Conclusion
p. 355-363
Texte intégral
1Le lecteur l’aura compris, traiter ici des rentes ne visait pas à épiloguer sur les horizons suicidaires du système capitaliste prophétisés par Marx ou sur l’euthanasie douce du rentier annoncée par Keynes. Il s’agissait de montrer comment la notion de rente contribue à éclairer la trajectoire de l’Afrique, au cours du xxe siècle et au seuil du suivant. Nous avions en outre pour ambition d’insister sur les implications géographiques d’une telle lecture, jusqu’ici sous-estimées ou traitées de manière ponctuelle, en interrogeant les liens complexes entre activités pourvoyeuses de rentes mondialisées, productrices d’enclaves, et productions locales, matrices de territoires.
1. Rentes et extraversion
2Les systèmes rentiers sont une dimension de la longue histoire d’extraversion de l’Afrique. Pour compenser les difficultés à imposer des forces productives peu nombreuses et dispersées sur de vastes espaces, les dirigeants africains ont tôt mis l’accent sur la captation des flux associés à l’extraversion. Cette orientation a eu des répercussions profondes et multiformes sur les dynamiques du politique, de l’économie, des sociétés, et sur l’organisation des espaces. Elle a notamment donné naissance aux économies de rentes modernes et aux systèmes politiques qui y sont adossés. Nous les définissons comme des flux de ressources déconnectés d’activités productives, ou dont la production occupe un faible nombre d’individus, et la redistribution un grand nombre. Les systèmes rentiers reposent sur la captation et la redistribution par l’État de rentes tirées de l’exportation de ressources naturelles brutes (agricoles ou minières) ou de la transformation de pénuries en ressources – publiques, à travers l’aide au développement, ou privées, via les transferts de fonds des migrants.
3Nous n’avons pas cherché à opposer rentes et dynamiques productives, mais au contraire à interroger les relations complexes qui s’instituent entre elles, pour lire leurs interactions avec les territoires. L’intérêt accordé aux rentes ne sert pas une énième lecture du sous-développement comme produit de la dépendance. Au contraire, à travers cet enjeu central des relations entre les territoires africains et l’extérieur mondialisé, nous souhaitions interroger les modalités de l’autonomie des acteurs africains.
4Isoler les implications des systèmes rentiers sur le développement et les territoires a nécessité, au début de cet essai, un large balayage. La rente constitue un des moteurs du capitalisme, de sa dynamique et des inégalités qui l’accompagnent (Harvey, 2008). Mais où commence et où finit la rente ? Si le bénéfice de n’importe quel différentiel est rente, la rente est partout, et sa portée heuristique s’évapore. Devait-on traiter ici sur le même pied des rentes « abstraites », de monopole ou de situation, voire des rentes technologiques... ou mettre l’accent sur les rentes aux sources bien identifiées (pétrolière, foncière, d’importation, touristique, de l’aide) ? Les choix retenus s’expliquent par notre projet d’ensemble : utiliser la notion de rente pour interpréter les dynamiques des territoires et du développement. Nous avons laissé de côté les mécanismes économiques de constitution des rentes foncières pour nous intéresser à ceux, fort politiques, qui sous-tendent des rentes dont la constitution implique la distance et, bien souvent, l’intermédiation.
2. Trois figures spatiales de la rente
5De la lecture que nous avons proposée des dynamiques ouest-africaines des dernières décennies se dégagent trois configurations spatiales dominantes fondées sur des rentes. Les relations entre ressources, territoires et développement qui en découlent procèdent de l’extraction, du transfert ou du transit (cf. figure 8).
6Les rentes liées à l’extraction déclinent trois profils. Ils ont en commun la dépendance fragilisante liée à l’exportation de la quasi-totalité de la production. L’agriculture familiale d’exportation a donné lieu à l’expression de « cultures de rente ». L’extraction de matières premières agricoles couvre de vastes superficies et concerne des centaines de milliers de ruraux, pour lesquels l’activité relève de la production, non de la rente. Elle induit une structuration des espaces régionaux concernés en zones ou bassins spécialisés, et parfois un certain développement. L’exportation des récoltes se traduit par le versement d’une rente à l’État, qui se réinvestit majoritairement dans l’urbain, via la fonction publique, les grands travaux ou les détournements clientélistes, et en particulier dans la capitale. Elle est porteuse d’une grande vulnérabilité, car la production demeure sujette aux caprices du climat, mais surtout aux variations des cours mondiaux et à des conditions de compétition internationale souvent défavorables.
7Les activités extractives qui visent à exporter des ressources naturelles non renouvelables (mines, hydrocarbures) sont le soubassement des archétypes rentiers. Elles sont à l’origine de l’idée de « malédiction des ressources naturelles ». En termes géographiques, elles supposent l’exportation par des acteurs privés extérieurs à l’Afrique de ressources destinées au marché mondial, et en particulier aux pays d’origine de ces acteurs. Ce furent, d’abord, exclusivement de grandes entreprises de pays du Nord, auxquelles s’ajoutent, depuis peu, des entreprises issues de pays émergents. De leur point de vue, il s’agit de produire, non de prélever une rente. À l’échelle nationale, l’exploitation relève du ponctuel : une mine, voire un champ de pétrole, n’occupe que quelques centaines, voire quelques milliers d’hectares, et un nombre limité d’employés. La logique spatiale de l’agro-industrie est comparable. C’est autour de ces pôles d’extraction que se concentrent les impacts environnementaux négatifs. Mais l’essentiel de la contrepartie nationale prend la forme d’une rente versée à l’État, particulièrement importante dans le cas des hydrocarbures. Les environs des sites extractifs reçoivent, sous des modalités variables, de menus flux de compensations des entreprises ou de la puissance publique. Les espaces régionaux environnants en supportent aussi des effets négatifs (environnementaux, socioéconomiques, politiques), même si les infrastructures nécessaires à l’exploitation contribuent parfois à leur désenclavement. Les impacts de l’exploitation et de la redistribution de la rente tiennent une place centrale dans les enjeux territoriaux : ils alimentent les imaginaires, nourrissent les revendications, justifient les redécoupages administratifs et suscitent parfois tensions et conflits.
8La pêche maritime ouest-africaine emprunte aux deux cas précédents. Elle s’inscrit de manière plus diffuse dans l’espace que les activités minières, sous le mode fluide et mobile inhérent à l’exploitation des ressources de l’océan. Elle vise des ressources en principe renouvelables, en associant l’intervention d’acteurs mondiaux (pêche industrielle) et celle d’un grand nombre d’acteurs locaux (pêche piroguière artisanale). Elle s’accompagne à la fois du versement d’une rente à l’État et de revenus aux pêcheurs et autres acteurs nationaux de la filière, qui font vivre les quartiers de pêcheurs populeux des villes littorales. Le dynamisme du secteur au cours des dernières décennies, entre logiques mondiales et locales, pourrait être érigé en succès du développement. Il se heurte malheureusement à une contrainte majeure : la fragilité et la finitude de ressources surexploitées. Ses rapports à l’espace et aux ressources se rapprochent de l’exploitation forestière, qui concerne également de larges espaces et où cohabitent également grandes entreprises privées souvent étrangères pourvoyeuses de rente étatique et exploitants nationaux. Elle se trouve également confrontée aux difficultés d’une plus grande transformation locale et d’une gestion durable de ressources renouvelables. Mais les terrains d’étude surtout sahélo-soudaniens explorés dans cet essai nous ont tenu à l’écart de ses enjeux spécifiques.
9Une forme de rente nouvelle est apparue après les indépendances : les transferts financiers. Ils procèdent de la transformation de la pénurie en ressource. Certes, les plus pauvres ne sont pas les plus aidés, ni ceux qui migrent le plus. Mais c’est la pénurie (la pauvreté, le sous-développement) qui légitime l’aide au développement, et c’est elle qui rend compte, dans une certaine mesure, des mouvements d’émigration, et justifie les flux financiers vers les régions et pays d’origine.
10L’aide au développement est longtemps passée par l’État. Puis, lorsqu’il fut en crise, dans les années 1980, elle s’en est dissociée, tendant à assumer la fourniture de biens publics à la place de l’État, en dédoublant ses institutions. La rente de l’aide se donne à voir surtout dans les capitales. Sa distribution, protéiforme, peut néanmoins être diffuse ; elle atteint aussi les régions à culture de rentes ou à potentiel hydroagricole, ou celles les plus régulièrement touchées par les crises alimentaires et l’émigration. Les résultats de l’aide sont ambivalents : les résultats espérés sont rarement atteints, et la rente de l’aide participe d’une économie politique défavorable à la consolidation des institutions nationales ; sa régularité déresponsabilise. Mais des dynamiques positives imprévues résultent parfois des projets aidés, comme autour des aménagements hydroagricoles. Depuis deux décennies, les progrès de la décentralisation et la promotion du développement local affichent des ambitions de mobilisation des ressources locales alternatives aux politiques antérieures de développement descendant. Ils favorisent la décentralisation de la rente de l’aide. À nouveau, le bilan est mitigé : les synergies escomptées sont souvent paralysées par les concurrences pour capter ces nouvelles rentes du « local », tandis que des apprentissages s’approfondissent.
11Les transferts migratoires bénéficient au premier chef à d’anciennes marges dont les populations ont développé, à partir de dispositions sociologiques ou culturelles héritées de l’histoire, de fortes propensions à la mobilité. Leur exemple s’est parfois diffusé vers d’autres espaces un moment bénéficiaires des grandes cultures de rente du XXe siècle, une fois ceux-ci frappés par des crises. Le départ des jeunes hommes laisse les régions de plus forte émigration exsangues. L’espace des sociétés se construit désormais par le réseau, entre l’espace d’origine et l’horizon migratoire. L’espace d’accueil fournit les ressources nécessaires à la survie du milieu d’origine, où demeurent les vieux, les femmes et les enfants, représentant les fonctions de reproduction sociale et biologique d’un territoire à la production devenue dérisoire. Quand la croissance démographique se poursuit dans l’espace de départ, ce qui demeure le cas le plus fréquent, les transferts financiers des migrants ont des effets pervers comparables à ceux de l’aide à l’échelle nationale : inégalités entre familles et villages, concurrences pour la captation, déresponsabilisation, dépenses improductives... et rêves migratoires des jeunes qui restent. De plus, l’équilibre socioéconomique de régions pauvres en ressources alimentées par les revenus migratoires est instable. Les transferts ne vont pas tous au bassin d’émigration ; une part s’investit dans la capitale nationale, dans l’immobilier. La fermeture des frontières dans les destinations privilégiées, de même que les processus d’intégration des migrants qui y sont installés ne garantissent pas la pérennité des flux financiers à long terme.
12Rente de l’aide et transferts migratoires proviennent encore aujourd’hui, dans une large mesure, des membres de l’Union européenne et de l’Amérique du Nord. L’aide participe de stratégies de puissance à mobiles multiples, où se mêlent besoin d’influence adossée ou non à des nostalgies impériales, intérêts économiques nationaux (approvisionnement en matières premières, débouchés pour les entreprises), préoccupations migratoires et sécuritaires. Les pays émergents ne sont pas concernés par l’immigration africaine. Mais la Chine met en œuvre une politique de développement aux moyens croissants qui s’associe très explicitement à sa stratégie nationale d’approvisionnement en matières premières. Ses pratiques ressemblent ainsi aux formes d’aide liée mises en œuvre par les pays du Nord après les indépendances, avec toute leur ambiguïté.
13Les rentes de transit sont liées aux avantages que des acteurs retirent d’une position géographique, qui leur permet de capter des ressources financières liées aux circulations de marchandises ou de monnaies : ce sont les rentes du commerce, notamment frontalier, ou des trafics, ainsi que les prélèvements effectués sur ces flux, légalement ou non, par les agents de l’État. Leurs lieux de captation sont les interfaces : villes-capitales, surtout lorsque ce sont de grands ports importateurs ; doublons frontaliers des périphéries nationales actives et grands axes de circulation ; et, pourquoi pas, marchés hebdomadaires, au cœur de la relation villes-campagnes. Ces rentes sont cependant très différentes des deux premiers types dont il a été question. Dans la mesure où elles n’impliquent pas une captation et une redistribution par le filtre de la puissance publique ou de ses échelons décentralisés, comme les rentes d’extraction et de transfert, et qu’elles n’expriment parfois que de simples différentiels microéconomiques, elles n’ont pas un potentiel explicatif de même nature. De même, certains services valorisant de simples avantages comparatifs de situation, comme le tourisme ou les centres d’appel, ne gagnent-ils pas à être étudiés à la lumière de la notion de rente.
14Ces trois types de configuration rentière présentent des enjeux communs en termes de développement : toute la question est de savoir comment permettre aux activités pourvoyeuses de rente ou aux rentes elles-mêmes de favoriser les secteurs productifs de l’économie. Cela passe par davantage de transformation locale des productions exportées, qu’elles soient agricoles, forestières ou minières. Des défis spécifiques s’y ajoutent : les mécanismes permettant de prémunir l’agriculture de rente de la violence des chocs exogènes restent à inventer ; les marges de progrès en matière de transparence et de réduction des impacts environnementaux des activités extractives demeurent importantes, et se heurtent aux intérêts des systèmes rentiers en place ; de même, substituer une gestion durable des ressources à la course aux rentes forestières et halieutiques présente de grandes difficultés.
3. Retour aux hypothèses : diversification, articulation, bifurcation
15Nous avons essayé d’établir combien la rente constitue une modalité centrale de la relation de l’Afrique au monde. Les systèmes politico-économiques rentiers, qui supposent prélèvement puis redistribution à partir d’extraction ou de transfert, se sont révélés porteurs de fragilités multiformes : leurs logiques ont contribué aux difficultés de construction de l’État, aux crises politiques et, de manière plus générale, à l’échec du développement. S’ils apparaissent comme des éléments stables des structures sociopolitiques de l’Afrique, ces systèmes n’en sont pas moins dynamiques. Ils se sont densifiés et complexifiés au cours du xxe siècle, en réponse aux crises économiques et aux accélérations de la mondialisation. Victoire de la rente ?
16Nous posions en première hypothèse que les trajectoires nationales (développement, construction de l’État, conflits) en Afrique expriment une profonde désarticulation entre ressources et territoires. Elle nous paraît vérifiée. Prolongeant le sillon colonial, les nouveaux États ont élargi la gamme des rentes tirées de cultures commerciales d’exportation ou d’activités extractives, dessinant des profils rentiers spécifiques à chacun d’eux, sans que ces activités aient des effets d’entraînement et de diversification sur les autres secteurs. L’impasse des modèles de redistribution d’économies peu compétitives, plombées par le clientélisme et le biais urbain, vulnérables aux variations des cours mondiaux, a été sanctionnée par une grave crise politico-économique dans les années 1980-1990, qui est celle des systèmes rentiers. Elle s’accompagne de l’essor des rentes de transfert (aide et transferts migratoires), qui amplifient la propension des territoires (nationaux ou locaux) à vivre de ressources exogènes.
17La deuxième hypothèse stipulait que l’organisation spatiale et les dynamiques des territoires reflètent des formes d’articulation entre rentes extraverties et dynamiques endogènes. Nous avons montré que, si les rentes procèdent d’économies et de formes spatiales enclavées, elles n’en interagissent pas moins de façon complexe et multiforme avec les territoires. D’une part, la distribution des rentes par l’État contribue à construire les territoires. L’ampleur de l’urbanisation et de son profil plus ou moins macrocéphale dit par exemple celle des rentes, comme les problèmes qui les affectent expriment les crises de l’économie rentière. D’autre part, à l’échelle locale, les activités pourvoyeuses de rentes constituent des facteurs de changement pour les autres secteurs : l’agriculture dite de « rente » a favorisé l’adoption d’innovations agricoles et finalement l’essor du « vivrier marchand » ; mines, sites pétroliers ou agro-industries sont aussi susceptibles de stimuler l’économie de leurs milieux d’accueil. Le type d’activités et le contexte (technologique, économique, politique) influencent la nature des liens avec les territoires et la propension des enclaves à muer en greffes.
18En troisième lieu, nous interrogions la capacité de la période actuelle à créer des possibilités de bifurcation hors de la logique extravertie, rentière et clientéliste qui a dominé les systèmes politiques et économiques jusqu’à présent. Nous avons décrit l’ambiguïté de ce nouveau contexte. D’un côté, les dynamiques de la mondialisation favorisent la compétition entre acteurs mondialisés pour l’exploitation des ressources africaines, qu’elles soient énergétiques, minières, halieutiques ou forestières, ou foncières. Dans une ambiance néolibérale marquée par la faiblesse des capacités de régulation des États, ces tendances pourraient conforter les effets pervers de la course aux rentes et vérifier la « malédiction des ressources naturelles ». Mais en même temps, démocratisation et processus de réforme ont ouvert des espaces de débat inédits autour de la transparence des rentes et des impacts environnementaux des activités qui président à leur extraction. Selon nous, les conditions d’implantation de certaines de ces activités mondialisées ouvrent alors des espaces de bifurcation hors du sentier de la « malédiction ».
19D’un autre côté, le territoire a également changé. Il s’est densifié, complexifié, décentralisé. Nous ne partageons pas le point de vue macroéconomique selon lequel le temps du développement de l’Afrique viendra, peut-être, quand le coût du travail augmentera en Asie, ce qui prendra bien encore vingt ans au moins, et que l’Afrique offrira le dernier réservoir mondial de main-d’œuvre exploitable à bon compte, en relais de l’atelier chinois. Qui sait si le capitalisme aura alors autant besoin de main-d’œuvre à exploiter ? Dans cette optique, il n’y aurait rien à attendre dans l’intervalle, sinon de continuer à voir le continent vivoter de l’exportation des matières brutes et des rentes qu’elle fournit, avec les guerres et l’émigration comme soupapes. Or, sans tomber dans le « fétichisme du local » (Dubresson, Jaglin, 2010), nous partageons l’idée qu’il se passe quelque chose du côté de l’épaississement des territoires (Alvergne, 2008). L’Afrique de l’Ouest est en train d’atteindre une masse et une densité démographiques critiques qui pourraient contribuer à ouvrir les espaces de bifurcation évoqués ci-dessus.
20L’objectif est-il de sortir de la rente pour atteindre le développement ? On l’a dit, les rentes existent partout, même en ne considérant que celles dont bénéficie l’État1. La question clé est celle de la place des rentes, de leur poids relatif dans l’économie, des choix de leur utilisation, de leurs liens avec les dimensions productives, et donc, finalement, des conditions à réunir pour que les rentes puissent s’investir dans le système productif. Nous ne prétendons pas que les bifurcations souhaitées auront lieu sans crises ni retours en arrière. Nous soutenons seulement que les dynamiques contemporaines, qu’elles soient internes ou externes, ouvrent des espaces de bifurcation qui n’existaient pas il y a cinquante ans hors de l’ornière de la rente stérile.
4. L’avenir des rentes
21Sans emprunter les boules de cristal également déformantes et hasardeuses de l’afro-optimisme ou de l’afro-pessimisme, nous voudrions, pour clore cette réflexion, mettre en perspective quelques paramètres clés du devenir de cette partie du monde.
22Les deux premiers sont d’ordre interne. Les rythmes et les formes de la transition démographique et urbaine pèseront sur toutes les dynamiques à venir. Créer les conditions d’investissement des rentes pour des productions locales destinées au marché intérieur ou à l’exportation suppose d’améliorer, quantitativement et qualitativement, le niveau de formation d’une population encore très jeune et en très forte croissance. C’est un choix d’investissement et un défi ardu.
23De même, la poursuite des expériences démocratiques, au niveau national comme au niveau local, peut aussi bien déboucher sur l’instrumentalisation des rentes au service de clientèles communautaires que sur l’élargissement de l’espace des débats et des choix de société, notamment pour décider d’une utilisation plus productive des rentes. L’agro-alimentaire illustre ces enjeux. Il constitue un secteur potentiellement porteur de développement, à la faveur de l’urbanisation qui élargit les débouchés nationaux pour les ruraux. Mais défendre les filières locales, pour accompagner leur modernisation contre les choix d’importation bon marché à destination de citadins pauvres de plus en plus nombreux, n’ira pas de soi.
24D’autres facteurs, externes, renvoient à l’insertion de l’Afrique dans le vent de la globalisation contemporaine. Les effets directs du changement climatique sont difficiles à saisir, et les modèles encore incapables de prédire l’évolution de la pluviométrie en Afrique sahélo-soudanienne. La variabilité du climat devrait cependant s’accroître, et ainsi la vulnérabilité des cultures de rente annuelles déjà fragiles. Mais le changement climatique pourrait aussi élargir la gamme des rentes environnementales nées de la vogue du développement durable. Leur analyse s’inscrira alors dans celle, désormais classique, des formes et des travers de l’aide au développement.
25Par ailleurs, la course aux ressources africaines implique d’ores et déjà de nouveaux acteurs issus des pays émergents. Les modalités de leurs interactions avec les milieux d’accueil africains et les concurrents du Nord constituent une question cruciale. Elles peuvent tout aussi bien annihiler les efforts visant à sortir de la « malédiction des ressources naturelles » que contribuer à lever l’obstacle énergétique qui entrave le développement de l’Afrique. Enfin, qu’il soit lié au peak oil ou au changement climatique, et bien que nul n’en connaisse encore ni le rythme ni la nature, le changement prévisible de la matrice énergétique mondiale aura des conséquences majeures sur le devenir des systèmes rentiers africains. Ces changements ne se décideront pas en Afrique, mais ils y auront des implications considérables. Leur géographie reste à écrire.
Notes de bas de page
1 En France, les taxes sur le carburant fournissent une rente aux pouvoirs publics supérieure à celle des producteurs de pétrole africains secondaires.
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