Le fondement du droit dans les théories j us naturalistes : les inventions raisonnables
p. 207-208
Texte intégral
1[379] Pour comprendre comment les droits fondamentaux ont fini par se confondre avec le fondement du droit dans les discours jusnaturalistes, il faut faire état d’une évolution de la pensée philosophique et juridique. Il apparaît, par hypothèse, que l’articulation particulière des droits de l’homme avec l’idée de fondement, telle qu’elle serait incarnée par l’homme, a produit ce rapprochement entre les droits fondamentaux et le fondement du droit aujourd’hui. En effet, si les droits fondamentaux sont les descendants des droits de l’homme élaborés dans le creuset de l’École du droit naturel moderne, suivie de la critique kantienne, alors ils héritent également du cadre intellectuel et de la structure théorique qui ont produit les droits de l’homme.
2[380] Des jusnaturalistes modernes aux jusnaturalistes kantiens, la progression est continue et touche directement à ce qui nous occupe : découvrir et formuler le fondement du droit.
3Les modernes, en inventant le subjectivisme, fournissent à leurs successeurs la clé d’un fondement nouveau : l’homme. Cet homme se définit par sa capacité de raisonner et, selon Kant, par sa capacité d’autodétermination en fonction de cette raison. Même s’il est bien entendu que Kant n’est pas l’inventeur de la raison, il a développé l’aspect le plus ambigu de cette Idée, ambiguïté héritée de la théologie chrétienne qui met en scène un Dieu créateur et une créature paradoxalement libre. La problématique du fondement du droit est liée à cette tension entre la reconnaissance nécessaire du créateur – dont la puissance créatrice est aliénante, par excellence, vis-à-vis de ce qu’ Il crée – et la reconnaissance du créé, de ses propriétés intellectuelles et notamment de sa capacité de nommer ce qui l’entoure, y compris son créateur. Le principe d’autodétermination, résultant de cette capacité du créé, constitue un élément susceptible de faire échec à l’autorité créatrice. Les efforts rhétoriques de l’École du droit naturel moderne, puis de Kant, consisteront à préserver l’équilibre entre un homme, conçu comme sujet principal et autonome, et une autorité qui le dépasse, l’anime et le guide. Les outils de cette construction théorique prennent, pour certains, une dimension juridique importante. Ce sont notamment les droits de l’homme, l’autorité et la liberté.
4[381] Les discours théoriques qui en font usage dans ces termes, révèlent un élément caractéristique des discours jusnaturalistes contemporains. Lorsqu’ils évoquent le fondement du droit, la notion qualifiée de fondamentale peut être la raison, l’homme, la personne ou sa dignité, un droit de l’homme ou sa fondamentalité, l’Autre. L’élément discursif jusnaturaliste s’exprime lorsque l’auteur de ce discours défend la thèse d’une source de normativité hétérodoxe ; c’est-à-dire la présence normative d’un autre que soi. L’élément jusnaturaliste apparaît, à la lumière des thèses jusnaturalistes modernes et kantiennes, comme l’affirmation d’un fondement juridique décidé en dehors de la volonté subjective, en dépit de la reconnaissance d’une capacité d’autodétermination.
5[382] Les penseurs jusnaturalistes modernes forgent le socle du subjectivisme en conditionnant l’attribution de droits à la qualité d’être raisonnable. Autrement dit, les droits découlent de la capacité humaine de découvrir les limites qu’impose l’autorité de son créateur. Dans ce cas, le fondement du droit, conçu comme une limite, est cette autorité présente en toutes choses, ainsi que dans l’homme. Elle est caractérisée par le fait que l’homme est le seul à pouvoir la mettre au jour. Il s’agit du discours jusnaturaliste moderne, dans lequel l’attribution aux hommes d’un pouvoir d’autodétermination reste limitée. En dépit de la permanence de cette limitation, le principe d’un transfert d’autorité vers les individus conduit les auteurs à concevoir des droits qui leur sont attachés. Les droits de l’homme apparaissent comme l’invention moderne du possible (chapitre 1).
6L’idéalisme kantien poursuit cette analyse en tirant toutes les conséquences qu’une telle rhétorique devait entraîner du point de vue de la raison en l’homme. Dans ce cas, le fondement du droit, toujours conçu comme une limite, est cette raison présente seulement parmi les hommes. Elle se caractérise alors par le fait que l’homme est le seul à pouvoir la mettre en œuvre. Ce discours philosophique kantien procède de la même idée de limitation de l’autonomie humaine. Mais la différence tient au fonctionnement de cette limitation. Le caractère hybride de la raison, conçue à la fois comme ce qui est propre à l’homme et comme une objectivité qui s’impose à lui, induit un discours à tendance jusnaturaliste, dont les conséquences théoriques transcendent le clivage de la théorie du droit contemporaine. Les droits de l’homme deviennent, sous l’influence de l’invention kantienne de la raison, un fondement pour le droit (chapitre 2).
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