Chapitre 1. Des droits pour l’homme : l’invention moderne du possible
p. 209-217
Texte intégral
1[383] La figure divine est structurante du droit comme technique d’ordonnancement du monde des hommes. En effet, la transmission de Dieu aux hommes, telle qu’elle est théorisée par les auteurs modernes, n’a pas pour conséquence de mettre Dieu hors-jeu, car le thème de la transmission aux hommes se confond avec celui de l’autorisation donnée par Dieu. En conséquence, bien que cette transmission ait pour corollaire la pensée de la liberté, il ne s’agit pas encore de penser la désaliénation radicale de l’homme. Il demeure la créature de Dieu. La théologie moderne représente l’homme muni des instruments nécessaires à sa propre détermination, ainsi qu’à celle de son environnement. Le passage à l’autonomie s’analyse non pas en une éradication de toute hétéronomie, mais en une intériorisation de la présence divine, tel un guide. Les jusnaturalistes modernes décrivent une autonomie qui se comprend plus comme un phénomène d’appropriation coordonnée de l’autorité juridique, que comme un phénomène d’émancipation rejetante de la part de l’homme.
2[384] La dynamique de ce discours théorique est celle de l’humanisme et marque la tendance à confier à l’individu une autorité sur lui-même, dès lors qu’elle tient compte des autres êtres humains. Nous verrons que cette tendance a conditionné la possibilité de penser un droit positif distinct du droit naturel, confirmant en cela la thèse du partage des origines entre droit naturel et droit positif458, où le premier serait l’aïeul du second459. Nous touchons ici au paradoxe des premiers jusnaturalistes modernes (section I).
3 Mais reconnaissons qu’il n’y a pas grand sens à concevoir la distinction entre juspositivisme et jusnaturalisme d’un point de vue purement historique, puisqu’en définitive nous avons abouti à la conclusion que ces deux courants de pensée correspondaient à deux types de discours distincts sur le droit. Ce qui en revanche retient l’attention est qu’à la faveur de ce dualisme naissant, l’idée de droits pour l’homme devient opératoire460. Toutefois, et c’est la raison pour laquelle le courant de pensée moderne demeure jusnaturaliste, le dualisme et l’ancrage d’un pouvoir humain d’autodétermination n’annulent pas la dépendance morale des individus par rapport à un autre qu’eux-mêmes. La question de l’autorisation donnée par Dieu aux hommes impose ce rappel. Nous touchons là à la substitution de l’homme à Dieu par voie d’autorisation (section II).
section i – le paradoxe des premiers jusnaturalistes modernes
4[385] L’émergence d’une École du droit naturel moderne est analysée autant que contée dans l’ouvrage de M.-F. Renoux-Zagamé relatif au concept moderne de propriété461. Afin de convaincre du retournement que constitue le passage à un concept de propriété par lequel l’homme dispose d’un droit et d’un pouvoir direct sur les choses, l’auteur fait la démonstration du lien paradoxal qui existe entre les jusnaturalistes de l’École du droit de la nature et des gens apparue à la fin du xvie siècle et les théologiens juristes de la Seconde scolastique commençant vers le début de ce même siècle. On comprend que l’émergence du jusnaturalisme moderne est due à un glissement très progressif plutôt qu’à une brusque rupture, mais qui a conduit à un réel bouleversement pour l’histoire des idées.
5[386] Ce bouleversement correspond à un phénomène de substitution par lequel l’homme s’est retrouvé en possession de droits attachés à sa nature d’homme. Ce mouvement, assimilé au processus d’intensification du droit de l’homme de maîtriser les créatures qui l’entourent, rend compte au fond de la transformation du rapport entre l’humanité et Dieu, d’une part, et entre l’humanité et les choses, d’autre part. Inspiré en premier lieu par l’École du droit naturel moderne, le jusnaturalisme que l’on a tendance à concevoir seulement comme une théorie de la dépossession des hommes, renverse ce postulat pour affirmer un point de vue apparemment positiviste. Le jusnaturalisme moderne propose la vision d’un homme soumis aux impératifs d’une nature qu’il maîtrise ou, du moins, qu’il a le droit de maîtriser. L’homme devient alors le point de départ et d’arrivée de l’obligation qu’il s’impose à lui-même via une nature dénaturée. Cette trajectoire en boucle correspond à celle que décrit M.-F. Renoux-Zagamé au sujet d’un « droit général à l’appropriation » (Zueignungsrecht) conféré à l’homme et révélé par l’École du droit naturel moderne. En voici la définition sensiblement compatible avec l’idée contemporaine d’un droit de l’homme :
c’est un droit qui naît avec l’homme, et ne peut par conséquent en être détaché, un droit a priori, qui a de lui-même, et en dehors de toute prise de possession effective, une vocation ou une aptitude à s’étendre sur la totalité des créatures462.
6Ainsi, progressivement débarrassé de la tutelle de son créateur, l’homme de la pensée moderne semble recueillir un pouvoir autonome sur les choses qui l’entourent.
7[387] La progressivité de cette évolution accrédite l’idée nuancée selon laquelle jusnaturalisme et juspositivisme témoignent d’une histoire commune. Le droit naturel moderne est une porte ouverte sur le positivisme juridique, sans pour autant disqualifier la pensée du droit naturel. Il y aurait alors dans cette pensée les germes d’une théorie du droit capable de nommer le fondement du droit tout en permettant une forme de laïcisation du pouvoir des hommes sur la nature. C’est en cela que l’École moderne du droit naturel tranche avec la conception classique du droit. Non seulement, le droit naturel moderne rend pensable le pouvoir des hommes sur la nature, mais en plus, il le rend légitime et donc susceptible de fonder le système des normes qui en découle. En d’autres termes, le droit naturel moderne inaugure une nouvelle théorie politique dont les hommes deviennent les acteurs principaux et réputés autonomes463. Le mouvement jusnaturaliste moderne apparaît beaucoup moins rigide que ce qu’inspire le terme d’« école ». Plusieurs courants ont coexisté ou se sont succédé dans le réseau constitué à la fois par la Seconde scolastique qui s’est poursuivie jusque vers 1780 et l’École du droit naturel et des gens. La pensée du xviie siècle s’est scindée en deux courants principaux : le courant rationaliste ou intellectualiste, structuré historiquement contre le nominalisme occamien, mais fondant théoriquement le droit sur un ordre des choses plus ou moins indépendant de la volonté de Dieu, et le courant volontariste ou positiviste fondant le droit sur un ordre de contrainte, dicté par Dieu ou par les hommes selon les tendances. Ainsi, diverses interprétations exprimant de nombreuses nuances rendent impossible l’opposition radicale du juspositivisme au jusnaturalisme. On s’aperçoit que les éléments apparemment distinctifs des uns et des autres se partagent et s’empruntent réciproquement au gré des options interprétatives des théoriciens eux-mêmes464.
8[388] Cette diversité apparente n’a pas empêché une évolution essentielle et partagée par tous les courants. Cette évolution de l’histoire des idées a vu la substitution d’un droit fondé sur l’homme à un droit voulu et modelé par Dieu465. C’est au cours de ce passage que se sont mis en place les éléments permettant de rattacher concrètement à l’homme un pouvoir sur les choses et, partant, de lui attribuer abstraitement des droits dits subjectifs466. Les tenants de l’École du droit naturel moderne se retrouvent sur un élément essentiel susceptible d’ordonner l’ensemble des théories du droit les unes par rapport aux autres : la souveraineté. Pour les jusnaturalistes, elle se conçoit toujours dans un rapport de conformité à la loi naturelle, qui ne manque pas d’entraîner une conception particulière du pouvoir de faire les lois positives : il est nécessairement limité. L’enjeu de la construction institutionnelle temporelle consistera à assurer ce contrôle de conformité des lois positives à la loi naturelle467. De sorte que le concept paradoxal émergeant du discours jusnaturaliste est celui d’une souveraineté limitée.
section ii – la substitution de l’homme à dieu par voie d’autorisation
9[389] L’analyse de la pensée des Modernes qui verrait un empire humain absolu sur les choses doit être nuancée. Cette puissance des hommes, dans le cadre de la pensée jusnaturaliste moderne, n’échappe pas à une forme de contrôle divin, même distant, même médiatisé.
10Les penseurs de la Seconde scolastique n’ont en effet jamais exclu
une participation au domaine par lequel Dieu gouverne le monde, une sorte de ministère468.
11Deux liens existent pour configurer l’emprise sur le domaine : un lien entre Dieu et ses créatures humaines ; puis un lien entre les créatures humaines et les autres créatures. La permanence du lien dont Dieu est le maître a deux implications. D’une part, ce lien empêche de penser un monde de créatures privées de Créateur ; représentation qui apparaît alors comme une absurdité. D’autre part, il est la condition sine qua non de la libre disposition humaine. Cette seconde implication est cohérente avec l’idée moderne selon laquelle on ne conçoit la liberté en société que sous une paradoxale emprise469.
12Elle coïncide avec les termes du pacte social rousseauiste en vertu desquels :
Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout470.
13Cette remise de soi au « moi commun » qui constitue la personne publique ne cesse de correspondre à l’aliénation qui demeure entre les particuliers, tous membres du souverain, et le Législateur471. Rousseau réintroduit en effet un autre capable d’imposer de « bonnes lois » que le peuple pourrait avoir des difficultés à apercevoir seul. Il maintient cette hétérogénéité en distinguant deux opérations, deux pouvoirs et donc deux types d’agents : un acte de volonté précédant un acte de rédaction qui exprime la volonté générale. Le philosophe procède alors par oxymorons, afin de rendre compte de la complexité du processus législatif, consistant en réalité à contraindre les individus en s’appuyant sur leur capacité de se penser et de se croire libres472.
14[390] On aperçoit dans le modèle de Rousseau le reflet d’une conception moderne du rapport des hommes à leur entourage, héritée de la pensée jusnaturaliste de la Seconde scolastique. Le double rapport évoqué plus haut se distingue de la même manière entre une communauté éminente manifestant son « droit sur tous », telle la source dont chacun émane, et le droit dont chacun dispose sur son domaine particulier et acquis selon plusieurs modes possibles. Mais avant de décliner cette double relation au plan réel, Rousseau l’exploite au plan personnel, au profit de sa théorie du souverain, selon laquelle un « double rapport » lie l’individu qui a passé contrat. Ce double rapport existe entre l’individu devenu membre du souverain et les particuliers, d’une part, et entre l’individu devenu membre de l’État et le souverain, d’autre part473.
15Même – et peut-être surtout – chez Rousseau, on ne peut s’accommoder d’une liberté qui ne soit pas elle-même le signe d’une servitude. M.-F. Renoux-Zagamé ne retranscrit pas autre chose lorsqu’elle explique le sens ambivalent que prend la notion de maîtrise dans la pensée de la Seconde scolastique, notion qui « n’est pas seulement profit pour le maître et servitude pour l’objet474 ». Le pouvoir que l’homme exerce sur les choses est le résultat d’un pouvoir d’une autre nature qui s’exerce sur les hommes eux-mêmes ; et, par ricochet semble-t-il, le pouvoir que les hommes exercent sur ces autres créatures permettrait à ces choses de « participer à une forme d’être supérieur »475. Si bien que le pouvoir humain se révèle dans une sorte de dépendance. S’exercerait-il grâce à ou par la grâce du Créateur ? L’articulation entre le domaine humain et le domaine divin, loin de se penser alors comme une séparation radicale, s’analyse comme une autorisation divine. Dans ces conditions, la substitution de l’homme à Dieu, qui fait du premier un titulaire de droits en propre, ne peut s’analyser en une délégation complète.
16[391] Cette nuance n’enlève rien à la subversion importante qu’accomplit l’œuvre des auteurs de l’École du droit naturel moderne. Mais elle permet d’affiner le regard porté sur les évolutions de cette pensée et de retrouver les parentés entre auteurs de différentes époques qui, s’ils se caractérisent souvent par les ruptures qui en résultent, ne se suivent pas moins dans le cadre d’une progression relativement lente.
17L’autorisation par laquelle l’homme en tant qu’espèce créée se subordonne le reste de la création est, en vertu de la Seconde scolastique, comme des jusnaturalistes modernes, destinée à limiter la puissance de l’homme et d’une certaine façon à lui rappeler qu’il est constamment sous surveillance. L’autorisation d’origine divine joue un rôle ambigu, celui de conférer une liberté préalablement bornée.
18Par son autorisation, Dieu ne donne pas de blanc-seing, de sorte qu’on imagine que le contrôle qu’une permission suppose au moment de sa délivrance, se prolonge ou se pérennise, dans le cas particulier que la Seconde scolastique et l’École du droit naturel étudient. Ce contrôle se manifeste sous la forme de l’ordre qu’impose l’auteur de l’autorisation au moment même où il la confère : l’ordre de la raison476. L’autorisation renferme donc presque un commandement.
19Pour autant, les auteurs de la Seconde scolastique ne présentent pas la situation comme celle d’un ordre explicite imposé par Dieu, mais comme
[la confirmation d’]un ordre déjà inscrit par le Créateur, d’une part dans la nature des choses, puisque celles-ci tendent d’elles-mêmes vers l’homme comme vers leur fin, d’autre part dans la nature humaine, puisque c’est sa double qualité d’image de Dieu et d’image du monde, qui justifie le rôle attribué à l’homme dans la création [...]477.
20[392] Il demeure alors que la maîtrise de l’homme pourtant dégagée dans cette représentation intellectuelle du monde, s’appuie sur le principe de la raison. L’ homme l’utilise en tant que propriété distinctive de son espèce et à son profit exclusif. Mais ce n’est pas tout. La raison apparaît dans le cadre de la Seconde scolastique et de l’École du droit naturel, qui reste composée de penseurs chrétiens, comme la garantie imposée par Dieu contre le risque que l’homme représente pour la création dans son ensemble. L’aptitude à raisonner devient alors la clé de compréhension du monde sociopolitique et, chez certains auteurs, le fondement même de la norme juridique, en tant qu’elle se soumet aux valeurs qui la bornent.
21[393] On comprend alors que la notion de droit sur les choses, qui apparaîtra sous l’effet des développements théoriques des jusnaturalistes modernes comme un droit naturel de l’homme478 – voire un droit subjectif naissant du fait humain, non pas de la concession divine, comme Guillaume d’Occam le soutient dans la controverse qui l’oppose à Jean XX11479 –, ne s’est jamais complètement défaite de l’idée d’une transmission conditionnée. Si cette interprétation accrédite notamment l’hypothèse de la conquête indispensable des droits que ce soit au plan théorique (théologique) ou pratique (politique), elle remet également en jeu l’hypothèse tenace de celle d’un partage non seulement du droit mais donc aussi du pouvoir exercé par l’homme sur lui-même et sur le monde480. Le droit naturel, héritier de la pensée de la Seconde scolastique, s’en tiendra donc à la thèse de la société continue, dans laquelle l’homme n’est jamais seul et partage toujours l’exercice de son droit, y compris l’individu qu’accompagne et légitime sans cesse l’ombre divine sous forme de limite, que celle-ci soit la raison, la ou les valeurs, la morale, etc. On retiendra de cette période que le droit de l’homme n’existe pleinement que parce qu’il s’exerce dans cette mixité ontologique.
22Les droits possédés par l’homme en vertu de sa qualité naturelle, révélés et reconnus au fil des discussions théologico-juridiques, deviennent une caractéristique de la pensée moderne. Elle conçoit les droits de l’homme d’un double point de vue qui conduit à lier le droit à un potentiel fondateur. Ils apparaissent en effet d’abord comme une possession propre de l’homme. Ils sont en cela le signe d’un subjectivisme nouveau. Mais ils se présentent aussi comme essentiellement attachés à la nature humaine raisonnable, sur laquelle l’homme n’a pas prise. Ils sont en cela le signe d’un objectivisme perpétué.
23Ainsi, les premiers jusnaturalistes modernes décrivent une structure paradoxale susceptible de donner naissance à un concept de droits fondamentaux essentiellement associé à une fonction fondatrice.
conclusion du chapitre i
24[394] L’ouverture de F. de Smet à propos de l’École du droit naturel offre à la fois une récapitulation et une transition vers l’instrument kantien de la raison :
En brisant les horizons de la chrétienté par la reconnaissance de droits à tous les hommes, l’école de Salamanque avait ouvert la voie à une philosophie humaniste universaliste, dont la prochaine étape sera de penser le droit et le rapport politique non plus désormais à partir de Dieu ou de la loi divine, mais à partir de la nature humaine caractérisée par la raison481.
25C’est en effet à partir du déplacement vers l’homme, qui n’annule pas la présence de Dieu, mais au contraire la destine à sa fonction fondatrice prééminente, que la raison prend place comme le reflet de cette présence. L’aspect jusnaturaliste de ce mode de pensée tient précisément au maintien de la présence en l’homme de cette autorité extérieure. Si la manifestation de la raison est intérieure, il reste que la représentation de ce qui anime la capacité intellectuelle et normative de l’être est l’expression d’une force qui s’impose à l’être. La dimension d’hétéronomie prévaut ici, en dépit de l’institution de l’homme comme auteur de décisions et sujet de droits.
26[395] Kant intensifie ce modèle en faisant d’abord de l’homme le sujet essentiel, catégorique et a priori, des droits qu’il faut lui reconnaître. Il l’intensifie ensuite en maintenant une raison active et autonome au cœur de ce sujet libre.
Notes de bas de page
458 Voir à ce sujet la thèse de L. Heuschling selon laquelle la filiation du juspositivisme est à rechercher dans le jusnaturalisme et que le juspositivisme entretient un rapport déconstructionniste avec le jusnaturalisme, L. Heuschling, Etat de droit, Rechtsstaat, Rule of Law, op. cit., p. 447 s.
459 Voir la thèse plus classique de S. Goyard-Fabre, Les fondements de l’ordre juridique, Paris, PUF, 1992.
460 « La problématique des droits de l’homme, qui semble le plus souvent aujourd’hui aller d’elle-même, est issue d’une profonde mutation de la conception de la nature du droit. Cette mutation étalée sur la longue période qui va du couchant du Moyen Âge à la Révolution, est celle-là même qui a accouché, dans tous les domaines de ce qu’on appelle parfois la “modernité” », S. Rials, « Ouverture : généalogie des droits de l’homme », Droits, n° 2, 1985, p. 3.
461 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, Genève, Droz, coll. Travaux de sciences sociales, 1987 ; voir aussi plus récemment, M.-F. Renoux-Zagame, Du droit de Dieu au droit de l’homme, Paris, PUF, coll. Leviathan, 2003.
462 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 311.
463 « En effet, ce qui serait au cœur de la pensée des droits de l’homme, dégagée progressivement et systématisée aux xviie et xviiie siècles par le jusnaturalisme moderne, ce serait non seulement l’affirmation, prétendant elle-même avoir le statut de proposition vraie, que l’individu, envisagé dans la solitude de son état de nature, jouit d’une autonomie conçue comme détermination par son exclusive et propre volonté, mais aussi, et bien davantage encore, que cette soi-disant proposition vraie ne peut pas être ignorée – et donc ne peut pas être retenue à titre de fondation, de point de départ de la construction politique, autant dire ne peut pas être “méprisée” par le gouvernant ou “oubliée” par le gouverné, selon les termes employés par le préambule de la Déclaration de 1789 – parce qu’elle est évidente », O. Cayla, La notion de signification en droit, op. cit., p. 204.
464 S. Rials (dir.), Le droit des Modernes (xive-xviiie siècles), université Panthéon-Assas (Paris II), Paris, LGDJ, E. J.A Paris, 1994. Ce recueil d’études sur quelques grands auteurs de l’époque moderne rend compte de la richesse et du foisonnement intellectuels de la période, autour des questions théologico-politiques et, par conséquent, autour de la question du droit.
465 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 28.
466 D. Gutmann, « La question du droit subjectif chez Guillaume d’Occam », dans S. Rials (dir.), Le droit des Modernes (xive-xviiie siècles), op. cit., p. 11. L’auteur y reconstitue le raisonnement d’un Franciscain devant le problème posé par la propriété et en interprète l’impact quant à l’émergence de la notion de droit subjectif après le conflit qui l’opposa à la papauté à partir de 1322. Intrigué par l’absence totale d’allusion à la notion, D. Gutmann tente néanmoins l’hypothèse selon laquelle Occam l’aurait créée en expliquant que la théorie occamienne de la propriété dans l’état originel permet ensuite de concevoir le cloisonnement des espaces que sont l’humanité, Dieu et les choses ; et, par conséquent, la possibilité d’une opposition entre l’individu et le monde et, ainsi, un mouvement de conquête de l’individu sur le monde. Ce nouveau rapport, qualifiable de rapport de force, vient alors confirmer l’hypothèse d’une substitution du domaine privé à la puissance originelle, substitution qui correspond à la fois à la naissance de l’ordre juridique, mais également et simultanément, à celle d’un droit subjectif, « En définitive, l’apport d’Occam à la modernité réside probablement moins dans la définition qu’il donne du droit subjectif, que dans l’analyse du processus par lequel est constitué le droit objectif et par lequel celui-ci constitue les droits subjectifs. En posant que le droit ne peut jamais être déclaratif, en fondant sa doctrine sur un volontarisme qui trouve sa cohérence dans son extrémisme, le Franciscain annonce sans doute la structure de l’artificialisme politique », D. Gutmann, « La question du droit subjectif chez Guillaume d’Occam », art. préc., p. 27.
467 « L’École moderne du droit naturel demeure, à n’en pas douter, divisée d’une part, sur la question du fondement de l’obligatoriété de la loi naturelle et de la loi civile, et d’autre part sur le problème de la genèse de l’État, la thèse contractualiste ne renvoyant pas à une seule figure du contrat. Cependant, si les divergences sont nombreuses, en particulier sur le caractère absolutiste ou “libéral” du pouvoir, les jusnaturalistes s’accordent sur un point : le souverain, dont la puissance peut être ou non limitée, demeure soumis au respect de la loi naturelle, et par conséquent devra répondre au besoin, devant le peuple, de la conformité ou de la non-conformité de ses actes aux principes dictés par cette loi. Il ne peut être habilité à promulguer une loi civile bafouant le droit de nature. Tenu de respecter les engagements qu’ il a pris envers le peuple, dans le contrat, on ne saurait être autorisé à gouverner de façon purement arbitraire », C. Combe, « Le droit de résistance dans l’École du droit naturel moderne », dans S. Rials (dir.), Le droit des Modernes (xive-xviiie siècles), op. cit., p. 76-77.
468 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 364.
469 Rousseau formule une conclusion comparable à propos du domaine réel à la fin du Livre premier du Contrat social : « De quelque manière que se fasse cette acquisition, le droit que chaque particulier a sur son propre fond est toujours subordonné au droit que la communauté a sur tous, sans quoi il n’y aurait ni solidité dans le lien social, ni force réelle dans l’exercice de la souveraineté », Rousseau, du contrat social, I, 9, op. cit., p. 46.
470 Du contrat social, I, 6, op. cit., p. 40.
471 Ainsi que nous l’avions développé supra, n. 429, p. 252.
472 « Ainsi l’on retrouve à la fois dans l’ouvrage de la législation deux choses qui semblent incompatibles : une entreprise au-dessus de la force humaine et, pour l’exécuter, une autorité qui n’est rien. [...] Ainsi donc le législateur ne pouvant employer ni la force ni le raisonnement, c’est une nécessité qu’ il recoure à une autorité d’un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre. Voilà ce qui força de tout temps les pères des nations à recourir à l’intervention du Ciel et d’honorer les dieux de leur propre sagesse, afin que les peuples, soumis aux lois de l’État comme à celles de la nature, et reconnaissant le même pouvoir dans la formation de l’homme et dans celle de la cité, obéissent avec liberté et portassent docilement le joug de la félicité publique » (nous soulignons), Rousseau, Du contrat social, II, 7, op. cit., p. 67.
473 Du contrat social, I, 7, op. cit., p. 41.
474 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 364.
475 Ibid.
476 Nous y voyons un ordre de contrainte habillé par la raison.
477 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 113 à propos des deux fondements du domaine humain que sont la raison et la volonté. L’auteur présente en effet la thèse de la Seconde scolastique, qui, par contraste avec celle d’Occam par exemple, fait reposer le domaine de l’homme sur un ordre naturel divin. Cet ordre ne serait que confirmé par, non pas imprimé à, une nature des choses.
478 Droit naturaliter, c’est-à-dire inné. Voir M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 368.
479 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 124-125. Voir aussi D. Gutmann, « La question du droit subjectif chez Guillaume d’Occam », art. préc., supra, n. 466.
480 Voir l’idée d’un domaine de participation qui justifie le principe d’un lien entre domaine divin et domaine humain. Voir M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, op. cit., p. 132 s.
481 F. de Smet, Les droits de l’homme. Origines et aléas d’une idéologie moderne, Paris, éditions du Cerf, 2001, p. 25.
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