Chapitre II – Explications
Un juge otage du régime ?
p. 163-292
Texte intégral
Car la nature de notre entendement le porte beaucoup moins à vouloir savoir qu’ à vouloir comprendre. D’où il résulte que les seules sciences authentiques sont, à son gré, celles qui réussissent à établir entre les phénomènes des liaisons explicatives. Le reste n ’est, selon l’expression de Malebranche, que "polymathie". Or la polymathie peut bien faire figure de distraction ou de manie ; pas plus aujourd’hui qu’au temps de Malebranche, elle ne saurait passer pour une des bonnes œuvres de l’intelligence.
Marc bloch1
1187. Ça et là jusqu’ici, la question a déjà pu percer, de manière plus ou moins implicite. En évoquant l’importance de la difficulté qui se présentait au Conseil d’État dans l’application des textes antisémites de Vichy, ou plutôt le degré de hardiesse qu’il lui aurait fallu pour écarter du prétoire le droit édicté par le régime – sa législation stricto sensu, les mesures individuelles qui frappèrent des membres du Conseil même, les actes réalisant l’aryanisation économique2 –, c’est au fond une interrogation identique qu’on répétait : l’institution, notamment dans son rôle juridictionnel, pouvait-elle agir autrement qu’elle ne le fit ? Ou au contraire ses interventions, rarement favorables aux requérants juifs, son attitude générale, la plupart du temps peu amène envers les victimes de l’"anti-droit", ne constituaient-elles que le résultat d’une contrainte, qu’exerçait sur le juge la configuration d’un rapport de force avec le pouvoir, où celui-ci se révélait tenir la place du fort ? En relevant parfois des prouesses tardives3, on mettait l’accent sur la même dimension : l’État français en perte de vitesse, le Conseil ne se trouvait-il pas plus libre de ses décisions qu’auparavant ? En somme, d’un point de vue global, conseiller ou arbitre, fut-il « l’otage » du régime4 ; si oui, dans quelle mesure ?
2Cette idée que les arrêts du contentieux de l’antisémitisme, en particulier, aient été rendus par la Haute juridiction sous l’empire d’une violence politique, à tout le moins d’une menace en provenance des autorités vichyssoises, a pu être exprimée, directement ou indirectement, dans les travaux existant sur le sujet5. Là semble en effet résider, à première vue, l’explication la plus rationnelle, la plus probable en apparence ; finalement la plus rassurante aussi : si le juge administratif a non seulement refusé d’invalider les lois de Vichy, mais en outre a fait montre, d’ordinaire, d’une certaine pusillanimité dans son maniement des textes antijuifs, c’est parce qu’il ne pouvait s’autoriser plus d’audace au bénéfice des individus en cause ; si parfois, même, la frilosité du contrôle s’est doublé d’une hostilité dans l’interprétation qui peut étonner l’analyste contemporain, davantage habitué à une tendance inverse de la jurisprudence, comme aussi bien elle aurait pu surprendre, en leur temps, des juristes accoutumés au libéralisme des solutions adoptées sous la Troisième République... c’est encore que le juge n’a pu agir différemment.
3Après tout, rencontrant par le hasard de l’Histoire un régime constitutionnellement comparable à celui qui l’avait fait naître, n’était-il pas logique que le Conseil d’État renoue avec la réserve de l’avant-justice déléguée, retenant de lui-même sa compétence ? Le "désafranchissement" de l’administration active serait naturel6, et dans l’ordre imposé des choses de la période que l’institution se soit à nouveau trouvée moins Conseil d’État que Conseil du Roi7 – c’est-à-dire, ici, Conseil du Maréchal, ou du commissaire général aux Questions juives. La pression extérieure s’avérait trop forte, trop impérieuse la menace de disparaître, ou en tout cas d’être sévèrement réprimé, pour que se vît refusée la mise au pas exigée par le gouvernement. – Admettons ; mais de là à lui emboîter ce pas ?
4188. Car certaines décisions ne laissent pas de troubler, quelle bonne raison bien cohérente qu’on en puisse donner en termes de relation de pouvoir et de subordination institutionnelle. On songe à un arrêt Cohen, qui avalisa l’interdiction de facto de professions non fermées aux Juifs par leur statut ; plus encore aux sacrifices peu glorieux auxquels procédèrent, sur le douteux autel de l’efficacité administrative de Vichy, les arrêts Maxudian et Monossohn, le premier aménageant dans le régime probatoire de la non-judéité un déséquilibre en faveur de l’administration, alors que le second avait abdiqué le respect effectif des droits de la défense qui aurait pu perturber les internements8.
5Qu’il ait fallu appliquer la loi, on le conçoit assez aisément ; que le juge ait rarement pu innover, on peut à la rigueur l’admettre. Mais que le Conseil paraisse avoir été, parfois, au-delà des attentes des autorités, on se l’explique tout de même avec quelque peine, tutelle de fait et hiérarchie juridique prises en compte. Statuait-il malgré l’infamie, ou pour elle ?
6189. C’ est à la tentative d’apporter quelques éléments de réponse que sera consacré ce second temps de l’étude, en partant d’un examen de la situation politique dans laquelle le Conseil se trouvait effectivement durant la période – seul moyen d’apprécier l’existence d’une éventuelle contrainte et, le cas échéant, le degré précis de l’assujettissement (section I). Mais on aura également soin d’observer les modèles qui, dans la France des années noires, s’offraient, sociologiquement, à la Haute juridiction confrontée au droit antisémite, comparaison indispensable pour prendre la mesure exacte des choix constitutifs de la jurisprudence que l’institution rendit en la matière (section II).
Section I – LA SITUATION POLITIQUE
7190. Il n’est en somme d’histoire que d’hommes : la situation politique du Conseil d’État dans la France de Vichy fut d’abord celle de ses membres mêmes. Par "situation politique", on entend à titre principal situation à l’égard du pouvoir politique en place, augmentée de tous les facteurs non politiques à strictement parler qui pouvaient s’y ajouter pour contribuer à façonner la physionomie d’une position au sein de l’État entre 1940 et 1944 (§ I). L’institution, cependant, disposait bien sûr d’un statut propre ; sa pratique se révèle toutefois avoir été étroitement liée aux réalités vécues, dans le même temps, par le corps (§ II).
§ I – La situation du corps. Contraintes et choix
Dans un contexte dont il convient de ne jamais sous-estimer ce qu’il pouvait avoir de dur ou d’éprouvant [...] on notera toutefois que certains surent, plus ou moins rapidement, discerner que les fins l’emporteraient sur les moyens. Leur action, leur sacrifice parfois, contribua à ramener le débat à ses enjeux éthiques, qui se résument à quelques questions simples : jusqu ’où obéir, qu ’est-ce que servir, et pour qui le faire ?
Marc Olivier Baruch 9
8191. La situation collective des conseillers d’État sous Vichy, que décrivait l’ensemble des données objectives qui s’imposaient alors à eux, était manifestement celle de temps difficiles et autoritaires (I). La recension des cas particuliers, l’examen des postures individuelles, conduisent néanmoins à un bilan nuancé, où la liberté d’action semble avoir pris sa part, non négligeable (II).
I. La situation collective. Le temps des chaînes
En vérité, nous étions tous en prison.
François Bloch-Lainé 10
9192. À de nombreux égards, et immanquablement, la position des membres du Conseil entre 1940 et 1944 était comparable à celle de nombreux fonctionnaires à l’époque, voire tout simplement de nombreux de Français. Obligés dans une certaine mesure de se soumettre aux volontés du gouvernement en place, qui les regardaient directement (B), ils l’étaient en effet aussi, et d’abord, de vivre au quotidien11, physiquement et moralement, les tumultes du moment (A).
A. La situation matérielle. La prison du temps
Il s’agit simplement de conformer notre vie au malheur des temps.
Alfred Porché 12
10193. Le Conseil d’État, depuis son installation en 1875 au Palais-Royal, n’avait guère eu l’occasion de quitter la capitale, sinon pour quelques mois passés à Bordeaux lors de la première guerre mondiale13. En 1939, les "mémoires de guerre" de l’institution et de ses membres commencent par une série de parties de campagne forcées, en province ; mis « sur les routes14 », ils vivent en quelque sorte, comme le reste de la population française à l’été de l’année suivante, leur exode (1). Non sans paradoxe, le retour à Paris qui interviendra en 1942 prendra pour eux la forme d’un autre exil, dont on peut se demander s’il n’explique pas une partie des inflexions jurisprudentielles favorables aux requérants juifs observées durant cette période (2).
1. Le Conseil "sur les routes" (septembre 1939 – juin 1942) Un pénible exode
11194. Dès les premières rumeurs sérieuses de guerre, dans le courant de l’année 1939, un repli éventuel du Conseil d’État avait été prévu. Lors d’une conférence au cabinet du garde des Sceaux Paul Reynaud, deux villes s’étaient trouvées proposées : Tours et Angers. C’est cette seconde, offrant de plus grandes facilités de logement, qui fut préférée par le secrétaire général de l’institution, André Cuvelier15. Le 21 août 1939, une note confidentielle d’Alfred Porché, le vice-président, fixait les modalités du départ, collectif, en cas de mobilisation16. Le Conseil, dès lors, allait connaître non seulement le chef-lieu du Maine-et-Loire, mais encore la Gironde et le Puy-de-Dôme ; par force, il devenait nomade, l’éloignement de Paris plus ou moins bien vécu, du reste, par ses membres.
Les replis à Angers
12195. Le départ, prévu pour le deuxième jour de mobilisation, eut en effet lieu le 3 septembre. Conformément à la note du mois d’août, le repli des membres du Conseil non mobilisés, du personnel administratif de l’institution et des familles de tous s’effectua par train spécial ; certains rejoignirent Angers en voiture ; « membres et personnels logèrent chez l’habitant ou à l’hôtel17 ». Le nombre des membres ainsi éloignés de la capitale ne dépassa pas une cinquantaine, dont la plus grande partie étaient des conseillers d’État en titre : les autres se trouvaient soit mobilisés, particulièrement les auditeurs et maîtres des requêtes, soit en fonction dans des cabinets ministériels ou l’administration active.
13196. De fait, afin que l’institution puisse assumer ses tâches malgré des effectifs réduits – car « on avait fait venir Lebon et Duvergier et on [...] travailla », en effet, à Angers –, une réorganisation interne du Conseil s’avéra nécessaire, les conditions de son fonctionnement devant être assouplies. Le décret du 4 octobre 193918 y pourvut ; l’article 2 du texte prévoyait, notamment :
« Tous les membres du Conseil d’État peuvent, suivant les besoins du service, être affectés à une ou plusieurs sections ou sous-sections par décision du vice-président, prise après avis du président de section, ou, en cas d’absence, du conseiller le plus ancien de chacune des sections intéressées. Des conseillers d’État, maîtres des requêtes, d’une part, et auditeurs, d’autre part, peuvent être désignés par le vice-président respectivement comme commissaires du gouvernement et commissaires adjoints et attachés à la section du Contentieux et à ses sous-sections. »
14Pour la même raison, « le vice-président dut s’opposer avec fermeté à des demandes de ministres qui souhaitaient en raison des circonstances que plusieurs membres du Conseil fussent placés auprès d’eux pour constituer une sorte de comité juridique de leur département19 ». L’éloignement de la capitale où se trouvait l’institution posait d’ailleurs lui-même, au quotidien, de multiples difficultés de fonctionnement20 – tout en paraissant de moins en moins fondé au fur et à mesure que se confirmait l’étrangeté d’une "drôle de guerre", sans opération militaire d’envergure. En outre, « le séjour à Angers fut [...] empreint, semble-t-il, d’un certain ennui qui fit désirer à tous un prompt retour à Paris21 ». Les membres du Conseil s’y voyaient rappelés dès le 29 décembre 1939.
15197. Ils ne retrouvèrent toutefois que brièvement le Palais-Royal : le 9 juin 1940, l’avance allemande les contraignait de rallier à nouveau Angers, restée la ville de repli normal du Conseil. Mais le voyage, contrairement à celui de septembre 1939, fut improvisé « dans la confusion de l’exode22 » ; il s’effectua cette fois individuellement, le train spécial n’ayant pu être utilisé23. Angers, d’ailleurs, ne serait qu’une étape : dès le 15 juin, le Conseil se retrouvait à Bordeaux, pour s’établir à la fin du mois à Monségur, petit chef-lieu de canton girondin, où la « halte24 » allait être plus longue.
La "halte" de Monségur
198. « L’arrivée des membres de la Haute Assemblée dans cette petite localité révélait à la population l’ampleur du désastre. Si le Conseil d’État lui-même fuyait, tout était vraiment perdu ! Loin de ses archives, installé dans des locaux précaires (le greffe de la justice de paix), n’ayant avec le gouvernement que des relations incertaines (le téléphone était coupé de Bordeaux et il était inutilisable en direction de Vichy), le Conseil ne pouvait que mettre un terme provisoire à ses activités régulières. Ainsi placés dans une situation inédite de chômage technique, les membres du Conseil ne pouvaient que... prendre des vacances. »
16– Des vacances, sans doute : « Le Conseil d’État aux champs » titrait alors, significativement, un article du Figaro 25. Et, en effet, une seule assemblée générale se tint à Monségur. Mais il s’agissait de vacances forcées : « ces jours, [...] à travers les documents de l’époque conservés par les archives du Conseil d’État, paraissent avoir été longs et pénibles26 » ; « à Monségur, beaucoup de nos conseillers en sont réduits à jouer au bridge dans les deux grands cafés du pays », relevait l’article du Figaro.
199. « En réalité, les seuls problèmes qui préoccupaient encore le Conseil et notamment la vice-présidence et le secrétariat général, étaient la recherche des membres manquants encore égarés sur les routes et surtout la prise de contact avec le nouveau gouvernement. Cette prise de contact était d’autant plus urgente et importante qu’un nouveau régime, de qui dépendait entièrement l’avenir du Conseil, était en train de se mettre en place. Or, Monségur se trouvant en zone occupée, il semble que le Conseil ait été très mal informé de l’évolution de la situation politique, ce qui, bien évidemment, ne pouvait qu’augmenter son inquiétude27. »
17Ainsi, révélatrice du degré d’isolement subi par l’institution et ses hommes durant ces jours passés à Monségur, telle lettre du secrétaire général, datée du 26 juillet 1940, demandant au ministère de la Justice qu’on lui envoie le Journal officiel du 12 précédent, où figurent les trois premiers actes constitutionnels du Maréchal Pétain28...
18200. Le lien avec le pouvoir fut en effet établi par voie épistolaire. De Monségur à Vichy, le dialogue porterait avant tout sur la nécessité d’une retraite plus confortable pour le Conseil, plus pratique, surtout, pour les activités de l’organe, alors interrompues faute « de la plus grande partie de ses archives et de ses instruments de travail29 » ; plus adéquate, aussi, au prestige du corps30.
19Ce transfert se fit attendre, par suite de difficultés matérielles diverses : trouver un nouveau lieu de résidence, organiser le déplacement des bureaux et des membres... À la fin du mois de juillet, cependant, ces derniers apprirent leur prochain départ pour Royat, petite ville thermale située à quatre kilomètres de Clermont-Ferrand, et à soixante de Vichy ; le personnel administratif, lui, « en prévision sans doute d’un retour dans la capitale » de l’institution, regagnait Paris, où il aurait en particulier la charge de « centraliser l’instruction des dossiers de la section du Contentieux31 ». Dans le Puy, le corps allait subir pour sa part, pendant près de deux années, une véritable « cure32 ».
La "cure" de Royat
20201. Le 14 août 1940, les membres du Conseil, en cars ou dans leurs voitures particulières, et un camion d’archives, arrivaient à Royat. L’installation des services et des personnes ne serait toutefois effective qu’à l’automne : l’organisation n’était pas mince qu’il fallait déployer, et bon nombre de conseillers manquaient à l’appel, bloqués sans laissez-passer de l’autre côté de la ligne de démarcation33 ou encore mobilisés. Ce n’est qu’au mois de septembre que le corps se retrouva au complet, du moins autant qu’il pouvait l’être : dans l’intervalle, dix membres avaient été faits prisonniers par l’Allemagne ; dix-sept au total, bientôt, se verraient exclus de la fonction publique en application des lois d’exception de l’État français34. D’origine guerrière ou politique, l’hémorragie de personnel demeurait cependant moins sévère que celle qui s’était produite lors de la première guerre mondiale. De plus, contrairement à ce qui s’était passé entre 1914 et 1918, l’organisation périodique du concours de l’auditorat – en décembre 1940, juin 1941, janvier 1942 et juin 1943 – permit le renouvellement des effectifs35.
« Le Conseil s’installa tant bien que mal dans les hôtels de Royat. Les salons et salles du rez-de-chaussée de l’hôtel Thermal servirent de salles de réunion, de travail et de secrétariat. Quelques membres du Conseil y logeaient. La plupart des autres et le personnel administratif furent répartis dans divers hôtels [...] dont les chambres servaient en même temps de bureaux de travail36. »
21202. De « champêtre » qu’elle avait été à Monségur, la vie des conseillers se fit « provinciale » à Royat37. C’était au demeurant une vie quelque peu précaire ; témoin, Georges Maleville rapportera ainsi, par exemple :
« Le ravitaillement devint de plus en plus malaisé. Certes, nous connaissions les adresses des restaurants clermontois où l’on pouvait manger convenablement grâce au marché noir. Mais cela coûtait fort cher et, moralement, ne nous plaisait pas. Nous avions découvert un restaurant de routiers, non loin des usines Michelin, dans la banlieue de Clermont-Ferrand. Nous y avons été admis par les titulaires de la carte de travailleur de force, malgré notre allure bourgeoise. »
22Le quotidien se montrait même, parfois, désagréable : le « confinement pendant longtemps dans les chambres était pesant, surtout pour les épouses qui n’avaient guère d’occupation ou de distraction », note le même témoin. Dans un registre différent, il consigne encore cette anecdote :
« Dans une lettre adressée, en zone libre, à un membre de ma famille, je me laissai aller à des appréciations désagréables sur un membre du gouvernement de Vichy. La censure postale ouvrit la lettre et en fit parvenir une photocopie à ce ministre qui se plaignit au Conseil. Un jour, je fus convoqué par le vice-président qui me fit part de la colère du ministre intéressé. J’étais interloqué et troublé... M. Porché ajouta : "Vous êtes le troisième membre du Conseil auquel cet incident arrive... Faites donc attention à ce que vous écrivez !... Enfin, vous avez l’excuse de la jeunesse !" Ma jeunesse me sauva donc et je ne subis aucune sanction. Mais je pris plusieurs précautions. Je cessai de vitupérer dans ma correspondance contre le gouvernement de Vichy. Je m’abstins d’utiliser les enveloppes à en-tête du Conseil d’État et je n’expédiai plus mon courrier à Royat38. »
23Enfin, cette résidence auvergnate du Conseil se voulut également austère : « Le souci de maintenir très haut le renom du grand corps auquel nous nous honorons d’appartenir nous impose une obligation d’ordre général : nous devons éviter avec soin qu’on ne puisse, en quelque occasion que ce soit, dire que nous nous comportons comme si nous étions venus ici passer des vacances ; notre participation personnelle, par exemple, à ce qu’on appelle communément des "parties de plaisir" prêterait à de justes critiques et même notre présence dans des réunions de caractère purement mondain ne se conçoit que dans une mesure discrète », recommandait, en septembre 1940, une circulaire du vice-président Porché39 ; celui-ci ajoutait que « l’occasion est excellente, pour ceux d’entre nous que n’accable pas le travail professionnel, d’enrichir leur esprit dans d’autres domaines ou de méditer sur tant de questions qui nous pressent ». L’article du Figaro, manifestement, avait déplu.
24Toutefois, à Royat, passé le traumatisme premier de « l’étrange défaite40 », « les habitudes et les traditions du corps [se] maintinrent, notamment celle qui, à l’issue du concours de l’auditorat, réunissait les nouveaux auditeurs en un repas amical présidé par l’auditeur le plus ancien41 ».
25203. Les difficultés de fonctionnement restaient par ailleurs nombreuses, certaines purement matérielles, que reflètent ces souvenirs de Georges Maleville encore :
« Les séances d’instruction avaient lieu dans une chambre d’hôtel, de dimensions modestes. Nous étions assis autour d’une table. Un paravent dissimulait, assez mal d’ailleurs, le lavabo et le bidet. Les séances de jugement, qui étaient publiques, se tenaient dans une petite salle, au rez-de-chaussée de l’hôtel Thermal. »
26Inconfort pour inconfort, « par une chaude journée, le président Latournerie prit une audacieuse initiative : il décida que nous siégerions dans la nature et, sans doute en souvenir de Saint-Louis, la sous-section s’installa sous un vénérable chêne42 ».
27Les inconvénients de Royat étaient aussi d’ordre géographique. L’institution, dans l’accomplissement de sa fonction consultative d’abord, souffrait de son éloignement d’avec le gouvernement, à Vichy, comme des autres administrations, en majorité rentrées à Paris43. Sur le plan contentieux, le jugement des affaires soulevait de sérieux problèmes : d’une part, les litiges survenaient fréquemment en dehors de la zone libre, imposant aux dossiers un long et incertain transit de navette entre les deux France ; d’autre part, « la Cour de cassation ayant regagné Paris en août 1940, les avocats compétents pour représenter les parties devant cette cour et devant le Conseil d’État étaient restés à Paris », et « venaient rarement à Royat44 ».
28204. Pour des convenances personnelles évidentes comme pour ces motifs professionnels liés à la bonne marche de l’organe, tous au Conseil souhaitèrent assez vite le retour dans la capitale. L’hypothèse en fut évoquée dès l’automne 1940 ; ce n’est toutefois qu’un an plus tard que les autorités vichyssoises commencèrent d’étudier vraiment le rétablissement au Palais-Royal45.
« Le Conseil aurait sans doute regagné Paris au lendemain de l’armistice, comme la Cour de cassation, s’il n’avait été qu’une juridiction, mais il était aussi le conseiller du gouvernement, et devait par conséquent rester à ses côtés. Le gouvernement comprenait que la fonction juridictionnelle avait tout à gagner d’un retour à Paris, mais ce retour hypothéquerait l’avenir de la fonction administrative... En effet, pourrait-il encore faire appel régulièrement à une institution lointaine, de qui il serait séparé par une ligne de démarcation, occasion de retards, de contrôles et d’indiscrétions ? »
29Vichy proposa dans un premier temps une solution fonctionnelle et empirique : aux termes d’une lettre du 21 novembre 1941, adressée par Darlan au ministre de la Justice46 , il s’agissait de « faire rentrer à Paris les membres de la section du Contentieux ainsi qu’une fraction des membres des sections administratives », et de « transférer à Vichy le siège du Conseil d’État avec les éléments strictement nécessaires pour délibérer sur les projets que le gouvernement aurait à soumettre à la Haute Assemblée ». Mais une telle partition du corps n’était pas envisageable pour l’institution, son vice-président le fit clairement valoir au garde des Sceaux :
« Le Conseil d’État est un organisme dont le rôle est complexe : législatif, administratif, contentieux ; mais cela ne signifie pas que son activité s’exerce sur des voies parallèles et indépendantes et l’interpénétration des éléments qui l’assurent en constitue l’originalité profonde. C’est dire que notre fonctionnement utile, partie en zone libre, partie en zone occupée, ne se peut concevoir que si un aménagement du régime des laissez-passer nous donne le moyen de circuler sans incertitudes ni hiatus47. »
30Le gouvernement persévéra cependant dans son projet ; il n’en différa qu’un moment la mise en œuvre, eu égard aux difficultés pratiques auxquelles se seraient trouvés confrontés les conseillers contraints de « rallier Paris en plein hiver sans avoir pu prendre aucune mesure en vue de s’assurer le passage de la mauvaise saison », comme Alfred Porché l’avait en outre fait observer. Le transfert était prévu pour le printemps 1942 ; il demeurait limité aux éléments nécessaires à assurer le fonctionnement du contentieux, principalement l’étude des affaires qui intéressaient les administrations à caractère économique situées en zone occupée ; le surplus des attributions du Conseil devait quant à lui s’installer à Vichy.
31Au début du mois de mai 1942, les autorités allemandes donnaient sur ces bases leur accord au transfert. Toutefois, un certain nombre de nouveaux problèmes d’ordre matériel repoussèrent un peu plus encore le retour à Paris, liés à la délivrance des laissez-passer et au transport des archives. Le secrétariat général du Conseil rappela constamment, durant cette période d’attente qui les illustrait à point nommé, les difficultés de fonctionnement que la partition de l’institution entre Vichy et le Palais-Royal ne manquerait pas d’occasionner. Finalement, après moult discussions et palinodies48, c’est le Conseil d’État dans son ensemble qui retrouvait la capitale à la fin du mois de juin.
32205. Il ne resterait en zone libre, à Vichy, qu’une "antenne" du Conseil auprès du gouvernement, constituée de deux conseillers en titre et trois maîtres des requêtes :
« Cet "échelon" devait préparer, en liaison avec les services demeurés à Vichy, les projets de lois à soumettre à l’Assemblée générale ; il pouvait être consulté seul dans les affaires les plus urgentes, étant entendu que son avis n’aurait qu’un caractère officieux. En fait, il ne remplit pas cette fonction et servit uniquement de bureau d’enregistrement des pourvois formés par des requérants domiciliés en zone sud49. »
33206. La "cure" de Royat prenait fin. Le retour de l’institution à Paris allait certes lui-même marquer le début d’un nouvel exil, mais celui-là somme toute plutôt heureux, peut-être salutaire.
2. Le retour à Paris (juillet 1942 – août 1944). Un exil opportun
34207. Les retrouvailles avec le Palais-Royal s’avéraient pour le Conseil bénéfiques à plus d’un égard. Elles l’étaient d’abord pour le fonctionnement de l’organe : son travail juridictionnel pouvait sortir de la relative léthargie où les obstacles pratiques l’avaient tenu à Royat ; l’augmentation du volume d’arrêts rendus entre 1942 et 1944 le montrerait50. Le retour à Paris paraissait également propice à améliorer la vie du corps, les membres retrouvant leur cadre normal, leurs outils et leurs habitudes de travail.
« Ce n’était pas, bien sûr, la vie d’avant-guerre : on allait au Palais-Royal à bicyclette, mais [...] l’adversité tendait à rapprocher les membres, qui avaient créé une coopérative de ravitaillement où ils se précipitaient, à la sortie des séances, pour faire la queue, la tête encore pleine de jurisprudence51. »
35208. Surtout, la capitale en 1942 – tournant en France pour le régime, tournant de la guerre en Europe52 – représentait une situation bien plus confortable pour le Conseil en tant que corps que ne l’eût été son maintien à Royat, a fortiori une installation à Vichy. En effet, moins l’institution devait se trouver à même de participer aux entreprises d’un gouvernement chancelant, peu ou prou aux ordres d’un Reich dont la victoire n’était plus certaine, moins au moment de sa chute ses membres risquaient de se retrouver compromis. Et il paraît probable que les nouvelles qui pouvaient parvenir de la progression de la Résistance extérieure en 1943 – à la mi-mai, les Alliés entraient à Tunis ; au début du mois d’octobre suivant, De Gaulle était seul maître à Alger53 – confirmèrent nombre de conseillers dans cet état d’esprit : adopter « un profil bas » et, n’exerçant qu’une « activité distante » des autorités de Vichy54, s’en faire oublier autant que de possible :
« Le séjour à Royal avait maintenu le Conseil dans une sorte d’irréalité. Le retour à Paris le ramenait au contraire brutalement sur terre [...] s’éloignant d’un gouvernement de plus en plus coupé de l’opinion, mis en face des réalités les plus noires de l’Occupation55... »
36L’ambiance à Paris, de fait, n’était plus la même qu’à Royat ; au Palais-Royal, plus « aucun collègue n’osa continuer à porter la francisque, au milieu d’une population qui souffrait directement de l’occupation allemande56 ». Loin des dirigeants de la collaboration, le corps se préparait peut-être, déjà, à restaurer sa crédibilité républicaine.
37209. Cette hypothèse pourrait-elle en partie éclairer, avec la dégradation de plus en plus apparente de la réalité du pouvoir exercé par le gouvernement de Pétain et Laval, le fond des arrêts les plus audacieux alors rendus par la section du Contentieux ? – C’est aujourd’hui, en résumé, la thèse soutenue par Jean Massot57. En faveur de celle-ci, concernant la législation antisémite, on peut notamment citer les affaires Darmon ou Elastic, lesquelles, chacune dans son domaine spécifique, donnant au juge l’occasion de faire respecter les droits des particuliers, ont en effet été traitées durant la période "parisienne" de la Haute juridiction pendant la guerre. Mais il faut aussi rappeler que des décisions nettement moins favorables aux requérants, tels les arrêts Cohen ou Maxudian, ont été acquises au même moment58 – comme la plupart des solutions d’un contentieux inauguré quelques mois seulement avant le retour du Conseil dans la capitale59... À l’encontre de la trop belle logique des enchaînements cartésiens, on notera de plus que le libéralisme d’une jurisprudence Lévy profitait aux requérants dès avril 1942, deux mois à peine après l’intervention du discutable arrêt Monossohn, alors que l’institution, dans chaque cas, statuait encore à Royat60. L’évolution de la situation géographique du corps, parallèle à l’évolution du contexte politique général, si elle constitue sans nul doute un élément pertinent – une « chronologie [...] en effet essentielle pour comprendre l’évolution des intentions comme des actes, individuels et institutionnels61 » –, ne saurait donc être regardée, cependant, comme un facteur explicatif bien fiable des solutions retenues à l’époque par la juridiction administrative.
38210. La prise de distance opérée par le Conseil à partir de l’été 1942, néanmoins, était d’autant plus opportune que ses membres, par statut, au lendemain de l’instauration de l’État français, avaient dû entretenir avec les autorités un rapport d’allégeance déclarée qui, rétrospectivement, pouvait sembler compromettant.
B. La situation statutaire. Une allégeance forcée
Dans l’esprit du nouveau système, les membres du Conseil devaient être, avant tout, des fonctionnaires fidèles...
Jean Marcou 62
39211. Le régime de Vichy cherchait le soutien de l’ensemble de la fonction publique, indispensable à la mise en œuvre des réformes de la Révolution nationale ; s’il fallait « organiser l’État nouveau », c’était d’abord son cadre administratif, cheville ouvrière de toute l’entreprise63. L’acte constitutionnel n° 7, adopté par Pétain à la fin de janvier 194164, se trouvait au premier rang de ce programme, reflet de « l’archaïsme juridique du régime ». En effet, ce texte rendait « personnellement responsables devant le chef de l’État » les « secrétaires d’État, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires », d’une responsabilité qui était réputée engager « leur personne et leurs biens » (article 2), et que pouvaient venir sanctionner, directement prononcées par le Maréchal, les lourdes peines prévues, « dans le cas où l’un d’eux viendrait à trahir les devoirs de sa charge65 ». Mais l’acte, dès son article 1er, avait encore prévu l’obligation, pour les mêmes, de prêter un « serment devant le chef de l’État », dans lequel ils devaient jurer « fidélité à sa personne », et s’engager « à exercer leur charge pour le bien de l’État, selon les lois de l’honneur et de la probité », à l’image du serment que prêtaient à leur souverain les dignitaires des Premier et Second Empire.
40Ce serment figurait une « arme que le Maréchal Pétain pensait absolue66 » ; à ses yeux, la prestation semble avoir procédé, plus que d’une sorte de vassalisation, à sa suzeraineté, d’une fonction publique ainsi féodalisée, d’un véritable rite re-fondateur de l’administration française, empreint d’une dimension quasi-religieuse :
« Pour le Maréchal, le serment devait littéralement enchaîner à sa personne comme à ses actes tous ceux qui le lui prêteraient. Il serait le levain mystique, qui ferait fermenter la pâte, qui entraînerait vers un nouveau Sinaï (la pyramide du pouvoir !) les masses hésitantes. Il participerait de la fidélité au drapeau, de la foi jurée en la patrie. Il représenterait quelque chose de neuf, de décisif, d’irréfragable67. »
41Dans un premier temps, toutefois, Vichy n’avait pas fait pleinement appliquer l’acte n° 7 : des « secrétaires d’État, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires de l’État », tous également astreints au serment en vertu des termes mêmes du texte, seuls les secrétaires d’État l’avaient prêté, « la vice-présidence du conseil constatant en mai suivant que la mesure, destinée à "affermir l’autorité de l’État en renforçant l’autorité de ses hauts fonctionnaires tout en cherchant à rendre effective leur responsabilité (...) était restée jusque là lettre morte, faute de textes d’application, (bien que) ceux-ci aient été préparés en leur temps"68 ». Mais, à l’été 1941, les autorités se voyaient pressées d’événements qui menaçaient leur crédibilité : un mouvement de résistance avait pris corps sur le territoire ; des oppositions au régime allaient se manifester de plus en plus fréquemment. Le gouvernement se sentait obligé de passer « de la persuasion à la contrainte69 », entre autres de sceller le rapport de soumission effective attendu de la part des fonctionnaires.
42Dans un message radiodiffusé au pays le 12 août 1941, resté célèbre pour les historiens sous le nom de "discours du vent mauvais"70, Pétain annonçait le redressement nécessaire :
« Français, j’ai des choses graves à vous dire. De plusieurs régions de France, je sens se lever, depuis quelques semaines, un vent mauvais. L’inquiétude gagne les esprits, le doute s’empare des âmes. L’autorité de mon Gouvernement est discutée. Les ordres sont souvent mal exécutés. Dans une atmosphère de faux bruits et d’intrigues, les forces de redressement se découragent. D’autres tentent de se substituer à elles, qui n’ont ni leur courage, ni leur désintéressement. [...] Un véritable malaise atteint le peuple français. [...] Le trouble des esprits n’a pas sa seule origine dans les vicissitudes de notre politique étrangère. Il provient surtout de notre lenteur à reconstruire un ordre nouveau, ou plus exactement à l’imposer. La Révolution nationale [...] n’est pas encore entrée dans les faits [...] parce que, entre le peuple et moi qui nous comprenons si bien, s’est dressé le double écran des partisans de l’ancien régime et des trusts. [...] Un long délai sera nécessaire pour vaincre la résistance de tous ces adversaires de l’ordre nouveau, mais il nous faut, dès à présent, briser leurs entreprises, en décimant ses chefs. Si la France ne comprenait pas qu’elle est condamnée, par la force des choses, à changer de régime, elle verrait s’ouvrir devant elle l’abîme. [...] En 1917, j’ai mis fin aux mutineries. En 1940, j’ai mis un terme à la déroute. Aujourd’hui, c’est de vous-mêmes que je veux vous sauver. [...] Le problème du Gouvernement dépasse en ampleur le cadre d’un simple remaniement ministériel. Il réclame avant tout le maintien rigide de certains principes. L’autorité ne vient plus d’en bas. Elle est proprement celle que je confie ou que je délègue... »
43Suivait l’énumération des décisions prises en conséquence, qui instituaient ce qu’on a pu appeler un « totalitarisme à la française71 », mise en place d’un « pétainisme dur72 » : suspension de l’activité des partis politiques (celle-ci se trouvait acquise dans les faits depuis juillet 1940) ; doublement des moyens d’action de la police ; extension des pouvoirs des préfets de région ; jugement des fauteurs de troubles par un "Conseil de Justice politique" ; nomination de "commissaires au pouvoir", chargés de déceler et de briser les obstacles administratifs ; etc73. Parmi ces déclarations d’intention, concluant le message, la réaffirmation de la prestation du serment de fidélité prévu au mois de janvier précédent :
« En application de l’acte constitutionnel n° 7, tous les ministres et hauts fonctionnaires devront me prêter serment de fidélité et s’engager à exercer les devoirs de leur charge pour le bien de l’État, selon les lois de l’honneur et de la probité. »
212. La mesure allait être concrétisée très rapidement :
« Les juristes de la vice-présidence du conseil prirent [...] très au sérieux la tâche qui leur était confiée. Le 16 août paraissent au Journal Officiel trois textes donnant force de loi à l’annonce faite quelques jours plus tôt par le Maréchal. [...] Un décret précise ainsi les modalités d’application de l’acte constitutionnel n° 7 [...] en donnant une définition juridique des termes "hauts dignitaires et hauts fonctionnaires". Ces deux catégories se voient en effet identifiées à celles définies par la loi du 27 juillet 1940 "relative à la forme des actes administratifs individuels", qui limitait les nominations par décret aux plus hautes fonctions de l’État : ambassadeurs, conseillers d’État, secrétaires généraux des ministères, directeurs généraux et directeurs d’administration centrale, résidents généraux et gouverneurs des colonies, etc. Le texte y ajoute l’ensemble des membres du Conseil d’État, soulignant ainsi le rôle prééminent que le régime entend attacher à l’institution, dont maîtres des requêtes et auditeurs sont aussi appelés à prêter serment. [...] Des actes constitutionnels, numéros huit et neuf, étendent l’obligation du serment, en adaptant la formule aux fonctions considérées, à l’ensemble des forces armées d’une part, à la magistrature d’autre part. Une circulaire, que signe le 17 septembre 1941 Jardel, [...] secrétaire général de la vice-présidence du conseil, demande aux ministres de mettre rapidement en œuvre ces dispositions, en faisant prêter serment à ceux des fonctionnaires placés sous leurs ordres qui rentrent dans les catégories définies par le texte d’août74. »
44L’annonce du serment fut donc brutale – pour toute la fonction publique et non seulement ses plus hauts représentants : dès le 4 octobre 1941, en effet, par souci du régime de « constituer une garantie suffisante de loyauté75 », un dixième acte constitutionnel76, en son article unique, prévoyait que « l’obligation de prêter le serment de fidélité au chef de l’État, telle qu’elle résulte de l’article 1er de l’acte constitutionnel n° 7, pourra [...] être étendue par des lois ultérieures aux fonctionnaires de tous ordres qui ne sont pas visés par les actes constitutionnels numéros 7, 8 et 9 et par le décret du 14 août, ainsi qu’aux personnels de direction des services publics concédés ». La mesure, ainsi, se trouvait potentiellement généralisée à l’ensemble des agents publics.
45213. Ces décisions représentaient une vraie rupture culturelle dans une France où, globalement, « depuis l’affermissement de la République, durant le dernier quart du XIXe siècle, les fonctionnaires étaient "dépolitisés" », fait « relativement nouveau, mais bien établi » ; « en 1940, on avait [...] pris l’habitude, sur toute l’échelle des opinions personnelles, d’opérer sans mettre en cause les prises de positions politiques77 ». Pourtant, « les administrations prirent également très au sérieux l’obligation du serment, comme en témoigne l’ardeur qu’elles mirent à la voir élargir à leurs agents » ; ce zèle n’était pas indifférent à l’édiction de l’acte constitutionnel n° 10 : dans l’enthousiasme premier de la Révolution nationale, et du redressement promis autant qu’espéré du pays, « chacun souhaitait voir les siens parmi les "hauts fonctionnaires et dignitaires" desquels le serment était exigé78 ».
46L’obligation de prêter ce serment était sans doute plus choquante pour les membres du Conseil d’État, qui avaient depuis longtemps perdu l’habitude de faire acte d’allégeance au pouvoir. Georges Maleville devait en transcrire son analyse personnelle :
« Le serment qui était exigé des membres du Conseil d’État [...] comprenait deux parties nettement distinctes. La seconde partie était commune à tous les membres du Conseil d’État. Elle était ainsi libellée : "Je m’engage à exercer ma charge pour le bien de l’État selon les lois de l’honneur et de la probité". Cette rédaction était acceptable et ne soulevait aucune objection. La rédaction de la première partie du serment variait selon le grade. Le vice-président du Conseil d’État était assimilé aux secrétaires d’État et devait prêter un serment dont le début, s’adressant directement à Pétain, était ainsi conçu : "Je jure fidélité à votre personne". Cette formule visait Pétain à titre exclusif et personnel. Quant aux autres membres du Conseil d’État et hauts fonctionnaires, ils étaient invités à prêter le serment suivant : "Je jure fidélité à la personne du Chef de l’État". Cette rédaction ne concernait plus Philippe Pétain, mais "la personne du Chef de l’État", qui était Pétain aujourd’hui, mais pouvait être, demain, un autre homme, et, pourquoi pas ?, Charles de Gaulle par exemple. Le serment était adressé à la personne du titulaire de la fonction du chef de l’État, quel qu’il fût, sans mentionner le nom de Pétain. En me fondant sur ce raisonnement, et en interprétant ainsi le texte qui m’était dicté, j’acceptai donc de prêter ce serment79. »
47214. Le 19 août 1941, en effet, le corps tout entier prêta le serment imposé par Vichy, ou du moins s’y prêta. C’est à travers le secrétariat général qu’avait été organisée la cérémonie ; Pétain avait entendu venir en personne, à Royat, pour recevoir la déclaration « en son Conseil d’État », comme les convocations adressées à chaque membre en portaient la mention, aux accents d’Ancien régime80. La prestation eut lieu dans les salons de l’hôtel Majestic, le plus luxueux de la ville, pour l’occasion investis81. Le garde des Sceaux, alors Joseph Barthélémy, en sa qualité de président en titre de l’institution, accueillit le Maréchal d’une longue prosopopée, annonçant « une grande journée et qui marquera dans l’histoire du Conseil d’État82 ».
48Georges Maleville se souviendrait que « Barthélémy accumula les compliments, tant à l’égard du Conseil que de Pétain (auquel il regretta de ne pouvoir offrir le fauteuil que Bonaparte occupait jadis au Conseil), de manière si massive et maladroite que quelques sourires naquirent83. » Les révérences oratoires du ministre, en réalité, illustraient parfaitement le culte de la personnalité alors voué à Pétain, héros de la Première Guerre et homme providentiel de l’été 194084. Barthélémy avait commencé par faire valoir l’« éclat exceptionnel » que jetait sur la séance du jour la présence de l’illustre vieillard, protesté la « vive émotion » et la « légitime fierté » que le Conseil, « dans son entier », en ressentait ; n’hésitant pas à saluer le « miracle » que constituait la « présence à la tête de l’État » du Maréchal, il achevait par un équivalent vichyssois du Domine salvum fac Regem, l’antienne monarchiste : « Et c’est d’un cœur fervent, respectueux et confiant, que nous formulons ce vœu ardent : Dieu vous garde, Monsieur le Maréchal. »
49215. Comme le noterait encore Georges Maleville, « l’allocution de Pétain fut plus brève et moins fleurie » ; il commença par « prendre possession » des membres du Conseil en les nommant « mes conseillers », et poursuivit « sans ambages85 ». « Intervenant une semaine après le discours du 12 août », le propos « reste très marqué par la tonalité du vent mauvais86 » ; il assure en outre à l’institution un rôle de choix dans les desseins du chef de l’État français :
« Ma venue a [...] pour motif de recevoir votre serment. Depuis le jour où, par la force irrésistible des circonstances [...] j’ai été placé à la tête de l’État, j’ai multiplié les appels au bon sens, à la raison, à la notion d’intérêt public. J’ai réclamé avec insistance le concours et la bonne volonté de tous les Français. [...] Telle est la portée du serment que je suis venu entendre. La gravité du péril intérieur et extérieur rend plus affirmative que jamais ma résolution de m’appuyer sur tous les éléments sains du pays, rassurés par ma volonté de mettre les autres hors d’état de nuire. Je maintiendrai l’ordre matériel, mais cette œuvre ne suffit pas à satisfaire mes plus hautes et mes plus chères ambitions. Il me faut le concours cordial du pays [...] Je veux par surcroît la réforme morale [...] Après la paix, le premier besoin des peuples est l’ordre, l’ordre dans les choses, les institutions, dans la rue, dans les esprits. Sans ordre, pas de prospérité, pas de liberté. La grandeur de votre mission vient de ce que vous êtes l’organe de la régularité dans l’administration et dans la gestion des services publics. Tout porte à croire que dans la France de demain le Conseil d’État, animé de l’esprit nouveau du régime, saura jouer son rôle. Messieurs, j’attends maintenant votre serment. »
50Georges Maleville, toujours, se souviendrait que le Maréchal « lisait son texte d’une voix faible, cassée par moments, avec des gestes saccadés. On aurait dit une marionnette. Une marionnette qui avait beaucoup servi87. »
51216. Vint la prestation des serments, et d’abord celle du vice-président, Porché, qui s’adressa à Pétain en des termes plus que déférents :
« Je m’en serais voulu et il eût été inconvenant de ma part de vous demander la parole après Monsieur le Garde des Sceaux, après notre Président, si lui même ne m’y avait encouragé. Ce qui m’y décide, c’est qu’avant que nous ne vous prêtions serment, je voudrais vous apporter la déclaration solennelle, directe, que nous l’allons faire en toute conscience. C’est que nous entendons ne pas nous borner à un geste, mais accomplir un acte. Vous êtes ici en votre Conseil, vous restituez une tradition morte depuis le grand empereur dont le nom est inséparable de notre institution ; à tel témoignage de confiance, comment ne répondrions-nous pas, non du bout des lèvres, mais du fond du cœur, par une promesse de fidélité ? [...] Notre dévouement vous est acquis ; nous sommes à vos ordres, Monsieur le Maréchal. Monsieur le Maréchal, je jure fidélité à votre personne et je m’engage à exercer ma charge pour le bien de l’État selon les lois de l’honneur et de la probité. »
Le procès verbal de la cérémonie rapporte la suite :
« M. le Chef de l’État serre la main de M. le vice-président du Conseil d’État en disant : "Je vous remercie". MM. les présidents de section Riboulet, Fochier, Ripert, Rouchon-Mazerat et Reclus, prononcent successivement la formule de serment à la personne du Chef de l’État. M. André Cuvelier, maître des requêtes, secrétaire général du Conseil d’État, s’avance devant le Maréchal Pétain et lit la formule du serment [...]. M. le Garde des Sceaux, MM. les conseillers d’État, le secrétaire général, les maîtres des requêtes et auditeurs présents à la séance, debout, lèvent la main droite et prononcent les mots : "Je le jure"88. »
52217. Les membres du Conseil qui n’étaient pas présents à Royat ce 19 août prêtèrent serment, individuellement, à l’occasion de la plus proche séance à laquelle ils se trouvèrent assister. Les quelques absences à la cérémonie tenaient pour l’essentiel à la rapidité avec laquelle cette prestation avait été organisée, une semaine seulement après le discours de fermeté de Pétain, le 12 août, et dans les cinq jours suivant la publication du décret qui fixait le texte du serment ; on devine en effet que certains aient pu rencontrer des difficultés matérielles à se déplacer, de manière imprévue, dans la France de l’époque89. Toutefois, une absence au moins comportait un caractère d’abstention politique, celle du conseiller Blondeau, qui « s’était volontairement abstenu de siéger » :
« Il n’admettait pas le principe même d’un serment prêté à la personne du chef de l’État. Après avoir demandé certaines assurances quant à la nature exacte du serment institué par l’acte constitutionnel n° 7, il prêta serment à la séance du 20 novembre 194190. »
53218. Au reste, quel pouvait être l’état d’esprit de l’ensemble du corps en prêtant serment ? Amusés, semble-t-il, tel Georges Maleville, par le ridicule d’une cérémonie « propre à flatter la vanité sénile du Maréchal91 », les membres d’un Conseil habitué à l’indépendance de fait ne se sont-ils pas trouvés quelque peu effrayés, cependant, par les derniers mots du discours que Pétain leur adressait, qui en appelait à un retour de l’ordre tous azimuts ? Et cela nonobstant, ou peut-être, à l’inverse, d’autant plus que l’organe était promis à une étroite association dans la réalisation de ces projets ? – À croire Maleville encore, « en fait, la sincérité était absente de ce cérémonial. Quelle conscience pouvait se regarder comme légitimement liée par un serment prêté sous une extrême contrainte morale ? »
54Les mots de Porché n’étaient-ils que parade ? – La profession de foi aurait alors pu se faire plus sobre92... Nombreux pouvaient être, toutefois, les membres du Conseil d’État qui tenaient le raisonnement de Maleville, ne voyant en somme dans le serment qu’« une formalité93 ».
55Ce qui frappe, néanmoins, c’est que tous les membres du Conseil aient pu raisonner de même, et prêter le serment, a fortiori que toute la fonction publique française l’ait fait. Quant aux hauts fonctionnaires, on n’a enregistré au plus que six cas de refus94.
56Il n’est pas impossible d’essayer d’expliquer le phénomène : pour les agents de l’époque, désormais habitués à dissocier l’exécution de leur tâche, celle des ordres des dirigeants, de leurs propres opinions, « la règle du jeu – un loyalisme inconditionnel, parce que non conditionné jusqu’alors – perdurait malgré [le] changement » ; « un dévouement inchangé avait le loyalisme pour premier devoir » ; la fidélité au gouvernement « était même renforcée par la nécessité ressentie de faire front à l’épreuve commune sans divisions ni troubles internes qui eussent affaibli la défense patriotique95 ». En d’autres termes, loin de susciter la réaction, Vichy, au contraire, presque par nature – celle de son programme politique –, et par la force de sa propagande, radicalisait l’obéissance quasi-mécanique de l’administration96. Le Conseil d’État pouvait parfaitement suivre un tel schéma, dès lors qu’il avait cessé d’apparaître comme « le rival d’aucun pouvoir politique » depuis ce qu’on a pu baptiser son « "décrochage" politique, obtenu principalement par une "dé-constitutionnalisation"97 », définitivement entérinée à partir de 1875, l’institution ne figurant plus dans les textes constitutionnels.
57219. Quoi qu’il en soit, le corps entier avait finalement prêté le serment. Autant dire qu’on ne saurait guère expliquer les attitudes de l’époque au prisme de ce dernier : sa généralité même lui retire toute vraie signification : la soumission qu’il laisse supposer de chacun demeure invérifiable, qu’elle fût feinte ou sincère.
58On a écrit que, « dans la mesure où le refus de prêter serment avait pour conséquence inéluctable la radiation des cadres[, ] tout au plus peut-on faire remarquer que parmi ceux à qui la formalité a coûté – et on peut supposer qu’il y en a eu un certain nombre – aucun n’avait de convictions suffisamment fortes pour les faire passer avant le souci de conserver son emploi98 ». Mais il faut nuancer jusqu’à cette appréciation, et son apparence d’évidence, trompeuse99 : le souci de préserver un emploi, en l’occurrence, a pu s’avérer moins neutre pour certains que pour d’autres. En effet, si ce n’était guère au plan collectif que se jouaient les vrais engagements, les enjeux paraissent bien plus clairs au niveau des choix individuels.
II Les situations individuelles. Des liaisons dangereuses
Aujourd’hui le temps des équivoques est passé. [...] Il faut se prononcer. On est avec moi ou contre moi. Et cette pensée est surtout vraie pour les serviteurs de l’État et d’abord de vous qui êtes les premiers.
Philippe Pétain 100
59220. Alors que certains des liens que le corps tissa avec Vichy avaient été sollicités par les autorités – commandés s’entend – à travers l’obligation de prêter le serment de fidélité des actes constitutionnels n° 7 et suivants, plusieurs membres du Conseil s’engagèrent de plein gré aux côtés du régime, et en toute connaissance de cause ; entre 1940 et 1944, ils quittèrent leur institution de rattachement pour exercer des fonctions au sein de l’administration dite active. D’autres, au même moment, combattaient dans la clandestinité, ou depuis Londres, les entreprises d’un gouvernement auquel ils refusaient de reconnaître toute légitimité politique.
Les pousses de "la grande pépinière "
60221. Ce n’était pas seulement par souci de loyauté que l’État français voulait s’assurer du soutien de la haute fonction publique : c’était d’abord pour les compétences professionnelles de ces hommes. Vichy avait ainsi cherché à s’adjoindre les services d’un nombre important d’experts issus de la haute administration, comme de l’appui de cadres supérieurs du secteur privé et d’élites en tous genres.
61De cet appel du régime à la reconnaissance et à l’aide extérieure témoignait d’abord la création, en janvier 1941, du "Conseil national", institution où siégeaient éminences religieuses (catholiques et protestants exclusivement), hommes politiques (bien évidemment acquis au régime), académiciens, artistes, scientifiques, présidents de chambre de commerce, dirigeants du secteur agricole, etc. Cette structure, à l’origine, était supposée aider dans sa tâche, par voie d’avis consultatifs, un gouvernement dont elle dépendait en fait totalement, et se trouvait destinée à jouer, afin d’emporter l’adhésion générale aux entreprises de la Révolution nationale, le rôle du "maillon manquant" entre les autorités vichyssoises et la population, comblant l’écart né de l’absence de chambres parlementaires. Dans la pratique, elle resta cependant cantonnée à un rôle de pure figuration101. L’apport concret des grands corps de la fonction publique et celui du monde des affaires fut privilégié, en effet, par rapport à une assemblée de notables qui, certes utile pour les apparences du pouvoir, lui serait néanmoins devenue encombrante s’il avait dû s’en soucier davantage. Hauts fonctionnaires et responsables du secteur privé, d’ailleurs, furent aussi préférés au soutien hypothétique d’un éventuel parti unique, comme à celui de l’artificiel succédané qu’on en avait instauré, dès le mois d’août 1940, en l’espèce de la "Légion française des combattants", fédération des associations de vétérans qui devait servir à mobiliser les énergies militantes et à développer le culte maréchaliste102.
62Les nouveaux dirigeants, désireux de réformes efficaces, avaient recouru, pour leur savoir et leur savoir-faire, à des techniciens, des experts ; ces derniers se mettaient au service du régime parce qu’ils y voyaient un pouvoir légitime – d’autant plus aisément qu’eux-mêmes, de la sorte, participaient de cette légitimité. C’est ainsi qu’à partir de l’automne 1940 juristes, chefs d’entreprises et scientifiques accédèrent à des postes importants, avant d’investir massivement, au début de l’année 1941, le cabinet Darlan. Les gouvernements d’avant-guerre, certes, avaient déjà prisé les experts ; mais la République faisait généralement prévaloir, aux postes clés, des hommes issus du milieu politique. Vichy, moins soucieux de représentation démocratique, représentait l’occasion d’une revanche des élites non élues sur quelques frustrations passées103.
63Plus profondément, c’était la voie d’un nouveau mode de gouvernement qui s’ouvrait ainsi : la "technocratie" paraissait consacrée, ou « la primauté de l’administration sur la politique104 ». On touche là une ambiguïté fondamentale du régime de Vichy, archaïque dans ses valeurs, conservatrices, et ses buts, réactionnaires – ceux de la Révolution nationale –, mais réellement moderne, novateur même, dans ses moyens administratifs et sa pratique de la direction de la Cité, qui anticipaient sur l’après-guerre ; le paradoxe a justifié pour partie le titre anglais original de l’ouvrage de Robert Paxton : Vichy France Old Guard and New Order 105.
64222. Le Conseil d’État, tout à la fois creuset et produit de l’élite administrative nationale106, ne pouvait pas échapper au mouvement, ni ses membres aux trop séduisantes sirènes du pouvoir. De fait, jamais les conseillers n’avaient été aussi nombreux que sous Vichy à demander leur mise hors cadres, afin d’exercer des fonctions extérieures à l’institution107. Entre 1923 et 1939, le nombre de ces mises hors cadres, pour un effectif total de 90 à 125 membres, avait oscillé selon les années entre deux au moins et six au plus ; on en comptait trois le plus souvent. En 1941, l’annuaire du Conseil témoignait quant à lui de quatorze mises hors cadres, en 1942 de dix-sept, dix-neuf en 1943. Certains membres bénéficièrent en outre de délégations, qui leur permettaient une "semiévasion" du Conseil, restreinte dans le temps : délégués, ils ne pouvaient en effet exercer de fonctions extérieures que pendant deux années consécutives, quand la mise hors cadres en autorisait cinq, mais, contrairement aux conseillers placés hors cadre, ils conservaient en même temps une activité au sein de l’institution, avec cette réserve statutaire qu’ils ne pouvaient alors entrer que dans ses formations administratives, et non juridictionnelles108. On compte quatre de ces délégations pour 1941 et six pour 1942 ; en 1943, elles s’achèvent ou bien sont converties en mises hors cadres. Au total, vingt-deux membres différents furent placés hors cadres entre 1940 et 1944.
65En somme, selon des mots qu’avait prononcés Joseph Barthélémy, devant l’Assemblée générale du 30 juin 1941, lors de son discours d’installation au Conseil109, l’institution était effectivement devenue, sous Vichy, « la grande pépinière administrative ». À côté de sa double mission traditionnelle de juge et de conseiller, elle venait de confirmer l’acquisition d’une troisième fonction, de nature technocratique : le rôle d’un vivier où le gouvernement soit à même de puiser des hommes utiles.
66223. Ce fut d’ailleurs à tel point que les effectifs de l’organe, déjà affaiblis dans les premiers temps du régime par la mobilisation de guerre et l’application des lois d’exception, manquèrent en nombre malgré l’organisation périodique de concours110. La vice-présidence devait de plus en plus régulièrement se plaindre du problème, que Porché évoqua notamment, le 21 octobre 1943, lors de l’installation au Conseil du troisième garde des Sceaux de la période, Maurice Gabolde, dans son discours de réception. Les mots étaient presque ceux du désespoir ; du reste analysaient-ils bien la situation :
« Que du moins on nous maintienne en ordre de marche. Ce serait pitié si une institution comme la nôtre se vidait de ses meilleurs éléments et devait se résigner à accueillir des valeurs réduites ; le prestige de la maison a réussi jusqu’à présent à écarter le péril, mais certains signes nous avertissent qu’il est à nos portes, car ce qui n’est ici qu’une menace est ailleurs presque une réalité. La question déborde le Conseil d’État, elle est grave, il ne s’agit de rien de moins que la désaffection ou plutôt la désertion de la fonction publique ; grâce à l’attrait exercé à tous les degrés de la hiérarchie, par une rémunération plus généreuse, et un avancement plus rapide, des organismes para-administratifs et même certains organismes nouveaux de l’État opèrent sur les services les plus anciens des ponctions qui peuvent devenir mortelles... Malgré mon peu de goût personnel pour la solennité des formules, il ne sera pas dit qu’un cri d’alarme ne se sera pas fait entendre dans cette salle de nos assemblées générales, haut lieu de l’administration française ; à ce cri votre présence, Monsieur le Garde des Sceaux, m’apporte l’occasion de donner un retentissement particulier : Que nos consuls veillent111 ! »
67224. Au titre des « organismes para-administratifs » que visait le vice-président pour responsables de l’hémorragie des effectifs du Conseil, les cabinets ministériels occupaient un exceptionnel premier plan. Par rapport au personnel total de ces cabinets, le corps – membres mis hors cadre et membres délégués confondus, partant inclus ceux qui avaient conservé des fonctions administratives dans l’institution –, en effet, représentait 8,4 % au début de la Troisième République et 4 % entre 1926 et 1931, mais 12 % en 1940 ; cette proportion retomberait à 8 % en 1943-1944, 4,4 % sous la Quatrième République, 4,8 % en 1958112. Ainsi André Lavagne fut-il le directeur du cabinet civil de Pétain, Pierre de Font-Réaulx de celui d’Alibert113.
68Quant aux affectations proprement administratives, les activités exercées par les membres du Conseil mis hors cadres sous Vichy furent variées. Si l’on ne tient pas compte de Charles Pomaret, furtif détenteur de deux portefeuilles successivement aux premiers jours du régime, et qui avait quitté l’institution dans les années 1920114, un seul conseiller fut alors ministre : Raphaël Alibert, garde des Sceaux, dont on sait l’influence sur le premier statut des Juifs édicté en octobre 1940. Mais le personnage, entré au Conseil en 1911, l’avait lui aussi quitté, dès 1924, et n’y devait retourner qu’après son limogeage du gouvernement (d’ailleurs vécu par l’intéressé sur le mode du « drame115 »). Sept membres occupèrent des affectations coloniales diverses, cinq autres des postes de directeur d’administration centrale – parmi lesquels Jean-Marie Ingrand, maître des requêtes chargé de représenter le ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu à Paris, et qui semble avoir joué un rôle non négligeable dans l’application des lois raciales116. Enfin, cinq membres furent préfets, et trois secrétaires généraux de ministère : Dayras à la chancellerie, Fatou aux Colonies, Roujou à l’Intérieur117.
« L’osmose était devenue réelle entre le Conseil d’État et l’échelon le plus politique de l’administration. [...] Si plusieurs conseillers d’État ou maîtres des requêtes n’occupèrent que des postes techniques, il en est d’autres dont les fonctions impliquaient l’adhésion effective aux priorités du régime. En outre, la mission de bureau de placement dans la haute fonction publique, que remplit traditionnellement le Conseil d’État au profit de ses membres, ne s’arrêta pas aux portes des organismes aux missions tristement novatrices : jusqu’en mai 1942, le poste de chef du service de la législation au Commissariat général aux Questions juives fut ainsi occupé par le maître des requêtes Jean Giroud, ancien sous-directeur au ministère de la Justice, dont Porché ne réclama le retour qu’en contrepartie de l’affectation d’un autre maître des requêtes qui, avec le titre de commissaire adjoint aux Questions juives, aurait eu pour mission d’encadrer Darquier de Pellepoix sur les plans juridique, administratif ou financier. (À la demande de Darquier [...], Porché accepta de retarder le retour de Giroud jusqu’à ce que celui-ci ait pu achever la rédaction des textes qu’il était en train de préparer. Georges Monier, retenu pour le poste de commissaire adjoint [...] démissionna au bout de quelques semaines118 .) »
69225. Rétrospectivement, cette volonté de Porché de maintenir des conseillers en poste dans l’administration active paraît quelque peu contradictoire avec les plaintes que le vice-président formulerait, devant Gabolde, concernant l’hémorragie de personnel du Conseil119. Il faut dire que ces hommes proches du pouvoir se montrèrent dans un premier temps utiles à leur institution d’origine, qui trouvait en eux des interlocuteurs privilégiés. Ainsi, au début de son séjour à Monségur, « la prise de contact du Conseil avec Vichy a été certainement facilitée par l’intervention de ceux qui, parmi ses membres, s’étaient déjà mis au service du régime naissant » ; « le dialogue entre le Conseil et son ministère de tutelle devait reposer, [...] pendant toute l’Occupation, sur deux maîtres des requêtes : Cuvelier, secrétaire général du Conseil d’État, et Dayras, secrétaire général du ministère de la Justice120 ».
« Jouait [...], entre le Conseil d’État et ceux de ses membres détachés dans la haute administration de l’État nouveau, un fort sentiment d’appartenance commune, comme le montre le cas de Maurice Lagrange. Né en 1900, il avait fait l’essentiel de sa carrière au sein de la Haute Assemblée, accédant à vingt-neuf ans aux fonctions recherchées de commissaire du gouvernement. Il n’était sorti du Palais-Royal que pour s’occuper [...] des questions relatives aux fonctionnaires et c’est tout naturellement qu’il se retrouva, dès 1939 puis à Vichy, chargé des mêmes dossiers à la présidence du conseil. Jusqu’au retour de Laval aux affaires en avril 1942 (Lagrange réintégra alors le Conseil d’État121 [...]), il n’est ainsi pas de texte concernant la fonction publique – des lois d’exclusion au statut des fonctionnaires – qui ne porte l’empreinte de Maurice Lagrange, aux avis duquel les commissions spécialisées du Conseil d’État attachaient la plus grande importance. Lagrange rendit la politesse en se faisant le relais, dans les échelons du pouvoir qu’il fréquentait, de la volonté du Conseil d’État, privé à Royat de ses archives et de sa bibliothèque, de retrouver la capitale122. »
70Dans le cadre de relations non plus institutionnelles mais interpersonnelles, les solidarités de corps, apparemment, se développèrent de même ; en particulier, fin 1940- début 1941, « certains membres exclus du Conseil par application du statut des Juifs furent [...] réemployés par les ministères, souvent à l’initiative de leurs collègues qui y étaient en poste », important secours en l’absence de toute réaction collective123. C’est de la sorte « que l’on put assister à cet événement surréaliste, lors d’une séance du 22 août 1941 – trois jours après le serment – de voir deux maîtres des requêtes exclus en octobre 1940 représenter, devant l’Assemblée générale, respectivement les ministères du Ravitaillement et de la Production industrielle » ; le premier était André Heilbronner, « recruté comme agent contractuel chargé de mission par son collègue Raymond Odent, directeur du cabinet du secrétaire d’État au Ravitaillement124 ». Cependant, et même si l’hypothèse ne semble pas complètement intenable, il serait hasardeux de penser que l’exigence de Porché que des conseillers détiennent des responsabilités dans l’administration active ait été fondée, fût-ce en partie, sur la possibilité de ce sauvetage in extremis des membres évincés de l’institution par les recrues du gouvernement de Vichy qui en étaient issues.
71226. Au demeurant, l’échappée des conseillers vers les ministères ne constituait nullement un phénomène isolé. Tous les grands corps, au premier rang desquels l’Inspection des Finances125, virent nombre de leurs agents se mettre volontairement au service du pouvoir, inaugurant le début d’une nouvelle ère des comportements administratifs ; le Conseil d’État ne faisait qu’en participer, au niveau élevé que justifiait son prestige et la qualité d’administrateurs de ses membres, sans toutefois y montrer, comparativement, un engagement extraordinaire. D’ailleurs, Vichy n’était qu’un début : en 1945-1946, on relèverait onze mises hors cadres, dix-sept l’année suivante, avant l’envol : vingt-cinq en 1952, trente en 1960, quarante-huit en 1964126. Ainsi, pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Robert Paxton, la "vieille garde" de l’État vichyste mettait bien en place "l’ordre nouveau" de l’administration française.
72227. Du reste, « on ne tiendra pas compte, pour juger de l’intensité des liens tissés entre l’administration active de Vichy et le Conseil d’État, de la qualité de conseiller d’État en service extraordinaire donnée aux secrétaires généraux de ministère » par une loi du 15 juillet 1940127. Ces secrétaires généraux, en effet, placés à la tête des services centraux sous la responsabilité politique du ministre ou du secrétaire d’État, faisaient en quelque sorte figure de « ministres administratifs128 » ; leur statut de conseiller se trouvait en fait dénué d’attache réelle avec le corps et l’institution129. Alfred Porché devait d’ailleurs le faire observer, en 1943, déplorant devant Gabolde que, « bien que le législateur les ait faits conseillers d’État en service extraordinaire », ces fonctionnaires étaient, « sauf quelques exceptions, à peu près inconnus » au Conseil ; « certains même, tout en mettant volontiers leur nouveau titre en vedette, n’ont pas seulement pris la peine de se faire installer », remarquait le vice-président, avec un évident regret130.
73228. Peu d’entre ceux des membres du Conseil qui exerçaient des fonctions dans l’administration active de Vichy réintégrèrent l’institution avant 1944 : sur les quatorze mis hors cadres en 1941, douze l’étaient encore en 1943131. La Libération leur ferait payer leur zèle à servir Pétain, de même qu’à ceux qui, sans avoir quitté les cadres du Conseil, n’en jouèrent pas moins un rôle actif marqué dans les rouages de l’État français – à l’exemple d’André Ripert et de Jean-Marie Roussel, tous deux présidents de section, le premier siégeant au Conseil de Justice politique, le second présidant la commission de révision des naturalisations132.
74229. De fait, les enjeux du « cri d’alarme » lancé par Porché en 1943 dépassaient peut-être l’aspect fonctionnel de l’organe qu’il représentait : en contradiction – une de plus – avec le "discours du serment" entre autres133, à Jean Massot, « plusieurs témoins [...] ont indiqué [que le vice-président] déplorait l’engagement de certains de ses collègues dans des fonctions trop compromettantes et qu’il avait cherché à les mettre en garde, notamment Georges Dayras134 ». C’est aussi ce qu’affirme dans ses mémoires, plus laconique, Michel Debré, consignant qu’alors Porché « déplore que certains [...] membres se mettent en avant135 ». Peut-être le rappel de Giroud doit-il être retenu comme un signe de ce souci d’éviter, aux conseillers, une trop grande compromission dans les noires entreprises du régime ; néanmoins, ambiguïté majeure, ce retour ne fut décidé qu’en ménageant le poste libéré au bénéfice d’un autre membre... Au surplus, à supposer réelle la tentative de Porché de limiter l’engagement du corps dans l’administration vichyssoise, force reste de constater, du seul point de vue statistique, le peu d’effets qu’elle produisit.
75230. Et c’est ainsi qu’avec une marge de liberté indéniable, incités bien sûr mais nullement contraints par le gouvernement, parfois même promus par leur propre institution d’origine, qui en tirait un profit tangible, certains membres du Conseil avaient choisi de servir Vichy, davantage que leur statut ne le leur imposait – par conviction, par ambition ; forts de ces deux motifs parfois sans doute. À l’exact opposé, dans le même temps, d’autres étaient entrés en résistance.
Les résistants
76231. On n’évoquera pas longuement cet aspect de l’histoire du corps. Elle se présente avant tout comme le tissu d’une pluralité d’histoires individuelles, de destins particuliers, où chaque acteur, héroïque, avait mis sa vie même, et des compétences humaines avant d’être professionnelles, au service d’une cause qu’il avait estimée à la fois juste et nécessaire – comme, sans doute, parmi les conseillers pétainistes les plus engagés, certains, de bonne foi, avaient pu estimer l’action qu’ils menaient juste et nécessaire, également, pour le pays. Mais, alors que le détachement de ces derniers constituait avec le pouvoir en place une attache visible et parfois active du Conseil, la résistance de certains membres, en revanche, clandestine par nature, échappait largement à l’institution, se dérobant à ceux qui n’appartenaient pas à l’entreprise. Même entre résistants, on ne se connaissait pas toujours en tant que tels, plusieurs réseaux coexistant dans une œuvre, certes commune, mais dont tous les participants étaient loin de se savoir solidaires. Georges Maleville, à cet égard, devait rapporter cet éclairant témoignage :
« Je souhaitais aider la Résistance intérieure [...]. Certes, j’avais l’impression qu’un ou deux membres du Conseil d’État participaient à la Résistance, mais j’ignorais leurs noms. Je ne pouvais en parler à personne, ce genre de questions étant très périlleux136. »
77Il finirait cependant par entrer dans une formation de résistance. D’autres membres du Conseil y œuvraient déjà, ou l’y rejoindraient ; ce fut par exemple le cas de Tony Bouffandeau, Bernard Chenot, Michel Debré, Alexandre Parodi (désigné par De Gaulle comme représentant en France métropolitaine du Comité français de libération nationale), André Ségalat ou, à l’extérieur, Pierre Tissier (devenu un proche collaborateur du Général à Londres puis à Alger137). Dans ses mémoires, Michel Debré a raconté ses activités de l’époque, notamment à Royat, où il menait une « double vie », entre son travail au Conseil et « la recherche de tout ce qui [pouvait] conduire à la revanche » ; il avait d’ailleurs dû écarter quelques « avances » des dirigeants, dont celles de Raphaël Alibert138.
78232. Debré se déclare aussi avoir été "stupéfié" par les « illusions » de ceux de ses collègues, proches du nouveau régime, qu’il rencontrait au Conseil139. Pourtant, ses activités ne paraissent pas avoir été ignorées au sein de l’institution, non plus que celles d’autres résistants. Lui-même rapporte encore que Porché, « malgré [ses] absences[, le] traite comme l’un des siens et comme si de rien n’était, obtient même [sa] promotion à l’ancienneté » ; Jean Massot, de son côté, note que « des témoins [...] ont affirmé que les engagements d’un Michel Debré ou d’un Alexandre Parodi étaient connus aux plus hauts échelons du Conseil », relevant qu’« il est symptomatique que des décisions contentieuses du Conseil d’État en 1943 et 1944 portent encore les noms d’Alexandre Parodi, André Ségalat, Bernard Chenot comme commissaires du gouvernement, alors que ceux-ci étaient déjà fort engagés dans la Résistance140 ».
79Le vice-président aurait donc su, et couvert ? D’autres au Conseil auraient été informés, qui se seraient tus néanmoins ? M. Massot pense pouvoir en établir plus qu’un commencement de preuve :
« Michel Debré comme Alexandre Parodi n’apparaissaient pratiquement plus jamais au sein des formations du Conseil dont ils faisaient normalement partie. Bien plus, lorsqu’au retour du Conseil de Royat à Paris, le vice-président décide de laisser un échelon derrière (dont [on a] dit qu’il servit simplement de bureau d’enregistrement des pourvois formés par des requérants domiciliés en zone sud141 [...] : maigre occupation pour de brillants maîtres des requêtes alors que [...] les effectifs sont loin d’être au complet), il choisit d’y faire figurer Alexandre Parodi, pourtant très actif commissaire du gouvernement. Or, nul n’ignore à ce moment ses fréquents voyages à Lyon, premier noyau de la Résistance. Tout le monde sait que son frère René, magistrat arrêté par les Allemands pour faits de résistance, a été retrouvé pendu dans sa cellule à Fresnes le 15 avril 1942. On peut raisonnablement en déduire que le président Porché a, au minimum, voulu le protéger142. »
80La Résistance n’aurait pas été sans quelque dette à l’égard des autorités du Conseil d’État.
81233. On doit enfin évoquer, sur un autre plan, géographique comme matériel, résistants à leur façon selon ce qu’ils pouvaient, ceux des membres du Conseil qui, prisonniers en Allemagne, et « n’[ayant] pu s’évader ou bénéficier d’un rapatriement pour raison de service ou motifs sanitaires ou familiaux, joueront un rôle important dans leurs oflags pour préparer au concours de l’après-guerre leurs futurs jeunes collègues143 ». Ainsi de Roger Grégoire, qui avait participé à la constitution dans son camp silésien d’une petite "écurie" – selon le terme à l’époque consacré – de préparation au concours de l’auditorat144.
82234. Un succinct bilan d’étape s’avère ici nécessaire, pour en revenir à la raison d’être de ces développements.
83Du point de vue collectif, celui du corps globalement considéré, les conditions matérielles ont semblé ne pouvoir expliquer qu’à peine une partie de l’orientation des positions adoptées par le Conseil d’État dans le contentieux de l’antisémitisme. En effet, à supposer que le rappel de l’institution dans la capitale ait permis à ses membres de prendre conscience de la dureté du sort réservé aux Juifs, ce retour intervenant peu après les premiers arrêts relatifs à l’application des lois antijuives, il ne pourrait en toute hypothèse rendre compte que d’une seule des tendances qui se dégagent de cette jurisprudence, la plus favorable aux requérants ; de plus, on peut relever celle-ci dès avant la période parisienne145.
84L’aspect statutaire, c’est-à-dire pour l’essentiel le serment de fidélité à Pétain ou à l’État français prêté en août 1941 à Royat, de son côté, paraît définitivement vide de sens pour l’historien en quête de vérité, quand bien même la prestation pût être animée de sincérité chez certains : la présence au sein du Conseil d’hommes qui, tout en éprouvant des convictions anti-pétainistes, voire exerçant des activités de résistance, prêtèrent nonobstant, comme tous, ce serment, la nécessité même où ils se trouvaient réduits de le prêter, sauf à se trahir en attirant l’attention146, tendent à confirmer le peu de crédit qu’il faut donner, à titre d’indice probant des opinions qui régnaient alors parmi le corps, à cette apparente manifestation d’allégeance au pouvoir147. « L’arbitraire justifie la dissimulation à condition que celle-ci soit conçue comme un combat contre l’arbitraire148 » ; mais comment savoir, précisément, qui feignait, qui ne trichait pas ? Et où s’arrêtait la loyauté, où commençait le simulacre ? – La complexité de la situation est d’ailleurs résumée par la figure du vice-président, Porché, qui paraît avoir été capable des déclarations pro-vichyssoises les plus ardentes, tel son discours devant le Maréchal, en même temps que d’un soutien réel aux conseillers résistants149.
85L’analyse semble donc avoir peu révélé – sinon que, de ces éléments relatifs à la situation des membres du Conseil d’État durant la période, il n’y a sûrement pas à attendre d’important facteur d’explication de la physionomie du contentieux administratif de l’antisémitisme. Elle a tout de même établi, en tout cas confirmé, et cette conclusion n’est pas sans intérêt ici, qu’il y avait alors pour chacun, en dépit des contraintes objectives, des choix possibles : celui de s’engager résolument pour Vichy, ce que firent quelques-uns ; celui de s’engager, avec les précautions qui s’imposaient, contre le régime de Pétain, ce pour quoi optèrent quelques autres ; enfin, celui – car c’était un choix, aussi bien – de ne pas s’engager, attendre la tournure que prendraient les événements et, dans cette incertaine expectative, continuer de travailler. C’est là ce que décidèrent la plupart des membres du Conseil entre 1940 et 1944 ; leur décision revêtait un caractère plus ou moins réfléchi, sans doute, selon le degré du questionnement personnel tenu sur la valeur de cette dernière forme d’engagement.
86Or, on peut transposer ce schéma au contentieux de l’antisémitisme. Rien ne dit, certes, que ces clivages-ci recoupaient ces fractures-là ; au contraire, ils étaient probablement indépendants150. Néanmoins, il paraît très vraisemblable que certains membres du Conseil furent des partisans de "l’élimination de l’influence juive" réalisé par les lois raciales du régime – pourquoi auraient-ils échappé aux idées dominantes de leur époque ? ; que d’autres, à l’inverse, en tant que rapporteurs, commissaires du gouvernement ou membres délibérants des séances d’instruction ou de jugement, voulurent faire prévaloir un point de vue qui tendait à déjouer l’effet recherché par ces mesures ; qu’un dernier groupe, enfin, appliquait la loi sans plus y voir bien ou mal, ou si peu l’un ou l’autre, conseillers impavides par prudent attentisme ou par indifférence de métier, froids techniciens de la norme et, quelle que fût cette dernière, juristes positivistes avant tout.
87235. C’est à ceux-là qu’avant d’aller plus loin on voudrait s’intéresser à présent ; à ces conseillers au fond sans parti pris fixé, appelés seulement à « servir l’État français151 » en leur qualité de hauts fonctionnaires. Ce regard suppose de s’intéresser non plus à la situation des personnes, collectivement ou individuellement considérées, mais à celle de l’organe même où elles officiaient, le Conseil d’État en tant qu’institution sous Vichy, institution de Vichy.
§ II – La situation de l’organe. "Servir l’État français "
La France a vu s’effondrer sa puissance militaire et ses institutions. Pour se refaire, elle a un besoin impérieux d’une administration nouvelle, ardente, rompant délibérément avec les anciens errements.
Frédéric Surleau 152
88236. Le régime de Vichy, désireux de s’allier les élites du pays d’une manière générale et de légitimer son action par leur soutien, avait en particulier recherché les talents des membres du Conseil d’État, non pas seulement en les attirant dans des fonctions administratives extérieures, dans lesquelles s’installèrent effectivement quelques-uns153, mais aussi en revalorisant le rôle de l’institution elle-même au sein du système politique. L’idéologie de la Révolution nationale et sa nécessité pratique même, en effet, commandaient de restaurer l’administration du pays, sans laquelle les visées gouvernementales auraient fortement peiné à se concrétiser ; grand corps, le Conseil ne pouvait échapper au mouvement. Les réformes entreprises en témoignaient – sinon leur réalisation, du moins leur promesse –, entre retouches et volonté de rénovation ; elles résultaient principalement d’une loi du 18 décembre 1940154, que vint compléter un règlement d’administration publique du 7 janvier 1941155.
89237. Ces textes n’avaient probablement entendu poser que les jalons d’une réforme de plus vaste ampleur, à venir, du Conseil d’État ; la loi de 1940 se donnait pour « un premier pas », avancé par Raphaël Alibert au moment où le gouvernement ébauchait ses mesures d’inauguration de la Révolution nationale156 :
« L’analyse juridique de cette réforme révèle deux tendances fondamentales. La première concerne les attributions juridictionnelles de l’institution, et en la matière on peut dire que le nouveau régime est très prudent, car même si l’on remarque quelques réformes secondaires, la loi du 18 décembre se contente presque exclusivement de codifier les textes existants. La seconde tendance, en revanche, révèle manifestement les nouvelles orientations du régime. Elle concerne [...] les attributions consultatives du Conseil d’État et apparaît comme un premier acte destiné à être complété par la suite. »
90Mais les modifications réalisées devaient rester définitives et, « dès lors, le rôle véritable du Conseil, à défaut d’être à la hauteur des projets et des textes d’Alibert, évoluera en fonction de la situation du régime et du comportement du corps ». C’est particulièrement manifeste quant à la mission consultative dévolue à l’institution (I), mais ce n’est pas moins vrai de sa fonction juridictionnelle (II).
I. Le conseiller. Des promesses à la désillusion
Presque toujours, en politique, le résultat est contraire à la prévision.
François-René DE Chateaubriand 157
91238. L’essor considérable de la jurisprudence administrative, sous la Troisième République, était le résultat d’une sorte de compensation : pour le Palais-Royal, "l’âge d’or" du contentieux avait marqué le revers d’un "âge noir" de la consultation158. Durant la période, en effet, la fonction consultative du Conseil d’État avait connu une éclipse quasi-totale. Elle demeurait certes inscrite dans les statuts de l’institution : la loi du 24 mai 1872 plaçait ce rôle à côté, a pari de sa fonction juridictionnelle – non plus, il est vrai, comme à l’origine l’article 52 de la Constitution de l’an VIII, significativement, en une seule phrase, mais par deux articles consécutifs159. L’article 9 réputait le Conseil statuer, désormais, « souverainement sur les recours en matière administrative » ; l’article 8 définissait son rôle consultatif, distinguant les projets de textes soumis aux sections administratives selon qu’ils étaient d’origine gouvernementale ou qu’il s’agissait de projets « d’initiative parlementaire que l’Assemblée nationale juge à propos de [...] renvoyer », pour avis, au Conseil. Quel que fût le cas, l’intervention de celui-ci restait facultative, totalement ou partiellement : de façon absolue pour le parlement, qui par la formulation de l’article 8 de la loi avait clairement disposé qu’il se trouvait libre de décider de faire appel ou non aux lumières de l’institution ; largement pour le gouvernement, qui pour sa part ne se voyait impérativement tenu d’y recourir qu’en ce qui concernait les règlements d’administration publique160, ou dans l’hypothèse, au demeurant très éventuelle, où un décret lui-même, pris en forme de R.A.P., aurait prévu cette procédure. Dans les faits, « les commissions parlementaires oublièrent l’existence du Conseil d’État, et les gouvernements n’y pensèrent pas systématiquement161 ». Les effets conjugués d’un parlementarisme absolu d’une part, de la défiance du pouvoir exécutif de l’autre, réduisirent de facto à la presque nullité ce rôle consultatif.
92Signe tangible de l’évolution, la "section de Législation" qui existait alors au Conseil fut supprimée, en 1934162. La fonction ne disparaissait pas pour autant ; on sait qu’elle est aujourd’hui importante sans qu’existe une section spécifique. Mais la réforme reflétait bien, jusque dans la forme, les mutations réalisées au fond. Les récriminations répétées du corps, c’est-à-dire celles des vice-présidents successifs, qui déplorèrent régulièrement cet état des choses163, ne servirent en rien à changer les mentalités, ni modifier les pratiques.
« Sans nul doute, le déclin de cette fonction constitua l’un des reproches les plus fréquents et les plus concrets fait par le corps au régime républicain et parlementaire. Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement de Vichy ait cru devoir brandir la restauration de cette tâche164... »
93239. Et tel fut l’objet de la loi du 18 décembre 1940. À travers cette revanche du Conseil sur l’indifférence du personnel politique d’avant-guerre, c’est Vichy même qui prenait la sienne, sur une République honnie.
94Les promesses, pourtant, ne seraient pas tenues : le développement que les autorités vichyssoises avaient voulu donner à la mission consultative du Conseil (A) en resterait au stade des apparences, l’institution passant à cet égard, entre 1940 et 1944, d’une satisfaction évidente à un tout aussi clair désenchantement (B).
A. Les promesses. Un "retour aux sources"
Et le Conseil d’État tendrait donc à devenir, dans toute l’acception des termes, le Conseil de l État !
Paul Tedeschi 165
95240. La volonté de rapprochement avec l’administration active du Conseil en tant qu’organe, et non seulement comme vivier administratif, avait été soulignée dès le mois de juillet 1940 : le titre de conseiller d’État en service extraordinaire se trouvait conféré, de plein droit, aux secrétaires généraux alors institués dans les ministères. Le mois suivant, la section de Législation était ressuscitée166. Vichy entreprit enfin de réhabiliter solennellement la vocation consultative de l’institution.
96La restauration de l’effectivité de ce rôle, en matière législative notamment, constituait l’essentiel de la loi du 18 décembre 1940. De fait, la doctrine de l’époque ne s’attarda guère qu’à l’analyse de cet aspect de la réforme ; il semble que ce fut également le cas de la presse générale167. Les nouvelles attributions du Conseil faisaient en particulier l’objet des articles 19 et 21 :
« Art. 19 – Le Conseil d’État participe à la confection des lois, dans les conditions fixées par la Constitution168. Il prépare et rédige les textes qui lui sont demandés, et donne son avis sur les projets établis par le gouvernement. »
« Art. 21 – Le Conseil d’État peut, de sa propre initiative, appeler l’attention des pouvoirs publics sur les réformes d’ordre législatif ou réglementaire qui lui paraissent conformes à l’intérêt général. »
97Dans cette dernière perspective, les notes de la vice-présidence du conseil destinées aux ministres et secrétaires généraux seraient également adressées au vice-président du Conseil d’État169. L’article 20 de la loi, enfin, réaffirmait l’obligation du gouvernement de prendre l’avis de l’institution sur les règlements d’administration publique.
98241. Indépendamment du souci de s’attacher les membres du Conseil, il entrait dans la logique d’un régime autoritaire de vouloir rétablir la fonction consultative d’un organe spécialisé, à même de l’assister utilement. Les précédents ne manquaient pas : c’est sous le Premier Empire que le Conseil d’État occupa le plus grand rôle en la matière ; sous l’Ancien régime, de même, le Conseil du Roi, son ancêtre direct, constituait la seule institution collégiale accompagnant le monarque dans l’exercice du pouvoir normatif ; on pourrait encore citer la pratique du Second Empire170. Un commentateur de l’époque relevait le trait en ces termes : « Les régimes politiques autoritaires, où les assemblées législatives, lorsqu’elles existent [...], n’ont pas à garder jalousement pour elles les diverses prérogatives de la puissance légiférante, favorisent l’intervention du Conseil d’État171. »
99Ainsi, la physionomie même de l’État français – confusion des pouvoirs exécutif et législatif doublée d’une absence de fait des assemblées parlementaires – explique le rôle consultatif accru que le gouvernement prétendait attribuer au Conseil dans le domaine de la loi, en forme de « retour aux sources napoléoniennes » de l’organe172.
« Pétain, comme Napoléon, aurait-il estimé que la première tâche du Conseil était de lui permettre de faire un bon usage de l’arbitraire ? Toujours est-il que l’article 19 de la loi du 18 décembre 1940 semble signifier que dans le régime pétainiste, le Conseil d’État doit être l’atelier d’élaboration des lois. Son rôle n’est plus celui d’un simple organe consultatif. Il continue, certes, à donner son avis sur des projets de lois établis par le gouvernement. Mais ce dernier peut lui demander plus, à savoir : préparer et rédiger un texte de loi. En l’occurrence, l’article 19 indique que, désormais, la mise au point générale d’un texte de loi, tant au niveau de sa forme que de son fond, a vocation à intéresser le Conseil d’État [...], appelé à assumer une grande part des tâches des commissions parlementaires de la Troisième République. »
100242. De plus, l’octroi au Conseil de cette prérogative technique marquée, alors que dans le même temps l’institution restait le juge de la légalité, renforçait l’ordonnancement juridique de Vichy ; dissimulant la toute-puissance de l’exécutif, la mesure servait le besoin de légitimité du régime en parachevant sa façade d’État de droit. C’est dans cette optique qu’on peut analyser l’article 6 de la loi de décembre 1940 : à côté de la nouvelle catégorie de conseiller d’État en service extraordinaire que constituaient désormais, par statut, les secrétaires généraux des ministères, cette disposition entendait permettre de nommer au même titre « un haut fonctionnaire de chaque ministère ou secrétariat d’État qui ne serait pas représenté au Conseil par un secrétaire général », d’autre part des « personnalités qualifiées dans les différents domaines de l’activité nationale ». Certes, la loi du 24 mai 1872 prévoyait déjà cette dernière possibilité (article 5), mais le contexte de la Révolution nationale, et le désir des gouvernants d’y associer les élites de la France, conféraient à sa réaffirmation un relief particulier ; il s’agissait notamment d’utiliser des techniciens de la vie économique – – industriels, com- merçants, avocats, etc.173
101243. La loi de 1940 n’avait été conçue que comme un début : une première étape dans les réformes, puisqu’il est vraisemblable que de nouvelles mesures devaient s’y enchaîner174 ; un premier pas, surtout, vers la sollicitation effective du Conseil en matière législative. Cette avancée première ne se révéla cependant pas suivie de nombreuses autres, ni en droit – aucun complément n’intervint –, ni dans les faits vraiment.
B. La désillusion. Verba, non res
En toutes choses, sauf simplement aux mauvaises, la mutation est à craindre...
Montaigne 175
102244. L’horizon nouveau qui en décembre 1940 avait paru s’ouvrir au Conseil d’État avait tôt fait de se révéler n’être qu’un mirage. Le bilan qu’on peut dresser de l’activité consultative de l’institution jusqu’en 1944, très médiocre par delà quelques notables exceptions, montre le peu de retombées concrètes qui suivirent les intentions affichées au début du régime de Vichy. Au fur et à mesure que l’échec devenait mieux patent, le Conseil lui-même put cruellement s’en rendre compte.
Le bilan de l’activité consultative
103245. Certes, « plus de cent cinquante projets de loi furent soumis au Conseil d’État de 1940 à 1944 », et « parmi eux figuraient des projets importants relatifs au régime de la nationalité, aux ordres professionnels, au statut de la fonction publique, au droit de la famille et à l’urbanisme, à l’expropriation, etc. » ; assurément, « la loi du 18 décembre 1940 ne resta [...] pas lettre morte176 ». L’examen du projet de statut général de la fonction publique civile de l’État en est un bon exemple : ce projet deviendrait la loi du 14 septembre 1941, premier statut du genre, destiné à unifier et homogénéiser un corps de règles jusqu’alors extrêmement dispersé et disparate177. Le bon déroulement de cette consultation amènerait d’ailleurs Henri du Moulin de Labarthète à consigner, dans ses mémoires178, quelques mots d’éloge visant les membres du Conseil : le directeur du cabinet civil de Pétain avait en effet « gardé le souvenir du remarquable effort auquel [les conseillers] se livrèrent pour définir les règles du statut de la fonction publique, dont la largeur de vue le disputait à l’élégance ».
104Déjà impliqué dans la conception d’un projet similaire que la Mission des fonctionnaires du Comité de réorganisation administrative, dit "Comité de la Hache", avait médité dans l’immédiat avant-guerre179, le Conseil d’État, sur l’initiative de Maurice Lagrange180, se trouva particulièrement sollicité dans le cadre de l’élaboration d’un texte qui, pour une large part, allait codifier sa propre jurisprudence. Le dialogue avec l’administration vichyssoise, à cette occasion, se montra intense :
« Dès octobre 1940, on songe à reprendre les projets de décrets-lois de la Mission des fonctionnaires, mais ce n’est qu’en mars 1941 que la vice-présidence du conseil s’occupe sérieusement du problème. [...] Le gouvernement demande au Conseil d’État d’étudier le projet : le conseiller d’État Pierre Josse, nommé rapporteur général, préside une petite commission chargée d’étudier un avant-projet à partir des textes de la Mission des fonctionnaires de juillet-août 1939. Les ministères envoient des observations, souvent fort hostiles, sur les projets diffusés par la vice-présidence du conseil ; une réunion eut lieu le 29 mai, à Vichy, sous la présidence de Pierre Josse, sur les [...] points de conflit essentiels. [...] On élabore un nouveau texte. [...] Le texte élaboré par la Commission Josse est soumis à l’Assemblée générale du Conseil d’État qui en discute longuement les 19, 20 et 21 août 1941 – mais le procès-verbal de l’Assemblée générale n’a pas été retrouvé. Le 25 août, Porché [...] transmet au vice-président du conseil le projet définitif, qui fut approuvé par le Maréchal181. »
105À la fin de la lettre qu’il avait adressée à Darlan en même temps que le projet dont elle était la synthèse d’accompagnement, Porché avait précisé croire « que, mieux que les textes les plus étudiés, la volonté de les appliquer et d’user, sans faiblesse, de l’autorité qu’ils confèrent rétablira les notions essentielles de hiérarchie et de discipline dans les pouvoirs publics182 ». Ces mots ne pouvaient que séduire les nouveaux dirigeants... Du reste, le Conseil se vit encore associé à des réflexions sur les réformes administratives à entreprendre, une équipe étant crée au sein de l’institution, à laquelle prirent notamment part Henry Puget et Roger Grégoire ; en 1943, ce dernier remit ainsi au gouvernement « une note critiquant le système de recrutement des administrations centrales et préconisant une formation commune et un concours commun pour les ministères » ; outre les germes d’une école nationale d’administration, on y entrevoit « les prémices d’une direction générale de la fonction publique183 ».
106246. Autre fait significatif de la volonté de Vichy d’associer le Conseil d’État aux grandes œuvres de la Révolution nationale, on peut également relever qu’« au début de 1941, le vice-président fut invité par le gouvernement à établir, sur des bases déterminées, un projet de Constitution » ; pour ce faire, « Porché constitua une commission restreinte qui travailla de façon très discrète », à l’issue des travaux de laquelle « un texte fut établi et remis au gouvernement » ; ce texte, toutefois, « n’eut pas de suite », et « il n’en est resté aucune trace dans les archives du Conseil184 ».
107247. De leur côté, ceux des membres de l’institution qui publiaient alors les commentaires de lois à la conception desquelles ils avaient collaboré ne masquaient pas une certaine complaisance dans le propos185. Tous ceux qui s’exprimèrent, du moins, semblent avoir été en phase avec les aspirations pétainistes du moment : « Il ne faut [...] pas oublier que la présence d’un État fort, arbitre reconnu de tous, sera seul susceptible d’orienter la loi [...] dans le sens du bien commun », notait par exemple l’un d’eux186. Et Henry Puget, rapporteur d’une commission de réforme constitutionnelle, exposait les caractéristiques idéologiques de cette dernière dans une note qui, malgré sa pondération, paraît de nature à avoir satisfait les attentes des traditionalistes-nationalistes au pouvoir :
« Entre le projet de Constitution et le système politique qui prédominait en France depuis de nombreuses années, la rupture est complète. Pourtant, s’il rejette les idéologies officielles de la Troisième République, le projet est fort éloigné des théories fascistes ou hitlériennes ; en même temps qu’il accueille des tendances récentes de notre peuple, il reprend et prolonge d’anciennes traditions nationales, il se maintient dans la ligne de la civilisation issue des idées chrétiennes187. »
108248. La réforme de 1940 « ne reçut cependant pas la large application que ses auteurs et le Conseil d’État avaient sans doute voulue et espérée188 » :
« C’est à peine le dixième des lois promulguées durant cette période qui furent soumises à l’examen du Conseil d’État. Il n’eut pas à connaître notamment des actes constitutionnels et de la plupart des lois d’exception. [...] Les projets de caractère courant ne lui furent même pas tous soumis. [...] La réticence des ministères à consulter le Conseil d’État se manifestait [...] également en ce qui concerne les projets de textes réglementaires et de décisions individuelles pour lesquels son avis n’était pas obligatoire. Il était encore moins fait appel à lui, semble-t-il, pour "préparer et rédiger" des textes, comme le prévoyait l’article 19 de la loi du 18 décembre... »
109Conseiller juridique faiblement sollicité, l’organe ne s’élèverait jamais au rang de conseiller politique des entreprises de l’État français : sa destinée dans le régime se jouait moins au strict plan des institutions, celui des textes, celui du droit, que sur le versant de la sociologie, celui des hommes et des pratiques réelles.
110249. Une première cause de cet avortement des ambitions initiales pourrait avoir consisté dans un phénomène de "double emploi". En matière consultative, en effet, le Conseil d’État, entre 1940 et 1944, se trouvait confronté à une certaine concurrence institutionnelle.
111La compétition s’exerçait d’abord, quoique de manière limitée, avec le Conseil national189. Celui-ci, compte tenu des attributions qui lui avaient été dévolues, aurait normalement dû constituer une sorte de forum dans le système politico-administratif de Vichy, comme un parlement de substitution ; c’est lui qui devait être – aurait dû être – l’équivalent de ce qu’avait représenté le Conseil du Roi sous l’Ancien régime, et pour Pétain ce qu’avait été le Conseil d’État pour Napoléon : un grand conseil de gouvernement qui associerait à la décision les plus compétents, selon une logique tout aristocratique naturelle à un régime antirépublicain répudiant l’égalitarisme. Certes, on sait que la docte assemblée n’eut à peu près aucune influence durant la période ; sans doute fonctionna-t-elle, mais ce fut un peu à la façon d’un pantin du pouvoir. Le gouvernement la consulta néanmoins, par exemple sur ses intentions de réforme régionale, la loi municipale, l’organisation économique ou la future Constitution : c’était autant dont le Conseil d’État se voyait frustré, bien que le cas des projets constitutionnels révèle que la sollicitation de l’un n’était pas exclusive de l’autre.
112L’essentiel des motifs d’inapplication de la loi de décembre 1940, cependant, ne résidait certainement pas là ; d’autant que les projets dont la connaissance échappait ainsi au Conseil d’État, pour la plupart, n’étaient que les ébauches de grandes utopies de la Révolution nationale, desseins impraticables dans l’immédiat, qui à terme demeureraient irréalisés. Il est d’ailleurs remarquable que le projet de constitution élaboré par le Conseil national, en 1941190, fut repris à l’automne 1943 sur la base de propositions nouvelles, dont certaines tendaient à faire du Conseil d’État un organe « "amélioré et modifié" [qui] aurait eu la charge de "filtrer, améliorer et coordonner tous les textes : lois, décrets, arrêtés et circulaires"191 ». De son côté, le Conseil d’État n’a peut-être pas été tout à fait étranger à la mise en sommeil de son modeste rival : il fut « consulté sur un décret d’application de la loi créant le Conseil national et le dossier [...] révèle que le gouvernement lui laissa une grande marge de manœuvre qu’il utilisa, selon les termes de son rapporteur, pour que cette institution concurrente [...] "soit utile" et "ne puisse être dangereuse"192 ».
113250. Le Commissariat général aux Questions juives, compte tenu de son pouvoir de proposition sur les mesures raciales qu’il pouvait estimer "opportunes", figurait pour le Conseil d’État un plus sérieux empiètement de compétence. Le "doublage", toutefois, ne concernait qu’un domaine très particulier de la législation vichyssoise : là non plus, l’explication de la faible consultation du Conseil n’est pas suffisante.
114À partir de 1942, l’institution et son corps revenus à Paris, leur éloignement géographique par rapport au gouvernement a pu ajouter un motif pratique à l’inactivation persistante de la fonction. Les faux-semblants du pouvoir en place devenant parallèlement de plus en plus visibles, il y a du reste tout lieu de penser que certains, au Palais-Royal, se contentèrent dès lors assez bien de la situation, et de mieux en mieux.
115Enfin, on peut supposer le souhait des dirigeants eux-mêmes de conserver, malgré leurs déclarations d’intention, une latitude d’action qui, tant dans la forme que sur le fond, s’avérait peu compatible avec les contraintes de la procédure pour avis suivie devant le Conseil d’État, par conséquent avec l’essor promis, à cet égard, par la loi de 1940193.
116251. Mais c’est en définitive la conduite du corps lui-même qui paraît avoir joué un rôle déterminant dans cette stagnation. En effet, les conseillers, engagés en nombre dans l’administration active, parmi l’ensemble des techniciens de tous genres recrutés par Vichy, contribuaient à priver de son utilité véritable l’éventuelle expertise de leur institution d’origine194. « Nous avons [...], hélas, la tristesse de constater parfois que la résistance, je n’irai pas jusqu’à dire : est encouragée, mais est mal combattue par des collègues qui, détachés de nous pour un temps, oublient trop aisément au dehors que l’autorité dont ils peuvent y jouir est surtout une autorité empruntée au corps dont ils dépendent », avait déclaré au garde des Sceaux, le 30 juin 1941, le vice-président Porché, se plaignant d’une trop parcimonieuse association du Conseil à l’activité des services centraux195. En vérité, ces « collègues » semblent avoir substitué in situ leurs compétences techniques personnelles à celles d’un organe auquel les départements ministériels auraient peut-être dû recourir, plus fréquemment, s’ils n’avaient directement disposé de collaborateurs d’expérience, formés à la rigueur de la hiérarchie des normes et habitués des subtiles exigences de la légistique.
117252. La réforme de décembre 1940, en fait, se trouva rapidement en décalage par rapport aux mutations de fond de la gestion administrative qui étaient en train de s’accomplir, au Conseil comme partout, annonçant les comportements à venir :
« Les traditionalistes avaient vu dans les techniciens l’élite mais pas la modernité dont ils étaient porteurs. [... Ils] parlaient de retour aux sources, alors que les techniciens ouvraient les portes de la modernité économique et administrative. Il y avait là deux conceptions de la Révolution nationale196. »
118Au sein de l’institution, l’écart avait été progressivement mesuré.
Les étapes du désenchantement
119253. Parce que le pouvoir laissait espérer aux conseillers un nouvel essor qui n’arrivait pas, le dialogue devait s’engager, inévitable tentative d’ajustement des faits aux discours. Les allocutions prononcées, de part et d’autre, lors des séances d’installation de chaque nouveau garde des Sceaux à la présidence du Conseil – à l’époque, un exercice de genre197 –, reflètent clairement l’évolution que connurent, au-delà de la chancellerie, les rapports du corps avec le gouvernement. La discussion s’y montre dominée par la question de la mise en œuvre de la loi du 18 décembre 1940 ; le ton se modifie au gré des changements politiques qui affectent le pays.
« Trois gardes des Sceaux seront successivement les interlocuteurs du Conseil au cours de trois phases qui sont aussi des périodes historiques de Vichy. [...] La "période Alibert" ou le temps des illusions. [...] La "période Barthélémy" ou la normalisation. [...] La "période Gabolde" ou le temps des désillusions198. »
120254. La première séquence de ces échanges correspond ainsi au ministère de Raphaël Alibert, commencé en 1940 avec le régime. L’homme, on s’en souvient, n’était pas inconnu au Conseil199 ; venu à Royat le 24 août 1940 afin de présider la première assemblée générale que l’institution y tenait, parmi ses anciens pairs, il se trouvait en terrain favorable. Et l’accueil qui lui fut réservé se révéla en effet des plus chaleureux : les premières réformes visant à restaurer la fonction législative de l’organe venaient d’entrer en vigueur, l’heure en France était de toute façon aux enthousiasmes pétainistes200.
121Le discours de réception d’Alfred Porché, « offre de services non ambiguë201 », cherche avant tout à témoigner que le corps a compris les attentes du nouveau gouvernement, qu’il est capable d’y répondre, et pose le Conseil en victime du précédent régime – « il faut, à l’époque, avoir eu à souffrir de la République, si l’on veut séduire les nouveaux maîtres202 »... Le ton n’est toutefois pas seulement de circonstance ; les amertumes de la Troisième République semblent bien réelles, comme les espoirs placés dans les mesures à venir ; les unes et les autres incitent sans doute à d’autant plus de ferveur dans la déclaration d’engagement aux cotés des réformateurs :
« Monsieur le Garde des Sceaux, [...] vous venez à une heure où l’on pouvait parler sans excès de la grande pitié du Conseil d’État : en m’exprimant ainsi, ce n’est pas à notre œuvre contentieuse que je pense [...] ; c’est l’autre activité que j’envisage et je considère surtout avec tristesse que le Conseil du Gouvernement, que nous devrions être, n’est plus appelé à tenir le rôle qui fut autrefois le sien. Le mal [...] ne date pas d’hier. [...] Il n’existait en vérité aucun motif avouable de se priver des ressources qu’enferme notre Maison, il y avait au contraire toutes les raisons d’y recourir ; j’ai le droit puisqu’on a feint si longtemps de nous ignorer, j’ai le devoir de dire un peu notre propre louange : autant que jamais aujourd’hui, nous sommes en mesure de servir ; nous saurons, si on nous le demande, apporter d’utiles suggestions à ceux qui veulent reconstruire, nous saurons les aider à choisir les matériaux, à les grouper harmonieusement, à élever ainsi des monuments dignes de notre pays et à projeter la lumière dans le dédale où elle se perd. [...] Et si l’on m’objectait que ce vaste travail d’architecture ne peut être que l’œuvre de demain, je répondrais que ces juristes, ces administrateurs que nous sommes sont capables aussi de se plier aux obligations de l’heure et de prendre l’allure qu’elles rendent nécessaires. Nous nous mettons donc, comme c’est notre élémentaire devoir, à la disposition du Gouvernement ; mes prédécesseurs et moi-même n’avons cessé de le déclarer, au point que nous prenions la pénible apparence de gens qui s’obstinent à offrir leurs services à qui est bien résolu à s’en passer. Les temps sont-ils révolus ? Votre présence ici, Monsieur le Garde des Sceaux, nous invite, pour la première fois, à le croire ; le rétablissement dans notre sein d’une section de législation nous donne déjà une indication précieuse ; la désignation de secrétaires généraux de ministères en qualité de conseillers d’État en service extraordinaire nous est le gage d’une collaboration étroite, nous ne doutons pas que vous ne veuillez replacer notre corps dans l’État au rang dont il n’aurait jamais dû déchoir et donner à ses membres une situation conforme à l’importance de leur mission. [...] En notre nom à tous, au nom surtout de ceux à qui leur jeunesse permet d’espérer qu’ils seront jusqu’au bout les témoins de l’œuvre immense de reconstitution du pays que, sous l’impulsion de son Chef respecté, le Gouvernement a entreprise, je vous dis : 203
merci, nous sommes prêts203 . »
122La réponse du ministre se montre au diapason, l’opération de séduction réciproque : le Conseil a autant besoin des dirigeants pour retrouver son lustre napoléonien perdu que le gouvernement du Conseil pour mener la "révolution" annoncée. Le garde des Sceaux exalte les projets du nouveau régime, il y associe les membres de la Haute Assemblée. C’est l’occasion d’une apologie illuminée, fresque antirépublicaine ; empruntant à la rhétorique traditionnelle de l’extrême-droite monarchiste française, le discours trahit les sentiments qui animent depuis longtemps le royaliste Alibert204 :
« J’ai laissé un instant, grâce à vous, les solitudes trop vastes du pouvoir pour m’abandonner à l’émotion bienfaisante qui est la mienne aujourd’hui. [...] Une ère politique est close. Depuis la rupture d’une tradition millénaire, la France a connu quinze constitutions ; elle va recevoir la seizième. À vouloir rechercher son être sans jamais le trouver, elle s’est épuisée ; le désastre est venu. Il nous appartient de relever les ruines en répudiant les erreurs du passé. L’expérience a condamné le système politique qui substituait, à la conception rationnelle du pouvoir, les poussées passionnelles du Forum et les expériences du hasard ; à l’harmonie des corps sociaux, l’individualisme divisateur ; à l’empirisme organisateur, les idéologies hostiles. Sous le vocable de démocratie, il offrait au culte populaire une chimère dont la vision et la poursuite masquaient aux hommes avides de foi les tristes réalités politiques, économiques et sociales. L’œuvre qui s’impose aujourd’hui est claire. Il faut replacer la personne humaine dans son cadre naturel : la famille, la profession, la Patrie ; inspirer à tous l’esprit de dévouement, de labeur et de sacrifice ; rendre à chacun le sens de la vie et des valeurs spirituelles ; imposer aux gouvernants et aux gouvernés la recherche du bien commun dans un élan d’amour fraternel. En matière politique, nous nous devons de rappeler que l’État, loin d’être une création abstraite, est le résultat d’une évolution naturelle, le fruit d’un État social. Il est le couronnement des groupes sociaux préexistants. Il respecte les activités libres et les ordonne au bien commun. [...] L’organisation politique et administrative doit respecter ces principes. [...] Mon propos serait téméraire si les révolutions et les régimes successifs n’avaient point, par bonheur, maintenu auprès du pouvoir central son conseil traditionnel. Le Conseil d’État n’a pas toujours été mis à même de jouer le rôle qui aurait dû être le sien, parce que les institutions politiques et juridiques étaient faussées. Vous serez appelés, désormais, à rendre au pays et au Gouvernement les services que vous leur devez. Vous êtes trop fiers de vos longues traditions, trop informés de la grande œuvre des légistes, pour ne pas mettre vos travaux et vos actes à la hauteur de votre mission : je vous y aiderai205. »
123255. Ainsi la réforme du 18 décembre 1940 se profilait-elle d’ores et déjà, inspirée d’autres âges avec la bénédiction de Pétain. Son intervention comblerait les attentes du Conseil. L’institution et le régime vivaient leur idylle.
« Le Conseil d’État apparaî[t] comme l’outil capable, par excellence, de permettre une rationalisation du travail normatif. Ceci dit, le problème paraît être, à cette époque, de savoir jusqu’où doit aller une augmentation des prérogatives du Conseil découlant de la disparition des Chambres. L’institution verra-t-elle simplement son rôle consultatif revivifié ou, mieux, verra-t-elle littéralement sa place changer au sein des structures de l’État, et prendre la dimension législative qu’elle avait dans les régimes bonapartistes ? La conception bonapartiste semble avoir eu, a priori, du succès. En témoignent les deux articles intitulés "Le Conseil d’État et l’État nouveau" qui paraissent dans Le Temps au mois de septembre 1940. La réforme à venir y est décrite comme "un retour à des traditions éprouvées". "Dans un temps où apparaît la nécessité de constituer un État nouveau, non pas de toutes pièces, mais plongeant ses racines dans les meilleures traditions françaises, rien n’est plus opportun que d’utiliser, en le vivifiant, ce grand corps, spécifiquement français, et qui a derrière lui un si long passé d’honneur, de probité, d’indépendance et de services rendus à la patrie206." »
124Raphaël Alibert, comme il l’avait implicitement promis à Royat, prit l’initiative de l’élaboration du nouveau statut de l’institution. Sur lettre de mission du ministre207, le vice-président, par arrêté du 12 novembre 1940, constitua une commission « chargée de préparer la codification des textes législatifs et réglementaires concernant le Conseil et de proposer toutes réformes qui sembleraient désirables dans l’intérêt du service et de la bonne administration ». Les travaux de cette commission débouchèrent sur la loi du 18 décembre, qui entendait faire du Conseil d’État un rouage fondamental de la décision publique. Le mécanisme s’enraya vite, écourtant la grâce de ces débuts.
125256. En fait, on peut penser que, d’emblée, certains conseillers demeurèrent réservés sur les constants appels d’Alibert à la tradition. Le garde des Sceaux s’était montré clair dans son engagement pour la Révolution nationale, qui avait conclu son discours du 24 août par ces mots emphatiques :
« Je ne suis ici, Messieurs, que le représentant infiniment respectueux et fidèle du Chef Illustre que la Providence a donné à la Patrie dans le plus grand désastre de son histoire. Je vous invite à partager son espérance et sa foi ; sa foi qui est la mienne : sa foi dans notre pays si riche encore de son histoire, de sa race et de son sol ; sa foi dans la France éternelle. »
126À supposer qu’il restât bien au Conseil, à l’été 1940, quelques libéraux républicains, ils durent faire grise mine. En outre, si les réformes entreprises flattaient assurément le corps, comme les ambitions que les autorités vichyssoises nourrissaient pour lui dans l’avenir, les premières mesures d’épuration administrative, réalisées dans le même temps jusqu’au sein de l’institution208, gâtaient peut-être un peu le sucre des promesses.
127257. Un usage abondant des nominations au tour extérieur, politique malhabile, semble de même avoir commencé d’éveiller, parmi le corps, une certaine méfiance envers le nouveau pouvoir. Georges Maleville, en effet, rapporterait que « le gouvernement de Vichy s’efforça de faire entrer au Conseil des personnalités dont la présence lui paraissait susceptible de contribuer à orienter, en sa faveur, nos délibérations » :
« Nous vîmes ainsi arriver, en 1941, un vice-amiral d’escadre, qui ne sut que faire parmi nous, paraissant s’y ennuyer profondément, et un ancien secrétaire général à la police. Ils furent suivis par un ancien fonctionnaire du commissariat aux Affaires juives et un ancien avocat, ancien délégué général de la Légion des anciens combattants. Ces hommes n’exercèrent aucune influence au Conseil, où ils n’eurent qu’une activité très réduite, et durent le quitter à la Libération209. »
128Joseph Barthélémy, dans ses propres mémoires, raconterait comment Laval lui avait imposé la nomination au Conseil d’« un des plus obscurs avocats de Paris », qui s’y serait vu « plus que fraîchement accueilli210 ».
129258. Les espérances des conseillers s’étiolèrent dès 1941. Avec le changement de ministre de la Justice consécutif à un remaniement du gouvernement qu’avait quitté Laval, l’année ouvrait la "période Barthélémy" ; ses débuts auguraient mal de l’avenir. En premier lieu, la création du Conseil national désignait au Conseil d’État un organe que tout destinait à intervenir dans le domaine qu’on lui avait prétendument réservé – pour la psychologie du moment, peu importait qu’ensuite ce nouvel instrument de la Révolution nationale exerçât ou non un pouvoir tangible. En second lieu, au-delà des textes, on ne voyait pas se produire de vrai changement : le rythme de la consultation du Conseil stagnait. Du nouveau garde des Sceaux, le corps attendait donc la mise en œuvre effective des attributions que garantissait au Conseil son statut de décembre 1940.
130Joseph Barthélémy, longtemps professeur de droit à l’École libre des sciences politiques, était un publiciste réputé, aussi mesuré et centriste que son prédécesseur à la chancellerie se montrait excessif et extrémiste ; son velours et la considération dont il bénéficiait ne furent probablement pas inutiles, au Conseil, pour apaiser les esprits devenus plus sceptiques211. Lors de la première visite à l’institution de son nouveau président en titre, le 30 juin 1941, à Royat toujours, l’allocution de bienvenue que prononça Alfred Porché soulignait un désir profond que se concrétisent des dispositions adoptées plus de sept mois auparavant. Le ton, parallèlement, se faisait moins pétainiste :
« Nous vous attendions depuis longtemps ; certes, nous n’ignorons pas les devoirs qui vous attachaient ailleurs ; tout de même, nous éprouvions quelque peine, sachant quel prix vous attribuez à votre titre de Président du Conseil d’État, à ne pas vous avoir encore vu prendre effectivement la direction de cette assemblée. [...] Mais il suffit aujourd’hui de votre présence pour effacer tous ces regrets. [...] Notre institution a vu se succéder bien des régimes. [...] Le passé nous enseigne au surplus que c’est sous les régimes autoritaires que notre rôle a été le plus grand ; ces derniers mois nous ont apporté déjà un commencement de vérification de cette loi de l’Histoire ; nous avons confiance que, sous votre haute impulsion. Monsieur le Garde des Sceaux, elle trouvera de jour en jour une application plus stricte : nous avons confiance que nous serons appelés enfin à prendre la part légitime qui nous revient dans la grande œuvre entreprise par le Chef de l’État de "rhabiller doucement", suivant une formule bien expressive de Catherine de Médicis, de "rhabiller doucement ce que la malice du temps peut avoir gâté en ce royaume"212. »
131Le ministre, dans sa réponse, se voulut manifestement rassurant, à la fois bienveillant et optimiste ; le style était convivial, élogieux ; l’affirmation des convictions ferme, mais circonspecte :
« Croyez, Messieurs, que j’apprécie à sa juste et très haute valeur, l’honneur qui m’échoit aujourd’hui. De toutes les prérogatives que je tiens de la bienveillance de Monsieur le Maréchal, celle qui me met à votre tête me cause une toute particulière émotion parce que je crois être informé de ce que vous êtes, de votre passé glorieux, de votre présent digne de vos précédents, et des services enfin que l’État attend de vous dans la France reconstituée. [...] L’autorité que nous voulons est celle qui respectera les croyances traditionnelles qui font les nations grandes, saines et fortes, qui acceptera le primat sur l’État lui-même de la morale et du droit, qui fondera son action sur le règne de la loi. [...] L’autorité enfin doit respecter la personne humaine213. [...] Dans un régime de cette nature, une fois que nous serons sortis de l’état de guerre où nous sommes encore plongés, le Conseil d’État tiendra le devant de la scène. Autorité n’est pas arbitraire. Autorité n’est pas brutalité. Un régime d’autorité est un régime de légalité forte, contrôlée et sanctionnée. Vous êtes l’instrument désigné de la légalité ainsi définie. [...] Vous êtes la conscience de l’administration, selon la belle définition que donnait Maurice Hauriou. [...] Les circonstances présentes, celles que nous devons raisonnablement attendre pour demain, amplifient donc votre rôle. [...] Elles gonflent encore votre mission comme "flambeau des lois", ainsi que vous appelait ce Cornemin qui avait été nommé auditeur en récompense d’une ode en l’honneur de l’Empereur. [...] L’œuvre est immense, grandiose, magnifique et de nature à tenter les plus nobles ambitions : il s’agit de construire la maison dans laquelle la France se remettra de ses blessures et repartira vers de nouvelles destinées. Si les vœux de celui qui a l’honneur immense de porter chez vous le titre de Président sont réalisés, aucune fondation ne sera bâtie, aucune colonne ne sera dressée, aucune pierre d’angle ne sera posée, sans que vous soyez appelés à faire connaître votre avis. [...] Je n’ai jamais hésité, sous le régime précédent, à déclarer qu’on avait tort de se servir si peu de vous comme instrument naturel de l’initiative législative et, pour parler un langage à la Siéyès, comme atelier d’élaboration des lois. Les autorités les plus hautes ont accusé de cette négligence la jalousie des commissions parlementaires. [...] La concurrence des commissions parlementaires ne vous paralysera plus ; et comme nous ne cessons de proclamer la nécessité de l’appel aux compétences, votre mission est, selon toutes apparences, appelée à grandir de ces côtés. [...] Vous incombe d’abord un travail de technique, et, si je ne craignais de minimiser – comme on dit dans le jargon d’aujourd’hui –, une œuvre de rédaction. Ce n’est pas rien... Mais vous ne permettriez pas qu’on réduisit votre rôle à celui de traducteur, de filtre, d’épurateur, de clarificateur de la pensée des autres. Vous êtes des hommes, vous avez des opinions, vous avez des expériences, vous avez des impressions, des réflexions et des pensées. Votre devoir est de les mettre au service de l’État. [...] La liberté du Gouvernement dans ses initiatives et dans ses décisions doit demeurer entière. Il vous reste le devoir de conseil, sur le fond et sur la forme. [...] Nous avons à construire l’avenir. [...] La France de demain sera ce que nous la ferons. [...] Le monde aujourd’hui apparaît comme un champ de ruines. Regardons-le comme un chantier de constructions, où vous serez, Messieurs du Conseil, les habiles maîtres d’œuvre et les bons tailleurs de pierre214. »
132259. Ces « Messieurs du Conseil » pouvaient donc s’estimer satisfaits : le gouvernement ne les oubliait pas, ni ses promesses ; du moins les en assurait-il. Pétain en personne, au mois d’août 1941, lors de la prestation de serment du corps assemblé, ne devait-il pas lui déclarer, en des termes résolus215 :
« Vous avez [...] mission de m’assister dans l’élaboration des projets de loi, dans la rédaction des règlements, dans la décision sur toutes les matières où je juge opportun de vous consulter. Le Conseil tiendra une grande place dans le régime que je veux instituer ; plus le Chef, en effet, se sent seul à la tête de l’État, plus est haute sa situation, plus il éprouve le besoin de s’entourer de conseils. Il est entendu que le chef doit être libre dans sa décision, mais lorsqu’il a fait connaître ses intentions, il vous appartient de lui apporter les suggestions que vous croyez utiles, de l’aider à choisir les matériaux, à les assembler harmonieusement, à jeter la lumière sur l’ensemble. »
133Porché avait d’ailleurs profité de l’occasion pour réitérer les demandes formulées auprès du garde des Sceaux un mois et demi plus tôt :
« Vous voyez ici. Monsieur le Maréchal, à portée de votre main pour ainsi dire, des hommes pour qui tout autre souci s’efface devant celui de l’intérêt public. Déjà votre Gouvernement fait un appel plus fréquent à notre concours ; ce n’est pas assez encore ; l’idéal serait que, dans chaque dossier administratif un peu important qui vous est soumis figurât en bonne place un avis de votre Conseil, lui seul [...] outillé pour assurer un peu d’ordre dans l’inévitable complexité des textes législatifs et réglementaires216. »
260. Pourtant, « le grand avenir vichyssois du Conseil tardait à se dessiner » :
« Toujours cantonnés dans les hôtels de Royat, les membres du Conseil pouvaient-ils y croire ? Le régime ne réalisait pas ses projets. [...] Le Conseil était peu sollicité par les ministères. De tout temps, les conseillers d’État avaient pu constater qu’il n’était pas facile à un gouvernement d’admettre que ses projets soient critiqués, même par un organe consultatif. La pratique des ministres de la République parlementaire l’avait amplement démontré. Dès lors, on voyait mal comment les ministres d’un régime autoritaire, plutôt tentés par la décision expéditive, pouvaient se soumettre régulièrement et de bonne grâce à un tel processus de contrôle. [...] Darlan avait tenté, au printemps 1941, de rapprocher les ministres du Conseil d’État en demandant à Barthélémy de veiller à ce que le Conseil prévienne de ses travaux les conseillers d’État en service extraordinaire qu’étaient les secrétaires généraux de ministères. Le vice-président Porché avait d’ailleurs estimé à cet égard que "le Conseil d’État ne pourrait que se féliciter de voir assister plus fréquemment à ses séances les représentants qualifiés du Gouvernement". Cependant, cette demande du garde des Sceaux ne semble pas avoir été particulièrement suivie. [...] Malgré la proximité de Royat et de Vichy, l’accomplissement de la fonction consultative semble avoir posé de sérieux problèmes. En témoigne cette lettre manuscrite rédigée en termes très vifs et envoyée par Barthélémy à Porché pour relater un incident qui a vu le Conseil rendre un avis pour le compte du ministère des Finances, sans que la chancellerie en ait été informée : "Je me réjouis de ce que mes collègues sollicitent vos avis éclairés. Mais je désire que ces avis soient transmis par mon intermédiaire. Autrement, mon titre de Président du Conseil d’État ne serait pas seulement nu, il serait dérisoire". [...] Mais dans l’ensemble, pour des raisons tant matérielles que politiques, les ministres préférèrent faire rédiger hâtivement des textes par leurs services. Ceci conduira à une œuvre normative encore plus incohérente que l’œuvre républicaine que l’on prétendait réviser217. »
134Au printemps 1941, un des groupes de réflexion qui accompagnaient l’État vichyste, le "Comité d’études pour la France", en attirant l’attention sur des lois « mal conçues, peu cohérentes, à la rédaction obscure et confuse », avait bien proposé « que soit confiée au Conseil d’État la mission de "rationaliser, simplifier, clarifier et codifier" la législation »... mais en vain218.
135261. Et lorsque, le 21 octobre 1943, Maurice Gabolde, magistrat de l’ordre judiciaire nommé dans le nouveau gouvernement Laval, eut à son tour l’occasion de présider l’Assemblée générale, cette fois à Paris, les dernières brumes d’espoir du Conseil s’étaient de toute évidence dissipées depuis longtemps – il est vrai que le phénomène ne lui était pas propre, « le temps des désillusions » semblant alors venu pour l’ensemble de l’administration219. Le discours du vice-président220, las, voire grinçant, accuse sans détours les désenchantements enregistrés par le corps dans l’intervalle ; on était loin des effets d’abord escomptés de la réforme de 1940. Sans doute le propos traduit-il aussi, en filigranes, une réserve désormais de mise à l’égard du régime même :
« Monsieur le Garde des Sceaux, votre présence à ce fauteuil nous donne, une fois encore, par son caractère exceptionnel, le regret que le titre de Président du Conseil d’État, qui fut un temps la plus belle parure de votre charge, soit aujourd’hui, ou peu s‘en faut, un titre nu. Plus généralement, les ministres et secrétaires d’État qui, notre loi organique le rappelle, ont place à notre assemblée, n’ont pas appris ou ont oublié le chemin du Palais-Royal. Lorsqu’on cherchait l’explication de ce phénomène, on se tenait pour satisfait naguère en constatant que le Conseil ne possédait plus en fait que des attributions législatives fort réduites et que celles qui lui avaient autrefois appartenu étaient monopolisées avec une attentive jalousie par des commissions parlementaires qui, elles, n’attendaient pas le bon vouloir des membres du Gouvernement... Hélas ! Les commissions ont disparu, le Conseil s’est vu restituer, en théorie du moins, un rôle important dans la préparation des lois ; or, depuis trois ans, l’exemple est unique d’un secrétaire d’État venu parmi nous pour prendre part à la discussion d’un projet de loi intéressant son département... Et ce n’est en somme le plus souvent que sur un ordre reçu d’en haut qu’on se résigne à ne pas nous ignorer tout à fait. »
136De ces déconvenues, Porché proposait ses explications, lucides, acides aussi ; il en recensait les conséquences néfastes, et renouvelait la prescription désabusée du seul remède qui lui parût adéquat à la situation :
« D’où vient donc, l’ancienne explication ne valant plus, cette résistance à nous saisir et à collaborer ? Passons sur le prétexte trop commode de l’urgence, on en a tant usé et abusé qu’il n’éveille aujourd’hui qu’un sourire ; passons aussi sur la vieille légende des retards qu’entraînerait notre intervention, on commence, semble-t-il, à admettre que la rengaine a fait son temps et qu’on ne saurait la reprendre de bonne foi. Pure négligence alors ou manque d’habitude ? Ce n’est pas impossible en certains cas ; mais à l’ordinaire, bien plutôt prétention arrêtée que chacun [...] est apte, quelle que soit sa formation et sa culture [...] à mettre debout, seul et dans le moindre délai, un texte législatif ou réglementaire et que ce n’est pas après tout plus malaisé que de rédiger une circulaire ou une lettre quelconque. Le résultat, le Journal Officiel nous en est témoin chaque jour : monuments informes, obscurs, incomplets, triomphe de l’erratum et du rectificatif. C’est qu’une telle conception est fausse dans sa racine, c’est que, à la différence d’autres œuvres d’art, dont le premier mérite est l’originalité et qui ne s’accommodent qu’exceptionnellement d’une collaboration, une loi ou un règlement, jusque dans la forme, où la propriété des termes a tant de prix, ne peut être que l’aboutissement des délibérations mûries, que, si on délibère à la rigueur avec soi-même, on délibère beaucoup mieux à plusieurs, et qu’un homme seul, si éminent soit-il, ne vaut jamais à cet égard une réunion d’hommes bien choisis, fussent-ils individuellement moins remarquables que lui. Qui seront ces hommes, si nous cherchons à concevoir une assemblée idéale ? Les uns, assises de l’institution, seront des techniciens forgés à d’austères disciplines ; d’autres viendront du dehors, apportant aux premiers l’expérience de l’action et leur évitant l’écueil du mandarinat ; d’autres enfin seront élus pour leur seule sagesse, car le bon sens et le jugement droit sont plus précieux souvent et moins communs que la science à l’état pur. [...] D’autre part, pour faire œuvre vivante et novatrice, la raison ne suffit pas, l’imagination n’est pas moins nécessaire et il se pourrait que la flamme n’en brillât pas toujours très haut chez des personnages graves par définition et que les années inclinent peut-être à quelque scepticisme ou du moins à quelque tiédeur ; il faudra donc, pour parer au péril du dessèchement, que tous les âges soient appelés à la grande tâche à accomplir. Cette variété d’origine, cette combinaison habilement dosée de la prudence des vieux ou des demi-vieux et de l’ardeur tonique des jeunes, n’est-ce pas l’image même du Conseil d’État ? [...] Voilà, Monsieur le Garde des Sceaux, l’outil que les siècles ont forgé au Gouvernement ; on s’étonnera peut-être quelque jour qu’on lui en ait préféré souvent d’autres, tout battant neufs, certes, mais d’une trempe si médiocre. »
137L’allusion du vice-président à des institutions comme le Conseil national – voire le Commissariat général aux Questions juives ? – était limpide. En réplique à un tel réquisitoire, Gabolde ne pouvait plus se contenter, ainsi que l’avaient fait ses prédécesseurs, de comparer au rôle du Conseil d’État sous l’Empire sa participation future à l’œuvre de Vichy : trop de temps avait coulé sans que rien ne change de ce point de vue. Le ministre esquiva donc, plus ou moins adroitement, la question de la mission consultative toujours ensommeillée de l’organe, et préféra s’en tenir aux louanges de sa fonction juridictionnelle, comme aux compliments en général :
« Ma qualité de magistrat [...] m’inciterait peut-être à souligner l’importance de la tâche offerte à votre section du Contentieux ; peut-être, au contraire, ministre dans un Gouvernement qui ne remet pas à un parlement le soin de rédiger les lois, devrais-je m’attacher davantage à l’œuvre législative qui vous est impartie et déplorer, à mon tour, que votre compétence à cet égard soit plus souvent affirmée qu’éprouvée. Mais, Président du Conseil d’État, je pense qu’il est vain de diviser une œuvre à la vérité unique, et je veux dire combien m’apparaît grand le rôle que vous devez remplir, particulièrement sous l’actuel régime politique. [...] Vous donnez aux Français des garanties nécessaires, en même temps que vous protégez le Gouvernement et l’Administration de leurs propres erreurs, si d’aventure ils en pouvaient commettre dans les innombrables matières qu’ils règlent. Songeons-y, en effet, combien est désormais agrandi le domaine de votre compétence ! [...] Quel chemin parcouru depuis vos premières décisions221... »
138262. La séance du 21 octobre 1943 avait surtout révélé l’état de dégradation des rapports du Conseil avec les autorités de l’État français depuis que l’institution avait quitté Royat. Opposant le bilan critique « sévère » du vice-président à celui « plus complaisant » du garde des Sceaux222, qui était en quelque sorte demeuré sourd aux récriminations du corps, la cérémonie avait également semblé renouer, paradoxalement, en fait de "retour aux sources" napoléoniennes, avec les habitudes de la Troisième République. Avant comme après 1940, en effet, l’argumentaire sempiternellement déployé par la vice-présidence, afin de vanter les mérites et avantages du Conseil en tant qu’organe consultatif, restait d’une infrangible inefficacité à modifier sa faible sollicitation ; les ministres, de leur côté, s’abstenaient de s’appesantir sur la question, pour seulement mettre en avant et honorer la jurisprudence développée par la section du Contentieux. Au-delà des changements objectifs, incontestablement survenus – nouvel environnement politique, réforme des textes statutaires, promesses gouvernementales inhabituelles –, la pratique, fondamentalement, demeurait, sous Vichy, la même223.
139263. Ce phénomène d’invariance s’observait a fortiori regardant le rôle juridictionnel du Conseil, que la loi du 18 décembre 1940 avait laissé quasi-inchangé par rapport à son statut républicain.
II. Le juge. La continuité dans le changement
140264. En 1940, la juridiction administrative est parvenue à pleine maturité. Statuant souverainement depuis 1872, le Conseil d’État a affirmé avec éclat sa vocation prétorienne tout au long de la Troisième République, développant une œuvre jurisprudentielle qui a véritablement créé le droit administratif français224. Le pouvoir de décision de la section du Contentieux est devenu plus autonome, tant face à l’administration active que vis-à-vis des sections administratives du Conseil ; le principe de l’existence même d’un juge spécifique pour les activités que commandent la puissance publique et l’intérêt général, juge distinct et indépendant de l’ordre judiciaire, et qui applique un droit spécial différent du droit commun, se trouve désormais acquis dans les mentalités ; déjà, ce sont l’engorgement du prétoire, la lenteur des procédures, les difficultés pratiques des divers recours qui préoccupent, l’institution en somme victime de son propre succès225.
141265. On aurait pu craindre que l’avènement d’un régime autoritaire sonne le glas de l’indépendance juridictionnelle du Conseil. Il n’en fut cependant rien. L’organisation de sa mission contentieuse, sous Vichy, se montre peu changée par rapport à l’avant-guerre (A). Au plan fonctionnel de l’organe, malgré le caractère inédit du contexte politique des années 1940-1944, il en résulte une évidente continuité ; celle-ci, en même temps qu’elle les dénote, se révèle au cœur des effets pervers de la jurisprudence de l’antisémitisme (B).
A. La juridiction. Un statu quo institutionnel
142266. La loi du 18 décembre 1940, dont le titre III (articles 28 à 78) est consacré au « Conseil d’État statuant au contentieux », entérine un statu quo. À quelques nouveautés près, quantité négligeable, la Haute juridiction conserve l’essentiel de son statut antérieur, établi en 1872. Ainsi, l’article 28 de la loi confirme ses compétences :
« Le Conseil d’État statuant au contentieux est le juge de droit commun en matière administrative : il statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les actes des diverses autorités administratives ; il est juge d’appel des jugements, décisions ou arrêtés rendus par les juridictions administratives de premier ressort ; il connaît des recours en cassation dirigés contre les arrêts ou décisions des juridictions rendus en dernier ressort. »
143Et l’ensemble du titre III, pour l’essentiel, représente une simple codification des textes et solutions jurisprudentielles intervenus en la matière avant la guerre226.
144267. Des innovations sont toutefois apportées par le texte de 1940, mais mineures ; elles concernent trois domaines distincts. Il s’agit en premier lieu du personnel "magistrat" du Conseil, régi par le titre Ier de la loi, relatif à la « composition du Conseil d’État et [au] statut de ses membres ». Le changement tient en ce que désormais, si les conseillers d’État en service ordinaire continuent d’être nommés par décret en conseil des ministres comme sous la Troisième République, maîtres des requêtes et auditeurs, en revanche, le sont, non plus par de tels décrets, mais par arrêté individuel du garde des Sceaux, ministre de tutelle. Le même dispositif est adopté à l’égard de la révocation et de la mise à la retraite d’office.
145Pour le reste, sur ce plan, la loi ratifie la situation préexistante. D’abord, le nombre des conseillers d’État en service ordinaire, des maîtres des requêtes et des auditeurs statuant au contentieux est identique à celui qu’avait précédemment fixé un décret de janvier 1938. Ensuite, la loi confirme le mouvement qu’avait amorcé un décret du mois d’octobre de la même année, tendant à renforcer l’indépendance de la juridiction administrative en réglementant l’éventuel exercice, par les juges, d’une fonction publique extérieure au Conseil : celle-ci ne peut être regardée comme légalement occupée qu’à la condition soit d’une délégation, soit d’une mise hors cadres temporaire effectuée à la demande de l’intéressé ; les membres placés hors cadres sont remplacés ; ceux qui se trouvent délégués peuvent continuer d’entrer dans les formations administratives, mais ils ne peuvent plus prendre part aux formations contentieuses227. Pour finir, les garanties dont bénéficiaient les juges du Palais-Royal avant la guerre leur sont conservées ; à cet égard, outre la nomination des conseillers d’État en service ordinaire par décret en conseil des ministres, on peut mentionner le principe du concours obligatoire pour le recrutement de tous les auditeurs de deuxième classe228, la présentation du vice-président, après délibération avec les présidents de section, concernant toute promotion à un échelon supérieur du corps, enfin l’avis consultatif obligatoirement donné, par les mêmes personnes, sur toute décision de révocation ou de mise à la retraite d’office.
146268. De très modestes changements sont en second lieu apportés par la loi de décembre 1940 touchant l’organisation des structures juridictionnelles du Conseil. En fait, le texte a laissé à un règlement d’administration publique le soin de fixer le nombre des sous-sections de la section du Contentieux, et de répartir entre elles les affaires ; c’est ce que fait le règlement du 7 janvier 1941229, qui ne débouche sur aucune modification substantielle. Huit sous-sections sont maintenues, de même que la distinction opposant les quatre premières, qui connaissent des affaires dites de "contentieux général", aux quatre autres, auxquelles échet le "petit contentieux" (celui des cartes de combattants, élections, pensions, emplois réservés, contributions directes et taxes assimilées...) ; dans le premier groupe, ces sous-sections instruisent individuellement et jugent réunies par paires ; les secondes constituent des organes autonomes de préparation comme de jugement.
147Les rares nouveautés, en réalité, n’en sont pas vraiment : le R.A.P. de 1941 ne fait que reprendre, sous une forme définitive, des arrangements provisoires arrêtés au lendemain de la déclaration de guerre, par le décret-loi du 4 octobre 1939230, quant aux conditions de fonctionnement du Conseil d’État pendant les hostilités. Néanmoins, ce recours à un texte réglementaire peut paraître « troublant », dans la mesure où il semble « signifier qu’existait une volonté de réforme » plus profonde de l’institution, confirmant la dimension transitoire des dispositions édictées le mois précédent231.
148269. En dernier lieu sont instaurées deux réformes un peu plus tangibles, qui intéressent la procédure suivie devant les formations juridictionnelles du Conseil. La première de ces mesures se veut simplificatrice ; elle concerne le mécanisme de l’appel des décisions que rendent les "conseils du contentieux administratif, alors en place dans les colonies françaises. La loi de 1940 supprime une formalité particulière de ce type d’appel, l’obligation pour le requérant de formuler, avant de saisir le Conseil d’État, et à peine d’invalidité, une "déclaration de recours" devant le conseil du contentieux qui avait jugé en première instance.
149Plus notable, la seconde réforme abroge une solution consacrée par la jurisprudence, sous la Troisième République, face à l’inertie de l’administration : la permanence de l’ouverture, sans exigence du respect de délais, des recours pour excès de pouvoir formés contre les décisions implicites de rejet, ces décisions étant considérées acquises232 dans l’hypothèse où l’administration conserverait le silence quatre mois après qu’un administré l’eut mise en demeure de répondre sur telle ou telle réclamation. L’article 47 de la loi de 1940 pose un principe que le droit de la République rétablie conservera après-guerre233, qui met fin à cette situation favorable aux particuliers :
« Lorsqu’un délai de quatre mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées doivent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le Conseil d’État contre cette décision implicite dans les deux mois qui suivent le jour de l’expiration dudit délai de quatre mois. La requête doit, à peine de déchéance, être accompagnée d’une pièce justifiant de la date du dépôt de la réclamation. »
150270. En somme, à cette dernière mesure près – mais elle tend à éviter d’entraver l’action administrative plus qu’elle n’empêche l’intervention de son juge –, le rôle contentieux du Conseil d’État s’est trouvé peu affecté par la loi du 18 décembre 1940. Malgré ce qu’on aurait pu en augurer a priori, Vichy, formellement du moins, a tenu à opter pour le maintien d’un État de droit où l’administration demeure soumise au respect de la légalité, et cette soumission sanctionnée par un contrôle juridictionnel.
151Pouvait-il, d’ailleurs, en aller autrement ? La fonction contentieuse du Conseil avait pris trop d’ampleur sans doute, sous la République, pour être ostensiblement bridée soudain. Surtout, le maintien du principe de légalité, partant celui d’un juge administratif susceptible, le cas échéant, d’en censurer les violations, constituaient pour le pouvoir vichyste de puissants éléments de légitimation ; de la sorte, en effet, le Conseil d’État contribuait à normaliser le régime d’exception, à "blanchir", juridiquement, ses entreprises les plus sombres. C’est que le rapport de quasi-identité qui unissait l’ancien statut de la Haute juridiction au nouveau, 1940 équivalant de ce point de vue à 1872, garantissait pour la section du Contentieux une continuité avec le passé qui, dans les faits, ne devait pas être démentie.
B. La jurisprudence. Une pérennité fonctionnelle
Car telle est la merveilleuse souplesse de votre jurisprudence qu ’elle s’adapte à tout instant aux réalités.
Maurice Gabolde 234
152271. Au-delà des arrêts rendus en matière d’antisémitisme, mais à travers eux entre autres, le Conseil d’État statuant au contentieux révéla, sous Vichy, une double pérennité de fonctionnement. Il s’agissait, d’une part, de sa capacité maintenue à concevoir et à exprimer une volonté propre, ce dont témoignait avec éloquence la jurisprudence (1). D’autre part, indépendamment de cette volonté, et même en dépit d’elle éventuellement, le phénomène tenait à un accomplissement suivi de l’office intrinsèque de tout juge, non sans péril, qui consiste à légitimer, dans la sphère du politique, les textes appliqués dans l’ordre juridique – quels que soient ces textes (2).
1. Une continuité dans la volonté. Une marge de manœuvre du juge
153272. Au titre du droit édicté par les autorités vichyssoises entre 1940 et 1944, le juge administratif fut loin, bien sûr, de ne connaître que des mesures antijuives ; les développements requis pour la présente étude ne doivent pas conduire à fausser les perspectives historiques. L’examen de trois autres contentieux particulièrement marqués de l’empreinte des nouveautés juridiques de la France de Pétain, même rapide235, laisse voir de manière significative quels types de comportements le Conseil d’État put alors adopter. Le premier a trait aux initiatives économiques de l’État français, les deux autres sont relatifs à l’épuration menée par le gouvernement dans l’administration, pour des motifs politiques ou xénophobes.
La jurisprudence économique
154273. On l’a dit en évoquant le schéma de nature technocratique promu par Vichy236, l’un des paradoxes du régime est d’avoir exacerbé une doctrine profondément traditionaliste et réactionnaire, insistant sur la nécessité d’un autoritarisme politique qu’il mettait largement en œuvre, dans le même temps qu’il a donné son essor à certaines des méthodes modernes de la gestion publique. Ainsi des grands instruments de l’économie dirigée d’après-guerre, interventionnisme de l’État et planification, mis en place dès 1940237. Le système d’organisation et de répartition instauré dans l’industrie par le biais des "comités d’organisation" et à travers l’"Office central de répartition des produits industriels"238 ; dans le secteur agricole, les "groupements interprofessionnels de répartition" et le "Conseil national corporatif239 ; l’aménagement des professions libérales en ordres professionnels que la République conserverait240 : ces institutions nouvelles semblaient renouer avec une tradition ancrée dans l’avant 1789-90 des corps intermédiaires. Pourtant, leur activité concrète révélerait rapidement la faillite des visées corporatistes originelles ; elle opérait en fait une véritable révolution dirigiste qui, restructurant et rationalisant le tissu productif français, devait jeter les bases d’un nouvel ordre économique. La transformation s’effectuait d’autant plus facilement que la dictature ne connaissait pour obstacle ni partis politiques ni syndicats241.
155274. Dans cette évolution majeure du pays, le Conseil d’État tint son rôle. Tandis que la jurisprudence inaugurée par les fameux arrêts Monpeurt 242 et Bouguen 243 intégrait les mutations engendrées par l’État français (α), d’autres décisions de la Haute juridiction s’attachaient à maintenir certains des principes libéraux régissant les activités économiques (β).
156a) Le juge administratif et l’organisation économique de Vichy
157275. En considérant que « les comités d’organisation, bien que le législateur n’en ait pas fait des établissements publics, sont chargés de participer à l’exécution d’un service public, et que les décisions qu’ils sont amenés à prendre dans la sphère de ces attributions, soit par voie de règlements, soit par des dispositions d’ordre individuel, constituent des actes administratifs ; que le Conseil d’État est, dès lors, compétent pour connaître des recours auxquels ces actes peuvent donner lieu », – le juge administratif, par l’arrêt Monpeurt, soumettait en 1942 ces comités à son contrôle de légalité. C’est au même résultat que parvenait l’année suivante l’arrêt Bouguen concernant les ordres professionnels, en l’espèce celui des médecins, au motif que « le législateur a entendu faire de l’organisation et du contrôle de l’exercice de la profession médicale un service public [et] que, si le Conseil supérieur de l’Ordre des médecins ne constitue pas un établissement public, il concourt au fonctionnement dudit service ».
158Dans ces deux décisions, comme Jean Marcou l’a fait remarquer, « le Conseil d’État, pour admettre sa compétence, n’a pas voulu en dire plus que la loi » ; « tout en respectant scrupuleusement la légalité lorsqu’il dénie aux comités la qualité d’établissement public », le juge s’attache seulement « aux réalités matérielles en reconnaissant leur mission de service public244 ». Cette solution était sans doute « la moins engagée tant juridiquement que politiquement » : elle « évitait l’option strictement publiciste qui consistait à voir dans les comités des établissements publics (option qui eût pu apparaître comme la manifestation juridique d’une opposition au corporatisme) » ; cependant, elle « se refusait à entrer franchement dans une logique corporatiste en se taisant sur la nature des comités dont une partie de la doctrine avait déjà fait les personnes mixtes d’un droit autonome ». Elle restait, « malgré tout, une solution publiciste » : si pour la juridiction administrative ces comités ne constituaient « pas des établissements publics, c’est parce que le législateur ne leur a[vait] pas conféré ce titre et non parce qu’ils [avaient] un caractère professionnel » ; « le Conseil [...] ignore totalement dans son argumentation la nature corporative des comités », il « se détoum[e] du problème de [leur] personnalité » pour ne s’intéresser qu’à « la nature de leur activité245 ».
159De la sorte, les arrêts Monpeurt et Bouguen prolongeaient un courant jurisprudentiel inauguré en 1935 par l’arrêt Établissements Vézia, qui le premier avait mis au jour l’existence d’organismes privés d’intérêt néanmoins public, et approfondi en 1938 par l’arrêt Caisse primaire "Aide et protection", lequel avait admis qu’un organisme pût être « chargé de l’exécution d’un service public » bien qu’il eût « le caractère d’un "établissement privé"246 ».
« La Haute juridiction opérait, en fin de compte, un formidable mouvement d’intégration juridique. Les réformes dirigistes et corporatistes inspirées par des velléités idéologiques, rendues nécessaires par la pénurie et tendant, dans l’ensemble, à l’organisation et à la direction de l’économie, se retrouvaient ainsi intégrées au droit public. Il y a incontestablement, dans la jurisprudence Monpeurt, une volonté d’empêcher que les réformes d’inspiration corporatiste tendent à la constitution d’un droit autonome intermédiaire, échappant au contrôle du Conseil d’État247. »
160Dans ses conclusions sur l’affaire Bouguen, le commissaire du gouvernement – Maurice Lagrange248 – n’avait-il pas déclaré, non sans superbe :
« Le pays qui a su soumettre la puissance publique elle-même au contrôle juridictionnel ne saurait tolérer qu’y échappent tels ou tels organismes investis du pouvoir de créer, d’appliquer ou de sanctionner des règlements sous le prétexte qu’on serait en présence d’un droit autonome, d’un droit sui generis. »
161276. Ayant ainsi "légalisé" cette administration de l’économie en l’attirant dans le champ de son contrôle, le Conseil d’État eut à examiner les actes litigieux des comités d’organisation et des ordres professionnels. Des premiers, il exigea la conformité à la loi mais aussi aux décisions supérieures dans la chaîne interne, faisant primer les actes des organes centraux sur ceux des structures locales, en application d’une classique règle de subordination hiérarchique249. De ces comités comme des ordres, il annula notamment les mesures de sanction qui, bien que prises au motif d’une violation du règlement de ces institutions, l’avaient été en méconnaissance de dispositions législatives250 ; le juge exigea en outre, y compris en cas de sanction fondée, l’intervention d’une procédure contradictoire – elle transposait en la matière les principes habituels de son contentieux disciplinaire251
162277. En mai 1944, « l’arrêt Compagnie maritime de l’Afrique orientale 252 allait encore donner l’occasion au Conseil d’État de statuer sur un cas de service public exercé par une personne privée » :
« Cette fois, l’affaire ne concernait pas l’organisation économique et professionnelle mais le fonctionnement d’un service public sur le domaine public. Pour reconnaître la légalité d’un règlement administratif tendant à soumettre à des obligations de service public une entreprise occupant le domaine public, le commissaire du gouvernement Chenot s’appuie sur la matérialité même de l’activité entreprise : "Le caractère de service public de tout service régulier de transports publics donne donc, lui aussi, à l’intervention administrative, une base que ne cessent d’élargir les conditions modernes de la vie économique". Ce ton moderne renouait pleinement avec l’esprit de la jurisprudence Caisse primaire "Aide et protection" 253. »
163278. Et cette faculté d’adaptation du Conseil dans sa mission contentieuse le conduisait à redessiner la physionomie du droit administratif ; ce cadre neuf, permettant de stabiliser le dirigisme, contenait les nouveaux éléments d’une société changée :
« Les conséquences de la jurisprudence Monpeurt-Bouguen étaient considérables pour le droit administratif. C’est toute la logique organique de ce droit qui était ébranlée, la notion de service public fondée sur une confusion des conceptions organique et matérielle faisant correspondre institution et action administrative. [...] L’acte administratif n’était plus l’acte de l’administration puisque des personnes privées, chargées d’une mission de service public, pouvaient également en édicter. [...] Il semble bien que la jurisprudence Monpeurt ait constitué pour le droit un phénomène que l’on pourrait observer, presqu’à la même époque, dans d’autres disciplines des sciences sociales et humaines. Il s’agit de la fin de l’époque où l’État était conçu et pensé comme une entité délimitée, comme une personne, comme un organe, comme une machine. Avant, il y avait l’État et la société ; désormais, il y aurait l’État-société. [...] Rejeter et empêcher implicitement la formulation d’un droit économique intermédiaire, revenait à poser le problème d’une délimitation du droit public et du droit privé. Cette opération était complexe, parce qu’elle consistait à tracer des frontières matérielles à l’intérieur des organes, [...] Ces arrêts ont contribué à la stabilisation des désordres juridiques que ce phénomène économique et professionnel avait fait naître en déplaçant progressivement la summa divisio 254. »
164En cette matière comme en d’autres auparavant et plus tard, « le Conseil d’État contraint de se prononcer sur la mouvance du droit administratif n’a pu que constater l’incertitude de ses frontières et leur caractère toujours révisable255 » ; à son niveau, il participait de « l’accélération de l’Histoire256 ». L’empirisme jurisprudentiel, du reste, malmenant les constructions théoriques échafaudées par la doctrine, allait susciter de nombreux débats sur la "crise" de la notion de service public, à laquelle les arrêts précités semblaient inévitablement devoir donner lieu257.
165279. Le Conseil, pourtant, contribuait aussi à la profonde continuité de l’ordre juridique. En effet, non seulement les décisions Monpeurt et Bouguen s’analysaient, comme on l’a dit, dans le sillage de la jurisprudence antérieure aux années 1940 qu’avaient principalement amorcée les arrêts Établissements Vézia et Aide et protection, mais, de plus, après-guerre, des problèmes analogues soulevés au contentieux amèneraient le juge à retenir les mêmes principes. C’est ainsi que l’arrêt Morand de 1946258, qui mettrait en cause les organisations corporatives agricoles créées par Vichy, tout en reconnaissant la nature privée de ces structures, admettrait qu’elles puissent édicter des actes administratifs qui relèvent, le cas échéant, de la juridiction administrative – intervention inscrite dans la droite lignée de l’arrêt Monpeurt, lequel, touchant les comités d’organisation, n’avait pas statué autrement en 1942. Dix-neuf ans plus tard encore, en 1961, l’arrêt Magnier259 transposerait cette solution aux groupements de défense contre les ennemis des cultures, voyant dans leur activité de syndicats professionnels « un service public administratif dont la gestion est confiée, sous le contrôle de l’administration, à des organismes de droit privé », et déclarant néanmoins que les mesures prises dans l’exécution de ce service présentent « le caractère d’actes administratifs relevant de la compétence de la juridiction administrative ».
166Chacune de ces étapes aura nettement retouché, jamais radicalement changé l’état du droit : nulle révolution à proprement parler dans cette lente progression ; pour l’essentiel, tout nouvel arrêt de la théorie – 1935, 1938, 1942-43, 1946, 1961 – paraît en fait dévoiler ce que les précédents, par une rédaction plus elliptique, s’étaient jusque là refusés à exprimer directement, mais pouvaient déjà contenir, cependant, aux yeux d’un analyste conséquent. Assurant la transition juridique de l’avant à l’après Vichy interventionniste, cette évolution, en quelque sorte naturelle, révèle bien le facteur de continuité que constitua alors l’action du juge administratif dans le domaine économique260. On en trouve la confirmation d’un regard sur l’usage que le Conseil d’État, dans le même temps, fit des principes libéraux intéressant la matière.
167b) Le juge administratif et les libertés économiques sous Vichy
168280. Dans le contexte dirigiste et corporatiste du régime, le Conseil parvint malgré tout à retrouver des règles juridiques d’essence libérale. Celles-ci, soit mettaient implicitement en œuvre le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, soit tendaient à la protection du droit de propriété. Ainsi, d’abord, la Haute juridiction procéda à l’annulation d’actes qui cherchaient à entraver l’initiative privée – par exemple le refus d’autoriser l’ouverture d’une entreprise, opposé par le groupement interprofessionnel laitier à un vendeur de fromages en gros qui aurait dû obtenir de plein droit cet aval261, ou la décision d’un préfet trop zélé qui avait transformé une caisse d’assistance incendie en véritable assurance départementale contre le feu262. Là encore, on retrouvait l’âme d’une jurisprudence classique, issue de la tradition républicaine : celle de l’arrêt Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers de 1930263.
169281. De même, le juge préserva le droit de propriété de l’application abusive d’une loi du 16 novembre 1940, laquelle disposait que « pour être valables, les mutations entre vifs de propriété ou de jouissance, ainsi que tous les démembrements de propriété portant sur des immeubles ou des droits immobiliers situés en France, doivent être autorisés par le préfet du département du lieu où l’immeuble est situé ». Dans une affaire relative à l’acquisition indivise d’un domaine rural par deux particuliers, auxquels un préfet avait signifié son refus d’autoriser l’opération au motif qu’il convenait de réserver ce type de biens à des agriculteurs de profession, le Conseil estima « qu’un tel motif, en raison de sa généralité [...], n’était pas au nombre de ceux qui pouvaient justifier légalement le refus de l’autorisation envisagée par la loi précitée du 16 novembre264 ». On relève au Lebon la mention de deux autres incarnations de cette jurisprudence265.
170Dans une affaire Dame Constantin ultérieure266, quant à un autre refus préfectoral, ici d’autoriser une hypothèque, refus tiré de considérations liées au conjoint de la personne qui entendait consentir le gage, le Conseil d’État alla plus loin encore – c’était l’été 1944, il est vrai : le juge inventa, littéralement, la finalité de la loi de novembre 1940, comme visant à lutter contre la spéculation immobilière (« éviter les spéculations portant sur ces biens et leur accaparement »). Cette interprétation, audacieuse, lui permit de "révéler" une liste limitative des hypothèses valables de refus d’autorisation de transactions visées par la loi, à savoir l’origine des ressources des particuliers en cause, leurs activités habituelles à titre de présomption, les intentions de spéculer si elles étaient prouvées. En l’espèce, la décision préfectorale put ainsi être annulée.
171282. On relève encore les annulations, d’une part, de la prorogation de la fermeture d’un fonds de commerce, ordonnée dans l’attente de l’issue de la procédure pénale parallèlement engagée contre l’exploitant, motif étranger aux cas législativement prévus en la matière267 ; d’autre part, d’un refus d’autorisation de vente qui, fondé sur des considérations d’urbanisme jugées impropres à le motiver légalement, fut en outre considéré par le Conseil comme justifiable d’une réparation en dommages et intérêts268. Enfin, on peut remarquer, dans une affaire Guieysse de février 1944, la consécration du principe général du droit de l’égalité des contribuables devant l’impôt269.
172283. De la sorte, touchant la politique économique d’une manière générale, il apparaît que le Conseil d’État, sous Vichy, s’est refusé à considérer que les atteintes perpétrées par la loi contre un principe libéral, même graves, avaient complètement pris le pas sur ce principe ; au contraire, le juge a manifestement interprété les coups portés par l’État français à l’héritage républicain en la matière comme une simple police, aussi drastique fût-elle, des droits et libertés concernés, non comme leur déchéance. Ramenant la légalité dirigiste du régime à sa jurisprudence traditionnelle, l’institution a tout à la fois su intégrer le changement et réduire l’arbitraire ; « une telle attitude du Conseil surprit, à l’époque, la doctrine, qui avait encore peu l’habitude de voir le juge se permettre d’entrer pareillement dans le domaine discrétionnaire de l’administration270 ».
173284. Le contraste s’avère saisissant, en effet, de ce que s’autorisait le Conseil en ce secteur de la législation vichyssoise, par comparaison avec ce qu’il n’osait pas en d’autres – par exemple confronté aux textes antisémites. Il est vrai qu’au même moment, plus proche de l’esprit des lois raciales et des formes de leur mise en œuvre, la double épuration politique et xénophobe menée par les autorités dans la fonction publique suscitait, de la Haute juridiction, une production plus nuancée.
La jurisprudence de l’épuration politique
174285. α) Organisée par la loi du 17 juillet 1940 – celle-là même dont l’article 1er, disposant que « les magistrats et les fonctionnaires et agents civils ou militaires de l’État pourront être relevés de leurs fonctions nonobstant toute disposition contraire », avait servi de fondement aux premières exclusions prononcées à l’encontre de membres du Conseil d’État271 –, l’épuration strictement politique suscita devant le juge administratif un contentieux fourni272.
175Les décisions de relèvement de fonctions étaient prises par décret sur le seul rapport du ministre compétent, et « les termes de la loi [...] semblaient rendre inutile toute action contentieuse273 ». Le Conseil, de fait, énonça dès ses premiers arrêts en la matière qu’à l’administration « ce texte [...] laisse un plein pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de la mesure274 ». Par exemple, il « dispensait [le ministre] de toute procédure et [...] aucune disposition ne l’obligeait à motiver sa décision275 » ; en particulier, la communication à l’intéressé des motifs de sa révocation n’était pas nécessaire276. De même, la règle non bis in idem se montrait inopérante, le relèvement de fonctions n’étant pas exclusif d’une sanction disciplinaire277 tandis que, symétriquement, certains des motifs du relèvement pouvaient se trouver tirés de « faits qui, envisagés isolément, eussent été de nature à entraîner une poursuite disciplinaire278 ». Enfin, la loi était jugée applicable, « en raison de la généralité de ses termes, à tous les fonctionnaires, quelles que soient les garanties qui ont pu leur être accordées par des textes particuliers279 ». Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la plupart des requêtes déposées devant la juridiction administrative, durant toute la période se soient vues soldées par des arrêts de rejet280.
« Des membres du Conseil [...] ont avoué leur sentiment d’impuissance devant un processus qui ne s’encombrait pas de procédure disciplinaire et donnait au gouvernement un pouvoir discrétionnaire très étendu. Pourtant, le Conseil [...] ne devait pas tarder à relever des failles dans cette logique implacable, et certains recours allaient aboutir281. »
176286. C’est dans la légalité externe des décisions de relèvement que le juge devait trouver son premier terrain d’annulation. La loi du 17 juillet 1940 avait prévu que les évictions seraient prononcées par décret du ministre compétent, mais une loi de dix jours postérieure, relative à la forme des actes administratifs individuels282, établit que ceux de ces actes qui intervenaient jusque là sous la forme de décrets seraient adoptés, désormais, par arrêtés ministériels ou interministériels. Le Conseil d’État, au printemps 1941, estima en conséquence que le relèvement de fonctions pouvait être enjoint sur simple arrêté, même si l’agent en cause avait été nommé par décret283. La Haute juridiction opposa toutefois une limite à cette transgression du parallélisme des formes, jugeant dans un arrêt Godard du 20 janvier 1942, rendu sur le fondement de la combinaison des deux lois, que seul un ministre se trouvait habilité à prendre les mesures d’épuration politique dont il s’agissait, et que l’autorité disciplinaire habituelle, le supérieur hiérarchique du fonctionnaire, ne disposait à cet égard d’aucun pouvoir284. Or ce contrôle formel, reposant sur la nature de l’acte édicté, contenait en réalité les prémisses d’un contrôle de légalité interne.
177287. En premier lieu furent sanctionnées les violations du principe de non-rétroactivité commises à l’occasion d’un relèvement285. En second lieu, à défaut de pouvoir étendre son contrôle, sur un pouvoir que la loi organisait de façon discrétionnaire, au-delà d’un examen de l’exactitude matérielle des faits et de l’absence de détournement de pouvoir – ce qui, concernant un texte dont les visées s’avéraient parfaitement arbitraires, restait d’une bien faible utilité286 _ le juge administratif, néanmoins, exigea que ce pouvoir fut exercé correctement par ses titulaires. À cette fin, le Conseil se reconnut une appréciable compétence d’instruction, destinée à vérifier les motifs réels des relèvements prononcés ; c’est ce que montra pour la première fois un arrêt Piron de juillet 1942287.
178L’instruction avait fait apparaître que l’agent en cause avait « été relevé de ses fonctions de gardien de la paix par l’unique motif qu’il se trouvait au nombre des agents ayant dépassé l’âge de cinquante-cinq ans ». Le juge estima que, si l’âge pouvait effectivement être pris en compte dans la mise en œuvre de la loi du 17 juillet 1940, ce n’était qu’au titre d’un élément parmi d’autres du comportement général du fonctionnaire. Ainsi, le ministre ne pouvait agir de telle sorte qu’il eût posé en règle « de principe » qu’il fût possible, sur le fondement de la loi, de mettre fin aux fonctions des agents ayant dépassé un certain âge ; il était tenu de procéder à un examen de la « situation particulière » de l’agent visé, en l’espèce en recherchant « si, en ce qui le concernait, son âge était de nature à s’opposer à son maintien en fonctions, alors qu’en raison de ses charges de famille il devait rester en activité de service au-delà de cinquante-cinq ans ». Ce raisonnement conduisit à l’annulation de la décision ministérielle ; il fut repris avec le même résultat, en 1944, concernant un militaire relevé de ses fonctions « pour l’unique motif qu’il n’avait pas exécuté l’ordre qui lui avait été donné [de] quitter Bordeaux pour rejoindre son dépôt en zone non occupée », « fait qui, pris isolément, comme il l’a été en l’espèce, était seulement de nature à entraîner une poursuite disciplinaire288 ». De même, la justification tirée de l’état physique du fonctionnaire relevé – concrètement, pour un cas de surdité – ne fut pas admise, le juge considérant qu’elle avait « méconnu la portée de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1940289 ». Dès lors que l’administration motivait le relèvement par le comportement général de l’intéressé, en revanche, la mesure ne pouvait qu’être jugée légale290.
179On peut enfin noter que le Conseil, suivant les prévisions légales, veilla à la juste liquidation des droits à pension des fonctionnaires ainsi évincés291.
180288. β) On retrouve cet effort prétorien dans l’application des garanties statutaires reconnues aux fonctionnaires, telles qu’elles avaient été fixées par la loi du 14 septembre 1941 portant statut général de la fonction publique292. Le texte aurait pu rester un pur chiffon de papier : son article 112 maintenait la faculté pour le gouvernement de procéder à tout relèvement de fonctions qu’il jugeait opportun. Pourtant, dans une affaire Grivel de janvier 1944, le Conseil d’État annula l’arrêté de révocation du ministre de l’Éducation nationale qui avait frappé un principal de collège, lequel s’était rendu coupable de propagande anti-maréchaliste ; le juge, pour ce faire, non sans audace, admit le moyen tiré par l’intéressé de la non-communication de son dossier préalablement à cette procédure293. La solution, d’ailleurs, suivait l’un des propres avis consultatifs de l’institution, en date du 6 octobre 1942, qui avait estimé que l’entrée en vigueur du nouveau statut général des fonctionnaires « pouvait être immédiate pour celles de ses dispositions non antérieurement prévues par un statut particulier294 ».
« En réalité il semble [...] que dans l’arrêt Grivel le Conseil d’État ait voulu dire que le gouvernement disposait, notamment avec la loi du 17 juillet 1940, de moyens répressifs suffisamment expéditifs pour estimer encore devoir se dispenser du respect de la procédure disciplinaire. En quelque sorte, pour endiguer la vague d’arbitraire vichyste, le Conseil essayait de proposer ici une légalité adaptée à la situation, en distinguant la gestion politique du personnel de la fonction publique de sa gestion administrative295. »
181289. χ) La jurisprudence se révéla moins inventive que déploya le Conseil dans le cadre du contentieux engendré par la purge des élus locaux réalisée par Vichy, en particulier à l’occasion des réformes alors entreprises dans l’administration territoriale. Ces dernières, tirant un trait sur la démocratie locale, avaient été concrétisées à travers deux textes principaux. D’une part, la loi du 12 octobre 1940 avait notamment suspendu les sessions des conseils généraux (article 1er), et transféré leurs compétences aux préfets (article 2), assistés dans chaque département d’une « commission administrative de sept à neuf membres nommés par arrêté du ministre secrétaire d’État à l’Intérieur et remplaçables dans la même forme » (article 3)296. D’autre part, la loi du 16 novembre 1940297 disposait que les maires et conseillers municipaux des communes de plus de 2 000 habitants, désormais, seraient désignés par le pouvoir central (article 2) : le préfet pour les communes comptant de 2 000 à 10 000 habitants choisirait le maire et ses adjoints, et pour les communes de 10 000 à 50 000 habitants le reste du conseil municipal également ; dans les communes de plus grande importance démographique, le ministre de l’Intérieur nommerait à tous les emplois. En outre, pour des motifs d’ordre public, les maires, adjoints et conseillers municipaux pouvaient être révoqués ou suspendus (article 4), les conseils municipaux dissous (article 6), dans chaque cas sur simple arrêté ministériel298.
182Ces dernières dispositions de "recentralisation" suscitèrent un contentieux dont le Recueil Lebon a conservé la trace. Le Conseil s’y reconnut une compétence particulière, qui n’allait pas d’elle-même : alors que la loi avait attribué aux conseils de préfecture la connaissance des contestations relatives aux conseils municipaux (article 19), la Haute juridiction considéra que « le maire fait partie du corps municipal mais n’est pas membre du conseil municipal », et admit ainsi de recevoir les requêtes afférentes directement portées devant elle en première instance299. Sur le fond, néanmoins, le juge en ce domaine ne devait pratiquement rendre que des arrêts de rejet : la plupart du temps, ses décisions, d’une façon ou d’une autre, relèvent que « les pièces versées au dossier n’établissent pas l’inexactitude matérielle des faits sur lesquels reposent les griefs relevés contre le maire et le conseil municipal », et « que ces griefs sont de nature à entraîner légalement l’application de la loi300 ».
183290. Il en fut de même dans le contentieux des organes communaux lié aux mesures prises en application des textes d’exception dus à la guerre301, ou engagé sur le fondement des dispositions d’ordre disciplinaire préexistantes, issues de la loi municipale du 5 avril 1884 (article 85). Certes, on note, à l’été 1944, l’annulation de la suspension d’un conseil municipal en tant que cette décision se trouvait motivée par des faits matériellement inexacts302. Mais, d’ordinaire, le Conseil en la matière se borna à reconnaître le caractère discrétionnaire, partant l’immunité juridictionnelle, dont bénéficiait la qualification juridique des faits à laquelle avaient procédé les actes de nomination des maires et adjoints303, de suspension ou de révocation de ces agents304, ou encore de dissolution d’une assemblée délibérante locale305.
184291. On peut cependant signaler deux exceptions, qui révèlent un juge un peu plus ferme. La première est constituée par quatre arrêts du même jour de décembre 1942 : ils annulèrent les révocations d’adjoints au maire prononcées par arrêtés préfectoraux avant l’entrée en vigueur des textes susceptibles de fonder de telles mesures306. La seconde est donnée par un arrêt Guy : celui-ci, en mars 1944, annula la suspension d’un maire en raison de l’absence de communication à l’intéressé des faits qui lui étaient reprochés307.
185Toutefois, de ces décisions scrupuleuses du respect des gardes-fous juridiques, la portée se trouve fortement relativisée par un arrêt Courrent de mai 1941308. Par celui-ci, en effet, le Conseil d’État admit la légalité de l’arrêté de suspension qui, intervenu antérieurement à la loi du 16 novembre 1940 (au mois de juillet précédent), transgressait pourtant les garanties normalement exigées par la loi de 1884 (article 86) ; la Haute juridiction estima l’acte valable en raison des « circonstances exceptionnelles existant [...] dans la commune » au moment des faits qui avaient justifié la sanction – concrètement, la publication par le maire requérant d’« une affiche de nature à prêter à des commentaires défavorables aux pouvoirs publics et à gêner leur action, notamment du point de vue du ravitaillement ». Cette solution, il est vrai, ne représentait qu’une banale application de la théorie des pouvoirs de guerre que le juge administratif avait élaborée lors du conflit de 1914-1918, et dont l’arrêt Heyriès309 figurait la principale illustration. Sous Vichy, néanmoins, compte tenu d’un contexte international en crise permanente, le recours à cette jurisprudence exonératrice des vices de procédure rendait ipso facto caduque toute protection textuelle aménagée en faveur des administrés.
186292. δ) Un troisième témoignage de la volonté du Conseil de circonvenir l’arbitraire qui frappait les agents locaux pourrait être repéré dans deux arrêts du même jour de janvier 1944, Almelet, Braun et autres et Boudouard 310. En effet, ces décisions annulèrent la déchéance de leur mandat de neuf conseillers municipaux au total – huit requêtes avaient été jointes dans le premier arrêt –, au motif que, contrairement à ce qu’avait prétendu le gouvernement pour justifier l’éviction, il ne résultait pas des pièces du dossier que les requérants aient fait partie « de la section française de l’internationale communiste ». Mais les mesures anti-communistes de l’État français, prises sur le fondement spécifiquement vichyssois de la loi du 14 août 1941 « réprimant l’activité communiste ou anarchiste » ou en fonction de textes antérieurs311, étaient jugées légales dès lors que la réalité des activités révolutionnaires des individus en cause se trouvait établie312.
187293. ε) Pour compléter cette évocation du contentieux administratif de l’épuration politique de Vichy, on peut enfin mentionner un tardif arrêt Marchal de juin 1944313, le seul dont le Lebon fasse état en ce qui concerne la politique de répression des sociétés secrètes menée par le régime depuis une loi du 13 août 1940314, et plus particulièrement l’épuration maçonnique. En l’espèce, le Conseil d’État prononça l’annulation d’une décision du garde des Sceaux qui avait démissionné d’office un juge de paix au motif que celui-ci aurait été franc-maçon, la preuve tangible de cette qualité n’étant pas apportée. Dans cette affaire comme dans les décisions Almelet et Boudouard précitées, s’attachant à contrôler l’exactitude matérielle des faits, le juge renouait avec l’inspiration protectrice de sa jurisprudence classique, issue en l’occurrence des arrêts Camino et Trépont315. On ne saurait en dire autant de ce qui suit.
La jurisprudence de l’épuration xénophobe
188294. Le dispositif juridique xénophobe dont s’étaient dotées les autorités de Vichy a déjà été évoqué, ici, en tant qu’il devait se révéler précurseur des textes antisémites316. L’épuration organisée sur la base de la nationalité des personnes faisait l’objet de l’autre loi du 17 juillet 1940 (modifiée par des lois du 10 août suivant et du 3 avril 1941317) ; elle fut conduite à l’aide de la révision massive des naturalisations accordées postérieurement à la loi du 10 août 1927 – retraits, en forme de reniements de la République, autorisés par les dispositions édictées le 22 juillet 1940.
189Dans le contentieux occasionné par ces mesures, la juridiction administrative se trouvait confrontée au même type de situations, exactement, que lorsqu’elle avait à connaître des interdictions professionnelles imposées par leur statut aux Juifs. D’ailleurs, comme pour ces derniers, des possibilités de relèvement des incapacités qui frappaient les étrangers étaient aménagées par la loi du 17 juillet, notamment au bénéfice des anciens combattants, ces exemptions accordées par décret individuel, sur avis conforme et motivé du Conseil d’État ; en conséquence, à l’identique de la commission du statut des Juifs, une commission spéciale chargée de l’examen des demandes de ces dérogations fut mise en place au sein de l’institution. Cette commission, à croire Georges Maleville qui en fut membre, paraît s’être montrée un peu plus indulgente pour les étrangers que ne le fut son équivalent pour les Israélites, notamment en ce qui concerne les dérogations relatives à des fonctions subalternes ; mais c’est apparemment la même inflexibilité qui y fut observée touchant les postes de responsabilité318.
190295. Au plan juridictionnel de l’activité du Conseil en la matière, on notera d’abord une interprétation des lois d’exclusion des 17 juillet 1940 et 3 avril 1941 qui aggrava la situation des individus naturalisés par ailleurs désireux de se présenter aux divers concours d’entrée dans la fonction publique. En effet, la question se posa de savoir si ces textes avaient abrogé une loi du 19 juillet 1934, qui prévoyait qu’un étranger naturalisé français ne pouvait postuler à un emploi public qu’à l’issue d’un délai de dix années. La doctrine avait pensé cette abrogation acquise319, mais le juge, dans un arrêt Sagave du mois de décembre 1941320, estima que tel n’était pas le cas. Cette intransigeance obligeait les "non-dénaturalisés", y compris les bénéficiaires d’une dérogation aux dispositions de Vichy, à compter, malgré tout, avec le délai de dix ans fixé sous la Troisième République ; en l’espèce, la Haute juridiction admit que le ministre de l’Éducation nationale n’avait pas commis d’erreur de droit en se fondant sur la loi de 1934 pour refuser l’inscription d’une personne naturalisée sur la liste des candidats à l’agrégation.
191Le contentieux des "dénaturalisations", quant à lui, implacable et monotone, se résolut essentiellement, par la déclaration que « le requérant n’est pas recevable à discuter devant le Conseil d’État statuant au contentieux l’opportunité du décret par lequel la nationalité française lui a été retirée » : ce retrait était légal dès lors que l’intéressé n’avait obtenu sa nationalité que postérieurement à la loi de 1927321. Certaines victimes des mesures de dénaturalisation avaient beau faire valoir leur bonne intégration dans la société française – à preuve, ils pouvaient avancer que l’acquisition de leur nationalité remontait à plus de dix ans, ou encore qu’ils avaient accompli leurs obligations militaires de nationaux –, cette tentative restait vouée à l’échec322.
192Le Conseil dut cependant interpréter la loi du 22 juillet 1940. Fort sévère, en décembre 1942, dans une affaire Époux Spaziermann, il considéra que cette loi, en permettant d’étendre le retrait de la nationalité française d’un individu à son épouse et ses enfants, rendait possible que « le décret retirant la nationalité française à des parents naturalisés après la promulgation de la loi du 10 août 1927 [fût], sans excès de pouvoir, [...] étendu à leurs enfants mineurs, bien que ceux-ci ait acquis antérieurement cette nationalité323 ». Dans une même veine jurisprudentielle hostile aux requérants, un arrêt Consorts Katz de mars 1943324 décida que l’absence de publication du décret qui retirait la naturalisation n’entachait toutefois en rien la régularité de cette révision.
193Sans doute ces solutions mal inspirées n’étaient-elles pas contra legem mais seulement prœter – et même trop proches des intentions du législateur vichyssois... Le Conseil, de la sorte, à ceux qui subissaient la xénophobie du régime, opposait une inclémence sans exemple dans le cas d’épurations politiques, où quelques vraies audaces du juge équilibraient des abdications tout de même moins flagrantes ; le libéralisme de la jurisprudence intéressant les libertés économiques paraissait plus lointain encore.
194296. On ne saurait négliger que l’attitude la moins souple du juge, ainsi, touchait un domaine et des mécanismes similaires à ceux de la législation antisémite. La logique des uns et des autres ne différait pas : ni idéologiquement, l’antisémitisme des années 1940-1944 n’étant qu’une variante hypertrophiée du racisme généralisé d’avant-guerre ; ni juridiquement, l’épuration antijuive de l’État français ayant au contraire pris appui sur l’essor préalable de son épuration xénophobe325.
195Dans cet ordre d’idée, du reste, on peut citer une affaire résolue en mai 1941, seul cas porté au contentieux, semble-t-il, qui concernât un internement en camp, non pas prononcé contre un Juif – pas, du moins, en tant que tel, comme dans l’affaire Monossohn de février 1942326 –, mais décidé sur le fondement d’un décret-loi du 18 novembre 1939. L’article 1er de ce texte permettait aux préfets, « en cas de nécessité », d’assigner à résidence, « dans un centre désigné par décision du ministre de la défense nationale et de la guerre et du ministre de l’intérieur », « les individus dangereux pour la défense nationale ou pour la sécurité publique327 ». L’arrêt Dame Koch considéra « qu’en astreignant, par l’arrêté attaqué, la dame Koch, dite Coche-Monosshon, à résider dans le Centre de séjour surveillé de Ricucros (Lozère), le Préfet du Puy-de-Dôme a pris une mesure de police qui entrait dans les limites de sa compétence » ; « d’autre part, qu’aucun texte ne l’obligeait à motiver ledit arrêté, et que l’opportunité de la mesure ne peut être discutée devant le Conseil d’État statuant au contentieux328 ».
196297. Incontestablement, il y avait pour la juridiction administrative, sous Vichy comme sous la République, une place pour la construction prétorienne. De nombreux arrêts le prouvent ; ce sont ceux qui surent constituer une habile insertion dans le champ du contrôle de légalité des nouveautés introduites par le régime quant à l’organisation économique nationale (Monpeurt et Bouguen), une limitation de l’arbitraire du pouvoir par l’interprétation libérale du but d’une loi d’essence pourtant dirigiste (Dame Constantin), la formulation de l’exact objet de dispositions légales dont les écarts seraient comme tels invalidés (Piron), ou l’encadrement de mesures concrètes d’application dans des exigences de procédure déduites d’un tiers texte (Grivel). De l’avant-Vichy à la Libération, de même, la continuité de certaines techniques jurisprudentielles et stratégies juridiques du Conseil d’État est patente : transpositions de solutions antérieures, protection du droit de propriété ou de la liberté du commerce et de l’industrie, rappel du principe d’égalité et de celui de la non-rétroactivité des actes administratifs, contrôle de la réalité des faits ayant motivé une mesure, formalisation de principes généraux du droit auparavant diffus, jusqu’à l’application de la théorie des circonstances exceptionnelles – cette dernière, sollicitée sur un versant certes opposé, qui ménageait non plus les droits des particuliers mais les prérogatives de l’administration, ne s’en exerçait pas moins d’une manière identique aux antécédents d’un contexte démocratique.
197Tout aussi manifestement, au sein de ces matières nouvellement portées dans le prétoire, le sens des initiatives du juge était susceptible de varier selon la nature des affaires traitées : très favorable aux requérants dans le domaine économique, plus nuancé dans le secteur de l’épuration politique, totalement démissionnaire concernant les mesures xénophobes. Suivant cette progression, on pourrait ajouter en fin de liste la mention du contentieux de l’antisémitisme, lequel pour sa part, malgré les exploits, et au-delà de l’atonie, révélait, dans la rigueur, la surenchère qu’on sait.
198298. Or des solutions dégagées par le Conseil comme celles de la jurisprudence des dénaturalisations, à l’instar de ses postures dans le contentieux des décisions antijuives, ont pu s’avérer d’autant plus préjudiciables aux intéressés que, préméditées ou non, et se seraient-elles montrées plus généreuses même, elles participaient d’une fonction légitimante du droit qu’elles appliquaient ou interprétaient. C’était là encore un élément de continuité avec la période républicaine, mais pour des conséquences pratiques bien différentes.
2. Une continuité dans l’involontaire. Un rôle de légitimation du droit
199299. On ne s’étendra pas longuement sur cet aspect particulier, mais essentiel, de la situation institutionnelle du Conseil d’État entre 1940 et 1944 ; le fond tient ici en peu de mots. En appliquant le droit que produisaient les autorités de Vichy, mieux encore : en reconnaissant le plein statut de loi aux actes ainsi dénommés par le régime, et l’incontestabilité qui s’attachait au genre329, la Haute juridiction conférait à ce droit, à ces lois, l’aura de légitimité qu’elle seule, censeur de l’État, pouvait effectivement leur prodiguer alors que, les chambres parlementaires désactivées, la démocratie se trouvait suspendue. Le juge s’adaptait, intégrant d’abord à lui-même la nouveauté, on l’a vu ; ce faisant, il adaptait tout court, intégrait à l’ordre juridique les réformes de l’État français – "anti-droit" compris –, et avant tout les donnait pour assimilables. Ainsi établissait-il le continuum qui reliait sans rupture juridique la République à son contraire. Le changement était matériel, politique, inscrit dans les textes, relatif au contenu ; ces textes, eux, du point de vue de leur forme, en tant que véhicules des réformes, simples "contenants", se voyaient traités comme s’ils étaient de même nature, investis des mêmes effets que leurs prédécesseurs de l’avant-juillet 1940.
200Certes, la loi sous Vichy se résumait de toute façon à... Pétain, comme toute norme, et le Conseil se refusait à en assurer le contrôle ; la légitimation à laquelle il contribuait s’exerçait donc sur un plan purement formel. Elle n’en revêtait cependant que plus d’importance : le symbole de l’État de droit – le respect du Texte – suppléait sa réalité disparue. Et, rendant les règles acceptables par l’ordre juridique d’abord, le juge administratif – selon un processus que les travaux de Danièle Lochak notamment ont mis en évidence330 – les inscrivait par suite comme également acceptables dans la sphère sociale, assurant en quelque sorte le passage du droit aux mœurs, de la représentation juridique à celle des mentalités331.
201300. Les mots que Maurice Gabolde adressait à l’Assemblée générale du Conseil, en 1943, soulignant que l’institution donnait « aux Français des garanties nécessaires332 », révélaient malgré eux, dans leur formulation ambiguë sous le lustre des louanges, que cette dimension légitimante de l’intervention de la Haute juridiction n’était nullement méconnue par le pouvoir. Pour celui-ci, en effet, « la légalité rest[ait] un des enjeux majeurs dans sa concurrence avec la Résistance et le droit un moyen d’imposer sa tutelle et ses réformes à la société, de contrôler l’administration [...] ou encore de compenser son impuissance, la faillite de ses autres moyens d’imposition333 ». Le garde des Sceaux, en l’occurrence, tint des propos qui montraient que les autorités instrumentalisaient le Conseil, en parfaite conscience des bénéfices symboliques qu’elles retiraient à l’associer à la Révolution nationale, au contentieux mais aussi dans son rôle consultatif, les réalités à ce dernier égard n’auraient-elles pas suivies les promesses ; l’apparence, ici comme là, primait le fait334 :
« J’aimerais que chaque Français, qu’il soit appelé à obéir ou, plus encore, à commander, se rappelât que sans vous il n’est trop souvent qu’arbitraire [...] et qu’il fût convaincu de la nécessité de votre existence et de votre activité. J’aimerais aussi que le plein exercice de cette activité fût assuré, du consentement unanime, sans restrictions ni réticences, en fait autant qu’en droit, et que votre beau titre de "premier corps de l’État" fût toujours respecté et riche de sens. Nul n’y pourrait trouver à redire, de ceux qui n’ont d’autre but, en usant de leur pouvoir, que la réalisation du bien commun. [...] Ainsi serait assuré, ainsi doit être assuré, c’est la volonté du Gouvernement, dans le respect de l’autorité, le maintien d’une stricte justice. Et faut-il rappeler, Messieurs, que sans cette justice, "les royaumes ne sont, au dire de Saint Augustin, que de grandes réunions de brigands"335 ? »
202Car il serait bien évidemment naïf de prendre cette déclaration au pied de la lettre : même en tenant compte de la sincérité des convictions des hommes de Vichy, celle en particulier de concourir, par les politiques mises en œuvre, à la « réalisation du bien commun », les arrière-pensées percent à même le discours : « la volonté du gouvernement » s’y trouve évoquée dans la même phrase qu’une « justice » qualifiée de « stricte », autrement dit réduite à la puissance qui prétend la porter, alors qu’elle la définit... Georges Dayras – maître des requêtes au Conseil d’État, il occupa durant la période, on l’a dit, les fonctions de secrétaire général du ministère de la Justice – devait lui aussi faire valoir, en une formule significative, que « seul un procès au grand jour peut donner à l’opinion publique l’impression que toute lumière est faite et que justice est bien rendue336 ».
203Du Conseil, que le corps l’ait ou non voulu, le régime avait fait un artisan de l’artificieuse façade d’État de droit qu’il entendait mettre debout. Celle-ci était destinée à dissimuler la vaste entreprise de destruction des libertés publiques qu’on pourrait appeler, pour reprendre la formule d’Augustin citée par Gabolde, le "brigandage" idéologique de l’État français, qui avait tout à gagner à donner l’impression de respecter la légalité – mais une légalité modifiable ad nutum, en réalité, par ceux qui, comme en mauvaise réminiscence de lectures pascaliennes, ne pouvant conformer leurs actions au droit préexistant, édictaient un nouveau droit qui leur était conforme337.
204301. Seul un refus pur et simple d’appliquer ce droit, l’"anti-droit" racial notamment, qui institutionnalisait l’antisémitisme et la xénophobie, eût permis de faire barrage, sinon aux volontés du gouvernement, en tout cas à leur exécution par des moyens principalement juridiques, qui leur conféraient le statut usurpé de l’innocence jusqu’à les parer captieusement des atours du juste. C’était bien sûr, pour le Conseil, une option délicate à tenir :
« Le juge se trouve placé devant une alternative en forme de dilemme : il doit normalement obéir aux lois de l’État et les appliquer, puisque telle est sa mission et qu’il ne doit pas se substituer aux autorités investies du pouvoir de faire la loi ; mais il y a un moment où le simple fait d’appliquer la loi, et donc de faire son métier, le rend complice d’actes moralement répréhensibles. Jusqu’à quand faut-il continuer à appliquer la loi, à quel moment faut-il cesser de l’appliquer ? On pourrait répondre que l’obligation d’appliquer la loi ne vaut qu’à l’intérieur d’un État de droit. Mais [...] le problème qui s’est posé avec Vichy, c’est qu’il y a eu continuité apparente de l’État et du régime légal. Pétain ne s’est pas imposé par un coup d’État, il a été investi par un vote dont on a pu contester plus tard la légitimité, voire [...] la constitutionnalité, mais qui revêtait les formes extérieures de la légalité. La rupture entre la Troisième République et le régime de Vichy ne s’est pas opérée de façon brutale, mais subrepticement, à mesure qu’ont été promulgués des textes qui prenaient le contre-pied de la tradition républicaine. [...] Pour remédier à l’injustice de la loi, il n’y a plus d’autre alternative que d’opter pour l’illégalité... ce qui revient à se renier comme juriste et comme juge338... »
205Surtout, ce type de questionnements rétrospectifs finit toujours par buter sur l’argument de la force, celle que le régime n’aurait peut-être pas hésité à employer pour faire pression sur le juge, même s’il est possible de soutenir que l’autorité d’une contrainte manu militari de Vichy, partant son efficacité, eussent été considérablement diminuées par un refus de collaboration à la Révolution nationale opposé au gouvernement par les institutions issues de la République, le Conseil d’État, dans un tel mouvement, tenant une place symbolique essentielle.
206On doit d’ailleurs observer que la juridiction administrative fut loin d’être seule à légitimer l’État français : toute la fonction publique y contribuait, Vichy, « à la différence d’un régime nazi, se défi[ant] de l’action des partis, mouvements, organisations autonomes et parallèles », pour « compte[r] sur l’administration, la police, le droit, la justice d’État » afin d’« imposer son ordre, ses valeurs, sa représentation du monde et ses luttes339 ». Aussi, on peut penser qu’un "suivisme" moins généralisé de corps de fonctionnaires, en particulier les préfets ou les policiers, qui se trouvaient fortement impliqués dans la mise en œuvre des menées antijuives vichyssoises, aurait certainement mis à mal ces dernières, ou d’autres, en dépit même des exigences de l’occupant340.
207302. Il est cependant notable que les membres du Conseil, en tant que juges, en tant que juristes, disposaient de modèles plus immédiats que ces fonctionnaires : les juridictions judiciaires, et d’une façon générale la communauté juridique. Un éventuel regard sur celles-ci, toutefois, ne pouvait guère que conforter les conseillers dans leur attitude, voire les empêcher d’imaginer quelle autre tenir.
Section II – LES MODÈLES SOCIOLOGIQUES
208303. On ne donnera qu’un aperçu de ce "reste du monde juridique" des années 1940-1944, à travers la question du droit antisémite vichyssois. Ce n’est qu’un contrepoint que l’on propose, l’ébauche d’une analyse ; ils n’interdisent pas la précision factuelle, mais leur objet pourrait justifier plusieurs études autonomes ; certains travaux, sur lesquels on s’appuiera, ont d’ailleurs largement balisé cette approche déjà. Il ne s’agit en somme ici que de dégager des éléments de comparaison valides, parce que non anachroniques, d’avec le comportement du Conseil d’État dans le contentieux des mesures antijuives de Vichy, tel qu’on l’a observé : les modèles objectifs sur lesquels la Haute juridiction a ou aurait pu avoir réglé son action durant cette période, en ce domaine. Ainsi, on évoquera, successivement, ce qu’il en fut des autres juges de l’application des lois raciales, les magistrats de l’ordre judiciaire (§ I), et des autres juristes de la France des années noires, au Barreau ou dans l’Université (§ II).
§ I – Les autres juges de l’antisémitisme. Un droit sous influence
209304. Les temps étaient à la soumission, la magistrature n’y échappa point. Le Conseil d’État, hormis l’épuration de certains de ses membres, et réserve faite de l’obligation, toute formelle et non spécifique, pour les autres, de prêter le serment de l’acte constitutionnel n° 7, avait bénéficié des faveurs de Vichy – en particulier d’un statut qui, en ne modifiant le précédent que pour rehausser le prestige de l’organe, était destiné, au moins dans les discours de ses promoteurs, à en affermir le rôle dans l’organisation politico-administrative. Les efforts du régime pour contraindre les juges judiciaires à suivre sa ligne idéologique, sans exclure la séduction, se révélèrent plus directement autoritaires s’agissant d’un corps plus nombreux, plus hétérogène, par conséquent moins aisément affiliable (I). Pourtant, à l’égard des lois antisémites en particulier, la pression politique ne suffit pas toujours à brider la capacité d’émancipation des tribunaux, que certaines décisions révélaient effectivement intacte (II).
I. La soumission par Vichy de l’ordre judiciaire. "Une magistrature encadrée"
La justice n ’est qu ’une branche de l’administration, et une branche inférieure.
Pierre Pucheu 341
210305. Dans l’ensemble, la mise au pas des magistrats par l’État français se montra sévère. À la tentative de domestication des hommes, pour l’essentiel une forte épuration, les autorités ajoutèrent une réorganisation du corps et des institutions judiciaires, non moins drastique342
Un corps purgé
211306. À l’instar de l’administration en général et du Conseil d’État notamment, la magistrature se vit en effet épurée par le gouvernement de Vichy. La masse des effectifs explique qu’ait été appliquée aux juges judiciaires une palette de dispositions plus étendue qu’à leurs homologues de l’ordre administratif. Concrètement, la purge s’effectua sur le fondement des deux lois du 17 juillet 1940 – le processus de "dénaturalisations"-épuration xénophobe et le dispositif du relèvement discrétionnaire de fonctions –, ou pour la raison de l’appartenance des intéressés à une loge maçonnique, puis en application des statuts des Juifs d’octobre 1940 et de juin 1941 (on se souvient que les conseillers d’État n’avaient subi que la deuxième loi de juillet 1940 et les interdictions du statut d’octobre)343.
212Plus variées qu’au Conseil, les mesures d’éviction touchant les magistrats judiciaires ne furent toutefois pas, proportionnellement, plus nombreuses ; l’importance des chiffres se trouve avant tout justifiée, là encore, par l’importance des effectifs. L’épuration entreprise n’en était pas moins vaste :
« Au total, ce sont 294 magistrats, juges de paix et suppléants qui ont été sanctionnés par les diverses lois d’épuration de Vichy. Concernant les seuls magistrats, 209 ont été sanctionnés dont 41 ont bénéficié sous Vichy de mesures de réintégration (soit un cinquième des sanctionnés). Sur les 3 420 magistrats de France et d’Afrique du Nord dénombrés dans l’Annuaire de la magistrature de 1939, les épurés, c’est-à-dire les sanctionnés non réintégrés, représentent 5 % [...]. Le parquet et le siège ont été frappés en des proportions identiques. Tous les niveaux de la hiérarchie ont été concernés. La Cour de cassation, notamment les conseillers, a été proportionnellement plus frappée que la moyenne. Les cours paraissent un peu plus touchées que les tribunaux [...]. La loi du 17 juillet 1940 supprimant les garanties d’emploi de la fonction publique, avec 140 sanctions dont 107 à l’encontre de magistrats, fonde environ la moitié des mesures d’épuration. [...] Le[s deux statuts des Juifs] fondent 93 sanctions dont 61 à l’encontre de magistrats. Les mesures anti-maçonnes ont provoqué 52 sanctions dont 39 concernant des magistrats344. »
213Encore ces chiffres ne rendent-ils pas compte des départs, volontaires en apparence, en fait directement liés à l’épuration, qu’ont alors pu représenter les mises à la retraite demandées de manière anticipée, et obtenues, par certains magistrats ; à l’humiliation d’une exclusion autoritaire, ces derniers auront sans doute préféré une sortie à leurs yeux plus digne, bien qu’en réalité elle fût constitutive un arrangement avec les autorités vichyssoises345.
214Cependant, l’intensité de l’épuration de la magistrature se mesure surtout en termes de permanence durant la guerre. Contrairement à la brièveté de celle qu’avait subie le Conseil d’État, entièrement réglée entre août et novembre 1940, ce ne fut que l’essentiel de la purge judiciaire qui, commencée au même moment, se déroula jusqu’en octobre 1942 : le mouvement se poursuivit en 1943 et 1944. Bien sûr, le nombre d’agents continue d’expliquer largement cette extension temporelle, et sûrement, en partie, la difficulté de faire appliquer rapidement parmi eux les textes d’épuration346. Néanmoins, il semble rester significatif de la fermeté qui animait les dirigeants de l’État français que « des sanctions [aient été] prises à l’encontre des magistrats [...] jusqu’à l’été 1944, maintenant ainsi une pression constante347 ».
« En conjuguant les effets des lois du 17 juillet [et du 3] octobre 1940, les mois de novembre et décembre 1940 avec respectivement 33 et 98 sanctions constituent les sommets de la période ; 10 sanctions sont prises en juin 1941, le mois du second statut ; 27 autres en septembre 1941 avec la publication au J.O. des premières listes de dignitaires de la franc-maçonnerie... »
215307. À ces vagues d’évictions, le Conseil d’État s’était d’ailleurs trouvé indirectement associé, les commissions consultatives spécialement instituées en son sein amenées, le cas échéant, à se déterminer sur les demandes de dérogations prévues par les textes, statut des Juifs ou loi xénophobe du 17 juillet 1940. Touchant cette dernière, l’institution, en avril 1941, rendit huit avis négatifs ; en mai et juin suivants, cependant, dix-huit autres se prononçaient favorablement à l’exemption des magistrats en cause348.
216308. Quant aux réactions des non épurés, la norme dans la magistrature semble avoir consisté en une impassibilité analogue à celle qu’on a constatée pour le corps du Conseil d’État confronté à l’exclusion de ses propres membres :
« Aucune pétition de magistrats en faveur de collègue sanctionné ne figure dans les dossiers personnels. Ce sont des magistrats honoraires qui adressent les rares courriers personnels appuyant les demandes de réintégration de leurs anciens collègues sanctionnés [...]. Quelques magistrats expriment leur solidarité avec les sanctionnés notamment lors de l’audience solennelle de rentrée des cours d’appel [...]. Cette pratique semble avoir été combattue, car l’éloge funéraire d’un conseiller juif qui devait avoir lieu conformément aux usages lors de l’audience solennelle de 1943 ne sera faite qu’après la libération de Paris. Vichy semble alors en effet avoir porté attention à ces discours en 1943 et c’est ainsi qu’un président de chambre, ayant insisté sur l’indépendance de la magistrature, ce qui n’eut pas l’heur de plaire au préfet, est relevé de ses fonctions une semaine plus tard. Ces rares initiatives individuelles sont d’autant plus courageuses qu’elles ne sont pas couvertes par une quelconque protestation collective. [...] Face aux diverses mesures d’exclusion, la magistrature en tant que corps n’exprime pas de protestation349... »
217309. Épurés, les magistrats judiciaires, comme toute l’administration et comme le Conseil d’État encore, durent aussi prêter le serment de fidélité à l’État français ou à Pétain, imposé par le Maréchal à l’été 1941. En mars 1942, dans le même esprit, quelque peu redondante, une circulaire du garde des Sceaux demandait aux chefs de cour, entre autres, « de lui faire connaître s’ils "étaient dévoués aux principes de l’ordre nouveau et fidèle à la personne du chef de l’État"350 ».
218On ne redira pas ici la faible signification revêtue par ces engagements collectifs forcés. Les déclarations spontanées d’allégeance au régime, elles-mêmes, pouvaient n’être alors que l’effet d’un calcul nécessaire à éviter l’exclusion351. Tout au plus peut-on relever, en sens contraire, le courage d’un magistrat, Paul Didier : seul parmi ses trois mille quatre cents pairs, il refusa la prestation de serment exigée de lui ; révoqué sur-le-champ, il fut par la suite interné en camp352.
Un ordre réorganisé
219310. Au-delà d’une épuration qui, par nature, était destinée à éliminer les éléments individuels jugés indésirables, l’ordre judiciaire se vit sensiblement réorganisé en tant que tel, par des mesures institutionnelles et un renouvellement des pratiques politiques à la fois. Les unes comme les autres tendaient à assurer l’adhésion des magistrats influents aux visées du pouvoir en place, plus efficacement que la fidélisation officielle réalisée par voie de serment et autres déclarations d’une sincérité mal certaine.
220Au premier plan – celui des réformes les plus officielles –, les juridictions d’exception spécialisées se multiplièrent ; sans être exhaustif, on en mentionnera les plus marquantes. Ainsi, d’abord, des redoutables "sections spéciales" : destinées à juger les activités de résistance, y compris, en pleine violation du principe de non-rétroactivité, les faits antérieurs à leur création, elles n’étaient pas tenues de motiver leurs décisions, qui pouvaient conduire à la prison ou à la mort. Ainsi, également, des "tribunaux spéciaux", juridictions incongrues, hétéroclitement chargées des affaires d’agressions nocturnes puis de détention d’armes et de marché noir. Dans le champ de la justice politique, on relève le très symbolique "Tribunal d’État", composite de militaires en retraite, d’anciens ambassadeurs et de préfets, devant lequel le gouvernement devait traduire, en synthèse, les ennemis de la France ; d’autre part l’éphémère "Cour suprême de Justice", installée à Riom pour juger les anciens dirigeants de la Troisième République, en tant qu’ils étaient responsables de la défaite militaire (le procès, finalement, fut ajourné sine die par les autorités, les accusateurs mis en cause autant que les accusés). On pourrait encore évoquer la Cour martiale de Gannat, qui jugeait les gaullistes d’outremer, ou les "cours criminelles extraordinaires", etc. :
« Construite avec le temps et en fonction des besoins qui se font sentir jour après jour – on pourra compter jusqu’à dix juridictions d’exception, dont neuf auront des compétences en matière politique (tout d’abord le chef de l’État lui-même...) – la justice d’exception va former un magma complexe et incohérent avec des tribunaux météores, d’autres carrément mort-nés et certains plus durables353... »
221311. Au second plan – s’agissant de la gestion des carrières –, dans le prolongement de dispositions de 1939 qui après le déclenchement de la guerre avaient suspendu, pour la durée des hostilités, l’établissement du tableau d’avancement des magistrats et des juges de paix354, « en l’espace de quatre ans, plusieurs lois intervinrent fixant à titre temporaire le recrutement et l’avancement355 ». Ces textes posèrent « le principe que les magistrats pourraient accéder à l’échelon immédiatement supérieur sans être inscrits au tableau d’avancement, à la seule condition qu’ils aient accompli deux ans dans leurs fonctions » ; il était admis que « les catégories de magistrats [...] susceptibles [...] de franchir en une seule fois plusieurs degrés conservent ce privilège » ; « les magistrats qui appartenaient aux degrés se situant dans la seconde moitié de la hiérarchie pouvaient être nommés à l’une quelconque de ces fonctions et non pas seulement à l’une de celles se situant à un degré immédiatement supérieur » :
« Toutes les manœuvres étaient possibles et tous les espoirs étaient permis ! Il n’existait plus aucun filtrage au niveau national par l’intervention d’une commission de classement. Le garde des Sceaux pouvait pratiquement nommer n’importe qui à n’importe quelle fonction ou, a contrario, n’accorder aucune promotion. »
222C’est grâce à cet accommodant dispositif que Vichy procéda à une considérable réorganisation interne de la haute magistrature, « vaste mouvement judiciaire [...] jouant sur les départs à la retraite, les épurations, les mobilisations militaires356 ». Dans ce domaine, le régime met en œuvre à l’été 1940, sous l’impulsion de Raphaël Alibert, une « politique idéologique et "revancharde" » de nominations et de promotions de type clientéliste, favorisant un « marquage explicitement politique », qui permet aux « magistrats les plus dévoués, les plus sûrs et les plus adaptés » de bénéficier d’avancements privilégiés, alors que sont marginalisés les « magistrats jugés peu sûrs », leurs carrières figées. « Cette période marque l’annexion, par un réseau politico-amical d’hommes proches de l’Action française ou partisans de la Révolution nationale, des fonctions stratégiques pour la gestion du corps et le fonctionnement de la justice... »
223L’entrée en fonction de Joseph Barthélémy « perpétue » cette situation, à la fois, et installe « un cabinet organisé selon un autre type de solidarité politico-amicale », dans un esprit moins « ultra de la Révolution nationale », pour « une gestion plus traditionnelle que traditionaliste, moins militante que "notabilière" [et] qui ne dédaigne pas un certain clientélisme local ». Maurice Gabolde, quant à lui, se partage entre les égards que son statut de magistrat l’oblige à ménager pour « l’attachement de ses pairs aux garanties statutaires », et « ses engagements militants » qui poussent « des lavaliens aux postes stratégiques de la chancellerie357 ».
224Cette « politique d’encadrement » est parachevée avec la création, fin 194 3358, de l’Inspection des services judiciaires, qui reçoit la charge d’« assurer un contrôle fonctionnel des organismes judiciaires et administratifs relevant du ministère de la Justice », mais aussi « un contrôle sur le personnel judiciaire lui-même » ; dans cette dernière mission, le nouveau service doit notamment « établir des notices sur les magistrats et peut proposer, proprio motu, des sanctions individuelles359 ».
225312. Dans ce contexte, outre leur adhésion proclamée aux entreprises vichyssoises, la participation effective des magistrats se trouve fortement encouragée, de même que celle des autres professionnels utiles à la promotion des visées de la Révolution nationale. Aussi, comme de nombreux fonctionnaires, et notamment de nombreux conseillers d’État, certains s’enrôlent de façon marquée dans l’action du régime360. Ils le font dans l’administration, avant tout aux postes de direction du ministère de la Justice, où ils s’épanouissent en quelque sorte naturellement – à commencer par le plus célèbre d’entre eux, Gabolde, titulaire du portefeuille à partir de mars 1943 et jusqu’à la chute de l’État français ; ils peuplent également les cabinets ministériels, tel Jean Delvolvé, conseiller de Raphaël Alibert, qui à la fin de l’année 1940 se voit d’ailleurs nommé, par le tour extérieur, maître des requêtes au Conseil d’État361. On en rencontre encore dans les "institutions d’accompagnement" du régime, la Légion française des combattants, l’Ordre de la francisque, d’autres entités semblables362.
226Le plus marquant, cependant, reste le volontariat, qui se développe afin de pourvoir aux nouveaux emplois qu’entraîne la création des juridictions d’exception. Car « Vichy ne privilégie pas systématiquement des convictions ou des patronages politiques, il consacre aussi et d’abord la capacité de servir judiciairement ses objectifs politiques [et] tente ainsi de constituer à l’intérieur du corps judiciaire un personnel spécialisé dans la répression d’exception » ; celui-ci pourra « servir de vivier pour les promotions », puisque le régime « favorise les magistrats qui acceptent de siéger dans ces tribunaux363 ».
227313. . Pourtant, on a pu montrer que la relation de l’État français à la magistrature s’est « soldée par un échec relatif, à moins que ce ne soit un demi-succès364 ». D’une manière générale, en effet, le résultat de cette politique de répression-séduction n’a vraisemblablement pas été à la mesure des moyens déployés, comme l’illustre bien, en particulier, la jurisprudence judiciaire de l’antisémitisme vichyssois.
II. La réaction de l’ordre judiciaire aux lois antisémites. Des décisions contrastées
Le gouvernement se plaint de ne pas trouver dans la magistrature la totalité de la collaboration qu’il est en droit d’attendre.
Joseph Barthélémy 365
228314. Nul doute que l’objectif premier officieusement assigné par Vichy aux tribunaux judiciaires se trouva atteint. Non plus que le juge administratif, les magistrats ne refusèrent pas d’appliquer et d’interpréter les lois du régime, ils s’abstinrent d’en effectuer le contrôle au regard de normes prééminentes, par exemple les exigences fixées par la loi du 10 juillet 1940 ou les droits proclamés dans la Déclaration de 1789 ; dès lors, ils contribuaient à légitimer les énoncés que ces lois contenaient, juridiquement d’abord, par suite politiquement, peu à peu socialement. Le gouvernement de Pétain avait besoin de cette caution symbolique, qui assurait une normalisation apparente de son action ; les juges – tous les juges – la lui donnèrent, répondant dans le sens attendu à l’« enjeu de pouvoir » et de « transfiguration » intrinsèquement attaché, dans le champ socio-politique, à l’exercice de la fonction juridictionnelle366.
229Ainsi, dans le domaine du droit antisémite, ou de l’"anti-droit", il est certain qu’« en acceptant d’appliquer et d’interpréter les textes qui définissaient le "Juif, ils ont contribué à faire admettre comme évidente l’idée que les juifs étaient d’une espèce – d’une "race"... – différente, qu’ils n’étaient pas des citoyens comme les autres, pas des sujets de droit comme les autres, et finalement pas des hommes comme les autres367 ». Suivant cette logique, les magistrats qui avaient accepté de siéger dans les juridictions d’exception de l’État français, sans toujours en avoir la conscience peut-être, banalisaient l’exception même.
« Plus, il en est qui participant, organisent même, l’arbitraire et la négation de la justice. [...] Un procureur écrit ainsi à un préfet : "Cette décision (deux acquittements par une section spéciale) n’est susceptible d’aucun recours. Je continue cependant à être persuadé de la culpabilité de ces deux individus et il me paraît inadmissible qu’aucune sanction n’intervienne. J’ai cru donc nécessaire de vous signaler cette situation en vous demandant de bien vouloir examiner s’il ne vous serait pas possible, indépendamment de sanctions administratives que pourrait comporter, à vos yeux, l’attitude de ces employés (de préfecture), de prendre contre eux une décision d’internement"368. »
230315. Toutefois, les magistrats sont traditionnellement moins ouverts sur l’administration active, plus distants des lieux du pouvoir, que d’autres fonctionnaires (dont singulièrement les membres du Conseil d’État) ; généralement loyaux envers les gouvernements, au-delà du strict respect du droit, par sentiment du devoir que leur impose leur charge, ils se montrent également soucieux, d’ordinaire, de cultiver la discrétion de « vertus sans éclat369 ». Aussi, le soutien qu’ils apportèrent à Vichy fut bien réel – leur discipline, leur obéissance y suffisaient, et qu’ils remplissent leur tâche de juges sans protester contre le caractère despotique de la restructuration de l’ordre judiciaire, ni contre l’épuration et la gestion politisée du corps –, mais ce fut un soutien modéré.
231C’est ainsi, d’abord, que les engagements individuels au sein des différents services ministériels et des organisations para-administratives, malgré la puissante incitation des autorités et des exemples sans doute trop prestigieux, demeurèrent rares, jouant davantage auprès des notables du régime que du côté des partis extrémistes. De la même façon, les initiatives qui procédaient d’un certain fanatisme de la répression, dont les auteurs naturels étaient portés à présenter leur candidature aux juridictions d’exception, restèrent le fait d’une minorité, et s’étiolèrent progressivement à mesure que l’État français s’avança dans une agonie plus manifeste370.
232C’est de la sorte également que les juges de droit commun, malgré la forme de légitimation ipso facto qu’ils décrivaient dans l’ordre du symbole, surent intervenir opportunément, parfois, pour subvertir l’arbitraire de l’édifice juridique vichyssois dont ils se trouvaient en principe en charge d’assurer le maintien ; ce fut du moins le cas concernant la législation antisémite.
233316. Au regard des revues juridiques de l’époque371, et si l’on tient compte des affaires intéressant la mise en œuvre des ordonnances des autorités d’occupation – dont par définition le Conseil d’État, lui, ne pouvait connaître372 –, les juridictions de l’ordre judiciaire connurent d’affaires d’antisémitisme dès le printemps 1941373. Du contentieux suscité par les seules lois de Vichy, les premières décisions apparaissent à la fin de la même année, en novembre-décembre, instances civiles et pénales confondues374.
234Ce n’est pour l’essentiel qu’à ce contentieux spécifiquement vichyssois qu’on s’attachera ici, les affaires qui mettaient en cause les textes nazis ne recouvrant pas exactement les mêmes enjeux politiques, quoique les aspects techniques s’avèrent assez proches. Bien sûr, la dimension symbolique était pour l’Allemagne et pour Vichy comparable : dans les deux cas, il s’agissait de faire appliquer un droit d’exception par des juridictions ordinaires, lesquelles contribueraient ainsi à sa légitimation375. Du côté allemand, l’objectif se trouvait d’ailleurs renforcé : dans le même temps, il s’agissait de faire sanctionner par les tribunaux d’un pays occupé l’application de textes édictés par ses autorités d’occupation ; sans vraiment banaliser le pouvoir exercé par ces dernières, l’opération soulignait du moins la puissance qu’elles tiraient de leur victoire.
235Cependant, du point de vue de la psychologie judiciaire, on peut raisonnablement penser qu’une chose parut alors de faire respecter le produit normatif du gouvernement français – un gouvernement ultra-autoritaire et liberticide, certes, mais directement issu de la République, fût-ce à l’occasion de la guerre –, une autre de faire respecter l’émanation juridique des volontés de l’envahisseur, autrement dit, en l’occurrence, un authentique diktat 376. Par ailleurs, on conçoit facilement qu’il pût y avoir quelque différence assez nettement éprouvée entre, d’une part, chercher à endiguer l’iniquité des lois discriminatoires d’un régime de plus en plus évidemment aux ordres de Berlin, et qui par surcroît allait de plus en plus clairement témoigner de sa fragilité, et, d’autre part, tenter de s’opposer à la mise en œuvre des règles fixées par les donneurs d’ordres eux-mêmes, que tout porta à croire tout-puissants, presque jusqu’au bout. Même si, ces nuances d’importance conservées à l’esprit, rien n’empêche les comparaisons, on ne saurait donc mettre sur un plan identique, pour en apprécier la portée politique en tout cas, la jurisprudence judiciaire afférente au droit antijuif nazi et celle qui concernait les mesures de Vichy en la matière ; seules les dispositions écrites de part et d’autres adoptées peuvent être, elles, mises à égalité – encore est-ce à la condition de ne pas entrer dans leur détail377.
236317. Dans ces affaires relatives aux textes d’origine française, des courants jurisprudentiels à la vérité très différents paraissent s’être formés au sein de l’ordre judiciaire, du moins esquissés. Des décisions en cause378, ainsi, certaines se révèlent aussi timorées que la majeure partie des arrêts rendus par le juge administratif dans le contentieux des mesures relevant de sa compétence, quelques-unes, même, hostiles autant que les pires de ces arrêts. Mais on trouve également un nombre non négligeable de décisions bien plus audacieuses, et ingénieuses, qui découvrent une intention manifeste de circonvenir la légalité infernale née de "l’anti-droit". Cette dernière tendance semble surtout le fait de juridictions répressives, où l’on inclut la chambre criminelle de la Cour de cassation379 ; les autres – en pratique, les juridictions civiles et commerciales – ne révèlent pas aussi nettement cette propension à protéger les Juifs malgré les lois raciales, à défaut de pouvoir les défendre là-contre.
237C’est ce qu’on s’attachera à montrer380, après une mise au point sur le principe même de la compétence des tribunaux judiciaires en ce domaine.
La compétence de l’ordre judiciaire
238318. On a déjà relevé la double concurrence de compétence qui exista, durant toute la période, entre les juridictions judiciaires et le Conseil d’État : quant à l’appréciation de la qualification légale de la judéité d’une part, le Conseil opérant dans un secteur qui, selon une certaine analyse, aurait pu ou dû relever du judiciaire ; d’autre part au sujet de l’aryanisation économique, quelques tribunaux empiétant sur les attributions de principe du juge administratif381. Sur le premier point – l’appréciation de la judéité des personnes –, il est notable qu’en janvier 1944 le Tribunal civil de la Seine, dans un jugement Consorts Bass 382, en soit venu à poser le principe d’une compétence exclusive de l’ordre judiciaire par voie d’action ; plus précisément, « qu’en l’absence de dispositions spéciales attribuant compétence exclusive aux tribunaux administratifs pour connaître des demandes tendant à la détermination de la race, ces demandes doivent être portées devant les tribunaux civils compétents », « tribunaux de droit commun ». En conséquence, le jugement rejeta le déclinatoire de compétence qu’avait opposé à l’instance le préfet de police.
239L’argumentation développée à l’appui de cette solution, très détaillée afin de répondre à chacun des nombreux moyens qu’avait soulevés le préfet pour soutenir que seul le juge administratif pouvait être valablement saisi de la question, élabore un véritable petit traité de la compétence judiciaire regardant la qualification de "juif", suivant le critère du statut. Les juges parisiens ont notamment fait valoir, d’une part, que l’état des personnes, qui justifie cette compétence, « est constitué par l’ensemble des qualités inhérentes à la personne, que la loi prend en considération pour y attacher des effets juridiques », et que « sont nécessairement au nombre des éléments constitutifs de cet état la race et la religion, à raison des effets juridiques que ces deux éléments sont susceptibles de produire », compte tenu des lois raciales ; d’autre part, que, « quelles que soient les difficultés d’interprétation qu’elles peuvent présenter, les questions de filiation auxquelles sont étroitement liées les questions de race, puisque la loi du 2 juin 1941 fait dépendre la qualité de juif ou d’aryen notamment de la race des grands-parents de l’intéressé383, sont en toute hypothèse de la compétence des tribunaux civils » : « il est donc sans intérêt de rechercher, ainsi que le propose le préfet de police, si une difficulté d’interprétation résulte ou non de l’application de la loi du 2 juin 1941 » – difficulté qui, en l’état du droit jurisprudentiel réglant la matière384, aurait imposé la saisine du juge administratif. N’hésitant pas à recourir à l’ancien droit, les juges ont aussi exposé « qu’en alléguant qu’à aucune époque la question d’appartenance à une confession déterminée et plus particulièrement à la confession juive n’a été considérée comme constituant l’un des éléments de l’état des personnes, le préfet de police omet la période du Moyen âge où la qualité de juif produisait déjà des effets juridiques certains et faisait ainsi partie de l’état des personnes », et « qu’en 1718 et 1777 des lettres patentes spéciales aux Juifs de Metz leur assignèrent, pour demeurer, un quartier de la ville, leur concédèrent certains droits et leur imposèrent certaines charges385 ».
240Enfin, le jugement Bass faisait référence à la jurisprudence du Conseil d’État : d’une part, « deux arrêts en date du 28 juillet 1820 et du 18 avril 1821 », par lesquels la juridiction administrative s’était déclarée incompétente « pour connaître de la question de la racialité » où avait tenté de l’entraîner des « recours formés par d’anciens membres de la communauté juive de Metz » ; d’autre part, quoique sans les citer nommément, les arrêts rendus sous Vichy qui intéressaient le sujet. C’était sur ces derniers que le préfet de police avait appuyé son déclinatoire, mais le Tribunal releva qu’ils n’avaient traité « qu’incidemment de la question de la race, à propos d’un recours exercé contre une décision de l’administration [..., ] en vertu de l’adage "le juge de l’action est le juge de l’exception" », et que, de la sorte, « cette jurisprudence ne saurait avoir pour conséquence de soustraire la connaissance de ces questions d’état aux tribunaux civils, qui conservent la plénitude de juridiction » à cet égard386.
241319. Pareille force dans la démonstration était-elle seulement liée au souci de respecter les règles classiques du partage des compétences entre ordres, ou faut-il y voir également l’intérêt pris par les juges à la garantie des droits des Juifs, qui pouvaient gagner à la compétence judiciaire387 ? – L’efficacité de la prise de position, en tout cas, se trouvait favorisée par l’attitude simultanément adoptée sur la question par les juridictions répressives. Celles-ci, dès le début de la période, avaient déployé une habile politique jurisprudentielle de défection, qui consistait d’abord dans la mise en avant de leur compétence strictement pénale. Une compréhension rigide de cette spécialisation institutionnelle dans l’organisation judiciaire, en effet, les conduisait à estimer que l’identification d’un individu au regard du critérium légal de la judéité, en tant qu’elle soulevait un problème d’état des personnes, concernait au principal les tribunaux civils ; un juge répressif ne devait en connaître que par exception, lorsque la résolution même de l’affaire criminelle portée devant lui le réclamait, et pour autant encore qu’elle ne soulevait pas de difficulté sérieuse388.
242320. Quant à l’aryanisation économique, source d’un abondant contentieux judiciaire389, la répartition des compétences dessinée par les juges, civils et commerciaux en l’occurrence, semble avoir été plus confuse. Les administrateurs provisoires nommés par le Commissariat général aux Questions juives, mis en cause, répondirent « très souvent en invoquant l’incompétence des juridictions de l’ordre judiciaire [...], ce qui [amena] les tribunaux à faire des distinctions très subtiles entre les différents types de contestations ». De la sorte, il fut jugé que « si, aux termes de l’article 7 de la loi du 22 juillet 1941, l’administrateur provisoire est responsable devant les tribunaux judiciaires, comme un mandataire salarié, conformément aux règles de droit commun, ses actes de gestion ne paraissent tomber sous le coup de la sanction judiciaire que dans la mesure où il s’est exposé, par sa faute, à une réparation du dommage qu’il a pu causer390 » ; pour le reste, « dans l’exercice de ses fonctions, il agit à ses risques et périls et sous le seul contrôle de l’autorité administrative ». Par conséquent, le président d’un tribunal civil statuant en référé s’avérait incompétent pour ordonner de surseoir à la vente des biens d’un Juif diligentée par l’administrateur séquestre391, ou pour désigner un expert en vue de vérifier l’exactitude des appréciations de cet agent392. De même, l’autorité judiciaire, en principe, ne pouvait apprécier la légalité d’une telle vente aux fins de reconnaître la constitution d’une voie de fait, non plus que, d’une manière générale, elle n’aurait valablement su « discuter le bien-fondé [d’une] mesure ordonnée par le commissaire général aux Questions juives », la nomination d’un administrateur ou les actes qui s’ensuivaient : toute « question de cette nature [...] ne [pouvait] ressortir qu’au contentieux administratif393 ».
243321. Certaines décisions, cependant, admirent que le juge des référés était compétent pour faire constater, par voie d’expertise, l’existence, dans un local commercial "aryanisé", d’objets non compris dans l’inventaire dressé par l’administrateur provisoire394, voire l’absence, un an après la prise en charge, de tout inventaire des biens395. Surtout, dans un courant dissident aux règles qui viennent d’être énoncées, il fut jugé qu’en cas d’urgence, et si la contestation semblait sérieuse, le sursis à la vente pouvait être ordonné, « en faveur du droit de propriété placé sous la protection de l’autorité judiciaire396 » ; c’est dans ce mouvement qu’il faut ressituer la décision qui, ayant abusivement sollicité la théorie de la voie de fait, avait amené le Tribunal des conflits à intervenir, à la toute fin du régime de Vichy397. Plus encore, on observe qu’en présence d’actions engagées par des tiers non juifs, qui revendiquent les biens placés sous séquestre – des conjoints des propriétaires juifs spoliés, mais aussi des candidats malheureux à l’acquisition de ces biens –, des juridictions de droit commun se déclarent en tant que telles compétentes pour connaître des actes pris dans sa gestion même par un administrateur provisoire du C.G.Q.J. – en particulier à partir de 1944, moment d’une affirmation de l’ordre judiciaire à cet égard, semble-t-il, si l’on s’en rapporte encore au jugement Bass précité. La compétence est arrêtée au motif soit, par défaut, que l’administrateur « n’est à aucun titre un fonctionnaire public, ni ne prend part à un service public, mais [...] n’est qu’un simple particulier, chargé d’administrer et de liquider des biens privés398 », soit, de manière directement positive, que les litiges dont il s’agit mettent en cause des ventes immobilières civiles399.
244Une partie du contentieux de l’antisémitisme paraît ainsi avoir été soustrait au juge administratif. Cela ne semble pas particulièrement avoir été au détriment des requérants juifs, mais parfois, au contraire, tout à leur avantage.
La jurisprudence des juridictions civiles et commerciales
245322. Touchant le fond du droit, on voit les juges civils et commerciaux, « dans la plupart des décisions publiées, [...] se cantonner, vis-à-vis des textes antisémites, dans un mode d’interprétation froid, logique, "neutre"400 » – froid plus ou moins, car probablement plus ou moins neutre.
246323. α) L’appréciation de la judéité ou de la "non-judéité", au regard des critères légaux – dans les décisions citées ci-après, plus précisément, les dispositions du statut de 1941 –, pouvait être requise par voie d’action directe comme menée, aussi bien, à l’occasion de tout type de contentieux, par exemple dans des affaires qui intéressaient au principal des mesures d’aryanisation économique401. Les juridictions s’en sont souvent tenues à l’exégèse du texte de la loi, ne déclarant "non juifs" les intéressés que lorsque faisaient défaut les éléments nécessaires à la qualification positive402. On peut toutefois remarquer un souci, qui au reste était bien le minimum, de ne donner qu’une interprétation restrictive au texte d’exception que représentait le statut des Juifs. La démarche s’avérait favorable aux demandeurs en tant qu’elle interdisait d’instaurer une "présomption de judéité", notamment à l’égard de parents inconnus dont la recherche – partant, celle de leur "race" ou confession – se trouvait par ailleurs prohibée par le Code civil ; cette solution constituait l’inverse de la moins sympathique jurisprudence Maxudian-Rosengart du Conseil d’État403.
247324. D’une lecture trop stricte des textes pouvaient cependant naître des effets pervers, tel celui de n’autoriser que les moyens de preuve expressément spécifiés. C’est ainsi que, contrairement aux décisions d’autres juridictions, contrairement en particulier à la position que le Conseil d’État, se montrant ici moins sévère, adoptait dans le même temps sur le problème404, le Tribunal civil de Rabat, par un jugement Lévy du 17 décembre 1941, retint la judéité d’une personne née de deux grands-parents juifs alors que celle-ci, athée, avait établi n’avoir jamais adhéré à la religion israélite : les juges, malgré l’avis inverse du rapporteur, interprétaient le statut antisémite comme autorisant « l’adhésion à l’Église catholique ou à l’Église réformée de France ou à l’Église de la confession d’Augsbourg » pour « seul mode de preuve positif admis par le législateur » afin de démontrer « la non-appartenance à la religion juive de l’individu né de deux grands-parents juifs405 ». Pis, selon le même tribunal, le rattachement à la confession catholique ou protestante n’était constitutif d’un moyen de preuve opérant que dans la mesure où il s’avérait effectif : par exemple, la circonstance qu’il ait été baptisé n’était pas estimée suffire à prouver la non-judéité d’un homme circoncis406 ; un mariage effectué selon les formes canoniques, en revanche, authentifiait la réalité de l’appartenance à la religion catholique407.
248325. β) En matière d’aryanisation économique, un esprit général qui tend bien davantage à la protection des victimes se détache des nombreuses décisions rendues. On peut avant tout remarquer, suivie par l’ensemble des juridictions civiles, la jurisprudence relative à la capacité d’ester en justice des Juifs dont les biens avaient été ou allaient être frappés par une mesure d’aryanisation : cette capacité, en effet, fut toujours admise, à l’ordinaire implicitement – concrètement, dans toutes les décisions liées au processus d’aryanisation qui, statuant au fond, passaient outre la question sans seulement l’évoquer. Elle trouva même l’occasion de se voir explicitement reconnue dans des affaires où les administrateurs du Commissariat général aux Questions juives la contestaient. C’est ainsi qu’il fut affirmé : d’une part que, « si la nomination d’un administrateur provisoire entraîne le dessaisissement des personnes auxquelles les biens appartiennent ou qui les dirigent, ces personnes peuvent, jusqu’à ce moment, ester librement en justice », et en particulier intenter toute action tendant à défendre les intérêts de leur patrimoine408 ; d’autre part que, la nomination d’un administrateur intervenue, « l’incapacité juridique dont le propriétaire juif est frappé ne joue que dans les limites du dessaisissement et n’équivaut pas à une mort civile », ne le privant donc pas de la possibilité d’agir, entre autres, contre la spoliation, mais « simplement du droit d’exercer [hors l’assistance de l’administrateur] les actions rentrant dans la gestion des biens dont il se trouve dessaisi409 ».
249Si un Juif dont les biens se trouvaient effectivement aryanisés n’était plus en état de mener une action autonome relative à leur gestion410, encore fallait-il que la nomination de l’administrateur ait bien eu pour objet de se substituer à la gestion de ce propriétaire. De la sorte, un agent nommé en vue de « seulement vérifier l’organisation [d’une] société »– – – mesure préalable à l’éventuelle aryanisation de l’affaire si le "besoin" en était constaté –, « sans en prendre la gérance effective », ne faisait pas obstacle à la possibilité de cette société d’agir en justice, dans la mesure où « l’administrateur pourrait intervenir à tout moment de la procédure [...] si ses pouvoirs [étaient] étendus à la gérance » finalement411.
250De cette recevabilité en tant que telles des actions dirigées par des Juifs contre les spoliations dont ils faisaient l’objet, il faut rapprocher les conséquences de fond, également protectrices, qu’emportait par elle-même la jurisprudence qui regardait, en amont du problème, la compétence des tribunaux civils et commerciaux. D’éventuelles voies de fait pouvaient être censurées, véritables ou extrapolées du point de vue de l’orthodoxie juridique ; surtout – il s’agissait là de cas moins exceptionnels –, les juridictions judiciaires se reconnaissaient aptes à satisfaire des demandes qui tendaient à l’injonction de mesures palliatives des carences d’instruction des administrateurs provisoires, d’autre part des actions en responsabilité dirigées contre ces agents à raison des fautes qu’ils auraient pu commettre dans l’exercice de leur mission (cette dernière compétence, il est vrai, commandée par le texte même de la loi d’aryanisation de juillet 1941)412.
251Favorables aux Juifs toujours, plusieurs décisions concordantes assurèrent aux victimes de l’aryanisation le respect, par le C.G.Q.J., des quelques garanties que la loi leur ménageait encore. Il s’agissait d’abord du caractère "inaryanisable" conféré aux « immeubles ou locaux servant à l’habitation personnelle ». La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt Jaudel c/ Gantier de Vasse 413, du reste en harmonie avec la jurisprudence dégagée par le Conseil d’État en la matière414, vint préciser que cette dérogation législative trouvait à s’exercer indépendamment d’une habitation effective, « a fortiori [...] lorsqu’une circonstance, indépendante de la volonté de l’intéressé » – en l’espèce sa mobilisation puis « sa démobilisation en zone non occupée par l’effet de l’ordonnance allemande du 27 septembre 1940 qui interdit aux juifs de revenir en zone occupée415 » – – avait rendu « provisoirement irréalisable » cette présence chez lui du propriétaire, et même s’il s’avérait que ce dernier avait « fait enlever de son appartement la plus grande partie de son mobilier » ; pour les juges, en effet, « cette précaution s’expliqu[ait] suffisamment », en l’occurrence, « par le désir légitime qu’il avait de se soustraire à une dépossession, toujours possible dans les circonstances », tandis que « depuis sa démobilisation [il avait] vécu d’une vie errante et qu’à [cette] heure [...] il résid[ait] encore au Cannet en garni et non pas dans ses meubles », enfin qu’il n’avait « jamais cherché à [...] donner en location » son appartement inoccupé.
252C’est une même intention protectrice qui semble avoir animé les décisions des juridictions qui, insistant vis-à-vis de la loi d’aryanisation, comme elles s’y employaient touchant le statut des Juifs, sur l’interprétation restrictive qui devait être celle d’un texte d’exception, refusèrent d’« ajouter aux dispositions exceptionnelles de cette loi que [...] l’administrateur provisoire de l’entreprise appartenant à un juif [puisse] faire spontanément et de sa propre autorité un dépôt de bilan aux fins de faillite de celui-ci416 ». Une telle procédure, en effet, ne pouvait être avalisée « à moins de disposition nouvelles formelles que la loi du 22 juillet 1941 ne contient pas », la lecture de celle-ci révélant que « la nomination d’un administrateur provisoire n’empêche pas la faillite ou la liquidation judiciaire du commerçant juif [sans] qu’on en [puisse] déduire qu’il appartient à l’administrateur provisoire lui-même de faire déclarer cette faillite » – laquelle, c’était tout l’enjeu pratique de ces affaires, « n’atteint pas seulement les biens du commerçant, mais [...] produit des effets quant à la personne du failli lui-même ».
253Enfin, on peut noter que la preuve de « l’influence juive » qu’était soupçonnée d’avoir conservée une entreprise malgré sa cession, par les propriétaires israélites eux-mêmes, avant la nomination à leurs biens d’un administrateur provisoire, d’une part, fut mise, comme c’était normal, à la charge de l’administrateur qui alléguait le fait417, d’autre part, se trouva appréciée, semble-t-il, sans complaisance pour ce dernier. C’est ainsi notamment que la Cour d’appel de Toulouse, en février 1943418, rejeta comme non probantes les présomptions de fictivité frauduleuse invoquées par un administrateur à l’encontre de la vente d’une société "juive" à une banque "non juive", au motif que le prix aurait été modique alors que l’affaire en cause se révélait en revanche très lucrative et, de plus, que certains Juifs seraient temporairement restés, après la vente, des collaborateurs de cette affaire. Les juges, au contraire, estimèrent en effet : Premièrement, qu’il n’était « pas certain que les [anciens propriétaires aient] eu la possibilité de céder leurs actions à d’autres acquéreurs que la banque [...] et moyennant un prix plus élevé », « les circonstances générales, les aléas particuliers s’attachant à des biens juifs et le nombre des actions à vendre n’éta[n]t pas de nature à faciliter l’opération envisagée par les vendeurs » – alors par ailleurs, relevaient les magistrats au renfort de cette argumentation, que « l’importance du prix n’est pas susceptible de mettre en lumière la fictivité ou la réalité d’une vente », « qu’un prix trop bas peut révéler tout simplement que l’acheteur a profité des circonstances pour faire une opération avantageuse [et] que par contre, en cas de vente simulée, rien n’empêche les intéressés de traiter à un prix normal et même très élevé, puisque ce prix n’est pas sincère ». Deuxièmement, « qu’on s’explique fort bien qu’après la vente des actions et alors qu’aucune loi ne l’interdisait, le nouveau conseil d’administration de la société [...] ait fait appel, pendant quelques mois, à la collaboration de [personnes] qui étaient seul[e]s capables de mettre leurs successeurs au courant des affaires [et] que rien n’autorise à voir dans cette collaboration indispensable, momentanée, et qui d’ailleurs a pris fin avant la nomination d’un administrateur, la conservation par des juifs de la direction et du contrôle de la société », le conseil d’administration de celle-ci ayant en outre été « entièrement composé de non juifs » dès « avant la promulgation de la loi relative aux biens juifs ».
254326. Prévues par l’article 20 de la loi du 22 juillet 1941, les séparations de biens entre époux jusque là mariés sous le régime de l’indivision ou de la communauté, dont l’un devait être regardé comme juif au regard des critères légaux, sa part de biens appelant donc le séquestre, ont par ailleurs constitué un contentieux qui, dérivé du contentieux général de l’aryanisation, paraît avoir été relativement important, lui aussi, et favorable aux particuliers également. Sans entrer dans le détail de solutions qui, souvent, n’intéressaient pour l’essentiel que la technique procédurale judiciaire – recevabilité d’une tierce opposition, modalités de liquidation, etc. –, on relèvera néanmoins ce courant jurisprudentiel, à peu près constant durant la période, dont purent profiter tous les conjoints d’un Juif (et, indirectement, les Juifs concernés eux-mêmes419) : le délai expiré que fixait l’article 20 pour demander la séparation de biens, le « désordre des affaires » de l’époux juif et/ou le « péril de la dot » de son épouse, consécutifs à la mise sous administration provisoire des biens du ménage, étaient reconnus de nature à justifier cette séparation, sur le fondement et aux conditions du droit commun420. Quitte à malmener, pour la cause, les exigences de l’adage lex specialis derogat generali, c’était faire montre d’une souplesse honorable421. Dans ce contexte, il ne semble pas indifférent qu’un tribunal ait rejeté, « comme étant sans objet », la demande d’autorisation qu’une femme avait portée devant lui afin de pouvoir accepter un legs, à titre particulier, de son mari, israélite ; ce dernier, « attendu [...] qu’il n’apparaît d’aucun texte en vigueur que les juifs soient déchus en France de leurs droits de puissance maritale », avait conservé, à défaut de ses biens, celui de tester en faveur de son épouse422.
255327. En contradiction avec l’esprit de telles décisions, il fut cependant jugé que, pour aliéner les parts sociales appartenant à un Juif mineur, l’administrateur provisoire, dispensé de prendre autorisation du conseil de famille par l’article 16 de la loi d’aryanisation, n’était donc pas davantage tenu, contrairement au droit commun, de demander homologation à la justice423 ; cette déduction procédait d’une très contestable extensivité dans l’interprétation, alors même que le tribunal, en l’espèce, avait rappelé la nécessité d’une interprétation stricte du texte d’exception424. Mais ce type de positions défavorables aux personnes spoliées semble être demeuré rare durant la période – certaines décisions d’incompétence exceptées, qui à l’impossibilité même de défendre les Juifs joignaient parfois de peu amènes motivations425.
256328. χ) À côté de ces contentieux directement ou indirectement liés aux mesures d’aryanisation, les juges civils durent encore connaître des interdictions professionnelles auxquelles les Israélites se voyaient astreints ; les décisions intervenues en ce domaine paraissent moins glorieuses. On relèvera notamment, en 1942, un arrêt de la Cour d’appel d’Alger, décidant que l’édiction du statut de 1941 n’avait pas remis en cause la solution jurisprudentielle, acquise antérieurement à la guerre, selon laquelle la loi n’autorisait pas l’adoption par la nation des descendants majeurs d’une victime de guerre ; en l’espèce, revenir sur cette interprétation aurait permis à un avocat, juif selon les critères, d’échapper à l’interdiction d’exercer426.
257Mais on retiendra surtout l’affaire Rauch tranchée en février 1944 par la chambre sociale de la Cour de cassation427. Pour avaliser le licenciement d’un Juif menuisier et porteur dans une société concessionnaire du service des pompes funèbres, la Cour procéda à une interprétation peu libérale de l’article 5 du statut (dans sa rédaction modifiée en novembre 1941428) : selon la Haute juridiction ce texte n’admettait que d’une manière « limitée étroitement », dans les secteurs privés dont il détaillait la liste, l’embauche ou le maintien en activité des travailleurs juifs subalternes et manuels ; les juges, de la sorte, réalisaient l’« interprétation étroite [d’une] exception » à l’application d’une législation d’exception429, opération certes non blâmable du point de vue juridique, mais guère indulgente. L’arrêt énonçait ainsi que la liste de l’article 5 n’aurait su « être étendue aux entreprises bénéficiant d’une concession émanant d’une collectivité publique, celles-ci, à raison de l’intérêt général qui s’attache aux services qu’elles sont chargées d’assurer, étant régies par une réglementation dérogatoire » – « en faveur de cette catégorie particulière d’employés », poursuivait la décision, formule peu inspirée, sinon hypocrite : la dérogation s’avérait en l’occurrence subordonnée aux conditions particulières d’exemption que fixait l’article 3 du statut430, et se trouvait donc rendue plus difficilement accessible aux employés juifs manuels ou subalternes du secteur public. Cette équivoque locution remplacée par un substitut neutre, mieux conforme à la réalité – – "à l’égard de cette catégorie..." –, l’attendu révèle le fond du raisonnement à l’œuvre dans cette décision : les exigences de l’intérêt général, pour les conseillers de la chambre sociale, empêchaient le maintien dans son emploi d’un fossoyeur israélite qui n’aurait pas au moins justifié d’avoir combattu pour la France, ou d’être fils d’un qui se fût battu pour elle431...
258329. δ) Un dernier type de contentieux afférent au droit antisémite vichyssois, et traité par les juridictions civiles durant la période, mérite d’être relevé ; il intéresse les demandes que formulaient des Juifs sur le fondement d’un décret-loi du 26 septembre 1939, texte qui avait été adopté afin de permettre à tout locataire une réduction de loyer, voire la résiliation de son bail, si, par suite de « circonstances résultant de l’état de la guerre et survenues postérieurement au contrat », il avait cessé de jouir de l’usage de tout ou partie des locaux qu’il louait. Suivant un discutable précédent lié aux mesures antisémites des autorités d’occupation432, plusieurs tribunaux jugèrent que les conséquences de la mise en œuvre des lois raciales de l’État français – diminution de ressources résultant de l’interdiction de poursuivre une activité professionnelle, éloignement du domicile du fait d’un internement, etc. – s’analysaient en circonstances indépendantes de la guerre, comme telle insusceptibles de justifier une réduction de loyer433. Saisie du problème, la Cour de cassation, par deux arrêts de la fin de l’hiver 1944, élabora une solution nuancée, qui revint, mais en partie seulement, sur cette jurisprudence.
259Dans une affaire Weill c/ Denoyers du début mars434, les juges de la chambre sociale énoncèrent que l’arrêt attaqué de la Cour d’appel de Paris s’étant borné, pour débouter de sa demande le locataire en cause, Weill, à déclarer que celui-ci « ne justifie pas des causes qui ont entraîné son arrestation et son internement », cet arrêt avait commis une erreur de droit, faute d’avoir examiné « la pertinence de la déduction que Weill entendait [...] tirer des faits », c’est-à-dire de son arrestation « à une date où ont eu lieu dans Paris, de notoriété publique, de nombreuses arrestations de juifs », et de son internement « dans le camp spécial réservé aux personnes de race juive », Drancy. Mais, trois semaines plus tôt, la même assemblée, par un arrêt Dame Meyer c/ Caisse autonome des anciens combattants 435, avait refusé la possibilité de résilier son bail sur le fondement du décret de 1939 à un locataire israélite, la dame Meyer, qui avait quitté Paris devant l’avancée des Allemands et « prétenda[i]t n’avoir pu y revenir par suite de la promulgation d’une ordonnance allemande du 27 septembre 1940436 » ; le refus se trouvait motivé par un raisonnement confinant à l’absurde, et à la mauvaise foi :
« Attendu que [...] la dame Meyer a volontairement quitté Paris en juin 1940 pour se retirer dans le Midi ; qu’elle s’est, non moins volontairement, abstenue de réintégrer son logement alors que les circonstances générales le permettaient encore, s’exposant ainsi de son plein gré au risque, qui s’est réalisé, de se trouver, par l’intervention de mesures qui n’étaient pas imprévisibles, dans l’impossibilité d’y rentrer [...] ladite dame Meyer ne saurait invoquer comme une circonstance de guerre la privation de jouissance qu’elle s’était mise, par son fait, dans le cas de subir, et faire ainsi supporter par son bailleur les conséquences d’une attitude par elle délibérément adoptée... »
260Cet attendu, en multipliant les références qu’on a ici soulignées – cinq au total, en huit lignes – à la volonté autonome de l’intéressée de quitter la capitale et de n’y point revenir, méconnaissait complètement, sous couvert de qualification juridique, la réalité affrontée par les Juifs domiciliés en juin 1940 dans la zone qui allait devenir occupée à la fin du mois. Ces derniers, en effet, avaient toutes les raisons de soupçonner, et de redouter, que leur sort, dès lors que les Nazis en seraient les nouveaux responsables, risquât de ressembler à celui de leurs malheureux coreligionnaires d’outre-Rhin ; le « plein gré » de leur fuite et de leur exil, dès lors, s’avérait très relatif. D’autre part, en allant jusqu’à reconnaître, d’un côté, que les mesures prises par l’occupant concernant les Juifs « n’étaient pas imprévisibles », tout en exposant de l’autre côté que Meyer aurait pu « réintégrer son logement », la Cour de cassation laissait clairement voir – pouvait-ce être inconscient de la part de si hauts magistrats ? – que la seule abstention volontaire qu’elle reprochait à ce locataire était d’avoir cherché à éviter que ne le frappent les menées antisémites allemandes... Sans doute valait-il mieux, bien sûr, que cette femme continuât de devoir un loyer inutile, plutôt que d’être revenue habiter dans une ville où, si ses conditions d’existence, selon toute vraisemblance, auraient été à peu près équivalentes – celles que les lois de Vichy réservaient aux Juifs ne présentaient, on l’a dit, que d’assez faibles différences avec celles qui résultaient des dispositions nazies –, son existence même, elle, avait en pratique moins de chances d’être préservée qu’en zone libre. Aberrante, l’alternative – un loyer réellement justifié ou peut-être la vie – semble dérisoire, et avec elle cet arrêt. Mais poser le principe d’un tel choix, même implicitement, se révèle aussi, humainement, odieux. Sous l’aspect juridique, en outre, il était paradoxal de faire obstacle à l’application d’un texte destiné à protéger les intérêts des locataires victimes de « l’état de la guerre », précisément parce qu’un locataire avait cherché à se prémunir contre les ordonnances d’occupation... c’est-à-dire l’une des conséquences les plus directes de l’issue du conflit.
261En somme, on se trouvait loin de la compréhension qu’à l’égard de faits similaires témoignaient, concernant l’aryanisation économique les juges de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Jaudel c/ Gantier de Vasse. Et, pour revenir à la jurisprudence du Conseil d’État, dont l’ensemble de ces propos a pour objet la comparaison – même si l’arrêt Meyer était relatif à une ordonnance allemande, la transposition est là possible437, au demeurant l’affaire Rauch suffit-elle –, à observer ainsi son homologue judiciaire, il ne fait aucun doute que, si la Haute juridiction administrative a pu errer, dans son application des lois antijuives de Vichy, jusqu’en des terres inhospitalières aux requérants, elle n’a pas erré seule, ni seule les atteignit.
262330. On ne peut, il est vrai, dresser un tableau monochrome de la jurisprudence civile et commerciale de l’antisémitisme : on l’a constaté, en effet, le pire y côtoie le meilleur, et inversement. D’aucuns ont d’ailleurs fait observer que la motivation même de certaines de ces décisions se montrait « parfois révélatrice de l’attitude personnelle que les magistrats avaient à l’égard des Juifs persécutés438 », attitude fluctuante d’une juridiction à l’autre. « Au titre de l’antisémitisme déclaré », ainsi, on peut citer tel jugement du Tribunal civil de Nice, « qui refuse d’ordonner le sursis à une vente de biens diligentée par l’administrateur [et] relève au passage, [...] sans aucune nécessité pour le raisonnement juridique, que parmi les biens vendus figurait en particulier "le stock de bijoux et matières précieuses appartenant à cet israélite", désigné par son nom sans être gratifié du titre de Monsieur, respectueusement utilisé pour nommer l’administrateur et le haut commissaire aux Questions juives ». Plus diffuse, on pourrait aussi bien mentionner l’indifférence que témoignaient les magistrats d’appel dans l’affaire Weill qui fut ensuite portée devant la Cour de cassation, sans revenir sur l’attitude de cette dernière elle-même à travers sa chambre sociale. À l’inverse, « certaines décisions laissent clairement transparaître un sentiment de compassion, de commisération, pour les malheureux Juifs dépossédés de leurs biens » ; par exemple, et d’une façon manifeste, dans l’affaire Jaudel c/ Gantier de Vasse encore, où effectivement l’« on voit la Cour de Paris [...] déplorer le sort de cet avocat, qui, tel le héros d’Eugène Sue, "a vécu d’une vie errante" », ou dans ce jugement du Tribunal civil de Toulouse, « qui décrit la situation d’un Juif dépossédé de sa propriété où il exerce la profession agricole, en notant au passage qu’il "n’en a plus depuis que (lui) a été interdit l’exercice de celle de professeur la Faculté de médecine de Paris439 ».
263Dans le cas de l’affaire Jaudel, cependant, « on peut naturellement se demander si cette compassion n’est pas liée au fait que l’intéressé était un avocat parisien sans doute connu personnellement par les magistrats » ; et, dans les deux dernières décisions citées, « on ne peut évidemment s’empêcher de relever que [...] la malheureuse victime des textes était haut placée dans la hiérarchie sociale, et appartenait à un milieu professionnel [...] dont les magistrats pouvaient se sentir proches440 ». Plus généralement, ces exemples, qui dans la masse demeurent isolés, n’empêchent pas que, globalement considérées, les décisions en cause semblent pour l’essentiel très faiblement engagées dans la "résistance juridictionnelle" aux textes antijuifs de Vichy, mais bien davantage prudentes, pour ne pas dire bornées, à l’instar des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation. Même rapportée à la jurisprudence civile et commerciale de l’aryanisation économique, qui dans l’ensemble tendait pourtant à la protection des Juifs, l’activité des juridictions pénales, ou du moins la trace qu’elle a laissée dans les revues juridiques441, dénote, de la part de certaines, une bien plus nette audace, et au sein de presque toutes, semble-t-il, un meilleur discernement.
La jurisprudence des juridictions répressives
264331. Dans les procès portés devant eux qui mettaient en cause la législation antisémite du régime, les juges répressifs avaient à statuer sur les infractions commises par des personnes que les critères légaux imposaient de regarder comme "juridiquement juives", soit qu’elles aient tenté de se soustraire à l’application des dispositions qui les visaient – déclaration mensongère d’état civil, dissimulation de patrimoine en vue d’éviter son aryanisation –, soit qu’elles aient agi en méconnaissance de ces règles – manquement à l’obligation de recensement, exercice d’une activité professionnelle interdite, etc.442 Sous l’angle politique, toute introduction d’instance en la matière pouvait alors s’analyser, par nature, comme une réclamation de sanction automatique : être reconnu juif en France, entre 1940 et 1944, indiquait déjà une forme de culpabilité, en quelque sorte ontologique. Néanmoins, les tribunaux semblent avoir adopté « une attitude qui peut être assimilée à une parade vis-à-vis de la condamnation qui leur était implicitement demandée443 ».
265332. Ainsi, d’abord, ils se gardèrent de faire de la judéité un élément constitutif de l’infraction. Comme le relève un auteur444, une telle position « eût signifié que cette qualité était par elle-même illicite » ; les statuts de 1940-1941 n’allaient pas tout à fait jusque là, qui "seulement" y attachaient certaines conséquences juridiques – en fait aussi dangereuses pour les intéressés ; « loin de sacrifier simplement au juridisme », la solution aurait d’ailleurs recelé, « sur un plan symbolique, [...] une portée redoutable ». Le même note que « seule une décision a commis cette erreur », rendue par le Tribunal correctionnel de Toulouse dans une affaire Dorfmann, le 22 décembre 1941, « mais dans une rédaction maladroite et avec la louable intention d’affirmer que l’infraction n’était pas constituée » ; le jugement, en effet, estimait qu’« attendu qu’il n’apparaît pas que Dorfmann soit juif au sens de la loi [...] l’élément fondamental [sic] du délit qui lui est reproché d’infraction à la loi sur le recensement des juifs fait donc défaut et qu’il doit être déclaré en voie de relaxe445 ».
266333. En ce qui concerne, d’autre part, la question de la non-judéité, celles des juridictions répressives qui, par voie d exception446, s étaient reconnues compétentes à l’apprécier, eu égard à la présomption d’innocence bénéficiant au prévenu, imposèrent la charge de sa preuve au ministère public. Si elles ne le firent pas toujours expressément447, et bien que la décision Dorfmann des juges toulousains, au contraire – mais toujours par maladresse –, obligea le prévenu à prouver sa non-judéité, du moins « aucun arrêt de cour d’appel n’a posé en principe » semblable obligation448. La chambre criminelle de la Cour de cassation devait même consacrer ce régime en janvier 1943, dans un arrêt Hazan 449. Celui-ci, relatif à une abstention de recensement, précisa en outre que la preuve était libre et pouvait s’administrer par tous moyens, jurisprudence analogue, mutatis mutandis, à celle de la plupart des juridictions civiles et du Conseil d’État450. En l’espèce, cependant, la solution ne profita pas à l’inculpé, contre lequel la Cour exposa que, suivant ce principe de liberté des moyens probatoires, les juges d’appel, usant « du pouvoir qui leur appartient de puiser les éléments de leur conviction dans tous les éléments de la cause », avaient pu retenir l’aveu de sa filiation et de son appartenance à la religion juive.
267Cet arrêt de la chambre criminelle, en tant qu’il s’en remettait ainsi à l’appréciation souveraine des juges du fond quant à la force probante des indices apportés, n’en marquait pas moins, quoique de manière implicite, un heureux refus de suivre le conseiller rapporteur sur l’affaire. Marcel Nast, en effet, suivant l’« interversion du fardeau de la preuve » qu’il croyait devoir repérer dans le statut de 1941, avait proposé d’instaurer une présomption d’appartenance à la religion juive, qui aurait pesé sur toute personne ayant deux grands-parents juifs451. Le refus de la Cour, qui rejoignait la solution dégagée au civil dans une espèce similaire, était d’autant plus remarquable qu’il se situait à l’opposé exact de ce que déciderait, deux mois plus tard, l’arrêt Maxudian du Conseil d’État452. Un courant jurisprudentiel solide, nourri par d’autres juridictions pénales, l’avait devancé ; on peut ainsi noter, au printemps 1942, l’opposition de la Cour d’appel d’Aix à reconnaître la judéité d’un prévenu issu de deux grands-parents juifs seulement, les juges, contrairement aux allégations du ministère public, considérant qu’on ne pouvait retenir, à cet effet, ni l’athéisme de l’individu, ni la consonance de son nom patronymique, puisque « la loi n’attache [...] à la forme ou à l’étymologie de celui-ci [...] aucune présomption de sémitisme453 ». Le Conseil d’État, lui, l’année suivante, refusait d’admettre que le patronyme d’un individu puisse laisser présumer... sa non-judéité454.
268334. Au reste, on peut un instant s’attacher à une jurisprudence qui intéresse le domaine probatoire, développée en juin 1942 par la Cour d’appel de Limoges dans deux arrêts identiques rendus le même jour, sur un problème qui, de fait, semble pour l’essentiel n’avoir été rencontré que par le juge pénal : celui de la judéité de mineurs455. Favorables aux familles en cause, les arrêts décidèrent en premier lieu qu’il n’était pas besoin de « s’arrêter à l’argument [...] d’après lequel un mineur étant dans l’incapacité de formuler un consentement valable ne saurait adhérer à une confession quelconque » : « cette conception qui va à l’encontre du droit canonique comme du droit talmudique est en contradiction avec les règles administratives, lesquelles pour l’établissement des statistiques officielles attribuent aux enfants la religion de leurs parents ». Les arrêts relevaient que, « d’ailleurs, l’impossibilité pour un mineur de donner un consentement valable et par suite d’adhérer personnellement à une religion déterminée impliquerait par là même sa non-appartenance à la religion hébraïque » – et non l’inverse, comme, s’en tenant à ce raisonnement, avait cru pouvoir l’établir, en première instance, le Tribunal correctionnel de Brive456. Non sans contradiction logique, celui-ci avait estimé mensongère, partant délictueuse, la déclaration d’absence de confession à laquelle un père avait procédé pour ses deux enfants, en âge l’un de huit mois, l’autre d’un an et neuf mois. Motivation des juges : « l’adhésion à une confession quelconque, c’est-à-dire l’action de s’attacher, de s’unir fortement à une confession, est un acte de consentement et d’approbation exigeant une volonté réfléchie et nettement exprimée que ne sauraient posséder des enfants de [cet] âge » ; on n’aurait su « sérieusement prétendre que l’un ou l’autre ait pu adhérer à une [...] confession » ; « le fait de ne pas être circoncis, comme le baptême suivant le rite catholique, ne peut évidemment être attribué qu’à la volonté de leur famille et non à la leur » ; or « le prévenu n’apporte aucune autre preuve de la non-appartenance de ses enfants à la religion juive ».
269Ce dernier point du jugement revenait à poser une présomption de judéité spécifique aux mineurs. À cet égard, la Cour de Limoges – second aspect de ses arrêts –, opposa que « l’adhésion au christianisme n’étant qu’un mode de preuve contraire qui n’est nullement limitatif », rien n’établissait que deux enfants, qui ne se trouvaient « pas rattachés à l’une des confessions catholique ou protestante reconnues par l’État avant la loi du 9 décembre 1905 », soient juifs pour autant, alors qu’en revanche leur ondoiement et leur non-circoncision prouvaient « d’une manière incontestable la non-appartenance desdits mineurs à la religion juive » ; en effet, poursuivait la Cour, « la circoncision constitue un rite religieux fondamental dont l’accomplissement est pour les enfants même la condition nécessaire de leur admission dans le giron de la synagogue de même que c’est par le baptême que les individus sont incorporés de plein droit dans la communauté catholique457 ».
270335. Les solutions dégagées par les juridictions pénales s’avérèrent parfois plus admirables encore, dans la forme, mais aussi bien sur le fond. Au plan formel, malgré les maladresses qu’on a relevées, on peut à nouveau citer le jugement Dorfmann du Tribunal correctionnel de Toulouse. Dans cette affaire, l’individu en cause, qui avait manqué à l’obligation de recensement, descendait de deux grands-parents juifs en ligne paternelle, et en ligne maternelle de grands-parents dont l’un était non juif, l’autre inconnu ; lui-même appartenait à la religion catholique et se trouvait marié à une catholique ; les magistrats n’ont pas mâché leurs mots pour refuser de le condamner :
« Attendu que cette solution ne heurte pas seulement le bon sens, mais également les principes du droit pénal et civil ; attendu, au point de vue de la loi pénale, qu’admettre que le grand parent inconnu est présumé de race juive aboutit à une interprétation extensive des textes ; que les lois pénales doivent être interprétées restrictivement, ainsi que l’affirme l’un des principes fondamentaux de notre droit consacré par une jurisprudence plus que séculaire (Cassation Chambres réunies, 6 décembre 1828) ; qu’une jurisprudence semblable reconnaît comme étant d’interprétation restrictive les lois d’exception, les lois édictant des déchéances et les lois fiscales ; attendu, au point de vue de la loi civile qui régit les questions d’état dont il s’agit, que le Tribunal n’a même pas à considérer qui a pu être le grand-père paternel de Dorfmann et, partant, à s’enquérir de sa race et de sa religion458... »
271Véhémente, cette rédaction laisse songeur, singulièrement son appel au « bon sens », en comparaison des prudents retranchements du Conseil d’État et de bien d’autres juridictions, à l’époque, derrière la volonté du législateur vichyssois. Mais ce ton, comme le recours au principe de stricte interprétation des lois pénales, est exemplaire d’une tendance des juges répressifs – tels, du moins, qu’on peut en appréhender l’activité à travers les revues juridiques – à exploiter alors au mieux les ressources du droit, pour neutraliser les effets de la législation antisémite.
272336. Sur le fond, en effet, certaines juridictions allèrent plus loin que les solutions jusque là évoquées : indirectement, elles parvinrent à introduire un élément intentionnel dans l’infraction que représentait le fait de s’abstenir du recensement obligatoire. Ainsi, bien que ce manquement fût une infraction matérielle, constituée dès lors que la soustraction des individus "juifs" à l’obligation qui leur incombait légalement pouvait être constatée, des juges considérèrent que la bonne foi des prévenus, quant à leur non-judéité, les exonérait de la responsabilité délictuelle normalement encourue, cette bonne foi étant admise dès lors que la preuve contraire faisait défaut, ou se révélait mal établie. « C’est en amont de l’infraction elle-même, sur le terrain de la condition préalable », que la rigueur des textes se trouvait là atténuée459. Dissident, un jugement Weinthal du Tribunal correctionnel de Marseille, rendu début 1942, alla même expressément jusqu’à faire du manquement au recensement un délit intentionnel – ce qui, manifestement erroné d’un point de vue juridique, paraît plus symptomatique encore de la ferme volonté de certains magistrats de contourner l’application de lois iniques :
« Attendu [...] que les tribunaux répressifs n’ont pas, en pareille matière, à résoudre un problème d’état des personnes, mais à apprécier, dans le cadre des principes généraux de notre législation pénale, si une infraction est établie ou pas ; qu’à cet égard, le délit prévu par l’article 2 de la loi du 2 juin 1941 est un délit intentionnel ; que l’intention criminelle consiste essentiellement dans la volonté d’accomplir un acte ou de s’en abstenir avec la conscience que cet acte est défendu ou (au contraire dans le deuxième cas) ordonné par la loi, sans pouvoir du reste invoquer l’ignorance de cette loi ; qu’il faudrait donc, pour que la poursuite actuelle soit fondée, que soit établi que la demoiselle Weinthal a eu la volonté de commettre l’infraction ci-dessus ; que la prévenue ne peut être convaincue de s’être dérobée de mauvaise foi à la formalité exigée des Israélites ; qu’ainsi, la demoiselle Weinthal est en voie de relaxe au bénéfice du doute460... »
273La référence aux « principes généraux de notre législation pénale » est particulièrement notable, qui entendait bien ramener les textes édictés par l’État français dans les limites d’un cadre aussi libéral qu’il était encore possible. Expression d’une « répugnance à appliquer les mesures antisémites » plus que simple « modération ambiguë », la « parade » juridictionnelle, qui procédait ici de la spécificité du procès pénal461 mais semble aussi bien avoir résulté d’une pratique jurisprudentielle très indulgente du quantum de la peine462, confinait au sabotage de l’"anti-droit" – ce qui en montrait la possibilité même.
274337. Il est vrai, pour revenir au but de ces développements, que la position institutionnelle isolée du Conseil d’État, qui était d’une part le seul véritable juge administratif alors, les conseils de préfecture ne connaissant que d’un contentieux marginal, d’autre part le conseiller du gouvernement, et même un conseiller flatté (à défaut de se voir vraiment sollicité), lui laissait assurément, face au pouvoir, moins de marge d’action que celle dont pouvaient disposer le Tribunal correctionnel de Toulouse, celui de Marseille, et quelques autres, malgré la répression et la gestion autoritaire du corps. Les membres de ces juridictions, en principe, ne se heurtaient pas, eux, à une proximité à peu près quotidienne avec les autorités politiques ; ils intervenaient, en outre, dispersés au sein d’un ordre atomisé, cadre d’activité qui, par sa nature même, s’avérait propice aux audaces, garantissant leur dilution dans la masse des décisions rendues. Peut-être, avec le temps, le régime de Vichy aurait-il perduré, et sa législation antijuive, au contentieux la réaction d’une partie au moins des juges judiciaires, le Conseil se serait-il rapproché de ces solutions, comme il le fait parfois463. Demeure, en tout cas, cette conclusion : globalement, sans méconnaître les divergences d’orientation internes à l’organisation de droit commun, « il est incontestable que l’action devant les juridictions administratives fut plus difficile pour les requérants que l’action devant les juridictions judiciaires464 ».
275338. À ce tableau, on peut toutefois apporter une ultime nuance à travers l’examen d’autres modèles socioprofessionnels du juge administratif, autres figures constitutives de la communauté juridique : le Barreau et l’Université.
§ II – Les autres juristes de Vichy. Des esprits sous tutelle
Le plus fort sort vainqueur d’un combat dont la loi est le prix. Après quoi le juriste déclare gravement que la loi est l’expression de la volonté générale.
Tout juriste est le successeur d’un pontife. Etant le gardien du droit, il se croit obligé d’être le défenseur des lois. Georges Ripert 465
276339. Comme de nombreuses professions dans la France de ces années, en particulier comme la magistrature judiciaire et le Conseil d’État qui, par fonctions, leur étaient proches, avocats et professeurs de droit subirent l’épuration de Vichy. La rudesse du procédé, cependant, n’empêcha pas certains membres du Barreau ou de la Faculté, suivant le mouvement général, de s’engager aux côté du régime, ni, surtout, la pratique et la doctrine juridiques, à l’instar encore du Conseil d’État et de l’ordre judiciaire, d’apporter leur contribution à l’entreprise de légitimation du droit qu’édictaient les autorités de l’État français. La tutelle politique, les cautions délibérées, ainsi, s’accompagnaient d’une compromission pour l’essentiel involontaire, née de ce que l’on pourrait nommer une "tutelle intellectuelle" ; celle-ci subordonnait aussi bien que celles-là la majorité des esprits, sinon mieux466.
Une tutelle politique et des contributions volontaires
277340. L’ évocation du rôle consultatif du Conseil d’État dans la procédure d’adoption des décrets destinés à réglementer l’accès des Juifs aux professions d’avocat à la Cour et d’avocat aux Conseils, en application des statuts d’octobre 1940 puis juin 1941, a déjà donné quelque idée, ici, de l’épuration antisémite du Barreau467. Sur le fondement de ces dispositions, à Paris, ce furent en définitive 221 avocats, que les critères légaux faisaient regarder comme juifs, qui se virent effectivement interdits d’exercice au début de l’année 1942 ; certains se trouvaient déjà à Drancy. N’étaient épargnés que soixante et un anciens combattants ou orphelins de guerre, une veuve de guerre et deux mères de soldats tués face à l’ennemi, quinze personnes en raison du caractère éminent de leur mérite professionnel468. À titre provisoire, de plus, vingt-six avocats israélites retenus prisonniers en Allemagne demeuraient inscrits à l’Ordre, ainsi que cinq avocates, épouses de prisonniers ; sur le sort de ce groupe, il était prévu de statuer lors des différents retours de captivité. Les fils d’étrangers furent chassés, de même, à un peu moins d’une trentaine d’exceptions près, retenues sur plus de deux cents cas concernés469. Dans la capitale et en province, la réaction – si l’on peut dire – des autres avocats fut identique, qui arrivé ici ne surprendra pas470 :
« À aucun moment de la procédure à laquelle participaient les conseils de l’Ordre ne fut élevée la moindre protestation contre la loi excluant du Barreau des avocats juifs qui n’avaient en rien démérité. Aucune déclaration de principe ne fut formulée, aucun geste de solidarité collective ne fut esquissé au profit des confrères que l’on éliminait ainsi471. »
278341. L’Université, quant à elle, pouvait encore moins échapper à l’épuration : par nature, toutes disciplines confondues, elle constituait le point de mire des réformes d’une Révolution nationale préposée au changement des mentalités. "Sauver" l’élite française grâce à la formation ad hoc dispensée par "l’École d’Uriage", créée dès l’été 1940472, ne suffisait pas ; encore fallait-il pour le régime éradiquer les influences qu’il estimait néfastes : judaïsme, bolchévisme, anarchisme... et en somme toute liberté de s’exprimer et de créer473. Les facultés durent ainsi assister à l’éviction de leurs personnels légalement "juifs" – le phénomène doublait la raréfaction des étudiants israélites, eux-mêmes astreints à un numerus clausus 474 ; des fils d’étrangers – parmi eux, par exemple, Vladimir Jankélévitch, maître de conférences à Lille ; des francs-maçons... Dans le même temps, des relèvements de fonctions touchaient, notamment, les communistes475.
« Par ailleurs, tous les hommes qui rejoignent les rangs de la France libre sont systématiquement déchus de la nationalité française et donc immédiatement exclus de la fonction publique. C’est notamment le cas du professeur de droit René Cassin, dont la révocation datée du 2 septembre 1940 est consécutive à la loi du 23 juillet 1940. Dans la presse, le renvoi de René Cassin est commenté de façon volontairement malveillante. On va jusqu’à lui inventer "des origines étrangères" et lui attribuer pour patronyme le nom fantaisiste de "Cassini" sous prétexte que son père est niçois476. »
279342. D’un point de vue général, on retrouve à l’échelon de l’enseignement supérieur les compromissions ou l’attentisme, les tensions, les peurs, les lâchetés, les silences, ou les actes de noblesse et d’héroïsme, qui faisaient le quotidien de l’époque477. Aux deux extrêmes, parmi d’autres, deux historiens célèbres, chacun emblématique dans son rôle : d’un côté Jérôme Carcopino, directeur de l’École française de Rome, auteur d’un César de référence, ministre de l’Éducation nationale en 1941, notamment en charge de gérer l’épuration478 ; de l’autre côté Marc Bloch, professeur à la Sorbonne, co-fondateur des Annales, engagé dans le mouvement de résistance "Franc-Tireur", exécuté par la Gestapo en juin 1944479.
280343. Concernant plus particulièrement les juristes, de la même manière, le pétainisme affiché des uns contrastait avec l’action résistante menée par d’autres480. Au titre de l’engagement vichyste, on ne peut manquer de citer, d’abord, celui de Joseph Barthélémy, devenu garde des Sceaux et comme tel signataire, entre autres, du second statut des Juifs481, ni le nom de Georges Ripert, second secrétaire d’État à l’Instruction publique du régime – il avait d’ailleurs recruté dans son cabinet Jean Hourticq, maître des requêtes au Conseil d’État482. Dans une circulaire de novembre 1940483, Ripert annonçait ainsi l’usage qu’il entendait faire de la loi du 17 juillet autorisant les relèvements discrétionnaires de fonctions :
« J’ai l’intention de prononcer, par application de cette loi, le relèvement des fonctions d’un certain nombre de fonctionnaires ou agents de mon département. Cette mesure doit atteindre [...] ceux qui, dans ces dernières années, ont consacré une partie de leur temps à une agitation politique contraire aux intérêts de la France et persévérèrent dans leurs actions, ou ceux qui se sont livrés dans le passé à des manifestations publiques de désordre social de nature à faire disparaître leur autorité morale [comme] ceux qui ont été nommés aux fonctions qu’ils occupent par pure faveur politique et sans titre réel. »
281Le ministre recommandait plus loin « de veiller à ce que le texte de la loi ne fût pas détourné de la pratique484 ». En septembre, il avait déjà prononcé l’éviction de René Cassin, avec un manque d’élégance que celui-ci n’oublierait pas, qui plus tard consignerait, dans ses mémoires :
« Rien n’avait été ménagé par mon ancien doyen devenu ministre de l’Éducation nationale. Au lieu de se borner à dire la vérité, à savoir que j’avais apporté une aide efficace à un général rebelle, ce qui m’honorait, le zélé ministre cherchait à me salir. J’étais décrit comme un métèque, "Cassini", indigne des emplois que la France m’avait confiés, et se réfugiant à l’heure de la menace commune à Londres, en pays étranger485... »
282En octobre486, Ripert avait encore demandé aux recteurs, « en exécution [des] prescriptions de la loi, [...] pour le personnel placé sous [leur] autorité, [de] faire l’état général des fonctionnaires, hommes et femmes, qui, de notoriété publique ou à [leur] connaissance, doivent être [...] regardés comme juifs », et d’en adresser le résultat « aussitôt que possible » au ministère, selon les directives qui suivaient. A priori, pourtant, on n’aurait pas vu l’homme dans ce rôle :
« Ripert s’est opposé à l’antisémitisme nazi dans les années 30. Doyen de la faculté de droit de Paris depuis 1938, c’est un conservateur modéré qui milite à l’Alliance républicaine démocratique. La débâcle et l’occupation du pays n’ont pas transformé cet universitaire en militant antisémite. Quelques jours seulement avant l’adoption du premier statut, alors que la presse évoque avec de plus en plus d’insistance l’éventualité d’une législation antijuive, Ripert assure à un jeune collègue juif ne pas pouvoir croire que des mesures de ce type puissent être adoptées en France. D’après les témoignages d’autres collègues, Ripert ne fait aucune déclaration antisémite au lendemain de l’adoption du statut des juifs, il affirme même que la loi est "brutale et injuste"487. »
283La suite n’aurait-elle été qu’un compromis, comme en fait naître, souvent, la détention du pouvoir ? Celle-ci, pour Ripert, fut certes brève, puisqu’il n’exerça ses fonctions politiques que de septembre à décembre 1940. L’humanité témoignée par le personnage avant son passage au ministère, en tout cas, semble s’être ternie après cette expérience : à la fin du mois de décembre 1942, redevenu doyen, il croyait bon d’alerter le ministre en place, Abel Bonnard, de l’« afflux d’inscriptions prises pour la capacité en droit » ; en effet, aucun diplôme antérieur n’étant requis pour préparer celui-ci, la multiplication des inscrits était consécutive à l’entrée en vigueur de la loi du 4 septembre 1942 « sur l’utilisation et l’orientation de la main-d’œuvre », laquelle, annonçant le service de travail obligatoire (S.T.O.), avait autorisé la réquisition de travailleurs parmi les actifs, à l’exception des étudiants488...
284344. Du reste, l’enrôlement dans les services centraux n’était pas une condition sine qua non à la démonstration de ferveur vichyste. Outre des nominations plus honorifiques que conséquentes au Conseil national – où siégèrent, avec Ripert, André Amiaud, René Brunet, Gilbert Gidel, Julien Laferrière et Achille Mestre489 –, le cas est notable de Roger Bonnard, doyen de la Faculté de Bordeaux et directeur de la prestigieuse Revue du droit public.
285Dès le début du mois d’octobre 1940, le ton se montre clairement donné par le discours que Bonnard prononce lors de la séance solennelle de rentrée de sa faculté490. Le dessein est de « résumer brièvement les idées maîtresses » de la Révolution nationale : rien de moins que « refouler [un] individualisme frénétique » au profit de « l’intérêt national », « reprendre le sens de l’acceptation de l’autorité » contre cette « autre erreur mortelle » qu’est « ce libéralisme [...] qui incline [...] vers l’anarchie », « restaurer en nous l’esprit de devoir » ; fuir, enfin, « ces principes, libéralisme, démocratie, séparation des pouvoirs, [...] écartés, non pas parce qu’ils auraient fait leur temps, ayant été utiles à un moment donné, mais parce qu’ils sont radicalement mauvais en eux-mêmes comme destructeurs de l’État [et] sont des erreurs absolues tant théoriques que pratiques ». Avant quoi le doyen avait dressé à ses étudiants et collègues un portait en gloire du Maréchal, entre adulation béate et scientisme primaire, frisant l’illumination mystique :
« Les allocutions et messages adressés aux Français par le Maréchal Pétain depuis son arrivée au pouvoir dans les jours tragiques de juin 1940 contiennent les plus pleines, les plus rigoureuses, les plus admirables leçons de politique que jamais peut-être homme politique ait formulées. Ces pages sont d’une sérénité souveraine. Elles n’ont rien des passions partisanes. Elles proposent plus que des moyens pratiques : elles affirment des vérités scientifiques incontestables. Leur auteur s’apparente aux plus grands esprits de tous les temps. On ne saurait trop les relire et les méditer. »
286Et de conclure, toujours lyrique et prompt à l’hyperbole :
« Il nous faut faire confiance à cet homme admirable qui, malgré son grand âge et les immenses services déjà rendus, ayant justement droit à un repos bien gagné, n’a pas hésité à se donner encore à la France, dans les jours sombres, pour une tâche dure, comme il l’avait fait dans les jours de victoire et de gloire. Exemple grandiose de courage et d’énergie qui restera comme un des hauts faits de notre histoire nationale. Aussi devons-nous tous, conscients de l’extrême gravité de l’heure et persuadés que nous sommes d’être en face de la vérité politique et sociale, nous élancer, à la suite de notre illustre chef dans un grand et généreux élan, vers ce grand but de la reconstruction de la France qu’il propose à notre patriotisme. »
287À l’automne 1941, à l’occasion d’un avis de reparution de la Revue du droit public que la guerre avait suspendue depuis juin 1940491, Bonnard poursuit sa déclaration d’allégeance au régime, en des termes également grandiloquents, dont le franc ridicule n’entrave pas le déconcertant naturel. Ainsi proclame-t-il qu’« avec notre "Chef", M. le Maréchal Pétain, la France a maintenant un guide d’une sagesse et d’une maîtrise de pensée incomparables et quasi-surhumaines » – ce qui, pour un vieillard sénilisant, était tout de même beaucoup dire – « qui l’empêchera d’errer et qui la conduira sur le chemin de la vérité », qu’ont tracé « ses admirables messages » au pays. Sur fond d’idéologie nationaliste et autoritaire, répudiant les errements du passé démocratique, le doyen appelle de nouveau au ralliement général :
« C’en est fini désormais des luttes partisanes qui nous ont plongés dans le malheur. C’est au contraire une politique nationale, la politique capable d’instaurer le véritable ordonnancement vital de la communauté française et la politique qui ne se préoccupera que de la "seule France". Or, à une telle politique, tous les Français peuvent et doivent adhérer pour former ce "parti unique national", qu’il faudra bien un jour organiser. À cette œuvre de restauration, nous devons, particulièrement, nous les juristes de droit public, parce que nous sommes parmi les plus qualifiés et les mieux outillés, apporter une collaboration qui devra être ardente et passionnée. Revenant sur ce faux esprit critique qui avait créé chez beaucoup une véritable manie de contradiction et de divergence et, par suite, causé tant de décompositions et de destructions, efforçons-nous au contraire maintenant de contribuer ensemble et d’une âme commune à la construction politique et sociale que le Maréchal nous demande de réaliser dans la limite des buts et des directives qu’il nous assigne. La Revue du droit public et de la science politique voudrait ainsi venir participer à cette œuvre. »
288Le propos se teinte même d’une certaine germanophilie. Peu rancunier pour l’occupant, Bonnard, qui évoque le « redressement intellectuel et moral de la communauté française », et « l’esprit civique nouveau qui se crée », n’hésite pas à écrire :
« Nous aussi, nous voulons avoir notre nouvelle Weltanschauung, non pas par pur esprit d’imitation, mais parce qu’il n’est pas de révolution politique profonde et durable sans une révision totale des idéologies nationales ».
289Le plus étonnant est que la dithyrambe n’empêche nullement l’auteur de consigner, ingénu, que la Revue « continuera, comme par le passé, à s’abstenir de toute politique partisane[, et qu’]elle restera sur le terrain proprement scientifique qu’elle n’a jamais quitté »... Une précision, il est vrai, est aussitôt apportée :
« Mais sa science ne devra pas être neutre, indifférente à la vérité et à l’erreur et s’interdisant tout jugement de valeur. Car actuellement il faut prendre parti et "s’embarquer". La résurrection, le salut de notre pays est à ce prix. »
290Et, incontestablement, la R.D.P. "s’embarqua" dans le sens prévu. Une monumentale étude de Bonnard consacrée aux « actes constitutionnels de 1940492 » était l’occasion de louer, en l’espèce du vote des pleins pouvoirs, « ces grands événements qui ont été le prélude de la Révolution nationale », et un Maréchal « parlant vraiment en chef », cité d’ailleurs à tout-va ; l’article permettait de dénoncer une fois de plus, dans « le règne de la démocratie », « l’empire des sentiments » et son « inaptitude à gouverner », surtout lorsque « la démocratie représentative [est] devenue pire qu’une démocratie directe », par suite de « la décadence du régime parlementaire sous la Troisième République », « trop irrémédiablement vicié ». L’auteur précisait sans détour le programme qu’il avait proposé quelques mois auparavant aux juristes :
« À l’ancienne conviction de la légitimité du pouvoir démocratique si profondément ancrée dans les esprits, devra être substituée la conviction de la légitimité du pouvoir autoritaire. Il appartient aux théoriciens de travailler à ce résultat. »
291Comme l’a relevé Michèle Cointet493, « tous les articles de la Revue du droit public ne sont pas de ce ton et de cette inspiration et de bons esprits se refusent à y prendre part, tel René de Lacharrière [...] qui donne les bonnes feuilles de son "Louis de Comemin. 1821-1866" ou Georges Berlia qui analyse "Vices de forme et contrôle des actes administratifs" ». Pour l’essentiel, « l’engagement militant de la Revue [...] se trouve dans sa chronique "Index bibliographique" » :
« Il est certes louable d’ouvrir l’esprit des lecteurs à la vie intellectuelle internationale, mais que les revues étrangères citées dès 1940 soient toutes allemandes n’est pas le fruit du hasard. Pour le numéro de 1942 l’Index bibliographique donne 18 références : cinq sont neutres [...] mais que penser de la recommandation en faveur de G. Suarez, Agonie de la paix, de J. Labusquière pour Vérités sur les combattants, de L. Salleron pour Naissance de l’État corporatif, du premier volume de G. Champeaux, La croisade des démocraties de la guerre : formation de la coterie de la guerre, sans compter Pétain pour La France nouvelle. Appels et messages, ou la réédition de La Tour du Pin, Vers un ordre social chrétien ? L’Allemagne occupante n’est pas oubliée grâce à J. Marczewski, Politique monétaire et financière du IIIe Reich (ou comment l’Allemagne au bord de la faillite en 1932 a réussi à vaincre en 1940), à Karl Schmitt (Considérations politiques) et aux quatre articles de la Deutsche Rechtswissen’schaft. »
292Dans ces bibliographies, de toute évidence, s’étalaient les sympathies de lecture de Roger Bonnard. Les fléchissements de l’opinion durant la période, au reste, semblent n’avoir guère eu de prise sur lui : en 1943, moins enflammée, il est vrai, que ses contributions antérieures, la préface qu’il donnait à la quatrième édition de son Précis de droit administratif494 paraissait encore témoigner d’une conviction intacte. On y lisait que « la démocratie est un régime politique qui ne convient pas aux peuples qui courent des dangers », et que ces derniers justifient l’autoritarisme, qui permet « une vie de sacrifice et de dévouement au bien public que l’État démocratique, par sa nature même, est incapable [d’]imposer ».
293345. Le sulfureux doyen mourut en janvier 1944. Après les morceaux choisis qui précèdent, on ne résiste pas au plaisant rappel de l’hommage que lui rendit alors Gaston Jèze, dans les colonnes de la R.D. P495. Le directeur de la rédaction, qu’il avait co-animée avec le défunt, soulignait que ce « savant, qui était l’honneur de la science juridique française », « s’attachait à l’observation objective, impartiale, minutieuse des faits » ; il en rajoutait en prophétisant l’œuvre de Bonnard « durable parce qu’elle est objective ». Dans la même veine, l’article apologétique de circonstance que Maurice Duverger consacrait à « l’œuvre et la doctrine de Roger Bonnard », dès l’introduction, mentionnait, du maître disparu, « la stricte objectivité qu’il [...] a enseignée ». Plus loin, au sujet d’« un de ses ouvrages les plus importants », dont le titre était à l’époque tout un programme déjà, Le droit et l’État dans le régime national-socialiste, on pouvait lire :
« Ce livre mérite qu’on s’y arrête un instant, car il met spécialement en lumière le second caractère de l’œuvre de Roger Bonnard : sa rigoureuse objectivité. La tentation est grande pour celui qui analyse une institution ou un système d’y découvrir le reflet de ses propres doctrines, même s’il ne s’y trouve point : et de très grands esprits – Hauriou et peut-être Duguit lui-même – y sont parfois tombés. On ne pourra pas faire un tel reproche à Roger Bonnard. Ses descriptions conservent toujours une impartialité rigoureuse, qui pourrait même faire croire à une certaine sécheresse, de la part de ceux qui ont ignoré la sensibilité délicate que leur auteur masquait sous cette objectivité scientifique. À cet égard. Le droit et l’État dans le régime national-socialiste est sans doute un chef-d’œuvre : Roger Bonnard s’y efforce d’oublier totalement sa propre personnalité, en déployant un effort de compréhension intellectuelle exclusif de toute sympathie affective. On retrouve sans doute, dans tous ses ouvrages, la même impassibilité totale496... »
294L’énormité du propos, que ne peut couvrir la seule émotion du deuil, se passe sans doute d’autre commentaire.
295346. Ce n’est pourtant pas dans les déclarations et les engagements politiques individuels que se jouait l’essentiel de la caution apportée à Vichy par les juristes. À tout prendre, les services offerts par un Ripert, les délires louangeurs d’un Bonnard, ne représentaient que l’attitude opposée de la présence, auprès du Général de Gaulle, non seulement de René Cassin, mais aussi de René Capitant ou Pierre-Henri Teitgen497 ; on pourrait relever, de même, le courage d’un Léo Hamon qui, réduit à la clandestinité parce que juif, n’en menait pas moins des actions d’éclat dans la Résistance intérieure498, à l’instar de ses collègues Paul Bastid, Paul Coste-Floret, François de Menthon, André Philip, Marcel Prélot499... Le soutien le plus sûr du régime se trouvait ailleurs, qui en était aussi le plus insidieux.
L ’involontaire caution d’une tutelle intellectuelle
296347. Comme l’a montré Danièle Lochak500, c’est en fait par leur pratique professionnelle habituelle, en tant que tels, que les universitaires ou des avocats, même et surtout involontairement – sinon à leur insue –, ont participé à la légitimation symbolique et sociologique du droit édicté par l’État français, législation raciale incluse.
297Sans doute, les opinions personnelles des membres du Barreau ou de la Faculté de droit pouvaient transparaître dans leurs activités. Ainsi, comme dans d’autres disciplines ou d’autres revues501, ces juristes, à l’occasion de telle ou telle étude dans les publications spécialisées, et pas seulement le caricatural Roger Bonnard, laissèrent poindre leurs sympathies vichystes, ou du moins une déférence suspecte à l’égard du pouvoir, dont ils reprenaient parfois les rhétoriques de propagande sans le moindre recul critique apparent. « L’un des caractères distinctifs du régime nouveau réside dans la substitution, à la masse confuse des individus, trop souvent dominés par des vues personnelles et égoïstes, ainsi qu’aux syndicats et cartels rivaux (lutte de classe d’inspiration marxiste, ententes capitalistes et accaparement), d’associations et de groupements [...] contrôlés par l’État, et orientés vers un but commun, l’intérêt public », consignait par exemple l’un d’eux ; « la défaite [...] oblige à rompre avec le cadre libéral », notait plus sobrement un autre depuis son Oflag502.
298Sans plus de conteste, le choix des thèmes traités, à l’image des sélections bibliographiques de la Revue du droit public, pouvait révéler une ligne éditoriale. À cet égard, si les réformes économiques et sociales ou les nouveautés constitutionnelles et judiciaires étaient incontournables503, on peut douter de la décence de l’engouement alors enregistré pour les études de droit allemand504.
299Mais c’est par ce qu’il y avait de plus commun, de plus routinier dans la démarche qui d’enseigner, qui de plaider, qui de commenter avec une prétendue objectivité, que s’est réalisée, bien davantage que par la logorrhée du doyen Bonnard, la normalisation législative de Vichy, y compris celle de l’"anti-droit"505. Car en ce domaine la plupart avaient pris soin, d’une façon ou d’une autre, dans leurs travaux publiés, de préciser qu’ils ne s’attacheraient qu’à la « pure technique juridique, [...] à l’exclusion de toute autre considération506 » ; par exemple en mentionnant qu’ils s’inspireraient des « réflexions prudentes » de tels maîtres, liminairement reproduites à cet effet :
« Le plus souvent, les vraies tendances des temps nous échappent ; il faudrait pour les saisir, et surtout pour les apprécier, une perspective qui nous manque, une impartialité que nous n’avons pas. Nous sommes emportés par des courants, des mouvements d’idées successifs, parfois contradictoires, dont on ne peut ni mesurer la force, ni déterminer la direction. Nous risquons d’exagérer l’importance des influences que nous avons subies ; telle initiative nous laisse au contraire indifférents qui peut-être sera féconde. Il faut donc faire bien des réserves, se défier de soi-même, noter surtout ce qui est concret, objectif, le plus souvent s’abstenir de507 juger . »
300Le résultat de telles précautions s’avérait tout simplement désastreux, où l’on voyait seulement que, l’intelligence auto-mutilée par refus de toute critique axiologique, « la barbarie a[vait] fini par s’emparer de la culture508 » :
« Loin d’être considéré comme un droit d’exception, le droit antisémite vient tout naturellement prendre place parmi les autres branches du droit et se trouve consacré comme discipline à part entière. De cette consécration et de cette banalisation, on trouve un indice très concret dans la présentation matérielle des revues juridiques : ainsi, les tables du Recueil Dalloz comportent désormais une rubrique "Juifs". [...] L’effet de banalisation se manifeste également dans la façon naturelle, presque candide, avec laquelle les auteurs entreprennent d’analyser les textes nouveaux et de commenter la jurisprudence. [...] La qualité des signataires atteste que les questions abordées ne semblaient pas indignes de retenir l’attention. [...] On est plus frappé encore de la façon dont les auteurs, lorsqu’ils commentent les textes ou discutent savamment du bien-fondé des solutions jurisprudentielles, utilisent sans la moindre distance – et donc reprennent au moins apparemment à leur compte – les catégories du législateur. [...] Et le formalisme des raisonnements juridiques qui s’élaborent à partir de ces catégories finit par occulter la logique antisémite qu’elles véhiculent. [...] Les auteurs s’appliquent à décrire consciencieusement le contenu des dispositions nouvelles, mettent en évidence le cas échéant certaines contradictions et imperfections de la législation, approuvent ou critiquent les décisions juridictionnelles en fonction du seul critère de leur compatibilité avec les critères d’interprétation traditionnels. Et paradoxalement, cette apparente neutralité est précisément ce qui fait problème. Les auteurs jonglent avec les textes et les concepts antisémites avec une absolue bonne conscience – ou une totale inconscience – sans apercevoir ce qu’il peut y avoir de scabreux dans la subtilité même de leurs constructions juridiques, dans cette application à raisonner de façon strictement abstraite et formelle sans jamais dire un mot ni exprimer le moindre état d’âme à propos des retombées concrètes des mesures qu’ils commentent. [...] Si le discours des juristes a pu remplir efficacement sa fonction de légitimation, c’est précisément parce qu’il se voulait neutre et présentait toutes les apparences de l’objectivité, parce qu’il n’était pas ouvertement militant et idéologique : l’exclusion des Juifs n’apparaît pas, dans leurs écrits, comme un objectif dicté par la haine raciale ou la vindicte politique, mais comme une chose naturelle, évidente, non problématique509. »
301348. Les cas exemplaires sont nombreux qu’on pourrait citer de cet antisémitisme à la fois « magistral » et « ordinaire510 », sinistre mais éclatante figure journalière d’une xénophobie hissée, dans l’État français, au statut de vérité apodictique. Juridicisé, l’antijudaïsme était devenu sujet de thèse de doctorat511, matière à ouvrages et articles pour les universitaires ou les praticiens512 ; on pouvait traiter des questions de preuve de la « non-appartenance à la race juive »« entre deux autres chroniques consacrées respectivement aux "Fondement et limite de l’autonomie du droit administratif et à "La fixation du prix des loyers au 1er juillet 1943"513 ». La législation antijuive faisait l’objet de consultations514, commandait une division dans le plan d’un manuel de droit public515 ; les contentieux afférents représentaient le lot commun de certains cabinets d’avocats, parmi les plus renommés516, et les décisions juridictionnelles qui en résultaient un terrain propice à montrer ses talents pour un jeune arrêtiste517, à les confirmer pour les plus anciens...
302Des premières affaires jugées jusqu’en 1944, Henri Vizioz, professeur à la Faculté de Bordeaux – il y succédera au doyennat à Roger Bonnard –, dans les chroniques de procédure qu’il signe à la Revue trimestrielle de droit civil avec Pierre Raynaud (de Toulouse), se fait ainsi rapporteur précis et savant glossateur des décisions rendues par les juridictions civiles dans des affaires liées à la légalité antisémite518. De même, E.H. Perreau, professeur honoraire à la Faculté de Toulouse, et Paul Chauveau, doyen de la Faculté d’Alger, sont à la Semaine juridique les intarissables commentateurs des décisions judiciaires qui intéressent la matière : ils félicitent ou blâment les juges, renvoient l’un l’autre à leurs notes de jurisprudence, dialoguent par colonnes interposées519. Chauveau, inscrit au Barreau d’Alger, peut à l’occasion revêtir au prétoire la robe de défenseur pour des Juifs dont il connaît si bien le sort juridique520.
303349. Peut-être est-ce d’ailleurs rendre ici une certaine justice à ces universitaires que de remarquer que leurs commentaires, parfois, critiquant le jugement annoté, argumentaient une solution différente, qui aurait été plus favorable aux personnes en cause. La critique, cependant, même virulente, restait strictement cantonnée dans la sphère du plus étroit positivisme légicentriste. Deux exemples méritent qu’on s’y attarde, tant paraît symptomatique le décalage qu’un œil contemporain observe là – à condition de ne pas s’être aveuglé aux scintillements vains des principes mal compris de spécialité et de neutralité521 – entre la teneur du discours du juriste et les enjeux de la norme raciale.
304Premier exemple, en effet : pour encourager à la méfiances envers les exigences du Tribunal civil de Rabat quant à la preuve de la "non-judéité" des personnes522, soulignant qu’« on [ne] peut mesurer le terme » de « semblables exagérations », Chauveau, en 1942, dresse sur le mode ironique une synthèse dialoguée de l’état du droit et de l’évolution qui pourrait s’ensuivre, que lui-même baptise « suite aux "Tribunaux comiques" » ; il déplore qu’à ce genre l’homme de loi, bientôt, risque de devoir céder :
« "Celui qui n’appartient à aucune religion est juif s’il a au moins trois grands-parents juifs. Je n’appartiens à aucune religion et n’ai que deux grands-parents juifs, je demande au tribunal de dire que je ne suis pas juif", soutenait le plaideur d’hier. "Vous êtes juif, répondait le tribunal, parce que vous ne prouvez pas votre adhésion au catholicisme ou au protestantisme." "Je suis catholique ; voici mon certificat de baptême. Je n’ai que deux grands-parents juifs. Je demande au tribunal de dire que je ne suis pas juif", soutient le plaideur actuel. "Vous êtes juif, répond le tribunal, car vous ne me paraissez pas pratiquer votre religion de façon très régulière : vous n’avez pas fait bénir votre mariage, vous vous êtes contenté d’un de ces méprisables mariages civils, et, tout comme Jésus, vous êtes circoncis." "Je suis catholique et pratiquant ; voici mon certificat de baptême et la foule des témoins qui attesteront ma présence à la messe tous les dimanches ; par ailleurs, je fais régulièrement mes Pâques. Je demande au tribunal de dire que je ne suis pas juif", soutiendra le plaideur de demain. "Vous êtes juif, répondra le tribunal, car on ne vous a jamais vu dire vos grâces après les repas, et vous avez omis de saluer M. le Curé dans la rue avant-hier523." »
305De prime abord, on pourrait croire à une convaincante démonstration de l’absurdité des solutions dégagées dans le contentieux de l’antisémitisme, et d’abord dans le droit qui s’en trouvait à l’origine, qu’appuierait la force du registre humoristique les ridiculisant. Mais les propos qui font suite à ce quasi-sketch judiciaire convainquent rapidement que, pour son auteur, il s’agit seulement de stigmatiser l’incohérence de l’interprétation d’une loi antijuive ; rien de plus :
« La loi pourtant n’implique pas ces outrances, et nous n’y trouvons nulle trace que le Gouvernement les ait voulues. Pourquoi ne pas s’en tenir à son texte plus équilibré et modéré dans sa sévérité certaine ? Que, soucieuse de demeurer en deçà de l’action révolutionnaire, une administration veuille parfois dépasser les limites tracées par la loi, cela peut se comprendre, sans se justifier pour autant. La même position ne se conçoit plus de la part de magistrats. Nous avons dans le monde une vieille et belle réputation de mesure et de tact ; ne l’oublions pas et appliquons-nous à la perpétuer ; ce signe de haute civilisation est un des plus beaux fleurons de notre couronne. Que les tribunaux s’en souviennent et sachent la défendre contre les atteintes de trop zélés serviteurs, habiles à manier le pavé de l’ours. Ils ont là une mission enviable par laquelle ils contribueront au prestige de la France. »
306C’est de la sorte qu’on pouvait laisser entendre, entre autres, que l’application conforme du droit antisémite de Vichy relevait de quelque chose ayant encore à voir avec la « haute civilisation », et qui même était de nature à conférer un certain « prestige ». Chauveau ne réclamait que le respect du droit dans sa rédaction en vigueur, notamment afin d’éviter que des "non-Juifs" soient malgré tout déclarés juifs, à cause d’un régime probatoire mal défini. Certes, l’effort critique n’était pas négligeable. A contrario, cependant, puisqu’il ne semblait pas même besoin de s’arrêter à la question, le texte suggérait que l’oppression des Juifs, en soi, restait justifiée : ainsi en avait décidé le "législateur" ; seul comptait que sa volonté soit bien respectée, la lettre et l’esprit.
307Dans un commentaire postérieur de quelques mois, trouvant cette fois l’occasion de rappeler à la règle de l’interprétation stricte le Tribunal correctionnel de Brive qui l’avait enfreinte524, le même Chauveau distinguait clairement les rôles :
« Dans une période révolutionnaire comme celle que nous vivons, un assouplissement de l’instrument législatif se conçoit pour en accroître la rapidité et l’efficacité. Mieux ce résultat est assuré, plus l’administration se doit de donner l’exemple du respect des lois et de la mesure dans leur application ; il y va de son prestige et de son autorité, rien ne sert de remplacer des excès par des excès contraires. Or à l’heure actuelle l’appareil législatif a vraiment été allégé au degré maximum avant l’autorité absolue. Rien ne peut donc justifier la violation systématique du principe de l’interprétation restrictive des lois pénales, d’exception ou de déchéance. [...] Accroître la sévérité des lois est affaire de politique, donc de gouvernement ; ce n’est pas celle des bureaux, ni de la justice, ni même d’un ministre isolé. Cette règle élémentaire est un principe essentiel d’ordre et de tranquillité publics, une des assises d’un édifice social civilisé. »
308350. Mais l’intervention de la doctrine pouvait opérer sur un mode plus pernicieux encore : nuire aux Juifs par l’approbation d’une décision qui leur bénéficiait. Le second exemple annoncé éclaire bien cette hypothèse paradoxale, qu’on puise dans les observations qu’émettait Perreau sur le jugement Dorfmann du Tribunal correctionnel de Toulouse. Celui-ci, d’une part, avait dans ses motifs en quelque sorte "criminalisée" la qualité même de Juif, bien que ce fût pour prononcer une relaxe, et avait mis à la charge du prévenu la preuve de sa non-appartenance à la religion juive ; d’autre part, avait refusé l’instauration d’une présomption de judéité d’un grand-parent inconnu, au nom de l’interprétation stricte qui devait être celle du statut525. Perreau critiquait justement le régime probatoire ainsi défini, en tant qu’il « contredisait l’adage traditionnel dominant la preuve en toute procédure pénale ou civile : "actori incumbit onus probandi" ». Toutefois, le professeur ne s’arrêtait pas un instant à la transformation de la judéité en délit intrinsèque, et brevetait donc cet abus, au contraire, d’un implicite satisfecit. Surtout – car c’est le plus révélateur –, pour avaliser le refus de la présomption, il citait en conclusion de son argumentation les termes, on ne pouvait plus inadéquats à défendre la cause des Juifs, d’une jurisprudence de la Cour de cassation :
« La lecture la plus attentive de la loi du 2 juin 1941 ne permet pas d’y trouver trace d’une présomption de sémitisme des grands-parents inconnus d’un prévenu, même quand d’autres sont juifs. L’admettre est donc ajouter à la loi. Or le précepte : "pœnalia sunt restrigenda" est communément reçu non seulement en matière civile mais en matière pénale, par une jurisprudence plus que centenaire, rappelée par notre jugement. "Malgré l’indignation qu’inspire la gravité du crime, les magistrats n’en doivent pas moins se renfermer rigoureusement dans le texte de la loi pénale qu’ils sont chargés d’appliquer" (Cass. Ch. réunies, 6 décembre 1828 [...])... »
309Le jugement, qui pourtant s’était montré fort maladroit, n’était pas allé, lui, jusqu’à dire aussi clairement qu’être juif pût relever d’un « crime », dont « la gravité » soulevait « l’indignation » ! Et ainsi assistait-on, en l’occurrence, à la surenchère antisémite du commentateur sur la surenchère antisémite du juge, alors précisément que, selon toute vraisemblance, le juge avait voulu soustraire le particulier à l’application de la loi, et le commentateur approuver le sauvetage ainsi réalisé... Annotant la même espèce, Chauveau, qui critiquait également le principe d’une présomption de judéité, crut sans doute utile, quant à lui, d’ajouter in fine :
« Au surplus, il est inexact de dire que l’enfant naturel dont la filiation n’est établie qu’à l’égard de deux de ses grands-parents ne pourrait jamais être classé parmi les juifs. Il le sera si, les deux grands-parents connus étant juifs, il épouse un israélite. Il pourra l’être encore [...] s’il appartient à la religion juive ou y appartenait avant le 25 juin 1940. Il n’est pas exclu que le législateur ait introduit cette dernière disposition en pensant précisément à l’enfant naturel. »
310351. Ni plus, ni moins que la loi... Au reste, cette préoccupation constante de s’en remettre à celle-ci, ou ce qui en tenait lieu, souci exclusif de tout questionnement sur le bien-fondé des dispositions en cause, explique l’extrême luxe de détails dans l’exégèse juridique auquel s’adonnaient certains auteurs526. Dura lex, sed lex, concluait l’un d’eux527, comme pour résumer la logique à l’œuvre dans la démarche intellectuelle de toute une communauté professionnelle. Il est vrai que semblable phénomène de diffusion, par les spécialistes du droit, de l’antisémitisme fait norme, pouvait être observé, au même moment, en Allemagne comme en Italie528. Partout, une identique « banalisation » du mal en faisait, finalement, la « banalité529 » :
« Durant toutes ces années, les juristes ont assisté à la naissance du statut des Juifs, l’ont nourri régulièrement, ont découvert ses défauts et ses forces, et – comme les parents d’un enfant encore en pleine croissance – ont discuté de son avenir avec un mélange de prudence et d’optimisme530. »
311352. À cette légitimation idéologique par acculturation juridique, les mots du droit ont pris leur large part. Comme Danièle Lochak encore l’a montré, le processus s’avérait en effet « d’autant plus subreptice et efficace que le droit neutralise le contenu polémique des termes qu’il intègre à son lexique et leur confère une authenticité nouvelle : transmués en catégories juridiques, les mots se voient parés de l’"objectivité" qu’on reconnaît au vocabulaire technique ; inscrits dans la loi, ils acquièrent un poids, une "vérité" supplémentaire » ; si bien qu’« on s’habitue d’abord aux mots, puis aux représentations qu’ils véhiculent, et on finit par trouver normales les situations qu’ils proposent d’instaurer531 ».
« Et lorsque, à l’époque, on lit les lois et les décrets de Vichy, ou mieux encore l’analyse qu’en font des juristes sérieux et compétents, qui reprennent mot pour mot les termes du législateur, voire même en créent de nouveaux dérivés grammaticalement ou logiquement des premiers (tels qu’"aryanisation" ou "métis"), on ne peut douter un instant de l’existence d’une race juive, pas plus que de la nécessité d’aryaniser les entreprises. »
312Un effet tout aussi « pervers532 », sinon davantage, naît du rapprochement de ces termes d’"anti-droit" avec les concepts les plus courants, les mieux enracinés dans le langage et la pensée juridiques. Pour ne retenir qu’une formule consacrée, la notion d’"intérêt général", ou d’"intérêt public", accolée par exemple à la formule légale de « l’élimination de l’influence juive533 », se révèle évidemment d’un effet symbolique dévastateur. Sans doute est-ce pour des non-juristes que l’ambiguïté de ces mots, leur charge subjective, et, à l’égard de ces "profanes", tout simplement leur spéciosité, hier comme aujourd’hui, recèlent le plus grand risque de tromperie. Mais ne s’attendrait-on pas, de la part de qui sait l’ambivalence des termes qu’il emploie, à ce qu’il fasse remarquer celle-ci, au moins, sinon la dénonce ; et dise, ainsi, que "l’intérêt général" décrit en l’occurrence – avec quelle méticulosité d’ordinaire –, n’était jamais que ce que les lois du régime, anti-démocratiquement, considéraient comme tel ?
313Certes, le lectorat des articles en cause se trouvait essentiellement voire exclusivement constitué par des juristes, aptes à distinguer, dans l’équivoque de certaines terminologies, l’expression d’une technicité propre au discours juridique. Ce fut le fond de la "défense"534 présentée par Maurice Duverger à l’encontre des attaques qu’il essuya, après-guerre, au sujet de son article de près de deux cents pages, publié à la Revue du droit public en 1942, consacré à « la situation des fonctionnaires depuis la révolution de 1940535 ». Le jeune professeur y avait en effet démontré que les statuts d’octobre 1940 et juin 1941 n’avaient « pas le caractère de mesures de représailles, mais de mesures d’intérêt public536 » ; il écrivait notamment ceci :
« Les incapacités frappant les juifs et les naturalisés sont motivés par la considération de l’intérêt des services publics : on estime que les juifs sont inaptes, d’une façon générale, à assurer le bon fonctionnement de ces services. Les mesures adoptées auront donc pour but d’exclure totalement de l’accès des fonctions publiques les juifs et les naturalisés [...]. La raison d’être de l’incapacité des juifs d’accéder aux fonctions publiques est la même que celle de l’incapacité frappant les naturalisés : la protection de l’intérêt des services publics. Le nouveau régime reconnaissant à toutes les fonctions publiques un certain caractère politique à côté de leur caractère technique, il a été logiquement conduit à exiger de tous les fonctionnaires non seulement des capacités techniques, mais encore une certaine aptitude politique. On a estimé que les juifs, comme les naturalisés, ne présentaient pas en général cette aptitude : d’où leur exclusion des fonctions publiques. Cependant, si le fondement logique de la situation juridique faite aux juifs et aux naturalisés est identique, sa réglementation pratique est assez profondément différente. Les mesures prises à l’égard des juifs sont plus rigoureuses et plus étendues que les mesures prises à l’égard des naturalisés. Cela s’explique par le fait qu’on a jugé les juifs plus dangereux politiquement que les naturalisés : l’intérêt public conduisait donc à adopter à leur égard une réglementation plus stricte. »
314353. Mais le vocabulaire juridique et la méthode positiviste ne sont peut-être pas les seuls responsables de la légitimation des textes antisémites. Dans les passages cités de l’article de Maurice Duverger, comme on l’a fait remarquer537, « jusque là le "on" préserve le ton objectif du commentaire du juriste » ; en revanche, pour analyser la précision acquise par le statut de 1941 dans la définition de la judéité, désormais réalisée par une combinaison de critères religieux et pseudo-ethniques, « était-il indispensable d’expliquer [...] de la sorte » le "progrès", selon des termes qui témoignaient une sympathie bien faible, pour le moins, aux victimes de la discrimination ? :
« Si l’on adopte le critère religieux, il est à craindre que la plupart des juifs ne feignent une conversion apparente et ne parviennent ainsi à éluder l’application de la loi. Si l’on adopte le critère racial, il est très difficile de déterminer les caractères qui permettront d’établir l’appartenance ou la non appartenance à la race juive : la définition scientifique de la race, d’après les caractères ethniques, étant impossible à utiliser, on en sera réduit au système de la déclaration, qui ouvre la porte à toutes les contestations. La loi du 3 octobre 1940 avait adopté le système de la détermination par la race, sans préciser d’ailleurs le critère permettant de déterminer l’appartenance à la race juive [...] : il semble qu’on se fiait, en pratique, à la déclaration [...]. La loi du 2 juin 1941 met fin à cette imprécision538. »
315Et l’auteur de relever, à la page suivante, que la disposition selon laquelle se voit « considéré comme juif celui ou celle qui est issu de deux grands-parents de race juive, et qui appartient à la religion juive, ou qui y appartenait antérieurement au 25 juin 1940 [...] s’explique par le fait que de nombreux juifs se sont convertis depuis l’armistice, afin de tenter d’échapper à la législation qui les concerne : ce calcul est déjoué par le fait que la loi considère comme ne devant pas être prises en considération toutes les conversions postérieures au 25 juin 1940 ». En note, de la même eau :
« Un autre procédé avait été employé par certains juifs pour éluder l’application de la loi à l’égard de leurs enfants : le désaveu de paternité ou l’annulation de reconnaissance. Aussi la loi du 2 juin 1941 a-t-elle décidé que le désaveu ou l’annulation de reconnaissance d’un enfant considéré comme juif demeure sans effet au regard des dispositions déterminant les personnes qui ont la qualité de juif. »
316Bien sûr, Maurice Duverger, comme tous ses pairs traitant de la question, raisonnait en droit. Ainsi, c’est dans la mesure où « le législateur a[vait] voulu assurer scrupuleusement l’indemnisation des fonctionnaires juifs éliminés de leurs fonctions » qu’il reconnaissait à ces évictions la nature de « mesures d’intérêt public », par opposition à des sanctions disciplinaires539. Mais « la neutralité glacée du juriste » – comme il l’appellera lui-même, quarante ans plus tard, prétendant n’avoir pas été « tout à fait dupe de ces jeux de l’esprit, qui favorisaient une tendance à considérer toutes choses de loin, de l’extérieur, comme un spectateur non concerné540 » – ne paraît nullement avoir exigé des formules ambiguës comme : « il est à craindre que la plupart des juifs ne feignent une conversion apparente et ne parviennent ainsi à éluder l’application de la loi » ; « on en sera réduit au système de la déclaration, qui ouvre la porte à toutes les contestations » ; « ce calcul est déjoué »... Ces mots-là ne relevaient absolument pas de la technique juridique, et si l’auteur s’était mieux soucié – selon ses propres dires rétrospectifs toujours – de « s’applique[r] d’abord à prendre ses distances par rapport aux dispositions qu’il étudi[ait] », afin d’« expose[r] la pensée » du « législateur », en simple « interprète [...], sans l’approuver en aucune façon541 »... l’impersonnalité des tournures aurait pu marquer une distanciation plus manifeste ; par exemple : "on a pu penser que la plupart des juifs...", "l’administration en serait réduite...", et même : "cette tentative est mise en échec...". Le choix à opérer n’était pas ici entre, d’un côté, les exigences de la linguistique juridique et, de l’autre, une langue inadéquate à servir le commentaire d’un texte de loi ; l’alternative se résumait à opter soit pour une terminologie de langage courant, péjorativement connotée à l’égard des personnes que cette loi visait, soit pour des formulations débarrassées de ces caractères défavorables, comme telles plus véritablement neutres. Il s’agissait seulement de rendre compte de "l’anti-droit" en empruntant la logique de ses propres valeurs fondatrices – en synthèse, la haine des Juifs –, ou en cherchant à préserver son quant-à-soi par des mots qui ne prêtaient pas à équivoque, substitution à laquelle rien ne faisait obstacle puisque ces mots s’avéraient de toute façon employés dans un sens commun.
317À lire « La situation des fonctionnaires depuis la révolution de 1940 », il semble que Maurice Duverger ait retenu la première de ces possibilités. On peut trouver dans l’article une trace du portrait couramment dépeint des Juifs par l’antisémitisme ambiant de l’époque : des adversaires difficiles à combattre, dont on redoute la capacité de dissimulation. Les démonstrations plus ou moins implicites susceptibles de leur bénéficier, quelles discussions, d’ailleurs, que sur la tangibilité de ces raisonnements on pourrait tenir, n’y changeaient rien542. La méthode d’appréhension du fait juridique n’était pas uniquement en cause, mais bien aussi le suivisme idéologique. En ce sens, on se rallie partiellement à l’analyse de Michel Troper, selon lequel c’est précisément faute d’avoir respecté les règles du strict positivisme que la doctrine, sous Vichy, s’est faite complice de la répression antisémite543.
318354. Car, pas plus que Maurice Duverger, aucun auteur de la période n’a estimé utile de remarquer expressément les ambivalences de certaines formules. D’une façon générale, il est à craindre que la raison, souvent, en soit à chercher, non pas du côté d’une superfluité supposée, pour le lecteur, de semblables précisions, mais dans l’absence de doute ressenti, par ces auteurs, qu’en effet les lois en cause ne fussent pas d’intérêt général, sinon dans leur intime persuasion qu’elles l’étaient bien – au sens juridique comme au sens courant. Cela expliquerait d’ailleurs qu’ils aient pu prendre la plume en toute sérénité, et écrire sans dénoncer plutôt que de s’en tenir au silence ; après tout, « rien n’oblige un juriste à commenter une loi ignominieuse544 ».
319Proposition d’hypothèse sur un phénomène socio-psychologique, en forme de cercle vicieux : pénétrés, peu ou prou, d’une « sorte d’antisémitisme feutré et "de bon aloi" – par opposition aux attaques virulentes de l’extrême droite – si répandu avant la guerre dans les milieux conservateurs545 », sentiment en outre exacerbé par Vichy, ces juristes ne s’offusquaient guère des textes antijuifs ; les analysant, par conséquent, sans les critiquer au fond, leurs conférant la force légitimante dont tout écrit juridique se trouve intrinsèquement porteur, ils confortait, renforçaient, enfonçaient les mentalités dans leurs opinions, vague mépris ou haine profonde ; ainsi, à leur tour, ils accroissaient la portée et le rôle de ces textes en termes de modélisation sociale, malencontreux mais pas tout à fait innocents étais de la xénophobie du régime et de l’époque546.
320355. Dans la majorité des cas, cette hypothèse demeure à peu près invérifiable ; il faudrait notamment mener une enquête historique sur chaque intervenant, recherche biographique difficile, sinon impossible547. L’intuition trouve cependant un appui, a contrario, dans les habiles tentatives de résistance morale qu’on pouvait déceler, au même moment, sous la plume de certains ; rares, ils avaient su mettre en œuvre, dans leurs travaux, pour des lecteurs avertis, les moyens de se faire entendre à demi-mot, voire très limpidement.
321Au plan du système institutionnel de Vichy, d’abord, comment un familier du droit n’aurait-il pu percevoir la portée subversive de l’article que Julien Laferrière publiait, en 1944, à la Revue du droit public, sur « La coutume constitutionnelle, son rôle et sa valeur en France548 » ? L’auteur, ainsi, quoique sans faire référence au nouveau régime et s’en tenant à la Constitution de 1875, évoquait un débat sur la valeur en droit positif de la Déclaration des droits de 1789 dont il était tout loisir, pour les esprits lucides, d’effectuer la transposition au présent549. Dès 1941, le même, dans son Nouveau droit public de la France, avait noté sans détours que « la loi, œuvre personnelle du Maréchal, [n’était] plus l’expression de la volonté générale550 ». Et Georges Berlia, pareillement, qui étudiait en 1944 à la R.D P. – dans les pages qui suivaient l’article de Laferrière – « La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940551 », donnait à son « étude critique » une conclusion digne des arguments développés, cependant même, par la doctrine de la France libre :
« Contrairement à la volonté des auteurs de ce texte [la loi du 10 juillet], il y a rupture de la licéité constitutionnelle entre le régime antérieur à 1940 et celui qui, en fait, lui a succédé. La loi est inconstitutionnelle et, par suite, n’a pu faire que le régime nouveau soit l’héritier du précédent, du moins reconnu légalement comme tel par ce dernier. Il n’y a pas un rapport de filiation juridique entre les deux. Ce n’est donc pas la loi du 10 juillet qui fonde l’autorité du gouvernement depuis cette date, et il faut en venir à la seule thèse qui reste disponible ; le gouvernement est un gouvernement de fait. »
322Bien que l’auteur finissait par admettre, plus ou moins implicitement, la nécessité d’un tel gouvernement552, il faut reconnaître que cette conclusion, en plein « régime qui n’admet[tait] pas la critique553 », allait assez loin...
323Que penser, encore, des démonstrations que, l’année précédente, présentait Georges Liet-Veaux, dans une étude également publiée à la Revue du droit public, consacrée à la « fraude à la Constitution554 » ? Dès le sommaire, on y lisait, sorte de réalisme théorisé, que « les limites que l’Assemblée nationale a imposées à l’exercice de la compétence constituante par le Maréchal Pétain sont nulles » – et non nulles les mesures de Pétain qui avaient enfreint les dispositions de la loi du 10 juillet 1940. Certes, l’article se montrait quelque peu ambigu, dont on pouvait se demander si, laissant au lecteur la liberté, aussi facile que tentante, de rectifier dans le bon sens ce qui devait l’être, il ne cherchait pas à solliciter, davantage que l’adhésion, la réflexion qu’un juriste pouvait utilement formuler pour lui-même555.
324Concernant le droit antisémite, de la même manière, certaines notes de jurisprudence, rétrospectivement, attestent que le genre aurait pu rester le terrain d’élection des critiques – des critiques de fond s’entend, pas seulement formelles comme celles que pouvaient émettre un Chauveau ou un Perreau. Ainsi des observations que rédigeait le professeur Bastian en 1942, sur un jugement rendu par le Tribunal commercial de Saint-Étienne favorablement à tel créancier, qui avait réclamé son dû à une société, propriété d’un Juif, ayant fait l’objet de la nomination, par les autorités allemandes, d’un administrateur séquestre556. Le commentateur ne mâchait pas ses mots, non seulement pour exprimer « tout ce que cette décision a[vait] d’anti-juridique » selon lui – tant, écrivait-il, « son caractère illégal saute aux yeux des moins avertis » –, mais aussi pour dire un dégoût, à l’égard de l’affaire et de son issue, qui procédait d’une compassion non dissimulée envers le Juif spolié en cause :
« Il est [...] inutile de relever combien la solution donnée est contraire à la plus élémentaire équité : alors que différents textes – et en particulier l’article 1 244 du Code civil – invitent les juges à tenir compte de la position du débiteur et de la situation économique, le tribunal fait totalement abstraction de ce qu’il s’agit d’un réfugié de la zone interdite, privé tant de ses droits dans l’actif de la société en cause [...] que de ses biens personnels et frappé en outre, à raison de sa qualité de non aryen, d’une série de mesures d’exception. Il suffit que ce réfugié ait pu emporter ou recouvrer quelques sommes et ait pu, au milieu de difficultés sans nombre, exercer quelque activité dans son lieu de repli, pour que le tribunal en conclut que ce débiteur "ne rapporte pas la preuve de son impécuniosité actuelle" et le condamne, avec exécution provisoire sans caution, envers un créancier qui, lui, n’a pas souffert de la guerre, n’a rien perdu, mais dont l’exercice des droits "ne peut être [...] suspendu ou entravés par les événements actuels". Il est navrant de constater que, dans les circonstances pénibles que nous traversons, il y a encore des individus qui ne songent qu’à défendre jusqu’au dernier centime leurs intérêts égoïstes et des magistrats pour leur donner raison, même au prix d’une violation de la loi. »
325Le rappel à l’« équité » en faveur d’un Israélite, la qualification même de « réfugié » à son adresse, la stigmatisation des « intérêts égoïstes » des "aryens" tranchaient, singulièrement, avec le discours usuel des commentateurs de la Semaine juridique...
326Plus discrètes peut-être, repérables aisément, néanmoins, dans le flot des insignifiances habituelles, on peut relever quelques autres appels à la justice, sinon au bon sens. De la sorte, Jean Seignolle, à la suite d’un arrêt de la Cour d’appel de Limoges qui avait lui-même procédé au rappel557, martelait que les « principes généraux du droit pénal doivent encore et malgré tout, toujours et en toutes circonstances, être appliqués par les tribunaux ». René Savatier, mêmement, approuvant la compétence judiciaire retenue en janvier 1944, quant à l’appréciation de la judéité des personnes, par le jugement Consorts Bass du Tribunal civil de la Seine558, concluait sa note en affirmant que, « sur les questions d’état touchant les qualités générales et essentielles de la personne humaine, le Français a toujours droit au respect des garanties que lui donne l’organisation judiciaire ». De tels mots – « personne humaine », « Français » –, qu’on trouverait aujourd’hui banals hors contexte, paraissaient alors originaux, pourtant, tant ils étaient devenus d’un emploi rare regardant les Juifs, depuis des années réduits à l’état de "sous-citoyens", pour ne pas dire de sous-hommes. Chez les deux auteurs, d’ailleurs, le même adverbe employé, « toujours », ne constituait-il pas, plus qu’un moyen de souligner la permanence qui a vocation à s’attacher à la règle juridique, une façon de signifier que, même sous Vichy, aussi malmenées que fussent les garanties offertes aux particuliers par le droit – « malgré tout », écrivait Seignolle – –, les règles protectrices de l’individu demeuraient ? – Le supposer, c’est en somme bien voir que des ruses, des feintes étaient possibles, qui peu souvent furent exploitées par les techniciens de la norme antisémite pour échapper, au moins en partie, à « la perversion du droit [qui] consiste à légitimer par la forme une législation illégitime par la substance559 » ; c’est admettre que, danger certain, cet écueil du logos juridique n’avait cependant rien d’une fatalité.
327356. La responsabilité de la "doctrine de l’antisémitisme", c’est-à-dire le processus qu’elle réalisait, nolens, volens, de consécration par banalisation des lois raciales, peut en outre se trouver précisée sur un point qui importe ici particulièrement. Les travaux de ces légistes, en effet, parmi la masse indifférenciée de leurs confrères qui en prenaient connaissance, s’avéraient au premier chef de nature à influencer ceux qui, les ayant naturellement pour lecture privilégiée, disposaient en même temps du plus d’influence, après les hommes de l’appareil gouvernemental, sur l’application concrète du droit ainsi décrit – on veut nommer les membres des institutions juridictionnelles, de tous ordres. En particulier, les savantes démonstrations, les opinions supposées éclairées de ces exégètes de l’"anti-droit" avaient toutes les chances d’inspirer les choix contentieux du Conseil d’État ; on sait l’importance des recherches juridiques pour la jurisprudence administrative560.
328De ce point de vue, il est manifeste que le Conseil ne risquait pas d’être troublé dans son propre travail d’intégration et de légitimation des textes antisémites. Gaston Jèze en personne, fournissant un bel exemple de cette normalisation, analysait l’état de la jurisprudence administrative relative à « La définition légale du Juif » à la suite de deux autres de ses études, la première examinant « La jurisprudence du Conseil d’État et le détournement de pouvoir », la seconde traitant des « Contrôle de la légalité et contrôle de l’opportunité561 ». Dans l’ordre de la valorisation symbolique, la conclusion de Maurice Duverger selon laquelle les dispositions du statut des Juifs revêtaient « le caractère [...] de mesures d’intérêt public » se trouvait reprise par l’ensemble de la doctrine publiciste562. Et, pour la justification politique, Perreau en 1942, au sujet de l’aryanisation économique, écrivait qu’il était « naturel qu’en temps de crise profonde, comme notre crise actuelle, l’autorité publique [...] écarte les personnes dont elle redoute l’influence, tels les Juifs à l’heure présente563 ». Moins retenu que ses pairs, Georges Burdeau quant à lui, l’année suivante, « sortait largement de la description académique pour évoquer le statut564 » :
« Le redressement de l’esprit public [...] est la tâche la plus urgente, car c’est d’elle que dépendent tous les aspects du redressement national. [...] Il faut éliminer ou mettre hors d’état de nuire les éléments étrangers ou douteux qui s’étaient introduits dans la communauté nationale. [...] La sauvegarde de l’esprit français exige la mise sur pied de tout un système de défense contre les influences nocives, de protection et d’encouragement au profit des éléments sains. [...] Le statut des juifs [...] est inspiré par cette constatation de fait qu’étant donné ses caractères ethniques, ses réactions, le juif est inassimilable. Le régime considère qu’il doit être tenu à l’écart de la communauté française. »
329Par surcroît de justification, le juge administratif faisait l’objet d’approbations de la part des commentateurs avisés de ses décisions. « Ces solutions, sur le terrain des principes, ne sauraient prêter à discussion », consignait ainsi un annotateur des premiers arrêts rendus par le Conseil d’État en matière d’aryanisation565. Sous cette formulation, à y regarder de près un peu ambivalente, il réservait peut-être la possibilité d’une critique d’ordre éthique ; mais c’est en juriste strict qu’il commentait des arrêts intervenus, par définition, dans le champ du droit. Le jeune Jean Carbonnier, de même, dans sa note sous l’arrêt Ferrand 566, adhérait « sans réserve » à la position pourtant discutable adoptée par la Haute juridiction ; tout au plus regrettait-il « que le Conseil d’État n’ait pas profité de l’occasion pour réaffirmer plus nettement que le principe de la liberté de conscience demeurait intangible malgré les vicissitudes politiques, en rappelant que, lors de l’élaboration de la législation touchant les juifs, ses auteurs avaient pris soin d’affirmer à plusieurs reprises que cette législation avait une portée purement raciale (sic) et qu’elle ne devait aucunement être interprétée comme une atteinte à la liberté religieuse567 ».
330357. Mais, si les membres jugeants du Conseil ont effectivement pu être influencés par certaines conclusions doctrinales, de toute évidence ils ne l’ont pas été par les bonnes... Ainsi, notamment, ils sont passés – en particulier dans l’affaire Vincent 568 – à côté de l’occasion de se saisir de ces propos de Julien Laferrière, et d’en démentir les prévisions pessimistes :
« L’auteur de la loi actuelle est le chef de l’État, c’est-à-dire un organe qui, dans notre système d’autorités, relève du contrôle juridictionnel, et qui doit en relever aussi bien pour ceux de ses actes qui sont l’exercice du pouvoir législatif, étant donné que dans la nature et les éléments internes des manifestations de ce pouvoir aucune donnée ne répugne au contrôle juridictionnel. [...] Ce serait là une grosse innovation dans notre système de droit public et nous ne nous étonnerions pas qu’elle ne se heurte à de fortes résistances569. »
331Semblable démonstration, isolée, l’absence d’illusions dont elle s’accompagne, paraissent du moins dénoter plus de lucidité, et un esprit critique plus aiguisé, que n’en témoignait un Henri Vizioz qui, approuvant le choix du Conseil d’État, après le réexamen occasionné par l’affaire Kaan 570, de maintenir sa compétence à l’égard de l’appréciation de la judéité, consignait entre autres, pour réfuter l’utilité de l’option adverse :
« La thèse écartée part d’un sentiment de méfiance excessive à l’encontre des tribunaux administratifs et de confiance également excessive dans les garanties juridictionnelles du droit privé. Le Conseil d’État n’offre-t-il pas, aujourd’hui, une protection aussi solide que les tribunaux judiciaires ? Ne s’est-il pas montré, maintes fois, en face de prétentions de l’administration, plus ménager des droits et libertés individuelles que la Cour de cassation ? En particulier, n’a-t-il pas interprété la loi de 1941 [portant statut des Juifs] avec un remarquable esprit de libéralisme et d’équité571 ? »
332On veut croire que le civiliste, de plus "processualiste", comme tel peut-être faiblement porté sur la lecture in extenso des arrêts de la jurisprudence administrative, n’avait fondé son opinion que sur les notes qui émaillaient au Recueil Lebon les décisions relatives au sujet572 ; elles seules, en effet, pouvaient le conduire à souligner de bonne foi ce « remarquable esprit de libéralisme et d’équité », dont en vérité le Conseil d’État avait bien peu souvent fait preuve dans son application du statut des Juifs. À force de tels commentaires, il est vrai, les membres de l’institution pouvaient finir par se persuader, eux-mêmes, du contraire...
***
Conclusion du chapitre ii
333358. Il ne s’agit bien sûr pas un instant, porté par l’ivresse du tranquille orgueil que permet l’éloignement temporel, de demander à des hommes de s’être comportés en héros dans le passé. Cependant, il faut se demander, avec l’humble souci de mener l’analyse jusqu’au terme que sa complétude exige, pourquoi ils ne l’ont pas fait, ou tenté. La question paraît légitime dès lors que certains d’entre eux, d’une façon ou d’une autre, se montraient effectivement héroïques, au moment même que d’autres ne l’étaient pas, voire s’opposaient à leurs entreprises.
334359. Formulée au seuil de ces développements, la supposition d’une contrainte extérieure que Vichy aurait exercée sur le Conseil d’État, juge souvent rigide de l’antisémitisme du régime, ne tient pas vraiment lorsqu’on récapitule les éléments çà et là relevés. En particulier, il est patent que la juridiction administrative a conservé, durant la période, une latitude d’action très développée, et, d’autre part, que plusieurs juridictions judiciaires, malgré des positions discutables, parfois, au sein de l’ordre considéré dans son ensemble, ont adopté une jurisprudence souvent plus audacieuse, d’ordinaire moins sévère ; la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en termes de pression politique à peu près comparable, si ce n’était pas le cas de toutes les instances judiciaires, au Conseil d’État statuant au contentieux, s’est prononcée à l’opposé de l’un des plus contestables arrêts rendus par ce dernier573. De même, les changements d’aspect de l’État français au gré des années de la guerre, on l’a dit, semblent être demeurés de peu d’influence sur la tonalité des décisions du juge de l’administration : à l’approche d’un effondrement dont l’amorce était pourtant clairement visible depuis Paris, celui-ci ne se révélait ni plus ni moins généreux qu’auparavant, à Royal574. En somme, si le Conseil fut l’"otage" de quelque chose à l’époque, pour l’essentiel il paraît l’avoir moins été du pouvoir en place, aussi comminatoire celui-ci se montrait-il, que du conformisme qui régissait alors les pratiques et les esprits.
335Ce conformisme, c’était sans doute avant tout celui d’une société habituée, de longue date, à la xénophobie et à l’antisémitisme. À cet égard, comment ne pas rapprocher la sévérité du contentieux des épurations xénophobes traité par le Conseil de celui des mesures antisémites575 ? On voit mal pourquoi, touchant ces dernières, la même banalisation légitimante qu’on relève dans les revues juridiques n’aurait pas eu, concernant l’activité des juridictions, les mêmes causes – lesquelles, certes, restent à proprement parler une hypothèse sociologique576.
336Ce conformisme, c’était aussi l’accoutumance de l’ensemble de la communauté des juristes à une révérence positiviste sans faille pour la norme, singulièrement pour la loi en héritage de soixante-cinq ans de parlementarisme absolu, le parlement aurait-il disparu. L’aveuglement s’avérait en l’occurrence d’autant plus facile, probablement, que, soutenues par les préjugés courants d’avant-guerre, les lois raciales de Vichy, de plus, constituaient des actes de l’État français, édictés par le gouvernement français, juridiquement indépendants des ordonnances de l’occupant : malgré tout, pratiquement un motif de fierté pour un peuple en "souveraineté surveillée".
337Ce conformisme, enfin, c’était la passivité de fonctionnaires qui acceptaient sans mot dire, dans leur immense majorité, non seulement le peu significatif serment de fidélité de 1941577, mais surtout la cohorte de mesures arbitraires, discriminatoires, liberticides, qu’ils avaient en charge de mettre en œuvre, d’une manière ou d’une autre. Peut-être galvanisés par les discours officiels, abasourdis par la défaite, tous ou quasiment étaient, de toute façon, les adeptes résolus d’un neutralisme parfait. A la Libération, l’un deux, Marcel Peyrouton, ancien gouverneur général de l’Algérie et ministre de l’Intérieur en septembre 1940, aurait ainsi, pour sa défense, ces paroles emblématiques : « Je ne me posais pas ces questions. Je vous le répète : je ne suis pas républicain, je ne suis pas antirépublicain, je suis un agent, un fonctionnaire578. »
338Et les fonctionnaires "fonctionnaient" donc, à tous les niveaux de la hiérarchie, jusqu’au Conseil d’État. Chacun, dans l’accomplissement de son rôle stéréotypé – « homme de silence, il travaille, il sert et il se tait579 » –, qu’il fût agent d’exécution ou juge, semblait ignorer « qu’on peut être coupable par manque d’imagination580 », par défaut d’humanité dans l’application d’une circulaire, d’une loi ; par simple fidélité aux règles les mieux établies. De la sorte, rétrospectivement, se confirmerait pour cette période sombre la thèse qu’à la fin des années 1950 défendait Prosper Weil581, reprise une dizaine d’années plus tard par Danièle Lochak (qui a notamment développé l’analyse de Vichy582) : la Haute juridiction administrative reflète l’« opinion politique dominante », sa jurisprudence n’est pas « "attributive", mais [...] "déclarative" de politique », représentative des idées « d’un petit groupe de techniciens, hauts fonctionnaires, hommes politiques, journalistes, universitaires... ».
339360. Une question demeure, cependant, non des moindres : à ce conformisme que le contentieux de l’antisémitisme révélait et constituait tout ensemble, s’est-il parfois mêlé, au Conseil d’État, une intention délibérée de nuire aux requérants juifs qui s’en remettaient à lui ? – Horresco referens, bien sûr... Mais il y aurait tout de même quelque singulière candeur à croire, et une blâmable duperie à laisser entendre, que les membres de la section du Contentieux aient pu échapper aux clivages qui divisaient manifestement leurs homologues de l’ordre judiciaire583, comme plus généralement l’ensemble des Français, entre 1940 et 1944.
340D’abord, les opinions personnelles, qui scindaient les conseillers entre sympathisants de la Révolution nationale et soutiens actifs ou moraux de la Résistance, n’auraient su ne pas affecter la fonction juridictionnelle de l’institution. Ensuite, il est probable que des préoccupations de nature corporatiste aient commandé, mêmes chez les plus dénués de sympathie pour le gouvernement, une grande réserve. En effet, à supposer que les déclarations du vice-président Porché à l’adresse des gardes des Sceaux successifs de Vichy étaient bien significatives de l’aspiration la plus largement partagée au sein du corps, on conçoit que ce dernier n’ait pas voulu heurter les autorités tant qu’elles n’avaient pas réalisé les promesses du statut de décembre 1940, et courir le risque d’hypothéquer, par avance, le renouveau du rôle "législatif qu’on lui faisait miroiter. Dans cette optique, en tout cas, les audaces jurisprudentielles observées à partir de 1944 – tous contentieux confondus, antisémitisme et épuration politique particulièrement –, si l’on continue d’en chercher une cause extérieure, trouveraient, en plus de l’effritement de la crédibilité du pouvoir, une part d’explication plausible : le Conseil pouvait enfin estimer n’avoir plus rien à perdre. En dernier lieu, comme le relève Jean Marcou584 :
« Il est probable que ce rigorisme était engendré par les convictions racistes de certains membres. Dans certains secteurs du Conseil régnait un antisémitisme bourgeois nourri de jalousie et de rancœur. Des Juifs n’avaient-ils pas été d’éminents jurisconsultes avant-guerre, et ne comptait-on pas au Conseil, avant les purges de Vichy, deux vice-présidents israélites sur cinq ? Autant de faits propres à réveiller une animosité latente chez certains membres du corps, à l’époque plutôt animé par les idées conservatrices. On doit d’ailleurs rappeler que le Conseil ne prononça aucune exemption en faveur de ses membres juifs révoqués. »
341Il importe ici de dire que les pires des arrêts n’ont peut-être pas été le fait des plus enragés. On se souvient en effet de l’organisation, par la loi du 18 décembre 1940, des possibilités pour les membres du Conseil d’exercer des fonctions administratives extérieures : nécessité d’une demande des intéressés d’être mis hors cadres ou placés en délégation ; remplacement dans l’institution de la première catégorie ; impossibilité des autres de participer aux formations contentieuses585. On peut en déduire que, des conseillers hors cadre ou délégués, de ceux notamment qui se trouvaient en poste auprès des services gouvernementaux, seuls les seconds ont pu participer aux assemblées consultatives qui avaient à connaître de la mise en œuvre du statut des Juifs ou de l’arayanisation, aucun siéger dans les formations chargées du contentieux de ces mesures. C’est dire que les hommes a priori les plus proches de Vichy, ceux dont le choix de s’engager aux côtés du régime peut raisonnablement laisser supposer qu’ils représentaient, au sein du corps, les tenants les plus convaincus des entreprises de la Révolution nationale – et partant, avec quelque probabilité pour une partie d’entre eux au moins, les mieux persuadés du bien-fondé idéologique du dispositif légal antijuif –, n’étaient pas présents lors des délibérations des arrêts de ce contentieux qui, pourtant, se montraient objectivement hostiles aux requérants.
342Dans ces conditions, il semble bien qu’on puisse donner crédit à l’hypothèse de la "revanche", sur des jalousies d’avant-guerre, que le contentieux de l’antisémitisme offraient à quelques-uns. Les membres du Conseil n’auraient pas là réagi différemment de certains magistrats judiciaires, ou des membres du Barreau comme de l’Université, toutes communautés socioprofessionnelles où il est très vraisemblable, parfois établi, que l’application des lois raciales a satisfait quelques rancœurs, trop longtemps accumulées586.
343361. Sentiments xénophobes, égarements juridistes, orgueil national mal placé, impartialité peu opportune, ménagements stratégiques, rancunes de caste... Ce qui résulta concrètement de ce faisceau de motivations probables, on l’a évoqué déjà : au gré des majorités qui se formaient dans le secret des délibérés, des arrêts tantôt neutres, tantôt favorables, tantôt défavorables aux Juifs. Faudrait-il s’étonner davantage que ces décisions fussent souvent sévères, comme les soutiens de la politique pétainiste plus nombreux que ceux de la Résistance ? – L’époque, au demeurant, explique qu’on ait pu à la fois se vouloir gaulliste et être antisémite, au moins jusqu’à la confrontation, à l’ouverture des camps, avec la réalité des persécutions subies par le peuple d’Israël587.
344S’il est quelque moyen de rendre compte des plus troublants des arrêts que le Conseil d’État rendit, de 1942 à 1944, dans le domaine de l’application des lois antijuives, c’est ainsi, simplement : ou bien, souvent sans doute, par la passive lâcheté des membres de l’institution, tout humaine faiblesse ; ou bien, parfois peut-être, par leur inconscience profonde des enjeux – encore qu’une telle légèreté paraisse relativement douteuse de la part de très hauts fonctionnaires588 ; ou bien, enfin, chez certains – il semble qu’il faille se rendre à cette évidence –, par une volonté de nuire, redoutable malveillance. L’intention maligne n’était peut-être pas préméditée ; l’occasion de préjudicier aux requérants israélites, lorsqu’elle se présenta, n’en fut pas moins saisie, apparemment, çà et là : on pense à un arrêt Maxudian, à un arrêt Cohen 589... La monstruosité juridique, en de tels moments, suscitait l’horreur juridictionnelle ; l’"anti-droit" avait enfanté un "anti-juge" ; sa surenchère dans l’antisémitisme confirmait que « la haine est une occasion de production juridique590 », y compris prétorienne.
345À supposer cette conclusion valide, on conviendra sans doute d’une réflexion nécessaire.
Notes de bas de page
1 apologie pour l’histoire, op. cit., p. 72.
2 Cf. respectivement nos 125, 105 et 169.
3 Cf. notamment les affaires Darmon (n° 159), et Elastic (n° 168).
4 On reprend le terme utilisé par Jean-Pierre DUBOIS, loc. cit., p. 342.
5 Outre Jean-Pierre Dubois (ibid., p. 358), v. ainsi notamment Tony Bouffandeau, loc. cit., p. 23 ; Jean Marcou, op. cit., p. 203 ; et les deux articles précités de Jean Massot : « Le Conseil d’État », p. 324, et « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », p. 98.
6 Cf. spécialement Jacques CHEVALLIER, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, L.G.D.J., "Bibliothèque de droit public", 1970.
7 En écho à Maurice Duverger, « Conseil d’État ou Conseil du Roi ? », Le Monde, 6 juin 1963.
8 Cf. respectivement nos 176, 179 et 181.
9 Servir l’État français, op. cil., p. 19.
10 Op cit. avec Claude Gruson, p. 131.
11 Ce dont on a noté ici l’importance (cf. n° 23, n. 82).
12 Note interne du 2 septembre 1940, reproduite in Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., p. 795.
13 V. ibid., p. 565 sq. et p. 598 respectivement.
14 Ibid., p. 789.
15 Rapporté par Jean Marcou, op. cit., p. 25. On sait le rôle clé que joue son secrétaire général pour la gestion quotidienne du Conseil ; v. spécialement Bernard Stirn, « Le secrétaire général du Conseil d’État », in Études en l’honneur de Georges Dupuis. Droit public, L.G.D.J., 1997, pp. 27-37.
16 Document reproduit in Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 789.
17 Ibid., p. 790 ; et ci-après encore.
18 Duvergier, nouvelle série, t. 39, p. 1 202 ; reproduit in Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 790. V. l’analyse de Roger bonnard, loc. cit., p. 123 (où est également reproduit ce décret).
19 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 791. V. ibid. la lettre du 30 septembre ainsi adressée par Porché au garde des Sceaux, véhémente missive : « Le repliement qui a été imposé au Conseil [...] ne saurait être objecté, [...] nous sommes parvenus à nous organiser ; [...] je déclare très nettement qu’aucune déficience ne pourra nous être reprochée. En tout cas, et quelque opinion que l’on ait, il est un système qui ne saurait être admis, c’est celui qui consisterait tout à la fois à demander au Conseil d’État de remplir son rôle et à le priver des éléments qui lui sont indispensables. [...] Ils doivent se trouver tous à ma disposition. »
20 Difficultés exposées alors au garde des Sceaux par le Conseil à travers un rapport du conseiller Josse commandé par Porché (mentionné ibid., p. 792, et par Jean Marcou, op. cit., p. 26).
21 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 792.
22 Ibid. Cf. supra, n° 76, l’évocation du « tourbillon » humain de cette époque, sur lequel v. notamment Maurice Rajsfus, Les Français de la débâcle. Juin-septembre 1940, un si bel été, Cherche-Midi, 1997.
23 D’après Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 792 ; et Jean Marcou, op. cit., p. 26.
24 Jean Marcou, op. cit., p. 27 ; citation ci-après ibid.
25 Édition du 21 juillet 1940, article d’Edmond Jaloux (cité par Jean Marcou, ibid.).
26 Le Conseil dÉtat, son histoire..., op. cit., p. 793.
27 Jean Marcou, op. cit., p. 29.
28 D’après Jean Marcou, ibid., n. 2. Sur les actes constitutionnels, cf. ici n° 21.
29 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 793.
30 V. Jean Marcou, op. cit., pp. 29-32 ; ibid. pour les informations suivantes.
31 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 794.
32 Jean Marcou, op. cit., p. 33.
33 Sur la réglementation de son passage et les difficultés matérielles qui en résultaient pour circuler et communiquer, v. Éric Alary, op. cit. (in intro., n. 6), chap. II, p. 47 sq. ; ces inconvénients touchaient aussi, en effet, la haute fonction publique : v. Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 87 sq.
34 Cf. supra, n° 102.
35 Toutes informations relevées par Jean Marcou, op. cit., pp. 33-34, comme in Le Conseil d’État. son histoire..., id., p. 794. Georges Maleville, reçu au concours de décembre 1940, a finement raconté quel en fut le déroulement : v. op. cit., p. 14 sq.
36 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 795.
37 Jean Marcou, op. cit., p. 35.
38 Op. cit.., respectivement p. 39, ibid. et p. 27.
39 Précitée n. 12 ; cf. la citation ici placée en exergue.
40 Cf. le fameux ouvrage de Marc Bloch, L’étrange défaite. Témoignage écrit en 1940, Franc-Tireur, 1956 ; rééd. Gallimard, "Folio", 1990.
41 Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., p. 795. L’aîné des auditeurs du Conseil était à la fin de l’année 1941 Michel Debré ; on trouvera dans le même ouvrage d’amples extraits du discours que le futur rédacteur de la Constitution de 1958 prononça à l’occasion du repas offert aux reçus du concours de juin : v. pp. 795-797.
42 Op. cit., pp. 24 et 39 respectivement. V. d’autres anecdotes in Jean Marcou, op. cit., pp. 36-31.
43 Relevé par Jean Marcou, op. cit., p. 38 ; ibid. pour la suite.
44 Georges Maleville, op. cit., p. 40.
45 D’après Jean Marcou encore, op. cit., pp. 39-41 ; ci-après cité p. 39.
46 Citée in Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 797.
47 Lettre du 25 novembre 1941, intégralement citée par Jean Marcou, op. cit., p. 44 ; et, pour cet extrait, Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 798. Même lettre citée ci-après.
48 Sur l’ensemble de cet épisode, v. Jean Marcou, op. cit., pp. 45-47.
49 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 798. V. pour le reste ici infra, n° 232.
50 À preuve rapide, ce relevé des variations du nombre de pages que comptent les tomes successifs du Recueil Lebon couvrant la période : 320 en 1940 et 324 en 1941, mais 444 en 1942 (soit une augmentation de plus du quart), 434 en 1943 et 455 en 1944.
51 Jean Marcou, op. cit., p. 48. Sur la pénurie alimentaire de l’époque, v. notamment les contributions réunies sous la direction de Dominique Veillon et Jean-Marie Flonneau, Les temps de restrictions en France. 1939-1949, Cahiers de l’I.H.T.P., n° 32/33, 1996.
52 Cf. supra, n° 49, nos rappels à ce sujet.
53 V. pour une synthèse Marc Olivier Baruch, Le Régime de Vichy, op. cit., p. 86 sq.
54 François Gazier, loc. cit., p. 537.
55 Jean Massot, « Le Conseil d’Etat et le régime de Vichy », loc. cit., p. 92.
56 Georges Maleville, op. cit., p. 29.
57 « Pour le Conseil d’État [...], il est une date essentielle qui va cristalliser les velléités de résistance, c’est celle du retour à Paris à la fin de juin 1942. » (« Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 86). L’intervention est structurée sur cette base ; considérant l’ensemble de l’activité du Conseil, tous domaines confondus, l’auteur intègre à sa démonstration des éléments de la "jurisprudence consultative" de l’institution. Cette thèse est reprise par Éric Arnoult et François Monnier, op. cit. (v. pp. 40-42).
58 Cf. supra, respectivement nos 154 et 168 (Darmon, Elastic), et nos 176 et 179 (Cohen, Maxudian).
59 Eu égard à cette chronologie, Marc Olivier Baruch (Servir l’État français, op. cit., p. 163) a fait observer que l’étude systématique de l’ensemble des avis du Conseil d’État liés à la politique antisémite vichyssoise serait plus significative que celle de ses arrêts : elle permettrait en effet, elle, de remonter à l’automne 1940. Pour l’auteur, cette meilleure éloquence de la "jurisprudence consultative" serait liée au fait qu’après février-avril 1942, moment où les premiers arrêts du contentieux administratif de l’antisémitisme sont rendus, les circonstances politiques ont changé, le régime, comme on l’a rappelé, s’apprêtant à révéler de plus en plus ses faiblesses, et les comportements se faisant en conséquence de moins en moins pro-Pétain. Or, à la vérité, il paraît plus intéressant encore, dans ces conditions, de s’attacher à l’étude des arrêts : ceux-ci, malgré le nouveau contexte, continuent en effet de présenter des orientations très différentes – aucun monolithisme tel, par exemple, qu’une résistance de plus en plus marquée au fil des mois, comme on aurait pu s’y attendre, à l’application des mesures antijuives –, et, en particulier, alors que le "suivisme" de la Révolution nationale se trouve à son moins courant, persistent en la matière dans le zèle et la surenchère. Toutefois, et là contrairement aux avis rendus en 1940-1941, il est probable que cette attitude, à la fin, ne soit plus révélatrice, de la part du Conseil, d’une fidélité au régime ; reste donc à savoir de quoi, ce qu’on essaiera plus avant (cf. n° 360).
60 Cf. respectivement n° 161 (Lévy) et n° 181 (Monossohn).
61 Marc Olivier Baruch, loc. cit., p. 61.
62 Op. cit., p. 138.
63 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 171 sq.
64 Le 27, J.O. du lendemain, p. 449 ; v. L.d. V., n° 37, pp. 108-111, ci-après cité p. 109.
65 Article 3, qui disposait que, dans cette hypothèse, « le chef de l’État, après enquête dont il arrêtera la procédure, peut prononcer toute réparation civile, toutes amendes et appliquer les peines suivantes à titre temporaire ou définitif : privation des droits politiques ; mise en résidence surveillée en France ou aux colonies ; internement administratif ; détention dans une enceinte fortifiée » – cela sans faire obstacle, précisait l’article suivant, « aux poursuites susceptibles d’être exercées par la voie légale ordinaire en raison des crimes et délits qui pourraient avoir été commis par les mêmes personnes ». De l’éventuelle mise en œuvre de ces dispositions se voyaient cependant exclus les « anciens ministres, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires ayant exercé leur charge depuis [plus] de dix années », l’application du texte expressément réservée à ceux d’entre eux qui n’avaient exercé leurs fonctions que depuis moins de dix ans (art. 5).
66 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 309.
67 Henri DU Moulin de Labarthète, op. cit., p. 286.
68 Marc Olivier Baruch, op. cit., pp. 309-310.
69 Robert Paxton, op. cit., p. 264. Cf. l’évocation déjà faite ici, n° 49, de cette période.
70 Dont on trouvera les principaux extraits in Marc Olivier Baruch, Le régime de Vichy, op. cit., p. 51 ; v. aussi, avec toutes les allocutions adressées à la Nation entre 1940 et 1944 par le Maréchal, Jean-Claude Barbas (prés.). Discours aux Français. 17 juin 1940 – 20 août 1944, A. Michel, 1989.
71 Jean-Marie Guillon, loc. cit., p. 179.
72 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français (version thèse), op. cit., p. 516.
73 v. la liste raisonnée que dresse de l’ensemble Jean Marcou : op. cit., p. 141.
74 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français (version thèse), op. cit., pp. 530-531. Sur les actes constitutionnels nos 8 et 9 (J.O. du 16 août 1941, p. 3 438), v. L.d. V., nos 49 et 50, pp. 139-140.
75 Ibid., p. 531.
76 j.O. du lendemain, p. 4 290 ; v. L.d. V., n° 54, pp. 157-158.
77 François Bloch-Lainé, op. cit., p. 130.
78 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 310-311.
79 Op. cit., p. 33.
80 Rapporté par Georges Maleville, ibid., p. 31.
81 Ibid., p. 34. Jean Massot consigne un témoignage selon lequel « au moment de la visite du Maréchal pour le serment [...], le président Porché avait dû "emprunter" un portait de Pétain pour décorer son bureau qui en était dépourvu : l’ironie de l’histoire fait que le prêteur fut Michel Debré » (« Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 87, n. 1).
82 Allocution reproduite in Jean Marcou, op. cit., annexes, pp. 455-458 ; et par larges extraits dans Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., p. 803. On se souviendra que la réalité de la direction de l’institution avait été assurée très tôt, comme aujourd’hui, par son vice-président, la présidence en droit demeurant purement honorifique après Napoléon, qui se résumait d’ordinaire à un discours d’installation au Conseil. Toutefois, ce président, dont a pu comparer le rôle à celui du souverain britannique – qui "règne mais ne gouverne pas", selon l’adage consacré outre-Manche (rules but does not govern) –, conservait une fonction de représentation officielle de l’organe comme du corps à la tête desquels il se trouvait statutairement. La charge avait d’abord été dévolue au chef de l’État, empereur, roi ou président de la République selon les régimes successifs, puis confiée par la loi du 24 mai 1872 au garde des Sceaux – d’ailleurs pour se voir enfin transférée, en 1945 (dans le cadre d’une réforme du Conseil dont on reparlera ici, nos 378-379), au chef du gouvernement, président du Conseil sous la Quatrième République, premier ministre depuis 1958. Sur tous ces aspects, v. spécialement l’étude d’Olivier Henry, « Le vice-président du Conseil d’État », R.D P. 1995, pp. 701-747 : « L’autonomisation de la vice-présidence », pp. 703-726 ; v. aussi Pascale Gonod, « La présidence du Conseil d’État républicain », R.A. 1998, pp. 589-602 et pp. 696-712, passim.
83 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 36.
84 Cf. spécialement Gérard Miller, op. cit. (chap. 1, n. 33) ; quant au fond, qui relève d’une histoire des représentations, v. Pierre Servent, Le mythe Pétain. Verdun ou les tranchées de la mémoire, Payot, 1992.
85 Op. cit., p. 36.
86 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français (version thèse), op. cit., p. 533.
87 Op. cit., p. 37. Le discours de Pétain est reproduit dans la thèse précitée de Jean Marcou, annexes, pp. 459-460, et presque intégralement dans Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 805.
88 Reproduit in Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 803. Le discours de Porché l’est comme les précédents in Jean Marcou, op. cit., annexes, pp. 461-462 ; v. ibid., p. 144 sq., plus de détails sur cette cérémonie, en particulier quant aux comptes-rendus qu’en fit la presse de l’époque. V. aussi ici infra, n° 259.
89 Notamment en raison de la ligne de démarcation : cf. supra n. 33.
90 Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 803. L’information est d’ailleurs donnée par Robert aron, op. cit., p. 409 ; l’épisode confirmé par Georges Maleville, op. cit., p. 34 – ci-après cité ibid.
91 Jean Marcou, op. cit., p. 146. G. Maleville emploie en effet ces mots de « vanité sénile » pour qualifier l’orgueil que flattait chez Pétain « cette multiplication de serments des fonctionnaires de l’État ».
92 La réalité des opinions de Porché sur le régime, le sens de son action sous Vichy, prêtent indiscutablement aux interprétations les plus opposées ; on y reviendra (cf. spécialement n° 403).
93 Selon le terme qu’emploie Jean Massot, « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 87 – avec un argument supplémentaire qu’on évoquera plus avant (n° 234). V. dans le même sens Id., « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 326 ; et Marc Olivier Baruch, « Le Conseil d’État sous Vichy », toc. cit., p. 57.
94 Selon Danièle Lochak, « Le Conseil d’État et le Consiglio di Stato », loc. cit., p. 70, n. 35.
95 François Bloch-Lainé, op. cit. avec Claude Gruson, pp. 130 et 134 ; cf. propos précité n° 213.
96 Le théâtre a su incarner cette posture ; ainsi, le "conseiller" du dramaturge Edward bond déclare : « Comme nombre de mes collègues j’ai contracté le nouvel engagement d’allégeance. Je me suis toujours efforcé de servir le peuple. Je considère cela comme le premier de mes devoirs. Si nous renoncions à administrer le pays ce serait le chaos. » (Lear, trad. Georges Bas, L’Arche, 1998, p. 112). Sur la propagande, outre les références générales déjà données (chap. I, n. 33), v. spécialement Marc Olivier Baruch, « Les revues de l’État français », La Revue des revues n° 24, Des revues sous l’Occupation, 1997, pp. 35-43 (quant aux publications adressées à ses fonctionnaires par le régime). Pour resituer ce débat dans le long terme, v. d’autre part, notamment, Dominique Chagnollaud, Le premier des ordres. Les hauts fonctionnaires, XVIIIe -XXe siècle. Fayard, 1991 (dont « Une exception contemporaine : Vichy », pp. 87-92).
97 Pierre Legendre, Trésor historique de l’État, op. cit., p. 438.
98 Danièle Lochak, « Le Conseil d’État et le Consiglio di Stato », loc. cit., p. 70.
99 Concrètement, cf. ici infra n° 234.
100 Discours précité du 19 août 1941 à l’adresse du Conseil d’État (in Jean Marcou, op. cit., p. 459).
101 Outre les ouvrages généraux sur Vichy (dont Robert Paxton, op. cit., p. 234 sq.), v. spécialement sur le sujet Michèle Cointet, Le Conseil national de Vichy : vie politique et réforme de l’État en régime autoritaire, 1940-1944, Aux Amateurs de livres, 1989 ; plus succinct, Guy Rossi-Landi, « Le Conseil national », in Le Gouvernement de Vichy, op. cit., pp. 47-54.
102 V. en particulier Jean-Paul COINTET, La Légion française des combattants. 1940-1944. La tentation du fascisme, A. Michel, 1995 ; et, dans Le Gouvernement de Vichy, op. cit. : Id., « Les anciens combattants. La légion française des combattants », pp. 123-143 (v. aussi, qui font suite, le Témoignage de Georges Riond, « La légion française des combattants. Observations sur le rapport de M.J.-P. Cointet », pp. 145-148, les Extraits des débats pp. 149-155) ; ainsi qu’Antoine Prost, « Les anciens combattants. Aux origines de la Légion : les mouvements d’anciens combattants », pp. 115-121. C’est de la Légion qu’émergeraient les membres de la bien plus terrible "Milice française", créée et reconnue d’utilité publique en janvier 1943 (v. notamment Jean-Pierre Azéma, « La milice », Vingtième siècle n° 28, 1990, pp. 83-105, spécialement pp. 84- 88).
103 V. Yves DURAND, « Les notables », in Le régime de Vichy et les Français, op. cit., pp. 371-381.
104 Yves bouthillier, Le drame de Vichy, Plon, 1951, cité par Jean Marcou, op. cit., p. 153.
105 Précité n° 12 ; à consulter sur l’ensemble des éléments qui viennent d’être évoqués, à grands traits. V. aussi François Bloch-lainé, Patrick Fridenson, Richard Kuisel, et al. (table ronde), « Vichy entre l’archaïsme et la modernité », in Le régime de Vichy et les Français, op. cit., pp. 357-368.
106 V. notamment Pierre legendre, Trésor historique de l’État, op. cit., pp. 440-441.
107 Les comptabilisations qui suivent sont de Jean Marcou, op. cit., pp. 155-160 ; v. les tableaux et courbes statistiques établis par l’auteur.
108 Sur le statut sous Vichy du Conseil et de ses membres en général, cf. infra, § II (n° 236 sq.) ; sur ce point précis, qui n’est pas anodin pour notre étude, n° 360.
109 Reproduit in Jean Marcou, op. cit., annexes, pp. 448-454. Cf. infra ici, n° 259.
110 Cf. supra, n° 201.
111 In Jean Marcou, op. cit., annexes, pp. 464-467. Cf. infra, n° 261.
112 Calculs de Jeanne Pouydesseau, Les cabinets ministériels de la IIIe à la Ve République, thèse de doctorat (science politique), I.E.P. de Paris, 1962, p. 117.
113 Respectivement, d’après Jean Marcou, op. cit., p. 156, et Jacques chevallier, « L’épuration au Conseil d’État », loc. cit., p. 449.
114 Relevé par Jean Massot, « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 88, n. 2. L’auteur, citant les mémoires de l’intéressé (Le dernier tèmoin. Presses de la Cité, 1968), rappelle que celui-ci, ancien ministre dans les gouvernements Daladier puis Reynaud, fut ministre de l’Intérieur du 16 au 28 juin 1940, et du Travail de cette date au 12 juillet suivant.
115 Terme employé par Henri du Moulin de Labathète pour évoquer la disgrâce d’Alibert (op. cit., passage reproduit in Le statut des Juifs, op. cit., p. 35) ; les mémoires de Joseph Barthélémy le confirment (Ministre de la Justice. Vichy. 1941-1943, Pygmalion/G. Watelet, 1989, p. 45). En janvier 1941, l’hypothèse avait été formulée que le ministre, remercié, pût se voir confier la vice-présidence de son institution d’origine (v. Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 182).
116 V. Michaël Marrus et Robert Paxton, op. cit., p. 313.
117 Tous recensements de Jean Marcou, op. cit., pp. 160-163 ; sauf pour le troisième secrétaire général, rappelé par Jean Massot, « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 317.
118 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., pp. 182-183.
119 V. supra n. 92.
120 Jean Marcou, op. cit., p. 30.
121 On se souvient ici de son rôle dans le contentieux de l’antisémitisme : cf. nos 137-138.
122 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 183. Cf. supra ici, n° 120 avec n. 238.
123 Jean Massot, « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 88. Cf. supra, n° 104.
124 Respectivement ibid., et Marc Olivier Baruch, loc. cit., p. 59. N.B. : on ne confondra pas André Heilbronner avec Jacques Helbronner, son presque homonyme au destin tragique (cf. supra, n° 103).
125 V. notamment Marc Olivier Baruch, Servir I État français, op. cit., p. 191 sq.
126 Chiffres de Jean Marcou, op. cit., p. 158.
127 Marc Olivier Baruch, op. cit., p. 183 ; v. G.P. 1940, II, p. 354.
128 Selon la qualification que leur donne Jean Marcou, op. cit., p. 77.
129 C’est également la position de Jean Massot : v. les deux contributions précitées, « Le Conseil d’État », p. 317, et « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », p. 88 ; parmi ces fonctionnaires, l’auteur relève d’ailleurs le nom de René Bousquet.
130 Discours du 21 octobre précité (n° 223) ; in Jean Marcou, op. cit., annexes, p. 464.
131 D’après Jean Marcou, ibid., p. 160, n. 2.
132 Relevé par Jean Massot, « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 316. Quant aux conseillers d’État à la Libération, cf. infra, chap. III, sect. I, § I, II (n° 398 sq.).
133 Cf. supra n° 216.
134 « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 316.
135 Trois républiques pour une France., A. Michel, 5 vol., 1984-1994, t. 1, Combattre, p. 182.
136 Op. cit., p. 42.
137 Il avait été exclu du Conseil d’État en septembre 1940 (cf. supra n° 102).
138 Op. cit., p. 183 ; v. p. 179 sq., et les documents reproduits en annexe, p. 432 sq.
139 Ibid., p. 179 ; ci-après cité p. 183.
140 « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 316. V. aussi Id., « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 93 in fine, et p. 94, n. 1 pour des témoignages identifiés.
141 Cf. ici n° 205.
142 « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 94 ; v. aussi ibid. n. 1.
143 Jean Massot, « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 326, n. 11. Sur le sort de ces hommes, v. spécialement Yves Durand, Les prisonniers de guerre dans les stalags, les oflags et les kommandos. Hachette, 1994 (2e éd.).
144 V. Martine DE Boisdeffre, « La préparation au concours du Conseil d’État dans les camps de prisonniers en 1940-1945 », E.D.C.E. n° 37, 1987, pp. 279-283.
145 Cf. n° 209.
146 « Ne tendait-on pas un piège aux non-pétainistes ? Fallait-il y tomber et se dénoncer ouvertement comme républicain ou résistant et, de ce fait, courir le risque d’être privé de toute action dans l’État, d’être exclu de la haute fonction publique, repéré, pourchassé, et, peut-être, un jour, livré aux Allemands, emprisonné ou exécuté ? Le meilleur moyen de déjouer cette manœuvre, n’était-ce pas finalement d’accepter de prêter le serment ? » fait observer Georges Maleville (op. cit., p. 34).
147 Cf supra, nos 218-219. On l’a dit (ibid.), c’est également la position de Jean Massot. Ces considérations relativisent l’appréciation portée par Danièle Lochak sur le serment (précitée ibid., cf. n. 98).
148 Michel Debré, op. cit., p. 184.
149 V. n. 92 ci-dessus.
150 Cf infra, n° 360, ainsi que n° 405.
151 Emprunt au titre de l’ouvrage précité de Marc Olivier Baruch.
152 « Quelques idées sur les principes de réorganisation de l’administration française » (juillet 1940), cité par Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, p. 173 (cf. n. 4).
153 Cf. supra, n° 221 sq.
154 J.O. du 22, p. 6 215 ; rectif. in J.O. 28, p. 6 307, et du 3 janvier 1941, p. 36.
155 Pris sur le fondement de l’article 83 de la loi, qui en avait expréssément prévu l’intervention ; J.O. du 9, p. 118. (Sur les R.A.P., v. n. 160 ci-dessous.)
156 Selon Jean Marcou, op. cit., p. 79 ; ci-après p. 51 et p. 79 respectivement.
157 Mémoires d’outre-tombe, Ie partie, L. IX (Librairie générale française, "La Pochothèque", 1998, p. 270).
158 Le premier aspect a déjà été évoqué ici, n° 122. Sur le second, v. notamment Jacques Auboyer-Treuille, L’évolution des attributions législatives du Conseil d’État, L. Rodstein, 1938 ; Ernest Tarbouriech, « Du Conseil d’État comme organe consultatif », R.D P. 1894, t. Il, pp. 262-285 ; enfin Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., p. 619 sq. et p. 743 sq.
159 L’article 52 de la Constitution de l’an VIII chargeait le Conseil « de rédiger les projets de lois et les règlements d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». On pourra trouver la loi du 24 mai 1872 reproduite in Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 555.
160 Les R.A.P. représentaient jusqu’en 1945 – y compris donc sous Vichy (v. par ex. ici supra nos 85, 119, et encore 236) – la catégorie d’actes juridiques à laquelle le législateur renvoyait usuellement la détermination des modalités d’application des lois par les services gouvernementaux ; elle désignait un décret pris après avis de l’Assemblée générale du Conseil d’État, par opposition non seulement aux décrets simples, adoptés sans consultation obligatoire du Conseil, mais aussi aux "décrets en Conseil d’État", qui n’exigeaient que l’avis d’une section administrative de l’institution. Ces derniers furent de plus en plus souvent utilisés après-guerre par le parlement, jusqu’en 1963 : la réforme du Conseil d’État, concernant en particulier la procédure consultative, conduisit alors à faire tomber, en pratique, la spécificité même des R.A.P., finalement supprimés en droit en 1980. (V. la synthèse de René Chapus, Droit administratif général, op. cit., n° 700, avec références utiles.)
161 Jean Marcou, op. cit., p. 67 ; sq. pour une synthèse du sujet.
162 Par décret du 5 mai : v. Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 743.
163 V. spécialement la synthèse d’Olivier Henry, loc. cit., « Le vice-président, défenseur d’un rôle législatif », pp. 727-731 ; ainsi que Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., passim.
164 Jean Marcou, op. cit., p. 72.
165 « Le Conseil d’État et la confection des lois et des règlements », J.C.P. 1942, I, n° 261.
166 Sur le premier point, cf. supra, n° 227. Sur le second, loi du 20 août, v. J.C.P. 1940, III, n° 3 309. Le Conseil d’État se retrouvait ainsi constitué de cinq sections ; soient sous leur dénomination légale (celle de la loi du 18 décembre 1940, art. 23), outre la section du Contentieux : la section de Législation, Justice et Affaires étrangères ; la section de l’Intérieur, de l’Instruction publique et des Beaux-Arts ; la section des Finances, de la Guerre, de la Marine, de l’Aviation et des Colonies ; enfin la section de l’Agriculture et du Ravitaillement, de la Production industrielle et du Travail, des Communications.
167 V. ainsi, respectivement, d’une part Maxime Chrétien, « La loi du 18 décembre sur le Conseil d’État », G.P. 1940, I, pp. 54-57, et Paul Tedeschi, loc. cit. n. 165 ci-dessus ; d’autre part les articles du journal Le Temps cités et analysés par Jean Marcou, op. cit., p. 94 sq. et p. 121 sq. (v. aussi ici infra n° 255).
168 Constitution de l’État français dont on sait qu’elle devait n’être jamais promulguée (cf. supra, nos 21 et 124). Il est néanmoins à remarquer que les intentions originelles du régime étaient d’y faire apparaître le Conseil, le dotant ainsi, au moins en ce qui concerne son rôle consultatif, d’un statut constitutionnel qu’il n’avait connu qu’en l’an VIII (art. 52-53) et en 1852 (art. 50-51) ; sur ces dispositions, v. Anne Jeannot-Gasnier, « La contribution du Conseil d’État à la fonction législative », R.D.P. 1998 (pp. 1 131-1 176), p. 1 132. Pour des projets précis, v. ici infra, n° 249 ; v. aussi n° 246.
169 Relevé par Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 184 (cf. n. 24) ; v. la lettre du secrétariat général de la vice-présidence du conseil datée du 1er décembre 1941, ibid., annexes, p. 684.
170 V. notamment, sur chacun de ces aspects, Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., ainsi que l’ouvrage précité de Jacques Auboyer-Treuille.
171 Paul Tedeschi, loc. cit.
172 Jean Marcou, op. cit., p. 67 ; ci-après p. 76.
173 Relevé par Jean Marcou, op. cit., p. 77.
174 V. ibid., p. 98 sq.
175 Essais, L. I, chap. XLIII (éd. précitée, p. 308).
176 Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., p. 806.
177 Texte étendu par une autre loi, du même jour, aux agents des établissements publics de l’État. V. spécialement Guy Thuillier, loc. cit. (in intro., n. 31), ainsi que, sous un angle particulier, les analyses de Didier Jean-Pierre, L’éthique du fonctionnaire civil. Son contrôle dans les jurisprudences administrative et constitutionnelle françaises, L.G.D.J., "Bibliothèque de droit public", 1999, « La réaction autoritaire : le statut édicté par le régime de Vichy », pp. 96-100 ; et de Vassilios Kondylis, Le principe de neutralité dans la fonction publique, ibid., 1994, « La période du régime de Vichy : un recul à l’effort de la protection de la neutralité », pp. 218-231. Pour des commentaires de l’époque, v. aussi, notamment, Robert-Édouard Charlier, « Le statut général des fonctionnaires civils de l’État en France d’après les lois du 14 septembre 1941 », J.C.P. 1943, I, n° 347 ; et Marcel martin, loc. cit. infra n. 185. V. par ailleurs n° 288.
178 Déjà cités ici, n° 110.
179 V. Guy Thuillier, « En marge du statut des fonctionnaires de 1941 : le rapport Leloup en août 1939 », R.A. 1992, pp. 308-315.
180 Relevé par Marie-Christine kessler, loc. cit., p. 152. Sur Lagrange, cf. ici supra, principalement n° 225.
181 Guy Thuillier, « Le statut des fonctionnaires de 1941 », loc. cit., p. 481. V. les détails du projet in Marie-Christine kessler, loc. cit., p. 153. G. Thuillier a par ailleurs mis au jour les réflexions constructives que le projet Josse avait suscité chez un conseiller d’État en service extraordinaire : « Comment le contrôleur général Orthlieb voyait le statut des fonctionnaires en 1941 », R.A. 1998, pp. 258-266.
182 Lettre du 25 août 1941, reproduite in Guy Thuillier, « Le statut des fonctionnaires de 1941 », loc. cit., annexes, pp. 493-494 ; p. 494.
183 Marie-Christine kessler, loc. cit., p. 152.
184 Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., p. 807. C’est ce que confirment les mémoires de Joseph Barthélémy, op. cit., p. 288 et p. 291 (relevé par Jean Massot, « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 327, n. 30).
185 V. notamment les trois contributions de Jacques Doublet au Dalloz de 1941 (cr., lég.) : commentaire de la loi du 27 août 1940 « relative à l’inventaire et à la mise en culture des terres et des exploitations abandonnées », pp. 19-20 ; commentaire de la loi du 2 décembre 1940 « relative à l’organisation corporative de l’agriculture », pp. 21-23 ; commentaire de la loi du 7 octobre 1940 « instituant l’Ordre des médecins », pp. 30-32 ; ainsi que Marcel MARTIN, commentaire des lois du 14 septembre 1941 « portant statut général des fonctionnaires civils de l’État et des établissements publics » (n° 3 981) et « relative à l’organisation des cadres des services publics et des établissements publics de l’État » (n° 3 982), D. 1942, cr., lég., pp. 45-61 – l’auteur publia en 1943 un manuel sur La fonction publique (Sirey). Mention particulière, bien sûr, pour Maurice Lagrange (cf. renvoi n. 180 ci-dessus), « L’État nouveau et les fonctionnaires », R.D.M. 1944, pp. 19-32, pp. 156-173 et pp. 270-281.
186 Jacques Doublet, dans son analyse précitée de la loi du 2 décembre 1940, p. 23. Les "doctrines officielles” – celles qui émanent d’auteurs appartenant à l’institution dont ils commentent l’œuvre – sont rarement portées à la critique : v. Xavier Vandendriessche, « La doctrine "officielle” », in Geneviève Koubi (dir.), Doctrines et doctrine en droit public. Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 1997, pp. 199-207.
187 Cité par Richard Weisberg, op. cit., p. 29. Sur le lien unissant l’idéologie de Vichy à un certain christianisme, cf. ici supra, chap. I, n. 37.
188 Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., p. 807 ; ibid. ci-après.
189 Cf. supra, n° 221. v. Jean Marcou, op. cit., p. 125 sq.
190 Texte mort-né analysé par Michèle Cointet-Labrousse, op. cit., p. 191 sq.
191 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 356. On trouvera ce projet de 1943 – où le Conseil d’État n’apparut finalement pas – reproduit in Jacques Godechot, Les constitutions de la France depuis 1789, Flammarion, "GF", 1970 (Ie éd.) ; pour son commentaire, v. aussi Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Montchrestien, "Domat", 2000 (6e éd.), pp. 359-364.
192 Jean Massot, « Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 89, n. 1.
193 Du MOULIN DE Labathète, évoquant dans ses mémoires précités le Conseil national, écrit significativement : « Nous rêvions d’une assemblée consultative, que l’on eût réunie trois ou quatre fois par an et qui, sans gêner l’exécutif, sans même avoir à voter le budget, eût pu donner [...] ses avis au gouvernement. » (p. 270).
194 Sur le phénomène technocratique à l’œuvre, cf. supra n° 221 sq.
195 Discours reproduit in Jean Marcou, op. cit., annexes, p. 446-447 ; p. 447.
196 Jean Marcou, op. cit., pp. 137-138 ; à consulter sur ce passage « des réformes traditionalistes aux mutations modernistes », p. 121 sq.
197 On a pu en exploiter la matière pour des démonstrations plus vastes : v. André Heilbronner, « Le rôle du Conseil d’État français dans la confection des lois, à travers les allocutions des gardes des Sceaux », in Mélanges Stassinopoulos, op. cit., pp. 25-30. Par ailleurs, cf. rappel n. 82 ci-dessus.
198 Jean Marcou, op. cit., pp. 83, 102 et 116. Les développements qui suivent sont dans une large mesure inspirés des analyses de cet auteur.
199 Cf. n° 224.
200 Pour le Conseil, cf. supra n° 240 ; sur le contexte, v. notamment les travaux précités in intro., n. 186.
201 Danièle Lochak, « Le Conseil d’État et le Consiglio di Stato », loc. cit., p. 68.
202 Jean Marcou, op. cit., p. 86.
203 Ibid., annexes, pp. 439-441 ; aussi reproduit, mais par extraits, in Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., pp. 744-745 et 799-800.
204 Il appartenait, on l’a dit déjà (n° 84), à l’Action française.
205 In Jean Marcou, op. cit., annexes, pp. 442-444.
206 Ibid., pp. 94-95.
207 Reproduite in Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 800 ; ci-après cité p. 801.
208 Cf. supra, n° 102.
209 Op. cit., p. 29.
210 Op. cit., p. 242 (relevé par Jean Massot, « Le Conseil d’État », loc. cit., p. 314, cf. n. 14).
211 D’après Jean Marcou, op. cit., p. 103. Sur le personnage, v. les références indiquées infra, n. 481.
212 Discours déjà cité n° 251.
213 Sic pour une expression du ministre qui signerait le second statut des Juifs de Vichy.
214 Discours déjà cité n° 222.
215 Cf. supra, n° 214 sq. ; discours précité n° 215, ici p. 459.
216 Allocution précitée n° 216, ici pp. 461-462.
217 Jean Marcou, op. cit., pp. 112-115.
218 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 176.
219 Ibid., p. 333, chap. IX.
220 Précitée n° 223, citée pp. 464-466 ci-après.
221 In Jean Marcou, op. cit., annexes, pp. 468-470. V. aussi ici infra n° 300.
222 J. Marcou, ibid., p. 120.
223 V. Le Conseil d’État, son histoire à travers les documents d’époque, op. cit., comme, notamment, les études (également précitées) d’Olivier Henry et d’André Heilbronner. Cette opération nulle explique le peu d’intérêt généralement témoigné au Conseil d’État par les travaux historiques portant sur Vichy (cf. intro., n. 12).
224 Cf. loi du 24 mai, art. 9 (précité n° 228), et tous les "grands arrêts" rendus à sa suite (v. G.a.j.a.).
225 Sur l’ensemble, v. notamment Le Conseil d’État, son histoire..., op. cit., p. 758 sq. ; et la synthèse de Jean Marcou, op. cit., p. 52 sq.
226 Leur recension détaillée ici de peu d’intérêt, on n’en donnera dans ce qui suit qu’un aperçu, renvoyant pour le reste au texte lui-même (cf. réf. n. 154). Plus généralement, on se bornera à une rapide synthèse des dispositions de la loi en ce qui concerne la fonction juridictionnelle du Conseil d’État, principalement en suivant les analyses de Jean Marcou, op. cit., p. 60 sq. ; s’en rapportant à cet auteur, on s’abstiendra de multiplier les références.
227 Cf. supra, n° 222 ; v. renvoi n. 108 in fine.
228 Les concours organisés durant la période, ici évoqués n° 201, procédaient de cette exigence.
229 Précité n° 236 in fine, réf. n. 155.
230 Précité n° 196.
231 Jean Marcou, op. cit., p. 62 ; cf. supra, n° 237.
232 Alors sur le fondement d’une loi du 17 juillet 1900, en reprise d’un décret du 2 novembre 1864.
233 Pour le droit positif, v. ainsi le décret du 11 janvier 1965 « relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative », art. 1er, al. 3. (Le délai d’acquisition d’une décision implicite de rejet a été réduit à deux mois par l’article 21 de loi du 12 avril 2000 « relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ».)
234 Discours du 21 octobre 1943, précité n° 261, p. 469.
235 Il n’est pas question d’entrer ici dans le luxe des détails, le propos n’étant pas tant d’étudier ces contentieux comme tels que de rendre possible une comparaison des solutions qu’y dégagea le Conseil avec celles qu’il retint dans le contentieux de l’antisémitisme ; l’analyse s’en tiendra donc à l’essentiel.
236 Cf. nos221 et 226.
237 V. notamment les travaux d’Henry Rousso : « L’économie : pénurie et modernisation », in La France des années noires, op. cit., t. I, pp. 427-451 ; « Les paradoxes de Vichy et de l’Occupation », in Patrick Fridenson et André Straus (dir.), Le Capitalisme français, XIXe-XXe siècle. Fayard, 1987. V. aussi Robert Paxton, op. cit., p. 254 sq.
238 Lois du 16 août et du 10 septembre 1940 respectivement.
239 Lois des 18 septembre et 2 décembre 1940. V. spécialement Isabel Boussard, Vichy et la corporation paysanne, F.N.S.P., 1980 ; et Id. et Pierre Barral, « La politique agrarienne », in Le Gouvernement de Vichy, op. cit., pp. 211-233 (ibid., v. aussi les Extraits des débats pp. 234-239, ainsi que le Témoignage de Hervé Budes DE Guébriant, « La corporation paysanne », pp. 241-244). V. aussi Robert Paxton, op. cit., p. 245 sq.
240 Notamment l’Ordre des médecins (loi du 7 octobre 1941) et celui des architectes (31 décembre suivant).
241 On se souvient du titre original de l’ouvrage de Robert Paxton (cf. n° 221 in fine). Avec une périodisation plus large de la continuité réformatrice dans laquelle les recherches historiques permettent désormais d’inscrire Vichy, v. aussi Michel Margairaz, L’État, les finances et l’économie : histoire d’une conversion, 1932-1952, Commission pour l’histoire économique et financière de la France, 2 vol., 1991.
242 Ass. 31 juillet 1942, Rec. p. 239 ; D. 1942, concl. André Ségalat, note P. C., pp. 138-142 ; J.C.P. 1942, ii, n° 2 046, concl., note Pierre Laroque ; R.D.P. 1943, note Roger bonnard, concl., pp. 57- 72. v. aussi Jacques DONNEDIEU DE Vabres, « Le Conseil d’État et les comités d’organisation », J.C.P. 1943, I, n° 299 ; et André Mathiot, « L’intégration des comités d’organisation au droit public français », R.D.P. 1943, pp. 28-56. Enfin v. G.a.j.a., pp. 347-356.
243 Ass. 2 avril 1943, Rec. p. 86 ; D. 1944, concl. Maurice Lagrange, note Jacques donnedieu de Vabres, pp. 52-55 ; J.C.P. 1944, II, n° 2565, note Charles Célier ; S. 1944, III, concl., note Achille Mestre, pp. 1-6. V. aussi Charles Blaevoet, « Les comités d’organisation professionnelle et l’évolution des notions de services public et d’acte administratif », R.D.P. 1944, pp. 293-309 ; enfin G.a.j.a., pp. 357-362.
244 Op. cit., pp. 338-339. « Légalité et pragmatisme, c’est toute l’histoire de la jurisprudence administrative ! » relève l’auteur. Quelques mois avant l’arrêt Monpeurt, des décisions de l’ordre judiciaire avaient dégagé la même solution : v. d’une part C.A. Paris, 16 janvier 1942 Comité interprofessionnel de la conchyliculture, G.P. 1942, I, concl. Bastide, note, pp. 77-80 (confirmant le dispositif de Trib. civ. Seine, 26 novembre 1941 Syndicat des mandataires aux Halles centrales de Paris, reproduit), d’autre part Trib. civ. Seine, 27 mars 1942 Société Degond c/ Painvin, S. 1942, III, note Achille Mestre, pp. 37-40 (avec l’arrêt "conchyliculture"). La seconde juridiction avait estimé que l’application individuelle d’une mesure générale édictée par un comité d’organisation professionnelle devait être regardée comme un acte administratif, qui en tant que tel échappait à l’examen des tribunaux de droit commun ; la première avait réservé la compétence de l’autorité judiciaire en général, et en particulier aux référés en cas d’urgence, pour connaître des actes pris par l’agent d’un tel comité en dehors du pouvoir que lui conférait la loi. Cette dernière formule pouvait être analysée comme une application de la théorie de la voie de fait, bien qu’en l’état du droit alors applicable (ici rappelé n° 145) il se soit probablement agi d’une dénaturation, du reste peu surprenante (cf. infra n. 397).
245 Ibid., pp. 340-341. Confirmant ce point de vue, le Conseil rendit, le même jour que l’arrêt Bouguen (et reproduit aux mêmes références du J.C.P. données ci-dessus, n. 243), un arrêt Musin qui rejetait comme porté devant une juridiction incompétente le recours formé contre la décision d’un établissement privé (le Secours national) dont, au vu de la loi, le juge administratif estima que les activités présentaient un caractère privé.
246 Ass., respectivement 20 décembre 1935, Rec. p. 1 212, et 13 mai 1938, Rec. p. 417 ; v. G.a.j.a., pp. 322-337. On pourrait même faire remonter cette jurisprudence à l’arrêt Société des autobus antibois de 1932 (Sect. 29 janvier, Rec. p. 117 ; v. G.a.j.a., pp. 287-291, spécialement p. 291).
247 Jean Marcou, op. cit., p. 341.
248 Désormais familier en ces pages ; conclusions précitées n. 243.
249 Ass. 22 janvier 1943 Rossetti et De Lucy et autres (2 esp.), Rec. pp. 13-14 ; D. 1943, cr., jur., note P. C., p. 109 (arrêt De Lucy seul).
250 V. respectivement Sect. 4 novembre 1942 Société des coffres-forts Bauche et Sieur Cognard, D. 1943, cr., jur., note P. C., pp. 109-110 (comité) ; et 31 mars 1944 De Weirdt, Sirey 1944, III, p. 49 (ordre).
251 V. 16 juin 1944 Hervé, Rec. p. 173.
252 Du 5, Rec. p. 129, R.D P. 1944, note Gaston JÈZE, concl. Bernard Chenot, pp. 236-246.
253 Jean Marcou, op. cit., p. 344. La décision Compagnie maritime... s’inscrivait directement dans le sillage de l’arrêt Autobus antibois (précité n. 246).
254 Ibid., pp. 245-246 et pp. 357-359.
255 Pierre LEGENDRE, Trésor historique de l’État, op. cit., p. 413.
256 Cf. René SAVATIER, « Le droit et l’accélération de l’Histoire », D. 1951, chr., pp. 29-32.
257 V. pour les années de guerre, parmi d’autres, les références indiquées supra nn. 242-243, et infra n. 503 ; pour la suite, spécialement Charles Eisenmann, loc. cit. (chap. I, n. 315), ainsi que Roger Latournerie, « Sur un lazare juridique. Bulletin de santé de la notion de service public. Agonie ? Convalescence ? ou jouvence ? », E.D.C.E. n° 14, 1960, pp. 61-159 ; et Georges Morange, « Le déclin de la notion juridique de service public », D. 1947, pp. 45-48. Avec le recul des années, v. encore, notamment, François Burdeau, Histoire du droit administratif, op. cit., « La "crise du service public" », pp. 473-480 ; et Jean-Louis DE corail, « Une question fondamentale : la doctrine du service public, de la définition et de la nature du droit administratif et de la compétence du juge administratif », R.A., num. spéc. 1997, Le Conseil d’État et la doctrine (actes de la 1e journée d’études de la célébration du IIe centenaire du Conseil d’État, 25 novembre 1996), pp. 24-34.
258 Sect. 28 juin, Rec. p. 183.
259 Sect. 13 janvier, Rec. p. 32.
260 Pour une analyse plus fine de ce passage de l’arrêt Vézia à l’arrêt Magnier, v. spécialement René Chapus, Droit administratif général, op. cit., « La consécration jurisprudentielle de la catégorie des organismes de droit privé chargés d’une mission administrative de service public », n° 165 sq. avec toutes références utiles.
261 Ass. 21 avril 1944 Perrier, G.P. 1944,1, jur., note, p. 246.
262 Arrêt du 19 février 1943 Nocton, D. 1944, an., jur., p. 119.
263 Sect., 30 mai, Rec. p. 583 ; v. G.a.j.a., pp. 276-286.
264 Arrêt du 9 juillet 1943 Tabouret et Laroche, Rec. p. 182, note.
265 Arrêts du 11 février 1944, Auvray, et du 5 juillet 1944, Gauthier, Rec. t. p. 418.
266 Ass., 28 juillet 1944, Rec. p. 219, note.
267 Sect. 13 novembre 1942 Veuve Paupe, G.P. 1943, I, jur., note, p. 26
268 Ass. 30 juin 1944 Compagnie anonyme des Sablières de la Seine, Rec. p. 189, note.
269 Arrêt du 4, Rec. p. 45 ; R.D.P. 1944, note Gaston Jèze, concl. Bernard Chenot, pp. 158-171. La requête fut cependant rejetée, et le P.G.D. avait été dégagé dès les années 1920-1930 : v. chap. I, n. 321 ; le commissaire du gouvernement, d’ailleurs, avait relevé le passage « de tels principes [...] de la philosophie politique au droit positif par le seul effet de la coutume et de la jurisprudence » (p. 166).
270 Jean Marcou, op. cit., p. 378 ; v. sur la plupart des affaires qu’on vient d’évoquer p. 365 sq.
271 Cf. supra, n° 102. V. notamment Olivia Laederich, op. cit., pp. 102-103.
272 V. nos Sources (I.A.2.c.1°) : 27 arrêts publiés ou mentionnés au Lebon avant la Libération. (Pour la suite, v. infra n° 386.)
273 Jean Marcou, op. cit., p. 285 ; à consulter sur cette épuration, p. 284 sq.
274 Arrêt du 29 mai 1942, Chastenet de Géry, Rec. p. 177. Dans le même sens, v. 1er août 1942 Argentier, Rec. t. p. 412 ; 24 février 1943 Leclercq, Rec. t. p. 376 ; 2 juillet 1943 Bizé, ibid.
275 Arrêt du 9 janvier 1942, Bruchon, Rec. p. 13. D ans le même sens, v. 31 juillet 1942 Gueux, Rec. t. p. 412 ; 21 avril 1943 Dame Franceschini, Rec. t. p. 376.
276 V. 29 octobre 1943 Bertereau, Rec. p. 234.
277 V. l’arrêt Dame Franceschini précité (n. 275).
278 Ass. 23 juillet 1943 Chapelle, Rec. p. 201. Dans le même sens, v. 31 décembre 1943 Petitot Cartellier, Rec. t. p. 375 (irrespect de la hiérarchie) ; 3 mai 1944 Consorts Le Roux, Rec. t. p. 395 (abandon de poste) ; 4 août 1944 Ville de Saint-Denis c/ Jeuf, ibid. (immoralité).
279 Sect. 5 mars 1943 Soulier, Rec. p. 61 – jugeant que ni la qualité d’invalide de guerre, ni la législation sur les congés maladie, ne pouvait être valablement invoquée à l’encontre d’un relèvement.
280 Ainsi de tous les arrêts qui viennent d’être cités.
281 Jean Marcou, op. cit., p. 286.
282 Loi du 27 juillet 1940 ; v. S. 1940, II, p. 1 464.
283 Arrêt du 25 avril, Cornut, Rec. p. 68, note ; R.D.P. 1941, note Roger bonnard, pp. 540-543. Dans le même sens, v. les arrêts Argentier, précité (n. 274), et Lancel, du 26 janvier 1944, Rec. p. 31.
284 Rec. p. 32. Un arrêté pris à la suite de cet arrêt vint cependant répondre à cette exigence, relevant le fonctionnaire dans des conditions dès lors jugées légales (26 juillet 1944 Godard, Rec. t. p. 395).
285 V. 2 décembre 1942 Benazet, Rec. p. 337 ; 25 février 1944 Velu, Rec. t. p. 395 ; et 21 juin 1944 Bec, Rec. p. 177.
286 Pour un exemple d’échec exprès de ce contrôle, v. l’arrêt Gueux précité (n. 275).
287 Le 24, Ass., Rec. p. 233 ; D. 1943, an., jur., obs., pp. 4-5 ; S. 1943, III, concl. André Ségalat, note Achille Mestre, pp. 1-3. Cette décision, en outre, confirmait la solution du premier arrêt Godard (1942), précité.
288 Sect. 4 février, Duplat, Rec. p. 46. Pour une critique de cette jurisprudence, v. ici infra n° 418.
289 Sect. 12 novembre 1943 Bertolucci, Rec. p. 256.
290 V. ainsi 29 octobre 1943 Péjean, Rec. t. p. 376 ; 7 avril 1944 Collin, Rec. t. p. 394 ; 9 juin 1944 Florence, Rec. t. p. 395.
291 V. 2 avril 1943 Alexandre, Rec. p. 85 ; Lancel, précité (n. 283) ; et 26 avril 1944 Vigroux, Rec. p. 123.
292 Cf. supra, n° 245.
293 Arrêt du 21, 5. 1945, iii, note Jacques Donnedieu de Vabres, pp. 5-7. Cette obligation de communication préalable était bien issue, en l’espèce, du statut vichyssois de la fonction publique, l’application de son équivalent républicain, bien connu des publicistes, l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 (encore aujourd’hui en vigueur), ayant été suspendu, pour toute la durée des hostilités, par un décret-loi du 1er septembre 1939 (v. Roger bonnard, « Le droit public et la guerre », loc. cit., p. 234).
294 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 297.
295 Jean Marcou, op. cit., p. 296 ; dans le même sens, Marc Olivier Baruch, op. cit., p. 476.
296 J.O. du 13, p. 5 274. V. James Steel, William Kidd et Daniel WEISS, « Les commissions administratives départementales », in Le Gouvernement de Vichy, op. cit., pp. 55-64 (loi reproduite en annexe, p. 322).
297 J.O. du 17 ; v. M. Nicolas, « Commentaire des lois du 16 novembre 1940 », J.C.P. 1941, I, n° 187 (cf., distincte, la loi du même jour sur les mutations de propriété immobilière, ici précitée n° 281).
298 La possibilité de suspendre fut introduite par une loi modificatrice du 28 juin 1941. Sur l’ensemble, v. notamment Olivia Laederich, op. cit., « L’épuration des élus locaux », pp. 144-146 ; ce dispositif ne faisait du reste que radicaliser un mouvement engagé depuis le milieu des années 1930 (v. François Burdeau, Histoire de l’administration française..., op. cit., pp. 202-204).
299 Ass. 27 février 1942 Quilichini, Rec. p. 65.
300 Ici, arrêt du 14 janvier 1944, Gentilhomme, Rec. p. 13 (relatif à la suspension d’un maire). Dans le même sens, v. 9 février 1944 Chordi, Rec. p. 51 (suspension puis révocation d’un conseiller municipal) ; 3 mai Gassiot, Rec. t. p. 359 (dissolution d’un conseil municipal).
301 V. Roger Bonnard, « Le droit public et la guerre », loc. cil., p. 245 sq.
302 Arrêt du 11 juillet, Docteur Sauvageot, Rec. p. 198.
303 V. 4 juin 1943 Soulier et Blanchard (2 esp.), Rec. t. p. 343.
304 V. 6 août 1941 Lajotte, Cornevaux et autres, Rec. p. 156 ; 16 janvier 1942 Séjor, dit Raslas, Rec. p. 19 ; 2 avril 1943 Decauville, Rec. t. p. 343.
305 V. 16 janvier 1942 Pimouquet, Rec. t. p. 382 ; et 1er avril 1942 Raynat, Ibid.
306 Arrêts du 11, Blanchi, Rec. p. 11, et Dubois, Martin et Happey, Rec. t. p. 381.
307 Arrêt du 8, Rec. p. 79.
308 Du 16, Rec. p. 89 ; commenté aux mêmes références que l’arrêt Cornut précité n. 283.
309 28 juin 1918, Rec. p. 651 ; v. G.a.j.a., pp. 193-200.
310 Du 12, Rec. p. 9 et t. p. 359 respectivement.
311 Pour la loi, J.O. du 23 suivant, p. 3 550 ; v. L.d. V., n° 51, pp. 140-146. Pour le reste, cf. chap. I, n. 18 ; add. : Olivia Laederich, op. cit., « L’épuration anti-communiste vichyssoise », pp. 147-149.
312 V. ainsi l’arrêt Porte du 8 mars 1944, Rec. t. p. 395. L’affaire concernait un licenciement prononcé sur le fondement d’un décret de novembre 1939 : la loi du 14 août 1941, en tant que telle, n’a pas laissé de traces au Lebon ; il n’y a cependant aucune raison que cet arrêt Porte n’en constitue une jurisprudence pertinente, bien que fictive, par l’effet d’une transposition mutatis mutandis (on peut penser qu’une telle opération, le cas échéant, aurait constitué la démarche du juge lui-même).
313 Du 30, Rec. p. 188, note.
314 J.O. du lendemain, p. 4 691, rectif. in J.O. 3 septembre, p. 4 882 ; v. L.d. V., n° 16, pp. 68-71, et supra, chap. I, n. 17 ; add. : Olivia Laederich, op. cit., « L’épuration antimaçonnique », pp. 130-138.
315 Respectivement du 14 janvier 1916, Rec. p. 15, et du 20 janvier 1922, Rec. p. 65 ; v. G.a.j.a., pp. 179-183.
316 Cf. n° 82.
317 V. respectivement 5. 1940, II, p. 1 515, et 5. 1941, II, p. 464.
318 « Je fus désigné comme rapporteur de nombreux dossiers et m’efforçais de faire adopter une jurisprudence bienveillante par la commission. J’y réussis partiellement, notamment, pour les petits emplois, grâce à l’appui de Georges Michel, esprit ouvert et libéral. Mais, pour les emplois élevés, la commission se montra impitoyable et n’admit pas de dérogation », consigne en effet G. Maleville (op. cit., p. 27). Jean Massot fait par ailleurs état d’un témoignage selon lequel « les maîtres des requêtes initialement chargés des dossiers de [membres du Conseil] fils d’étrangers avaient voulu prendre une attitude systématiquement favorable et [...], de ce fait, [...] avaient été déchargés de cette tâche » (« Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 91, n. 2). Quant à l’activité de la commission du statut des Juifs, cf. ici supra, n° 110 sq.
319 V. notamment Maurice Duverger, « La situation des fonctionnaires... », loc. cit., p. 292 sq.
320 Du 19, S. 1942, III, p. 24.
321 Arrêt du 14 avril 1942, Chiarazzo, Rec. p. 77 ; D. 1942, an., jur., obs., p. 131. De la même facture, v. 1er août 1942 Wallach, Rec. t. p. 408 ; et 24 février 1943 Consorts Gabbai, Rec. t. p. 383.
322 V. 16 juin 1943 Consorts Ajchenbaum, Rec. p. 154.
323 Arrêt du 23, Rec. p. 360 ; D. 1943, an., somm., obs., p. 7 (nos italiques).
324 Le 10, Rec. t. p. 383.
325 Cf. supra, respectivement nos 68 sq. et nos 82-83. Ce droit de l’épuration xénophobe justifierait de recevoir, aussi bien que le droit antisémite, la qualification d’"anti-droit”, dont on a dégagé les critères d’intentionnalité de nuisance à ses destinataires et d’instrumentalisation du droit républicain (cf. n° 78 sq.).
326 Cf. supra, n° 181.
327 V. l’analyse de Roger bonnard, « Le droit public et la guerre », loc. cit., p. 630 sq. ; reproduction du décret p. 632. On y trouvera également un décret-loi du 29 novembre 1939, instituant « une commission de vérification chargée d’examiner les décisions prises en application [...] du décret du 18... » (art. 1er), rôle seulement consultatif (ce qu’on déduit de l’article 3) assuré par un inspecteur général des services administratifs au ministère de l’Intérieur, un conseiller à la Cour de cassation, et un conseiller d’État (art. 2). Le rôle pratique de cet organe, cependant, à ce qu’il en paraît, fut nul. V. sur le tout Olivia Laederich, op. cit., pp. 101- 102.
328 Mêmes références que l’arrêt Cornut du même jour, précité n. 283. Rien ne dit que la "dame Koch, dite Coche-Monosshon" fut l’épouse de Monossohn, requérant éponyme de l’arrêt qu’on vient de rappeler ; ce n’est toutefois pas impensable, la légère différence orthographique des patronymes respectifs pouvant n’être qu’un hasard de rédaction des arrêts, tandis que les décisions attaquées dans ces affaires émanaient d’autorités géographiquement voisines, à des dates relativement proches – arrêté du préfet du Puy-de-Dôme à la mi-novembre 1941 pour Koch, du préfet de l’Allier à la fin décembre pour Monossohn –, et que la probabilité paraît grande, en effet, que deux époux internés se soient portés devant le juge, chacun pour la mesure qui l’avait frappé.
329 Cf. supra, chap. I, sect. I, § II, II, B (n° 124 sq.).
330 Mutatis mutandis, cf. principalement les articles, ici précités, « La doctrine sous Vichy » et « Écrire, se taire... », et : « Le principe de légalité. Mythes et mystifications », A.J.D.A. 1981, pp. 387-392 ; « Le droit, discours de pouvoir », in Itinéraires. Études en l’honneur de Léo Hamon, Economica, 1982, pp. 429-444 ; « Droit, normalité et normalisation », in C.U.R.A.P.P., Le droit en procès, P.U.F., 1983. V. aussi Jacques chevallier, « La dimension symbolique du principe de légalité », in Charles-Albert morand (dir.), Figures de la légalité, Publisud, 1993, pp. 55-91. Il faut également citer Pierre legendre, dont les abondants travaux, largement précurseurs de ceux qui viennent d’être mentionnés, ont décrit les mécanismes "structurants" secrètement à l’œuvre dans les phénomènes normatifs en général et l’activité des juristes en particulier ; pour une synthèse sur ce dernier aspect, v. notamment « Qui dit légiste, dit loi et pouvoir » (entretien), Politix n° 32, 1995, pp. 23-44.
331 Concernant plus particulièrement les lois raciales, c’est l’un des apports majeurs de l’ouvrage précité de Michaël Marrus et Robert Paxton que d’avoir fait valoir à quel point l’antisémitisme français des années de guerre constituait avant tout le produit du droit, démonstration aujourd’hui relayée par les contributions des colloques de 1993 et 1995 ici évoqués n° 31. Pour des comparaisons significatives avec les autres États d’Europe occidentale occupés durant la période, v. Robert O. Paxton, « La spécificité de la persécution des Juifs en France », loc. cit. (in chap. I, n. 137), p. 612 sq. On y verra qu’« aucun [...] ne prit, de son propre chef, une quelconque mesure antisémite, même si certains d’entre eux pratiquaient une collaboration d’État tout aussi radicale » que celle de la France vichyste – tel par ex. le Danemark, engagé dans cette collaboration « au moins aussi complètement que Vichy, sinon plus », d’où en octobre 1943 parvenaient pourtant à s’échapper vers la Suède les 98 % de sa petite communauté juive (8 500 personnes) ; parmi les conditions qui avaient rendu possible une telle évasion, il faut indubitablement placer l’absence de dispositif normatif antijuif "autochtone".
332 Précités n° 261.
333 Alain Bancaud, loc. cil. (in chap. I, n. 84), p. 173.
334 On songe au machiavélisme appliqué d’un Mazarin, en ce précepte du Bréviaire des politiciens : « Si tu décides de promulguer de nouvelles lois, commence par en démontrer l’impérieuse nécessité à un conseil de sages, et mets au point cette réforme avec eux. Ou bien fais que se propage simplement la nouvelle que tu les as consultés, et qu’ils t’ont abondamment conseillé. Puis légifère sans te soucier de leurs conseils, comme bon te semble. » (Arléa, 1996, p. 63).
335 Discours précité (réf. n. 221), p. 470. Plus concis, v. aussi supra n° 258 les mots de Joseph Barthélémy.
336 Note à Darlan citée par Alain Bancaud, loc. cit., p. 174 ; nous soulignons.
337 Cf. le fameux fragment des Pensées sur la justice et la force (éd. Brunschvicg, 878) : « ... et ainsi on appelle juste ce qu’il est force d’observer ».
338 Danièle Lochak, « Le juge doit-il appliquer une loi inique ? », Le genre humain n° 28, précité, pp. 29-39 ; pp. 30-31.
339 Alain Bancaud, loc. cit., p. 173. Cf. l’ouvrage précité de Marc Olivier Baruch, Servir l’Étal français, passim.
340 C’est la conclusion de Michaël Marrus et Robert Paxton, op. cit., p. 512 sq. V. notamment : D’une part, Marc Olivier Baruch, op. cit., chap. VII, « Les préfets entre administration et politique », pp. 225-260 ; et dans Le régime de Vichy et les Français, op. cit., Sonia Mazey et Vincent Wright, « Les préfets », pp. 267-286, ainsi que l’analyse de cas et les réflexions de Jean-Pierre Husson, « L’itinéraire d’un haut fonctionnaire : René Bousquet », pp. 287-301. D’autre part, Jacques Delarue, « La police sous l’Occupation », L’Histoire n° 29, 1980, pp. 8-15, et « La police », in Le régime de Vichy et les Français, op. cit., pp. 302- 311 ; Jean-Marie Muller, Désobéir à Vichy. La résistance civile de fonctionnaires de police. Presses universitaires de Nancy, 1994 ; pour l’envers Maurice Rajsfus, La police de Vichy. Les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo. 7940-/944, Cherche-Midi, 1995.
341 Cité par Jean-Pierre Royer, op. cit., p. 715.
342 Sur l’ensemble, v. spécialement Gérard Masson, Les juges et le pouvoir, a. Moreau/Syros, 1977, « Une magistrature soumise, une magistrature compromise (Vichy) », pp. 145-181 ; et Jean-Pierre Royer, op. cit., aux références précitées in intro., n. 29. Le sous-titre du présent I est emprunté à Alain Bancaud, « La magistrature et la répression politique de Vichy ou l’histoire d’un demi-échec », Droit et société n° 34, 1996, pp. 557-574 (p. 563) ; on citera ci-après les différents travaux de l’auteur, autre source d’importants éclairages sur le sujet.
343 Sur ces divers textes (et le contentieux de leur application), cf. ici supra, notamment nos 64 (et 293), 82 (et 294 sq.), 102 (et 285 sq.).
344 Christian bachelier et Denis Peschanski, « L’épuration de la magistrature sous Vichy », in Association française pour l’histoire de la Justice, L’épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération, Loysel, 1994, pp. 103-115 ; pp. 107-108. Concernant « les effets de l’autre loi du 17 juillet 1940 », relative à la nationalité, les auteurs précisent (p. 108) que « leurs données sont lacunaires ».
345 De telles mesures sont sans doute demeurées minoritaires ; elles ont toutefois eu lieu : v. Alain Bancaud, La haute magistrature judiciaire entre politique et sacerdoce ou le culte des vertus moyennes, L.G.D.J., "Droit et société", 1993, p. 153.
346 Ainsi, concernant la loi du 17 juillet 1940 autorisant les relèvements de fonctions, Gérard MASSON fait état d’une circulaire du garde des Sceaux, datée du 27 décembre 1941, qui enjoignait aux chefs de cour de mettre un terme à la situation d’inertie alors constatée par ses services (op. cit., p. 152, n. 8).
347 Christian Bachelier et Denis Peschanski, loc. cit., p. 109 ; ibid. ci-après.
348 Source : ibid., p. 108. Pour les commissions en cause, cf. ici supra, nos 110 et 294.
349 Christian BACHELIER et Denis Peschanski, loc. cit., p. 113. V. dans le même sens Alain Bancaud, op. cit., pp. 184-186.
350 Gérard masson, op. cit., p. 159.
351 Alain Bancaud note ainsi que, comme les demandes de départs anticipés, des protestations de loyalisme ont pu convaincre le régime d’épargner certains magistrats qui, normalement, auraient dû être limogés en application des lois d’épuration (op. cit., p. 153 ; l’auteur évoque les francs-maçons). Pour deux exemples publics d’allégeance de la magistrature au Maréchal – l’un apparemment formel, l’autre plus engagé –, v. Jean-Claude Farcy, Magistrats en majesté. Les discours de rentrée aux audiences solennelles des cours d’appel (XIXe-XXe siècles), C.N.R.S., 1998, pp. 440-442. Pour le reste, cf mutatis mutandis ici nos 218 et 234.
352 On a noté déjà (intro., n. 130) que la promotion 1998 de l’École nationale de la magistrature avait choisi de porter son nom.
353 Jean-Pierre Royer, op. cit., pp. 734-735 ; pour une synthèse, v. ibid. « L’éclatement de la justice d’exception », pp. 734-745. Quant à la juridiction exercée par Pétain, cf. l’acte constitutionnel n° 7, art. 3 (précité n° 211).
354 Décret du 27 octobre 1939, J.O. du 3 novembre, p. 12 384.
355 Gérard Masson, op. cit., p. 158 ; réf. de ces lois ibid., n. 23 : au total 9 textes édictés entre août 1940 et février 1944. Ci-après, ibid., pp. 158-159.
356 Alain Bancaud, « La haute magistrature sous Vichy », Vingtième siècle n° 49, 1996, pp. 45-62 ; p. 48. Ibid, ci-après, p. 48 et p. 50.
357 Ibid., pp. 50-51.
358 Loi du 15 novembre, J.O. du 17, p. 2 948.
359 Gérard masson, op. cit., p. 160.
360 Sur le phénomène, cf supra ici, n° 221 sq.
361 D’après Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., pp. 140 et 184. Delvolvé a déjà été cité, ici, pour des propos peu favorables aux Juifs désireux d’échapper au statut (cf. chap. 1, n. 214) ; d’autres interventions rapportées dans l’ouvrage de M. O. Baruch confirment son souci de voir les textes antisémites appliqués en toute rigueur : v. pp. 140-141. On retrouvera le personnage, à la Libération, sous un tout autre jour (cf. n° 394).
362 V. Alain Bancaud, « La haute magistrature sous Vichy », loc. cit., p. 57 in fine.
363 Alain Bancaud, ibid., p. 55.
364 Id., « La magistrature et la répression politique de Vichy... », loc. cit., p. 574.
365 Circulaire du 7 février 1941 adressée aux procureurs généraux par le garde des Sceaux, citée par Alain Bancaud, « La haute magistrature sous Vichy », loc. cit., p. 60.
366 Alain Bancaud, « La magistrature et la répression politique de Vichy », loc. cit., p. 558 ; v. réf. n. 330 ci-dessus. À preuve des attentes du régime en la matière, outre les citations déjà produites (n° 300) en évoquant la situation du Conseil d’État au même égard, cette formule prononcée par Joseph Barthélémy, plus directement adaptée aux juridictions judiciaires, cynisme sans fard : « Jugeons avec des débats contradictoires, une libre discussion ; emprisonner les hommes, c’est peu ; les tuer, ce n’est pas grand chose ; les juger avec le motif, c’est bien. » (cité par A. Bancaud, « Vichy et les traditions judiciaires », loc. cit., p. 173).
367 Danièle Lochak, « Le juge doit-il appliquer une loi inique ? », loc. cit., p. 33.
368 Alain Bancaud, « La magistrature et la répression politique de Vichy », loc. cit., p. 568-569. L’auteur donne d’autres exemples d’un tel zèle, qui atterrent le lecteur contemporain.
369 Id., op. cit., p. 285 ; v. notamment pp. 52 sq. (comparaison avec le Conseil d’État p. 55 sq.) et 180 sq.
370 V. Id., articles précités, d’une part « La haute magistrature sous Vichy », p. 56 sq., d’autre part « La magistrature et la répression politique de Vichy », p. 570 sq. – décrivant les symptômes de « la réserve dans le dévouement » témoigné par les magistrats, sans aller néanmoins jusqu’à la « rupture » avec le régime.
371 Celles-ci, dans tout ce qui suit, constitueront la principale source de travail. En effet, s’agissant de porter sur le contentieux judiciaire de l’antisémitisme vichyssois un regard aussi significatif que possible sans pour autant chercher l’exhaustivité – laquelle, via le recours au recueils officiels, n’avait de raison d’être impérative que pour l’objet principal de l’étude, le versant administratif de ce contentieux –, il a paru suffisant de s’en tenir, pour fonder l’analyse, à cette pré-sélection. Elle offre à la recherche un double avantage : d’une part un accès pratique relativement aisé ; d’autre part, et principalement, une certaine pertinence juridique, les rédacteurs de ces revues – dans une matière dont certains étaient alors devenus des spécialistes, on le verra (notamment n° 348 sq.) – se trouvant avec quelque probabilité les mieux à même de publier et commenter les décisions portées à leur connaissance qui, de ce point de vue, s’avéraient les plus intéressantes, et cela avec une objectivité, du moins technique, dont il semble inutile de douter (les mêmes développements à venir devraient en convaincre). Contra, cependant, v. en particulier Pascal ANCEL (loc. cit. infra n. 377, p. 364), qui discrédite partiellement « un échantillonnage très artificiel » n’ayant que la qualité d’une « réalité seconde », eu égard au caractère aléatoire et subjectif des « critères présidant à la sélection de telle ou telle décision en vue de sa publication ». Ces précautions méthodologiques sont peut-être le plus utiles vis-à-vis de la jurisprudence pénale (v. en ce sens Hervé bonnard, loc. cit. infra n. 377 également, p. 395), dont les témoignages publiés se révèlent en effet moins abondants que ceux de l’activité des juridictions civiles et commerciales, et surtout, on le verra, ne concernent qu’un type de problème. À noter par ailleurs qu’on trouvera l’ensemble des références utilisées, chronologiquement classées par degré et nature de juridiction, dans les Sources et bibliographie du présent ouvrage (I.B. 1).
372 Hors plein contentieux – et il n’en était pas question en matière de mesures antisémites (cf. supra, n° 126) –, la juridiction administrative, en effet, se trouvait placée dans une situation différente de celle des tribunaux judiciaires puisqu’elle devait statuer, non sur un litige qui opposait deux particuliers, mais sur la légalité d’un acte. Saisi d’une décision de l’occupant ou assimilée, le Conseil n’aurait ainsi pu que décliner sa compétence : cf. supra, n° 128.
373 V. ainsi Trib. civ. Seine, 18 mars 1941, J.C.P. 1941, II, n° 1 646, obs. ; puis id., 23 mai 1941, D. 1941, an., jur., p. 267 ; et 10 juin 1941, J.C.P. 1941, II, n° 1 696.
374 V., d’une part, les jugements précités in chap. I, n. 278, des tribunaux civils de la Seine (3 novembre 1941) et de Rabat (17 décembre suivant), et, d’autre part, Trib. corr. Toulouse, 22 décembre 1941 Dorfmann, D. 1942, cr., jur., note Paul chauveau, pp. 53 ; J.C.P. 1942, ii, 1 800, obs. E. H. Perreau.
375 Le Reich avait instrumentalisé ses juges dès 1933 : v. notamment Raul Hilberg, op. cit., p. 61 sq.
376 Le mot en allemand signifie notamment injonction, mais encore, dans une acception juridico-politique plus particulière, traité imposé. La distinction entre l’application des lois de Vichy et celle des ordonnances nazies serait d’ailleurs fondamentale, à la Libération, pour qualifier les faits de collaboration (cf. infra, n° 405).
377 Cf. supra (nos 84, 94 et 97) les analyses parallèles qu’on en a pu effectuer ici. Pour un aperçu des décisions judiciaires rendues en ce qui concernait, d’ailleurs à des degrés différents, les ordonnances allemandes, v. d’abord les trois affaires précitées n. 374 ci-dessus, tranchées par le Tribunal civil de la Seine durant le premier semestre 1941. Dans la première – du 18 mars –, le juge estime que « le fait qu’un locataire israélite soit dans l’impossibilité de revenir en zone occupée », en raison de la prohibition qui lui en est faite par l’ordonnance du 27 septembre 1940 (précitée n° 84), était « un fait exclusivement relatif à la personne du locataire, et n’altère en rien la chose louée qui reste propre à l’usage auquel elle était destiné » ; en conséquence, il est décidé que l’éloignement imposé du locataire juif n’aurait su « lui permettre de demander la résiliation de son bail ». La deuxième affaire – jugement du 23 mai – est relative à la contestation du client juif d’une banque, par elle empêché de procéder à un prélèvement sur son compte, au motif de l’imminence de l’intervention d’un décret de l’occupant visant à restreindre « considérablement la faculté pour les juifs et les entreprises juives de disposer sur les comptes en banque et sur les dépôts de titres dans les banques » (intervention annoncée par lettre du directeur de l’Office de contrôle des banques à l’Union syndicale des banquiers) ; le décret finalement édicté, comme le relève le juge, n’autorisant « dorénavant les prélèvements [des Israélites] que dans la mesure nécessaire pour faire face aux besoins essentiels de l’existence » (leurs comptes et dépôts se trouvaient pour le reste bloqués), le tribunal, saisi en référé, qui reconnaît l’urgence du besoin, ordonne à la banque la remise à son client d’une somme fixée comme effectivement « nécessaire à l’existence de la famille ». La troisième affaire, enfin – le 10 juin –, concerne une entreprise juive mise sous séquestre sur ordre des nazis : le tribunal admet que cette mesure d’aryanisation économique a constitué pour la société un cas de force majeure, de nature à la décharger de toutes ses obligations contractuelles ; après avoir également mis hors de cause le commissaire séquestre en considérant que, « tenu d’exécuter les ordres reçus de l’autorité militaire requérante sous peine d’encourir une peine allant jusqu’à l’emprisonnement », il « n’a agi que sous la pression des circonstances et que comme mandataire des autorités occupantes dont il n’a été que l’instrument », les juges déboutent le plaignant, ancien salarié de l’entreprise qui exigeait l’indemnisation du préjudice que lui avait causé la rupture de son contrat de travail, consécutive à la mise sous séquestre.
On ne voit d’ailleurs pas pourquoi cette qualification des contraintes qui résultent de l’application du droit antijuif de l’occupant en cas de force majeure, qui délie la victime de ses engagements, n’aurait pu être retenue dans la première affaire – jugée le 18 mars –, quitte pour le tribunal à faire œuvre d’interprétation du décret-loi du 26 septembre 1939 qui se trouvait là en cause. Celui-ci exigeait que le locataire demandant la réduction de son loyer ou la résiliation de son bail justifie cesser de jouir de l’usage de tout ou partie des locaux par suite de « circonstances résultant de l’état de la guerre » : les divers "inconvénients" occasionnés à un citoyen français par l’exécution des ordonnances allemandes ne constituaient-elles pas, en effet, de telles circonstances ? On constatera plus loin (n° 329) que c’est dans ce sens qu’en la matière la Cour de cassation devait établir sa propre jurisprudence, en 1944, vis-à-vis de mesures prises par Vichy, certes à une ambiguïté majeure près, qui précisément interviendrait dans une affaire liée au droit édicté par l’occupant. – Mais il est vrai qu’en mars 1941 les Juifs, d’un côté comme de l’autre de la ligne de démarcation, ne faisaient déjà plus guère figure que de citoyens au rabais...
Concernant toujours le contentieux judiciaire de l’antisémitisme nazi, v. encore, par ordre chronologique, ces quatre espèces, peu amènes : 1/Trib. civ. Seine, 23 octobre 1941 Époux Revel c/ Crédit foncier de France, J.C.P. 1942, II, n° 1 863, obs. : refus, avalisé par le juge comme « raisonnable », d’une banque à honorer des chèques tirés sur elle par l’un de ses clients juifs dans le cadre d’un crédit hypothécaire consenti avant la guerre, faute pour le client de justifier d’une autorisation à effectuer cette opération qui fût donnée par les autorités d’occupation, lesquelles avaient en effet arrêté que « toute opération juridique effectuée après le 23 mai 1940 et disposant des biens des [Juifs] pourra être déclarée nulle par le chef de l’Administration militaire en France » ; le défaut d’autorisation, selon le tribunal, plaçait la banque « dans l’incertitude [...] de la validité de l’opération demandée », n’étant « point certain[e] que la quittance ou décharge sous forme de chèque que lui donnait [son client] ne serait pas ultérieurement révoquée », ni « qu’en payant la somme due, [elle] ne courait pas le risque d’avoir à la payer une seconde fois ». 2/ Trib. com. Saint-Étienne, 2 avril 1942 Minoterie de l’Isle de la Loire c/ Blum frères et Justin Blum, J.C.P 1942, II, n° 1 939, obs. D. Bastian : condamnation conjointe et solidaire d’une société en nom collectif et de l’un de ses associés au paiement du prix de fournitures, alors que, cette société et l’associé devant être regardés comme "juifs" au regard des textes applicables, du fait de ces derniers leurs biens et avoirs se trouvaient bloqués ; la sentence était prononcée dans la mesure où, d’une part, les possibilités d’aboutissement d’une action aux mêmes fins, qu’aurait pu tenter le créancier contre l’administrateur séquestre nommé par les autorités allemandes, semblaient « illusoires », l’issue de cette éventuelle réclamation rendue « plus qu’incertaine » par « la situation particulière [des] débiteurs » notamment, et parce que, d’autre part, l’associé n’apportait « pas la preuve de son impécuniosité actuelle », et même, au contraire, manifestait « une nouvelle activité commerciale [...] dans son lieu de repli », laquelle constituait, « à n’en pas douter, un élément du gage de ses créanciers » ; le juge prenait cependant soin de préciser qu’il ne mettait « pas en doute l’honorabilité ou la bonne foi de Justin Blum », et, qualifiant lès circonstances qui avaient empêché le plaignant d’être payé – l’occupation allemande –, il évoquait « les tristes événements de juin 1940 » (pour une critique néanmoins, v. infra n° 355). 3/ Trib. civ. Montpellier, 6 mai 1942 Israël dit Mortier c/ Société nancéienne de crédit industriel et de dépôt, G.P. 1942, II, jur., note, pp. 12-13 : une banque ayant son siège social en zone occupée devait se conformer aux ordonnances allemandes et comme telle, selon le juge, ne pouvait être tenue, en l’absence d’autorisation des autorités d’occupation, de remettre à un Juif de ses clients domicilié en zone libre les valeurs qu’il avait déposées, même si les titres concernés se trouvaient matériellement en zone libre. 4/ C.A. Aix, 21 juin 1943 Compagnie d’assurances La Nation-Vie c/ Stora, G.P. 1943, II, jur., note, p. 204 : une société d’assurances sur la vie ayant son siège social à Paris, qui, comme l’exigeaient les ordonnances des autorités d’occupation, avait versé des sommes d’argent, qu’elle devait aux héritiers juifs d’un de ses clients décédé, entre les mains de l’administrateur provisoire nommé à leurs biens, s’était selon le juge valablement libérée de son obligation, nonobstant le fait que ces personnes fussent domiciliées en zone non occupée. (Sur les banques, qu’il n’est pas rare de voir apparaître dans le contentieux de l’antisémitisme, v. spécialement Claire Andrieu, La banque sous l’Occupation. Paradoxes de l’histoire d’une profession, F.N.S.P., 1990.)
378 Sur l’ensemble, v. principalement : d’une part, in Le genre humain n° 30/31, précité, Pascal ancel, « La jurisprudence civile et commerciale », pp. 363-384, et Hervé bonnard, « La jurisprudence pénale », pp. 385-396 ; d’autre part Bernard DE Bigault du Granrut, « Les tribunaux et le statut des Juifs », in Il y a 50 ans : le statut des Juifs, op. cit., pp. 36-45, et Richard Weisberg, op. cit., chap. 3, « Le statut des Juifs sous Vichy : interprétation, juridiction, application », pp. 61-80. V. aussi, plus spécialisés, Benoît Descoubes, « Le juge, la famille juive et les dispositions antisémites », Le genre humain n° 28, précité, pp. 53-59 ; Isabelle Lecoq-Caron, loc. cit. (in chap. I, n. 410). Plus succinct, v. encore Jean Marcou, op. cit., pp. 225-230.
379 Sur la période, la Cour de cassation, toutes chambres considérées, ne rendit au total que quatre arrêts relatifs à l’antisémitisme. Cf. ici nos 328, 329 et 333.
380 Selon une présentation formelle par type de contentieux – civil et commercial d’un côté, pénal de l’autre – qui répond d’abord à une exigence de fond, et ne méconnaît donc pas le point de vue "externe-modéré" auquel on s’est tenu en analysant la jurisprudence du Conseil d’État regardant la matière (cf. chap. I, n. 355). Une autre précision méthodologique, ici un rappel : ce n’est pas tant en regard du dispositif que des motifs des décisions citées qu’on définira leur orientation favorable ou non aux particuliers, seul ce second aspect pouvant définir la vraie portée d’une jurisprudence (cf. n° 131). Pour une appréciation fondée sur les dispositifs, v. cependant Pascal Ancel, loc. cit., pp. 376-378.
381 Cf. n° 135 et n° 145 respectivement.
382 Rendu le 7, D. 1944, an., jur., obs., pp. 34-35 ; G.P. 1944, I, jur., note, pp. 41-42 ; J.C.P. 1944, II, n° 2 566, obs. René SAVATIER ; v. aussi Henri Vizioz, in chronique avec Pierre Raynaud (« Jurisprudence française en matière de procédure civile »), R.T.D. civ. 1944, pp. 134-136.
383 Cf supra, n° 90.
384 Ici rappelé n° 145.
385 Sur le statut juridique des Juifs de France sous l’Ancien régime, v. réf. in chap. I, n. 46 ; v. aussi, entre autres, François Olivier-Martin, Histoire du droit français des origines à la Révolution, Montchrestien, 1948 (rééd. C.N.R.S., 1988), spécialement pp. 498-500 sur les communautés juives dotées d’un statut dans certaines villes, dont celle de Metz.
386 Dans le même sens moins le détail de l’argumentation, v. notamment Trib. civ. Sarlat, 3 mars 1944 Sarlat c/ Galada, G.P. 1944, 1, jur., note, pp. 195-196. Comme le relève Pascal ancel (loc. cit., p. 368), l’affaire Bass est la première, parmi celles qui ont fait l’objet d’une publication du moins, où l’on voit véritablement discutée la compétence à connaître de l’action en déclaration de non-appartenance à la "race juive". En date du 23 décembre 1942, cependant, le Tribunal civil de Bordeaux avait dû justifier sa compétence quant à l’assignation du ministère public aux fins de reconnaître la non-judéité du demandeur, par cet argument que « le ministère public a le droit d’agir devant les tribunaux civils par voie d’action principale dans les affaires qui intéressent l’ordre public [et] que le statut des juifs est, au premier chef, une question qui intéresse la société tout entière ; qu’ainsi M. le procureur de l’État, défenseur des droits de la société, apparaît comme le contradicteur naturel en pareille matière » (jugement Dame Foustet, G.P. 1943, I, jur., note, pp. 68- 69).
387 Cf. supra, n° 138.
388 Relevé par Jean Marcou, op. cit., p. 226. V. Trib. corr. Marseille, 25 février 1942 Weinthal, J.C.P. 1942, II, n° 1 823, obs. ; C.A. Montpellier, 21 mai 1942 Lustac, G.P. 1942, 11, jur., note, pp. 6-7, J.C.P. 1942, n° 1 968 ; C.A. Paris, 9 février 1943, G.P. 1943, I, jur., note, pp. 103-104 – et infra ici, n° 331 sq.
389 Ce que reflète le nombre de décisions publiées ; Pascal ancel estime qu’il n’est pas trompeur compte tenu de l’activité soutenue du C.G.Q.J. (cf. ici supra, n° 96) : v. loc. cit., p. 369 ; cité ibid. ci-après.
390 V. notamment C.A. Paris, 23 mars 1944 Pacot c/ Veuve Bertrand et Touchaud, G.P. 1944, I, jur., note, pp. 244-245 ; et Trib. civ. Seine, 3 mai 1944 B. c/ T., G.P. 1944, II, jur., note, pp. 73-74. Les deux juridictions admettent leur compétence pour connaître de l’action en responsabilité pour faute dirigée, contre un administrateur provisoire, par un candidat à l’acquisition de biens "aryanisés" que cet administrateur a refusé.
391 V. Trib. civ. Nice, 6 octobre 1942, confirmé par C.A. Aix, 10 novembre 1942 (affaire Heft c/ Bucheton, aux références du jugement Lion c/ Castel précité in chap. I, n. 309) ; Trib. civ. Chambéry, 2 décembre 1942, J.C.P. 1942, II, n° 2 074, obs ; C.A. Aix, 7 janvier 1943 Clerc c/ Loubradou, G.P. 1943, I, jur., note, p. 98.
392 V.C.A. Toulouse, 22 décembre 1942 Poulain c/ Demoiselle Rouchaud, J.C.P. 1943, II, n° 2 353, obs. (infirmant Trib. civ. Marseille, 20 octobre 1942, également reproduit).
393 V. respectivement : d’une part, le jugement Lion c/ Castel rappelé n. 391 ci-dessus ; d’autre part, Trib. civ. Marseille, 5 janvier 1943 Pollak c/ Molinari, aux références de l’arrêt Poulain cité note précédente ; Trib. civ. Chambéry, 2 décembre 1942, J.C.P. 1942, II, n° 2 074, obs. ; Trib. civ. Seine, 5 février 1943 Jaudel c/ Gontier de Vasse, G.P. 1943, I, jur., note, pp. 190-191 ; C.A. Aix, 6 décembre 1943 Cain, D. 1944, an., jur., obs., p. 34.
394 C.A. Aix, 22 mars 1943 Schonstein c/ Borelli, mêmes références que l’arrêt Poulain.
395 Trib. civ. Marseille, 6 avril 1943 Tordjeman c/Régnault, G.P. 1943, II, jur., note, pp. 7-8.
396 Trib. civ. Seine, 5 janvier 1943, précité in chap. 1, n. 309, comme, dans le même sens, Trib. civ. Montpellier, 7 janvier 1943, C.A. Toulouse, 21 janvier 1943, et Trib. civ. Moutiers, 21 avril 1943.
397 Cf. n° 145. On peut d’ailleurs noter que la théorie de la voie de fait continuerait jusqu’à aujourd’hui de faire l’objet, de la part des tribunaux judiciaires principalement, d’une dérive de nature à étendre leur compétence sur les actes de l’administration (v. la synthèse dressée par René Chapus, Droit administratif général, op. cit., n° 939 sq. avec toutes références utiles). Un autre exemple d’abus de la notion en matière d’aryanisation durant la période est fournie par un jugement du Tribunal civil de Mirande, du 3 février 1944, Trefousse c/ Reboul (G.P. 1944, I, jur., note, pp. 184-186) : celui-ci, pour reconnaître la compétence judiciaire, assimila à une voie de fait – dont la définition même exige de ne qualifier comme telles que les décisions que l’administration ne détient pas légalement le pouvoir de prendre, ou les exécutions forcées auxquelles elle ne peut juridiquement procéder (cf. notamment T.C. 8 avril 1935 Action française, Rec. p. 1 226 ; v. G.a J.a., pp. 309-315) – ce qui ne constituait qu’un défaut de motivation obligatoire de nature à justifier une dérogation prévue par la loi, c’est à dire une simple illégalité. Le bref commentaire de la décision ne relevait pas cette hérésie juridique ; peut-être faut-il voir dans ce silence, comme dans le jugement, une préférence louable, à l’orthodoxie en droit, pour la sauvegarde des intérêts proprement humains des Juifs spoliés, lesquels en effet trouvaient en l’espèce, ainsi, une protection contre l’arbitraire vichyssois.
398 Trib. civ. Brive, 16 février 1944 Olive c/ Salesse, D. 1944, an, jur., obs., pp. 55-56 ; G.P. 1944, I, jur., note, pp. 165-166. Concourant à une jurisprudence que devait ratifier le Tribunal des conflits en 1947 (cf. supra, chap. I, n. 309), le jugement relevait en outre, expressément, que l’acte même de nomination de l’administrateur provisoire, s’il était « vicié d’une irrégularité assez évidente pour lui faire perdre son caractère administratif et le faire dégénérer en simple voie de fait », pourrait être jugé par « les tribunaux civils, gardiens de la propriété privée ». V. par ailleurs, plus haut ici, d’une part le statut juridique conféré aux administrateurs du C.G.Q.J. par le Conseil d’État (n° 144 in fine), d’autre part l’argumentation doctrinale d’Edmond bertrand, niant à l’époque – comme les magistrats brivistes – la nature de service public de l’aryanisation (n° 143).
399 C.A. Paris, 20 avril 1944 Jaudel c/ Gantier de Passe, D. 1944, an., jur., obs., pp. 69-70 ; G.P. 1944,1, jur., note, pp. 207-208 : appel du jugement précité (n. 393) du Tribunal civil de la Seine, qui pour admettre sa compétence avait adopté la même motivation que son homologue de Brive dans l’affaire rapportée note précédente.
400 Pascal Ancel, loc. cit., p. 373.
401 Cf. mutatis mutandis la physionomie du contentieux administratif de l’antisémitisme (v. n° 126).
402 V. par ex. le jugement Sarlat c/ Gadala du Tribunal civil de Sarlat, précité (n. 386), déniant la judéité du défendeur « attendu que Gadala, conjoint d’une juive, n’est pas issu de deux grands-parents de race juive, étant entendu qu’est regardé comme de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive », et « qu’il n’a jamais appartenu à la confession juive » lui-même. V. a contrario Trib. civ. Rabat, 11 mars 1942 Griguer, J.C.P. 1942, II, n° 1 850, obs. Paul CHAUVEAU : reconnaissance de la judéité de l’individu en cause en tant qu’il était issu de quatre grands-parents juifs, bien que ses parents et lui-même eussent adhéré à la religion catholique avant juin 1940, dans la mesure où une telle appartenance confessionnelle n’était prise en considération par le statut qu’à l’égard des individus issus de deux grands-parents juifs seulement.
403 V. Trib. civ. Toulouse, 19 juin 1942 Dorfmann, G.P. 1942, II, jur., note, p. 51 ; J.C.P. 1942, II, n° 1 931, obs. E. H. Perreau. Quant à la jurisprudence Maxudian, cf. supra n° 179.
404 V. d’une part, par ex., le jugement Dame Foustet précité (n. 386) du Tribunal civil de Bordeaux, reconnaissant la non-judéité de la femme qui, issue de deux grands-parents juifs, avait épousé un catholique et apportait notamment la preuve testimoniale que, athée, elle n’appartenait pas à la religion juive (v. cependant l’analyse critique détaillée qu’en effectue Isabelle Lecoq-Caron, loc. cit., annexes, pp. 49-52). V. d’autre part ici n° 161.
405 J.C.P. 1942, II, n° 1 800, rapp. p. decroux, obs. Paul Chauveau. En appel, cependant, cette interprétation fut censurée : v. c.a. Rabat, 28 juillet 1942, J.C.P. 1942, II, n° 2 066, obs. E. H. perreau ; l’affaire est relevée par Pascal Ancel et Bernard de Bigault du Granrut (articles précités, respectivement p. 375 et pp. 38-39).
406 Jugement du 15 janvier 1942, Benaïm, J.C.P. 1942, II, n° 1 825, obs. Paul CHAUVEAU.
407 Jugement du 4 février 1942, Achour, J.C.P. 1942, II, n° 1 833, obs. De ce contentieux nord-africain de l’appréciation de la judéité, on peut rapprocher, qui intéressait en effet tout particulièrement les juges de Rabat, celui de l’appréciation de la nationalité des Juifs d’Algérie après l’abrogation du décret Crémieux (cf. supra, n° 87). À cet égard, d’abord, v. le jugement Benaïm cité note précédente, qui déclara, solution logique, que l’abrogation du décret de 1870 n’avait pu retirer leur nationalité française aux individus l’ayant acquise à un autre titre juridique, en l’occurrence jure soli sur le fondement du Code civil. D’autre part, v. l’arrêt Sicsic rendu par la Cour d’appel de Rabat le 27 janvier 1942 (mêmes références que le jugement Griguer, précité n. 402), qui, à l’inverse, jugea que le fils d’un individu qui ne tenait sa citoyenneté française que du décret Crémieux, avec l’abrogation de ce texte, perdait lui-même, à la suite de son père, sa nationalité, et cela sans pouvoir opposer sa filiation maternelle ni, par conséquent, la nationalité jure soli de sa mère, contrairement à ce que les juges de première instance avaient admis. La Cour d’appel retenait cette solution au motif que, « dans la filiation légitime, l’influence de la filiation maternelle pour la fixation de la nationalité française [...] n’est prise en considération par la loi que dans le cas où l’intéressé n’a pas déjà la nationalité française du fait de sa filiation paternelle » ; on aurait cependant pu estimer que, dans le contexte très particulier des "dénaturalisations" de 1940, ce principe, conçu pour de tout autres situations, trouvait une exception ; celle-ci aurait permis d’éviter des pertes "en cascade" de la nationalité.
408 C.A. Paris, février 1942 Soulidi c/Amar et Lemaire, D. 1943, an., somm., obs., p. 3 ; G.P. 1942, I, jur., note, pp. 145-146. V. ainsi C.A. Aix, 24 mai 1943 Consorts Laporte et Luc c/ Époux Lapinski, G.P. 1943, II, jur., note, p. 63 – concernant la demande d’un commerçant juif à la réduction du loyer de son local commercial (sur le principe d’une telle réduction, cf. n° 329 ci-après).
409 Arrêt de la Cour d’appel de Paris, précité (n. 399), dans l’affaire Jaudel c/ Gantier de Vasse, confirmant sur ce point le jugement du Tribunal civil de la Seine, également précité (n. 393).
410 V. notamment les jugements du Tribunal civil de Bordeaux des 11 et 12 mars 1942, Salomon c/ Dame Muller et Stoeffler c/ Binoum et Sussac, D. 1943, an., somm., obs., p. 15 ; G.P. 1942, 1, jur., pp. 199-200. Dans des affaires factuellement proches, ils concluaient à l’irrecevabilité des demandes de renouvellement d’un bail commercial : le commerçant juif en cause dans chaque espèce, dont les biens avaient été placés sous séquestre, était en effet ainsi « devenu incapable pour tout ce qui concernait son commerce ». (À comparer avec Trib. civ. Nice, 20 décembre 1943 Conte et Moskowicz c/ Raynaut, D. 1944, an., jur., obs., pp. 35-36 : qualité de l’administrateur provisoire pour demander le renouvellement du bail commercial venu à expiration qui, jusque là, bénéficiait au commerçant juif spolié.)
411 Arrêt Soulidi de la Cour d’appel de Paris, précité (n. 408).
412 Cf. supra, respectivement n° 321, et n° 320 spécialement en rapport avec le jugement B. c/ T., cité n. 390, du Tribunal civil de la Seine – lequel, outre le principe de sa compétence, retint au fond, pour défaut de respect d’une exigence procédurale, la responsabilité de l’administrateur qui avait tenu pour nuls des actes passés par le propriétaire juif antérieurement à la publication au J.O. de sa nomination au séquestre des biens, alors que la loi d’aryanisation exigeait dans ce cas (art. 4) une résolution judiciaire ; c’était cependant en l’espèce au bénéficiaire desdits actes, demandeur dans l’instance, non au propriétaire spolié, que la solution profitait.
413 Réformant à cet égard le jugement rendu par le Tribunal civil de la Seine dans l’affaire, relevée par Pascal ancel (loc. cit., p. 375) et Benoît Descoubes (id., pp. 55-56), et déjà rappelée ci-dessus, n. 409.
414 Cf. supra, n° 166.
415 Cf. n. 377 ci-dessus les faits très similaires dont avait connu le Tribunal civil de la Seine.
416 C.A. Poitiers, 15 avril 1942 Rechard c/ Fogel, G.P. 1942, 1, jur., note, pp. 226-227 ; ibid. ci-après. V. de même Trib. com. Seine, 4 décembre 1942 Neumeister c/ Mauger, G.P. 1943,1, jur., note, p. 19.
417 V. notamment Trib. com. Toulouse, 18 mars 1943 Massip c/ Clavelier et autres, et Trib. civ. id., 7 avril 1943 Lahille c/ Abastado et autres, D. 1944, cr., jur., note G. Gabolde, pp. 10-12.
418 Arrêt du 8, Breau c/ Alexandre, mêmes références que les jugements cités note précédente, et D. 1943, an., somm., obs., p. 7 ; G.P. 1943,1, jur., note, pp. 158-159.
419 Comme le note Pascal Ancel, loc. cit. p. 378.
420 Soit le Code civil, art. 1443. V. ainsi, toutes décisions rendues en 1942 : Trib. civ. Béziers, 26 mars Chalhon, J.C.P. 1942, II, n° 1 916, obs. Paul chauveau ; Trib. civ. Thonon-Les-Bains, 15 mai Dame Ingigliardi c/ Hazan et Antoine, G.P. 1942, I, jur., note, pp. 279-280, J.C.P. 1942, II, n° 1 917, obs. E.H. perreau ; c.a. Bordeaux, 9 juillet Laffague c/ Yulzari, et Trib. civ. Toulouse, 21 juillet Druelle c/ Dame Reynaert et Lindenfeld, J.C.P. 1942, II, n° 2 032, obs. E. H. perreau ; Trib. civ. Seine, 12 octobre, J.C.P. 1942, II, n° 2 062, obs. ; enfin, en 1944, C.A. Montpellier, 11 janvier Vidal c/ Dame Bouskela, G.P. 1944, I, jur., note, pp. 83-84. Contra, v. cependant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse, le 13 janvier 1943, dans l’affaire Druelle c/ Dame Reynaert et Lindenfeld précitée, G.P. 1943, I, jur., p. 84, note ; J.C.P.N. 1943, II, n° 2 376 : « si la loi du 22 juillet 1941 n’a pas abrogé expressément l’article 1443 du Code civil, elle l’a du moins rendu inopérant et inapplicable » ; cette solution, toutefois, paraît être restée marginale.
421 Observation de Benoît Descoubes : en bonne logique juridique, « seul le texte de 1941 aurait dû recevoir application [...], passé le délai [...] l’épouse [d’un Juif] était censée avoir acquiescé à la nomination de l’administrateur, y compris pour la gestion de ses biens » (loc. cit., p. 59). V. ibid., pp. 57-59.
422 Trib. civ. Cæn, 15 décembre 1942, Dame Drimer, G.P. 1943, I, jur., note, p. 82 ; v. aussi Gaston Lagarde, chronique « Jurisprudence française en matière de droit civil », R.T.D. civ. 1944, p. 108. De même, le Tribunal de Montpellier estima qu’un père juif pouvait valablement transmettre ses bien à ses enfants non-juifs, décision qualifiée de « lamentable » par les services du C.G.Q.J. (Richard Weisberg, op. cit., p. 70).
423 Trib. civ. Lyon, 26 mai 1942 Jomain, J.C.P. 1942, II, n° 1 951, obs. E. H. perreau.
424 Ce que souligne Pascal ancel, loc. cit., pp. 375-376.
425 V. Pascal ANCEL, ibid., p. 374 ; l’auteur cite notamment l’arrêt Heft c/ Bucheton de la Cour d’appel d’Aix (cf. ici n. 391), « qui, pour se déclarer incompétente sur une demande de sursis à une vente projetée par l’administrateur, note que cette solution "répond à l’intention du législateur, lequel a entendu (...) éliminer l’influence des israélites dans l’économie nationale ; qu’il importe de retenir que l’administrateur provisoire n’est pas nommé pour sauvegarder les seuls intérêts du propriétaire israélite qui lui sont confiés, mais qu’il a encore pour mission de surveiller et de liquider certains biens dans le but susindiqué" ».
426 Arrêt du 25 février, Konqui, D. 1943, cr., jur., note Henri Lalou, pp. 67-68 ; J.C.P. 1942, II, n° 1 907, mémoire (défense) E. H. perreau. Le décret du 16 juillet 1941 (précité n° 115) disposait en effet, par renvoi au statut de juin, que la qualité de pupille de la nation, entre autres situations, permettait le maintien des Juifs au barreau.
427 Arrêt du 24, D. 1944, an., jur., obs., p. 49 ; le pourvoi était dirigé contre Trib. civ. Thonon-les-Bains, 31 juillet 1942 Société des pompes funèbres générales c/ Rauch, G.P. 1942, II, jur., note, pp. 153-154.
428 Cf. supra, chap. I, n. 144.
429 Ce que relève encore Pascal ancel, loc. cit., p. 372.
430 Cf. supra, n° 91.
431 Dans le même sens, Pascal ANCEL, loc. cit., p. 373.
432 Jugement du 18 mars 1941 du Tribunal civil de la Seine, rapporté et critiqué n. 377 ci-dessus. Quant à la procédure de réduction de loyer, cf. également ci-dessus, n. 408, l’arrêt Laporte de la Cour d’appel d’Aix.
433 V. par ex. Trib. civ. Seine, 3 novembre 1941 Docteur Z. c/ Veuve L., D. 1942, an., somm., obs., p. 2 (médecin juif interdit d’exercice).
434 Le 9, G.P. 1944, I, jur., note, pp. 158-159.
435 Du 17 février, reproduit aux mêmes références que l’arrêt Weill.
436 Disposition précitée n. 377 en évoquant le précédent du Tribunal civil de la Seine.
437 Sous réserve des distinctions plus haut exposées (n° 316), mais cette affaire ne confrontait pas directement les juges de la Cour de cassation au droit édicté par les Allemands, seulement aux effets dérivés d’une situation qui résultait de leur entrée en vigueur en tant que dispositions antisémites. Il faut cependant remarquer, d’autre part, que l’inoccupation d’un logement par son propriétaire juif, résultant de la présence nazie, n’avait pas empêché le Conseil d’État, lui, de reconnaître, à cet appartement, le caractère d’habitation personnelle qui l’immunisait contre l’aryanisation (cf. arrêt Époux Auerbach, cité supra n° 166, avec n. 370).
438 Pascal ancel, loc. cit., p. 372 ; ci-après pp. 372-373. V. de même Richard Weisbero, op. cit., passim.
439 Toutes affaires précitées : n. 391 ci-dessus pour le Tribunal de Nice ; chap. I, n. 309, pour Toulouse.
440 Pascal Ancel, loc. cit., p. 382, respectivement n. 49 et n. 51.
441 Peut-être doit-on là se montrer plus réservé qu’en ce qui concerne les juridictions civiles et commerciales sur la fiabilité de l’image que ces revues donnent de la jurisprudence : cf. n. 372 ci-dessus, et note suivante.
442 Sur le dispositif normatif en cause, v. spécialement l’inventaire dressé par Hervé bonnard, loc. cit., pp. 390-393. Sur l’obligation de recensement imposée aux Juifs (loi du 11 décembre 1942), à l’origine des affaires ci-après évoquées – d’où peut-être leur faible représentativité de l’activité judiciaire pénale antisémite dans son ensemble –, cf supra n° 93.
443 Jean Marcou, op. cit., p. 226.
444 Hervé bonnard, loc. cit., p. 393 ; ci-après ibid.
445 D. 1942, cr., jur., note Paul Chauveau, p. 53 ; J.C.P. 1942, II, 1 800, obs. E. H. perreau. Les motifs du jugement confirment qu’il s’agissait de maladresse bien davantage que d’hostilité : v. infra n° 335.
446 Cf supra, n° 319.
447 Pour un cas explicite, v. notamment C.A. Montpellier, 17 décembre 1942 Avidor, G.P. 1943, 1, jur., note, pp. 55-56 (relaxe du prévenu ayant refusé de souscrire au recensement des Juifs, le ministère public ne rapportant pas la preuve, qui lui incombait, de la judéité de l’intéressé).
448 Hervé BONNARD, loc. cit., p. 394.
449 Du 14, D. 1943, cr., jur., rapport Marcel Nast, pp. 33-34 ; G.P. 1943, I, jur., note, p. 57 ; J.C.P. 1943, II, n° 2 156, obs. Marcel Nast. C’est là le seul arrêt que rendit cette chambre, durant la période, quant au droit antisémite.
450 Cf. supra, respectivement n° 321 et n° 161.
451 Rapport précité, p. 33 in fine. On peut d’ailleurs relever le souci de Nast de préciser, dans les observations qu’il publia sur l’affaire (également précitées), qu’« il ne faudrait point lire derrière les lignes de l’arrêt [...] ce qui ne s’y trouve pas », que ce dernier, en effet, ne résolvait « aucune question de principe concernant la qualité de juif ou le statut des juifs », et n’énonçait de « règle générale [que] relative seulement à la preuve de la qualité de juif devant la juridiction répressive », enfin que sa « solution est avant tout une décision d’espèce ». Tant de soins à minimiser la portée de l’arrêt ne cherchaient-ils pas, cependant, à réduire la forme de camouflet que le magistrat en avait reçue ?
452 Cf. supra, respectivement n° 321 et n° 179.
453 Arrêt du 12 mai, Demoiselle Weinthal, D. 1942, an., jur., pp. 131-132, obs. ; G.P. 1942, II, jur., note, pp. 41-42 ; J.C.P. 1942, II, n° 1 922, obs. Paul Chauveau. V. d’autres exemples avec, par ordre chronologique : Trib. corr. Bergerac, 12 juin 1942 Pierre Bloch, J.C.P. 1941, II, n° 1 940, obs. E. H. perreau ; C.A. Paris, 26 octobre 1942 R.B., G.P. 1942, II, jur., note, pp. 196-197, S. 1943, III, note, p. 21 ; enfin l’arrêt Avidor, précité (n. 447), de la Cour d’appel de Montpellier.
454 Arrêt Willig, solution précitée n° 179.
455 Arrêts du 20 : Lang, J.C.P. 1942, II, n° 1 958, obs. Jean Seignolle ; et Saadi, J.C.P. 1942, II, n° 1 986, obs. P. C. Au civil, v. toutefois supra n° 327, mais c’était indirectement qu’apparaissait la question.
456 Jugement du 30 avril 1942, J.C.P. aux mêmes références que l’arrêt Demoiselle Weinthal précité n. 453.
457 Les affaires Lang et Saadi étaient factuellement similaires, qui ne différaient que concernant l’âge des enfants, de seize et huit ans dans la seconde espèce, où tout au plus le discernement religieux aurait davantage pu prêter à discussion. Sur cette jurisprudence, v. aussi Isabelle Lecoq-Caron, loc. cit., pp. 47-48.
458 Le jugement n’empêcha pas le C.G.Q.J. de nommer un administrateur provisoire à la tête du cinéma qu’exploitait Dorfmann, lequel engagea un nouveau contentieux en 1943 devant les juges toulousains qui lui avaient déjà donné gain de cause ; mal dirigée, la requête fut rejetée, mais, alors qu’il avait saisi le Conseil d’État, l’intéressé finit par obtenir un certificat de non-judéité : v. Richard Weisberg, op. cit., pp. 69-70.
459 Hervé Bonnard, loc. cit., p. 394. V. ainsi l’arrêt Lustac de la Cour d’appel de Montpellier (précité n. 388) et l’arrêt Salomon rendu par la Cour de Toulouse le 28 mai 1942 (aux références du jugement Bloch du Tribunal correctionnel de Bergerac, précité n. 453) ; tous deux confirmaient les jugements de première instance qu’avaient rendus, respectivement, les tribunaux correctionnels de Villefranche-de-Rouergue et de Montauban.
460 Jugement précité n. 388 ; son dispositif fut confirmé par l’arrêt visé n. 453.
461 Formules issues de l’analyse du jugement Weinthal par Jean Marcou, op. cit., pp. 226 sq.
462 V. Hervé Bonnard, loc. cit., « La pratique quotidienne », pp. 395-396.
463 V. spécialement Yves GAUDEMET, Les méthodes du juge administratif, L.G.D.J., "Bibliothèque de droit public", 1972, « L’influence du juge judiciaire sur la jurisprudence administrative », pp. 177-184. Pour des secteurs spécialisés, v. aussi notamment, passim, René Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, op. cit. (in intro., n. 154), et Georges Dellis, Droit pénal et droit administratif. L’influence des principes du droit pénal sur le droit administratif répressif, L.G.D.J., "Bibliothèque de droit public", 1997.
464 Jean Marcou, op. cit., p. 245.
465 Respectivement : Les forces créatrices du droit, L.G.D.J., 1955, p. 81 \ Le régime démocratique et le droit civil moderne, L.G.D.J., 1936, n° 3.
466 On redit (cf. déjà n° 304) que les lignes suivantes ne prétendent pas au genre de la fresque mais à celui, plus modeste, de l’esquisse ; elles ne sont employées qu’à fournir les quelques éléments d’une comparaison utile.
467 Cf. n° 116.
468 Selon les termes du décret du 16 juillet 1941, art. 1er, al. 5.
469 Pour toutes ces données : Robert Badinter, op. cit., pp. 154-156.
470 Face à la même situation, cf. n° 104 pour le Conseil d’État, n° 308 pour l’ordre judiciaire.
471 Robert Badinter, op. cit., p. 190 ; v. spécialement chap. V, « La sélection », pp. 145-190.
472 V. les recherches menées par Bernard Comte, notamment : Une utopie combattante. L’école des cadres d’Uriage. 1940-1942, Fayard, 1991 ; « L’esprit d’Uriage : pédagogie civique et humanisme révolutionnaire », Cahiers de l’I.H.T.P. n° 8, Politiques et pratiques culturelles dans la France de Vichy, 1988, pp. 117-130 ; et « Uriage, expérience d’université parallèle et projet d’université nouvelle », in André Guelin (dir.), Les facs sous Vichy, Institut d’Études du Massif central/Université Blaise Pascal (Clermont II), 1994, pp. 205-216.
473 Cf. les références générales données in intro., n. 73, sur la Révolution nationale ; sur un thème spécialisé mais révélateur, v. aussi les recherches de Laurence Bertrand-Dorléac : « La question artistique et le régime de Vichy », Cahiers de l’I.H.T.P. n° 8, précité, pp. 89-104 ; puis L’Art de la défaite. 1940-1944, Seuil, 1993.
474 Cf. la loi du 2 juin 1941 : v. chap. I, n. 334.
475 V. sur l’ensemble Claude Singer, op. cit. (in chap. I, n. 334), p. 60 sq. (le cas de Jankélévitch est cité p. 65).
476 Claude SINGER, ibid., p. 65. (Sur la déchéance de la nationalité française, cf. ici infra, n° 383.) Cassin apprit la nouvelle de sa révocation par un journal breton clandestinement parvenu jusqu’à Londres ; il devait plus tard déclarer sa fierté « d’avoir été très tôt considéré comme un "suspect" par ceux qui préparaient la chute de la France » (d’après Marc Agi, René Cassin, Perrin, 1998, p. 125 ; v. ci-après n° 343 ; sur l’homme, outre cette biographie, v. aussi, notamment, les hommages prononcés à l’occasion du transfert de ses cendres au Panthéon par François Mitterrand et Jacques Chirac, reproduits avec des contributions de Jacques robert et Jean Rivero à la R.D P. 1987, pp. 1425-1448).
477 Outre l’ouvrage précité de Claude Singer, v. en particulier, in Les facs sous Vichy, op. cit. : d’une part, en complément, Id., « L’exclusion des juifs de l’Université en 1940-41 : les réactions », pp. 189-204 ; d’autre part, les monographies locales de Jean-William Dereymez, « L’Université de Grenoble entre pétainisme et résistance », pp. 113-132, et de Gilles Maigron, « Résistance et collaboration dans l’Université de Paris sous l’Occupation », pp. 133-142. V. aussi Yves DURAND, « Universitaires et Universités dans les camps des prisonniers de guerre », ibid., pp. 169-188.
478 V. spécialement Stéphanie Corcy-Debray, « Jérôme Carcopino. Du triomphe à la roche tarpéienne », Vingtième siècle n° 58, 1998, pp. 70-82 ; Stéphane Israël, « Jérôme Carcopino, directeur de l’École normale supérieure des années noires », in Les facs sous Vichy, op. cit., pp. 157-168.
479 V. Bronislaw Geremek, « Marc Bloch, historien, et résistant », Annales 1986, pp. 1091-1105 ; Bertrand Muller, « Marc Bloch, historien, citoyen et résistant », in Les facs sous Vichy, op. cit., pp. 38-50.
480 V. spécialement Michèle COINTET, « Les juristes sous l’Occupation : la tentation du pétainisme et le choix de la résistance », in Les facs sous Vichy, op. cit., pp. 51-64.
481 Cf. ici notamment n° 258 ; v. spécialement Michèle COINTET, loc. cit., « La tentation du pétainisme : le garde des Sceaux : Joseph Barthélémy », pp. 53-55 ; et Richard weisberg, op. cit., chap. 7, « Barthélémy, un libéral catholique d’avant-guerre », pp. 157-181.
482 Mentionné par Claude singer, op. cit., p. 91.
483 Datée du 17, citée par Claude Singer, ibid., pp. 61-62.
484 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 100 ; v. l’extrait cité par l’auteur.
485 Les hommes partis de rien, cité par Marc Agi, op. cit., p. 125.
486 Circulaire du 21, J.s. O., p. 25.
487 Claude singer, op. cit., pp. 94-95. Sur Ripert juriste, v. la synthèse dressée par Philippe Malaurie, Anthologie de la pensée juridique, Cujas, 1996, pp. 255-259 (bibliographie in fine).
488 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., pp. 411-412 ; sur le S.T.O., instauré en février 1943, v. notamment ibid., et la synthèse du même auteur dans Le régime de Vichy, op. cit., pp. 83-84. Ripert, après-guerre (à la Libération, v. infra chap. III, n. 119), à défaut d’un mea culpa, aurait des formules plus ou moins clairement interprétables comme l’expression d’un repentir de son adhésion à Vichy ; témoin, par exemple, du moins peut-être, cette phrase finale de sa Préface aux Forces créatrices du droit, ouvrage précité (p. VII) : « Les révolutions ne créent jamais rien et elles peuvent détruire l’idée même du droit ». Il est vrai que le mot pouvait valoir pour 1789 comme pour 1940.
489 Liste relevée par Michèle Cointet, loc. cit., p. 54. (Sur le Conseil national, cf. supra, n° 249.)
490 Le 4, repris à la R.D P. 1941, « La reconstruction de la France », pp. 143-150 ; ci-après pp. 144-146 et 149-150.
491 « À nos lecteurs », pp. 141-142.
492 R.D.P. 1942, pp. 46-90, pp. 149-179, pp. 258-279 et pp. 301-375 ; repris sous forme d’ouvrage, L.G.D.J., 1942. Ci-après, loc. cit. successivement pp. 68, 69, 168, 171, 260, 279, 343 et 345.
493 Loc. cit., p. 57 ; v. « Roger Bonnard et la Revue du droit public », pp. 56-59. La dernière citation des « actes constitutionnels de 1940 » lui est due (p. 56). Dans le même sens que ce qui suit, v. aussi ici, infra, n° 355 (première partie).
494 L.G.D.J., pp. 17-18.
495 « Roger Bonnard », pp. 1-3.
496 Pp. 4-19, ici pp. 5-6 ; c’est M. Duverger lui-même qui soulignait le mot objectivité. Le passage est relevé par Danièle Lochak, « La doctrine sous Vichy », loc. cit., p. 268.
497 Concernant le premier, v. spécialement Jean-Pierre Morelou, « Le gaullisme de guerre de René Capitant », R.H.F.D. n° 16, 1995, pp. 7-33 ; v. aussi annexes, pp. 35-171 : nombreux articles de l’intéressé parus dans Combat-France et Combat-Alger, en particulier pp. 36-119 concernant « l’unification de la résistance républicaine (1943-1944) ». Du second, v. les mémoires : Faites entrer le témoin suivant, Ouest-France, 1988.
498 V. Daniel Amson, « Éloge de Léo Hamon », R.H.F.D. n° 17, 1996, pp. 137-157 : pp. 142-146.
499 V. Michèle Cointet, loc. cit., « Les juristes de la France libre et de la Résistance », pp. 59-63.
500 Cf. réf. n. 330 ci-dessus.
501 V. les exemples fournis par Olivier DUMOULIN, « L’histoire et les historiens », Cahiers de l’I.H.T.P. n° 8, précité, pp. 157-176 ; Id. « La langue d’Ésope : les revues historiques entre science et engagement », La Revue des revues n° 24, précité, pp. 45-71 ; d’autre part Lucette le van Lemesle, « Gaétan Pirou et l’économie dirigée », in Les facs sous Vichy, op. cit., pp. 65-74 ; enfin Pierre Laborie, « Esprit en 1940 : des représentations du désastre », ibid., pp. 131-142 (repris, sous le titre « Esprit en 1940 : de l’usage de la défaite », in Esprit, juillet 1999, pp. 44-60 ; sur les soubresauts d’une mémoire en l’occurrence agitée, v. aussi Jean-Louis Schlegel, « Des procureurs qui bégaient : le procès Mounier continue... », ibid., janvier 1999, pp. 181-187).
502 Respectivement : Paul Pic, « La liberté d’association et ses limites dans le nouveau droit public français », J.C.P. 1942, I, n° 259 ; André Mathiot, loc. cit. (n. 242), p. 51.
503 Par ex., v. : D’une part, outre André Mathiot (cité note précédente), Maxime Chrétien, « Le nouveau régime des associations sans but pécuniaire ou professionnel », r.D p. 1942, pp. 125-148 ; Robert le balle, « Les pouvoirs déontologiques des comités d’organisation et des ordres », D. 1944, cr., chr., pp. 9- 12 ; J. Vandamme, « Les sociétés et établissements professionnels de la loi du 17 novembre 1943 », J.C.P. 1944, I, n° 419. D’autre part Louis Delbez, loc. cit. (intro., n. 79), et G. Lepointe, commentaire de la loi du 8 janvier 1941 « complétant les articles 3, 10 et 14 du Code de justice militaire pour l’armée de terre », D. 1941, cr., lég., pp. 41-52. Toutes ces études, généralement, contrairement aux contributions militantes de Roger bonnard, adoptent un ton neutre, relevant au plus ce truisme que « les régimes autoritaires répudient plus ou moins le libéralisme des régimes démocratiques » (M. Chrétien, loc. cit., p. 125).
504 V. par ex. Louis BAUDIN, « L’organisation professionnelle de l’industrie en France et Allemagne », D. 1941, cr., chr., pp. 5-8 ; et Claude Albert Colliard, « Le régime disciplinaire des fonctionnaires publics allemands », R.D.P. 1942, pp. 1-45 – sans oublier l’ouvrage collectif préfacé par Georges RIPERT, cité ici n° 57 (sur son contenu et son accueil enthousiaste par Roger BONNARD à la R.D.P., v. Danièle Lochak, « La doctrine sous Vichy », loc. cit., p. 268, cf. nn. 43-44).
505 Outre les travaux précités de Danièle Lochak, v. à cet égard Bernard-Michel bloch, « Le regard des juristes sur les lois raciales de Vichy », Les Temps modernes n° 547, 1992, pp. 161-174 ; Dominique GROS, « Le statut des Juifs et les manuels en usage dans les facultés de droit sous le régime de Vichy », in Philippe Braud (dir.), La violence politique dans les démocraties européennes occidentales, L’Harmattan, 1993, pp. 139-171 (intervention au IVe Congrès de l’Association française de science politique des 23-26 septembre 1992) ; Anne-Françoise Ropert-Précloux, « Qu’enseignait-on à la faculté de droit de Paris ? Corporatisme et antisémitisme dans les cours et ouvrages (1940-1944) », Le genre humain n° 30/31, précité, pp. 413-432.
506 André BROC, La qualité de Juif. Une notion juridique nouvelle, P.U.F., 1943, p. 6.
507 Charmont et CHAUSSE, invoqués par E.-H. PERREAU dans son article « Le nouveau statut des juifs en France », J.C.P. 1941, I, n° 216. V. d’autres exemples de cette « neutralité ostentatoire », comme la nomme Danièle Lochak, in « Écrire, se taire... », loc. cit., p. 451.
508 Emprunt à Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Gallimard, 1987 (rééd., "Folio", 1989, p. 183) ; cf. supra nos propos sur le sujet (spécialement nos 43 et 57).
509 Danièle Lochak, « La doctrine sous Vichy », loc. cit., pp. 259-260 et 265-266. V. aussi les réflexions de Michaël R. Marrus, « Les juristes de Vichy dans "l’engrenage de la destruction" », Le genre humain n° 30/31, précité, pp. 47-54.
510 Cf. respectivement, précités, le Genre humain n° 30/31, p. 397, et l’ouvrage de Robert Badinter.
511 Celle, du moins, d’André BROC, La qualification juive, soutenue à Paris le 12 décembre 1942 devant un jury présidé par Achille Mestre (signalé par Claude Singer, op. cit., p. 179) ; publiée aux références précitées n. 506.
512 Pour les premiers, v. par ex. : Quant aux ouvrages, surtout André broc, op. cit. ; moins neutres, édités aux P.U.F. en 1942, H.-T. chevalier, La protection légale de la race. Essai sur les lois de Nuremberg, et Henri Prado-Gaillard, La condition des juifs dans l’ancienne France (cités par Claude singer, op. cit., pp. 178-179). Quant aux articles, Edmond bertrand (chargé de cours à la Faculté d’Aix), réf. ici in chap. 1, n. 303 ; Maurice Caillez (docteur), « Les lois des 2 juin et 17 novembre 1941 sur les juifs », G.P. 1941, II, doctr., p. 122 ; Gaston Jèze lui-même, « La définition légale du Juif au sens des incapacités légales », R.D P. 1944, pp. 74-81 ; et E.-H. perreau, loc. cit. n. 507 ainsi que « Les mesures complémentaires concernant le statut des Juifs », J.C.P. 1942, I, n° 244. Dans la seconde catégorie, v. : Pour un ouvrage, fruit de la collaboration d’un commissaire de police (docteur en droit, professeur à l’École nationale de police) et d’un avocat lyonnais, Henri Baudry et Joannès Ambre, La condition publique et privée du juif en France (le statut des juifs). Étude théorique et pratique, J. Desvigne, Lyon, 1942. Pour des articles, d’une part, Pierre charrier (vice-président du Tribunal civil de Bordeaux), « Le renouvellement des baux de commerces juifs », G.P. 1942, 1, doctr., pp. 69-70 ; et André Knoertzer (président de chambre à la Cour d’appel d’Alger), « Du statut des juifs indigènes d’Algérie », J.C.P. 1942, I, n° 265 ; d’autre part, avocats parisiens, Jacques Archevêque, « La propriété commerciale et les questions juives », G.P. 1942, II, doctr., pp. 33-38 ; Joseph Hænnig (dont le cas est spécialement étudié par Richard Weisberg, op. cit., pp. 77-79), « L’incidence de la loi de séparation des Églises et de l’État sur la définition du métis juif », G.P. 1942, II, doctr., pp. 32-33, et « Quels moyens de preuve peuvent être fournis par le métis juif pour établir sa non-appartenance à la race juive ? », G.P. 1943, 1, doctr., pp. 31-32 ; enfin Pierre Lepaulle, « L’aryanisation des entreprises », G.P. 1943, II, doctr., p. 10.
513 Danièle Lochak, « La doctrine sous Vichy », loc. cit., p. 260 ; cf. J. Hænnig, « Quels moyens de preuve... », cité note précédente.
514 V. par ex. la « Consultation sur l’aryanité des enfants Lévy » donnée par le professeur Jacques Maury en mars 1944, citée et analysée par Richard Weisberg, op. cit., pp. 75-76.
515 Par ex. celui de Roger BONNARD, op. cit., intitulant « Les Juifs » une des rubriques de son exposé des « conditions générales d’accès à la fonction publique », pp. 465-466. V. pour le reste les travaux de Dominique Gros et d’Anne-Françoisc ropert-précloux, précités n. 505 ci-dessus.
516 V. spécialement Richard Weisberg, « Les maîtres du barreau. Réflexions à partir des archives de Maurice Garçon », Le genre humain n° 30/31, précité, pp. 401-412 (repris in Id., op. cit., pp. 94-102).
517 On remarquera ainsi la note signée « Jean Carbonnier, Professeur à la Faculté de droit de Poitiers », sous l’arrêt Ferrand du Conseil d’État (cf n° 155, réf n. 338).
518 V. réf. n. 382 ci-dessus, et les tomaisons successives : 1942, pp. 309-310 ; 1943, p. 133 ; 1944 p. 132. À la même revue, v. aussi la contribution de Paul Lagarde précitée n. 422.
519 Caractéristiques, v. notamment leurs observations respectives (précitées n. 405) sur la même affaire Lévy jugée à Rabat. Toutes les interventions ici mentionnées sont retrouvables dans les Sources et bibliographie de ce volume, I.B. 1.
520 V. ainsi son mémoire dans l’affaire Konqui tranchée par la Cour d’appel d’Alger (précitée n. 426).
521 Cf. supra (n° 34 sq.) l’exposé de nos repères épistémologiques en ce domaine.
522 Cf. supra, n° 324.
523 Observations précitées (n. 406) sur le jugement Benaïm. V. dans le même sens ses observations sur l’affaire Lévy.
524 Dans l’affaire Lang évoquée n° 334 (réf. n. 456).
525 Cf. supra nos 332-333, avec toutes références n. 445.
526 On en a donné un aperçu significatif, ici, en citant longuement (n° 143) l’étude d’Edmond BERTRAND, relativement à la compétence juridictionnelle en matière d’aryanisation économique.
527 Henri Lalou, annotant l’arrêt Konqui (réf. n. 426 ci-dessus, p. 63).
528 V. respectivement : d’une part Olivier Jouanjan, « La doctrine juridique allemande. "Rénovation du droit” et positivisme dans la doctrine du IIIe Reich », Le genre humain n° 30/31, précité, pp. 463-496 ; et Id., « Doctrine et idéologie logique d’une science juridique nazie », in Doctrines et doctrine en droit public, op. cit., pp. 67-74 ; d’autre part Olivier Camy, « La doctrine italienne », Le genre humain n° 30/31, précité, pp. 497-539.
529 Selon, respectivement, les analyses précitées de Danièle Lochak, et la formule fameuse de Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1966 (réed., "Folio", 1991).
530 Richard Weisberg, op. cit., p. 80. S’impose à nouveau, ici, la sentence du Cardinal DE Retz placée en exergue au chap. I, sect. II, § II, I (réf. n. 344).
531 « La doctrine sous Vichy », loc. cit., pp. 276-277 ; ibid. ci-après. Sur cette démonstration, v. aussi les autres références données n. 330 ci-dessus. Au plus profond du phénomène, ce n’est pas ici le lieu de montrer, mais du moins peut-on rappeler, avec Roland Barthes, qu’un « langage sur les langages [...] ne peut être [...] un méta-langage [...] : je ne puis être à vie hors du langage, le traitant comme une cible, et dans le langage, le traitant comme une arme » (Leçon, leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 7 janvier 1977, Seuil, 1978, rééd., "Points", 1989, p. 36). Si l’on transpose rapidement, il s’agit de bien comprendre que la doctrine des années 1940-1944, de toute façon, n’aurait pu à la fois commenter les textes antisémites de manière "neutre", tentative d’une méta-langue juridique, et espérer échapper, dans ces conditions, à l’idéologie qui gouvernait cet "anti-droit", l’emprise particulière de ce discours singulier – a fortiori les dénoncer.
532 En référence encore à Danièle Lochak décrivant « les effets pervers des commentaires doctrinaux » (« Écrire, se taire... », loc. cit., p. 434).
533 Loi du 22 juillet 1941, art. 1er précité (n° 95 notamment).
534 « Si l’on peut dire, puisque c’est lui qui était demandeur » devant les tribunaux, fait observer Danièle Lochak (« La doctrine sous Vichy », loc. cit., p. 284, n. 58).
535 Précité in intro., n. 20 ; sur "l’affaire", cf. n° 31 (v. n. 132).
536 P. 319.
537 Michèle cointet, loc. cit., p. 58.
538 P. 307. Sur le critère de la judéité du "statut Vallat", cf. supra, n° 90.
539 P. 319.
540 « La perversion du droit », loc. cit. (intro., n. 132), respectivement p. 706 et p. 705.
541 Ibid., p. 707.
542 Dans « La perversion du droit » (pp. 708-709), M. Duverger a fait valoir deux passages de « La situation des fonctionnaires... ». Le premier, exposant que l’interdiction dictée aux Juifs d’exercer une fonction publique ne s’analysait pas en une mesure disciplinaire, et que les évictions subséquemment prononcées étaient donc « de nécessité publique », expliquait que les préjudices qui en résultaient pour les intéressés, au nom du principe d’égalité devant les charges publiques, n’avaient pas à être « supportés par les seuls fonctionnaires juifs éliminés du service, mais par l’ensemble de la collectivité » (p. 317 de l’article de 1941) ; en 1983, l’auteur estimait ces lignes à même de permettre d’« étendre l’indemnisation hors des cas prévus par le législateur ». Le second extrait, qui évoquait « l’appartenance à la race juive », en renvoyant la preuve de la non-judéité aux « moyens ordinaires de preuve » (p. 309), aurait selon M. Duverger – s’exprimant en 1983 toujours – « directement conduit »« tout chef de service, tout magistrat », à mettre la charge de cette preuve sur le demandeur à l’instance, « bien que cette conclusion ne fût point exprimée en clair », a admis l’auteur. En vérité, la première déduction ne s’imposait pas davantage, et Danièle Lochak a bien montré que cette « relecture » de M. Duverger, « visant à montrer que son ambition était de pousser les magistrats et les administrateurs "vers une interprétation susceptible de corriger les excès des lois d’exception", paraît [...] quelque peu forcée » (« Écrire, se taire... », loc. cit., p. 441). Pour une position défendue par l’article de 1941 effectivement favorable aux particuliers, en l’occurrence les personnes naturalisées françaises, v. toutefois supra ici, n° 295 (cf. n. 319). V. de plus n. 546 ci-dessous.
543 Cf. « La doctrine et le positivisme (à propos d’un article de Danièle Lochak) » (il s’agit bien sûr de « La doctrine sous Vichy », loc. cit.), in Les usages sociaux du droit, op. cit., pp. 286-292 ; sur les limites du positivisme lui-même, v. cependant ici infra, chap. III, sect. II, § II, n° 443 sq.
544 Selon les mots d’André Glucksmann, témoignant dans l’affaire Duverger, cité par Le Monde (22 octobre 1988). V. à cet égard les termes du débat que pose Danièle Lochak, « Écrire, se taire... », loc. cit., p. 438 sq. ; la même, dans la préface qu’elle a donnée à l’ouvrage de Richard Weisberg (précité), estime en effet que « si les juristes ont été si peu enclins à exprimer leur désaccord avec la législation raciale, alors qu’ils n’ont pas hésité à critiquer d’autres aspects de l’oeuvre normative du régime, c’est pour une part – pour une part seulement, mais pour une part au moins – parce que cette législation ne heurtait pas fondamentalement les convictions d’une majorité d’entre eux » (p. 17).
545 Danièle Lochak, « Écrire, se taire... », loc. cit., p. 448.
546 La méprise aurait-elle duré ? En 1983, Maurice Duverger croyait encore se disculper des reproches qu’il se voyait adressés à ce sujet en évoquant l’« opposition fortement appuyée » qu’il avait consignée, en 1941, « entre la "règle générale", concernant la religion juive des grands-parents, qui devait être établie "par les moyens ordinaires de preuve" et une "exception” concernant la religion de l’intéressé », soumis à un autre régime (« La perversion... », loc. cit., p. 709). Supposer l’auteur de bonne foi, c’est dire s’il n’avait pas compris qu’ainsi simplement « décrire les règles [de la législation antijuive, ] c’était déjà admettre qu’elles étaient des règles comme les autres » (Danièle Lochak, « Écrire, se taire... », loc. cit., p. 458).
547 Il s’agirait essentiellement de pouvoir retrouver des archives privées (davantage que des témoignages qui, toujours sujets à caution, ont de plus été rendus improbables avec l’écoulement du temps). À lire certains auteurs, toutefois, la vérification est moins douteuse : v. infra n° 356.
548 Pp. 20-44.
549 On reviendra ici sur ce débat (n° 444 sq.).
550 Ouvrage et passage déjà cités, n° 124.
551 Pp. 46-57.
552 Cela, en rappelant (ibid.) que « nos crises constitutionnelles ont souvent impliqué la formation de pareils gouvernements », et en rapprochant le régime de Vichy, entre autres, du gouvernement de la Défense nationale de 1870, « alors que le malheur était encore une fois sur la France », citation de Jules simon à l’appui : « À la vérité, le gouvernement de la Défense ne reposait pas sur un vote régulier ; mais il avait été accepté sans opposition ni protestation (...) ; il était obéi (...) ; il était nécessaire ». En note, une comparaison avec la théorie internationaliste du gouvernement de fait était aussi l’occasion de remarquer que ce type de gouvernement naît « de la nécessité » ; l’auteur, il est vrai, précisait que ce type de gouvernement ne détient en principe « que des pouvoirs réduits qui semblent exclure notamment les actes de disposition », et évoquait, d’autre part, « les hésitations et les scrupules du Gouvernement de la Défense nationale, soucieux de poursuivre la guerre, de négocier ensuite un armistice, sans jamais outrepasser les pouvoirs d’un gouvernement de fait ».
553 Pour reprendre les mots de Maurice Duverger, se demandant : « Mais comment critiquer dans un régime qui n’admet pas la critique ? » (« La perversion du droit », loc. cit., p. 706).
554 « La "fraude à la Constitution". Essai d’une analyse des révolutions communautaires récentes : Italie, Allemagne, France », pp. 116-150.
555 Après avoir en vain cherché le fondement juridique formel de la Révolution nationale – alors qu’« au point de vue matériel » il décrivait, du reste très objectivement, une « révolution » véritable dans le rejet des « principes fondamentaux de la Troisième République et de notre droit public traditionnel [...] : l’égalité des citoyens devant la loi a fait place à la distinction entre les juifs et les non-juifs[, ] la séparation des pouvoirs et leur collaboration selon le mode parlementaire n’existent plus[, ] le libéralisme économique, instauré avec éclat par la Révolution de 1789, a fait place à l’économie dirigée, [...] il y aurait lieu de parler aussi de la suspension des libertés publiques fondamentales... » (p. 134) –, G. Liet-Veaux remarquait (p. 141) : « Quelque considération que l’on avance dans l’état actuel de notre droit public, il faut reconnaître qu’il n’y a pas de signe par lequel puisse être reconnue techniquement la révolution de juillet 1940. Et pourtant, comme en Italie de 1922 à 1928, comme dans l’Allemagne de 1933, il s’est produit dans l’évolution constitutionnelle française une rupture nette à laquelle il convient de donner un nom. » Ce nom, il le trouvait en forgeant (ibid.) « le concept de fraude à la constitution », calqué sur une notion importée du droit privé, « la fraude à la loi, procédé par lequel une personne "tourne" la loi, c’est-à-dire va à l’encontre du but de la loi, en viole l’esprit, tandis qu’elle en respecte la règle ». Mais, au lieu d’appliquer le concept au gouvernement de Vichy comme on aurait pu le concevoir, l’auteur le rapprochait du défunt Parlement républicain : « La révolution italienne a bien procédé par fraude à la Constitution [...]. Avec la révolution allemande de 1933 [...] le procédé se perfectionne [...]. C’est au même procédé que devait avoir recours notre Assemblée nationale en juillet 1940. Stricto sensu, aucun vice de forme n’est apparu. Mais l’Assemblée a consacré, par le texte voté le 10 juillet au soir, l’abandon definitif de la procédure prévue par l’article 8 [de la loi du 25 février 1875, prévoyant l’organisation procédurale de la révision constitutionnelle], tandis qu’elle désignait l’organe qui devait lui succéder et lui traçait même certaines lignes de conduite. Il y a là une contradiction interne, car à l’instant où l’Assemblée répudiait les principes fondamentaux dont l’article 8 n’était que la traduction, elle se trouvait sans pouvoir pour organiser pour l’avenir l’exercice de la compétence constituante [...]. Ayant abdiqué ses pouvoirs, l’Assemblée nationale n’avait pas compétence pour réglementer l’exercice ultérieur du pouvoir constituant. Les limites qu’elle a imposées aux pouvoirs du Maréchal sont donc nulles, si l’on retient l’idée de la fraude à la Constitution. » Par ailleurs, on notera que les articles qui viennent d’être cités nuançaient le pétainisme affiché par la R.D P. (cf. supra, n° 344 sq.).
556 Précité n. 377 ci-dessus ; le cas est mentionné par Danièle Lochak, « Écrire, se taire... », loc. cit., p. 449.
557 Dans l’affaire Lang évoquée n° 334 (réf. n. 455).
558 Précité n° 318 (réf. n. 382).
559 Maurice Duverger, « La perversion du droit », loc. cit., p. 717.
560 V. notamment les travaux de Jean Rivero d’abord : « Apologie pour les faiseurs de systèmes », D. 1951, chr., pp. 23-24 ; « Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit administratif », E.D.C.E. n° 9, 1955, pp. 27-36 ; puis de Maryse Deguergue : Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit de la responsabilité administrative, L.G.D.J., "Bibliothèque de droit public", 1994 ; « Les commissaires du gouvernement et la doctrine », Droits n° 20, précité, pp. 125-132 ; « Doctrine(s) et sources du droit », in Doctrines et doctrine en droit public, op. cit., pp. 33-52. V. aussi Henri Batiffol, « La responsabilité de la doctrine dans la création du droit », R.R.J. 1981, pp. 175-184 ; Yves gaudemet, op. cit., « Le juge administratif et la doctrine », pp. 147-161 ; enfin les contributions présentées à la 1e journée d’études de la célébration du IIe centenaire du Conseil d’État (précitée n. 257 ici), en particulier Jacques-Henri Stahl et Bernard Stirn, « Les commissaires du gouvernement et la doctrine », R.A., num. spéc. 1997, pp. 36-44. Sur un plan plus général, v. entre autres Christian Atias, Épistémologie du droit, op. cit., « L’influence du savoir juridique sur le droit », pp. 53-60 ; Stéphane Caporal, « Qu’appelle-t-on doctrine(s) ? », in Doctrines et doctrine en droit public, op. cit., pp. 11-32 ; Jacques Chevallier, « Les interprètes du droit », in C.U.R.A.P.P., La doctrine, P.U.F., 1993, pp. 259-280 ; Alain Sériaux, « La notion de doctrine juridique », Droits n° 20, précité, pp. 65- 74.
561 Cf. article précité (n. 512) à la R.D.P. 1944, suivant ces deux autres (respectivement pp. 58-63 et pp. 58-74).
562 Comme en témoigne par ex. le passage précité (n. 515) du manuel de Roger bonnard, qui se passait de toute démonstration pour simplement affirmer, au détour d’une phrase (p. 466), que l’exclusion des fonctionnaires juifs constituait « une mesure d’intérêt général et non [...] une répression disciplinaire ».
563 « Les mesures complémentaires concernant le statut des Juifs », loc. cit. (n. 512).
564 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 163 ; l’auteur cite le passage qui suit, extrait du Cours de droit constitutionnel (L.G.D.J., 1943, 2e éd.).
565 Observations anonymes au J.C.P. 1943 sous les arrêts Dalem et Jonathan-Gros (précités in chap. I, n. 277).
566 V. les références rappelées n. 517 ci-dessus.
567 Résumé de Danièle Lochak, « La doctrine sous Vichy », loc. cit., p. 264.
568 Cf. supra, n° 123 sq.
569 Lignes qui faisaient suite au tranchant avis précité du même (cf. supra n° 124, rappelé n° 355).
570 Cf. supra, n° 137.
571 Chronique précitée n. 382 ci-dessus, p. 135. À comparer avec l’intervention également précitée (ibid. et n° 355), en ce domaine, de René savatier. L’échange des points de vue est relevé par Pascal ancel, loc. cit., p. 377.
572 On a cité ici les plus caractéristiques d’entre ces textes : cf. n° 165 (à propos de l’arrêt Demoiselle Sée), n° 166 (arrêt Bickert) et n° 180 (Michelson).
573 Cf. ci-dessus, respectivement sect. I, § II, II, B, 1 (n° 272 sq.), et sect. II, § I, II (n° 314 sq. ; n° 333 pour l’arrêt Hazan de la Chambre criminelle, envers de la jurisprudence Maxudian du Conseil d’État).
574 Cf. n° 209. Concernant les juridictions judiciaires, l’année 1944 fut apparemment importante quant à l’affirmation de la compétence (cf. nos 318 et 321), mais en rien spécialement pour le règlement du fond des affaires.
575 Cf. n° 294 sq.
576 Cf. n° 354 ci-dessus.
577 Sur cette faible pertinence distinctive, cf. notamment n° 234.
578 Cité par Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 353.
579 Michel Debré, La mort de l’État républicain, Gallimard, 1947, p. 217.
580 Paul Gadenne, cité par Marc Olivier Baruch, op. cit., p. 9.
581 « Le Conseil d’État statuant au contentieux : politique jurisprudentielle ou jurisprudence politique ? », Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques d’Aix-en-Provence n° 51, 1959, pp. 279-290 ; ci-après cité pp. 289-290.
582 Cf. ici infra, n° 418.
583 Cf. notamment les analyses précitées (n° 330) de Pascal ANCEL.
584 Op. cit., pp. 235-236.
585 Cf. supra n° 267.
586 Pour le Barreau, v. Robert Badinter, op. cit., p. 19 sq. ; pour l’Université, l’attitude de passivité collective décrite par Claude singer, loc. cit. Jean Massot, de son côté, croit cependant pouvoir observer que « le nombre même de ses membres frappés par le statut des Juifs suffit à montrer qu’à la différence de certains autres corps ou professions, le Conseil ne pratiquait avant guerre, au niveau de son recrutement, aucune sélection inspirée par l’antisémitisme » (« Le Conseil d’État et le régime de Vichy », loc. cit., p. 91, n. 3).
587 Cf. notamment le témoignage Daniel Cordier, « La Résistance française et les Juifs », Annales 1993, num. spéc. précité, pp. 621-627. V. aussi Annie Kriegel, réf. in chap. I, n. 428.
588 V., pour le reste, ce qu’on a plus haut noté, n° 185.
589 Cf. supra, respectivement nos 179 et 176.
590 Pierre m. martin, « La haine, origine du droit », in Pouvoir et liberté. Études offertes à Jacques Mourgeon, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 229-238 ; p. 238.
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