Chapitre 8. Vérité, science, pouvoir
p. 131-159
Note de l’éditeur
Version remaniée de la communication « Foucault, historien des sciences ? Les cours au Collège de France et le remaniement de l’épistémologie historique », faite lors du colloque « Foucault au Collège de France : une aventure intellectuelle et éditoriale », Centre culturel international de Cerisy, 11-18 juin 2015. Une version plus courte de ce texte a paru sous le titre « Vérité, science, pouvoir. Michel Foucault, historien des sciences au Collège de France » dans la revue French Forum, 43/1, 2018, p. 131-146.
Texte intégral
1Dans cet ultime chapitre, je propose un exercice à la Perec : peut-on retracer, uniquement à partir des cours au Collège de France de Foucault, une perspective de long terme sur sa façon de questionner les rapports entre la vérité, la science et le pouvoir ?
2Isoler les cours dans la production intellectuelle de Michel Foucault, c’est courir le risque d’insulariser un type spécifique de recherche, de découper un peu arbitrairement une forme ouverte d’expérimentation labile dans l’épaisseur d’un corpus aux multiples recouvrements. Mais c’est aussi l’opportunité de recomposer, sur ce territoire balisé de la parole professorale, les nervures les plus significatives d’un travail cognitif en mouvement, d’une pensée qui ne cesse de vouloir échapper à elle-même et à son propre enfermement. L’exercice relève du jeu des contraintes : dégager le type d’analyse des pratiques de connaissance que Foucault donne à voir dans ce qui a été son exercice professoral le plus continu. Dans le vaste ensemble de leçons prononcées de 1970 à 1984, je voudrais dégager les saillances d’une réflexion que Foucault organise autour des sciences, des savoirs et de leur historicité. Ce détourage serait purement discrétionnaire s’il ne venait se superposer au projet même de la chaire que le philosophe occupe à partir de 1970. Dans sa leçon inaugurale, Foucault précise ainsi la façon dont il compte engager son travail sur les « systèmes de pensée » (l’intitulé de la chaire qu’il occupe) :
Voici l’hypothèse que je voudrais avancer, ce soir, pour fixer le lieu – ou peut-être le très provisoire théâtre – du travail que je fais : je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée, redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité1.
3Mais pour ce faire, Foucault entend rendre compte des conditions matérielles, politiques, économiques, scientifiques et épistémologiques de ce partage entre les savoirs. Il précise ainsi qu’il étudiera aussi bien « la contrainte de la vérité2 » que son « support institutionnel », c’est-à-dire les livres, les bibliothèques, « les sociétés savantes autrefois, les laboratoires aujourd’hui ». Ce programme, il entend le mettre en œuvre en singularisant sa démarche par rapport à l’histoire : il ne veut pas se concentrer sur les « représentations qu’il peut y avoir derrière les discours3 », mais sur la mise en série des discours. L’écart qui se creuse entre l’évènement, comme pur hapax, et cette cumulation discursive, Foucault l’envisage comme le surgissement du « hasard », du « discontinu » et de la « matérialité4 ». C’est donc en tenant compte des programmes épistémologiques en cours – et l’on distingue sans peine dans le propos de Foucault le rejet d’un positivisme froid et l’intérêt pour l’histoire sociale des Annales – que Foucault s’engage dans son enseignement. Recomposer ce parcours épistémologique, c’est affronter au moins trois questions. D’abord, il s’agit de saisir la façon dont le philosophe entend constituer un cadre méthodologique propre à rendre compte des évolutions des façons de connaître. Ensuite, il faut détailler cette opération de tri dans l’épaisseur des savoirs produits, que Foucault repère comme une pierre de touche de son programme dès sa leçon inaugurale. Enfin, il est indispensable de recomposer les nuances de l’ajustement entre l’agir et le connaître dont le philosophe ne cesse d’ausculter les formes historiques.
Un foisonnement méthodologique
4Évoquant la manière dont Michel Foucault travaillait la question de sa propre méthodologie dans ses cours au Collège de France, Guillaume Bellon suggère que le philosophe ne s’est promis aucune méthode spécifique pour engager ses recherches, qu’il n’a pas – contrairement à Roland Barthes – exposé dans un geste liminaire les points d’appui qui seraient les siens pour ensuite déplier des champs problématiques spécifiques5. Ainsi la mobilisation de l’archéologie et de la généalogie (et leur possible articulation) serait-elle « oblique » ou « incidente6 ».
5Lorsqu’on relève dans les cours les fragments épars d’un discours sur les savoirs, les sciences et leur histoire, la question de la méthode, pourtant, ne cesse de faire retour. Michel Foucault cherche à plusieurs reprises à qualifier les catégories d’analyse qu’il emploie, à leur donner une chair conceptuelle suffisante pour rendre compte d’évolutions au long cours. C’est dans cet entêtement à vouloir dire non pas ce qu’est la connaissance ou le savoir, mais ce que sont les actes qui mènent à des partages entre la science et d’autres discours, que le philosophe puise les ressources d’une approche méthodologique jamais sereine. Car c’est sous l’empire d’une intranquillité théorique permanente que Foucault entend étudier les savoirs, comme s’il redoutait de devoir stabiliser une fois pour toutes son approche, de solidifier le socle à partir duquel il pourrait déployer ses analyses. Et pourtant, un certain ordre se donne à voir, progressivement, dans la lente construction des cours. On peut esquisser une série d’étapes, qui sont autant de scansions dans la manière d’envisager les discours et les pratiques relatifs aux savoirs et aux sciences dans leur construction historique. Cette évolution suit en fait ce que j’appellerai une diagonale pointilliste, qui fait retour vers un matériau conceptuel éprouvé et toujours mobilisé.
6Dans son cours de 1971-1972, consacré aux théories et institutions pénales, Foucault propose un schéma théorique qui rend compte du passage des sciences (comme savoirs relativement autonomes) à l’articulation savoir/pouvoir. Il insiste sur le fait que l’exploitation des savoirs produits par les intellectuels s’est toujours doublée d’un travail de dissimulation de cette extraction contrainte. L’une des procédures les plus significatives de cette duplicité réside dans la séparation entre science et technique, « savoir empirique et connaissance scientifique7 ». La « césure » entre les deux masque un ensemble de pratiques prédatrices de savoirs. Et Foucault d’assurer que « la notion de coupure épistémologique comme seuil de scientificité est peut-être la transposition de ce masquage8 ». Ce faisant, le philosophe reprend un motif bachelardien sur la « rupture entre la connaissance sensible et la connaissance scientifique9 » en même temps qu’il critique l’interprétation althussérienne d’un Marx passant d’une perspective « idéologique » à une perspective « scientifique10 ». Le mouvement qu’opère ici Foucault est celui d’une inscription dans l’ordre des discussions qui lui sont contemporaines. Inscription sceptique, inscription en faux, pourrait-on dire, mais inscription tout de même. Autrement dit, dans cette définition d’un schéma historique ample de développement des savoirs, le philosophe s’emploie à discuter les thèses de son temps. Il intègre les méthodologies bachelardienne et althussérienne dans le chronotope des façons de connaître, qu’il dresse en un geste rapide. Il ne discute pas les thèses de Bachelard et d’Althusser, il les absorbe dans le grand mouvement dont il entend rendre compte, celui qui a amené la séparation de la science et de la technique. Voilà donc une méthode en acte. Non point discuter pied à pied les propositions contemporaines, mais leur trouver une place (dût cette place être critiquée) dans un ordre des savoirs qu’il convient encore, à l’aube de l’enseignement au Collège de France, de préciser. Foucault a répété ce geste intégrateur, toujours dans ce cours « Théories et institutions pénales », à propos des « matrices épistémologiques11 ». Le philosophe cherche à saisir le processus par lequel on passe « des sciences » à « de grands types de pratiques discursives », par « l’intermédiaire des “matrices épistémologiques”12 ». S’il ne rappelle pas ici son propre travail sur les épistémaï, Foucault fait toutefois clairement référence aux nappes cohérentes de discursivité qui impliquent un rapport de savoir globalement aligné sur des schémas historiques identifiables. En évoquant les « matrices épistémologiques », le philosophe semble faire référence aux travaux du célèbre historien des sciences Thomas Kuhn, auteur de La structure des révolutions scientifiques. Dans cet ouvrage séminal pour les études sociales des sciences, Kuhn propose le concept de paradigme qui désigne un « ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques […] communes aux membres d’un groupe donné13 ». Le paradigme ordonne non l’action d’une discipline ou d’un domaine particulier du savoir mais un ensemble fini de savants14. Le paradigme, comme concept dynamique, envisage des moyens de résoudre des problèmes précis et s’incarne dans la transformation de matrices disciplinaires (terme que Kuhn préfère à théorie15). Ces dernières, susceptibles d’entraîner un large accord de la part des scientifiques, sont composées d’éléments très hétérogènes : généralisation symbolique, modélisation commune, valeurs (e. g. cohérence, simplicité, élégance). Même si Kuhn réfère aux disciplines, il note que les matrices qui font l’objet, dans le cas d’une science normale, d’un consensus relatif, ne se bornent pas à des domaines précis du savoir et de la pratique scientifique. Michel Foucault a lu La structure des révolutions scientifiques « au cours de l’hiver 1963-1964 (une année […] après sa publication) » alors qu’il venait « de finir d’écrire Les mots et les choses16 ». Il n’a jamais clairement précisé ce qu’il a retiré de cette lecture ; mais on peut penser, avec cette mention des « matrices épistémologiques » capables de cristalliser les sciences en pratiques discursives généralisées, qu’il réinterprète ici la proposition kuhnienne d’un rassemblement d’entités disparates constituant le fonds commun des manières de connaître à une époque donnée. Aussi Michel Foucault réitère ce qu’il a déjà fait avec les propositions de Bachelard et d’Althusser, il replace les propositions théoriques de son temps dans un ordre d’intelligibilité nouveau qu’il s’efforce de construire. C’est en quelque sorte le premier moment d’une méthodologie toujours à venir, puisque toujours capable d’intégrer les outils conceptuels susceptibles de rendre compte de l’évolution des façons de faire de la science ou de construire des catégories de savoirs.
7Cependant, dès 1976, le philosophe en vient à reconsidérer les instruments de connaissance qu’il a déjà forgés, l’archéologie et la généalogie. Dans le cours intitulé « Il faut défendre la société », Foucault s’astreint à affiner ces deux concepts. Alors qu’il entame un cycle d’enseignement qui le mènera jusqu’à Naissance de la biopolitique et au cours duquel il explorera la prise du pouvoir politique non plus sur les corps (comme il l’avait montré dans Surveiller et punir) mais sur les populations dans leur ensemble, le philosophe entreprend une évaluation rétrospective de l’archéologie, de la généalogie et de leur puissance heuristique :
La généalogie, ce serait donc, par rapport au projet d’une inscription des savoirs dans la hiérarchie du pouvoir propre à la science, une sorte d’entreprise pour désassujettir les savoirs historiques et les rendre libres, c’est-à-dire capables d’opposition et de lutte contre la coercition d’un discours théorique unitaire, formel et scientifique. La réactivation des savoirs locaux – « mineurs », dirait peut-être Deleuze – contre la hiérarchisation scientifique de la connaissance et ses effets de pouvoir intrinsèques, c’est cela le projet de ces généalogies en désordre et en charpie. Je dirais en deux mots ceci : l’archéologie, ce serait la méthode propre à l’analyse des discursivités locales, et la généalogie, la tactique qui fait jouer, à partir de ces discursivités locales ainsi décrites, les savoirs désassujettis qui s’en dégagent. Cela pour restituer le projet d’ensemble17.
8À ce moment précis, l’archéologie est un concept déjà ancien dans l’œuvre de Foucault. Émergeant dès Naissance de la clinique, sous-titré Une archéologie du regard médical, en 1963, l’archéologie vise à saisir les coupes profondes dégageant les conditions d’émergence, pour une époque précise, du savoir. Appui méthodologique fécond, elle constitue un outil puissant pour discerner davantage que des cohérences entre discours, une coalescence générale des façons d’envisager le monde, de le décrire et de l’expliquer, jusques et y compris dans les contradictions qui peuvent naître des débats scientifiques.
9On ne peut donc pas être surpris, dix ans après la parution de l’ouvrage Les mots et les choses, de voir resurgir une méthodologie éprouvée. Foucault entend réinvestir continûment ses conceptualisations passées ; il note en particulier que l’histoire des sciences n’est pas suffisante pour rendre raison de cette configuration spécifique des rapports savoir/pouvoir qui l’occupe pendant l’année 1976. Le biopouvoir dont le philosophe retrace la formation à l’époque moderne a partie liée avec la maîtrise d’un corps de connaissances spécifiques, attachées en particulier à l’administration de l’État et susceptibles de fournir les instruments d’une surveillance des populations. Foucault précise donc en ces termes l’avantage méthodologique que représente la généalogie :
Ce qui distingue ce qu’on pourrait appeler l’histoire des sciences de la généalogie des savoirs, c’est que l’histoire des sciences se situe essentiellement sur un axe qui est, en gros, l’axe connaissance-vérité, ou, en tout cas, l’axe qui va de la structure de la connaissance à l’exigence de la vérité. Par opposition à l’histoire des sciences, la généalogie des savoirs se situe sur un axe qui est autre, l’axe discours-pouvoir ou, si vous voulez, l’axe pratique discursive-affrontement de pouvoir18.
10La généalogie est également constituée en concept au moment où Foucault explique son programme à partir de l’ouvrage Les mots et les choses. Comme généralisation méthodologique permettant d’embrasser l’ensemble des mouvements discursifs, elle fait signe vers les savoirs que Foucault nomme « désassujettis ». Dans le cours du 7 janvier 1976, le philosophe précise encore cette manière de considérer la fragmentation des savoirs, et la hiérarchie à laquelle ils sont assignés et dont il faut rendre compte : « Appelons, si vous voulez, “généalogie” le couplage des connaissances érudites et des mémoires locales, couplage qui permet la constitution d’un savoir historique des luttes et l’utilisation de ce savoir dans les tactiques actuelles 19. » Ce savoir local, assujetti, dominé, n’est saisissable que par une méthode qui réfute à la fois l’empirisme et le positivisme20. Foucault poursuit : « Il s’agit, en fait, de faire jouer des savoirs locaux, discontinus, disqualifiés, non légitimés, contre l’instance théorique unitaire qui prétendrait les filtrer, les hiérarchiser, les ordonner au nom d’une connaissance vraie, au nom des droits d’une science qui serait détenue par quelques-uns. […] Les généalogies ce sont, très exactement, des anti-sciences », capables de résister à certains « effets centralisateurs du pouvoir21 ».
11La généalogie est probablement la méthodologie qui, comme Judith Revel l’a relevé, s’est le plus continûment imposée à Foucault dans ses recherches, « depuis les premiers textes (avant que le concept de généalogie ne commence à être employé) jusqu’aux derniers textes22 ». Le projet nietzchéen est d’abord, pour Foucault, un renoncement, celui de la « quête » des origines. Analyse dédalique, déambulation curieuse dans l’effervescence des événements historiques comme dans les atonies les plus discrètes23, la généalogie signale l’« irruption24 » et la soudaine visibilité d’éléments jusque-là tus, invisibles ou opaques. La méthode ainsi construite appelle des applications diverses, des « valeurs » à « l’ascétisme », de « la morale » à la « connaissance25 ».
12L’archéologie, dont le philosophe ne fait pas usage dans le cours « Il faut défendre la société » (en dehors donc de cette mention comparative avec la généalogie), n’est en fait qu’une opération première, celle par laquelle les savoirs sont perçus dans leur localisation la plus élémentaire. Elle est ici décrite comme la quête patiente des connaissances dispersées, désarticulées aussi, jamais venues sous cette forme à la conscience de ceux qui les produisent. La généalogie, par contraste, fait apparaître les saillances, les points de compression de savoirs qui paraissent réfractaires à l’ordre général dans lesquels ils devraient se ranger.
13Foucault ne cessera jamais de vouloir rompre avec une certaine histoire des sciences, précisément parce qu’il détectera dans le positivisme d’une démarche qui se donne pour objectif de dresser la chronologie des découvertes scientifiques, l’impossibilité méthodologique d’une saisie plus globale des conditions de possibilité d’un ensemble de discours et de pratiques découpant certaines portions du monde en objets d’étude. En 1980, dans une conférence à l’université de Berkeley, alors qu’il travaille sur un cycle de recherches relatives à l’émergence du sujet, Foucault ressaisit l’ensemble des méthodologies qu’il s’efforce de mettre en œuvre pour nourrir ses enquêtes :
[…] je ne cherche pas à faire une histoire des sciences en général, mais seulement de celles qui se sont efforcées de construire un savoir scientifique du sujet. […] je ne cherche pas à mesurer la valeur objective de ces sciences, ni à savoir si elles peuvent devenir universellement valides. C’est la tâche d’un historien de l’épistémologie. Au lieu de cela, je travaille à une histoire des sciences qui est, d’une certaine façon, une histoire régressive, qui s’efforce de mettre au jour les pratiques discursives, institutionnelles et sociales d’où ces sciences sont sorties ; ce serait une histoire archéologique. Enfin […] ce projet s’efforce de mettre au jour le moment où ces pratiques sont devenues des techniques cohérentes et réfléchies avec des objectifs définis, le moment où un discours particulier est sorti de ces techniques et en est venu à être tenu pour vrai […]26.
14On le voit, l’archéologie et la généalogie restent, jusqu’à l’orée des années 1980, des concepts fondamentaux pour Foucault. Ils construisent sa méthodologie générale pour investiguer les pratiques et les discours de connaissance. En les réarticulant, dans un principe dialectique, le philosophe ne cherche pas à maintenir à tout prix une cohérence générale de son œuvre, dont on sait depuis la fameuse préface de L’archéologie du savoir qu’elle lui importe peu. En revanche, Foucault se montre sensible, dans ses cours au Collège de France, au maintien d’un certain format méthodologique, celui–là même qui lui permet de passer du biopouvoir au sujet, de la volonté de savoir à la société punitive. Le projet évite en fait deux grands massifs heuristiques. D’une part, on l’a dit, le philosophe s’éloigne de l’histoire des sciences positiviste et internaliste, qui fait du cours général des pratiques de connaissance la lente maturation d’un progrès toujours en mouvement. D’autre part, Foucault après avoir mentionné Kuhn au début de son enseignement, semble s’écarter assez nettement d’une histoire sociale et culturelle des sciences27 dont on peut situer les débuts dans les années 1930 avec les travaux de Boris Hessen sur la science bourgeoise de Newton et qui se poursuit – sous une forme très différente – dans les départements anglo-saxons de science studies, dès les années 1970.
15Finalement, et c’est l’ultime déplacement auquel procède Foucault dans son cours au Collège de France pour aborder la question des savoirs et des sciences, c’est la problématique des régimes de vérité qui le préoccupe le plus d’un point de vue méthodologique. La condition de possibilité d’un discours scientifique est à chercher, explique le philosophe, dans la force séparatrice du vrai. Foucault distingue, dans son enseignement sur le gouvernement des vivants en 1979 et 1980, deux sortes de « vrai » : « Il y a d’une part le principe que le vrai est index sui, c’est-à-dire […] que seule la vérité peut montrer légitimement le vrai […] », et d’autre part, la vérité n’est pas « détentrice des droits qu’elle exerce sur les hommes […]. Ce n’est pas la vérité qui, en quelque sorte, administre son propre empire, qui juge et sanctionne ceux qui lui obéissent et ceux qui lui désobéissent28 ».
16Ce n’est donc pas le principe de véridiction qui contraint les hommes ; il n’existe pas d’évidence du vrai qui dominerait hors de toute contrainte sociale ou politique les actions humaines. Ce qui ne veut pas dire que le vrai soit une catégorie relative, que la force de la vérité soit conditionnée à une pure indexicalité des jugements locaux. Comme l’a parfaitement montré Philippe Chevallier, Foucault prend très explicitement ses distances avec un « certain relativisme issu des travaux sur l’histoire des découvertes scientifiques des années 1950-1970 […]29 ». On a parfois fait le procès à Foucault de ne pas distinguer la vérité d’un type scientifique des autres formes de véridiction. Rien n’est plus faux que cette affirmation hâtive qui minore l’apport essentiel du philosophe dans cette refondation méthodologique. En distinguant le vrai de son administration, la puissance séparatrice de la vérité (ce « jeu du vrai et du faux30 »), Michel Foucault considère au contraire les spécificités d’un dire-vrai scientifique qui ne s’oppose pas nécessairement à d’autres formes de dire-vrai, mais qui prend place dans un espace épistémique plus vaste configuré différemment selon les époques.
17Ce qui oblige à repenser la force disruptive de la vérité, c’est « l’affirmation », au principe de tous les raisonnements faisant intervenir le vrai d’un « si c’est vrai donc je suis lié31 ». Le « donc », dit Foucault, « n’est pas un “donc” logique, il ne peut reposer sur aucune évidence32 ». Et c’est précisément lorsqu’on affronte l’historicité du dire-vrai scientifique que ce « donc » inclinant le raisonnement vers son point de dessaisissement, ce nœud argumentatif où celui qui reconnaît la vérité d’une procédure, d’une observation, d’un acte ou d’une pratique abdique sa propre capacité d’énonciation. L’enjeu méthodologique est ici d’importance, puisqu’il s’agit de considérer la véridiction dans sa puissance d’alignement des raisonnements, dans sa force intrinsèque de contrainte. Et Foucault entend bien faire de cette réflexion sur les régimes de vérité un levier pour l’analyse. Le « c’est vrai, donc je suis lié » n’est pas une « évidence », même si dans le cas de la logique des sciences,
ce « donc » va tellement de soi qu’il est comme transparent et qu’on ne se rend pas compte de sa présence, il n’en reste pas moins qu’avec un peu de recul et quand on prend justement la science comme un phénomène historique, le « c’est vrai donc, je m’incline » devient beaucoup plus énigmatique, beaucoup plus obscur. […] dans ce « tu dois » de la vérité, il y a quelque chose qui ne relève pas de la vérité elle-même, dans sa structure et dans son contenu. Le « tu dois » interne à la vérité, le « tu dois » immanent à la manifestation de la vérité, c’est là un problème que la science en elle-même ne peut pas justifier et reprendre en compte. Ce « tu dois » est un problème, un problème historico-culturel […]33.
18Les grandes lignes d’une méthode pour constituer une histoire de la vérité scientifique sont donc tracées34. L’analyse doit porter sur le verrouillage des procédures du dire-vrai, sur ce moment où le lien entre un énoncé et sa capacité à dominer le raisonnement d’un chercheur devient une évidence. Foucault ne renonce donc pas au principe d’une vérité savante qui exclut le faux ; mais il cherche à rendre compte d’autre chose, de cette force du probatoire qui reconfigure les rapports socio-épistémiques, agrège les individus, fonde des communautés de recherche, valide des procédures cognitives et expérimentales. Surtout, le philosophe place cette proposition méthodologique sous le signe d’une généalogie, d’une histoire au long cours. Il n’entreprendra pas lui-même cette histoire de la vérité scientifique, se concentrant sur d’autres procédures du dire-vrai, comme la parrêsia. Mais il a offert un espace d’analyse qui, tout en prenant acte d’une capacité productive de la vérité scientifique, laisse la place à une histoire de ses configurations successives. Il s’agit là d’un problème suraigu qui agite l’histoire et la sociologie des sciences depuis les années 1930, régulièrement posé à partir d’une dichotomie abrupte que Foucault, précisément, récuse, celle du doublet positivisme/relativisme. En s’extrayant de ce piège méthodologique, le philosophe peut repenser à nouveaux frais la place des pratiques scientifiques dans l’ordre de la modernité ; il peut déplacer le raisonnement historique vers la pluralité des modalités du dire-vrai. Foucault poursuit ainsi, toujours dans le cours « Du gouvernement des vivants » :
[D]’une façon générale, qu’est-ce que la science, la science au singulier ? Y a-t-il un sens à mettre à ce mot de science au singulier ? […] [M]ais si on pose la question en termes de régime de vérité, je crois qu’il est légitime, en effet, de parler de la science. La science, ça serait une famille de jeux de vérité qui obéissent tous au même régime, même s’ils n’obéissent pas tous à la même grammaire, et ce régime de vérité bien spécifique, bien particulier, c’est un régime dans lequel le pouvoir de la vérité est organisé de façon que la contrainte y soit assurée par le vrai lui-même. […] Et à partir de là, je crois, il faut bien comprendre que la science n’est que l’un des régimes possibles de vérité et qu’il y en a bien d’autres. Il y a bien d’autres façons de lier l’individu à la manifestation du vrai, et de le lier à la manifestation du vrai par d’autres actes, avec d’autres formes de lien, selon d’autres obligations et avec d’autres effets que ceux qui sont définis par la science, par exemple, l’auto-indexation du vrai. Régimes très nombreux dont certains ont une proximité d’histoire et de domaine avec les régimes scientifiques proprement dits, par exemple entre la chimie et l’alchimie35.
19Foucault ne dénie pas aux pratiques scientifiques de véridiction leur spécificité – au contraire, il leur ménage un espace épistémique relativement autonome. Mais il replace les procédures du dire-vrai savant dans l’ensemble des façons d’aborder la vérité et de constituer des séparations entre le vrai et le faux. La science n’est pas le seul domaine dans lequel la vérité vient produire des effets de rupture, de rejet, de disqualification, de gradation ou de hiérarchie. Foucault n’attribue pas à la science la forme matricielle des régimes de véridiction. Il s’emploie justement à distinguer les types de vérité, mais n’entend pas produire une échelle des valeurs du dire-vrai ; il reconnaît simplement qu’il y a des « régimes de vérité qui sont très cohérents, très complexes, et qui sont fort éloignés du régime scientifique d’auto-indexation du vrai […]36 ». Ce sont d’ailleurs ces régimes très différents des pratiques scientifiques du dire-vrai dont il veut rendre compte dans son cours.
20Même si ces précisions méthodologiques sont cantonnées à l’introduction du cours et même si elles ne donnent pas lieu à des développements historiques plus fournis, elles n’en restent pas moins des indications précieuses pour constituer une méthodologie d’un autre genre pour l’histoire des sciences. Repoussant les écueils d’un positivisme qui fait de la vérité un élément transhistorique et le relativisme qui prône, au contraire, une indexicalité maximale des opérations de connaissance, Michel Foucault propose une refondation complète de l’approche historique des manières de faire science. En s’attachant à reconsidérer la procédure centrale des savoirs, i. e. l’administration de la vérité, le philosophe propose un élargissement du socle épistémique. La science est maintenue, en tant qu’ensemble de procédures liant les acteurs à un dire-vrai, dans une tension constructive entre des configurations épochales variables et un impératif d’alignement sur la véridiction.
21Michel Foucault a donc proposé trois méthodes pour restituer l’évolution des sciences. Il a donc d’abord, au début des années 1970, discuté les positions de ses contemporains, notamment Thomas Kuhn. Par la suite, il s’est efforcé d’épaissir le trait des deux grands concepts qu’il avait précédemment éprouvés, l’archéologie et la généalogie, en reconsidérant les possibilités de leur articulation. Enfin, à partir de la fin des années 1970, il a ouvert la voie à une histoire des véridictions qui replace les pratiques scientifiques dans l’ensemble plus vaste des procédures mobilisant le dire-vrai. Finalement, Foucault a accompli le programme qu’il s’était fixé dans sa leçon inaugurale. Même si, pour une part, ces plans méthodologiques n’ont pas été formellement mis en œuvre pour comprendre l’historicité des manières de faire science, il n’en reste pas moins que ce sont bien les découpages envisagés en 1970 qui apparaissent dans la succession des cours au Collège de France. Il n’est pas suffisant d’y voir le respect d’une parole inaugurale ou la fidélité à un ancrage épistémologique princeps. Pour comprendre comment ce programme initial s’est trouvé tout à la fois défendu et partiellement mis en œuvre, il nous faut questionner – sur un mode plus fragmentaire encore – les grandes coupures historiques dans l’ordre des savoirs scientifiques que Foucault a repéré dans ses enseignements hebdomadaires.
Transformation(s) et captation(s) des savoirs scientifiques
22En reprenant l’ensemble des cours et en rapprochant les éléments épars d’histoire des savoirs scientifiques qu’on peut y retrouver, on perçoit chez Foucault une attention continue aux pratiques de transformation et de captation des connaissances savantes. J’envisagerai ici de reconstituer un chronotope – qui n’est pas celui des enseignements – courant de l’Antiquité grecque jusqu’au xixe siècle. Dans cet ample mouvement temporel, c’est toute une série de requalifications des sciences qui est à l’œuvre, chaque époque produisant des formes spécifiques de prélèvements, d’arraisonnements, de modifications ou d’évolutions des connaissances savantes. On cherchera, au cœur de cette histoire agonistique des sciences, les codes généalogiques que Foucault tente de mettre au jour, ces principes de transformation située des façons d’envisager les savoirs, de les faire circuler dans un ordre social donné, ou au contraire de les cantonner dans des espaces balisés. Cette fluidité relative et contrainte des connaissances scientifiques se rapporte à la fois à l’épaisseur cognitive et pratique des savoirs eux-mêmes et aux concrétions institutionnelles dans lesquelles ils sont toujours déjà pris. Nous verrons comment et sur quel mode Michel Foucault tente de nouer ces deux ensembles de problématiques.
23En 1971, dans ses Leçons sur la volonté de savoir, le philosophe origine un rapport nouveau au savoir chez Hésiode. Il existe chez l’auteur de la Théogonie et « ses successeurs » un rapport au juste qui est aussi un rapport à la vérité sur l’état du monde : « C’est la vérité des jours et des dates ; des moments favorables ; des mouvements et des conjonctions des astres ; des climats, des vents et des saisons : c’est-à-dire un certain savoir cosmologique37. » Mais Hésiode dispense un autre type de connaissance, fondée sur « la vérité de la genèse des deux et du monde, de leur ordre de succession et de préséance, de leur organisation comme système du monde38 ». Si Hésiode a pris soin d’exposer cette dualité des connaissances, il n’en est pas le premier concepteur. Foucault repère l’origine de ces ensembles de savoir dans « les grands empires de l’Euphrate et du Proche Orient […], chez les Hittites, chez les Assyriens, à Babylone. Et ils s’y sont constitués en relation directe avec la forme du pouvoir politique39 ». C’est dans la « structure d’État » de ces régimes impériaux mésopotamiens que le philosophe repère les contingences expliquant les modalités formatrices de ces savoirs. La tenue d’un « calendrier officiel » marquant « les jours fastes et néfastes pour les décisions, les travaux, les batailles, les semailles », la constitution d’un « système d’équivalence40 » et de mesure pour les impôts, ainsi que l’élaboration d’un récitatif impérial pour réassurer le pouvoir constituent les « trois grands types de savoir qui s’étaient développés chez les Assyriens41 ». Voici donc une première découpe dans l’épaisseur des savoirs, une première distinction dans l’ordre des pratiques cognitives : le « savoir d’observation et de magie des jours et des astres, le savoir technique des quantités et des mesures, le savoir mythico-religieux des origines42 ». Liés à la formation des structures impériales anciennes, ces modes de connaissance vont circuler et, parallèlement, se transformer. Foucault ne s’attarde pas sur la façon dont les savoirs mésopotamiens ont été transmis ; il signale simplement que l’invasion dorienne a, pour un temps, « oblitéré43 » l’écriture. En revanche, assure le philosophe, ces corpus de connaissance font retour dans la Grèce des viie-vie siècles, sous une « forme nouvelle44 ». Dans leur translation depuis l’Orient, ces savoirs subissent une profonde transformation : ils ne sont plus liés au pouvoir politique, ils ne sont plus les savoirs « des fonctionnaires, des scribes, des comptables et des astrologues du pouvoir ». Ils deviennent les savoirs dont « tout homme a besoin pour être juste et revendiquer, de chacun, la justice. Le savoir se déplace de l’exercice du pouvoir au contrôle de la justice45 ». C’est donc moins le contenu des connaissances produites qui est remis en cause dans cette extension géographique et historique des savoirs mésopotamiens, que leur articulation avec la structure civique des sociétés dans lesquelles ils sont employés. Aucun savoir, pour Foucault, n’est désolidarisé de son ancrage social et culturel. Des attentes collectives, des formations institutionnelles en place, de la hiérarchie des pouvoirs comme de leur stratification va dépendre un accueil spécifique pour des connaissances héritées des grands empires du Croissant fertile. Ce qui se dénoue dans le passage du politique au juridique, c’est le secret46. Le savoir commun ainsi fondé en Grèce est disputé collectivement, il n’est plus l’apanage d’une caste ou d’une élite. Mais ces nouvelles conditions de réception des savoirs d’Orient ont produit une structure fondamentale pour les connaissances occidentales. En quelque sorte, les points archimédiens qui délimitaient le territoire cognitif à partir duquel le pouvoir mésopotamien s’organisait se retrouvent, presque à l’identique, dans la Grèce présocratique. Foucault reprend ainsi les trois grands ensembles de connaissance dont il retrouve les saillances en Occident : le « savoir de l’origine, de la genèse et de la succession », qui devient le « savoir des cosmologies, de la philosophie et de l’histoire » ; le « savoir des quantités, des comptes et des mesures » se transforme en « savoir mathématique [et] savoir physique » ; enfin, le « savoir de l’événement, de l’occasion, du moment » produit « le savoir technique de l’agronomie de la médecine », mais aussi « le savoir magique47 ». Michel Foucault remarque que les « deux premiers savoirs ont finalement organisé la science occidentale : l’origine et la mesure ; la succession et la quantité ; l’ordre du temps, l’ordre numérique ». À l’inverse, ce que le philosophe appelle « le savoir du moment a été repoussé peu à peu dans les marges », faisant place à une constellation de connaissances éclatées (comme la clinique médicale cherchant la dispersion des « foyers pathogènes » ou la « stratégie militaire » condensant les arts de la gestion des forces et du temps).
24Les savoirs d’empire, constitués, dans l’Orient mésopotamien, en une série de procédures peu accessibles et politiquement cadrées, deviennent des ressources communes dans la Grèce présocratique. Mais ce ne sont pas seulement les formes institutionnelles faisant place à ces connaissances qui changent. Les savoirs eux-mêmes sont transformés. Leurs légitimités respectives ne sont plus égales ; une opération de sélection et de hiérarchisation est à l’œuvre dans l’usage même des connaissances relatives au temps, à la mesure et à l’événement. Le passage de l’Orient à l’Occident est d’abord une de ces pratiques de sélection et de partage que Foucault indiquait vouloir mettre au jour dans sa leçon inaugurale. La circulation des savoirs, dans le temps comme dans l’espace, n’est pas une pratique neutre, qui déplacerait des contenus de connaissance sans qu’ils soient remaniés, transformés, filtrés, reconstitués. Dans cette première année de cours au Collège de France que constituent les Leçons sur la volonté de savoir, le philosophe met en exergue la tension dans laquelle sont pris les savoirs antiques : entre robustesse de leur tri-fonctionnalité et plasticité de leurs usages, c’est un certain rapport à la recomposition permanente des corpus qui se donne à voir.
25L’année universitaire suivante, dans son cours intitulé « Théories et institutions pénales », Michel Foucault revient, incidemment, sur cette sélection des savoirs savants, sur le travail de purification politique qu’ils subissent, cette fois au Moyen Âge. Dans sa dernière leçon de l’année 1972, le philosophe explore à nouveau la question de la mesure. Il précise que « chez les Grecs, il a fallu qu’il y ait un pouvoir pour établir la mesure des terres, la mesure des propriétés, des dettes, la mesure des marchandises48 ». La mesure s’appuie sur un « savoir préalable », mais elle doit être distinguée de « l’enquête » qui, elle, est « une forme de prélèvement du savoir. C’est une manière de soutirer le savoir, de le faire passer ailleurs, de le rassembler, de lui donner une forme et de le retourner en décision49 ».
26La mesure opère directement sur le corps des richesses, elle en assure la commensurabilité et, par conséquent, permet ses déplacements50. L’enquête, quant à elle, vise « le savoir lui-même et sa redistribution ». Dans la Grèce antique, « celui qui gouverne doit […] connaître la mesure. Il doit à la fois savoir et être juste ; […] connaître le principe de la proportion et le principe de l’équilibre des cités51 ». Mais la période médiévale opère une rupture, un changement de registre dans le type même de savoir disponible pour ceux qui dirigent. « Le savoir dont le pouvoir a besoin, précise Foucault, le savoir qu’il appelle et auquel il donne lieu, c’est le savoir prélevé, canalisé, accumulé, converti en décision. » Le Moyen Âge est donc le moment où s’organise « une forme de pouvoir-savoir commandée par le système enquête-bureaucratie ». Il en résulte une pratique de reproduction socio-cognitive qui ne cherche pas à former des « “gouvernants”, mais des bureaucrates, des administrateurs […] » qui participent activement au « processus d’accumulation, de circulation [et] d’enregistrement du savoir52 ».
27Ce qui s’infléchit à cette époque ce n’est pas seulement la forme du savoir produit, c’est surtout son contenu. L’enquête se distingue de la mesure en ce qu’elle ne s’accomplit pas dans la même structure socio-économique. Comme le Moyen Âge marque les débuts de la formation de l’État, c’est tout son appareil qu’il convient de nourrir d’un savoir visant à le rendre plus efficace. Ce qui naît dans cette extraction de ce que Foucault appelle le « sur-savoir », c’est « l’intellectuel », ce « personnage si important dans la société capitaliste53 ». L’ancrage marxiste de la démonstration explique très probablement cette fresque d’une grande ampleur chronologique, que Foucault prolonge en invitant à rechercher les luttes qui ont contré (ou tenté de le faire) cette extraction capitaliste des savoirs. Il évoque ainsi les combats « entre les artisans et les manufacturiers » autour du « secret » de fabrication. Il pointe également les « luttes des ouvriers pour assurer eux-mêmes leurs propres enquêtes, pour parler en leur propre nom, contre les enquêtes administratives ». Enfin, Foucault pointe les rapports de force engagés au xixe siècle « pour un “savoir populaire” opposé au savoir “inquisitorial” lié au plus de pouvoir de la bourgeoisie54 ».
28Dans cette accumulation primitive du capital cognitif, l’Université constitue le point de ralliement des savoirs agrégés. Mais elle cherche également à dissimuler, dans sa quête d’autonomie et son désintéressement affiché, « qu’à la racine du savoir qu’elle distribue, il y a extraction du sur-savoir55 ». Autrement dit, le travail de séparation, de fermeture et de clôture que l’Université entend mener pour conserver sa puissance de reproduction est aussi un moyen pour elle de perdre les origines violentes de l’extraction du sur-savoir. Le schème marxiste opère ici selon deux axes sécants : d’une part, la connaissance est assimilée à un capital supposant, dans son extraction native, une prise autoritaire sur les « travailleurs de la preuve » que sont les intellectuels ; d’autre part, les formes institutionnelles cristallisées que sont les universités opèrent comme des machines reproductives d’autant plus efficaces qu’elles effacent les traces de la saisie initiale des connaissances.
29Foucault ne perd donc pas de vue le principe qu’il s’est donné pour analyser les savoirs et leur production de l’Antiquité au xixe siècle. Il garde, au principe même de l’heuristique qu’il met en place, l’idée d’une recherche sur les modalités de séparation, de hiérarchisation, de stratification, de distinction des savoirs. Chaque époque constitue, dans cette étude en pointillé, une configuration socio-épistémique spécifique. Les types de savoirs produits, attendus, valorisés ou minorés dépendent des formats d’action politique en cours, des forces économiques à l’œuvre, des principes de structuration des institutions ainsi que des objets sur lesquels ces savoirs portent. C’est dans cette liste étendue de critères que peut s’objectiver une forme épochale de savoir dominant. Ce principe d’analyse, Foucault l’affine encore lorsqu’il aborde plus directement l’époque moderne. Dans le cours de 1976, intitulé « Il faut défendre la société », le philosophe travaille à définir une approche du pouvoir qui ne vise pas les corps, comme dans le cas de la discipline, mais les populations dans leur ensemble. Ce « biopouvoir » est, par toute une série de procédures complexes, associé à des savoirs spécifiques. Mais Foucault prévient, dès le premier cours du 7 janvier 1976, que ce qui l’intéresse ce n’est pas seulement la puissance d’un savoir positif projeté, par exemple, par l’État pour connaître la population qui le compose, ce sont aussi les savoirs éliminés, proscrits, écartés, précisément au nom de la légitimité des connaissances régulatrices supérieures.
Par « savoir assujettis », poursuit le philosophe, j’entends […] toute une série de savoirs qui se trouvaient disqualifiés comme savoirs non conceptuels, comme savoirs insuffisamment élaborés : savoirs naïfs, savoirs hiérarchiquement inférieurs, savoirs en dessous du niveau de la connaissance ou de la scientificité requises. Et c’est par la réapparition de ces savoirs d’en dessous, de ces savoirs non qualifiés, de ces savoirs disqualifiés même, c’est la réapparition de ces savoirs : celui du psychiatrisé, celui du malade, celui de l’infirmier, celui du médecin, mais parallèle et marginal par rapport au savoir médical, le savoir du délinquant, etc. – ce savoir que j’appellerais […] le « savoir des gens » (et qui n’est pas du tout un savoir commun, un bon sens, mais au contraire, un savoir particulier, un savoir local, régional, un savoir différentiel, incapable d’unanimité et qui ne doit sa force qu’au tranchant qu’il oppose à tous ceux qui l’entourent) – c’est par la réapparition de ces savoirs locaux des gens, de ces savoirs disqualifiés que s’est faite la critique56.
30Même si Foucault ne le précise pas dans cette première leçon, c’est bien la modernité que vise son propos. L’histoire des sciences qui l’intéresse, celle qu’il s’efforce de mettre en œuvre par touches successives, c’est bien une histoire des modalités de qualification et de disqualification des savoirs. Il ne suffit pas de savoir que les connaissances produites se transforment en circulant, que les structures dans lesquelles elles livrent leur efficace sont des concrétions socio-épistémiques inscrites dans des contextes précis. Il faut aussi comprendre comment et sur quels principes s’opèrent les tris, les captations, les sélections, les légitimations et les délégitimations des savoirs. Pour la période moderne – et dans la perspective d’une biopolitique attentive à l’état des populations –, c’est l’État qui, en France tout du moins, opère ce travail de requalification des connaissances. Foucault prend donc à rebours l’histoire classique des sciences qui fait, par exemple, du xviiie siècle « le siècle d’émergence des savoirs techniques57 ». Pour lui,
ce qui s’est passé au xviiie siècle, c’est tout autre chose. D’abord, l’existence plurielle, polymorphe, multiple, dispersée, de savoirs différents, qui existaient avec leurs différences selon les régions géographiques, selon la taille des entreprises, des ateliers, etc. – je parle de connaissances technologiques, n’est-ce pas –, selon les catégories sociales, l’éducation, la richesse de ceux qui les détenaient. Et ces savoirs étaient en lutte les uns avec les autres, les uns en face des autres, dans une société où le secret du savoir technologique valait richesse et où l’indépendance de ces savoirs, les uns par rapport aux autres, signifiait aussi l’indépendance des individus58.
31Le scintillement des savoirs locaux, leur dispersion et leur plasticité sont la condition de leur efficace. Ils n’appartiennent à aucun régime général de scientificité, ils ne sont inscrits dans aucun corpus spécifique de connaissances. Cette hétérogénéité est d’abord préjudiciable à l’économie productive. À la fin de l’époque moderne, on assiste, dit Foucault, à une « lutte de ces savoirs les uns par rapport aux autres ». Les « forces de productions » et les « demandes économiques » valorisent une certaine discrétion dans l’établissement de connaissances qui peuvent devenir un avantage concurrentiel dans les échanges marchands. Cette compétition généralisée des savoirs introduit des processus « d’annexion, de confiscation, de reprise en charge des plus petits savoirs, les plus « particuliers, les plus locaux, les plus artisanaux, par les plus grands, […] les plus généraux, les plus industriels, ceux qui circulaient le plus facilement59 ». Foucault renverse ici la téléologie classique du progrès scientifique des Lumières. Il soutient que c’est la dispersion des savoirs, leur éclatement premier dans des espaces hétérogènes, leurs usages contrastés dans des pratiques différentes qui ont permis le « développement du savoir technologique au xviiie siècle : c’est dans cette forme de multiplicité et non pas dans le progrès du jour sur la nuit, de la connaissance sur l’ignorance60 ».
32Les savoirs, décrits comme des capitaux intéressant la sphère marchande, ne sont pas des objets purs, indépendants de toutes les conditions socio-économiques dans lesquelles ils émergent. Foucault densifie immédiatement son analyse. Certes, la captation et l’homogénéisation des connaissances sont le produit d’une lutte marchande qui dissipe les secrets de fabrication, mais l’État est un acteur majeur de cette recomposition des savoirs. Dans la France moderne où l’équilibre des forces économiques est étroitement indexé sur l’architecture étatique du pays, la centralité de l’appareil d’État induit une puissance régulatrice d’importance. Le philosophe repère quatre grands procédés par lesquels l’État intervient « directement ou indirectement » dans « ces tentatives d’annexion qui sont en même temps des tentatives de généralisation […]61 ». Il y a d’abord « l’élimination, la disqualification de ce qu’on pourrait appeler les petits savoirs inutiles et irréductibles, économiquement coûteux ; élimination et disqualification, donc62 ». Ensuite, c’est la « normalisation de ces savoirs entre eux, qui va permettre de les ajuster les uns aux autres, de les faire communiquer entre eux, d’abattre les barrières du secret et des délimitations géographiques et techniques », de « rendre interchangeables non seulement les savoirs, mais aussi ceux qui les détiennent63 ». La « classification hiérarchique de ces savoirs » est la troisième opération menée par l’État « qui permet, en quelque sorte, de les emboîter les uns dans les autres, depuis les plus particuliers et les plus matériels, qui seront en même temps les savoirs subordonnés, jusqu’aux formes les plus générales, jusqu’aux savoirs les plus formels, qui seront à la fois les formes enveloppantes et directrices du savoir64 ». Enfin, l’ultime procédure par laquelle l’État intervient, est la « centralisation pyramidale, qui contrôle ces « savoirs, qui assure les sélections et qui permet de transmettre à la fois de bas en haut les contenus de ces savoirs, et de haut en bas les directions d’ensemble et les organisations générales que l’on veut faire prévaloir65 ».
33Ces opérations sont en quelque sorte la formalisation la plus complète historiquement de ce phénomène de transformation et de captation des savoirs qui intéresse Foucault depuis le début de ses cours au Collège de France. En pointant les procédés par lesquels certains savoirs (jugés utiles pour certaines activités marchandes ou publiques) sont sélectionnés, valorisés et publicisés, le philosophe approfondit son programme de recherche. Il donne un aperçu des prises concrètes du pouvoir sur la distribution des connaissances. Et c’est une nouvelle lecture de l’histoire des institutions et des pratiques scientifiques qui apparaît. Ainsi l’Encyclopédie, traditionnellement considérée comme le vecteur d’un ensemble de savoirs nouveaux rendus, par la publication, au plus grand nombre, apparaît, dans le lent travail de captation/sélection que Foucault met au jour, comme un instrument de tri dans les connaissances. C’est moins son « matérialisme philosophique » qui importe, que l’« opération, à la fois politique et économique, d’homogénéisation des savoirs technologiques66 » qu’elle représente. Il en va de même pour ce que Foucault désigne comme « les grandes enquêtes sur les méthodes de l’artisanat, sur les techniques métallurgiques, sur l’extraction minière67 », au nombre desquelles on peut probablement compter l’enquête du Régent entre 1716 et 171868. La saisie et l’homogénéisation des connaissances, le franchissement d’un seuil de scientificité reconnu, passent également par le maintien et la création « de grandes écoles, comme celle des Mines ou des Ponts et Chaussées […] », mais aussi la consolidation d’un « corps d’inspecteurs, qui dans toute la surface du royaume ont donné consignes et conseils pour l’aménagement et l’utilisation de ces savoirs techniques », ainsi que la fondation d’« hôpitaux », de « dispensaires », ou de société à vocation professionnalisante comme la « Société royale de médecine69 ».
34Des quatre grandes opérations dont ces différentes procédures et institutions ressortissent, Foucault retient qu’elles prennent place dans un plan plus général encore. Celui d’une « mise en discipline des savoirs », c’est-à-dire « l’organisation interne de chaque savoir comme une discipline ayant, dans son champ propre, à la fois des critères de sélection qui permettent d’écarter le faux savoir, le non-savoir, des formes de normalisation et d’homogénéisation des contenus, des formes de hiérarchisation, et enfin une organisation interne de centralisation de ces savoirs autour d’une sorte d’axiomatisation de fait70 ».
35C’est de cette double séparation d’avec un hors-savoir et un entre-savoirs que naît « une espèce de champ global ou de discipline globale que l’on appelle précisément la “science”. La science n’existait pas avant le xviiie siècle71 ». Ce qui existait, c’était une somme de savoirs locaux pour lesquels la philosophie jouait le rôle de « système d’organisation72 ».
36Cette histoire des disciplines, telle que Foucault l’expose, a été de nombreuses fois confirmée par des études empiriques précises. Je ne prendrai ici qu’un exemple pour attester l’acuité des analyses foucaldiennes en ce domaine. L’historien et sociologue Yves Gingras a montré comment, au xviiie siècle précisément, les mathématiques sont peu à peu devenues le point de passage obligé pour rendre compte des phénomènes physiques. Elles ont constitué un seuil technique en deçà duquel il était impossible de participer aux discussions scientifiques, d’être pris en compte dans les débats et même, in fine, d’intégrer les structures de légitimation du discours savant comme les académies73.
37Parmi ce que Foucault appelle les « grand[s] appareil[s] uniforme[s] des savoirs74 », l’Université napoléonienne joue un rôle particulier. Elle émerge précisément au moment où l’homogénéisation des savoirs autrefois dispersés est culminante. Elle symptomatise, d’une certaine façon, ce réalignement général des connaissances à l’intérieur des structures de l’État. L’Université dispose d’un « monopole de fait, mais aussi de droit » sur la sélection des savoirs, ainsi que sur leur production, puisque « le savoir né d’ailleurs, se trouve automatiquement, d’entrée de jeu, sinon tout à fait exclu, du moins disqualifié a priori75 ». Et le décollement des connaissances d’avec leur contenu de devenir de plus en plus important au fur et à mesure qu’il n’est plus besoin de qualifier leur « orthodoxie76 » mais qu’il suffit de contrôler « la régularité de leur énonciation77 ». Autrement dit, c’est la qualification de celui qui parle qui va désormais importer, davantage que la puissance heuristique concrète dont il se dit porteur.
38En dressant un nouveau panorama de la science moderne, de son organisation et de sa structuration, Foucault recompose une histoire sensible des savoirs qui ne prend pas pour acquise la division déjà là des disciplines, la répartition donnée par la stratification historique des rapports dans l’ordre des connaissances. Sous les disciplines solidifiées, en deçà des séparations en apparence bien établies, le philosophe révèle le territoire mouvant, instable et labile d’une connaissance qui ne s’est pas toujours donnée dans l’évidence d’un classement naturalisé par ses emplois. Bien au contraire, un ensemble de savoirs dispersés, hétérogènes et divers émergent qui n’ont pu être colligés, associés, rassemblés, triés et captés que par la double action conjointe et concomitante des forces économiques appelant toujours plus de concurrence et de la centralisation étatique procédant à la rationalisation de ses pratiques biopolitiques.
39On le voit, de l’Antiquité mésopotamienne au début de l’époque contemporaine, c’est une contre-histoire des sciences que Foucault mobilise. Non par goût de la pure provocation ou de la prise systématique du contre-pied, mais bien parce qu’il suit un programme de recherche patient, parfois buissonnant – il le reconnaît d’ailleurs dans le premier cours de l’année 1976 –, toujours adossé aux principes d’une analyse des processus de transformation et de captation des connaissances. Si le ton marxiste des premiers cours a disparu au crépuscule des années 1970, il n’en reste pas moins que Foucault continue d’envisager la connaissance comme un capital dont la production et la sur-production sont un rouage fondamental de la prise biopolitique sur les populations. Dans cette perspective, la contre-histoire des sciences qu’il construit tout au long des années 1970 n’est pas une digression, mais un passage nécessaire pour mieux saisir la façon dont les savoirs et les sciences sont intégrés aux institutions politiques et aux procédures de l’action publique.
Des savoirs pour agir
40C’est un truisme que de considérer que toute l’œuvre de Foucault peut se déployer le long des deux axes du savoir et du pouvoir. L’analyse de son travail d’historicisation des sciences, telle qu’il la mène dans ses cours au Collège de France permet toutefois d’envisager de nouveaux foyers de problématiques et de questionnement. Car dans le doublet savoir/pouvoir, l’introduction d’une dimension temporelle, l’attention aux développements historiques longs ainsi que la saisie de points de retournement plus vifs, permettent de reconsidérer les conceptualisations générales autour de la discipline et de la biopolitique. Dans le détail des connaissances requises par le pouvoir pour agir, c’est une nouvelle définition des savoirs et des sciences qui émerge.
41Dans le cours « Du gouvernement des vivants », Foucault aborde la place des connaissances dans l’ordre politique d’une manière tout à fait originale. Il définit ce qu’il appelle le « savoir œdipien78 » en prenant pour point de départ la dispute entre Œdipe et Tirésias au sujet de la mort de Laïos. Tirésias dit à Œdipe : « C’est toi finalement le coupable, tu veux m’arracher la vérité. Eh bien, la voilà, ne va pas chercher ailleurs : celui qui a tué Laïos, c’est toi. » Foucault note que la réponse d’Œdipe ne manque pas d’ambiguïté, elle est même étrange eu égard à la violence de la révélation que Tirésias vient de faire. Œdipe ne dit pas « Ce n’est pas vrai, je suis innocent, je n’ai pas pu faire ça, il dit […] “Ô richesse, Ô pouvoir, Ô art de tous les arts combien de jalousie tu suscites !”79 ». La référence à un « art », un « art suprême » qui plus est, est surprenante d’abord, nous dit Foucault, parce que « jamais dans les textes archaïques et antérieurs en tout cas à la fin du vie–ve siècle, le pouvoir [n’est] caractérisé comme une […] technique, comme un art ». Alors que, au contraire, « c’est un des thèmes […] absolument fondamentaux de toute la discussion politique, de toute discussion philosophique au ve et au ive siècle, de savoir dans quelle mesure l’exercice du pouvoir politique demande, implique quelque chose comme […] un savoir, un savoir technique, un savoir-faire, qui autoriserait un apprentissage, un perfectionnement des lois, des recettes, des manières de faire80 ».
42La dispute entre Tirésias et Œdipe portant sur la culpabilité de ce dernier dans la mort de Laïos fait surgir, pour la première fois dans l’Antiquité, une suture inédite, un point de jonction jusque-là absent, celui d’une connaissance technique capable d’informer le pouvoir, de lui fournir les moyens de sa manifestation et de son efficace. Foucault poursuit son raisonnement en explorant la forme politique athénienne paradigmatique, la démocratie, au prisme de cette nouvelle interrogation sur une puissance d’agir informée par un savoir spécifique. « A-t-on besoin pour gouverner la cité de transformer tous ceux qui ne savent pas en ceux qui savent81 ? » s’interroge Foucault. Autrement dit, quelle est la source de cette connaissance et comment peut-on la transmettre ? Le « ve siècle athénien » apparaît donc comme le point névralgique d’une problématisation inédite des liens entre savoir et pouvoir, notamment parce que se pose alors la question du passage du « non-savoir » au « savoir82 » ; problématisation qui requiert une conceptualisation politique, rhétorique et langagière. Car c’est bien dans les plis du discours que gisent les éléments essentiels d’une inflexion sur la façon de considérer les connaissances :
[…] le vocabulaire est très clair, très net, très insistant. Œdipe peut devenir celui qui sait à partir de son non-savoir, grâce à des marques, à des signes, à des repères qui seront là, sur le chemin, sur la piste, qui permettront de bien diriger le navire, et qui finalement lui permettront, à partir de ces événements, d’inférer la vérité et ce qui s’est passé […]83.
43La connaissance indiciaire, le savoir des signes, cette capacité à trouver des éléments épars et à les relier entre eux, dans un mouvement signifiant, voilà ce qui instaure une articulation spécifique du savoir et du pouvoir.
44L’analyse de Foucault a, très récemment, trouvé une éclatante confirmation dans la très belle étude que Paulin Ismard vient de consacrer au travail d’expertise des esclaves publics dans la Grèce ancienne. La thèse centrale de l’historien repose sur une tentative de détourer dans les quelques sources disponibles (textes et inscriptions) la figure des esclaves-experts des cités grecques anciennes. Leur rôle, dans l’administration quotidienne de la polis, leur statut juridique, leurs capacités d’initiative convergent vers une double acception de la pratique politique : d’une part, un rejet de l’expertise hors du champ politique, et, d’autre part, un processus d’invisibilisation organisé de l’inévitable travail bureaucratique nécessaire au maintien des institutions politiques. En tentant de caractériser les structures sous-jacentes de l’État grec, Paulin Ismard réexamine le passage de l’Œdipe roi dans lequel Œdipe apprend sa responsabilité dans la mort de Laïos. Il constate, après Foucault, que Tirésias est un esclave ; berger royal, il est aussi celui qui peut « jouir d’un savoir à la mesure des dieux84 ». Mais dans cette fable mythique, c’est surtout les « limites du pouvoir » d’Œdipe qui sont mises au jour, lorsque celui-ci prétend gouverner à partir d’« un pouvoir absolu85 ». La délégation du savoir à un corps d’experts, la reconnaissance que la puissance d’agir ne peut se charger, en plus, d’une puissance cognitive omnisciente, ce renoncement du pouvoir à être aussi un savoir, voilà la leçon grecque que Foucault tirait déjà de ce court passage du texte de Sophocle. Et l’on saisit ici ce qui soutient l’attention du philosophe dans cet examen entêtant du savoir/pouvoir. C’est cette configuration, toujours renouvelée, selon les époques, d’une limitation du pouvoir par le savoir, non pas sous l’empire d’une substitution, mais sous celui d’une confrontation d’autant plus efficace qu’elle prend appui sur l’affirmation de deux plans séparés de l’action humaine.
45Et de façon ponctuelle, cette proposition historiographique forte, Foucault ne va jamais cesser de l’enrichir empiriquement au fur et à mesure de ses enquêtes.
46Dans son cours du 11 février 1976, le philosophe aborde la constitution de l’histoire comme récit participant à l’édification de la nation. Il évoque d’abord le mythe des origines troyennes des Francs avant de reprendre le travail de François Hotman, cet historien du xvie siècle qui a théorisé les invasions germaniques et leur importance dans la construction d’un modèle de gouvernement. Cette longue argumentation débouche in fine sur un problème de « pédagogie politique : que doit savoir le prince, d’où et de qui doit-il tenir son savoir ; qui est habilité à constituer le savoir du prince86 ? ». Foucault constate que l’éducation du duc de Bourgogne, qui devait théoriquement prendre la succession de Louis XIV, a posé un grand nombre de « problèmes », notamment pour tout ce qui concerne « l’ensemble des connaissances sur l’État, le gouvernement, le pays […]87 ». Louis XIV avait, en effet, commandé « à son administration et à ses intendants88 » un « énorme rapport sur l’état de la France89 » afin de le transmettre à son petit-fils, le duc de Bourgogne. C’est Henri de Boulainvilliers qui est chargé « de le présenter au duc de Bourgogne, de l’alléger, car il était énorme, et puis d’en donner l’explication, l’interprétation : de le recoder […]90 ». Il fait une sélection des éléments à présenter au duc et « rédige la présentation, qu’il accompagne d’un certain nombre de réflexions critiques et d’un discours : l’accompagnement nécessaire, donc, de cet énorme travail administratif de description et d’analyse de l’État91 ». Le parti pris de Boulainvilliers est très clairement de « faire valoir les thèses favorables à la noblesse92 ». Surtout, remarque Foucault, « dans cette entreprise de recodage des rapports [présentés] au roi, il s’agit de protester contre le fait que le savoir donné au roi, et ensuite au prince, soit un savoir fabriqué par la machine administrative elle-même. Il s’agit de protester contre le fait que le savoir du roi sur ses sujets soit entièrement colonisé, occupé, prescrit, défini par le savoir de l’État sur l’État. Le problème est celui-ci : le savoir du roi sur son royaume et sur ses sujets doit-il être isomorphe au savoir de l’État sur l’État ? Les connaissances bureaucratiques, fiscales, économiques, juridiques, qui sont nécessaires au fonctionnement de la monarchie administrative, doivent-elles être réinjectées dans le prince par l’ensemble des informations qu’on lui donne et qui lui permettront de gouverner93 ? ». La critique portée par Boulainvilliers vise la structure même du rapport qu’un prince peut entretenir avec les savoirs sur le royaume qu’il gouverne. Et l’on retrouve, cette fois dans la France moderne, ce problème de la constitution de deux plans d’action disjoints : les savoirs administratifs d’une part et la capacité d’incarner une puissance d’action. Dans cette schize toujours réintroduite, Foucault voit l’affirmation d’un principe presque anthropologique, celui d’une impossibilité pour le pouvoir d’exercer pleinement son rôle s’il est aussi producteur de connaissances spécifiques. Dans l’Ancien Régime absolutiste, la question se pose selon une configuration qui lie « le grand appareil administratif que le roi a donné à la monarchie » au « prince lui-même94 ». Le roi maîtrise – littéralement – son administration et peut donc, par les savoirs qu’elle lui délivre, « faire régner sur le pays une volonté sans limites95 ». Mais, note Foucault, « inversement, l’administration règne sur le roi par la qualité et la nature du savoir qu’elle lui impose96 ». Autrement dit, il n’est de puissance de gouvernement qui ne capte la volonté de savoir sans se trouver aliénée par elle. La confusion des deux plans (l’agir et le connaître) ne se traduit pas uniquement par une hubris gouvernementale, elle se marque également par un détournement de la puissance politique.
47Foucault pointe la réaction de la noblesse contre ce « mécanisme de savoir-pouvoir qui, depuis le xviie siècle, lie l’appareil administratif à l’absolutisme de l’État ». Ce que la noblesse vise, par la voix de Boulainvilliers, c’est un « chaînon important dans le système du pouvoir, que la noblesse avait négligé de tout temps […] », mais que les clercs, les magistrats, « la bourgeoisie, les administrateurs, les financiers » avaient raccordé à leurs intérêts propres. Ce que l’ordre nobiliaire veut reconquérir, « c’est le savoir du roi […] ou [à tout le moins], un certain savoir commun aux rois et aux nobles », celui de la mémoire, qui permettra de « reconstituer le juste savoir du roi […], fondement d’un gouvernement juste97 ». Ce « contre-savoir » que la noblesse entend substituer aux savoirs administratifs, prend « la forme de recherches historiques absolument nouvelles98 » ; ces connaissances inédites s’opposent directement au socle du savoir administratif, c’est-à-dire
le savoir juridique : celui du tribunal, du procureur, du jurisconsulte et du greffier. Savoir bien sûr haïssable pour les nobles, puisque c’est ce savoir qui les a piégés, qui les a dépossédés par des arguties qu’ils ne comprenaient pas, qui les a dépouillés, sans même qu’ils puissent bien s’en rendre compte, de leurs droits de juridiction et puis même de leurs biens. Mais c’est un savoir qui est haïssable aussi parce que c’est un savoir en quelque sorte circulaire, qui renvoie du savoir au savoir. Quand le roi, pour connaître ses droits, interroge les greffiers et les jurisconsultes, quelle réponse peut-il obtenir sinon un savoir établi du point de vue du juge et du procureur que lui, le roi, a créé lui-même, et où, par conséquent, il n’est pas surprenant que le roi trouve, tout naturellement, les louanges de son propre pouvoir (louanges qui d’ailleurs masqueront peut-être les subtils détournements de pouvoir opérés par les procureurs, par les greffiers, etc.) ? Savoir circulaire, en tout cas. Savoir où le roi ne peut rencontrer que l’image même de son propre absolutisme, qui lui renvoie, sous la forme du droit, l’ensemble des usurpations que lui, le roi, a commises [vis-à-vis] de sa noblesse99.
48La séparation du savoir et de l’agir politique n’est jamais stabilisée ; bien au contraire, elle est constituée historiquement comme une tension toujours susceptible d’être ravivée par des groupes aux intérêts opposés. Le recouvrement de ces deux plans est en fait l’objet de luttes permanentes entre des ensembles sociaux qui cherchent à affirmer leur primauté dans l’ordre social d’une époque donnée. Lorsque la noblesse perd de sa puissance, lorsqu’elle se trouve dépossédée de ses points d’appui politiques par le corps administratif du royaume, c’est bien par la capacité de produire un autre savoir (historique celui-là) qu’elle réagit. Cet autre savoir a pour fonction d’envelopper le roi et sa puissance politique dans la même cohérence socio-politique que la noblesse. Il s’agit bien, par le savoir, de tisser une communauté d’appartenance entre le souverain et le groupe nobiliaire et ce faisant de nouer, d’une façon différente de celle opérée par l’administration, un certain type de connaissance à la puissance d’action royale.
49La science est une condition de l’art de gouverner, elle informe la puissance d’agir et par là même instruit la problématique du gouvernement. C’est donc une logique complexe, labile mais essentielle qui sous-tend la construction historique du rapport entre la connaissance et l’action politique : il n’existe pas de régime général qui organiserait les flux d’informations et les recherches savantes vers un dispositif de puissance prêt à les accueillir. Ce qui se joue entre ces deux grands pôles des activités humaines, ce sont des reconfigurations perpétuelles.
50On mesure donc combien, sous cette question du savoir/pouvoir, Foucault place une interrogation quasiment anthropologique sur la façon de joindre ou au contraire de dissocier deux plans d’activité.
51Cette dissociation des savoirs et du pouvoir, Foucault en donne un autre exemple, dans son cours « Le pouvoir psychiatrique ». Le philosophe remarque que c’est le médecin qui, dans l’asile, incarne le pouvoir. Son « savoir psychiatrique n’est pas ce qui est effectivement mis en œuvre dans le régime asilaire100 » ; il ne sert pas la fonction dirigeante. Ce qui permet l’exercice d’une puissance directrice, c’est « la marque du savoir101 », celle-là même qui indique une compétence sous-jacente qui n’est cependant pas mobilisée en tant que telle. Dans l’asile du xixe siècle, les signes visibles du savoir sont d’abord inscrits dans des pratiques routinisées : le recueil des renseignements sur le patient, « l’interrogatoire psychiatrique102 », qui permet d’indiquer au malade que le médecin est effectivement détenteur d’un savoir, la surveillance du malade, le jeu sur « le double registre de la médication et de la direction103 », et la clinique détaillée à l’intention des étudiants104. Le savoir, dans son épaisseur épistémologique, n’est donc pas convoqué dans l’exercice du pouvoir. Mais il est cependant absolument indispensable pour que ses marques d’effectivité puissent affleurer dans la pratique quotidienne de traitement de la folie.
52C’est incontestablement lorsque Foucault aborde la question de la biopolitique qu’il met au jour une forme quasi parfaite de recouvrement du savoir/pouvoir. Dans le cours de 1977-1978, intitulé « Sécurité, territoire, population », le philosophe soutient que c’est la gestion du problème de la population qui va transformer l’art de gouverner. Et au principe de cette intégration des individus considérés comme des cohortes d’ensemble, il y a une science directement branchée sur l’appareil d’État : la statistique. À partir du xviie siècle, « tout un ensemble d’analyses et de savoirs […] » a pris de l’ampleur ; il s’agit de « toute cette connaissance de l’État dans les différents facteurs de sa puissance, et c’est ce qu’on a précisément appelé la “statistique” comme science de l’État105 ». Précisément, le renversement biopolitique, qui vise les populations et non plus les individus comme le faisait auparavant la discipline, suppose un changement d’échelle dans l’analyse. La famille cesse d’être le foyer d’une interrogation savante, elle n’est plus un « modèle chimérique pour le bon gouvernement », mais un simple « instrument106 ». Le cadre épistémique que constitue la statistique recouvre alors le plan politique : parce qu’elle peut quantifier la mortalité, les épidémies, « les expansions endémiques », mais aussi « la spirale du travail et de la richesse107 », la connaissance statistique devient le point d’inflexion politique à partir duquel un nouvel objet est découpé dans l’épaisseur du monde pour donner corps à un type inédit d’exercice de la puissance.
53L’histoire des sciences que Michel Foucault a pratiquée, sous une forme pointilliste, tout au long de son enseignement au Collège de France a constitué un contre-modèle à l’histoire classique des connaissances. Discutant d’abord les thèses de ses contemporains, il en est venu peu à peu à repositionner ses propres outils conceptuels (l’archéologie et la généalogie) dans l’ordre analytique qu’il s’était donné pour ambition de déployer. Il a finalement pensé un cadre général des régimes de vérité dans lequel la science occupe une place fondamentale, qu’il n’aborde certes que latéralement, mais pour mieux souligner sa prégnance dans les manières de dire-vrai.
54Parallèlement à cet effort méthodologique de mise en cohérence historique des façons de connaître, Foucault s’est efforcé de recomposer – sur le très long terme – la façon dont les savoirs ont constitué des enjeux politiques et économiques susceptibles d’être captés, transformés, modifiés, accumulés, dispersés… Les institutions deviennent, dans cette perspective, des points d’appui pour ce gigantesque tri épistémologique.
55Enfin, dans la grande question du savoir/pouvoir, qui ne cesse jamais de faire retour dans toute l’œuvre de Foucault (et pas seulement dans ses cours au Collège de France), le philosophe parvient à théoriser une série d’articulations et de recouvrements originaux entre l’agir et le connaître.
56En recomposant cette fresque pointilliste de contre-histoire des sciences, il est possible de repérer une série de lignes de force dont la solidité et la constance ne cessent d’étonner. Foucault n’a ainsi jamais séparé son exigence d’interroger le développement des savoirs sur le long terme d’un recours à une méthodologie sans cesse affinée. Il s’en est tenu, même si le résultat est fragmentaire, à une histoire des sciences qui fasse droit à toutes les formes de connaissance en pointant bien les procédures de délégitimation et de disqualification. Il a cherché en permanence les ligatures et les recouvrements des manières de connaître et des façons de gouverner, montrant dans la biopolitique un type de superposition inédit.
57Dans les multiples tentatives pour élaborer des grilles d’analyse pertinentes rendant compte de ces « systèmes de pensée » dont Foucault s’était engagé à faire l’histoire au Collège de France, une certaine histoire des sciences émerge, sous la forme, parfois opalescente, parfois vive, d’un ensemble de problématiques constamment mobilisées, toujours retravaillées, en permanence bousculées. In fine, on se trouve assez loin de l’image d’un philosophe changeant en permanence de point de vue, de cadrage ou d’outils conceptuels. D’ailleurs, Foucault semble s’être lui-même aperçu que le droit à l’abandon des idées qu’il réclamait dans la préface de L’archéologie du savoir ne lui était plus utile quelques années plus tard. Dans l’introduction du deuxième volume de l’Histoire de la sexualité, il reconnaît, avec une certaine mélancolie, que la stratégie du changement de pied n’est peut-être qu’en leurre :
Telle est l’ironie des efforts qu’on fait pour changer sa façon de voir, pour modifier l’horizon de ce qu’on connaît et pour tenter de s’écarter un peu. Ont-ils effectivement conduit à penser autrement ? Peut-être ont-ils permis de penser autrement ce qu’on pensait déjà et d’apercevoir ce qu’on a fait d’un angle différent et sous une lumière plus nette. On croyait s’éloigner et on se retrouve à la verticale de soi-même108.
58Certes, l’histoire des sciences que Foucault a travaillée au Collège de France ne quitte pas cette position verticale, centrale même, qu’elle n’a jamais cessé d’avoir dans son œuvre. Mais les mouvements qu’il opère autour, dans cette spirale concentrique qui le ramène à son point de fuite initial, témoignent d’une volonté toujours plus affirmée de se déprendre des cadrages trop étroits et des questionnements trop restreints auquel un certain conformisme disciplinaire réduisait l’histoire des sciences jusqu’au début des années 1980.
Notes de bas de page
1 Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 10-11.
2 Ibid., p. 15.
3 Ibid., p. 19.
4 Ibid., p. 61.
5 Guillaume Bellon, L’inquiétude du discours. Barthes et Foucault au Collège de France, Grenoble, Éditions littéraires et linguistiques de l’université de Grenoble, 2012, p. 133.
6 Ibid., p. 138.
7 Michel Foucault, Théories et institutions pénales, Paris, Éditions de l’EHESS/Gallimard/Seuil, 2015, p. 212.
8 Ibid.
9 Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938, p. 239.
10 Louis Althusser, Pour Marx, Paris, La Découverte, 1996. Voir Urs Lindner, « Repenser la “coupure épistémologique”. Lire Marx avec et contre Althusser », Actuel Marx, 49, 2011, p. 121-139. Cette double adresse à l’endroit de Bachelard et d’Althusser est suggérée par les éditeurs du cours de Foucault : Michel Foucault, Théories et institutions pénales, op. cit., p. 225, n. 41.
11 Michel Foucault, Théories et institutions pénales, op. cit., p. 214.
12 Ibid.
13 Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983, p. 238.
14 Ibid., p. 245.
15 Ibid., p. 248.
16 Michel Foucault, « Foucault répond », dans Id., Dits et écrits, 1, 1954-1975, Paris, Gallimard, 2001, p. 1107-1108.
17 Id., « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, Paris, Gallimard/Seuil, 1997, p. 11-12.
18 Michel Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, op. cit., p. 159.
19 Ibid., p. 9-10.
20 Ibid., p. 10.
21 Ibid.
22 Judith Revel, Le vocabulaire de Foucault, Paris, Ellipses, 2009, p. 62.
23 Michel Foucault, « Nietzsche, la généalogie et l’histoire », dans Id., Dits et écrits, 1, op. cit., p. 1008.
24 Ibid., p. 1012.
25 Ibid., p. 1008.
26 Michel Foucault, L’origine de l’herméneutique de soi. Conférences prononcées à Dartmouth College, 1980, Paris, Vrin, 2014, p. 36, n. b.
27 Voir Robert Markley, « Foucault, Modernity, and the Cultural Study of Science », Configurations, 7/2, 1999, p. 153-173.
28 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants, Paris, Gallimard/Seuil, 2012, p. 94.
29 Philippe Chevallier, « Vers l’éthique. La notion de “régime de vérité” dans le cours du Gouvernement des vivants », dans Daniele Lorenzini, Ariane Revel, Arianna Sforzini (dir.), Michel Foucault : éthique et vérité (1980-1984), Paris, Vrin, 2013, p. 56.
30 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 94.
31 Ibid.
32 Ibid.
33 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 94-95.
34 On reste assez surpris de l’affirmation de Jacques Bouveresse selon laquelle Foucault aurait décidé de « ne jamais considérer la question de la vérité a parte rei, mais toujours uniquement, si l’on peut dire, a parte veridictionis et plus précisément a parte veridicentis [du point de vue de la chose – du point de vue du dire-vrai – du point de vue de celui qui dit-vrai]. Et l’impression à laquelle il est difficile d’échapper pour finir est que […] ce n’est pas parce que ce que dit le dire-vrai est vrai que le dire en question peut être qualifié de “vrai”, mais plutôt parce qu’il est un dire-vrai que ce qu’il dit peut être qualifié de “vrai” » (Jacques Bouveresse, Nietzsche contre Foucault. Sur la vérité, la connaissance et le pouvoir, Marseille, Agone, 2016, p. 126). À jouer Nietzsche contre Foucault, Bouveresse en vient à limiter son propos au seul « dire-vrai », omettant précisément toute la réflexion de Foucault sur les jeux de vérité et, plus particulièrement, sur celui qui anime la pratique scientifique. On retrouve, peu ou prou, la même accusation hasardeuse sous la plume d’Yvon Quiniou dans son ouvrage Misère de la philosophie contemporaine, au regard du matérialisme. Foucault est dépeint en sceptique et nihiliste préférant l’analyse des « jeux de vérité » à la vérité elle-même. Il ne s’agit pas là d’une approximation, mais d’une méconnaissance manifeste du travail de Foucault (Yvon Quiniou, Misère de la philosophie contemporaine, au regard du matérialisme. Heidegger, Husserl, Foucault, Deleuze, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 146-153).
35 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 97.
36 Ibid.
37 Michel Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, Paris, Gallimard/Seuil, 2011, p. 106.
38 Ibid.
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Ibid., p. 107.
42 Ibid.
43 Ibid.
44 Ibid.
45 Michel Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit.
46 Ibid.
47 Ibid., p. 108.
48 Id., Théories et institutions pénales, op. cit., p. 209.
49 Ibid.
50 Ibid., p. 210.
51 Ibid.
52 Ibid.
53 Michel Foucault, Théories et institutions pénales, op. cit., p. 211.
54 Ibid., p. 212.
55 Ibid.
56 Id., « Il faut défendre la société », op. cit., p. 8-9.
57 Ibid., p. 159.
58 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », op. cit., p. 159-160.
59 Ibid., p. 160.
60 Ibid.
61 Ibid.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Ibid.
65 Ibid., p. 160-161.
66 Ibid., p. 161.
67 Ibid.
68 Christiane Demeulenaere-Douyère, David J. Sturdy, L’enquête du Régent, 1716-1718. Sciences, techniques et politique dans la France préindustrielle, Turnhout, Brepols, 2008.
69 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », op. cit., p. 161.
70 Ibid., p. 161-162.
71 Ibid., p. 162.
72 Ibid.
73 Yves Gingras, « What did Mathematics do to Physics? », History of Science, XXXIX, 2001, p. 383-416.
74 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », op. cit., p. 163.
75 Ibid.
76 Ibid.
77 Ibid., p. 164.
78 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 50.
79 Ibid., p. 51.
80 Ibid.
81 Ibid., p. 56.
82 Ibid.
83 Ibid.
84 Paulin Ismard, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Paris, Seuil, 2015, p. 185.
85 Ibid.
86 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », op. cit., p. 111.
87 Ibid.
88 Ibid., p. 111-112.
89 Ibid., p. 111.
90 Ibid., p. 112.
91 Ibid.
92 Ibid.
93 Ibid., p. 112-113.
94 Ibid., p. 113.
95 Ibid.
96 Ibid.
97 Ibid.
98 Ibid., p. 113-114.
99 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », op. cit., p. 114.
100 Id., Le pouvoir psychiatrique, Paris, Gallimard/Seuil, 2003, p. 181.
101 Ibid.
102 Ibid., p. 182.
103 Ibid.
104 Ibid., p. 183.
105 Id., Sécurité, territoire, population, Paris, Gallimard/Seuil, 2004, p. 104.
106 Ibid., p. 108.
107 Ibid.
108 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, 2, L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 19.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Enfermements. Volume II
Règles et dérèglements en milieu clos (ive-xixe siècle)
Heullant-Donat Isabelle, Claustre Julie, Bretschneider Falk et al. (dir.)
2015
Une histoire environnementale de la nation
Regards croisés sur les parcs nationaux du Canada, d’Éthiopie et de France
Blanc Guillaume
2015
Enfermements. Volume III
Le genre enfermé. Hommes et femmes en milieux clos (xiiie-xxe siècle)
Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Élisabeth Lusset et al. (dir.)
2017
Se faire contemporain
Les danseurs africains à l’épreuve de la mondialisation culturelle
Altaïr Despres
2016
La décapitation de Saint Jean en marge des Évangiles
Essai d’anthropologie historique et sociale
Claudine Gauthier
2012
Enfermements. Volume I
Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle)
Julie Claustre, Isabelle Heullant-Donat et Élisabeth Lusset (dir.)
2011
Du papier à l’archive, du privé au public
France et îles Britanniques, deux mémoires
Jean-Philippe Genet et François-Joseph Ruggiu (dir.)
2011