importante : le cursif est imposé aux dépens du coufique qui prédominait auparavant sur les monnaies et pour les inscriptions épigraphiques. L’écrit envahit les murs et les monnaies, supports les plus répandus dans cette société très monétarisée de messages clairement identifiés par le plus grand nombre, y compris par les sujets non alphabétisés qui pouvaient reconnaître les motifs répétitifs déclinés sur toutes les surfaces23. C’est là une utilisation décorative de l’écriture dans un univers globalement aniconique, en particulier sur les édifices officiels ou sur les tissus de cérémonie, mais cela révèle aussi une préoccupation pour la diffusion la plus large possible du programme de la dynastie24. On voit ainsi le texte des monnaies enfler pour devenir un programme complet de gouvernement, comportant la généalogie du souverain, des versets coraniques, des dédicaces25…
20Cette conception nouvelle de la chancellerie permet de comprendre aussi la création du corps des ṭalabat, terme que nous avons choisi de traduire avec Hicham El Aallaoui par « Doctes », placé au premier rang dans la hiérarchie de l’empire26. Premiers dans les défilés après le souverain et les membres de sa famille, premiers aussi dans les adresses des lettres, les ṭalabat ont été appelés « doctrinaires » ou « idéologues » par les historiens traditionnels de l’époque almohade. Chargés à la cour – ce sont les ṭalabat al-ḥaḍar, les « Doctes de la Présence » – ou dans les provinces, de veiller à la conformité des décisions prises avec le dogme almohade, les ṭalabat forment un corps de savants formés dans une école créée spécialement pour eux à Marrakech, sans doute sur le modèle proposé dans le Livre V de la République de Platon27. Sélectionnés parmi les plus doués, près de 3 000 enfants recevaient une éducation complète comprenant le métier des armes – équitation, tir à l’arc, naumachie –, la religion – à travers l’étude des textes fondamentaux du tawḥīd, c’est-à-dire le Coran, la Tradition et les traités attribués à Ibn Tūmart, ‘Aqīda (« profession de foi »), Muršida (« guides spirituels ») et A‘azz mā yuṭlab (« Le meilleur qu’on puisse désirer »)28 –, ainsi que les disciplines littéraires et scientifiques – rhétorique, poésie, arithmétique, médecine, philosophie…
21Telle est donc, brossée à grands traits, la structure politique que les Almohades mettent au point au milieu du xiie siècle. Cette présentation est celle qui ressort des sources pragmatiques, des chroniques rédigées par des courtisans ou des membres de l’administration et des sources matérielles (arts, architecture, numismatique…). Ce tableau ne rend compte ni de la manière dont les sujets percevaient le califat-imâmat dont ils dépendaient, ni de la sincérité de leur adhésion. Il est centré sur le pouvoir tel qu’il se disait lui-même à travers les différents supports de communication dont il disposait. Et dans ce domaine, l’Islam, dans son ensemble, le Maghreb et al-Andalus en particulier, étaient composés de populations connectées, disposant de moyens de communication élaborés : villes nombreuses, populations nomades mettant en contact les provinces les unes avec les autres, réseaux de commerçants élaborés formant des sous-réseaux imbriqués et dépendants (Pisans, Génois, Catalans, juifs, chiites, ibadites…), centrés sur les ports et sur les grands marchés caravaniers. Il existait ainsi un système d’information, destiné aux commerçants, aux voyageurs et aux pèlerins, organisé autour des relais d’étape et, dans les villes, autour des Grandes mosquées et des marchés, qui jouaient le rôle de lieu de rencontre et de sociabilité, ainsi que de centre de diffusion du savoir et des informations.
22Nomades et sédentaires, artisans, paysans, et commerçants, gens de lettres étaient amenés à se rencontrer dans le chapelet de villes petites, grandes et moyennes qui s’étaient développées dès le viiie siècle au sud et à l’est de la Méditerranée jusqu’en Asie centrale. C’étaient, malgré les diversités régionales, des sociétés partageant un ensemble de valeurs et de repères communs, et un savant formé au Maghreb pouvait devenir juge, courtisan ou poète, en Syrie ou au Khurâsân et inversement. La diffusion du papier à partir de la fin du viiie siècle a permis l’essor d’une littératie relativement élargie : littérature géographique de classements des provinces et des régions, ouvrages bio-bibliographiques de recensements des savants de telle ou telle ville, province ou obédience, et de leur production, enseignement, maîtres et disciples, écrits pragmatiques, actes notariés, lettres privées (conservées en Égypte sur papyrus dès le viiie siècle). Finalement, l’existence d’une langue vernaculaire, l’arabe écrit avec ses déclinaisons régionales et sa version hiératique de référence, ainsi que des arabes dialectaux utilisés à l’oral, parfois aussi à l’écrit pour les échanges épistolaires privés29, a favorisé la diffusion d’un lexique commun et de structures linguistiques d’un bout à l’autre de l’Islam. La parenté des racines, entre arabe coranique, langues du pouvoir, dialectes, laisse en même temps une impression d’unité, que démentent les nuances locales des usages lexicaux.
23En ce qui concerne l’adhésion des populations à la dynastie mu’minide (‘Abd al-Mu’min et ses descendants) et à la conception du pouvoir que les souverains almohades successifs ont développée, au moins jusqu’au début du xiiie siècle, les historiens ont souvent considéré qu’elle avait été très partielle et que l’almohadisme était resté une construction théorique relativement déconnectée de la société, comme avaient pu l’être les croyances du pouvoir fatimide chiite sur les sociétés ifrīqiyenne et égyptienne, majoritairement sunnites (909/969-1171), n’obtenant finalement jamais l’adhésion totale de la population. Pourtant le consentement de la population était mis en scène lors de cérémonies officielles au cours desquelles était prêté un serment d’allégeance (bay‘a), valant contrat, soit des élites – c’est la bay‘at ḫāssat –, soit de la population, dans les Grandes mosquées de l’Empire – c’est la bay‘at ‘āmmat. Celle-ci était renouvelée symboliquement chaque semaine, par l’assistance au sermon du vendredi, la ḫuṭbat, au cours de laquelle le nom du souverain est mentionné. Le défilé des armées, organisé avant chaque expédition imâmienne, était aussi l’occasion de réaffirmer l’autorité du souverain sur les populations, avec en particulier l’exhibition devant les troupes des deux reliques, appelées les « deux guides » (al-imāmayn) : le Coran attribué à ‘Uṯmān et le Livre d’Ibn Tūmart.
24En fait, des huit « révolutions » proposées par Jean-Philippe Genet dans son texte de présentation pour expliquer « les profondes transformations culturelles qui permettent une action en profondeur sur la société de la chrétienté latine au point de faire advenir dans les régions de l’Occident latin les plus “avancées” (notamment au plan économique) des formes d’organisation politique entièrement nouvelles », il n’y a finalement que la dernière que l’Islam ne connaît pas30.
25La révolution éducative a bien lieu en Islam, avec l’apparition des madrasa-s dès la fin du xie siècle au Proche-Orient, et leur diffusion au xiie siècle. Emblématiques de la « revivification du sunnisme » promue par les élites militaires turques, premièrement contre le chiisme des Fatimides du Caire, secondement contre les Croisés des États latins, ces madrasa-s, qui constituaient des structures d’enseignement, petites mais nombreuses, forment des fonctionnaires fidèles, dans le cadre d’un renouveau urbain et d’un évergétisme princier qui affectent tout le Proche-Orient. En revanche les disciplines enseignées se resserrent autour du droit et des lettres, la théologie spéculative (kalām) et la philosophie n’ayant guère les faveurs des nouveaux maîtres du temps. Dans l’Occident musulman, l’évolution est plus tardive pour des raisons qu’il n’y a pas lieu d’expliquer ici. Les madrasa-s n’apparaissent qu’au xiiie siècle et ne s’y développent pas autant qu’en Orient. Là encore, les Almohades se distinguent avec l’école fondée à Marrakech, puisque toutes les disciplines y étaient enseignées, y compris, dans un premier temps, la philosophie et la théologie spéculative, aux côtés des entraînements militaires, équestres et navals. Par ailleurs, parce qu’elle est bien établie depuis plusieurs siècles, la tradition de l’enseignement de maître à disciple, au sein des familles ou dans les mosquées, se maintient pour de longs siècles en Islam, avec le voyage pour la quête du savoir et des livres31.
26C’est donc d’une société des livres, des lettres, des savoirs qu’il s’agit en Islam et d’une littératie relativement étendue32. La révolution intellectuelle qu’évoque Jean-Philippe Genet n’a guère lieu d’être en Islam où l’héritage antique est digéré à partir de la fin du viiie siècle à Bagdad, puis de manière continue jusqu’au xiiie siècle. Aristote et les philosophes (Platon, Plotin) accompagnent la réflexion des théologiens, certains les intégrant et les acceptant (al-Kindī, m. 873, al-Farābī, m. 950, Ibn Sīna, « Avicenne », m. 1037, et l’Almohade Ibn Rušhd, « Averroès », m. 1199, le mystique Ibn ‘Arabī, surnommé Ibn Aflatūn, « le fils de Platon », m. 1240), d’autres les réfutant (le mystique al-Ġazālī, m. 1111, ou le hanbalite Ibn Taymiyya, m. 1328). À chacun de ces auteurs, on attribue plusieurs ouvrages, voire plusieurs dizaines, quand ce ne sont pas des centaines33, dont de nombreux ont été conservés. Mais les théologiens et les philosophes n’ont pas été les seuls à écrire, et à écrire beaucoup. Les ouvrages de géographie, bien étudiés par André Miquel, apparaissent très tôt et dessinent les contours de l’Islam34. Ils recensent les productions, les villes, les traits spécifiques des différentes régions, dans une double perspective complémentaire, ludique et utilitaire, contribuant avec les poètes, et tous les lettrés à l’émergence d’une « société des lettres », tournée vers le savoir et sa transmission, vers l’herméneutique du Texte, et vers la thésaurisation des connaissances de l’humanité dans le cadre de la Révélation. On ne doit pas oublier non plus les dictionnaires bio-bibliographiques (tabaqāt) recensant les savants ayant vécu à telle époque, dans telle région, ou relevant de tel courant théologique ou juridique. Des dizaines, voire des centaines de milliers de noms de savants ont ainsi été conservés, avec la liste de leurs maîtres, de leurs disciples, des ouvrages transmis ou écrits, des fonctions occupées, des villes de naissance et de mort, ainsi que des provinces visitées35.
27L’articulation entre Loi divine (šarī‘a = « voie ») et droit islamique est l’objet d’une négociation sans cesse renouvelée entre un Corpus de texte clos, une corporation de docteurs de la Loi (fuqahā’ et ‘ulamā’) et des souverains contraints de s’adapter aux circonstances. L’épisode mu‘tazilite (ixe siècle), au cours duquel les califes de Bagdad imposent aux savants le dogme du « Coran créé » sous l’influence des théologiens-philosophes, est renouvelé par l’expérience almohade d’exclusion des jurisconsultes du processus interprétatif dont ceux-ci s’étaient faits les spécialistes incontournables. Pourtant, d’un bout à l’autre, les différentes variantes du droit musulman se sont construites sur l’héritage antique : point d’ordalie, ni de combat judiciaire. C’est l’enquête, la recherche de témoins, la quête de la solution la meilleure (iḥsān ou iṣlāḥ) pour la Communauté qui prévalent. Dieu n’intervient pas dans le processus judiciaire, dont la ligne aurait été indiquée par le Prophète et ses compagnons, et c’est l’exigence d’équité qui prévaut. Dans l’école malékite maghrébine, s’est imposée une casuistique dont les compilations de fatwá-s révèlent qu’elle était destinée à assurer la supériorité symbolique du système juridique islamique, plutôt que la domination des musulmans sur les non-musulmans, des possédants sur les démunis, des puissants sur les faibles. C’est d’ailleurs là un des topoi présents dans les actes de nomination des juges à l’époque almohade, alors même que l’école juridique malékite a été interdite, comme en témoigne l’exemple assez caractéristique de cet acte de nomination de juge de l’époque almohade36 :
Voilà ce que nous écrivons – Que, pour vous, Dieu ait écrit un regard dont la faveur vous concerne et vous rassemble tous et un soin qui vous promette et vous destine le bonheur.
Sachez que votre contrée – Que Dieu en fasse une plaine – jouit dans notre esprit d’une attention exclusive et toujours renouvelée. Car vous occupez auprès de nous, par l’ancienneté de votre amitié, une place que protège la sollicitude généreuse de ses bergers [al-ra‘yi]. C’est pour cela que nous vous distinguons continuellement en surveillant votre situation, que nous nous enquérons sans cesse de l’état de vos affaires, petites ou grandes, et que nous nous proposons d’agir pour tout ce qui vous concerne de façon à répondre avec magnificence à ce qu’attendent vos espoirs les plus ambitieux.
En fonction de quoi, nous choisissons, pour vos jugements, quelqu’un qui remplira pleinement nos objectifs pour vous, et qui fera avancer notre belle doctrine dans toutes vos contrées. Nous demandons l’aide de Dieu Très-Haut pour répandre [Sa] grâce et la sécurité et pour mettre en place l’ordre de la justice et du bien-faire [iḥsān]37.
Nous avons jugé bon, après avoir demandé l’aide de Dieu Très-Haut, de nommer Fulān38 pour juger vos affaires qui relèvent de la Loi et se charger de l’aspect religieux de vos problèmes ; il jouit d’un rang célèbre et d’une place de choix dans la religion, chacun s’accordant sur sa pureté et sur sa dévotion.
Auparavant nous lui avons conseillé de craindre Dieu Très-Haut, c’est là le fondement de tout bien, le pilier sur lequel s’appuie le croyant quand il noue ou dénoue. Nous lui avons ordonné d’asseoir ses jugements sur le Livre de Dieu et la Tradition de Son envoyé, d’en faire le support de ses paroles et de ses actes, et de bien choisir les témoins instrumentaires et les juges secondaires [musaddidīn]39 ; ils sont en effet la pierre angulaire sur laquelle il fonde et authentifie ses jugements. Nous lui avons prescrit d’accorder à chacun sa place40, tant que cela ne s’oppose pas au jugement de la Loi ; en effet il doit prendre en considération celle-ci, ne voir et n’entendre qu’elle ; et personne n’a d’avantage sur personne au regard des impératifs du droit, il n’y a aucune acception de rang dans l’énoncé ou l’exécution d’une sentence41.
Une fois notre lettre lue devant vous, soumettez-lui vos décisions [aḥkām], [unissez-vous] derrière lui pour qu’il tranche entre vous en cas de différends. Mettez-vous d’accord plutôt que de vous opposer, vous trouverez la bénédiction qu’apportent l’entente et l’union.
Sachez que nous l’avons choisi parmi ceux d’entre vous qui ont la valeur, la formation et la pratique religieuse les plus parfaites. C’est par bienveillance à votre égard que nous l’avons désigné pour qu’il se charge de ce dépôt pour vous et occupe ce rang. Apportez-lui votre soutien, votre aide et votre assistance, si Dieu Très-Haut le veut. Et Lui – Qu’Il soit glorifié – Il vous maintiendra toujours sous l’aile du salut et Sa sollicitude ne vous privera jamais des faveurs abondantes et des protections [‘iṣam] efficaces.
28Pour conclure, il semble bien que ce soit moins les « révolutions » connues par l’Occident latin en elles-mêmes qui soient un élément distinctif que leur conjonction entre le xie et le xve siècle. En outre, Jean-Philippe Genet minimise explicitement non seulement les structures et évolutions économiques et démographiques qui jouent pourtant un rôle fondamental – et le mouvement almoravide au xie siècle comme celui des Almohades au xiie siècle ne pourraient être compris sans le surplus démographique que le désert, la steppe ou la montagne produit de manière chronique, ni sans le contrôle des voies de l’or subsaharien –, mais aussi les formes mêmes de la domination et les modalités propres de la monopolisation de la violence. Parce qu’elles ont sacralisé la parole divine, les sociétés musulmanes au Moyen Âge valorisent le savoir, l’herméneutique, le travail sur les textes plus que le métier des armes, dévolus à des étrangers et/ou des esclaves. Après la phase de conquête du pouvoir, au cours de laquelle la violence des bédouins, qui gravitent aux marges de la construction politique existante, fait irruption dans la ville et, canalisée par une idée, par une religion, s’y impose, une nouvelle phase commence, qui voit la cité pacifiée, les arts et cultures favorisés, la violence expulsée sur les frontières, jusqu’à ce que la roue tourne. Telle est la conception cyclique qui prévaut dans l’analyse géniale d’Ibn Ḫaldūn (m. 1406), à la fin du xive siècle et au début du xve. Point de salut ni en islam, ni pour l’Islam ; point d’alternative à ce cycle dans lequel Ibn Ḫaldūn inclut non seulement les empires de l’Antiquité d’Alexandre à Justinien, mais aussi l’Islam des Omeyyades aux Mérinides, ainsi que les Francs et les Croisés.
29La conquête du pouvoir conduit quasiment systématiquement au désarmement des populations qui s’en sont emparées, au profit de mercenaires ou d’esclaves. Les Almohades, et c’est peut-être la raison pour laquelle ils sont parvenus à imposer durablement leur pouvoir sur un Empire très étendu, ont essayé de limiter l’emploi des esclaves et des mercenaires, en sollicitant les tribus de manière régulière, en les renforçant au xiiie siècle par les tribus arabes et les ġuzz, envoyés d’Orient par Saladin et ses successeurs et intégrés dans la hiérarchie almohade où ils ont conservé leur organisation. À l’inverse de l’idée développée par Roger Le Tourneau et par Ambrosio Huici Miranda, qui ont vu dans l’intégration des Arabes à la fin du xiie siècle une « trahison » des Berbères et le ferment du déclin almohade42, il semblerait bien plutôt que cette intégration des forces arabes a permis à l’Empire almohade de durer jusqu’à la fin du xiiie siècle, malgré la participation de ces bandes aux rivalités dynastiques à partir de la fin des années 1220.
Notes de bas de page
1 M. Marcos Cobaleda, Los almorávides : arquitectura de un imperio, Grenade, Universidad de Granada/Casa Árabe, 2015.
2 Dans la théologie musulmane, le Mahdī est censé arriver à la fin des Temps pour rétablir la justice. Depuis le viiie siècle, ce personnage est attendu par les chiites, mais il fait partie aussi du corps de croyances sunnites.
3 M. Fierro, « El título de la crónica almohade de Ibn Ṣāḥib al-Ṣalāt », al-Qanṭara, 24/2, 2003, p. 91-94.
4 Oxford, Bodleian Library, 758, Marsh 433.
5 Kitāb al-Mann bi-l-imāma ‛alá al-mustaḍ‛afīn bi-an ǧa‛ala-hum Allāh a’immat wa-ǧa‛ala-hum al-wāriṯīn wa ẓuhūr al-imām al-Mahdī bi-l-muwaḥḥidīn ‛alá l-mulaṯṯamīn wa-mā fī masāq ḏalika min ḫilāfat al-imām al-ḫalīfat amīr al-mu’minīn wa-aḥad al-ḫulafā’ al-rāšidīn (je souligne). Ce long titre du Mann renvoie à divers versets du Coran, relevés par M. Fierro, versets qui mentionnent en outre l’Occident et l’Orient (Coran, VII, 137 : « Et les gens qui étaient opprimés, Nous les avons fait hériter les contrées orientales et occidentales de la terre [mašāriqa l-arḍi wa maġāribi-hā] que Nous avons bénies. Et la très belle promesse de ton Seigneur sur les enfants d’Israël s’accomplit pour prix de leur endurance. Et Nous avons détruit ce que faisaient Pharaon et son peuple, ainsi que ce qu’ils construisaient » ; Coran, XXVIII, 4-5 : « Pharaon était hautain sur terre ; il répartit en clans ses habitants, afin d’abuser de la faiblesse de l’un d’eux : il égorgeait leurs fils et laissait vivantes leurs femmes. Il était vraiment parmi les fauteurs de désordre […]. Mais Nous voulions favoriser ceux qui avaient été faibles sur terre et en faire des dirigeants et en faire les héritiers » ; Coran, VIII, 26 : « Et rappelez-vous quand vous étiez peu nombreux, opprimés sur terre, craignant de vous faire enlever par des gens. Il vous donna asile, vous renforça de Son secours et vous attribua de bonnes choses afin que vous soyez reconnaissants »).
6 Il s’agit des ḥadīṯ-s suivants : innā l-islām badā ġarībān wa sa-ya‛ūdu ġarībān kamā badā fa-ṭubá li-l-ġurabā’ (« L’islam a commencé comme étrange[r], et il redeviendra étrange[r] [à la fin des Temps] ; Bienheureux soient les étrangers ! ») et lā yazālu ahlu l-Ġarbi ẓāhirīna ‛alā l-ḥaqqi ḥattā taqūmu l-sā‛at (« Les gens de l’Occident ne cesseront de défendre la Vérité jusqu’à ce qu’advienne l’Heure »). Ces ḥadīṯ-s permettent des variations sur la racine Ġ-R-B qui sert à former les mots « étrange(r), merveilleux » (ĠaRīB) et « étrangers » (ĠuRaBā’), MaĠriB et ĠaRB (Occident), et Ġarbī (« occidental »). Dorénavant le berbère est appelé dans les sources almohades al-lisān al-ĠaRBī (« la langue occidentale »), et non plus al-lisān al-barbar comme dans les sources arabes contemporaines (voir M. Ghouirgate, « Le berbère au Moyen Âge : une culture linguistique en cours de reconstitution », Annales HSS, 70/3, 2015, p. 577-605, ici p. 591). L’usage de ces ḥadīṯ-s n’est pas sans lien avec la référence au Mahdī, qui n’est pas seulement une figure eschatologique, mais aussi une doctrine soufie remontant peut-être, selon M. Fierro, à Sahl al-Tustarī (m. 896), qui évoque un imām conduit par Dieu et chef (hādin) de son temps, dans les domaines spirituels et temporels (M. J. Viguera Molins [dir.], El retroceso de al-Andalus : Almóravides y Almohades. Siglos XI al XIII, t. 8/2 de l’Historia de España « Menéndez Pidal », Madrid, Espasa Calpe, 1997, p. 490). Ce Mahdī serait appelé « l’étranger à son temps » (al-ĠaRīB fī zamāni-hi). Or en 1144, au moment où les Almohades allaient s’emparer de Marrakech, Ibn Qasī, un Andalou mystique, se lève dans l’Algarve contre les Almoravides, fait frapper des monnaies carrées et parle de lui-même et de ses disciples comme des « étrangers » (ĠuRaBā’), soit s’inspirant des Almohades, soit ceux-ci s’inspirant de lui. On voit ainsi l’effervescence spirituelle qui prévalait à l’époque dans l’Occident musulman (M. Fierro, « Spiritual Alienation and Political Activism : the ġurabâ’ in al-Andalus during the Sixth/Twelfth Century », Arabica, 17, 2000, p. 230-260).
7 Bibliothèque royale de Rabat, ms. 6148, al-Balawī, ‘Aṭā’ al-ǧazīl, fol. 1-3, l. 8-11, éd. par A. ‘Azzāwī, Nouvelles lettres almohades, Kénitra, Université Ibn Tufayl, 1995, t. 1, lettre no 27, p. 130-134. Ce passage, comme de nombreux autres, joue avec le champ sémantique de la lumière, de la clarté et renvoie à la sourate « La lumière » qui mentionne justement l’Occident et l’Orient, comme lieux d’apparition et de disparition de la lumière divine : « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Semblance de Sa lumière : une niche où brûle une lampe, la lampe dans un cristal ; le cristal, on dirait une étoile de perle : elle tire son aliment d’un arbre de bénédiction, un olivier qui ne soit ni de l’est ni de l’ouest [lā šarqiyyatin wa lā ĠaRBiyyatin], dont l’huile éclaire presque sans que la touche le feu. Lumière sur lumière ! Dieu guide à Sa lumière qui Il veut… – Et Il use, à l’intention des hommes, de semblances car Dieu est Connaissant de toute chose » (Coran, XXIV, 35 : Le Coran. Essai de traduction par Jacques Berque, Paris, Albin Michel [La bibliothèque spirituelle], 1999, p. 376).
8 Éd. Trente-sept lettres officielles almohades, éd. par É. Lévi-Provençal, Rabat, Imprimerie économique, 1941, no 17, p. 81-93 ; éd. par A. ‘Azzāwī, Nouvelles lettres almohades, Rabat, Université Ibn Tufayl, 2006, t. 2, lettre no 26, p. 91-99 ; analyse dans É. Lévi-Provençal, « Un recueil de lettres officielles almohades : étude diplomatique et historique », Hespéris, 28, 1941, no 17, p. 1-80, rééd. trad. et étude dans P. Buresi, « Les cultes rendus à la tombe du Mahdī Ibn Tūmart à Tinmāl », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 152/1, 2008, p. 391-438, reprod. dans F. Déroche, J. Leclant (éd.), Monuments et cultes funéraires d’Afrique du Nord, Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres, 2010, p. 185-231. La citation joue sur l’ambiguïté de certains mots comme āyāt, signifiant à la fois « signes [divins] », « versets [du Coran] », et par voie de conséquence « miracles », ou ḥaqq (« droit », « Vérité », « Dieu »). Je souligne.
9 Pour désigner l’« État », la dynastie ou le pouvoir, le terme arabe utilisé est dawla qui renvoie justement à la notion de révolution, de cycle, de roue.
10 M. Vega Martín, S. Peña Martín, M. C. Feria García, El mensaje de las monedas almohades : numismática, traducción y pensamiento, Tolède, Servicio de publicaciones de Castilla-La Mancha (Escuela de Traductores de Toledo), 2002.
11 M. Ghouirgate, dans l’excellent ouvrage qu’il a tiré de sa thèse (M. Ghouirgate, L’ordre almohade : nouvelle approche anthropologique, Toulouse, Presses universitaire du Mirail, 2014), a montré comment la cuisine et les recettes du palais étaient intégrées dans cette vision du nouveau pouvoir et participaient aussi au processus de distinction des catégories de la population.
12 D. Gimaret, s. v. « Tawḥīd », dans Encyclopaedia of Islam, Leyde, Brill, 2012, 2e éd., t. 10, p. 389 : « L’acte de croire et d’affirmer que Dieu est unique. En un mot, le monothéisme ». Avant les Almohades, les Mu‘tazilites avaient déjà pris le nom d’ahl al-tawḥīd (= « les monothéistes »). Or l’influence mu‘tazilite sur les Almohades est grande. C’est autour de la question de la nature du Coran (créé ou incréé ?) que le mu‘tazilisme s’est développé à partir de la fin du viiie siècle. Au ixe siècle, pendant plusieurs décennies, le dogme mu‘tazilite du « Coran créé » a été imposé aux oulémas par les califes abbassides de Bagdad, à un moment où l’influence des partisans de la philosophie grecque et de la théologie spéculative était grande à la cour. D’une certaine manière, dans leurs relations avec les oulémas et les philosophes, les Almohades s’inscrivent dans la continuité de cet épisode.
13 Allāhu rabbu-nā / Muḥammadun rasūlu-nā / al-Mahdīyu imāmu-nā.
14 L’usage de ce terme fortement connoté au sein du christianisme se justifie a contrario par le fait que lorsque le calife al-Ma’mūn (r. 1227-1232) renonce au dogme almohade, en 1229, il justifie sa décision en affirmant explicitement qu’il n’y avait qu’un seul Mahdī, et que c’est Jésus, dont le retour est attendu à la fin des Temps pour combattre le Daǧǧāl, l’Anté-Christ (éd. par A. ‘Azzāwī, Nouvelles lettres almohades, op. cit., t. 1, lettre no 119, p. 384-386, trad. par R. Le Tourneau, « Sur la disparition de la doctrine almohade », Studia islamica, 32, 1970, p. 193-201). Sur le Daǧǧāl et la fin des Temps, voir P. Lory, « Temps et eschatologie en Islam », dans J. Ries, N. Spineto (éd.), Le temps et la destinée humaine, Turnhout, Brepols, 2007, p. 269-281, rééd. dans Communio, 37/3/221, 2012, p. 87-99, et « Les signes de la fin des Temps dans les traditions musulmanes sunnites », dans E. Aubin-Boltanski, C. Gauthier (éd.), Penser la fin du monde, Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 269-280.
15 Il s’agit du meurtre avec témoin, reconnu par le coupable, ou l’apostasie (en second), qui sont les crimes suprêmes impliquant la condamnation à mort. Cette lettre circulaire rédigée par Abū l-Ḥasan Ibn ‘Ayyāš au nom de Yūsuf Ier (r. 1163-1184) est citée in extenso dans la chronique d’Ibn Ṣāḥib al-Ṣalā, le Mann bi-l-imāma (Ibn Ṣāḥib al-Ṣalā, Ta’rīḫ al-Mann bi-l-imāma, éd. par ‘Abd al-Hādī al-Tāzī, Beyrouth, Dār al-Ġarb al-islāmī, 1964, p. 313-317 ; al-Mann bil-imāma, trad. esp. par A. Huici Miranda, Valence, Anubar [Textos medievales, 24], 1969, p. 97-100 ; rééd. A. ‘Azzāwī, Nouvelles lettres almohades, op. cit., t. 1, lettre no 13, p. 94-97).
16 ‘Abd al-Ḥamīd al-Kātib, al-Mutanabbī, al-Ǧāḥiẓ…
17 Ces règles vont de soi : ne pas faire croire que le texte formé par recomposition est une citation coranique, ne pas faire dire le contraire du sens coranique, et ne pas utiliser ces versets pour les ridiculiser.
18 al-Suyūṯī, Ṣarḥ ‘uqūd al-ǧamān fī ‘ilm al-ma‘ānī wa l-bayān, Beyrouth, Dār al-fikr, s. d., p. 166 : qultu wa amma ḥukmu-hu fī l-šar‘i / fa-Mālikun mušaddidun fī l-man‘i : « J’ai dit : “Quant à son statut juridique [à l’iqtibās] / Mālik l’interdit catégoriquement” ». Je remercie Hassan Chahdi d’avoir eu la gentillesse de me fournir ces références.
19 D. Villalba Sola, La senda de los almohades : arquitectura y patrimonio. Monográfica. Arte y arqueología, Grenade, Universidad de Granada, 2015.
20 Ibn Ṣāḥib al-Ṣalā, Ta’rīḫ al-Mann bi-l-imāma, op. cit., éd. Tāzī, p. 119, trad. Huici Miranda, p. 16.
21 Éd. par A. ‘Azzāwī, Rasā’il dīwāniyya muwaḥḥidiyya, Rabat, al-Ribāṭ nīt al-Maġrib, 2006, no 30, p. 111-119, spécialement p. 114-115.
22 M. Ghouirgate, « Le berbère au Moyen Âge… », art. cité, p. 592-593.
23 À cette modification formelle, on peut ajouter l’introduction d’une répartition en spirale du texte sur les lettres d’ambassade, ou bien l’adoption d’une nouvelle formule comme signe de validation (‘alāmat) des actes du souverains : al-ḥamdu li-Llāhi waḥda-hu, aisément reconnaissable par tous les sujets (« Louange à Dieu et à Lui seul », comme le rappelle Ibn Ḫaldūn, Dīwān al-mubtadā wa-l-ḫabar, Beyrouth, Dār al-Fikr, 2001, t. 6, p. 320) et comme on le voit dans les documents de chancellerie.
24 M. A. Martínez Núñez, « Epigrafía y propaganda almohades », al-Qanṭara, 18, 1997, p. 415-446.
25 Exemple de légende monétaire (dīnār-or) du règne de Yūsuf Ier (r. 1163-1184) : légende centrale avers : « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux, Prière sur Dieu unique, il n’y a d’autre dieu que Dieu, Muḥammad est le messager de Dieu, le Mahdī est le guide [imām] de la Communauté [umma] (Bi-smi Llâh al-raḥmān al-raḥīm wa l-ḥamdu li-Llāh waḥda-hu lā ilāha illa Llāh Muḥammadun rasūlu Llāhi al-Mahdī imām al-ummat) » ; légendes marginales avers : « Votre dieu est un dieu unique / il n’y a d’autre dieu que Lui, le Clément, le Miséricordieux [Coran II, 163] / les biens que vous possédez viennent de Dieu [Coran, XVI, 53] / aucun secours pour moi si ce n’est celui de Dieu [Coran, XI, 88] » (wa ilāhu-kum ilāh wāḥid / lā ilāha illa huwa al-raḥmān al-raḥīm / wa mā bi-kum min niʿmati Llāhi fa-mina Llāhi / wa mā tawfīqī illa bi-Llâhi) ; légende centrale revers : « Chargé du dessein [amr] de Dieu, le calife Abū Muḥammad ‘Abd al-Mu’min b. ’Alī le prince des croyants, le prince des croyants Abū Ya‘qūb Yūsuf, fils du prince des croyants » (al-qā’im bi-amri Llāhi al-ḫalīfat Abū Muḥammad ‘Abd al-Mu’min b. ‘Alī amīr al-mu’minīn amīr al-mu’minīn Abū Ya‘qūb Yūsuf b. amīr al-mu’minīn) ; légendes marginales revers : « Le prince des croyants / Abû Yûsuf Ya’qûb / fils du prince des croyants / fils du prince des croyants » (amīr al-mu’minīn / Abū Yūsuf Ya‘qūb / b. amīr al-mu’minīn / b. amīr al-mu’minīn).
26 P. Buresi, H. El Aallaoui, Gouverner l’Empire : la nomination des fonctionnaires provinciaux dans l’Empire almohade (Maghreb, 1147-1269). Édition, traduction et présentation de 77 taqdīm-s (« nominations »), Madrid, Casa de Velázquez (Bibliothèque de la Casa de Velázquez, 60), 2013, p. 54-55.
27 C’est du moins l’hypothèse convaincainte soutenue par Maribel Fierro lors d’une conférence intitulée « Education for the People ? The Case of the Almohad Revolution (12th-13th Centuries) » présentée à l’EHESS en 2012. M. Fierro a un article sous presse sur cette question.
28 H. Massé, « La profession de foi (‘aqīda) et les guides spirituels (morchida) du Mahdi Ibn Toumart », dans Mémorial Henri Basset, Paris, Geuthner, 1928, p. 105-121.
29 P. Buresi, T. Bruce, M. Ghouirgate, « Les usages linguistiques dans les relations entre Almohades et Pisans (début xiiie siècle) », dans S. Péquignot, D. Couto (éd.), Les langues de la négociation. Approches historiennes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 63‑76.
30 1) La révolution éducative ; 2) la révolution intellectuelle ; 3) la révolution administrative de l’écrit ; 4) la révolution culturelle de la littératie ; 5) la révolution des langues et de la littérature ; 6) la révolution du livre ; 7) la révolution du droit ; 8) la révolution du sensible.
31 H. Touati, Islam et voyage au Moyen Âge : histoire et anthropologie d’une pratique lettrée, Paris, Seuil (L’univers historique), 2000.
32 Id., L’armoire à sagesse : bibliothèques et collections en Islam, Paris, Aubier, 2003.
33 290 ouvrages attribués à al-Kindī, environ 250 pour Avicenne, 856 ouvrages sont attribués à Ibn ‘Arabī par exemple (H. Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabî, Paris, Aubier, 1993, p. 47).
34 A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du xie siècle, Paris/La Haye, Mouton, 1967, 4 vol.
35 Des bases de données et de nombreuses études prosopographiques exploitent cette documentation : en France, le projet Onomasticon Arabicum de l’IRHT (http://onomasticon.irht.cnrs.fr/) ; en Espagne, les EOBA (Estudios onomástico-bibliográficos de al-Andalus) du CSIC (http://www.eea.csic.es/index.php?option=com_content&task=view&id=295&Itemid=89) et surtout l’exceptionnelle encyclopédie dirigée par J. Lirola Delgado et J. M. Puerta Vílchez, Biblioteca de al-Andalus, Almería, Fundación Ibn Tufayl de Estudios Árabes (Enciclopedia de la cultura andalusí), 2004-2013, 8 vol.
36 Acte datant du règne d’al-Ma’mūn, avant l’abrogation du dogme almohade en 1229 (éd. et trad. par P. Buresi et H. El Aallaoui, Gouverner l’Empire…, op. cit., p. 386-388).
37 Écho coranique (Coran, XVI, 90, al-naḥl, « Les abeilles » : « Dieu ordonne la justice, le bel-agir… »).
38 = « Untel ».
39 Voir al-Maqqarī, Nafḥ al-ṭīb min ġuṣn al-Andalus al-raṭīb wa ḏikr wazīri-hā Lisān al-Dīn b. al-Ḫaṭīẖ, éd. Maryam Qāsim Ṭawīl et Yūsuf ‘Alī Ṭawīl, Beyrouth, Dār al-kutub al-‘ilmiyya, 1995, 10 vol., ici t. 1, p. 218 sur les musaddidīn qui seraient les juges des petites localités et de la campagne.
40 Référence à un ḥadīṯ dont l’authenticité est contestée ; attribué à ‘Ā’iša, il est rapporté par Abū Dāwūd, Saḥīḥ Sunan Abī Dāwūd, éd. par M. N. al-Dīn al-Albānī, Riyad, Maktabat al-ma‘ārif li-l-našr wa l-tawzī‘, 2000, p. 726, no 4842 : « de ‘Ā’iša – Que Dieu l’agrée – elle a dit : “L’Envoyé de Dieu a dit : ont-ils accordé à chacun sa place ?” » Que Hassan Chahdi soit remercié pour l’identification de cette référence.
41 C’est nous qui soulignons.
42 En esta ocasión, el jefe y fundador del más grande imperio bereber traicionó, sin saberlo ni quererlo, la causa de su raza, al transigir con los Árabes y quizá pensó solamente en agrupar todas las fuerzas del Islam norte-africano para la guerra santa contra los cristianos españoles y normandos (A. Huici Miranda, Historia política del imperio almohade, Tétouan, Editora marroqui, 1956-1959, 2 vol., ici t. 1, p. 167). Pour une vision plus nuancée et réactualisée, voir V. Aguilar Sebastián, « Política de ‘Abd al-Mu’min con los árabes de Ifrîqiya », dans Actas del II Coloquio hispano-marroquí de ciencias históricas : « Historia, Ciencia y sociedad » (Granada, 6-10 noviembre de 1989), Madrid, MAE, 1992, p. 17-30, et « Aportación de los árabes nómadas a la organización militar del ejército almohade », al-Qanṭara, 14, 1993, p. 393-415.
Auteur
CIHAM (CNRS, UMR 5648)/EHESS, ERC StG 263361
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