Regia Marina et représentation de la Rome antique dans le discours mussolinien
p. 299-318
Résumé
La culture militaire fasciste italienne est marquée par une appropriation de l’histoire ancienne de Rome, une histoire réécrite cependant à l’aune des ambitions politiques affichées, tant sur la scène nationale que dans les relations interétatiques. La portée des écrits et des discours mussoliniens relatifs à l’histoire maritime et navale de l’Antiquité soulève cependant une série de questions liées au statut spécifique de la marine dans l’histoire ancienne romaine et à l’identité propre de la Regia Marina. La représentation de la marine est en effet éclipsée par celle de puissance des légions romaines, tant chez les auteurs antiques que dans les études ultérieures. Ce volet de l’histoire ancienne fut cependant revisité à l’époque contemporaine par le biais des préoccupations géopolitiques européennes. Cette réécriture marquée par de nombreuses approximations et omissions servit les ambitions politiques du régime. Mussolini ajouta toutefois une seconde perspective, à des fins internes, en soulignant le rôle des « hommes nouveaux » dans l’histoire de la marine ancienne. Il s’agissait pour lui de tenter d’asseoir son influence idéologique sur une institution fortement marquée par ses traditions, dirigée par des cadres dont l’adhésion ne lui était pas acquise d’emblée.
Texte intégral
1La puissance militaire de Rome est davantage associée dans l’historiographie traditionnelle à la puissance de ses légions, à ses routes ou à ses camps qu’à ses navires de guerre. Si le thème de la puissance navale s’efface ici quelque peu, il en va de même au premier regard dans l’appropriation par le régime fasciste de Mussolini de l’histoire romaine ancienne. La symbolique et le discours mussolinien laissèrent en effet, au moins dans les premières années, peu de place à la marine.
2Pourtant, la volonté mussolinienne de façonner l’identité d’une institution dont les cadres n’étaient pas nécessairement bien disposés à l’égard du régime fasciste conduisit à entreprendre une réécriture de l’histoire navale de la Rome antique. Celle-ci trouve de nombreux échos dans les écrits et discours de Mussolini. L’influence de ces documents destinés à un large public est certes immédiatement perceptible dans l’onomastique et la symbolique militaires, mais son impact réel sur les cadres de la Regia Marina et l’identité de l’institution semble plus limité, en dépit d’un renouvellement important des cadres.
3Il convient donc d’analyser le discours mussolinien selon une double perspective, celle de l’historiographie et du traitement par les historiens de la question de la puissance navale romaine d’une part, celle de l’utilisation du discours sur la marine antique par Mussolini d’autre part. Les références explicites à l’arme navale romaine apparaissent en effet tardivement dans le discours officiel. Guidées dans un premier temps par les visées expansionnistes du régime, elles ont aussi pour objectif d’affirmer les revendications italiennes, en inscrivant dans l’histoire le droit à l’expansion du peuple italien, et de redéfinir l’identité de la Regia Marina, encore fortement marquée par ses propres traditions.
Problèmes d’historiographie
4La marine apparaît comme un objet secondaire des études relatives à l’armée romaine. Parmi les ouvrages relatifs à l’art militaire antique, le De re militari de Publius Flavius Vegetius Renatus (Végèce) est sans doute celui qui eut la plus grande postérité, tant fut grande l’influence de cet ouvrage de compilation de la fin du ive siècle de notre ère sur la formation militaire. L’économie générale de l’œuvre de Végèce ne laisse pourtant que peu de place à la marine. Quatre livres sont consacrés au recrutement et à l’entraînement des troupes formant les légions, à l’organisation de ces dernières, aux manœuvres et aux tactiques lors des batailles ainsi qu’à la poliorcétique. En revanche un seul et bref livre est consacré à la guerre sur mer, que l’on peut considérer comme une simple annexe, faite d’éléments hétéroclites mêlant considérations matérielles, météorologiques ou tactiques. Peu nombreux sont jusqu’à l’époque moderne les traités d’art militaire qui abordent la question du combat naval. Parmi eux, L’armata navale du capitaine Pantero Pantera (1614) fait aussi figure d’exception lorsqu’il affirme que Carthage ou Athènes furent certes des puissances maritimes, mais que Rome dut tout autant sa grandeur à sa marine qu’à ses armées terrestres. Selon lui, l’arme navale fut même un facteur essentiel de l’accroissement de l’Empire1.
5Les représentations de la puissance romaine ont, quant à elles, longtemps été dictées par l’histoire des guerres puniques, résumées le plus souvent à l’affrontement victorieux d’une puissance terrestre devenue forte sur mer contre une puissance maritime. Si ce parti pris hérité de l’œuvre monumentale de Mommsen2 est à n’en pas douter fortement marqué par les préoccupations géopolitiques de son temps3, il eut une postérité particulièrement féconde dans le domaine de la pensée stratégique, puisqu’il inspira notamment la réflexion navaliste de Mahan. Proposant une forme d’uchronie, Mahan reconnaît avoir été marqué par les interrogations de Mommsen sur l’issue des guerres puniques si Hannibal avait fait le choix d’attaquer Rome par voie maritime plutôt que par la terre. Selon l’historien, ce renoncement carthaginois doit être compris comme le signe d’un renversement de l’équilibre des puissances, Rome ayant désormais les moyens d’exercer sa puissance sur mer.
6L’histoire de Mommsen, caractérisée par des biais historiques marqués, figure également parmi les références mussoliniennes lorsqu’il s’agit de traiter de l’histoire de la Rome ancienne4. Souvent débattues, les connaissances et les lectures de Mussolini sur ce sujet se limitent à quelques références bibliographiques au premier rang desquelles figure l’œuvre de l’historien allemand dont une traduction italienne, due à Luigi di San Giusto, fut publiée entre 1903 et 1905. Elle est citée en référence dans le discours prononcé le 5 octobre 1926 à l’université pour les Étrangers de Pérouse5.
7La représentation de la puissance maritime de Rome dans le discours mussolinien ne peut cependant être placée sur un même plan que les autres références à l’Antiquité faites par Mussolini6. La référence à Rome, qui se fonde chez lui sur une fascination remontant à son adolescence, est d’abord à usage interne. Elle est destinée à susciter une forme de consensus idéologique de masse autour des valeurs affichées par le régime. Ces symboles et ces rituels sont, en effet, d’abord hérités de l’armée romaine : faisceaux, salut, aigle, insignes, dénomination des unités militaires. Parallèlement, les valeurs de force, de sagesse, de discipline, de hiérarchie sont mises en avant. Mussolini fait ainsi de Rome la référence ultime dans l’histoire. « Rome est notre point de départ et de référence ; elle est notre symbole ou, si vous voulez, notre mythe », écrit-il en 1922 dans un article du journal fasciste Il Popolo d’Italia7. De toutes les figures de l’histoire de Rome, c’est celle de César qui le fascine le plus, davantage encore que celle d’Auguste. Les références précises et concrètes font en revanche généralement défaut. En témoigne le nombre assez limité d’unités de la marine italienne portant des noms hérités de l’Antiquité pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce n’est en outre pas à Mussolini que revient l’initiative de toutes ces dénominations. Le cuirassé Giulio Cesare fut en effet lancé en 19118.
Une thématique tardive dans la dialectique mussolinienne
8Le thème de la puissance navale n’est dans un premier temps que sous-jacent dans la dialectique mussolinienne. Le discours tenu à Fiume (22 mai 1919), ville qui cristallise les tensions franco-italiennes après la Première Guerre mondiale, affirme déjà un « droit à l’expansion » du peuple italien dans une Méditerranée qui redeviendra selon lui italienne, tandis que Rome a pour vocation de « redevenir le phare de la civilisation mondiale9 ». Bien que la dimension navale soit absente des tensions qui opposent Français et Italiens autour de la question de Fiume, le droit à l’expansion de l’Italie en Méditerranée est déjà présent dans le discours mussolinien. Il est présent également dans le second discours prononcé à Trieste le 6 février 1921, dont la conclusion affirme que le destin de la Méditerranée est de redevenir italienne. Mussolini clôt son propos par une citation de l’Énéide de Virgile10 annonçant la naissance d’un César « qui bornera son empire à l’océan et sa renommée aux étoiles ». C’est toujours la volonté d’expansion romaine qui guide les propos de Mussolini lors du deuxième discours qu’il prononce à Tripoli le 11 avril 192611 quand il fait surgir l’image du « licteur triomphant et immortel de Rome » porté sur les « rives de la mer africaine ».
Le discours du 5 octobre 1926
9La tonalité du discours prononcé le 5 octobre 192612 à l’université pour les Étrangers de Pérouse est sensiblement différente. C’est, en effet, la première fois que Mussolini dépasse la simple mention de l’histoire navale romaine mise au service de ses projets expansionnistes et qu’il développe un discours construit sur ce thème. S’interrogeant sur la question de savoir si Rome fut une puissance maritime, il soutient l’idée que sans la mer et sans sa marine, la cité n’aurait pas eu les moyens de conquérir puis de conserver son empire.
10Trois éléments majeurs caractérisent ce discours. Le premier est d’ordre « psychologique », Mussolini affirmant que les Romains auraient été un peuple à l’esprit plus continental que maritime et qu’ils ne se tournèrent finalement vers la mer que par nécessité, ce facteur étant essentiel pour comprendre la spécificité du rapport des Romains à la mer. En ce sens, ils se distingueraient des Grecs et des Étrusques, qui auraient été tournés plus naturellement vers l’aventure maritime.
11Le second trait caractéristique relève de la focalisation historique sur les affrontements entre Rome et Carthage, qui occupent l’essentiel du discours. Mussolini ne nie pas qu’une activité maritime romaine ait existé au préalable, même s’il la considère comme limitée. De plus, si Rome disposait selon lui d’une flotte de navires de commerce, la puissance navale était entre les mains des Carthaginois. Cette vision fort schématique permet d’appuyer le discours relatif aux éléments qui contraignirent Rome à accroître ses forces navales. Ce développement, dicté par la contrainte, s’échelonne selon lui en plusieurs étapes. La première étape se situe au début du ive siècle. Rome commença alors à s’affirmer sur mer, à la faveur de conquêtes territoriales qui lui avaient permis d’asseoir sa domination sur des cités et des peuples qui disposaient de flottes et avaient développé leur activité maritime13. C’est dans la décennie 270-260 av. J.-C. que Mussolini voit la période décisive au cours de laquelle Rome pose les bases de l’empire qui, selon lui, parvint à son apogée sous le règne d’Auguste. Ce point de départ est marqué par la création de la première flotte de guerre, que Mussolini replace dans un contexte géopolitique : le constat est pour lui celui de rivages méditerranéens peuplés par les Gaulois au nord, et d’une mer « dominée » ou « contrôlée » par les Carthaginois. Cette situation apparaît comme le résultat d’une lutte dont les origines remontent au vie siècle, mettant aux prises les Étrusques, Marseille, Syracuse et Carthage jusqu’à ce que cette dernière l’emporte. Elle devint alors l’ennemie de Rome, dans une succession de guerres dont les deux premières sont narrées de manière détaillée, bien que le rôle des marines soit moins essentiel dans la deuxième que lors de la première. Le traitement de la troisième guerre punique se réduit à une seule phrase qui résume le bouleversement stratégique qu’elle entraîna en même temps qu’elle explique la focalisation de Mussolini sur cette période de l’histoire. « Après la chute de Carthage, la Méditerranée devint un lac romain et l’histoire maritime de Rome ne compta plus de pages de grande importance. »
12Enfin, une attention particulière est portée aux chefs militaires et à l’impéritie des commandants de la flotte, placés régulièrement dans une situation difficile, tandis que la force morale et l’ingéniosité des Romains sont citées en exemple : Mussolini réfute l’idée selon laquelle les Romains auraient copié une quinquérème carthaginoise. D’après lui, en effet, ce n’est pas en copiant l’ennemi mais grâce à leur sens de l’innovation qu’ils l’emportèrent. Il poursuit en affirmant qu’ils surent, selon lui, compenser leur infériorité tactique et stratégique par l’invention ingénieuse du corvus14 à la bataille de Myles en 260 av. J.-C., qui permit aux Romains de combattre « comme sur la terre ferme15 ». A contrario, Mussolini dénonce l’impéritie des amiraux romains, qui ne surent éviter le naufrage du convoi qui ramenait à Rome les soldats victorieux du siège de Clypea en 256 av. J.-C. Une nouvelle preuve de leur inexpérience est fournie par l’aventure d’une flotte romaine surprise par la marée basse dans le golfe de Syrte puis partiellement détruite par une tempête sur le chemin du retour vers Rome en 253 av. J.-C. Il fallut attendre Gaius Lutatius Catulus pour que la flotte reconstruite grâce aux efforts des Romains, citoyens d’une république exsangue financièrement, remporte en 241 av. J.-C. la bataille des îles Égates, décisive dans la première guerre punique. Le symbole est de taille sous la plume de Mussolini, dans la mesure où le consul Gaius Lutatius Catulus auquel la flotte est confiée est une figure d’homo novus, un plébéien qui fut le premier de sa famille à accéder à cette magistrature.
13L’histoire navale romaine proposée par Mussolini reste donc marquée par trois traits distinctifs. Le premier est celui d’une forme de déterminisme géographique qui aurait fait des Romains un peuple naturellement continental contraint de se tourner vers la mer sous la pression de ses voisins. Le deuxième est celui de la force morale et de l’ingéniosité des Romains qui leur permirent selon lui de compenser et de surpasser la supériorité matérielle de leurs ennemis, en dépit de l’impéritie de leurs chefs. En effet, Mussolini prend soin de souligner le rôle décisif joué par un homo novus dans la victoire remportée lors de la deuxième guerre punique, qui occulte la troisième, au terme de laquelle Carthage fut détruite.
14Le reste de l’histoire navale romaine passe au second plan, même si Mussolini prend soin de mentionner la victoire de Pompée contre les pirates, l’aventure de la marine romaine en Atlantique « à la conquête de la Grande-Bretagne », puis la bataille d’Actium, qui fut décisive dans l’histoire de l’Empire dont il affirme qu’il ne fut caractérisé par aucune action maritime d’envergure16. Il ajoute que la chute de l’Empire mit fin à toute activité maritime. La dépendance de l’économie romaine à l’égard des importations ne fait l’objet que d’une rapide mention peu avant la fin du discours, qui se conclut par un rappel de la segmentation de l’histoire navale romaine en trois temps : une première période au cours de laquelle Rome subit la thalassocratie des autres, une deuxième au cours de laquelle elle mit fin à la suprématie carthaginoise, une dernière enfin au cours de laquelle Rome domina la Méditerranée.
Un discours aux multiples destinataires
15Le manque d’équilibre chronologique et les raccourcis du discours historique mussolinien ne font aucun doute. L’intérêt quasi exclusif porté aux guerres puniques, élément structurant de l’histoire navale romaine, et la faiblesse des mentions relatives au reste de l’histoire maritime romaine ne sont pas les seules caractéristiques du discours mussolinien. Rien, en effet, dans les propos tenus ne replace la bataille d’Actium dans le contexte de la dernière guerre civile de la République romaine. Pas un mot n’est dit non plus de la guerre qui opposa César à Pompée, et dont la composante navale fut essentielle. La grave crise de la marine romaine qui aboutit à la création d’un Empire romain britannique en 286 ap. J.-C. sous l’impulsion de Carausius, commandant de la Classis Britannica, est également éludée. Les circonstances de la chute de l’Empire romain et leur dimension navale ne sont pas même mentionnées. Le rôle joué par la marine romaine dans les guerres civiles et dans la chute de l’Empire est totalement passé sous silence au profit d’un discours destiné autant au reste du monde, et aux rivaux de l’Italie contemporaine en particulier, qu’aux marins eux-mêmes et à leurs chefs.
16Le choix de certains détails historiques ou au contraire leur omission et l’anachronisme de certains toponymes ne laissent planer aucun doute sur les destinataires implicites du propos. Mussolini se plaît ainsi à désigner l’Angleterre et la Grande-Bretagne là où les géographes de l’Antiquité ne connaissaient que la Bretagne. D’autre part, son discours fait l’économie d’une réflexion sur les notions de « domination » (dominio) et de « contrôle » (controllo), qui sont centrales dans la description de la puissance carthaginoise et de sa remise en cause par Rome. Pourtant, ces notions ne désignent pas le même objet dans l’Antiquité et à l’époque contemporaine, et la négation de la chronologie conduit ici à une confusion des notions, ne serait-ce que parce que les moyens d’action sur mer n’autorisent pas les mêmes pratiques dans l’Antiquité qu’à l’époque contemporaine. Il s’agit pour Mussolini de réaffirmer les droits de Rome sur la Méditerranée et de développer un discours dénonçant tout à la fois par le moyen du symbole de Carthage l’impérialisme franco-britannique et le « mercantilisme juif17 ». Cette association fut un thème récurrent des études classiques italiennes au cours de la décennie suivante18.
17À ce discours destiné aux rivaux de l’Italie s’ajoute un discours adressé sans doute aux marins et à leurs chefs en particulier. Si l’exaltation des valeurs romaines rappelées dans la conclusion du discours de Mussolini (esprit de sacrifice, ténacité, volonté) n’est pas un thème nouveau dans le discours officiel, la dénonciation de l’impéritie des « amiraux », qui revient à trois reprises, doit être soulignée. Mussolini n’est pas l’inventeur du thème de l’inexpérience des chefs, comme le souligne l’orateur lui-même, qui cite Augusto Vittorio Vecchi19 à l’appui de son propos. Ce thème prend toutefois un relief particulier au regard de l’exaltation des valeurs du peuple, mais aussi de l’action de chefs militaires issus de la plèbe, des hommes neufs, dont le consul Gaius Lutatius Catulus20 est le symbole. Ce thème de l’homme nouveau, récurrent dans le discours mussolinien, trouve son origine dans la genèse du fascisme italien.
Un mouvement jeune face à une Marine ancrée dans ses traditions
18Benito Mussolini intensifie son activité politique après la fin de la Première Guerre mondiale et fonde le 23 mars 1919 à Milan les Fasci di Combattimento (Faisceaux de combat). Au départ se retrouvent dans ce mouvement des personnalités issues de divers courants politiques, parmi lesquelles des républicains, des socialistes réformistes, des futuristes, des interventionnistes et des anciens combattants. Il avait pour idée de s’affirmer en exploitant le mécontentement resté latent en Italie pour diverses raisons après la fin de ce conflit sanglant et les orientations décevantes des négociations en cours à Paris pour arriver à la signature des traités de paix21.
19Mussolini avait aussi compris que, pour élargir le consensus à l’égard de son mouvement, il fallait obtenir la faveur d’une partie au moins des chefs militaires. C’est pourquoi, en ce qui concerne la Regia Marina, dont les convictions monarchistes étaient fortes et qui était étrangère à l’idée de lui manifester sa sympathie politique, il commença par publier le 26 juillet 1919 dans le quotidien Il Popolo d’Italia – qu’il avait fondé le 14 novembre 1914 – un article intitulé « I problemi del mare22 ». Dans cet article écrit sous la forme d’une interview d’un amiral, probablement Umberto Cagni, il rapportait que le navire de guerre était le meilleur instrument de la politique étrangère, en particulier pour la protection des Italiens travaillant à l’étranger et sur d’autres continents23. Il était par conséquent nécessaire, même en temps de paix, de posséder une flotte puissante et cette proposition de Mussolini fit comprendre aux chefs de la Regia Marina que sa politique à venir aurait pour objectif de faire de l’Italie une grande puissance navale capable, selon ses intentions, d’avoir le contrôle de la Méditerranée et de revenir aux fastes de la Rome antique.
20C’est toujours le même argument qui fut repris dans Il Popolo d’Italia du 19 décembre 1919 avec l’article intitulé « Italia marinara avanti24 », dans lequel il militait en faveur d’une montée en puissance à la fois de la Regia Marina et de la marine marchande italienne, au moment précis où les industries de construction navale faisaient pression pour maintenir le même niveau de production qu’en temps de guerre, ce qui n’était assurément pas pour déplaire à l’état-major de la Marine. Celui-ci était en effet conscient de la nécessité de mener à leur terme certains programmes de la période de guerre, et d’en lancer d’autres à la suite, qui lui permettraient de maintenir ses capacités opérationnelles à un niveau suffisant pour disposer d’un instrument naval adapté à l’accomplissement des missions confiées après la fin de la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire maintenir une présence navale au Levant et garantir la sécurité en mer Tyrrhénienne, en mer Ionienne et dans l’Adriatique, où la crise pour l’occupation de Fiume avait atteint son sommet. Cette attitude de Mussolini s’est révélée payante, parce que certains officiers de la Regia Marina, nostalgiques des entreprises menées pendant le conflit tout juste terminé, se rapprochèrent de lui. Parmi ces derniers, nous pouvons signaler Costanzo Ciano, Raffaele Paolucci et Luigi Rizzo25. Après un peu plus de deux ans, Mussolini, pour légaliser le mouvement dont il était le chef, crée en novembre 1921 le Partito Nazionale Fascista (PNF, Parti national fasciste), qui compte dès le début plus de trois cent mille membres. L’objectif déclaré du PNF était de parvenir à diriger l’Italie, et son programme s’afficha comme beaucoup plus modéré que celui des faisceaux de combat. Il comprenait, en effet, la reconnaissance du caractère indispensable de la monarchie, de l’Église et de la propriété privée.
21Forts d’un grand nombre de partisans, les fascistes marchèrent sur Rome le 28 octobre 1922 et, le lendemain, le roi Victor Emmanuel III de Savoie confia à Mussolini la tâche de former un nouveau gouvernement. Celui-ci fut un gouvernement de coalition, avec la participation de divers courants libéraux, de nationalistes et de populaires, mais les ministères les plus importants (Intérieur, Affaires étrangères, Justice et Finances) furent confiés à des fascistes26.
Des rapports difficiles avec des cadres de la Marine au passé prestigieux
22Pour la direction du ministère de la Marine, Mussolini désigna avec beaucoup de prudence l’amiral Paolo Thaon di Revel, un homme aux grandes compétences, qui répondait à diverses exigences : la première était de plaire à la maison de Savoie, de laquelle il avait – comme ses ancêtres – toujours été très proche. Il avait d’autre part été l’un des principaux artisans de la victoire de l’Italie dans la première guerre mondiale, ce qui lui valait d’être apprécié des anciens combattants. En outre – ce point n’est nullement secondaire – le choix d’un officier servant dans la Regia Marina plutôt que d’un civil ou d’un général de l’armée de terre (comme cela s’était fait par le passé) pour prendre cette direction afficha la volonté du régime fasciste de manifester de l’intérêt et du respect dans ses rapports avec la Regia Marina27.
23Toutefois, les rapports entre Mussolini et Thaon di Revel commencèrent à se dégrader dès les premiers mois de 1923 quand fut créée le 25 mars la Regia Aeronautica (Armée de l’air), nouvelle force armée autonome, en prenant une partie du personnel, des aéronefs et des installations des forces aériennes existantes de la Regia Marina et de l’Armée de terre. L’amiral craignait en effet – ce qui se produisit lors de la Deuxième Guerre mondiale – que la Regia Aeronautica conduise une guerre parallèle à celle de la Regia Marina sans la soutenir comme il conviendrait.
24Quelques mois plus tard survint une deuxième divergence entre Thaon di Revel et Mussolini, quand celui-ci réagit d’une manière extrêmement dure au massacre, le 27 août 1923 à Kavibaki Han, de membres italiens de la mission conduite par le général Enrico Tellini pour définir sur le terrain les frontières séparant la Grèce de l’Albanie. Bien qu’il ne fût pas possible de déterminer la nationalité des auteurs de l’attentat, Mussolini estima qu’ils étaient grecs. Il envoya un ultimatum à la Grèce assorti de lourdes exigences et, le 31 août, il fit bombarder puis occuper l’île de Corfou. Le 1er septembre, le gouvernement grec fit appel à Genève à la Société des nations et à la Grande-Bretagne, montrant sans équivoque le parti qu’elle prenait. Elle mit sa flotte à disposition de la SDN pour dissuader l’Italie de poursuivre ses plans.
25Mussolini ne se laissa pas impressionner dans la mesure où, soutenu par Costanzo Ciano qui occupait la charge de sous-secrétaire d’État à la Marine, il était convaincu qu’avec quelques torpilleurs (les MAS) et sous-marins, menés par des commandants courageux et pleins d’ardeur, la Regia Marina aurait pu tenir au large la Royal Navy. Thaon di Revel eut toutes les peines à faire comprendre à Mussolini que ce n’était pas possible. Le président du conseil des ministres en resta mécontent et déçu de la Regia Marina28.
26Le troisième et plus grave incident entre Mussolini et Thaon di Revel fut la conséquence de la volonté du président du conseil des ministres de mettre en place le nouveau poste de chef d’état-major général, charge qui aurait été du ressort du chef d’état-major de l’Armée de terre, et dont auraient dépendu les chefs d’état-major de la Marine et de l’Armée de l’air. Cette sujétion de la Marine et de l’Armée de l’air trouvait ses origines dans l’idée qu’elles devaient être à la disposition de l’Armée de terre pour qu’elle puisse atteindre les objectifs fixés. Cette vision ne tenait cependant pas compte de ce que l’on avait pu observer au cours de la Grande Guerre tout juste terminée, au cours de laquelle les troupes italiennes avaient pu résister sur la ligne du Piave de novembre 1917 à octobre 1918 puis lancer l’offensive finale de Vittorio Veneto, qui avait mené à la reddition de l’Autriche-Hongrie le 4 novembre suivant. Cela n’avait pu avoir lieu que parce que la Regia Marina, en collaboration avec les marines française, britannique, américaine et même japonaise, était parvenue à garantir l’arrivée en Italie d’une bonne part des approvisionnements vitaux qui lui étaient destinés, en les défendant contre les attaques meurtrières des sous-marins allemands.
27Thaon di Revel estimait que la proposition de créer un chef d’état-major général était intéressante, mais que la charge devait être confiée à tour de rôle et au mérite à un officier de haut rang de l’Armée de terre, de la Marine et de l’Armée de l’air. Il tenta ensuite de s’opposer à l’idée de Mussolini, mais lorsque celui-ci fit approuver au début du mois de mai 1925 par le conseil des ministres le projet de loi tel qu’il l’avait conçu, Thaon di Revel remit sa démission le 9 mai29.
Sirianni, un « homme nouveau »
28Le lendemain, Mussolini se fit nommer par Victor Emmanuel III ministre de la Marine par intérim et, ayant remarqué que la démission de Thaon di Revel avait suscité le mécontentement de nombreux officiers supérieurs de la Regia Marina, il fit une déclaration le 14 mai au personnel de la Marine : « Je sais que la Marine italienne est à juste titre fière de ses traditions et pleinement digne de l’amour et de la confiance du peuple. À la Marine, que personne ne blessera dans sa nécessaire autonomie et dans son prestige intangible, je vais consacrer mes soins assidus comme à l’armée qui, en temps de paix comme en temps de guerre, porte sur mer les symboles sacrés et les armes victorieuses prêtes à défendre la Patrie. Je suis sûr que chacun d’entre vous m’apportera sa collaboration avec ce sens de la discipline caractéristique des marins d’Italie30. »
29Mussolini n’avait toutefois ni les compétences techniques ni le temps suffisant, compte tenu de ses engagements au gouvernement, pour gérer la complexité de la Regia Marina. Pour cette raison, il nomma le 14 mai le contre-amiral Giuseppe Sirianni sous-secrétaire d’État à la Marine.
30Le choix de cet officier avait été recommandé par Costanzo Ciano, qui était entre-temps devenu ministre des Communications, et répondait à deux besoins spécifiques de Mussolini : le premier était d’avoir sous sa dépendance un personnage plus malléable que Thaon di Revel et qui pouvait connaître une carrière accélérée par son soutien. Le second était d’envoyer un signal de renouvellement fort à l’intérieur de la Regia Marina en donnant un rôle hautement prestigieux à un officier qui avait été promu contre-amiral seulement deux semaines auparavant et qui était issu du peuple. Sirianni incarnait en outre l’idéal fasciste de l’homo novus par son audace, son courage, sa capacité à savoir profiter au mieux de ce qu’il avait à sa disposition et par sa jeunesse. Pour ces raisons il fut préféré à des amiraux d’un grade plus élevé, d’une plus grande ancienneté et qui étaient en bonne partie d’origine noble31. Comme cela était prévisible, la nomination de Sirianni créa le trouble chez une partie des officiers de haut rang de la Regia Marina, mais un sentiment d’euphorie et de satisfaction se répandit parmi les officiers subalternes, qui considérèrent cet acte comme une nette orientation du fascisme : privilégier les jeunes et leurs idées, mettre au premier plan ceux qui avaient fait la preuve qu’ils étaient des combattants courageux et enfin rajeunir les chefs de l’armée.
Une entreprise d’endoctrinement général à laquelle n’échappe pas la Marine
31Mussolini désirait déjà depuis un certain temps que les idéaux du fascisme pénètrent totalement la société italienne et, pour y parvenir, il estima qu’il était opportun que l’endoctrinement commence dès le plus jeune âge. Le 3 avril 1926, il créa l’Opera Nazionale Balilla (ONB) dont la mission était d’éduquer physiquement et moralement la jeunesse, en lui apportant également une instruction pré-militaire, professionnelle et technique32. Il fut décidé, en 1933, que les garçons et les filles devaient en faire partie dès qu’ils commençaient à fréquenter l’école élémentaire, et on décida même, en 1936, qu’ils seraient inscrits à l’ONB dès l’enregistrement de leur naissance à l’état civil. Les jeunes, en fonction de leur âge, furent répartis entre les « fils de la louve » (de 6 à 8 ans), « balilla » (de 9 à 10 ans), « balilla mousquetaires » (de 11 à 13 ans) et enfin « avant-garde » (de 14 à 18 ans)33. Ils avaient leur propre uniforme et commençaient dès l’âge de onze ans à manier les armes (en utilisant ordinairement un fusil de cavalerie modèle 91 de format réduit) conformément à un célèbre slogan du régime qui disait « libro e moschetto, fascista perfetto » (livre et fusil, fasciste parfait). Cet encadrement paramilitaire se poursuivait aussi à un âge plus avancé avec l’intégration dans les Fasci giovanili di combattimento (Faisceaux de combat de la jeunesse) et les Gruppi Universitari Fascisti (GUF, Groupes universitaires fascistes), qui concernaient les étudiants de l’université.
32L’action menée par l’Opera Nazionale Balilla fut remplacée en 1937 par celle de la Gioventù italiana del Littorio (GIL, Jeunesse italienne du licteur), ce qui conduisit la quasi-totalité des jeunes éduqués pendant la période fasciste à être imprégnés des doctrines défendues par Mussolini, y compris ceux qui entrèrent dans la Regia Marina comme officiers, sous-officiers, quartiers-maîtres et matelots34.
33Même les noms utilisés pour désigner les structures d’encadrement de la jeunesse, comme les « fils de la louve » et la « jeunesse italienne du licteur » rendent perceptible la volonté du fascisme de faire référence aux traditions de la Rome républicaine et impériale.
34Ce n’est, en effet, qu’à l’époque romaine que la péninsule italienne prit une grande importance, parvenant à dominer l’ensemble du bassin méditerranéen et une bonne partie de l’Europe occidentale. Mussolini, en particulier dans la seconde moitié des années 1920 et dans les années qui suivirent, déploya des efforts importants pour accroître la fierté du peuple italien, avec de fréquentes références à la Rome antique35. En particulier, pour la Regia Marina, le discours qu’il tint le 5 octobre 1926 à l’université pour les étrangers de Pérouse resta célèbre et accrut la diffusion du thème de la « romanité » même à l’extérieur des armées. Le fascisme n’en fut que mieux véhiculé à l’intérieur de ces dernières.
35Pendant ces années, l’emblème de l’État (qui apparaissait aussi sur les papiers à en-tête de la Regia Marina) fut donc modifié à deux reprises, d’abord en 1927 pour inclure un écusson tricolore avec un faisceau surmonté d’un aigle, puis, en 1929, deux faisceaux furent placés de chaque côté de l’emblème de la Maison royale de Savoie. Le symbole du faisceau fut inséré sur la couverture de la Rivista marittima en décembre 1927. Il figurait aussi en métal sur les navires et sur les sous-marins, placé pour toutes les unités sur leurs côtés avant leur nom, dans diverses positions dépendant du type de bâtiment36, et sur les pavillons distinctifs du chef du gouvernement, des ministres et des sous-secrétaires d’État37.
D’un homme nouveau à l’autre
36Sirianni, qui était entre-temps devenu sénateur du royaume avec l’appui de Mussolini et avait été promu amiral de division, fut nommé ministre de la Marine en septembre 1929 à l’occasion d’un grand remaniement gouvernemental à la faveur duquel Mussolini avait abandonné sept des huit ministères dont il avait assuré l’intérim. Il occupa ce poste jusqu’au 5 novembre 1933. À partir de mars 1930, des personnalités importantes du fascisme commencèrent à donner des conférences aux élèves de l’École navale royale, avec des titres tels que « La conception fasciste de l’État », « La question romaine et sa solution » et « Prémisses historiques à la marche sur Rome ». Ces actions se poursuivirent au cours des années suivantes38.
37En tant que ministre de la Marine, Sirianni montra toutefois qu’il n’était pas totalement en phase avec ce que souhaitait Mussolini, en particulier pour ce qui concernait les constructions navales. Sirianni préférait en effet les navires légers, les sous-marins et même les porte-aéronefs. Le chef du gouvernement avait, quant à lui, commencé à s’orienter vers la construction de grands cuirassés, après un discours prononcé le 10 mars 1929 dans lequel il avait déclaré : « Rappelons que la Marine est, en temps de paix, l’élément qui établit la hiérarchie des États », et cette hiérarchie est fortement conditionnée par le nombre de cuirassés39.
38Sirianni fut remplacé par Mussolini, qui a occupé le poste de ministre de la Marine jusqu’au 25 juillet 1943. Cependant, le 8 novembre 1933, il confia la gestion de la Marine à un officier qui avait le même profil que Sirianni, mais qui était plus conciliant dans ses relations avec lui, l’amiral de division Domenico Cavagnari qui, le 1er juin 1934, fut également nommé chef d’état-major de la Marine40.
39Cavagnari qui, comme Sirianni, n’était pas d’origine noble, a continué de faire référence aux gloires de la Rome antique lors du choix des noms des quatre grands bâtiments de combat qui furent mis en chantier sous sa direction : ils furent appelés Littorio, Roma, Impero (ce bâtiment ne fut jamais achevé), tandis que le quatrième a eu un nom cher aux combattants de la Première Guerre mondiale, Vittorio Veneto, la dernière grande bataille qui conduisit à l’effondrement de l’Autriche-Hongrie. C’est aussi à la période antique que remontent les noms des douze croiseurs légers de la classe des « capitaines romains », dont trois entrèrent en service pendant la guerre (Attilio Regolo, Pompeo Magno, Scipione Africano), et de deux sous-marins de transport de la classe « R » achevés en 1943, le Romolo et le Remo41.
40Le salut romain fut également introduit en certaines circonstances, ainsi que le pas romain de parade (semblable au « pas de l’oie » allemand). La « Preghiera del Marinaio » (Prière du marin) fut modifiée avec l’ajout de la phrase « Sauve-nous le Duce42 ». Enfin, des études furent lancées qui conduisirent en 1941 à la modification de l’emblème de la Regia Marina, en créant un écusson à quartiers portant les insignes des quatre anciennes républiques maritimes (Venise, Pise, Gênes et Amalfi), les armes de Savoie étant placées au-dessus, encadrées par les faisceaux des licteurs. Au-dessus des armoiries, une couronne, qui faisait référence aux gloires navales de la Rome antique43.
Défascisation et fin de la référence à la romanité
41Avec l’entrée de l’Italie dans la Seconde Guerre mondiale, le 10 juin 1940, jour de la fête de la Marine, ses forces armées se sont trouvées engagées sur plusieurs fronts. Face à la dégradation progressive de la situation des opérations de guerre, le roi fit arrêter Mussolini le 25 juillet 1943. Il nomma un nouveau gouvernement dirigé par le maréchal d’Italie Pietro Badoglio, et commença l’entreprise de défascisation de l’État et de ses forces armées, à tel point que la Regia Marina changea le nom de deux navires (le cuirassé Littorio44 est devenu Italia, et le contre-torpilleur Camicia Nera45 fut rebaptisé Artigliere46). Le contrecoup à l’intérieur de la Regia Marina, de l’Armée de terre et de l’Armée de l’air de la chute du fascisme fut assez modéré, car au cours des quelque vingt années pendant lesquelles Mussolini était au pouvoir la formule du serment prononcé par tous les militaires était restée la même que pendant la période précédente, et contenait la promesse d’être fidèle au roi et à ses successeurs, d’observer loyalement la Constitution et les autres lois de l’État dans « le seul but du bien inséparable du roi et de la Patrie ».
42Les références à l’histoire maritime et navale romaine ne sont pas nombreuses dans le discours mussolinien. Elles sont du moins plus rares que l’évocation des motifs ordinaires de la « romanité », notamment au travers des symboles choisis. Toutefois, ces références sont guidées par une double volonté : celle de poser l’Italie face aux puissances rivales du bassin méditerranéen d’une part, celle de marquer l’identité de la Marine italienne d’autre part. Le choix des hommes destinés à diriger cette institution aux fortes traditions confronta Mussolini à des personnalités marquées, moins malléables sans doute que le régime ne l’aurait souhaité. Les hommes qui se succédèrent jusqu’à la chute du fascisme surent en définitive marquer ponctuellement leur opposition aux options militaires ou techniques d’un chef de l’État cumulant de nombreuses fonctions, mais peu expert en questions maritimes. Quant aux hommes qui servirent dans la Regia Marina, ils furent soumis aux mêmes influences et au même endoctrinement que le reste de la société italienne, mais continuèrent à rester fidèles aux traditions de leurs prédécesseurs.
Notes de bas de page
1 Pantero Pantera, L’armata navale, Rome, Spada, 1614, p. 12.
2 Theodor Mommsen, Histoire romaine, Leipzig, Weidmann, 1854-1885.
3 Voir Jean-Marie Kowalski, « Origines antiques de l’idée de puissance maritime », dans M. Motte, H. Coutau-Bégarie (dir.), Approches de la géopolitique, de l’Antiquité au xxie siècle, Paris, Économica, 2013, p. 111-128. Carthage est explicitement désignée comme le double antique de Londres, tandis que Rome est représentée sous les traits d’une puissance continentale qui, devenue maritime, parvint à obtenir le succès là où Napoléon connut la défaite près de deux millénaires plus tard.
4 Voir Romke Visser, « Fascist Doctrine and the Cult of the Romanità », Journal of Contemporary History, 27/ 1, janvier 1992, p. 5-22.
5 Cette lecture de Mommsen (Storia di Roma antica, 3 vol., Rome/Turin, Roux et Viarengo, 1903-1905) est complétée pour l’histoire médiévale de Rome par l’œuvre de Ferdinand Gregorovius, Geschichte der Stadt im Mittelalter, Stuttgart, Cotta, 1859-1872. Mussolini cite par ailleurs les sources de son discours du 5 octobre 1926, au nombre desquelles figurent les publications les plus récentes. On y retrouve Gino Luzzatto (Storia del commercio, vol. I, Dall’Antichità al Rinascimento, Florence, Barbera, 1914), Francesco Corazzini (Storia della Marina militare italiana antica, Livourne, Raffaele Giusti, 1882), Ettore Pais (Storia critica di Roma durante i primi cinque secoli, 4 vol., Rome, Ermanno Loescher, 1913-1920), Guglielmo Ferrero et Corrado Barbagallo (Roma antica, 3 vol., Florence, Le Monnier, 1921), Gaetano De Sanctis (Storia dei Romani, vol. III.1-III.2 - L’età delle guerre puniche, Milan/Turin/Rome, Fratelli Bocca, 1916-1917), Augusto Köster (Das antike Seewesen, Berlin, Schoetz-Parrhysius, 1923), Augusto Vittorio Vecchi dit Jack La Bolina (Storia generale della Marina Militare, 2e éd. rev., corr. et augm., Livourne, Raffaele Giusti, 1895), Léon Homo (L’Italie primitive et les débuts de l’impérialisme romain, Paris, La Renaissance du livre, 1925), Ettore Pais (Ricerche sulla storia e sul diritto pubblico di Roma, Rome, Ermanno Loescher, 1915).
6 Voir Alessandra Argenio, « Il mito della romanità nel ventennio fascista », dans Benedetto Coccia, Il mondo classico nell’immaginario contemporaneo, Rome, Apes, 2008, p. 81-177.
7 Benito Mussolini, « Passato e avvenire », Il Popolo d’Italia, 21 avril 1922.
8 Voir Maurizio Brescia, Mussolini’s Navy, a Reference Guide to the Regia Marina, 1930-1945, Barnsley/Annapolis, Pen and Sword Books/Naval Institute Press, 2012.
9 Voir Benito Mussolini, Opera Omnia, vol. XII, Florence, La Fenice, 1953, p. 77.
10 Virgile, L’Énéide, I, 287.
11 Voir Benito Mussolini, Opera Omnia, vol. XXII, Florence, La Fenice, 1957, p. 114.
12 Voir Benito Mussolini, Roma antica sul mare, Mantoue, Paladino, 1927.
13 Rome mit ensuite en place selon lui un premier système de défense côtière et ses premières institutions navales.
14 Dispositif d’abordage qui prenait la forme d’une passerelle basculante destinée à relier le bateau assaillant au bateau attaqué.
15 Mussolini appuie ici son propos par une référence explicite à Augusto Vittorio Vecchi, officier de marine, proche de Garibaldi et figure du renouveau culturel consécutif à l’unité italienne. Voir Augusto Vittorio Vecchi (Jack La Bolina), Storia generale della Marina Militare, 2e éd. rev., corr. et augm., Livourne, Raffaele Giusti, 1895.
16 Mussolini mentionne cependant ici une liste d’événements dont il ne met aucun en relief : l’intervention de Germanicus sur le Rhin, la construction du nouveau port d’Ostie par l’empereur Claude, le périple de « l’Angleterre », c’est-à-dire de la Bretagne par une flotte de l’empereur Vespasien (il fait ici référence à l’expédition commandée par Agricola), la construction du port de Civitavecchia et l’amélioration de celui d’Ancône par Trajan, les victoires de Septime Sévère contre les Byzantins et de l’empereur Claude II contre les Goths. Cette bataille remportée à la fin du iiie siècle est l’événement le plus tardif mentionné par Mussolini.
17 L’Angleterre est une cible de choix, car elle constitue dans l’idéologie fasciste l’antithèse politico-économique de l’identité italienne. Voir Mariella Cagnetta, Antichisti e impero fascista, Bari, Dedalo Libri, 1979, p. 92-94.
18 Cela est particulièrement perceptible chez Ettore Pais, qui est l’un des inspirateurs du discours de Mussolini d’octobre 1926. Voir Ettore Pais, Roma dall’ antico al nuovo impero, Milan, Hoepli, 1938.
19 Augusto Vittorio Vecchi, op. cit., p. 49.
20 Vainqueur de la bataille des îles Égates, qui fait figure de « bataille décisive ».
21 Voir Renzo De Felice, Mussolini il rivoluzionario 1883-1920, Turin, Einaudi, 1965, p. 419‑544.
22 « Les problèmes de la mer ». Pour une anthologie des articles écrits par Mussolini dans le quotidien Il Popolo d’Italia entre novembre 1914 et novembre 1922, voir Renzo De Felice (dir.), Mussolni giornalista, Milan, Rizzoli, 1995, p. 87-365.
23 Cagni jouissait d’une certaine notoriété, parce qu’il avait accompagné comme officier d’ordonnance Louis Amédée de Savoie, duc des Abruzzes, dans ses expéditions en Alaska (1897), au pôle Nord (1899-1900) et en Afrique (1906). Voir Archivio dell’Ufficio Storico della Marina Militare (Ausmm, Archives du Service historique de la Marine), Biografie ufficiali, dossier C 1, fasc. 9 : « Cenni biografici sull’Ammiraglio d’Armata Umberto Cagni » (notices biographiques sur l’amiral d’armée Umberto Cagni).
24 « Pour une Italie maritime ».
25 Ces trois officiers s’étaient distingués pendant la Première Guerre mondiale lors d’opérations menées en Adriatique contre la marine austro-hongroise et avaient obtenu la Médaille d’or de la valeur militaire (Rizzo fut même décoré à deux reprises pour avoir torpillé et coulé le cuirassé garde-côte Wien et le dreadnought moderne Szent István) ; voir Ottorino Ottone Miozzi, Le Medaglie d’oro al valore militare, Rome, Ufficio Storico della Marina Militare, 1992, p. 164-165, 174-175, 180-181 ; Ausmm, Biografie ufficiali, dossier C 3, fasc. 10 : « Ammiraglio d’Armata Costanzo Ciano » ; ibid. dossier P 1, fasc. 22 : « Paolucci Raffaele di Nicola e di De Crecchio Rachele, nato il 1° giugno 1892 a Roma » ; ibid. dossier R 1, fasc. 21 : « Rizzo Luigi di Giacomo e di Greco Maria Giuseppe, nato l’8 ottobre 1887 a Milazzo ».
26 Afin de renforcer encore son pouvoir, Mussolini créa entre la fin de 1922 et le début de 1923 la Milizia Volontaria per la Sicurezza Nazionale (MVSN, Milice volontaire pour la sûreté nationale), connue comme les Chemises noires, une sorte de garde prétorienne dont les officiers avaient des grades inspirés de ceux en usage dans l’armée romaine (sous-chef de manipule, chef de manipule, centurion, senior, premier senior, consul, consul général, lieutenant général et lieutenant chef d’état-major). Son importance a cru au fil du temps au point de s’élever au rang de force armée. Pour plus d’informations sur son organisation et son activité opérationnelle, voir Giorgio De Vecchi, Storia delle unità combattenti della M.V.S.N. 1923-1943, Rome, Volpe, 1976.
27 Voir Ausmm, Biografie ufficiali, dossier T 31, fasc. 8 : « Thaon di Revel Paolo Camillo figlio di Ottavio e di De Chermont di Vars Carolina nato il 10 giugno 1859 a Torino Provincia di Torino ». Pour le ministère de la Guerre, Mussolini choisit un officier lié à la période finale victorieuse de la Grande Guerre, le général Armando Diaz.
28 L’incident fut réglé par la diplomatie, la Grèce ayant versé une indemnité aux familles des morts et rendu les honneurs au drapeau italien le 19 septembre dans la baie de Phalère où se rendirent huit bâtiments de la Regia Marina. Les Italiens évacuèrent quant à eux Corfou entre le 24 et le 29 septembre. Voir Ausmm, Raccolta di base, dossier 1669 : télégramme du vice-amiral Emilio Solari au ministère de la Marine, expédié de Corfou le 3 septembre 1923, avec n. di prot. 34038 ; ivi 1667 : télégramme du ministre de la Marine Paolo Thaon di Revel au vice-amiral Emilio Solari envoyé de Rome le 20 septembre 1923, avec numéro 39334. Pour plus de détails voir James Barros, The Corfu Incident of 1923, Princeton, Princeton University Press, 1965 et Tommaso Argiolas, Corfù 1923, Rome, Volpe, 1973.
29 Quelque deux ans plus tard, Mussolini changea d’avis et il distingua la charge de chef d’état-major de l’Armée de terre de celle de chef d’état-major général. Cette dernière pouvait également être assumée par des officiers généraux des autres armées.
30 Propos rapportés par Giorgio Giorgerini, Da Matapan al Golfo Persico. La Marina militare italiana dal fascismo alla Repubblica, Milan, Mondadori, 1989, p. 202-203.
31 Sirianni s’était signalé à plusieurs reprises au cours de sa carrière : pendant la révolte des Boxers en Chine en 1900-1901, au cours de la guerre de Libye en 1911-1912 et dans le premier conflit mondial, en obtenant deux promotions pour ses mérites au combat, deux médailles d’argent de la valeur militaire, trois croix du mérite de guerre, et la nomination comme chevalier puis officier de l’ordre militaire de Savoie. Voir Ausmm, Biografie ufficiali, dossier S 2, fasc. 10 : « Contrammiraglio Sirianni Giuseppe ». Pour d’autres notices biographiques, voir Ernesto Pellegrini, Giuseppe Sirianni ministro della Marina (1874-1955), Rome, Ufficio Storico della Marina Militare, 2004.
32 Cette dénomination fait référence à Giovan Battista Perasso, surnommé « Balilla ». Selon la tradition, ce jeune homme originaire de Gênes commença en 1746, pendant la guerre de Succession d’Autriche, le soulèvement populaire contre l’occupant autrichien en jetant une pierre contre des soldats.
33 Cette répartition par groupes d’âge concernait aussi les jeunes filles, qui commençaient « filles de la louve » (de 6 à 8 ans), puis « petites Italiennes » (de 9 à 13 ans) et enfin « jeunes Italiennes » (de 14 à 18 ans). Des cours de gestion du foyer et de puériculture leur étaient réservés.
34 En outre, en 1937, afin de diffuser dans la jeunesse un engouement pour les activités maritimes et militaires, et fournir aux jeunes une préparation pour qu’ils deviennent à l’avenir officiers de la Regia Marina, furent inaugurés à Venise et à Brindisi deux « Collèges navals de la jeunesse italienne du licteur ». Ces deux écoles fournissaient une instruction semblable à celle des lycées scientifiques et des lycées classiques. Voir Andrea Tirondola, Pale a prora!, Vicenca, Edibus, 2012.
35 Il n’a pas non plus hésité à mettre en avant des personnages nés dans divers états qui se trouvaient dans la péninsule italienne au Moyen Âge, à l’époque moderne et à la Renaissance, qui se sont signalés dans les domaines militaire, de la navigation, de la science et des lettres, et leurs noms furent également donnés à de nouveaux navires de guerre et sous-marins.
36 Pour les unités de surface les plus grandes, sur les côtés de la tourelle basse arrière, et pour les plus petits bâtiments, sur le côté gauche du pont arrière ou sur l’avant de la tourelle basse arrière. Sur les sous-marins, il se trouvait sur le côté gauche du kiosque.
37 Voir Gino Galuppini, Storie di una Marina che non c’è più, vol. I, Rome, Ufficio Storico della Marina Militare, 2000, p. 433-444.
38 Voir Aldo Santini, Livorno ammiraglia, Livourne, Belforte, 1981, p. 183.
39 Propos cités par Giorgio Giorgerini, op. cit., p. 252.
40 Pour son action au cours de la Première Guerre mondiale, Cavagnari avait obtenu une promotion pour mérites de guerre, trois médailles d’argent de la valeur militaire, une croix du mérite de guerre, et il fut nommé chevalier de l’ordre militaire de Savoie. Voir Ausmm, Biografie ufficiali, dossier C 2, fasc. 26 : « Ammiraglio d’Armata Domenico Cavagnari ».
41 Voir Franco Bargoni, Tutte le navi militari d’Italia 1861-2011, Rome, Ufficio Storico della Marina Militare, 2012, p. 29-30, 124, 134, 211, 225, 228, 244.
42 « Salvaci il Duce ». Cette prière, écrite par le poète Antonio Fogazzaro, avait commencé à être diffusée à bord des bâtiments de la Regia Marina au début du xxe siècle et a subi plusieurs changements au fil du temps. La version de 1938 comportait les termes suivants : « À toi, grand Dieu éternel, Seigneur du Ciel et de l’abîme, à qui obéissent les vents et les vagues, nous, hommes de mer et de guerre, officiers et marins d’Italie, de ce navire sacré armé par la Patrie, élevons nos cœurs ! Sauve et exalte, dans la foi en Toi, ô grand Dieu, notre Nation ; sauve et exalte le Roi, sauve-nous le Duce. Donne juste gloire et puissance à notre Drapeau, commande que les tempêtes et les flots lui soient soumis, fais que l’ennemi en ait peur, fais que toujours des poitrines de fer l’entourent pour le défendre, plus fortes que le fer qui entoure ce navire, et donne-lui toujours la victoire. Bénis, Seigneur, nos lointaines maisons, les gens qui nous sont chers. Bénis à la nuit tombante le repos du peuple, bénis-nous pour que, pour cela, nous puissions veiller en armes sur la mer ! Bénis sois-Tu ! » Voir Gino Galuppini, La Preghiera del Marinaio, Rome, Ufficio Storico della Marina Militare, 1987, p. 116-119.
43 Voir Gino Galuppini, Storie di una Marina che non c’è più, vol. I, Rome, Ufficio storico della Marina militare, 2000, p. 446-460. Dans la Regia Marina, le port de la chemise noire, vêtement distinctif des fascistes, était prévu à partir de 1937 pour les seuls élèves officiers complémentaires du cours préliminaire naval, qui étaient à l’origine des étudiants de l’université. Il faut en outre rappeler que même dans la Regia Marina, comme dans toutes les administrations de l’État italien, furent appliquées les dispositions prises à la fin de l’année 1938 relatives à la discrimination des citoyens d’origine juive, de sorte que nombre d’excellents officiers furent congédiés. Ils furent presque tous rappelés au service après la chute du fascisme.
44 Licteur.
45 Chemise noire.
46 Artilleur. Voir Franco Bargoni, op. cit., p. 27, 47, 127, 134.
Auteurs
Accademia Navale di Livorno
Marco Gemignani : diplômé avec les félicitations de l’université de Pise, est docteur en histoire militaire de l’université de Padoue. Maître de conférences depuis dix-neuf ans, il enseigne l’histoire navale à l’école navale italienne (Livourne). Il est l’auteur de plus d’une centaine de publications scientifiques et a présenté quelque quatre-vingt-dix communications. Il est membre de la Société d’histoire militaire italienne depuis 1994.
Paris 4-FED 4124, École navale
Jean-Marie Kowalski : maître de conférences en histoire ancienne à l’université Paris 4-Sorbonne. Il enseigne l’histoire maritime et l’éthique militaire à l’École navale. Ses travaux portent principalement sur la navigation et la représentation des espaces maritimes en Grèce ancienne, mais aussi sur l’histoire des opérations navales. Sa thèse a été publiée sous le titre Navigation et géographie dans l’antiquité gréco-romaine (Paris, Picard, 2012).
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