Chapitre 4. La fabrique politique du corps
p. 63-85
Note de l’éditeur
Version remaniée de l’article « La fabrique politique du corps. Historiographie sélective des héritages foucaldiens », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 118, janvier-mars 2012, p. 91-114.
Texte intégral
1Le corps occupe une place centrale dans l’œuvre de Michel Foucault. De sa thèse sur l’Histoire de la folie1 à ses derniers travaux sur la biopolitique2 une même attention à l’organique pris dans les rets des discours et des pouvoirs, aux chairs et à leurs enchâssements politiques, relie les productions foucaldiennes. Ce corps qui déborde et sature l’horizon interprétatif de l’œuvre du philosophe n’en finit pas de nourrir une historiographie proliférante. Depuis l’appel inquiet de Jean-Pierre Peter et Jacques Revel en 1974, dans le manifeste en trois volumes de la nouvelle histoire, Faire de l’histoire3, les recherches se sont multipliées pour sonder un territoire somatique désormais saisi par des approches et des points de vue fort variés. Les analyses de Foucault forment un corpus source sans cesse questionné, développé, actualisé et nourri de nouvelles données. Ressaisir ces saillances historiographiques, aujourd’hui visibles dans une myriade d’études de cas, permet de mesurer le travail d’imprégnation, d’acclimatation et d’accommodement dans des espaces disciplinaires variés. Ni compilation exhaustive des œuvres d’épigones, ni recueil des critiques exégétiques de l’œuvre de Foucault, la présente analyse assume la subjectivité d’une lecture historienne des legs du philosophe : l’attention sera portée sur les études et les recherches qui, tout en prenant acte de la geste foucaldienne, ont cherché à élargir les questionnements du philosophe, à déplacer ses problématiques, à déterritorialiser ses concepts, à densifier ses intuitions. L’approche choisie postule également, avec Jean-François Bert, qu’il existe un continuum intellectuel dans la permanence du spectre organique qui hante les analyses de Foucault, celui « du rôle du corps dans la modernité à partir de sa constitution par l’ensemble des réalités sociales, des pratiques de pouvoir et des discours4 ».
2Les héritages foucaldiens sur le somatique s’organisent selon trois axes qui se recoupent et se répondent. Le premier interroge, après Surveiller et punir, les modes d’asservissement, de contrôle et de dressage des corps. La place du châtiment dans l’espace des représentations ainsi que sa théâtralisation codifiée aux xviiie et xixe siècles élargissent le questionnaire sur les peines et les punitions. Traités par Foucault avec moins de profondeur, les corps au travail drainent aujourd’hui des recherches novatrices qui articulent la notion de discipline d’atelier aux interprétations marxistes de la captation des forces productives. Le deuxième axe se déploie autour du dernier Foucault et de ses interprétations du pouvoir biopolitique. Concept plastique et polymorphe, la biopolitique nourrit des études récentes sur la forme contemporaine des asservissements somatiques produits par le néolibéralisme en même temps qu’elle participe à la redéfinition des modes de gouvernement. La sexualité forme le troisième chantier historiographique ouvert par Foucault. Si des impasses ou des insuffisances, notamment en ce qui concerne la sexualité féminine, ont été pointées dans les recherches du philosophe, son travail théorique sur la production des corps, en tant que surface de résistance et de retournement du pouvoir, a inauguré une réflexion actuelle sur l’importance des discours subversifs.
3En proposant de pointer les feux persistants de l’œuvre abrasive de Foucault sur le corps et les dialectiques qui le lient au pouvoir, je propose d’engager une réflexion sur les usages qui peuvent être faits d’un corpus monstre de concepts et de cadres d’interprétation dans les travaux actuels en sciences humaines et sociales.
Discipline et pouvoir
4L’effroyable supplice de Damien qui ouvre Surveiller et punir place les châtiments et les peines au cœur du processus disciplinaire détaillé par Michel Foucault5. Arlette Farge, la première, insiste sur la multiplicité des châtiments et l’importance de leur visibilité dans son ouvrage La vie fragile paru en 1986. Plus généralement c’est le processus de ritualisation qui prend place dans la trame de la vie quotidienne des villes. La peine de mort en particulier permet de démontrer la puissance du roi. En imposant le spectacle du trépas, le monarque souhaite maintenir la paix et détourner les pulsions criminelles. L’historienne décèle ici un lien entre la fête et le supplice :
Pour que l’exécution capitale prenne sa dimension totale, elle est célébrée à travers une ritualisation minutieuse des gestes et des signes, une répétition du même qui ne doit pas laisser place à aucune manifestation de la pensée que celle de la contemplation soumise. Comme la fête l’exécution doit perpétuer l’alliance entre le peuple et le roi : la punition en est seulement un des objets extrêmes. L’immobilité du rite doit, avant tout, préserver la fixité du sens accordé à l’acte qui se déroule sous les yeux du public. Rien ne doit, au cœur de cette utopie du pouvoir, dévier de ce sens initial6.
5La peine de mort prend place dans un ensemble plus vaste de règles qui délimitent un espace public et démonstratif d’expression politique : la force et la toute-puissance royale s’incarnent dans un spectacle aux codes bien définis et qui prend le corps pour cible. En replaçant la mise à mort dans le répertoire des représentations courantes, la monarchie envisage le territoire somatique du criminel comme une surface d’expression de son autorité. Celle-ci n’est préservée qu’à la condition d’un respect scrupuleux du rituel : aucune scorie ne doit perturber l’agencement des actes menant à la mise à mort7.
6À la suite d’Arlette Farge, de nombreux historiens ont enquêté sur l’espace public d’expression politique que la peine capitale, et plus généralement les supplices, ouvrent à la fois dans le registre des formes judiciaires d’exécution et dans le quadrillage urbain. La thèse récente de Pascal Bastien vise précisément à saisir le dialogue que le rituel de mort instaure entre « la justice et les justiciables8 » dans le Paris du xviiie siècle. La définition même qu’il donne de l’« exécution publique » recouvre « toutes les manifestations pénales mises en scène en public par le bourreau […] la mort judiciaire ne représent[ant] au xviiie siècle qu’une petite partie du spectacle pénal9 ». Les propositions de Foucault, énoncées dans Surveiller et punir, fournissent un premier cadrage que Bastien affine, corrige et étend. Le corps docile décrit par le philosophe a totalement intégré les contraintes qui définissent les possibles de ses déplacements et de ses mouvements. Le châtiment forme une « technologie politique du corps » entrecroisant les rapports de pouvoir « par le savoir (l’aveu) et le corps10 ». L’anatomie du supplicié est striée par le pouvoir qui appose sur elle les marques de son expression. Toutefois Pascal Bastien reproche à Foucault de ne pas tenir compte du contexte particulier des années 1750 et de l’ancrage social de l’administration des peines. Il existe tout un réseau « infrajudiciaire » qui, bien en amont du geste royal, arbitre et régule11. Cette prise en compte d’un ordre judiciaire en deçà de la saisie violente des corps oblige à une remise en question théorique de la notion de politique. La perspective proposée par Foucault d’une focalisation sur le geste royal est trop rigide. Bastien souligne à la fois la complexité et la longueur du rituel pénaliste qui transforme l’exécution en une cérémonie judiciaire ; il remarque qu’il est indispensable de saisir tous les châtiments, y compris ceux qui ne sont pas létaux. En élargissant le cadre interprétatif de la peine, Pascal Bastien concentre son attention sur une culture juridique structurée par deux pôles : le discours et le lecteur. Le corps n’est plus central dans cette analyse. La surface somatique s’efface ; la prise du pouvoir sur l’organique se dissout dans une attention plus fine aux processus dialogiques qui s’instaurent entre la justice et le public. Reprenant les propositions de Christian Jouhaud, Pascal Bastien envisage « le concept de public » dans sa construction dialectique avec la notion de spectacle12 : ce sont les modes de persuasion, les effets de conviction et d’argumentation qui délimitent l’espace de « négociation que mirent en jeu, entre la justice et les justiciables, les rituels parisiens de l’exécution publique13 ».
7Le corps affecté par les peines, soumis aux marques du pouvoir, laisse place, dans cette étude, à une analyse des formes de dialogue que la justice du siècle des Lumières tente d’imposer dans un infrajudiciaire foisonnant. Le déplacement historiographique opéré à partir de Surveiller et punir consiste principalement à agrandir la focale d’analyse : l’historien prend en compte la totalité du rituel de condamnation, le public visé, la rhétorique des actes et des gestes, la spectacularisation de la peine. Le châtiment ouvre une scène codifiée, une parole attendue, un imaginaire saturé à l’avance.
8La question du marquage des corps, de la visibilité des peines a suscité des interprétations concurrentes. Les historiens s’accordent en général sur l’idée que la discipline est une économie de la perception somatique. Arianna Sforzini soutient, à juste titre, que le corps, pour « les réformateurs du xviiie siècle », n’est « qu’une surface pour des jeux du regard14 ». Le corps est d’abord un signe, espace de projection des représentations politiques. La punition qui prend l’organique pour objet peut manifester sa puissance par les traces qu’elle laisse et rend visibles :
Les châtiments imaginés par les grands réformateurs des Lumières supposent encore un jeu des corps : danger d’un excès du corps du roi, pas totalement disparu ; menace d’une subversion des corps singuliers et collectifs, bouillonnant dans les corps-contrat. On ne s’adresse à l’âme et à l’esprit que depuis une politique des corps économiques et efficaces, à travers la circulation des signes15.
9Toutefois, Georges Vigarello note, lui, que « les contraintes disciplinaires ont d’autant plus de force qu’elles ne touchent pas le corps ». Ainsi le « dispositif du panoptique » n’est-il fondé sur « aucune prise immédiatement physique16 ». L’historien y voit l’importance de l’« incorporel », « ressort le plus redoutable de la soumission17 ». D’une certaine façon, en ignorant complètement le corps, en le privant de tous les relais sensibles qui le ramènent à la communauté humaine, l’achèvement disciplinaire par l’incorporel renvoie les individus à une inhumanité fondamentale. Exclus de la communauté collective, ils sont privés de tous les contacts qui les associeraient, même négativement, à un ordre social qui veut s’en séparer. Il y a là un principe fondamental non plus seulement d’assujettissement des corps, mais de désincarnation complète.
10L’historiographie contemporaine approfondit également la question du spectacle, de sa théâtralisation et de son étalement. Sylvain Rappaport, dans sa belle thèse sur la Chaîne des forçats de 1792 à 1836, souligne que cette procession ferrée est d’abord une « mise en scène du corps du criminel » offert à « toute la France18 ». Dans la même perspective que Pascal Bastien, Rappaport envisage ce « défi des condamnés » comme un « renversement du spectacle disciplinaire19 » : la puissance publique souhaite que les forçats soient visibles de tous, que leur exposition serve d’exemple, inspire la crainte de l’infraction et de sa sanction ; mais dans le même temps, un si long périple est une formidable occasion pour les détenus de défier l’autorité par les chants et les provocations. Renversant, une nouvelle fois, la vision foucaldienne – tout entière tendue vers le corps criminel soumis au pouvoir –, Sylvain Rappaport détaille les « visages de la foule20 » qui observent la procession, invectivent, haranguent, rient. Cette foule – indispensable à l’autorité politique – n’est pas moins nécessaire « au spectacle que les galériens s’apprêtent à donner21 » : jets de projectiles en direction des témoins, rires, bravades, agitation des chaînes… Tout est bon pour détourner les symboles et subvertir les marques d’autorité et d’humiliation.
11La thèse foucaldienne du pouvoir disciplinaire est ici enrichie d’une analyse minutieuse du spectacle de la peine dans toutes ses dimensions : la foule qui entoure la scène d’exécution ou celle qui suit le parcours des forçats n’est pas sans visage. L’analyse politique des formes d’accaparements somatiques est considérablement densifiée par cette confrontation des points de vue. L’expression des criminels, dans la thèse de Rappaport, comme celle des instances négociatrices de l’infrajudiciaire, dans celle de Bastien, oblige à déplier la chaîne des coercitions, à déployer plus largement encore le spectre des discours publics. Le corps du condamné n’est pas seul en jeu dans le spectacle de la peine : il prend place, sur une scène bigarrée et mise en tension par la saturation des attentes, il fait face aux corps multiples des foules et aux corps repérables des bourreaux et des gardiens. Ce n’est plus simplement la démonstration d’une violence politique verticale qui opère, même si elle reste au principe du châtiment : mouvements de la foule, négociation du juge, dialogues par-delà les corps criminels exhibés, la discipline du châtiment offre un répertoire complexe d’articulations qui ne peuvent être détachées de leurs contextes historiques.
12Le propos de Foucault dans Surveiller et punir ne se limitait pas à l’étude des procédures pénales dans le quadrillage et la soumission des corps. Le philosophe visait l’ensemble des techniques disciplinaires. À plusieurs reprises dans son maître ouvrage de 1975, il évoquait la discipline d’atelier. Philippe Lefebvre a soigneusement listé les recours foucaldiens à l’usine et à ses systèmes de contrainte. Le grand paradoxe du travail de Foucault réside dans un certain réductionnisme, qui ramène la discipline d’atelier « à un cadre commun de présentation des techniques de discipline22 ». Le recours à Marx permet de signaler trois grandes différences avec l’auteur du Capital : « Le corps concerne tout le monde », sans tracer de ligne de partage entre prolétaires et capitalistes ; le pouvoir foucaldien est diffus et peut même être déployé par ceux qui subissent l’arsenal disciplinaire ; enfin, le point d’attaque de la coercition est le corps, « objet liminaire, qui peut coexister avec d’autres objets […]23 ». Lefebvre remarque la complémentarité des approches de Marx et de Foucault. Toutefois leur articulation reste marquée par l’étendue des techniques visées par le philosophe français. Les points originaux qu’il met au jour témoignent de son souci d’une perspective grand angle sur les mécanismes d’assujettissement : transformation des espaces, enregistrement des acteurs, articulation des modes de surveillance et de normalisation24. Rien ici n’est spécifique à l’atelier. Lefebvre souligne très justement les contradictions qui sourdent dans le rapprochement Marx-Foucault. La notion de coopération chez Marx renvoie à un « simple mode d’organisation de l’action collective25 » ; pour Foucault, trois procédés structurent la coopération : une « réduction des corps au statut d’élément », un « ajustement des temps individuels » et un système d’ordre passant par des signaux26. En pointant la non-spécificité de la discipline d’atelier, Foucault veut élargir l’analyse et retrouver les lignes sous-jacentes d’une discipline générale qui prend les corps pour objet. Cette prise somatique générique ne distingue pas l’usine de la prison, la colonie pénitentiaire de la caserne : l’étude du disciplinaire place le projet politique d’assujettissement de l’organique en principe moral général. Les espaces dans lesquels se déploient les modes de coercition déclinent des particularismes infinitésimaux qui ne doivent pas cacher les invariants coercitifs et politiques à l’œuvre. Les corps dressés, du panopticon à l’établi, témoignent d’une même orthopédie sociale dont la diffusion n’est pas verticale, comme chez Marx, mais générale : les corps soumis peuvent à leur tour soumettre. Philippe Lefebvre termine son analyse en pointant les limites déjà connues des propositions de Michel Foucault. D’une part la discipline d’atelier ne semble avoir connu une diffusion très large ni une imposition très profonde27. Surtout, la plupart des techniques de domination corporelle que décrit le philosophe ne concernent pas l’âge classique – qu’il place en siècle souche du mouvement disciplinaire – mais le xixe siècle28. Ces critiques, pertinentes et argumentées, déplacent la chronologie et – surtout – engagent une réflexion sur des articulations possibles entre l’approche marxiste des disciplines et la thèse de Foucault. Stéphane Legrand a procédé à une intéressante archéologie du texte de Surveiller et punir pour saisir les recoupements possibles. S’appuyant sur le manuscrit du cours de Foucault au Collège de France de l’année 197329, intitulé « La société punitive », Legrand cherche à échapper à la « méthode d’abstraction » qui innerve Surveiller et punir en accordant « une valeur générale à […] des éléments qui ne prennent sens qu’au sein des contextes particuliers30 ». Le cours de 1973 opère une jonction entre « la forme-prison » qui se rattache « au développement tendanciel (qui lui est contemporain) de la forme-salaire, qui en est historiquement jumelle31 ». Le temps pénètre le système capitaliste en même temps que le système pénal. Foucault envisage alors la coercition comme une organisation générale des « contrôles sociaux32 ». Legrand note ici une schize remarquable avec Surveiller et punir : la lutte des classes fixe le point d’ancrage d’une subjectivité construite par le disciplinaire dans le cadre des « rapports de production capitalistes ». Le corps au travail devient l’espace d’investissement d’un ensemble de dispositions visant à la réalisation des profits. « Le corps de l’ouvrier » inquiète non seulement parce qu’il est potentiellement le foyer « de l’illégalisme de prédation et de déprédation », mais également parce que la paresse, les libations ou les festivités laissent craindre un « illégalisme de dissipation33 ». Le corps est un capital objectivé par les rapports de production : son épuisement ou la dispersion de ses énergies oblitèrent les profits futurs34. La discipline n’intervient pas, dans ce cours de 1973, comme un régime théorique général : elle opère la jonction dialectique entre une perpétuation des rapports de production et une mise en forme des subjectivités pour leur intégration dans le mouvement capitaliste. Stéphane Legrand remarque, pour conclure, que
La force de travail n’est pas une réalité sui generis que l’appareil de production viendrait prendre où elle se trouve (parce qu’elle n’a d’autre solution que de se louer) : elle est le résultat d’une production antérieure à la production, d’une production de la disposition à produire comme telle par les instances de moralisation étatisées, par les mécanismes policiers du coercitif, par le contrôle patronal du travail du travailleur, mais il faut aussi protéger la force de travail de son propre porteur, protéger du producteur immédiat la condition de la reproduction élargie35.
13L’enjeu d’un tel croisement avec la théorie marxiste est de dégager le niveau auquel opère la discipline : elle engage bien sûr un déploiement à partir de la superstructure, tout en jouant « en deçà de l’infrastructure elle-même36 » par la diffusion des formes organisées de subjectivité. Rattachant ainsi la thèse foucaldienne aux concepts marxistes, Legrand dévoile les soubassements de Surveiller et punir et invite à une re-politisation des thèmes disciplinaires37.
14Si les travaux à partir de Foucault ont proposé des élargissements de point de vue, en visant le rôle de la foule, la place du spectacle, l’enjeu des procédures moins coercitives comme la négociation, ainsi que le retournement des dispositifs d’oppression, tous n’ont pas conservé une place centrale au corps. Du moins la présence organique se dilue-t-elle dans les procédures disciplinaires que Foucault a parfois un peu trop réduites à un diagramme de pouvoir général. Plus globalement, l’historiographie du disciplinaire propose un grand déplacement du chronotope foucaldien : le xixe siècle apparaît comme l’ère appropriée aux formes coercitives de domination des territoires somatiques. Ce déplacement n’est pas neutre et explique, au moins en partie, la pertinence du rapprochement opéré avec les concepts marxistes. Une lecture attentive de la genèse de Surveiller et punir ainsi que la réactivation des outils développés par Marx permettent d’envisager une analyse des dialectiques corps-politique sous l’angle des rapports économiques. Les propositions théoriques du dernier Foucault, celui de la gouvernementalité et du biopolitique, actualisent, via l’étude du néolibéralisme, les cadres d’intelligibilité des formes politiques.
Gouvernementalité et biopolitique
15Les chantiers entrepris par Michel Foucault à la fin des années 1970 et au début des années 1980 ne sont pas sans rapport avec ses premiers travaux sur le pouvoir disciplinaire. Pierre Lascoumes note que les disciplines « annoncent la gouvernementalité dans la mesure où l’obéissance est politique : d’un côté, elle majore les forces du corps, son utilité, sa productivité ; et de l’autre, elle diminue le besoin de forces contraignantes extérieures car elle est intériorisée38 ». En articulant les techniques, les individus et les pratiques collectives, le disciplinaire engage une réflexion sur les formes politiques de gouvernement39. C’est toutefois bien plus tard que Foucault entreprendra un travail définitoire de la notion de gouvernementalité, devenue par la suite centrale dans son corpus théorique : d’abord mobilisée pour décrire l’exercice du pouvoir à destination de la population40, la gouvernementalité permet, dans un deuxième temps, de détailler « la rencontre entre les techniques de domination exercées sur les autres et les techniques de soi41 ».
16Cette évolution conceptuelle a ouvert un espace d’interprétation riche et dense. L’émergence, dans la deuxième moitié du xxe siècle, du néolibéralisme comme mode d’agencement des formes de production, des affects et des corps a offert un terrain particulièrement fécond à l’analyse de la gouvernementalité contemporaine.
17Pierre Dardot et Christian Laval ont, dans leur ouvrage La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale paru en 2009, réactivé les propositions foucaldiennes. La dernière partie de leur analyse entreprend une déconstruction de la « fabrique du sujet néolibéral ». Le postulat des auteurs repose sur la nécessaire « conversion » des sujets à la société industrielle et marchande. Le néolibéralisme procède donc par une maîtrise des « types d’éducation de l’esprit, de contrôle du corps, d’organisation du travail, d’habitat, de repos et de loisir […] » sous-tendue par le projet d’un « idéal de l’homme, à la fois individu calculateur et travailleur productif42 ». Le principe génésique de cette fabrique de l’homme nouveau est un « dispositif d’efficacité » qui repose moins sur le conditionnement de l’organique que sur la « gestion des esprits43 ». C’est à ce point d’intersection des dispositions individuelles et des constructions de nouvelles subjectivités que Dardot et Laval mobilisent le corpus du dernier Foucault. Partant de l’entreprise, lieu d’énonciation princeps de ce diagramme de pouvoir, le néolibéralisme vise désormais l’incorporel en priorité. La « rationalité entrepreneuriale » formule un discours général au croisement des différents « régimes d’existence » des individus. Un lien puissant noue entre elles les sphères du travail et de la vie personnelle, l’entreprise solidarise l’individu à ses propres objectifs politiques. Ici, Dardot et Laval signalent les approches particulièrement stimulantes du sociologue britannique Nikolas Rose. Ce dernier, dans son essai Inventing Our Selves, paru en 1996, formule l’équation principielle du subjectivisme néolibérale : « The enterprising self will make an enterprise of its life, seek to maximize its own human capital, project itself a future, and seek to shape itself in order to become that which it wishes to be44. » Le sujet, conscient de sa propre valeur sur le marché des individus, tend à optimiser ses ressources, c’est-à-dire ses propres capacités. Prolongeant très directement les analyses de Foucault sur le gouvernement de soi, Dardot, Laval et Rose soulignent la nouveauté du système néolibéral de reconfiguration des subjectivités : l’individu travaille « sur lui-même, afin de se transformer en permanence, de s’améliorer, de se rendre toujours plus efficace45 ». Cette rationalisation des aspirations et des désirs, leur formatage et leur mise en conformité avec le souci de la compétition et de la performance témoignent d’un alignement progressif des souhaits de chacun sur les ambitions de l’entreprise. Cet « enrôlement des subjectivités » par le néolibéralisme oblige à revisiter les tentatives de définition du sujet telles que Foucault les avait formulées dans son cours « L’herméneutique du sujet ». Le philosophe proposait de distinguer la trans-subjectivation, caractéristique d’une rupture à l’intérieur du sujet, de l’auto-subjectivation, appelant une « conversion » menée par le sujet sur lui-même dans un « rapport adéquat et plein de soi à soi46 ». Le propos de Foucault ne concerne pas ici le néolibéralisme, mais la chrétienté des premiers siècles et la période hellénistique. Toutefois, Dardot et Laval prennent appui sur ces deux processus de dépassement du sujet par le sujet pour en proposer un troisième, l’ultrasubjectivation entendue comme « un au-delà de soi toujours repoussé, et qui est de plus constitutionnellement ordonnée, dans son régime même, à la logique de l’entreprise et, au-delà, au “cosmos” du marché mondial47 ». Quelle est la place du corps dans cette reconfiguration des subjectivités ? Primat du contrôle disciplinaire, surface élémentaire des autorités de dressage, le territoire somatique n’est plus le seul point d’attaque des nouvelles formes de pouvoir. Il n’est plus la cible politique directe. En revanche, il ré-émerge dans le travail d’ultrasubjectivation du néolibéralisme. Il devient le « produit d’un choix, d’un style, d’un modelage. Chacun est comptable de son cours, qu’il réinvente et transforme à sa guise48 ». Le dépassement de soi, associant l’expression d’une jouissance et le souci de la performance, passe par un arrachement du corps à sa condition initiale, à l’extension, toujours réitérée, de ses capacités. Le déplacement de l’exercice du pouvoir entre l’ordre disciplinaire, consubstantiel pour Foucault de l’époque moderne, et l’ordre néolibéral se fait par le passage d’une prise par corps à une prise sur l’âme. La refondation du sujet selon le nouvel idéal suppose une série d’opérations discursives enracinées dans le corpus de la psychologie. Plus exactement, remarquent Dardot et Laval, les « énoncés psychologiques et les énoncés économiques49 » ont fusionné, enchâssant, dans un mouvement de composition, les émotions du sujet et les attentes du néolibéralisme. Rose, toujours en s’inspirant des travaux de Michel Foucault, analyse la domination de la psychologie, mobilisée pour sa légitimité scientifique. La production de soi est conditionnée par un ensemble complexe et disséminé de technologies visant au « gouvernement de l’âme » : défense de l’autonomie, recherche de la liberté, rectification des comportements soulignent l’importance de la psychologie dans la refondation des identités néolibérales50. Dardot et Laval, tout en acquiesçant à cette idée d’une co-appartenance des « techniques “psy” et [de] la gouvernementalité propre aux démocraties libérales […]51 », refusent d’en rester au stade d’une simple « maîtrise de soi » pour caractériser le pouvoir néolibéral :
La liberté est devenue une obligation de performance. La normalité n’est plus la maîtrise et la régulation des pulsions, mais leur stimulation intensive comme source énergétique première. Car c’est autour de la norme de la compétition entre entreprises de soi que s’opère la fusion du discours « psy » et du discours économique, que s’identifient les aspirations individuelles et les objectifs d’excellence de l’entreprise, que s’accordent en somme le « microcosme et le macrocosme52 ».
18Le corps n’est pas absent de la gouvernementalité néolibérale que décrivent Dardot, Laval et Rose ; il n’est toutefois plus le point d’appui premier du pouvoir. L’idéal nouveau, centré sur le redéploiement et la reconfiguration des subjectivités, en conformité avec les objectifs de l’entreprise, passe par une capture des moyens psychologiques de travailler le sujet dans son ensemble. Le corps n’est qu’un élément, parmi d’autres, de cette grande transformation ultrasubjective. Il intègre le capital personnel d’une entreprise de soi en perpétuelle recherche de performance : sport, sexualité, sommeil, nutrition, attention et vigilance prennent place dans un tableau plus vaste de variables psychosomatiques que l’individu surveille, améliore et augmente. L’organique, visé par le pouvoir disciplinaire classique, ouvrait encore la possibilité d’un repli intérieur, d’une recomposition intime des résistances et des refus. Débordant le territoire somatique, arraisonnant l’âme à son entreprise de mise en conformité des subjectivités aux désirs d’accroissement sans fin du capitalisme, le néolibéralisme vise une prise totale sur les individus par les individus eux-mêmes. Dardot et Laval proposent, en manière de résistance, une « subjectivation par les contre-conduites » qui implique tout à la fois de repousser la fabrique du soi comme entreprise et de contrecarrer les projets de concurrence entre individus53.
19Saisir les profondeurs de la psyché, en débordant le corps et ses stries politiques, n’est-ce pas tordre jusqu’à la rupture les concepts foucaldiens ? Le détour par Spinoza que proposent Aurélie Pfauwadel et Pascal Sévérac permet d’envisager un déplacement théorique fécond. Le corps, dans l’œuvre de Michel Foucault, reste pensé « depuis l’extérieur, il n’a pas d’intériorité propre ». Il s’agit bien pour le philosophe de « court-circuiter l’intériorité, la conscience et la subjectivité, et de contourner toute interprétation d’ordre psychologique54 ». Plus exactement, en insistant sur le travail de subjectivation du pouvoir et les projections sur chaque individu d’une psyché attendue55, Foucault ne nie pas la possibilité d’un travail du pouvoir visant « l’âme » et l’intériorité. Pfauwadel et Sévérac tentent un rapprochement conceptuel de cette subjectivation politique et de la formation de la multitude chez Spinoza. Ils proposent une lecture « “externaliste” du système spinoziste » qui admet – notamment dans le Traité théologico-politique – la possibilité d’une contrainte extérieure au sujet, qui définit la capacité de régner sur l’âme du plus grand nombre comme la formation du plus grand empire. En somme, et sans forcer les propositions théoriques de Foucault, ni celles de Spinoza, Pfauwadel et Sévérac construisent un cadre d’interprétation posant « les deux penseurs comme parallèles dans leur “évidage” du sujet au nom d’une pure “relationalité”, et dans la possibilité de retrouver une précipitation de ces relations en un état individué de la subjectivité, au terme – ou au cours – de l’analyse56 ». Au stade de l’hypothèse théorique, ce croisement semble prometteur. Il n’en reste pas moins qu’il manque une analyse empirique substantielle qui permettrait de consolider l’appareillage conceptuel capable de joindre la multitude à la discipline sans céder à une histoire psychologisante des rapports de pouvoir. Il apparaît toutefois clairement, à ce stade, que le corps ne peut plus constituer le seul support d’une analyse critique des prises politiques. Le déploiement des techniques de gouvernementalité néolibérale – finement détaillées par Dardot, Laval et Rose – oblige à une extension du corpus théorique foucaldien qui n’apparaît pas encore totalement stabilisée.
20Michel Foucault use d’un second concept, la biopolitique, qui lui aussi innerve les travaux de sciences humaines et sociales depuis une trentaine d’années. Frédéric Keck a longuement analysé les usages de ce concept aux contours relativement plastiques57. Écartelé par son créateur entre deux pôles de sens (i. e. biopolitique de la population et anatomo-politique de l’individu), la biopolitique finit par désigner, pour l’époque moderne, un régime de pouvoir partagé entre le « faire vivre » et le « rejeter dans la mort58 ».
21Luca Paltrinieri a souligné combien l’irruption de la population dans l’analyse de Foucault transformait radicalement l’approche politique du biologique :
Il est désormais évident que l’épistémologie historique du concept de « population » ne peut être séparée d’un travail d’histoire des formes de gouvernement précisément dans la mesure où cette épistémologie implique un renouveau de l’ontologie, c’est-à-dire une analyse historique de ce qui est porté à l’existence à partir des pratiques très concrètes qui sont à la fois celles des gouvernants et des gouvernés59.
22Le déplacement du somatique individuel vers le corps social, pris dans ses compositions organiques, s’opère par un changement d’échelle politique ; ce ne sont plus seulement les points d’application du pouvoir qui changent, c’est la manière même d’envisager la saisie politique du biologique qui se transforme.
23Une nouvelle fois cette indexation historique des concepts foucaldiens offre la possibilité de les actualiser à l’infini. La sociologue Dominique Memmi s’est ainsi intéressée à la « biopolitique déléguée » cartographiant les relations de pouvoir, complexes, fragiles et rhizomiques qui lient les corps à l’administration de la santé60. Prenant pour points d’entrée le corps procréateur et le corps mourant, Dominique Memmi cible « le mode contemporain de régulation des excès dans les usages […] » du corps61. Attentive aux procédures les plus infimes, la sociologue entrevoit une forte tension entre « bricolage et sophistication » dans le gouvernement des corps62. Dans le cas de la naissance comme dans celui de la mort, l’autorité s’appuie d’abord et avant tout sur les sujets eux-mêmes. La « gestion rationnelle » du corps est confiée en priorité aux individus. C’est cette manière d’affecter à chacun la conduite de son territoire somatique que Dominique Memmi baptise « biopolitique déléguée63 ». L’État n’est plus cette puissance centralisatrice, panoptique et vertigineuse qui dominait l’édifice sociétal dans un exercice constant de surveillance. Ici, le contrôle est « fragile » et les procédures sont « périphériques64 ». Memmi n’abandonne pas pour autant l’analyse foucaldienne du « systématisme » étatique ; mais elle suggère que soit pris en compte ce qui échappe inexorablement aux institutions, les « failles », les « résistances » et les formes diverses de contournement65. Le filet foucaldien de la biopolitique dispose d’un maillage probablement trop serré et trop uniforme : il est incontestable que le pouvoir sur la vie (et la mort) ne s’exerce pas sur un mode unique. Toutefois, le mérite de Dominique Memmi est de proposer un affinement des outils forgés par Foucault : elle souligne notamment que le philosophe n’a pas assez approfondi la notion de « gouvernement par les corps » reposant notamment, dans le domaine de la santé, sur les représentations diffusées au sein du corps social et susceptibles d’être réactivées par l’institution médicale66. La biopolitique déléguée correspond en outre parfaitement au mode d’exercice du pouvoir tel que Foucault l’avait décrit dans la Volonté de savoir : les rapports de force « servent de larges effets de clivage qui parcourent l’ensemble du corps social. Ceux-ci forment alors une ligne de force générale qui traverse les affrontements locaux, et les relie ; bien sûr, en retour, ils procèdent à des redistributions, à des alignements, à des homogénéisations […]67 ». La biopolitique – dans sa forme déléguée – intègre pleinement les procédures de subjectivation à l’œuvre depuis une cinquantaine d’années dans le cadre du déploiement néolibéral. En somme, le nouveau diagramme articulant gouvernementalité (i. e. conduite des conduites) et biopolitique (gestion des populations) se trouve ici condensé en une maximisation des axiomes de la rationalité individuelle pour sa propre survie.
24La profusion de concepts foucaldiens tentant de fixer la prise politique sur les populations et sur les corps (e.g. gouvernementalité, biopolitique, discipline, pouvoir souverain) conduit le philosophe italien Giorgio Agamben à réévaluer leur articulation et leur superposition éventuelles. Dans le premier volume de sa série Homo Sacer, intitulé Le pouvoir et la vie nue, il réfute le passage d’un pouvoir souverain à la biopolitique à l’époque moderne :
On peut dire en fait que la production d’un corps biopolitique est l’acte original du pouvoir souverain. En ce sens, la biopolitique est au moins aussi ancienne que l’exception souveraine. En plaçant la vie biologique au centre de ses calculs, l’État moderne ne fait alors que mettre en lumière le lien secret qui unit le pouvoir à la vie nue […]68.
25En somme, biopolitique et pouvoir souverain ne seraient pas différents en substance. Pour illustrer sa tentative de généralisation, Agamben détaille la théorie de l’Homo Sacer désignant dans le droit romain antique un condamné tout à fait particulier, puisque mis au ban de la société, il ne pouvait plus être tué selon les rites de celle-ci, mais, dans le même temps, son meurtre n’était pas un homicide. Situation paradoxale d’un homme placé en dehors de la cité, dont l’exécution ne pouvait plus relever du droit de cette dernière, mais qui pouvait malgré tout être mis à mort sans que son meurtrier soit inquiété. Agamben ne cherche pas des variations historiques de l’exercice du pouvoir, il entreprend au contraire une véritable anthropologie structurale de la notion afin d’en dégager les invariants et les permanences. La production de la « vie nue », pure biologie débarrassée des attributs politiques, par une exclusion mortifère et paradoxale serait au fondement de la politique moderne. La figure de l’exclu opère comme fédérateur de la cité : posée à l’extérieur de la zone d’exercice du pouvoir, elle en incarne la limite intangible69.
26Cette thèse, incontestablement séduisante et heuristiquement féconde, n’en reste pas moins une torsion sévère aux propositions faites par Michel Foucault. Il ne s’agit pas ici d’affiner le corpus foucaldien mais de partir d’une de ses composantes pour déplier autrement la dialectique corps-pouvoir. Foucault n’a pas cherché à produire une ontologie politique qui décrierait la transcendance des formes d’autorité et de légitimité ; il s’est au contraire efforcé de cerner les configurations historiques du pouvoir et ses transformations.
27L’arc des usages contemporains des concepts de gouvernementalité et de biopolitique s’étend des réaménagements marginaux aux déplacements théoriques complets en passant par les réformes substantielles. Reconnaissons que le corpus foucaldien ainsi fragmenté perd incontestablement de sa cohérence. Aucune méta-théorie du corps politique mis en tension par les modes de gouvernement et par le contrôle des populations n’a encore supplanté les propositions du philosophe. Les tentatives de Giorgio Agamben, pour stimulantes qu’elles soient, n’en restent pas moins arrimées au référentiel conceptuel de Michel Foucault. Une des difficultés majeures qui apparaît dans les tentatives de dépassement de la gouvernementalité et de la biopolitique réside très probablement dans l’indispensable ouvrage empirique qu’il reste à accomplir. Dans l’état actuel de l’historiographie, des glissements et des déplacements travaillent le continent Foucault en insularisant l’archipel néolibéral, en plissant la biopolitique aux formes contemporaines des bricolages individuels et des rationalités bioéthiques et en ramenant la région du pouvoir juridico-institutionnel vers la zone incertaine du ban et de la vie nue.
Sexualité et genre
28Les trois volumes de l’Histoire de la sexualité ont fourni une architectonique de la « science du sexe », des formes du plaisir et de la conduite individuelle70. On sait l’entreprise inachevée : les sources antiques employées limitent le cadre d’intelligibilité à cette seule période. Thomas Laqueur, dans son maître ouvrage La fabrique du sexe, entreprend une double histoire du sexe, celle du genre et celle de l’anatomie, de Galien à Freud. La chronologie de l’enquête est plus vaste que chez Foucault, l’orientation théorique paraît aussi plus indécise. Michèle Perrot note avec raison que Laqueur écrit à distance du philosophe, approuvant certains des passages de son travail, en critiquant d’autres71. Ainsi il reconnaît avec Foucault qu’avant la Renaissance « il n’était de sexe essentiel, profond et vrai, qui différenciait l’homme culturel de la femme », mais il s’oppose à l’idée utopique d’une indifférenciation sexuelle ouvrant la place à un choix pour les hermaphrodites72. Ambivalent à l’endroit de Foucault, presque encombré par sa proximité, Laqueur se détache de ce référentiel pour dégager une histoire des représentations et de leur caractère contraignant.
29Historiciser la sexualité à partir de Foucault suppose un substantiel travail de critique : débusquer les points aveugles d’une analyse inachevée reste délicat. Lydie Bodiou a remarquablement synthétisé les insuffisances de l’Histoire de la sexualité tout en proposant quelques pistes de réflexion. Les femmes, note-t-elle après Lin Foxhall73, sont les « grandes absentes » du triptyque foucaldien74. Les sources mobilisées sur la période antique laissent dans l’ombre de nombreux acteurs. Seuls les hommes, adultes et citoyens, occupent la scène. Certes, Foucault évoque les gynaikes, les épouses, les femmes de citoyens75, mais il s’agit de sexualités satellites, toujours rattachées à la figure mâle. Bodiou conclut à une lecture « unidimensionnelle76 ». Elle propose, pour compléter l’analyse, de s’intéresser aux sexualités minoritaires, peu visibles et moins documentées. L’amour entre femmes, en particulier, constitue un chantier historiographique majeur. En évacuant le masculin des représentations, il est permis de saisir la complexité d’une sexualité qui n’est pas assujettie aux mêmes formes de pouvoir. Les œuvres fragmentaires de Sappho de Lesbos, qui décalent l’enquête au vie siècle, mettent en lumière l’« expérience féminine du désir77 » : troubles, chaleur, brouillage des sens, sensualité, caresses et jouissances innervent un discours radicalement différent de celui des hommes et même de celui des épouses78. La poésie de Sappho livre ici un contrepoint politique à la sexualité mâle : les femmes sont décrites « comme sujets et comme actrices, montrant que la sexualité peut s’affranchir […] du pouvoir totalisant du discours masculin79 ».
30La poésie saphique est l’un des points d’entrée privilégiés des études renouvelant les approches foucaldiennes de la sexualité et du genre. Claude Calame repère, dans ce corpus particulièrement évocateur, des éléments de déstabilisation des catégories sexuelles. En amont, l’historien opère un déplacement méthodologique par rapport à l’approche foucaldienne. Il remarque que « l’enquête archéologique », en visant les « textes fondant la reconstruction de l’homme de désir dans les pratiques de soi […] », les a constitués en « documents » et non en « discours80 ». Il en résulte une perte de « leur épaisseur discursive et de leur pragmatique81 ». En outre, les femmes n’apparaissent que dans leurs relations aux hommes. Claude Calame propose un redécoupage des sources que Foucault avait choisi d’explorer pour interroger le désir et son expression. L’historien essaie de « restituer aux textes anciens les positions et stratégies énonciatives assumées par un sujet qui s’énonce en je (ou en nous)82 ». C’est alors « la force divine d’Éros, serviteur d’Aphrodite », qui affleure dans des « formes poétiques pratiques et ritualisées83 ». Pour qu’un énoncé puisse être performatif, il faut que la puissance d’édiction soit celle d’un sujet conçu comme « la résultante à la fois dynamique et instable d’un processus complexe de fabrication organique et neuronale de l’homme » toujours en « interaction avec son environnement social et son milieu géographique84 ». Claude Calame décrit un « processus “anthropopoiétique” » qui tend à pluraliser la « fabrication identitaire85 ». L’enjeu est ici de dépasser la conception fixiste du sujet que Foucault tend à saisir pour reconstituer les pratiques sexuelles. Il y aurait, sous-jacent, un « sujet désirant », finalement « peu sensible aux identités et aux représentations respectives de l’un et l’autre sexe dans leurs rapports sociaux et culturels […]86 ». Or le soi grec est pris dans des rapports complexes aux « institutions religieuses » et « aux pratiques rituelles qu’elles impliquent87 ». Dans cet espace d’expression des corps sexués, la poésie occupe une place fondamentale. Claude Calame prend ainsi l’exemple de Sappho, dont il montre combien son expression poétique est centrée sur l’affirmation d’un « je anonyme, non marqué du point de vue du genre (grammatical)88 ». Le sujet qui émerge de cette affirmation du désir n’est pas « autonome et conscient », puisqu’il reste animé par la « figure divine d’Éros89 ». D’autres poèmes se distinguent par la présence d’un « je poétique » qui a la force d’un « nous collectif90 ». Le sujet désirant est alors inscrit dans « une relation générale homoérotique, féminine ou masculine […]91 ». Déjouant toutes les catégories contemporaines de fixation des identités sexuelles, la subjectivation grecque échappe à l’« herméneutique de soi ». En prenant le corps désirant comme point d’appui d’une réévaluation de la performativité discursive de la poésie, Claude Calame prolonge et étend les analyses foucaldiennes. Il met au jour une « subjectivation d’ordre “anthropopoétique” […] » qui introduit « la construction dynamique d’une identité physique, psychique, sociale et culturelle de l’homme en relation, en communication et en interaction avec les autres […]92 ». L’approche méthodologique consistant à intégrer les textes rituels dans le corpus des discours performatifs des sexualités antiques permet de réinvestir la question du sujet. Elle offre une vue plus ample sur les façons dont le corps, porté par les discours, se joue des catégories trop figées.
31Il n’est donc pas douteux que le corpus de sources antiques puisse être mobilisé plus largement encore. Toutefois, cette extension du domaine de l’archive n’implique pas nécessairement une remise en question profonde de l’articulation entre la science du sexe, l’anthropologie des plaisirs et la formation de la « vie bonne » qui occupe l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault. Judith Butler est l’une des théoriciennes les plus prolixes et les plus originales des gender studies. Une grande partie de son œuvre discute les analyses foucaldiennes. Dans son ouvrage Ces corps qui comptent, Butler exploite le concept de « contrainte productive » forgé par Foucault ; elle reprend en particulier à son compte l’idée d’une catégorie « Sexe » construite comme normative : le pouvoir, par l’énoncé d’un ensemble de règles définissant la sexualité, « produit » les corps sexués en même temps qu’il les régit93. Butler articule cette régulation créatrice avec le processus de « matérialisation qui, au fil du temps se stabilise et produit l’effet de frontière, de fixité et de surface que nous appelons la matière94 ». L’engendrement des chairs est rendu possible par un jeu complexe de contraintes qui font advenir la forme corps. La normalisation du « sexe » mérite d’être interrogée : Butler insiste sur la subversion potentielle qu’ouvre la réitération de l’acte sexuel. Des « failles et des fissures » ébrèchent le discours normatif95 : fixant une limite, le pouvoir de régulation des sexualités est immédiatement débordé par l’au-delà de cette limite, comme une manière d’en éprouver la légitimité. La comparaison avec Aristote s’avère ici des plus éclairantes. Judith Butler s’inspire du concept de schéma développé par le Stagirite pour envisager le corps comme « une certaine conjonction historiquement contingente de pouvoir et de discours ». Cette proposition rejoint l’analyse foucaldienne du territoire somatique conçu comme site d’investissement du pouvoir. Le recours à l’âme et au travail de subjectivation politique de l’organique que mène Foucault laisse ouverte la voie à une interprétation « matérialiste » du pouvoir « dans son effet formateur ou constitutif96 ». Le questionnaire aristotélicien permet d’explorer les « modalités de la matérialisation », c’est-à-dire d’exercice de l’autorité97. Le décentrement ici proposé n’est pas anodin : il est acquis, après Foucault, que le corps est une surface d’exercice du pouvoir, c’est donc la matrice de ce dernier qu’il convient d’explorer. Plus précisément encore, Butler met en tension le principe dialectique qui noue le pouvoir à son lieu d’expression ; elle prend donc la loi comme point d’observation. Le texte législatif fixe des interdits et produit ainsi « l’occasion discursive d’une résistance […] et potentiellement d’une subversion de la loi par elle-même ». La loi produit un discours sur le sexe. Il s’agit certes d’un discours en négatif, circonscrivant pratiques et comportements dans l’espace des permis, mais la mise en exergue d’une frontière entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas introduit la possibilité d’une prolifération du « phénomène social qu’elle vise à restreindre98 ». Foucault avait bien vu ce paradoxe de la loi tout à la fois geste d’exclusion (i. e. les conduites prohibées) et geste d’ouverture.
32Le corps queer offre un terrain d’exploration tout à fait pertinent à cette interrogation sur l’interdit comme désignation des possibles. Butler retrace la généalogie du terme et insiste sur son caractère insultant dans ses premiers usages. Stigmate verbal et tentative d’humiliation, queer est une invective qui produit immédiatement une normalisation. Le corps queer est saisi par le pouvoir de la parole pour être rejeté en dehors de la communauté constituée. Toutefois, souligne Butler, la « réappropriation » de l’expression par les queers est l’occasion de tester une nouvelle forme de performativité : transcender l’injure pour permettre une « production du sujet99 ». Le devenir social du queer est inscrit dans cette interaction violente qui le place hors d’une communauté donnée : il peut alors saisir l’outrage et en faire le lieu de sa propre existence. Butler envisage un travail politique de la question queer qui passerait par l’invention d’un nouveau terme : l’affirmation positive d’une irréductible présence devrait permettre de court-circuiter l’insulte. Il s’agit là d’un horizon sémantique encore hors de portée. La revendication queer est un lieu de guérilla idéologique à partir duquel peut se déployer une puissance d’agir. Ce mouvement interprétatif spinoziste porte en lui, et Butler le souligne nettement, une irrésistible historicisation du queer : ses limites comme ses potentialités sont inscrites dans une chronologie d’actes, de gestes, de slogans et de luttes100. En ce sens, l’insulte est une « reconnaissance » et précède la « formation du sujet101 ». Il est « politiquement nécessaire de revendiquer des termes comme “femmes”, “queer”, “gay” et “lesbien” précisément en raison de la manière dont ces termes revendiquent […] avant même que nous n’en ayons pleinement conscience102 ». Le sujet devenu queer par l’insulte « reprend ou cite ce terme lui-même et en fait la base discursive d’une opposition103 ». L’abjection homophobe est alors dépassée par une réaffirmation positive, souvent théâtralisée, d’une identité sexuelle assumée.
33Butler pousse plus loin encore sa quête d’une politique queer : elle envisage le travestissement comme le refus d’une « mélancolie hétérosexuelle104 ». Il ne s’agit pas de pleurer une perte quelconque ni de consentir à un renoncement. Le retournement de l’injure doit être total pour que soit annulé l’ostracisme initial. En ce sens, « le travestissement est […] le signe du genre, un signe qui se distingue du corps qu’il représente, mais ne peut être lu sans lui105 ».
34C’est ici que la théorie de Butler recroise une nouvelle fois les propositions de Foucault : le travail de politisation du corps passe par un rapport de force avec le pouvoir106. La tentative d’exclusion, par l’injure, est l’occasion d’affirmer une identité queer, d’en cerner les contours, de la rendre publique, de l’exagérer et de jouer des outrances. La légitimité queer se signale par une mise en tension de l’injure et sa traduction via le travestissement. Il ne s’agit pas seulement d’une pratique discursive qui reprendrait le terme et déplacerait ainsi les limites du dicible ; le corps travesti est l’ultime espace d’expression d’une créativité positive qui retourne les injures homophobes et surtout élargit l’espace conceptuel du genre en refusant de regretter une appartenance hétérosexuelle. Ce sont ses ressources, inscrites dans les chairs, qui organisent la puissance d’être queer.
35Le corps politique légué par Foucault était polysémique et plastique : feuilleté de concepts et de théories, échafaudages d’interprétations, sédimentation d’inaboutissements. Il n’est donc pas étonnant que les héritiers (revendiqués ou non) aient joué de cette multitude107. Tel un miroir brisé réfléchissant des fragments de réel en tous sens, le territoire somatique arpenté par Foucault se prêtait à l’éparpillement épigonique. La théâtralité de la peine comme la réinjection des thématiques marxistes enrichissent les avancées proposées par Surveiller et punir ; la gouvernementalité est devenue un outil indispensable pour penser le néolibéralisme ; la biopolitique n’est plus seulement perçue dans l’affirmation d’une puissance verticale, elle permet également de décrire des bricolages moins systématiques ; enfin les gender studies ont, grâce notamment à Judith Butler, exploré l’au-delà de l’histoire hétérosexuelle.
36Un même fil, cependant, unit ces travaux épars dans leurs intentions comme dans leurs heuristiques : le corps est rapidement débordé, dissous, contourné. Même s’il est le lieu princeps des études post-foucaldiennes, il devient le plus souvent une surface politique parmi d’autres (e. g. la foule pour les bagnards). On peut souscrire à la remarque de Georges Vigarello : lorsqu’on étudie le corps, « c’est toujours autre chose que lui108 » qui surgit de l’analyse. La subjectivation néolibérale, les réalignements biopolitiques et disciplinaires d’Agamben ou encore l’injure homophobe témoignent assez de cet investissement politique post-corporel. Il est parfaitement compréhensible que l’interprétation ne puisse se limiter à l’enveloppe charnelle et trace des cadres d’intelligibilité moins étroits. L’insistance de Foucault à évoquer le territoire somatique, son obsession charnelle, que nous n’avons explorée ici pour ses continuateurs que dans son versant politique, nous mettent sur la voie d’une autre explication complémentaire et non contradictoire. La récente édition d’un texte de Foucault à vocation radiophonique intitulé Le corps utopique témoigne d’une recherche d’expérience politique rêvée depuis le territoire somatique. Le philosophe décrit un corps irrésistiblement tendu vers l’ailleurs, cherchant désespérément à échapper à sa condition topique d’assignation fixe109. Cette débauche d’utopies incarnées, ces évasions politiques en dehors de soi ne peuvent être apaisées que par la mort, le miroir et l’amour. Le trépas et le reflet dessinent un contour, ultime pour l’un, évanescent pour l’autre. Seul l’amour, en assignant au corps un « ici » concret, produit la clôture la plus intime du corps sur lui-même110.
37On saisit mieux la poursuite du projet foucaldien à la lumière de ce court texte : il est difficile et même impossible d’échapper à la sortie du corps, à son extraction politique. L’héritage de Foucault en ce domaine est foisonnant ; et l’œuvre elle-même continue donc, dans les innovations qu’elle permet, les distorsions qu’elle autorise et les aménagements qu’elle offre, à dépasser l’étrange persistance somatique à partir de laquelle nous pensons l’ailleurs.
Notes de bas de page
1 Michel Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961.
2 Id., Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France. 1978-1979, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.
3 Jacques Revel, Jean-Pierre Peter, « Le corps : l’homme malade de son histoire », dans Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, 3, Nouveaux objets, Paris, Gallimard, 1974, p. 169-191.
4 Jean-François Bert, « Rationalisation et histoire des corps dans le parcours de Michel Foucault », dans Marco Cicchini, Michel Porret (dir.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, Lausanne, Antipodes, 2007, p. 29-30.
5 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975. François Boullant a bien noté que la discipline ne naît pas d’un corps inerte : « L’âge classique avait fait du corps un centre irradiant. » Le quadrillage politique des corps les rend dociles et se fonde sur des « calculs d’utilité » (François Boullant, Michel Foucault et les prisons, Paris, PUF, 2003, p. 50).
6 Arlette Farge, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1986, p. 207.
7 Ibid., p. 208.
8 Pascal Bastien, L’exécution publique à Paris au xviiie siècle. Une histoire des rituels judiciaires, Seyssel, Champ Vallon, 2006, p. 7.
9 Ibid., p. 10.
10 Ibid., p. 11.
11 Pascal Bastien, L’exécution publique à Paris au xviiie siècle, op. cit., p. 12.
12 Ibid., p. 14. Pascal Bastien se réfère au texte de Christian Jouhaud, « Les libelles en France dans le premier xviie siècle : lecteurs, auteurs, commanditaires, historiens », xviie siècle, 49, 1999, p. 203-217.
13 Pascal Bastien, L’exécution publique à Paris au xviiie siècle, op. cit., p. 15.
14 Arianna Sforzini, Michel Foucault. Une pensée du corps, Paris, PUF, 2014, p. 47.
15 Ibid., p. 48.
16 Georges Vigarello, « Mécanique, corps, incorporel », dans Luce Giard (dir.), Michel Foucault. Lire l’œuvre, Grenoble, Jérôme Millon, 1992, p. 199.
17 Ibid., p. 200.
18 Sylvain Rappaport, La chaîne des forçats, 1792-1836, Paris, Aubier, 2006, p. 9.
19 Ibid., p. 145.
20 Ibid., p. 146.
21 Ibid., p. 155.
22 Philippe Lefebvre, « Foucault et la discipline d’atelier : problèmes soulevés par une contribution originale », dans Armand Hatchuel, Éric Pezet, Ken Starkey, Olivier Lenay (dir.), Gouvernement, organisation et gestion : l’héritage de Michel Foucault, Québec, Presses de l’université Laval, 2005, p. 187.
23 Ibid., p. 189.
24 Ibid., p. 190.
25 Ibid., p. 193.
26 Ibid.
27 Ibid., p. 197. Philippe Lefebvre fait allusion aux travaux de Patrick Fridenson (« L’autorité dans l’entreprise en France et en Allemagne, 1880-1914 », dans Jürgen Kocka [dir.], Les bourgeoisies européennes au xixe siècle, Paris, Belin, 1996, p. 307-332) et de Jean Fombonne (Personnel et DRH. L’affirmation de la fonction personnelle dans les entreprises [France 1830-1990], Paris, Vuibert, 2001).
28 Philippe Lefebvre, « Foucault et la discipline d’atelier », art. cité, p. 200.
29 Au moment de la publication de l’article de Stéphane Legrand (2003), le cours de Foucault n’avait pas été encore publié. Il a été édité en 2013 : Michel Foucault, La société punitive, Paris, Éditions de l’EHESS/Gallimard/Seuil, 2013.
30 Stéphane Legrand, « Le marxisme oublié de Foucault », Actuel Marx, 36, 2003, p. 30.
31 Stéphane Legrand, « Le marxisme oublié de Foucault », art. cité, p. 34.
32 Ibid., p. 35.
33 Ibid., p. 37.
34 Ibid., p. 37-38.
35 Ibid., p. 39.
36 Ibid., p. 42.
37 Ibid., p. 43.
38 Pierre Lascoumes, « Surveiller et punir, laboratoire de la problématique de la gouvernementalité : des technologies de surveillance pénitentiaire à l’instrumentation du pouvoir », dans Marco Cicchini, Michel Porret (dir.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, Lausanne, Antipodes, 2007, p. 25.
39 Ibid., p. 27.
40 Michel Foucault, « La “gouvernementalité” », dans Id., Dits et écrits, 2, 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 655.
41 Id., « Les techniques de soi », dans ibid., p. 1604. Sur la longue généalogie des techniques de vérité que Foucault a reconstituée de l’Antiquité à l’époque contemporaine, je me permets de renvoyer à Jérôme Lamy, « Dire-vrai, aveu et discipline : Michel Foucault et les techniques de vérité », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 143e année, CCVIII/2, 2018, p. 201-218.
42 Pierre Dardot, Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009, p. 405-406.
43 Ibid., p. 406.
44 Nikolas Rose, Inventing Our Selves. Psychology, Power and Personhood, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 154.
45 Pierre Dardot, Christian Laval, La nouvelle raison du monde, op. cit., p. 414.
46 Michel Foucault, L’herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, Paris, Gallimard/Seuil, 2001, p. 206.
47 Pierre Dardot, Christian Laval, La nouvelle raison du monde, op. cit., p. 437.
48 Ibid., p. 438.
49 Ibid.
50 Nikolas Rose, Governing the Soul. The Shaping of the Private Self, Londres, Free Association Books, 1999, en particulier la quatrième partie, « Managing Our Selves », p. 217-262.
51 Pierre Dardot, Christian Laval, La nouvelle raison du monde, op. cit., p. 441.
52 Ibid.
53 Ibid., p. 479-480.
54 Aurélie Pfauwadel, Pascal Sévérac, « Connaissance du politique par les gouffres. Spinoza et Foucault », dans Yves Citton, Frédéric Lordon (dir.), Spinoza et les sciences sociales. De la puissance de la multitude à l’économie des affects, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 207.
55 Ibid., p. 210.
56 Ibid., p. 211.
57 Frédéric Keck, « Les usages du biopolitique », L’Homme, 187-188, 2008, p. 295-314.
58 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, 1, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 181.
59 Luca Paltrinieri, L’expérience du concept. Michel Foucault entre épistémologie et histoire, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 248.
60 Dominique Memmi, Faire vivre et laisser mourir : le gouvernement contemporain de la naissance et de la mort, Paris, La Découverte, 2003.
61 Id., « Administrer une matière sensible. Conduites raisonnables et pédagogie par corps autour de la naissance et de la mort », dans Didier Fassin, Dominique Memmi (dir.), Le gouvernement des corps, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004, p. 135.
62 Ibid.
63 Ibid., p. 136.
64 Ibid., p. 150.
65 Ibid., p. 151.
66 Ibid.
67 Michel Foucault, La volonté de savoir, op. cit., p. 124.
68 Giorgio Agamben, Homo Sacer, 1, Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997, p. 14.
69 Deux articles présentent en détail l’articulation des concepts d’Agamben avec ceux de Foucault : Nicolas Fischer, « Les corps normés n’ont rien d’exceptionnel. Usages contemporains du concept de biopouvoir dans la sociologie de l’État », dans Sylvain Meyet, Marie-Cécile Noves, Thomas Ribemont (dir.), Travailler avec Foucault. Retours sur le politique, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 75-95, et Frédéric Keck, « Les usages du biopolitique », art. cité, p. 303-306.
70 Michel Foucault, La volonté de savoir, op. cit. ; Id., Histoire de la sexualité, 2, L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984 ; Id., Histoire de la sexualité, 3, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984 ; Les aveux de la chair (Gallimard, 2018), constituent le quatrième et dernier tome de cette Histoire de la sexualité.
71 Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998, p. 414-415.
72 Thomas Laqueur, La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 1992, p. 142.
73 Lin Foxhall, « Pandora Unbound: A Feminist Critique of Foucault’s History of Sexuality », dans David H. J. Larmour, Paul Allen Miller, Charles Platter (dir.), Rethinking Sexuality. Foucault and Classical Antiquity, Princeton, Princeton University Press, 1998, p. 122-137.
74 Lydie Bodiou, « La “grande absente” chez Michel Foucault. La sexualité des femmes grecques dans l’Antiquité », dans Jean-Claude Bourdin, Frédéric Chauvaud, Vincent Estellon, Bertrand Geay, Jean-Michel Passerault, Michel Foucault. Savoirs, domination et sujet, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 25-26.
75 Ibid., p. 28.
76 Ibid., p. 29.
77 Ibid., p. 31.
78 Lydie Bodiou, « La “grande absente” chez Michel Foucault. La sexualité des femmes grecques dans l’Antiquité », art. cité, p. 32.
79 Ibid., p. 33.
80 Claude Calame, « Sujet de désir et sujet de discours foucaldiens. La sexualité face aux relations érotiques de Grecques et Grecs », dans Sandra Boehringer, Daniele Lorenzini (dir.), Foucault, la sexualité, l’Antiquité, Paris, Kimé, 2016, p. 100.
81 Ibid.
82 Ibid.
83 Ibid., p. 101.
84 Ibid., p. 103.
85 Ibid.
86 Ibid., p. 105.
87 Ibid., p. 106.
88 Ibid.
89 Ibid., p. 107.
90 Ibid., p. 108.
91 Ibid., p. 109.
92 Ibid., p. 113.
93 Judith Butler, Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du « sexe », Paris, Éditions Amsterdam, 2009, p. 15-16.
94 Judith Butler, Ces corps qui comptent, op. cit., p. 23.
95 Ibid., p. 24.
96 Ibid., p. 46.
97 Ibid., p. 47.
98 Ibid., p. 119.
99 Ibid., p. 228.
100 Ibid., p. 231.
101 Ibid., p. 228.
102 Ibid., p. 231.
103 Ibid., p. 235.
104 Ibid., p. 238.
105 Ibid.
106 Linda Williams a formulé l’une des propositions les plus passionnantes d’un prolongement des thèses foucaldiennes sur la double articulation du savoir/pouvoir autour de la sexualité. Elle a montré comment la technique opérait comme point de jonction entre la pornographie (comme lieu d’expression du plaisir) et la science (comme prise savante sur les corps) : Linda Williams, « La frénésie du visible. Pouvoir, plaisir et savoir pornographique moderne », dans Florian Vörös (dir.), Cultures pornographiques. Anthologie des porn studies, Paris, Éditions Amsterdam, 2015, p. 83-110.
107 Jean-Jacques Courtine, dans un très beau volume, a notamment mis à l’épreuve le concept foucaldien de dispositif pour évoquer les transformations de la physiognomonie. Il montre que les chairs sont l’occasion d’une construction discursive permanente et que le somatique est solidaire d’une certaine façon de concevoir la langue : Jean-Jacques Courtine, Déchiffrer les corps. Penser avec Foucault, Grenoble, Jérôme Millon, p. 43-75.
108 Georges Vigarello, « Mécanique, corps, incorporel », art. cité, p. 200.
109 Michel Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, Paris, Nouvelles Éditions Lignes, 2009, p. 9-20.
110 Ibid., p. 20.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Politique des savoirs
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3