« Qu’est-ce que l’art ? », question impossible
p. 111-118
Texte intégral
1« Qu’est-ce que l’art ? » est une question telle, si grande, si impossible qu’elle en suscite aussitôt une deuxième : pourquoi s’être demandé : « Qu’est-ce que l’art ? » Pourquoi a-t-il paru nécessaire de poser cette question ? Non que ce soit la première fois dans l’histoire qu’elle le soit, loin de là. Mais nous ne sommes pas dans l’histoire : la question est au présent et, s’il faut la préciser, ce sera ainsi : « Qu’est-ce que l’art dans une société occidentale actuelle telle que la société française ? » Dire ceci revient à supposer que l’on ne peut, pour couper court à l’interrogation, énoncer une définition de l’art dégagée de toute contingence historique, que l’on doit se placer en dehors des traditions et des habitudes philosophiques, qu’il ne saurait s’agir – ou que l’on ne saurait se contenter – de citer comme pour une dissertation bien propre des définitions venues d’auteurs célèbres, dans un certain ordre arrangées – ordre démonstratif ou ordre décoratif, cela resterait à déterminer.
2Du reste, ce n’est pas un philosophe qui parle ici, mais un historien et un critique, qui ne saurait se fonder que sur ses connaissances et expériences personnelles. Ceci n’est pas lancé par dédain de la réflexion esthétique, mais simplement parce qu’il paraît impossible de procéder autrement et de ne pas historiciser aussi les définitions qui ont été avancées jadis, dans d’autres circonstances, d’autres sociétés et d’après d’autres expériences artistiques – d’après d’autres états de la création auxquels ces définitions répondaient, se trouvant déterminées et bornées par ces états. Elles n’étaient pas nécessairement les théories de ces pratiques, leurs légitimations ou leurs programmes ; mais elles en étaient dépendantes, comme toute pensée est dépendante du lieu et du moment où elle est conçue et énoncée, et comme nous le sommes à l’instant présent. L’unique avantage dont nous puissions peut-être nous prévaloir est donc que nous mesurons cette situation : que nous savons que nous ne devons prétendre à rien de plus qu’à avancer une ou des réponses pour maintenant, pour ici et maintenant – rien de plus. L’historien sait aussi s’appliquer le relativisme que lui apprend l’histoire et se souvient que, quelque effort qu’il tente pour s’émanciper de sa tutelle, il n’en demeure pas moins pris dans le temps – le temps historique auquel le rapporteront ceux qui le liront des décennies plus tard, tout comme il rapporte au leur les écrits de ses prédécesseurs. L’histoire de l’art ne fait en aucun cas exception à cette règle.
3Il ne servirait donc à rien de se rabattre vers des définitions et des formules d’autrefois. Par exemple, l’art n’est plus ce que furent les beaux-arts en des temps où la production, la monstration et la diffusion des œuvres s’accomplissaient selon des rythmes, des échelles et des modes tout autres. Quand les beaux-arts, c’étaient la peinture, la sculpture et l’architecture, quand leurs pratiques s’exerçaient dans le cadre d’une académie, quand les sujets et les formats étaient déterminés par des commandes et des règles, quand les qualités étaient reconnues selon des normes et quand ces affaires n’occupaient qu’un nombre très restreint de personnes dans une ville ou une cour, alors il était possible de donner une définition complète et circonscrite des arts par énumération, de leur assigner des fonctions (religieuses, politiques) et même de les ranger dans une hiérarchie des exercices et des genres. Mais aujourd’hui ? Hors quelques nostalgiques contempteurs d’un présent qu’ils ignorent afin de le dédaigner à leur aise, nul ne saurait se contenter de telles solutions de facilité.
4Que seraient les chances et l’efficacité d’un inventaire aujourd’hui ? Nulles, parce qu’un tel inventaire est en lui-même impossible.
5L’analyse se trouve confrontée à des œuvres, à des attitudes, à des événements d’une variété qui ne se laisse pas enfermer dans une énumération, d’autant qu’une énumération ne saurait pas où commencer, ni où cesser. Sans doute s’entendrait-on pour admettre que la peinture, le dessin, l’estampe sont des activités évidemment artistiques – quand bien même on pourrait s’entendre objecter par certains qu’elles ne le sont qu’en mémoire de traditions désormais obsolètes. Elles doivent endurer depuis un siècle et demi la rivalité de la photographie, depuis un siècle celle du cinématographe, depuis un demi-siècle celle de la télévision, depuis une décennie celle des images numériques. La photo se targue de son immédiateté et de l’objectivité que lui garantirait sa nature mécanique – illusion, mais illusion tenace. Le cinéma, la vidéo, le numérique ont pour eux le mouvement, la parole, la musique. Le numérique s’affranchit de toute servitude par rapport à la réalité matérielle puisqu’il lui est possible de fabriquer des représentations visuelles grâce à des calculs absolument indépendants de toute captation d’images par une caméra. Autant de pratiques qui peuvent servir des démarches artistiques, avec d’autres instruments, d’autres modes de présentation, d’autres exigences que la peinture ou le dessin.
6Pour la sculpture, la difficulté est du même ordre : du marbre et du bronze, il n’est guère plus fait usage que pour de rares monuments commémoratifs, souvent contestés, de sorte qu’à la sculpture obtenue par taille ou fonte s’est substitué depuis le début du xxe siècle l’assemblage de matériaux et d’objets divers, intacts ou fatigués, neufs ou usagés, immobiles ou mobiles. Le vocabulaire s’élargit : assemblage, installation, ready-made. Quant à la liste de tout ce qui peut entrer en composition dans de tels travaux, elle compterait à peu près tout ce que l’industrie est susceptible de produire, du ticket de métro à la carcasse d’un avion de tourisme.
7Ces objets, devenus de plus en plus fréquents à partir de leurs premières apparitions peu avant la Première Guerre mondiale, ne négligent pas seulement la distinction antérieure entre matières nobles et matériaux triviaux. Ils suggèrent que l’artiste est aussi bien celui qui fait peu avec des éléments sans valeur : la plupart des ready-made de Duchamp se caractérisent par la remarquable simplicité des gestes, juste une superposition qui serait, techniquement, à la portée de n’importe qui ; ou même par l’absence de tout geste, si ce n’est celui, tout intellectuel, qui décide de présenter un urinoir en faïence dans une exposition en l’intitulant Fountain et en traitant par la dérision le système de l’exposition et du marché. Dans ce cas, il n’y a plus d’artiste, au sens du praticien expert d’un certain nombre de techniques réputées délicates et difficiles. L’artiste ne peut plus être défini que de façon semi-tautologique : est artiste celui qui intervient dans le champ de l’art, lequel champ est lui-même défini par ses institutions, son économie et ses coutumes, comme le serait n’importe quelle autre profession. Duchamp l’a bien suggéré en alternant pendant plusieurs décennies deux activités professionnelles rémunérées – l’intervention artistique et le jeu d’échecs au plus haut niveau international.
8Encore y a-t-il profession dans ce cas. Mais tel n’est pas nécessairement le cas. Depuis la fin du xixe siècle, il a été admis de manière de plus en plus majoritaire – et désormais incontestée – que relèvent de la création artistique des activités qui, jusque-là, étaient ignorées. Soit parce que ce sont celles d’hommes et de femmes que leur aliénation mentale – ou ce que l’on appelle ainsi du moins – a placées à l’extérieur de la société et à l’intérieur des asiles et des hospices : l’art des fous fait l’objet d’une attention croissante à partir de l’opuscule de Marcel Réja paru en 1907 sous ce titre. Soit parce que ce sont celles d’une autre catégorie tenue jusqu’alors pour extérieure à la création, les enfants – le dessin des enfants intéresse les psychologues, les psychiatres et les artistes – Klee, Kandinsky – à partir des mêmes années 1900. Soit – encore au même moment (ce qui fait une obligation à l’historien d’affirmer que la rupture décisive avec la définition « classique » de l’art s’accomplit dans cette période, rupture dont les crises antérieures – modernité baudelairienne, impressionnisme, symbolisme – apparaissent alors comme les séismes annonciateurs) – la modification probablement la plus visible : ce que l’on nomme d’un mot un peu vague « primitivisme ». Art « nègre », art des Indiens d’Amérique, art océanien, art des aborigènes australiens : les explorations, la colonisation, les missions religieuses, les impérialismes conjuguent leurs actions pour – involontairement – porter à la connaissance des Occidentaux des « objets » qu’ils ne savent pas d’abord nommer et dont les fonctions religieuses et sociales leur échappent le plus souvent, mais dont ils éprouvent les spécificités formelles dans la représentation de la figure humaine. Ou des animaux dans le cas de cette autre irruption : les gravures et peintures qui doivent être rapportées aux époques préhistoriques, comme le démontre l’archéologie malgré la résistance de tous ceux que cet élargissement du champ inquiète. Si la définition que nous avons dite semi-tautologique de l’artiste selon Duchamp (qui est pour partie aussi celle de Dada) tient pour nulle la compétence technique, le surgissement des aliénés, des « sauvages » et des « primitifs » force à admettre qu’il ne saurait y avoir plus longtemps de définition de l’activité artistique selon le modèle occidental à partir du moment où des Occidentaux font entrer dans le champ de leur regard des objets et des comportements étrangers à leur histoire (ou renouant avec une préhistoire ressuscitée) : l’art n’est pas plus un métier qu’il n’est un savoir-faire.
9Il l’est d’autant moins qu’il faut, au même moment, prendre en considération, si différente soit-elle, une autre objection encore, celle des « amateurs »– des « amateurs » qui peuvent être des « peintres du dimanche », les « naïfs », le Douanier Rousseau, mais aussi – de plus en plus nombreux – les amateurs de deux techniques dont la diffusion démocratique est allée croissante jusqu’à devenir presque commune aujourd’hui, la photographie et le cinéma. Dès la seconde moitié du xixesiècle, la photo est simultanément l’affaire de « professionnels » et d’amateur éclairés, puis celle de n’importe qui quand les appareils deviennent plus légers, le développement moins périlleux. Les historiens de la photographie d’aujourd’hui savent que leur discipline est, si l’on peut dire, à la merci de la redécouverte d’œuvres qui ne sont pas issues du laboratoire d’un photographe reconnu, mais celles d’un Lartigue qui, longtemps, a fait des images comme un passe-temps bourgeois et dont la reconnaissance a été aussi soudaine que tardive. De telles irruptions ne sont pas rares. La disponibilité, la facilité d’emploi et de diffusion des images numériques et des « films faits à la maison »– pour ne pas même mentionner les rapports compliqués qui se nouent avec le reportage et le documentaire d’actualité – font qu’il peut venir de « bonnes images » de partout – un partout géographique et social. Qu’en est-il de la définition de l’art quand la démocratisation des pratiques et des savoirs – démocratisation sur fond de capitalisme industriel et d’uniformisation de la consommation – fait que la distinction entre l’artiste et l’« homme du commun »– la formule est de Dubuffet- perd toute pertinence en raison des modifications des conditions matérielles ?
10Prolifération des formes, des moyens et des matériaux ; prolifération des auteurs qui ne relèvent plus de la catégorie jadis clairement déterminée d’artistes – déterminée par l’appartenance à un groupe social, à une corporation, à une institution reconnue. Prolifération des attitudes et réactions aussi.
11Ce serait peut-être le bon moment pour se retourner sur la question posée : si elle l’a été, peut-on supposer simplement, c’est que la réponse ne paraissait pas aller de soi. Si elle ne paraissait pas aller de soi, c’est sans doute en partie parce que, aujourd’hui, il semble établi a priori que les réponses ne pourraient être que variables et contradictoires parfois, selon les interlocuteurs sollicités.
12Qu’en est-il quand le jugement artistique n’est plus le fait d’un petit nombre de connaisseurs, de critiques et de mécènes, mais quand il peut être celui du plus grand nombre ? À la démocratisation des pratiques répond la démocratisation de la diffusion et de la consommation. « Qu’est-ce que l’art ? » est une question qui doit se poser à partir de l’instant où il est acquis – soupçonné en tout cas – que les réponses seront variées et contradictoires selon les interlocuteurs, leurs conditions sociales, leurs convictions. « Qu’est-ce que l’art ? » pour celui ou celle qui fait siens des dogmes religieux qui tiennent la représentation pour sacrilège ? « Qu’est-ce que l’art ? » pour l’habitué des expositions parisiennes, dont on sait qu’il constitue, habitant de la capitale ou de sa périphérie, pour près des deux tiers de la fréquentation de ces manifestations ? « Qu’est-ce que l’art ? » pour celui qui est tenu à l’écart de ces expériences pour des raisons qui peuvent tenir à la géographie, mais le plus souvent d’abord à la condition sociale, à l’éducation, au niveau de vie ? Quelques centaines de milliers de visiteurs dans les musées ne doivent pas faire oublier les millions de non-visiteurs dont le rapport à ce que l’on nomme généralement non pas art mais culture tient à la diffusion par la télévision d’images et de musiques qui ne sont pas nécessairement ce que d’autres milieux sociaux considèrent comme de l’« art ».
13Le cinéma propose d’innombrables exemples d’une telle instabilité des opinions et des classements. S’il se trouverait sans doute un accord, dans un certain monde, pour considérer que Godard est évidemment du côté de la création artistique et le réalisateur du Da Vinci Code du côté de l’industrie de divertissement, il n’est pas moins vraisemblable que, dans d’autres milieux, ces assertions ne rencontreraient que peu d’écho, ne serait-ce que parce que le nom de Godard y est à peine connu. Ces distinctions sociales offriraient matière à de longs développements, affaires de distinction justement au sens où Pierre Bourdieu usait de ce terme.
14 Ceci revient à poser le problème de la culture, c’est-à-dire du contexte culturel dans lequel la création s’accomplit aujourd’hui. On n’aura guère le temps ici que d’avancer quelques observations. Elles vaudront essentiellement pour les arts visuels.
15C’est désormais un truisme que de remarquer que nous vivons immergés dans un flux de représentations et d’images constamment renouvelé, que ces images soient celles de l’actualité – notion qu’il faudrait elle-même soumettre à une critique attentive-, celles de la publicité ou celles de fictions. Ce renouvellement, dont la télévision a fait son principe premier, se fonde sur la conviction qu’il faut, en permanence, attirer et séduire le spectateur – le téléspectateur en vérité – auquel des propositions innombrables sont faites simultanément afin que, par la quantité de spectateurs réunis, la chaîne fasse la preuve de son efficacité et attire le plus grand nombre de budgets publicitaires possible. Ce système est bien connu, son efficacité établie, les dérives auxquelles il entraîne repérées depuis longtemps. Tout au plus pourrait-on remarquer que la surenchère dans la séduction tend de plus en plus à concentrer ses efforts sur ce qui est supposé le plus simple et le plus fascinant, les représentations morbides et les représentations sexuelles principalement. Ce renouvellement est en grande partie factice, mais espère dans l’amnésie du téléspectateur pour obtenir le plus grand succès possible dans le domaine du divertissement. La dépendance à ce spectacle apparaît comme l’une des formes les plus puissantes d’aliénation.
16Or ce système est d’autant plus efficace qu’il a vocation à s’exercer de façon universelle. Il s’est créé, dans chaque pays développé, une communauté : la communauté des consommateurs d’images. Existe ainsi une culture commune au plus grand nombre, sans que les distinctions sociales y changent grand-chose, ni les différences de générations et à peine plus ce qui peut subsister encore aujourd’hui d’idéologies politiques : cette communauté a la télévision pour instrument principal et, pour l’instant, Internet pour instrument secondaire. Il n’est probablement pas nécessaire d’entrer dans une description détaillée de ce qui se passe ici. Les mêmes images, les mêmes sujets, les mêmes sons, les mêmes goûts sont proposés à l’ensemble de la population, ce qui signifie aussi la même vision de l’actualité, les mêmes têtes, les mêmes modes. D’innombrables études ont été écrites d’ores et déjà sur l’uniformisation et l’acculturation qui sont les conséquences les plus visibles de cet état de fait. On sait qu’elles affectent l’ensemble des sociétés occidentales et asiatiques à fort niveau de vie et, avec plus de magnétisme sans doute encore, les sociétés en voie de développement en Amérique latine ou en Afrique ou dans la partie de l’Europe qui était « de l’Est » jusqu’à la fin des années 1980. Ces conséquences se mesurent en chiffres, en nombres d’exemplaires vendus, en milliers de spectateurs, en millions de bénéfice – l’expansion de cette économie du divertissement ne s’analyserait pas indépendamment de l’expansion des progrès techniques de la diffusion et de la consommation des articles qui portent l’estampille hollywoodienne ou telle autre, réputée prescriptrice, dans un autre secteur de cette économie mondiale du spectacle.
17Qu’est-ce que l’art, dans ce contexte ? Tout au plus un produit d’appel, la revendication rapide d’une légitimation intellectuelle ou historique. Dès les premières études consacrées à l’industrie des images modernes – par Adorno et Horkheimer, par Hannah Arendt, par tous ceux qui ont suivi la direction indiquée par Benjamin –, tous ont montré comment cette « culture » générale absorbait des œuvres d’art anciennes ou récentes et les intégrait à son fonctionnement au gré de ses besoins à court terme. Tous ont remarqué que cette absorption s’apparente le plus souvent à un recyclage rapide, dans lequel les qualités et significations intrinsèques de l’œuvre sont considérées comme relativement sans importance. Comptent principalement le nom, la notoriété, la reconnaissance facile, autant d’arguments de réclame et de vente. Autant d’arguments en faveur d’une communauté uniforme de consommateurs unanimes.
18Ceci vaut pour le cinéma autant que pour les expositions dites « grand public », qui se concentrent inlassablement sur un petit nombre d’artistes et de sujets afin de s’assurer une fréquentation convenable – et simplifient l’histoire de l’art jusqu’à n’en garder plus que quelques épisodes et quelques héros. Pour s’en tenir au cas déjà signalé, la Joconde et Léonard de Vinci n’ont aucune importance en eux-mêmes. Il n’en reste que des signes instantanément identifiables, que l’on suppose attirants dans la mesure où ils donnent l’illusion au spectateur de participer à la « grande culture » ou à la « culture classique » sans que soient requis aucun savoir ni aucune compétence particuliers et cela, quel que soit le niveau de vie et d’éducation du public. Les médias, dans un processus d’orchestration docile, font ces « événements », convaincus qu’ils se disqualifieraient aux yeux de leur public en les négligeant. Dans une société telle que la société française contemporaine, cet ordre est dominant et il paraît à peu près impossible de lui échapper. On peut tenter de lui résister, on ne peut l’ignorer tant ces manifestations et propagandes sont omniprésentes.
19Alors revient un passage de JLG/JLG, autoportrait de Godard. Il se filme écrivant ceci :
Car il y a la règle, et il y a l’exception. Il y a la culture, qui est de la règle, et il y a l’exception qui est de l’art. Tous disent la règle, ordinateurs, T-shirts, télévision ; personne ne dit l’exception, cela ne se dit pas. Cela s’écrit, Flaubert, Dostoïevski, cela se compose, Gershwin, Mozart, cela se peint, Cézanne, Vermeer, cela s’enregistre, Antonioni, Vigo. Il est de la règle de vouloir la mort de l’exception.
20L’art ne peut se définir par ses matériaux et ses instruments, ni par une hiérarchie ou des genres – à l’inverse de la plupart des activités. Il ne se définit pas plus par ceux qui le font, puisque ceux-ci peuvent être de toutes origines et tous états – à l’inverse de la plupart des professions. Il se définit encore moins par un accord unanime, tant est grande la diversité des jugements – à l’inverse de la culture commune diffusée à des millions de consommateurs.
21On entendra donc par « art » des activités nombreuses, variées, imprévisibles qui s’accomplissent dans l’incertitude de leurs desseins et de leur nature, et dans des situations minoritaires – dans le meilleur des cas – et solitaires – souvent. Qu’il ne puisse se définir donc est la définition même de l’art dans une époque où l’organisation rationnelle et générale des activités, des hommes et de leurs intérêts et divertissements est de règle. On ne saurait répondre autrement à la question « Qu’est-ce que l’art ? » qu’ainsi : il est ce qui échappe aux catégories, ce qui transgresse les frontières, ce qui fait craquer les cadres habituels de la pensée et de l’action quotidienne. Il est de sa nature d’être indéfinissable – telle est même aujourd’hui la condition première de son existence et de sa puissance.
Auteur
Professeur d’histoire de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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