Introduction générale
p. 19-52
Texte intégral
1[i] Les droits fondamentaux sont-ils des droits de l’homme ? Les droits de l’homme sont-ils toujours fondamentaux ? Les droits fondamentaux le sont-ils partout ? Les droits fondamentaux sont-ils le droit fondamental ? Que veut dire qu’un droit est fondamental ? Qui dit qu’un droit est fondamental ? Que fondent les droits fondamentaux ? Les droits fondamentaux sont-ils le fondement du droit ? Le droit a-t-il un fondement ? Le fondement du droit est-il du droit ? Dès que les mots sont prononcés, une rafale de questions surgit et l’impression d’un grand malentendu s’installe.
2L’histoire de cette étude est en effet celle d’un malentendu1. Les questions qu’il suscite témoignent en réalité de plusieurs malentendus qui se réfèrent, semble-t-il, à deux types d’interrogations entrelacées.
3Les unes concernent la notion de droits fondamentaux et ce qui paraît, à première vue seulement, lui faire écho – et sans que l’on puisse le certifier immédiatement : le fondement du droit. Les autres concernent les discours que l’on peut tenir à propos des droits fondamentaux et du fondement du droit ; comme souvent, des discours pratiques et théoriques, mais, comme souvent aussi, des discours situés, exprimant l’intention de celui qui le prononce. Plusieurs types de discours peuvent donc être tenus et l’on verra que selon que l’on adopte une conception ou une autre des droits fondamentaux et/ou du fondement du droit, le discours correspondant change.
4[2] Un malentendu affecte donc l’objet de cette thèse apparaissant binaire dans un premier temps : les droits fondamentaux et le fondement du droit. Pour autant, non seulement le lien entre ces termes ne recouvre aucune évidence, mais l’histoire de cette thèse doit permettre de comprendre que la distinction des termes est une nécessité. L’objet de cette thèse peut donc aussi s’appréhender de façon séparatiste : les droits fondamentaux, d’une part, le fondement du droit, d’autre part.
5[3] Selon la genèse de cette thèse, le point de départ de notre réflexion est l’expression « droits fondamentaux ». Elle produit, comme beaucoup d’autres, cette impression de savoir exactement de quoi il s’agit, dans un premier temps, et d’être littéralement démuni dès lors que l’on s’emploie à la définir, dans un second temps2.
6Si la difficulté ne tenait qu’à la diversité des champs dans lesquels on rencontre cette expression, le problème, d’un point de vue juridique, pourrait ne pas sembler si compliqué3. Il suffirait d’isoler le champ juridique des autres. Comment ne pas déceler ici une pointe d’ironie puisque précisément la source sans âge des problèmes juridiques réside dans la définition du champ juridique. La théorie du droit fait d’ailleurs de ce thème sa raison d’être : « qu’est-ce que le droit ? »4.
7[4] Mais la difficulté principale tient à la polysémie ou à l’indétermination des termes de l’expression dans le seul champ du droit, si tant est qu’il ait pu être délimité5. Ici encore se pose l’un des principaux enjeux de la théorie du droit : la signification6 et, par voie de conséquence, l’interprétation des expressions utilisées dans le champ du droit. La réponse à la question de la signification des droits fondamentaux dépendra en outre de la conception d’une expression : une expression renvoie-t-elle au mot ou à la chose ? Grosso modo met-on l’accent sur la forme ou sur le contenu ? À la question « que veut dire l’expression “droits fondamentaux” ? », on peut répondre de deux façons, suivant que l’on souhaite faire une recherche sur les discours relatifs aux droits fondamentaux – la question renvoie aux usages discursifs des droits fondamentaux –, ou une recherche sur les droits fondamentaux en eux-mêmes – la question renvoie à la nature des droits fondamentaux. Ces deux voies correspondent à deux conceptions différentes de ce qu’est une définition.
81. Soit on s’attache à l’usage du vocable et on répond à la question : « Que font ceux qui utilisent l’expression “droits fondamentaux” ? » On préfère alors le mot à la chose. On pense même qu’en prononçant certains mots, on réalise des actes. On adhère ainsi à la théorie des actes de langage et, en général, le champ du droit est conçu comme un champ discursif parmi d’autres. Dans ce cas, la question de savoir si les droits fondamentaux appartiennent au champ juridique se résoudra en même temps que l’on répond à ce que font ceux qui emploient l’expression. Autrement dit, la juridicité des droits fondamentaux dépend ici de l’activité discursive des auteurs des paroles relatives aux droits fondamentaux7. C’est alors l’occasion de relever le potentiel idéologique du discours juridique en tant que vecteur d’un rapport de force politique8.
92. Soit on s’attache à la chose et alors il faut répondre à la question : « Que sont les droits fondamentaux ? ». Dans ce cas, on se donne pour mission de fournir une liste de ces droits et, éventuellement, d’en forger une théorie qui permette de les distinguer d’autres objets du droit. On pourrait se demander si tout ceci peut s’entreprendre sans avoir répondu à la question préalable de savoir si les droits fondamentaux sont des objets juridiques. Mais la juridicité des droits fondamentaux n’est pas en cause à l’occasion de la détermination de leur contenu. Elle est en effet présupposée si l’on opte pour cette seconde manière de voir. Le questionnement sur les droits fondamentaux se rallie alors au mode du vrai ou faux, comme c’est parfois le cas pour les droits de l’homme9. Tel droit est-il vraiment fondamental10 ? Enfin, les auteurs tentent de répertorier des droits dans la catégorie rarement définie des droits fondamentaux11.
10[5] Le choix de l’une de ces deux conceptions de la définition ou de la signification, en droit, est déterminant. Pour que la communication à propos d’un objet aussi indéterminé que les droits fondamentaux soit possible, il est nécessaire de préciser ce choix. Il tient alors lieu de présupposé au discours relatif à l’objet. C’est pourquoi nous devons d’abord préciser les sources du malentendu. Leur recension permettra de délimiter l’objet de notre recherche (§ I). Nous devrons ensuite énoncer les solutions que nous avons cru bon d’apporter à ce malentendu. Elles seront l’occasion d’exposer la méthode de notre recherche (§ ii).
§ I. les sources du malentendu : une polysémie déroutante
11[6] Le malentendu consiste principalement dans l’indétermination de l’objet, mais il procède en l’occurrence de plusieurs causes, les unes étant imputables aux circonstances comparatistes d’élaboration de ce travail (A) et les autres, au glissement théorique auquel elles ont conduit (B).
A. L’influence du comparatisme : la bipolarisation du malentendu
12[7] Cette thèse prend sa source dans un projet de recherche comparatif. Il devait s’agir en effet d’une étude comparée de droit franco-anglais sur la conception des droits fondamentaux. Or il n’est pas rare de présenter le droit comparé comme le remède du malentendu. On constate en effet que la « touche comparatiste » constitue souvent une caution, mais heureusement aussi un outil de clarification et d’approfondissement de la compréhension, surtout théorique, d’un système ou du « formant » d’un système par rapport à un autre12. À l’inverse, il existe également une conception du droit comparé, qui, elle, exalte les vertus du malentendu en cultivant le principe de la différence et de la relativité des systèmes juridiques. De sorte que c’est précisément de la reconnaissance de l’impossibilité de s’entendre que naîtra la possibilité d’une élaboration théorique (c’est-à-dire explicative13).
13Ce constat met en valeur deux conceptions du droit comparé (1), auxquelles correspondent deux discours théoriques possibles sur les droits fondamentaux (2).
1. Deux conceptions du droit comparé
14[8] Les travaux préparatoires à une réflexion d’ensemble sur la comparaison des conceptions françaises et anglaises des droits fondamentaux ont révélé la difficulté de faire correspondre des expressions aux apparences terminologiques forcément différentes14, qu’expliquent plus ou moins des antécédents historiques distincts15. Ici aussi un malentendu s’est insinué, mais de façon presque nécessaire.
15[9] Les travaux de droit comparé révèlent que le seul emploi de l’expression française « droits fondamentaux » complique considérablement la communication, sachant que la traduction anglaise « fundamental rights » n’est pas employée de façon systématique, tant dans les discours doctrinaux16 que dans le discours juridictionnel – qui sont d’ailleurs souvent confondus17. Contrairement au droit comparé franco-allemand des droits fondamentaux18, qui semble plus exploité – peut-être parce qu’il témoigne de plus de points de rencontre –, la comparaison franco-anglaise, en la matière, accentue plus volontiers le caractère irréconciliable des deux systèmes.
16[10] La difficulté représentée par cette comparaison peut trouver si ce n’est une solution, du moins un soulagement, dans la technique de l’adaptation, qui est une forme d’imitation19. Appliquée aux droits fondamentaux, cette technique consiste en une adaptation du système de common law anglais au contexte français. Elle conduit à définir les droits fondamentaux comme une notion structurante du droit, susceptible de transcender les catégories et les distinctions classiques du droit français, comme le common law semble pouvoir le faire, en vertu d’une interprétation qui le présente comme un concept juridique omnipotent, suppléant toute lacune imaginable du droit – autrement dit, un droit fondamental20. Si elle comporte l’avantage, à partir du constat du défaut d’un système, de proposer un palliatif, elle a l’inconvénient de reposer sur le présupposé qu’énonce expressément la conception canonique du droit comparé :
Le droit comparé est une école de vérité qui étend et enrichit les solutions et offre au juriste capable de critique la possibilité de trouver une meilleure solution21.
17Dans ces conditions, si la technique de l’adaptation se présente comme indéniablement constructive du point de vue du droit qu’elle entend réformer, elle ne permet pas de procéder à une comparaison qui remplisse l’une des fonctions que la conception canonique du droit comparé lui assigne par ailleurs : la dissolution des préjugés nationaux22. Une telle posture, à la fois critique et réformatrice, ne peut satisfaire l’exigence d’objectivité23, quelle formule également. Elle présuppose en effet trop d’éléments qui ne sont que la traduction de ces « prénotions locales24 » : la valorisation du principe de rapprochement des différentes sociétés et cultures, conduisant plus ou moins explicitement à un certain universalisme25, la promotion des travaux de recherche comparée au titre d’« appui pour le législateur » et d’« outil de construction26 », conduisant plus ou moins explicitement à un certain interventionnisme.
18[II] Réciproquement, lorsque le but n’est pas d’influencer un droit par l’autre, il se produit, dans le discours doctrinal correspondant, un phénomène de distanciation – on peut y voir un certain relativisme. Ce phénomène provient de la reconnaissance du caractère irréductible de la différence des systèmes juridiques27.
19Dans ces conditions, les droits fondamentaux qui, dans la première conception du droit comparé, sont l’occasion de rapprocher les systèmes juridiques, au profit d’une conception peu formalisée du droit, deviennent au contraire, dans la seconde, la preuve de l’irréductible différence qui existe entre les cultures juridiques.
2. Deux discours théoriques possibles sur les droits fondamentaux
20[12] Plus généralement, ces deux conceptions du droit comparé, appliquées à la question des droits fondamentaux, font ressortir une opposition entre deux conceptions du droit. Deux types de discours à vocation théorique les représentent.
21[13] L’un cherche à faire des droits fondamentaux le dénominateur commun, par sa vocation universelle, de tous les systèmes juridiques. Il y a ici une volonté de penser un devoir-être des droits fondamentaux, mais aussi, et par conséquent, d’en faire l’expression idoine d’une structure juridique, autrement dit, un fondement du droit :
Le droit comparé n’est donc plus seulement orienté vers la connaissance des droits étrangers ou vers leur unification par voie de conventions internationales. Il a également pour mission de révéler l’existence de ces autres sources de droit, qui ne constituent pas encore du droit positif, voire de leur conférer une fonction normative. C’est là qu’entrent en jeu les droits fondamentaux28 [...].
22Dès lors qu’ils entrent en jeu, qu’ils deviennent du droit positif, et en particulier qu’ils sont énoncés dans la jurisprudence, ils seraient à même de révéler ce dénominateur commun, qu’une recherche de droit comparé permet de confirmer :
[L’affirmation de la nécessité du droit comparé pour une meilleure connaissance du droit] implique que les droits que l’on compare sont à la fois différents et identiques ; [...] identiques en ce qu’ils sont, chacun pour leur part, de vrais droits, et qu’ils présentent tous de façon égale cette nature authentiquement juridique. Le comparatisme suppose donc que ces entités comparées correspondent à de vrais droits par rapport à une certaine représentation du droit, assez unitaire pour servir de critère à la détermination de leur qualité essentiellement juridique29.
23[14] L’autre, au contraire, traduit la volonté de ne pas imposer de devoir-être, mais de décrire, autant que possible, l’ être des systèmes juridiques en présence. Tel qu’il est porté notamment par O. Pfersmann, ce discours se présente lui-même comme scientifique et, par conséquent, descriptif, mais concret :
La problématique du droit comparé ne se nourrit pas en tant que telle de la diversité des ordres juridiques et de leur description scientifique abstraite, mais de la nécessité de formuler concrètement ces descriptions. Cette exigence produit des « interprétations conceptuelles différenciées » et conditionne une description objective des droits nationaux30.
24De sorte que les droits fondamentaux sont un objet de recherche du droit comparé, qui nécessite la reconstitution objective de leurs contextes respectifs, notamment linguistiques. Enfin, le droit comparé sera
la discipline qui permet de décrire les structures de n’importe quel système juridique à l’aide de concepts généraux présentant la finesse nécessaire et suffisante31.
25Autant dire qu’il tend à se confondre avec une théorie générale du droit, telle que Kelsen la définit : une théorie « pure », c’est-à-dire « une théorie du droit positif en général, sans autre spécification32 ». En vertu d’un tel discours, les droits fondamentaux apparaissent comme un concept permettant de décrire la structure d’un système juridique particulier – et notamment le système allemand ou le système français, mais pas le système anglais, auquel le concept de human rights serait plus adapté et devrait, dès lors être distingué de celui de fundamental rights, ou plus exactement de ceux de Grundrechte et de droits fondamentaux33. On pourrait à la rigueur appréhender les droits fondamentaux en tant que concept général apte à décrire un système juridique révélé par le droit comparé, comme l’un des fondements d’une éventuelle théorie générale du droit, mais pas comme un fondement du droit34.
26[15] Nous reconnaissons ici deux types de discours opposés, mais dont il apparaît en tout état de cause qu’ils amènent à interroger le droit sur un plan théorique35. En effet, le droit comparé étant, d’une part, conçu comme un moyen de révéler les droits fondamentaux en tant qu’élément commun potentiellement fondateur du droit, et, d’autre part, comme un moyen de théoriser le droit à partir, notamment, d’un concept de droits fondamentaux, il est utilisé, dans les deux cas, pour tenter de résorber un malentendu consubstantiel à l’existence de systèmes juridiques situés. Le recours à la théorie du droit, pour essayer de faire face à la difficulté découlant de la différence des systèmes, s’est imposé progressivement, comme pour synthétiser l’ensemble des constats effectués à l’occasion des travaux préparatoires comparés. De sorte que la théorie du droit a présenté un attrait croissant, comme méthode de traitement de la difficulté résultant de la coexistence de deux systèmes si différents, usant pourtant tous deux d’un concept de droits fondamentaux, certes indéterminé, mais dont la majorité des écrits qui y sont consacrés évoquent la vertu universelle36.
B. L’attraction de la théorie : le « travail37 » du malentendu
27[16] Ici le « travail » du malentendu peut s’interpréter comme l’élaboration théorique qu’il est possible de réaliser à partir du malentendu. Elle peut déboucher sur un nouveau malentendu – redéfini –, voire plusieurs autres, ou constituer une théorie du malentendu comme mode de communication, par définition imparfaite, mais néanmoins concrète et effective38. Dans les deux cas le propos se veut théorique quand bien même il prétend avoir des implications pratiques.
28Ainsi, le malentendu sur les droits fondamentaux comme expression a pu susciter l’émergence de réflexions théoriques tous azimuts (1), mais également, la nécessité d’envisager un renouvellement du discours théorique juridique à leur sujet (2).
1. Le malentendu sur les droits fondamentaux, source de réflexions théoriques pluridisciplinaires
29[17] En vertu des discours doctrinaux sur les droits fondamentaux élaborés dans le champ du droit comparé, l’attrait pour la théorie du droit est né de la question entêtante du lien entre droits fondamentaux et fondement du droit ; un lien d’abord intuitif, puis suggéré par une partie de ces discours eux-mêmes. Comme une équation insoluble, deux termes semblent se tenir en respect : d’une part, les droits fondamentaux, au sujet desquels le malentendu perdure à la fois en droit positif interne et en droit comparé franco-anglais – comme on l’a vu – et, d’autre part, le fondement du droit, au sujet duquel un malentendu existe aussi, mais sur un plan théorique mettant en jeu des conceptions du droit différentes.
30[18] Si les discours doctrinaux français portant sur cet objet font un usage plus homogène des droits fondamentaux, au moins formellement, pour élaborer une réflexion ouvrant souvent sur l’idée d’un fondement du droit – que ce soit sous la forme explicite du droit naturel ou de fondements nommés, telle la justice par exemple –, les discours issus de la tradition de common law sont apparus plus divers et surtout moins systématiques et explicites, quant au lien que les droits fondamentaux entretiendraient avec l’idée d’un fondement du droit.
31[19] Ainsi, d’une étude sur le contenu des droits fondamentaux que les systèmes juridiques comparés français et anglais auraient révélé, nous avons glissé progressivement vers une réflexion sur l’articulation des droits fondamentaux et du fondement du droit.
32Elle nous a paru intéressante d’un point de vue technique d’abord, puisqu’elle fournit une raison pour ne pas résoudre la question du contenu des droits fondamentaux, une justification a posteriori. Ce choix nous éloigne alors de la seconde conception d’une définition en droit : l’attention portée à la chose. D’un point de vue principalement théorique ensuite, elle révèle un atout puisqu’elle permet d’analyser la raison pour laquelle nous résistons à la question du contenu des droits fondamentaux. Ce choix nous permet de retenir une conception des droits fondamentaux axée sur leur fonction institutionnelle et normative. Nous nous éloignons des théories selon lesquelles les droits fondamentaux ne sont abordés qu’en tant que fondement substantiel du droit, et qui ainsi, ne s’attachent qu’à la substance des droits fondamentaux.
33[20] En France, il est souvent question, à propos des droits fondamentaux, d’un phénomène d’émergence39, que les discours doctrinaux appréhendent non seulement à travers l’irruption du mot – que l’on perçoit prima facie – dans des textes juridiques ; mais aussi à travers la manifestation de volonté de leurs auteurs.
34Dans toutes les branches du droit, des études ont été consacrées au phénomène d’émergence des droits fondamentaux40. Un consensus se dégage sur l’existence de l’expression, mais pas sur l’originalité du phénomène. On constate en effet que les auteurs s’accordent à affirmer que le mot est de plus en plus couramment utilisé pour désigner les droits et libertés de la personne. Mais les auteurs divergent quant à ce que pourrait recouvrir cette expression. Est-elle l’autre nom des droits de l’homme ou le nom d’une nouvelle catégorie juridique41 ? La plupart des auteurs penchent pour la première hypothèse, à défaut d’avoir pu démontrer que les droits fondamentaux se distinguent catégoriquement des droits de l’homme. On relève en effet que le nom des droits fondamentaux désigne généralement les anciens et les nouveaux droits de l’homme, c’est-à-dire ceux qui sont inscrits dans les déclarations révolutionnaires et autres textes aujourd’hui constitutionnalisés42, puis ceux qui apparaissent progressivement au fil des lois43 et de la jurisprudence44. La juridicisation des droits fondamentaux ne pose pas plus de difficultés que la juridicisation des droits de l’homme. Elle s’est produite par voie de reconnaissance et d’affirmation par les autorités qui étaient habilitées pour le faire, du constituant au juge en passant par le législateur. La doctrine accompagne ce processus de juridicisation. Il existe plus de débats au sujet du rang hiérarchique normatif auquel est reconnu le droit en question, que concernant le caractère juridique ou non du droit en question45.
35Est-ce pour autant si évident, au vu du discours doctrinal relatif à la question de la définition des droits fondamentaux ? Ces remarques conduisent à affirmer que le maniement de l’expression des droits fondamentaux engendre apparemment plus de désaccord sur la hiérarchie des normes que sur leur normativité 46. La thématique principale des droits fondamentaux serait donc celle de la supraconstitutionnalité ou de la supralégalité, plutôt que celle de la légalité lato sensu47. Il semblerait que rien de neuf n’émerge par rapport aux droits de l’homme. Et pourtant, le recours remarqué à cette expression ne pourrait pas être insignifiant.
36[21] Dans les espaces nationaux les plus proches de la culture juridique française, on est en effet plus habitué à lire ce mot dans les textes juridiques, législatifs, juridictionnels ou doctrinaux ; c’est le cas en Allemagne et en général dans tous les États dont les constitutions ont été rédigées après et en fonction de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a donc pas de phénomène d’émergence en tant que tel, mais plutôt un phénomène de théorisation continue48. Ce développement en droit positif et en théorie juridique est beaucoup plus limité dans les États de common law, comme nous l’avons signalé49.
37[22] Dans les espaces non nationaux, la question des droits fondamentaux se pose aussi, mais ne témoigne pas d’un phénomène d’émergence. En effet, ces espaces non nationaux se déterminent par des ordres normatifs fondés soit exclusivement sur des textes internationaux, soit sur ces mêmes textes tels qu’interprétés par une juridiction internationale créée à cet effet50. Dans la mesure où ces espaces sont historiquement situés à la suite et en réaction aux conséquences des guerres mondiales, ils sont le plus souvent porteurs d’une idéologie universaliste et politiquement investis d’une vocation de protection directe des individus51. Ils mettent donc en œuvre des outils juridiques de protection qui intègrent, largement et indifféremment, les droits de l’homme et libertés fondamentales, ainsi que les droits fondamentaux. Manifestant ainsi le syncrétisme de mise en droit international, les réflexions qui ont cours dans son champ à propos des droits ne distinguent pas les droits de l’homme des droits fondamentaux. Les termes employés sont ceux que les textes internationaux contiennent. Et l’on constate que l’expression « droits de l’homme » est plus courante52. Quant à la jurisprudence des juges chargés de la protection internationale des droits de l’homme53, elle se préoccupe de l’application des textes internationaux de protection des droits de l’homme et a recours à l’expression de droit fondamental lorsqu’il s’agit de concilier deux droits contenus dans deux textes invoqués au cours d’un cas qui les oppose. Il s’agit par là d’affirmer le caractère prééminent d’un droit par rapport à un autre ou, simplement, d’en reconnaître l’existence, à l’occasion d’une situation juridique donnée54.
38Le recours à l’expression « droits fondamentaux » reflète alors aussi ce contexte universaliste et, par définition, internationaliste, des organisations intergouvernementales. Dans ce contexte, l’adjectif « fondamental » signale la désétatisation de l’environnement juridique. Un droit est dit « fondamental » parce qu’il ne s’attache pas à l’individu, en tant que ressortissant d’un État, mais en tant qu’être humain. On perçoit alors, avec une sorte d’évidence, la dimension humaniste de la référence à des droits fondamentaux de l’homme appréhendés hors de toute attache étatique potentiellement oppressive. Mais ce type de rattachement à une catégorie universalisante qui pourrait bien aussi s’appeler « humanité » n’est pas sans créer des malentendus qui dépassent largement le cadre de la réflexion juridique55.
39[23] C’est en effet à ce genre d’interprétation humaniste que conduisent les textes sans vocation juridique, mais néanmoins consacrés aux droits de l’homme ou aux droits fondamentaux. Le rattachement de ces droits étant considéré comme identique et universel, l’usage de ces deux expressions est indifférent. Mais cela ne veut pas dire que les auteurs n’y prêtent pas attention. Ils créent même des concepts importants dans leurs champs d’activités respectifs et les appellations ainsi créées ne sont bien évidemment jamais neutres. Les réflexions philosophiques d’Arendt sur la liberté et les droits de l’homme56, ainsi que les réponses plus ou moins directes57 qu’elles ont provoquées, sont à l’origine d’une interprétation possible de l’ajout du mot « fondamental » dans un contexte international tout juste postérieur à la Seconde Guerre mondiale. En l’occurrence, les auteurs de cette époque ont insisté sur des thématiques humanistes sur le plan philosophique qui ont entraîné, dans le champ de la théorie politique, un renouvellement du débat sur l’État-nation et l’identité nationale, sur le contrat social, la justice et les communautés culturelles. Le courant personnaliste58, la théorie de l’éthique communicationnelle59 et l’éthique de la responsabilité60, ont dès lors reçu respectivement un écho considérable dans le champ de la philosophie politique. Hors de la sphère juridique, le débat a donc été largement renouvelé. Il était prévisible que ces changements se répercutent sur la sphère juridique61. C’est à l’occasion du traitement du phénomène juridique62 par des spécialistes d’autres disciplines que s’est dessiné le rapport nouveau existant entre le droit et ses sujets. L’apparition de la sociologie juridique et de toutes les « sciences humaines appliquées au droit » est le signe d’une modification du rapport au droit63 lui-même, c’est-à-dire une évolution du phénomène juridique et de la normativité.
40[24] Le détour par les autres disciplines permet de réaliser, en définitive, que les droits fondamentaux deviennent, dans les écrits philosophiques et théoriques sur le droit, un élément de la définition juridique de l’État, en particulier, de l’État de droit64, et plus généralement du phénomène juridique. Ce glissement a lieu à la faveur de cette appellation récente qui a pour effet de révéler la fonction des droits de l’homme dans l’ordre juridique post-révolutionnaire : si les droits de l’homme deviennent insensiblement des droits fondamentaux, c’est parce qu’ils servent à fonder l’ordre juridique. Dès lors, le glissement de l’idée de droits fondamentaux vers l’idée de fondement du droit se produit. Et il devient possible de choisir de traiter de cette idée comme d’un élément qui, en amont de la notion de droit fondamental, fournit un éclairage particulier sur le droit. Le rapport qui existe entre droits fondamentaux et fondement du droit apparaît ainsi comme un rapport de référence : les droits fondamentaux font référence au fondement du droit. Dans ce contexte, le fondement devient un angle spécifique et avantageux par lequel aborder les rapports juridiques. On peut alors évoquer l’idée de fondement du droit, non plus seulement les droits fondamentaux, comme objet de discours théoriques et comme objet de recherche théorique65.
2. Le malentendu sur les droits fondamentaux constitutif d’un discours théorique juridique renouvelé
41[25] L’attrait pour la théorie du droit s’est aussi manifesté par la prise de conscience de la pertinence combinée des droits fondamentaux et du droit comparé en matière de théorie juridique générale ; les droits fondamentaux, d’un côté, parce qu’ils semblent, selon certains discours, mener « naturellement » à une réflexion fondamentale sur le droit, et le droit comparé, de l’autre, parce qu’il semble, en tant que méthode, ouvrir sur la possibilité d’une théorie générale du droit, au sens kelsenien du terme.
42[26] Issu d’une volonté de modernisation formelle ou d’un emploi événementiel de l’expression, le recours aux droits fondamentaux témoigne d’un renouvellement des termes du débat sur le droit.
43[27] En effet, il apparaît, d’un point de vue théorique, que le discours relatif aux droits fondamentaux exploite en réalité la thématique de la juridicité elle-même. Cela est particulièrement explicite lorsque les auteurs tentent de répondre à la question de savoir si les droits fondamentaux sont ou non une catégorie juridique ou une notion juridique. Mais plus encore, on s’aperçoit que les développements qui touchent aux droits fondamentaux, ceux qui portent directement sur eux en tant que notion ou sur des notions connexes tout aussi « émergentes » – les notions de dignité ou de personne humaine –, reviennent à des questionnements et des énonciations portant sur le fondement du droit et donc sur la juridicité. C’est même à l’occasion de réflexions sur les droits fondamentaux qu’a été créé le concept de fondamentalité dont l’effet est de raviver le débat sur la structure même du droit et de l’obligation66.
44La question de la dignité de la personne humaine occupe une partie importante des controverses liées aux droits fondamentaux et au fondement du droit. Flle se pose même en France comme un débat doctrinal par excellence67. Cette thématique est abordée dans la présente thèse, non pas dans le cadre d’une interrogation axiologique, mais à titre d’élément du débat doctrinal relatif au fondement du droit68. Plus précisément, la dignité présente l’originalité de concurrencer directement les droits fondamentaux et de susciter éventuellement une lutte d’influence qui se répercute parmi les auteurs. C’est donc une illustration possible du malentendu sous-jacent et potentiel en matière de « ce qui fonde ». C’est aussi en général l’illustration de l’enjeu fondateur d’une notion dont la juridicité est en question. De sorte qu’il semblerait qu’à l’instar de l’interrogation sur le caractère juridique du fondement du droit – le fondement du droit est-il du droit ? –, les droits fondamentaux comme la dignité posent un problème juridique, si tant est qu’on leur prête un rôle fondateur. Le débat prend une dimension théorique en ce que, via l’interrogation sur le caractère juridique et normatif d’une notion à vocation fondamentale (ou fondatrice), il questionne en réalité le principe de juridicité du système que cette notion est censée fonder.
45[28] Cet exemple a permis de révéler l’intérêt théorique du thème des droits fondamentaux et du fondement du droit. Il trouve bien sûr son origine dans l’inconfort de la définition des termes (le malentendu originel) ; et il connaît un développement fructueux en tant qu’il sollicite un questionnement de type réflexif. L’intérêt théorique de ce thème est de provoquer un questionnement sur la façon dont un objet est saisi par des juristes, plutôt que par le droit. Il correspond à notre parti pris : le mot plutôt que la chose. Bien plus qu’une réflexion sur la substance des notions dites fondamentales en cause (dignité ou droits fondamentaux), il s’agit notamment d’une réflexion sur le rôle de la doctrine juridique en matière de fondement : une réflexion de type épistémologique.
46Pour en revenir à l’expression « droits fondamentaux », qui constitue la porte d’entrée de ce questionnement, cette orientation théorique présente l’avantage de mieux faire comprendre la fonction de l’usage de l’expression dans le paysage de la théorie du droit en général. Ainsi, dans une perspective plus large, cette option conduit à élaborer une théorie du regard porté sur l’objet.
47[29] On ne trouvera donc pas dans cette thèse de définition substantielle et normative du fondement du droit. On prétendra ne décrire que les conséquences éventuelles, institutionnelles notamment, d’une telle entreprise de définition dans les discours théoriques, lorsqu’elle existe, que celle-ci soit voulue ou non, assumée expressément ou non69. Les différences de traitement des droits fondamentaux et du fondement du droit par les juristes-théoriciens, lorsqu’elles sont suivies d’effets au plan institutionnel, constituent un sujet d’investigation en ce que ces constats sont susceptibles de remettre en cause les postulats théoriques liés à ces discours. Quel que soit le type de traitement adopté – même une absence apparente de traitement –, nous verrons que le juriste qui émet un discours théorique sur le fondement du droit s’implique nécessairement dans le mécanisme de production normative ; que dès lors, la volonté affichée d’être hors du jeu de la prescription normative est une illusion, a fortiori lorsque le discours aborde, malgré toutes les précautions imaginables, le fondement du droit. Autrement dit, tout acteur juridique est potentiellement animateur d’un débat à visée normative.
48D’un point de vue constitutionnel, on peut déduire de cette situation que les fonctions institutionnelles de production des normes juridiques, telles qu’elles sont distribuées par une constitution, sont court-circuitées de toute part. C’est vrai pour un juriste-juge dans le cas où il se passe de la norme posée par le législateur (entendu largement), soit qu’il y soit forcé parce qu’elle n’existe pas formellement, soit qu’il l’ignore pour en préférer une autre qu’il crée, afin de produire lui-même un fondement sur lequel il appuie l’autre norme positive qu’est son jugement70. Cette situation rappelle celle du juriste-théoricien dans le cas où celui-ci se passe de toutes normes posées – que ce soit un texte de loi, un jugement ou même un principe jurisprudentiel – pour élaborer une norme jusqu’alors inexistante. Il faut toutefois rappeler qu’une telle norme ne devient du droit positif que lorsqu’elle est reprise par les organes habilités : législateur ou juges. Toutefois, la norme positive aura été obtenue sous l’influence directe des recommandations et raisonnements de ce qu’on appelle en France la doctrine71. Ces mécanismes de production normative renvoient à l’articulation entre droits fondamentaux et fondement du droit. Ces deux éléments demeurent en effet un terrain propice à l’intervention normative, doctrinale ou autre, puisqu’ils sont affectés d’une juridicité interne. Ainsi, lorsqu’elle touche à la question du fondement du droit en particulier, la doctrine, et plus largement les juristes-théoriciens, se lancent à la conquête d’un pouvoir normatif qui, formellement et a priori, ne leur est pas attribué. C’est pourquoi une interrogation sur les droits fondamentaux et le fondement du droit, et notamment sur la signification juridique d’une notion ayant vocation à fonder le droit, comporte un enjeu théorique général.
49[30] Progressivement, il apparaît que le thème des droits fondamentaux et du fondement du droit conduit à mettre en cause le cadre de la théorie du droit lui-même, qui, s’il impose des repères nécessaires au plan théorique, ne reflète pas la réalité pratique des discours théoriques. Comme nous l’avons évoqué plus haut, l’aspect irrésistible de la prescription normative pratique conduit à interroger le sens des distinctions entre juspositivisme et jusnaturalisme. C’est presque à une pragmatique du discours doctrinal que procède cette thèse72. Il faut simplement prévenir que cette thèse, en appliquant aux discours théoriques relatifs aux droits fondamentaux et/ou au fondement du droit une distinction théorique principale (celle qui distingue jusnaturalistes et juspositivistes), entreprend de la remettre en cause. Si elle parvient à démontrer que les critères de cette distinction tels qu’énoncés par les auteurs eux-mêmes ne fonctionnent pas, elle aura commencé à expliquer un élément du fonctionnement du fondement du droit et de sa signification juridique. Cette démonstration est pratiquement réalisée, dès lors que l’on aboutit à la conclusion selon laquelle tout juriste-théoricien qui émet une opinion sur le fondement du droit énonce une théorie jusnaturaliste. Plus exactement, on dira qu’il énonce alors une théorie juridique non positiviste73. Et si tous les discours théoriques manifestent une tendance non positiviste alors l’intérêt de la bipolarisation tombe.
50[31] Une conclusion aussi définitive ne convient pas pour autant à ce travail ni à notre propre posture qui reconnaissent l’intérêt de cette bipolarisation, et qui même, conceptuellement et théoriquement, en dépendent. Le schéma bipolaire structure cette recherche, quand bien même elle conclut à son impuissance à catégoriser les discours théoriques relatifs au fondement du droit. Cette armature permet de critiquer un certain nombre de discours théoriques et met donc au jour les ressorts argumentatifs des uns et des autres quant au fondement du droit. Elle aura donc été utile à la description du « rapport au droit » des juristes-théoriciens74.
51On le voit, notre posture théorique n’est pas sans ambiguïté elle non plus. Tout en prétendant décrire un « rapport au droit » que l’on pressent prescriptif, on ne peut garantir que l’interprétation à laquelle nous nous livrons ne sera pas prescriptive. Du moins sera-t-elle distante de l’objet observé : les droits fondamentaux et le fondement du droit75. En effet, si cette thèse s’inscrit dans la perspective du droit positif, ce n’est que de façon indirecte : au travers de la description du raisonnement juridique des auteurs quant au fondement du droit. En affirmant cela, nous prenons position pour la dimension normative du raisonnement juridique, c’est-à-dire que nous considérons que le raisonnement juridique en lui-même, parce qu’il confine son auteur dans des choix de type normatif, constitue la première étape de la positivisation du droit, autrement dit, la première étape du processus de juridicisation. Plus qu’une réflexion sur le contenu du droit positif, cette thèse propose une réflexion sur son étendue et ses procédés de création. Dans cette perspective, nous adoptons une conception élargie du droit positif. Cette option théorique fait de l’interprétation un acte juridique déterminant. À une vision du droit posé réduit au droit édicté, se substitue une vision du droit posé assimilé au droit interprété. L’acte d’interprétation est potentiellement celui de plusieurs auteurs. En droit positif, on considère fréquemment que seules des autorités juridiquement habilitées sont à l’origine des normes et de leur application. Sans nier qu’une portée juridique distincte est attachée à l’interprétation de ces autorités, nous envisageons cependant l’ensemble des discours, y compris théoriques, comme révélant un processus de production du droit positif.
52[32] Pour résumer notre positionnement en fonction du cadre théorique imposé, de façon quelque peu triviale et provocatrice, nous pourrions dire que nous sommes « jusnaturaliste comme tout le monde », mais que nous tendons vers un juspositivisme, conçu comme l’utopie de la théorie du droit76. En cela nous serions « positiviste vu par Bobbio », au sens où nous optons pour un positivisme qui ne se rapporte ni à son identité scientifique, ni à son identité idéologique, mais à son identité théorique selon laquelle
[Le droit est considéré] de façon purement instrumentale [...], ce qui caractérise le droit n’est pas la nature de la matière régulée, mais l’ensemble des précédents par lesquels un certain nombre de comportements humains peut être réglé et protégé contre la violation77.
53Ce qu’en dit M. Troper, permet encore mieux de situer notre option qui s’efforce d’être positiviste :
Il y a [...] un thème commun, bien qu’il soit compris de bien des manières, celui de la séparation du droit et de la morale. Cette thèse ne signifie pas, comme on le croit parfois, que le contenu du droit serait moralement neutre. Une telle idée est rejetée par le positivisme, qui souligne au contraire que les normes juridiques expriment les préférences morales de leurs auteurs. La séparation signifie seulement que le concept de droit ne peut être défini par la référence à la morale, mais seulement par l’autorité de celui qui l’énonce ou par son efficacité. La question de savoir si une norme ou un ordre normatif sont du droit dépend ainsi de critères dont la nature est amorale : peu importe qu’ils soient ou non conformes à la morale ou à un idéal de justice78.
§ ii. les solutions du malentendu : une polysémie constructive
54[33] Nous avons convenu plus haut de l’importance de la clarification au sujet des deux conceptions d’une définition. Ce souci de clarification indique que nous avons opté pour la première conception : l’attention portée au mot plutôt qu’à la chose. En effet, notre démarche tient compte des conditions de naissance de cette thèse. Nous envisageons donc de prêter une attention particulière à ce que nous faisions lorsque nous employions l’expression « droits fondamentaux » avant de réaliser cette étude. Dans un premier temps et comme un automatisme, nous avons associé les droits fondamentaux au fondement du droit. Nous étions alors dans la perspective substantielle de la seconde option : nous envisagions de répondre à la question de savoir ce que sont les droits fondamentaux. Nous privilégions alors la chose. Cette perspective conduisait à une sorte de mission impossible, à moins d’assumer un discours visant à « remplir » le vocable « droits fondamentaux » d’une signification pourtant reconnue comme indéterminée. Un tel discours est nécessairement de type prescriptif, puisque la détermination de cette signification ne peut résulter que d’une volonté. Or, dans un cadre positiviste, cette volonté doit être celle d’une autorité juridiquement habilitée à le faire (un législateur ou un juge). Un tel discours émis sans habilitation, pose la question de son efficacité, d’un point de vue juridique, et de sa légitimité, d’un point de vue politique. On constate néanmoins que ce type de discours existe79. Il donne même l’impression, en France notamment, d’être l’approche majoritaire en matière de droits fondamentaux.
55Il est donc envisageable de mener une recherche sur les raisons de cette première impression, susceptible d’ailleurs de mener à sa relativisation. Quels que soient les résultats de cette recherche, la démarche consistant à s’interroger sur les ressorts d’un discours, ses causes et ses conséquences, relève plutôt de la première conception. Il s’agit en effet, de découvrir la fonction d’une expression dans un cadre juridique. En vertu de notre distinction initiale, il s’agit plus ici de s’intéresser au mot.
56[34] Par conséquent, la méthodologie employée pour cette recherche doit viser à une critique des cloisonnements auxquels les discours théoriques juridiques conduisent. Notre démarche tente de résister à un enfermement dans une école de pensée ou une discipline de prédilection.
57Pour autant, il a bien fallu recourir à certaines lignes directrices dont, eu égard à ce que nous avons dit précédemment, nous ne revendiquerons pas ici l’objectivité des procédés de fabrication : les concepts et leurs liens logiques.
58[35] Décrire une méthodologie de recherche revient à évoquer les méthodes auxquelles elle emprunte ou dont elle rejette des éléments. Si la science du droit n’a pour objet que les normes juridiques80, alors la recherche qui porte sur un objet réflexif par définition – des discours théoriques –, ne ressort pas « purement » de la science du droit. En effet, l’objet, que nous avons à titre introductif associé à l’idée du malentendu, est affecté d’une double instabilité du point de vue de la théorie du droit. Elle est due en premier lieu à l’incertitude de la normativité de l’objet sur lequel portent les discours – les droits fondamentaux et, par voie de conséquence ou par défaut, le fondement du droit –, et, en second lieu, à l’incertitude du statut de ces discours – prescriptif ou descriptif. Elle appelle alors des solutions qui se résument à deux choix ; d une part, le choix méthodologique de la distanciation (A), et d’autre part, le choix d’hypothèses correspondantes, qui rendent compte de la teneur des discours examinés (B).
A. Le choix de la distanciation
59[36] Comme en droit comparé, la distanciation semble toujours la précaution indispensable à un effort théorique. Le travail sur les discours théoriques relatifs au fondement du droit devrait pouvoir satisfaire cette condition (1). Mais les incertitudes qui caractérisent le thème de la recherche imposent de recourir à des outils plus traditionnels qui ont le mérite d’ôter un peu de la complexité annoncée (2).
1. Un matériau discursif irréductible
60[37] D’un point de vue méthodologique, la recherche s’est développée en deux temps. Elle a d’abord consisté en un repérage de la présence ou de l’absence de référence aux droits fondamentaux dans des textes censés représenter la théorie du droit assumée par l’auteur des discours en question. Elle a ensuite entrepris une analyse cherchant à dégager de ces discours la « façon » dont les auteurs conçoivent le fondement du droit. Il est apparu en cours de route que cette conception propre à chaque auteur révélait de façon plus profonde un certain « rapport au droit » de chaque auteur, nous amenant à reconnaître cette dimension subjective irréductible, déjà mentionnée. Dès lors, notre recherche relève plus particulièrement d’une épistémologie que d’une théorie du droit ; en ce qu’elle propose de s’intéresser plus spécifiquement au « rapport » que certains auteurs, plus ou moins emblématiques, entretiennent avec l’idée d’un fondement du droit et plus généralement avec le droit lui-même.
61[38] Comme on l’a vu, la méthode employée se rapproche plus de l’analyse de discours, que de l’analyse juridique d’un objet déterminé ; même s’il n’est pas possible de s’abstraire complètement d’une certaine conception de l’objet lui-même avant même d’en aborder le traitement par les auteurs des discours théoriques et doctrinaux. Toutefois, la particularité de la méthode de l’analyse de discours est justement d’éloigner le plus possible l’objet, de le « médiatiser » en quelque sorte. En effet, ce type d’analyse consiste d’abord à postuler le caractère discursif de l’objet lui-même et de ne le considérer a priori que de cette manière. De sorte qu’à titre de postulat méthodologique, le fondement du droit est en lui-même un discours et rien d’autre. Et les droits fondamentaux sont présumés faire partie de ce discours. Il s’agit d’un parti pris méthodologique qui explique pourquoi l’on envisage de ne saisir l’objet qu’au travers de ce qu’en disent des juristes-théoriciens.
62Appréhender ainsi le fondement du droit comme discours juridique théorique peut présenter le risque de l’erreur de perspective. Cela peut donner l’illusion que le fondement du droit est a priori et nécessairement un élément juridique, quand bien même aucune précision n’a été livrée quant à ses modalités d’édiction : autorité compétente, appellation juridique, portée juridique. C’est pourquoi il est important d’insister sur le principe d’une approche discursive, qui implique la nécessaire distanciation de celui qui analyse le discours. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’un auteur de la doctrine lie les droits fondamentaux au fondement du droit et en déduit le caractère normatif et fondateur, que ce lien existe dans la réalité juridique et normative. En revanche, le fait discursif, lui, existe ; mais sa signification juridique et normative n’est qu’éventuelle : elle reste à prouver. Ce n’est que dans cette mesure que le recours aux droits fondamentaux, comme indice discursif, devant servir de point d’accroche à une analyse du traitement du fondement du droit par des juristes-théoriciens, ne risque pas de faire du lien ainsi suggéré, entre droits fondamentaux et fondement du droit, un lien normatif. Nous ne répondons pas a priori, ni personnellement, à la question de savoir si les droits fondamentaux constituent juridiquement le fondement du droit. Au contraire, le lien ainsi présumé étant seulement de nature discursive, il n’emporte pas de conséquence d’un point de vue juridique normatif ; autant dire qu’ il n’existe pas nécessairement de ce point de vue.
63Inversement, l’absence de référence aux droits fondamentaux ou au fondement du droit ou aux deux dans un discours théorique, ne signifie pas l’absence de portée normative dans la réalité juridique et normative. En revanche, cette absence, elle, existe et est significative, en vertu du contexte discursif théorique dans lequel elle s’inscrit.
64[39] La seule possibilité de cette alternative annonce la probabilité d’une pensée différenciée du fondement du droit chez les auteurs, qu’il convient d’analyser dans tous les cas. Ainsi, la capacité de promouvoir un discours, quel qu’il soit, relatif au fondement du droit devient matière à analyse. Et bien sûr la façon dont ce discours est articulé fournit les indications nécessaires au développement de conclusions sur des choix différenciés et adoptés par les auteurs de ces discours. Cette façon détermine le rapport au droit de ces auteurs81.
65[40] Malgré tout, il demeure difficile de rattacher strictement cette recherche à la méthode de l’analyse de discours, en raison de l’objet. En effet, comme il a été précisé plus haut, l’idée de fondement se caractérise par sa fluidité : un fondement n’est pas toujours énoncé et lorsqu’il l’est, son contenu n’est pas toujours saisissable dans le cadre du discours analysé. L’idée selon laquelle le fondement pourrait être saisissable correspond, par analogie, à une opération de qualification par laquelle l’auteur rattacherait le fondement à une catégorie (une norme, un fait social, une croyance, etc.).
66Dans ces conditions, le matériau discursif n’est sûrement pas le résultat d’un choix incontestable. Il a même dû être déterminé à l’inverse des « canons » scientifiques, selon lesquels, nous aurions dû rigoureusement relever la présence de termes préfixes et en analyser systématiquement la signification et la portée. Mais dès lors que nous avons précisément rejeté cette méthode, notamment à la suite de ce que des études de droit comparé nous ont appris, nous avons jugé bon de ne pas exclure de l’analyse les discours qui, apparemment, d’un point de vue terminologique, ne conçoivent ni droits fondamentaux, ni fondement du droit. Ce choix métathéorique très « inclusif » rend certes difficile la définition de tout « objet » – partir de l’objet perd de l’intérêt –, mais rend possible l’analyse de l’absence ou du silence d’un discours – on doit envisager de partir des discours eux-mêmes.
67[41] Une autre difficulté tient à la situation de ces discours dans le paysage théorique juridique. Il n’est pas toujours possible de dire qu’un discours néanmoins significatif est un discours théorique. Il est bien souvent tout au plus doctrinal. Mais ce qualificatif a lui-même une signification qui dépend de la culture juridique dans laquelle il est employé. On verra que la doctrine française n’a pas exactement le même rôle que la doctrine anglo-saxonne, en raison des différences statutaires des auteurs eux-mêmes82. Et même si cette thèse peut faire croire qu’il existe effectivement une sorte de « globalisation de la théorie juridique », au sens où les discussions théoriques voyagent et produisent des effets ici et là, il reste que leur réception est de toute façon soumise au filtre de l’organisation institutionnelle des discours théoriques, en tant qu’ils dépendent du statut professionnel – et parfois même symbolique – respectif de leurs auteurs.
68Par ailleurs, il peut être malaisé de synthétiser la pensée d’un auteur et d’en déduire une posture définitive ; que cet auteur refuse consciemment de se laisser enfermer dans un champ de la théorie du droit83 ou tout simplement qu’il évolue au cours du temps selon une trajectoire transversale qui le mène d’un bout à l’autre de l’éventail théorique. Dans ce cas, son discours lui-même est mouvant et se révèle tout aussi insaisissable que l’objet qu’il aurait éventuellement pour but de décrire.
69[42] En conséquence, nous avons procédé avec un certain déterminisme. Nous avons fait le choix de ne pas ignorer notre propre subjectivité – vaine tentative dans tous les cas. Et nous avons « organisé » un dialogue à partir de discours, dont certains proviennent d’auteurs généralement reconnus comme influents du point de vue de la théorie du droit84, sans nous arrêter à l’inclusion des termes droits fondamentaux ou fondement du droit. Nous avons même parfois préféré nous en tenir à des textes qui n’évoquent pas par exemple explicitement les droits fondamentaux, mais qui livrent la théorie du droit élaborée par l’auteur ; alors que d’autres textes de ce même auteur, moins significatifs du point de vue de la théorie du droit, contiennent le terme droits fondamentaux85.
70[43] Par ailleurs, et peut-être paradoxalement, nous avons choisi de commencer par présenter les discours qui semblaient le plus indifférents aux droits fondamentaux tels qu’ils seraient rattachés au fondement du droit. Ce mode de traitement du fondement du droit nous est apparu d’abord contre-intuitif86. L’examiner dans un premier temps permet de faire « répondre », de façon certes artificielle, des auteurs qui adoptent un mode de traitement opposé, mais apparemment majoritaire. Ceci explique que des auteurs « intervenant » à titre principal dans la première partie, se retrouvent « interpellés » dans la seconde et réciproquement.
71[44] De plus, cette organisation présente l’avantage de réintroduire une distinction plus familière à la théorie du droit, puisqu’il est apparu que, grosso modo, les modalités de traitement des droits fondamentaux les plus discrètes correspondaient à des discours dits positivistes, et les autres, à des discours de tendance plutôt jusnaturaliste ; quel que soit par ailleurs le caractère souvent – et seulement – schématique de la distinction.
72C’est pourquoi il convient maintenant d’expliquer notre choix de recourir à la distinction traditionnelle.
2. La pertinence de la distinction traditionnelle entre juspositivisme et jusnaturalisme
73[45] Le recours à la distinction entre discours théoriques juspositivistes et jusnaturalistes a plusieurs causes.
74[46] Il s’agit d’abord d’une cause empirique, puisque c’est à partir de l’observation des discours qu’il est apparu que cette distinction pouvait être utile. En effet, à la suite d’une première observation, il est ressorti que les discours nécessairement les plus visibles pour nous, puisqu’explicites au sujet des droits fondamentaux, étaient marqués par une tendance jusnaturaliste. Pour vérifier cette première impression, il fallait rechercher dans des discours à tonalité positiviste ce qu’il en était du traitement de ce même objet. Et c’est alors que s’est manifesté un élément empirique encore plus déterminant du point de vue de la distinction entre les deux types de discours. Non seulement les discours comportant une théorie du droit faisant place aux droits fondamentaux ont révélé qu’ils étaient proches de la logique jusnaturaliste, mais ils ont manifesté un mode de traitement de ces droits par lequel ils en venaient à lier structurellement les droits fondamentaux au fondement du droit. Il y avait donc peut-être là un lien de causalité entre la tendance jusnaturaliste du discours et le mode de traitement en association des droits fondamentaux et du fondement du droit.
75En effet, il est apparu à l’autre extrémité du spectre théorique s’étirant d’un pôle positiviste à un pôle jusnaturaliste, que les droits fondamentaux ne recevaient pas à première vue le même traitement. Dans ces conditions, il nous a semblé, en dépit du caractère artificiel, que la distinction pouvait permettre de se représenter les discours théoriques dans leur diversité, mais aussi avec quelques points communs.
76[47] En outre, et on pourrait qualifier cette cause d’idéologique, dans un ensemble de discours théoriques, à la fois divers et souvent peu explicites quant à leurs présupposés, on peut percevoir des conflits larvés, structurés autour de la distinction entre discours jusnaturalistes et positivistes. Il est apparu que le problème posé par ces discours, pas toujours explicites, pouvait être abordé « de l’extérieur87 ». Cette thèse aurait alors consisté à tenir une sorte de carnet de bord dans lequel chaque discours examiné aurait dû être consigné du côté juspositiviste ou côté jusnaturaliste. Cette tâche aurait supposé de disposer nous-même de critères objectifs permettant de distinguer entre un discours positiviste et un discours jusnaturaliste. Mais consciente qu’il ne pouvait en être ainsi sans imposer des critères qui ne pouvaient qu’émaner de notre propre subjectivité, nous avons privilégié ce que chaque discours semblait dire de lui-même. Cela dit, ici aussi nous renonçons à prétendre que la lecture des discours en question permette de connaître, objectivement et sans risque d’erreur ou de surinterprétation, ce que les discours disent d’eux-mêmes. En effet, il demeure que leur lecture est, en dernière analyse, la nôtre propre.
77[48] Enfin, et c’est ici une cause technique, dans un but de classification et de théorisation, il faut nécessairement pouvoir ordonner ces discours, même a minima. La technique la plus efficace, la plus concluante, voire la plus pédagogique, est une dichotomie permettant de rendre compte de la dualité que l’on a mentionnée à propos de la bipolarisation du malentendu88.
78Mais il faut aussi rendre compte de ce que nous constatons à propos des droits fondamentaux : leur présence ou au contraire leur absence. En conséquence de quoi, le traitement de la question du fondement du droit se trouve formalisé d’une façon qui inclut ou bien qui exclut ou ignore les droits fondamentaux. Il y a donc deux types alternatifs de traitement du fondement : un traitement associatif ou un traitement dissociatif. Le traitement associatif est le plus courant au sens où, lorsque l’on rencontre les droits fondamentaux dans un discours théorique, ils sont associés le plus souvent au fondement du droit. Et cette configuration ne se trouve que dans des discours à tendance jusnaturaliste ou, du moins, non positivistes89.
79[49] Reste à savoir quelles sont les raisons de cette différence et s’il est possible d’en tirer une règle de partage généralisable au plan théorique, selon laquelle les discours théoriques associant les droits fondamentaux au fondement du droit signeraient par là leur allégeance à un jusnaturalisme de principe et ceux qui n’y procéderaient pas recueilleraient automatiquement le label juspositiviste. Une telle présentation ne permet évidemment pas de saisir la subtilité des mécanismes discursifs dont on verra qu’ils sont à même de rendre compte d’une dimension pourtant essentielle de la répartition. Pour affiner le propos, il convient maintenant d’exposer les termes dans lesquels nous avons choisi de formuler nos hypothèses.
B. Le choix des hypothèses
80[50] Pour répondre à la question de savoir pourquoi les droits fondamentaux tracent un sillon qui mène vers le fondement du droit, dans certains discours juridiques, mais pas dans d’autres, il faut avant tout déterminer si cette différence tient aux discours ou à l’objet du discours.
81Il semble que cette détermination ne peut pas être le fruit d’un raisonnement objectif, mais à nouveau d’un choix subjectif relatif à la représentation des droits fondamentaux que l’auteur prend en charge en tant que postulat théorique. Ainsi, il y aura autant de déterminations que de choix formulés par les auteurs des différents discours. Dès lors, le fait pour un auteur de ne pas inclure les droits fondamentaux dans son discours, et, fatalement, de ne pas les lier au fondement du droit, correspond tout autant à un choix théorique que celui d’inclure les droits fondamentaux et de les lier au fondement du droit. Ce choix correspond de la même manière à celui qui départage les juristes-théoriciens qui optent pour le positivisme et ceux qui optent pour le jusnaturalisme.
82Dans la mesure où nous avons opté pour une méthodologie de distanciation qui étudie les discours juridiques portant sur les droits fondamentaux et, par extension éventuelle, sur le fondement du droit, nous ne pouvons répondre à la question de cette détermination qu’en élisant la première solution : la différence de traitement des droits fondamentaux et du fondement du droit est due au discours et donc au positionnement théorique de son auteur. C’est dire que la « nature » de l’objet sur laquelle nous refusons de nous prononcer n’entre pas en jeu dans le type de traitement que l’on emploie dans un discours théorique.
83Néanmoins, ces affirmations devront être démontrées à propos de notre objet ; et ce sera l’une des tâches de cette thèse.
84[51] Pour s’y atteler reprenons les termes de notre intitulé : des droits fondamentaux au fondement du droit. Ils s’entendent – c’était à prévoir – de deux façons possibles.
85[52] La première signification articule les termes sous la forme d’une question : des droits fondamentaux au fondement du droit ? Autrement dit, les droits fondamentaux mènent-ils au fondement du droit ? À la question de l’existence en droit d’un tel parcours, les discours théoriques dits juspositivistes répondent de manière négative. L’observation de ces discours révèle en effet que le traitement qu’ils réservent aux droits fondamentaux et au fondement du droit est indépendant, en raison des présupposés imposés par une conception positiviste du droit et de la théorie qui s’y rapporte. Les droits fondamentaux ne sont presque jamais considérés pour eux-mêmes90, ce qui laisse penser que ces discours ne leur réservent pas de fonction particulière. Ils ne sont pas spécifiés. En conséquence, lorsque le fondement du droit est traité, il l’est de façon nécessairement dissociée par rapport aux droits fondamentaux.
86Pour autant, le traitement du fondement du droit n’est pas inoffensif pour une théorie positiviste. Conformément à nos remarques précédentes sur les implications d’un traitement du fondement du droit, la fréquentation du fondement par les auteurs qui se disent positivistes est risquée. La prohibition quant à toute définition substantielle de ce fondement conduit à la description d’un objet caractérisé par son insaisissabilité et son inconsistance. Cette qualité particulière, qui en fait un élément théorique incontournable, donne aux discours théoriques qui en font usage une tournure paradoxale par nécessité.
87La caractérisation des discours positivistes relatifs au fondement du droit nous permettra donc de relever que l’indépendance du traitement des droits fondamentaux et du fondement du droit, si elle est une nécessité théorique, n’en est pas moins un paradoxe inhérent (première partie).
88[53] La seconde signification possible de cet intitulé articule ses termes en une affirmation et correspond à la réponse que font les discours jusnaturalistes à la question de savoir si les droits fondamentaux mènent au fondement du droit. Les discours jusnaturalistes relatifs au fondement du droit affirment que les droits fondamentaux mènent bel et bien au fondement du droit. Ils affirment dans le même temps que les droits fondamentaux sont au fondement du droit, ce qui correspond au second sens de l’adverbe « au », contenu dans l’intitulé. Alors qu’il évoque un parcours dans le premier cas ; il évoque au contraire un état statique dans le second : une localisation. Dans les discours jusnaturalistes, il apparaît que les droits fondamentaux sont munis d’une fonction particulière : celle de fonder le droit. C’est en cela que le traitement des droits fondamentaux et du fondement du droit est qualifié d’associatif : il associe dans un lien structurel les droits fondamentaux et le fondement du droit.
89Le dialogue qu’ il s’agit de maintenir avec les discours dits positivistes rend nécessaires des incursions réciproques d’auteurs qui mettent en valeur les paradoxes respectifs liés à ces deux choix théoriques. Mais la particularité de la seconde partie tient au fait qu’elle ne se contente pas de décrire les raisons – le cadre intellectuel dans une perspective historique – de l’association entre droits fondamentaux et fondement du droit. Elle va permettre d’expliquer le caractère aujourd’hui intuitif de cette association. Elle va donc permettre de déconstruire ce réflexe cognitif. Elle va restaurer ainsi la possibilité d’esquisser une théorie critique du fondement du droit (deuxième partie).
Notes de bas de page
1 « Martha : “On ne peut pas dire qu’il n’entende pas. C’est seulement qu’il entend mal. Mais je dois vous demander votre nom et vos prénoms” », A. Camus, Le Malentendu, 1958, Folio, coll. Théâtre, 2003, p. 59. Aurait-il suffi qu’il les énonce, comme semble le suggérer sa femme, Maria ? « Tout le malheur des hommes vient de ce qu’ils ne prennent pas un langage simple. Si le héros du Malentendu avait dit : “Voilà. C’est moi et je suis votre fils”, le dialogue était possible [...] », Camus, Carnets, tome II : janvier 1942-mars 1951, Paris, Gallimard, 1964, p. 161.
2 Un tel désarroi au sujet du temps avait poussé Saint Augustin à une célèbre confession : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas ! », Saint Augustin, Confessions, XI, 14. Le texte intégral des Confessions est en ligne à l’adresse suivante : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/confessions/confessions.htm.
3 On trouve la même préoccupation au sujet de notions juridiques dites floues ou simplement polysémiques. À propos de l’État de droit, voir les thèses de M.-J. Redor, De l’Etat légal à l’État de droit. L’évolution des conceptions de la doctrine publiciste française (1879-1914), Paris, Économica, Aix-Marseille, PUAM, coll. Droit public positif, 1992 ; M. Loiselle, La doctrine juridique française et l’ État de droit, Th. dr. publ., Paris II, dactyl., 2000 ; L. Heuschling, État de droit, Rechtsstaat, Rule of Law, Paris, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de thèses, 2002, qui relèvent toutes la polysémie du terme en tant qu’élément caractéristique de la notion à l’étude. Voir aussi dans le sens du caractère multidimensionnel de la notion, les contributions variées de l’ouvrage récent, J. Chevallier (dir.), L’Etat de droit, Paris, La Documentation française, coll. Problèmes politiques et sociaux, 2004.
Les champs dans lesquels l’expression « droits fondamentaux » est utilisée ne sont pas si variés. On retrouve l’expression dans le cadre des revendications politiques et sociales, avant que l’expression n’ait reçu le statut de notion ou de catégorie juridique. La doctrine s’interroge en France sur le statut de catégorie juridique des droits fondamentaux vers la fin des années quatre-vingt-dix, alors que la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions (JO du 31 juillet 1998) comportant explicitement le terme est en discussion, AJDA, n° spécial, Les droits fondamentaux. Une nouvelle catégorie juridique ?, 1998. De manière générale des associations participent à l’élaboration de textes juridiques garantissant des droits fondamentaux que par ailleurs elles revendiquent concrètement sur le terrain de leurs luttes sociales. Voir le Rapport de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions, n° 856, du 23 avril 1998, qui s’inspire directement de définitions et de prises de positions d’associations de lutte contre la précarité et pour l’accès aux droits fondamentaux, et notamment ATD Quart-Monde. Cf. Intervention du Mouvement international ATD Quart Monde à l’occasion de l’audition du 27 avril 2000, CONTRIB 141, CHARTE 4268/00. Les organisations non gouvernementales articulent un discours revendicatif à partir des droits fondamentaux dont les populations, qu’ils ont pour fonction de protéger, sont les titulaires. De cette manière, à l’échelle nationale ou, plus récemment, à l’échelle européenne, des groupes de pression de diverses origines œuvrent dans deux directions : faire adopter, par des organes législatifs, des décisions visant à reconnaître ou créer des droits fondamentaux au plan juridique – l’objectif est déclaratif –, et rendre effectives ces décisions par la voie d’organes exécutifs – l’objectif est applicatif. Dans un champ plus explicitement juridique, le Réseau UE d’experts juristes indépendants sur les droits fondamentaux (CFR-CDF) a vu le jour en 2002 à l’initiative du Parlement puis de la Commission. Il est l’auteur d’un Rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne et ses États membres en 2002, 31 mars 2003. La revue Droits fondamentaux, née au moment des attentats du Il septembre 2001 et se situant par rapport à eux, se présente comme un outil de réflexion à l’image de toutes les revues de droit mais aussi comme un outil militant qui se veut la continuation du pacte entre États intervenu à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Voir E. Decaux, « 2001 et après... », éditorial, RDF, n° 1, juillet-décembre. 2001, http://www.droits-fondamentaux.org/article.php3?id_article=7. De telles initiatives comportent éventuellement des conséquences telles que l’inscription de l’expression dans des textes juridiques d’abord. Voir la référence au respect des droits fondamentaux dans un projet de loi n° 183, du 28 janvier 2004, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. D’autres conséquences se présentent sous la forme d’orientations affichées par certains organes chargés de l’application de ces textes. Cf. la Commission nationale consultative des droits de l’homme, allocution du Premier ministre, le 3 octobre 2002. L’influence de ces divers discours sur l’actualité politique et juridique des droits fondamentaux semble assez nette. Mais, en tout état de cause, il demeure difficile de distinguer les discours relevant du champ politique dont seraient exclus ceux relevant du champ juridique.
4 La définition du droit est en effet la première des « grandes questions de la philosophie du droit » : « L’assertion – qui est évidente – que l’objet de la science du droit est le droit se heurte donc d’entrée de jeu à la plurivalence du terme “droit” », S. goyard-fabre et R. Seve, Les grandes questions de la philosophie du droit, Paris, PUF, coll. Questions, 2e éd., 1993, p. 10 ; « Le concept du droit remplit un rôle aussi central dans la théorie du droit que Kant le revendiquait pour le concept d’obligation morale en éthique. Aucune définition simple ne nous satisfera en l’absence d’une approche claire des ramifications du concept quant à son domaine et un critère d’appartenance acceptable », P.M. S. hacker, « Hart’s philosophy of law », dans P.M. S. hacker et J. Raz (éds.), Law, Morality and Society. Essays in Honour of H.L.A. Hart, Oxford, Clarendon Press, 1977, p. 5. Pour un exposé des enjeux de la définition du droit chez Hart, cf. infra, n°s 168 et 169.
5 « [...] Ces “droits fondamentaux” existent-ils vraiment en tant que catégorie juridique spécifique ? Quelle est leur définition ? Quelle est leur portée exacte ? Et quelle en est la liste ? » (nous soulignons), É. picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA, n° spécial. Les droits fondamentaux, 1998, p. 7.
6 La signification en tant qu’enjeu juridique est tout à fait centrale, puisqu’elle n’entraîne pas moins qu’un questionnement sur la juridicité elle-même : « [...] le tout de la signification, ou, pour mieux dire, la signification tout court, n’émerge, en droit, qu’à la condition de la compréhension globale, et de la force juridique d’un acte d’énonciation, et du sens linguistique de son énoncé. [...] la “signification” : un tel vocable sera réservé à la désignation du tout qui les rassemble, et que la compréhension, en droit, saisit dans sa complétude, ou ne saisit pas du tout », O. Cayla, La notion de signification en droit. Contribution à la théorie du droit naturel de la communication, Th. dr. publ, Paris II, dactyh, 1992, p. XIII, cf. infra, n° 283.
7 V. Champeil-Desplats, « La notion de “droit fondamental” et le droit constitutionnel français », D., chron., 1995, p. 323.
8 A. Troianiello, « Les droits fondamentaux, fossoyeurs du constitutionnalisme ? », dans G. Lebreton (dir.), Regards critiques sur l’évolution des droits fondamentaux de la personne humaine en 1999 et 2000, Paris, L’Harmattan, 2002, spéc. p. 42 s., publié également dans la revue Le Débat, n° 124, mars-avril 2003, p. 58, défend notamment l’idée que les droits fondamentaux en particulier remplissent une fonction idéologique en ce que l’autonomie de leur théorie revendiquée par la doctrine ne trouve jamais à être démontrée. En conséquence, la reconnaissance de droits fondamentaux par le juge ne requiert aucune justification ou aucun effort d’interprétation doctrinale. En effet, « la fondamentalité des droits fondamentaux est en définitive une affaire d’interprétation. Et pour l’essentiel, cette dernière est laissée à la discrétion de juges [...]. », A. Troianiello, art. préc., p. 43 ; « On déplorera à cet égard que, dans sa grande majorité, la doctrine ait abjuré sa fonction critique et se soit fourvoyée dans une entreprise exclusivement dogmatique », A. Troianiello, « Les droits fondamentaux, fossoyeurs du constitutionnalisme ? », art. préc., p. 45. Le dogmatisme serait favorisé par le raisonnement en spirale impliqué par l’idée de fondamentalité abondamment exploitée par la doctrine constitutionnaliste française.
Dans le même sens, l’affirmation du rapport qui s’instaure entre la catégorie juridique des libertés et droits fondamentaux et son contexte politique, J. Favre et B. tardivel, « Recherches sur la catégorie jurisprudentielle de “libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle” », RDP, 2000, p. 1413 : « Il se trouve que les “libertés et droits fondamentaux” ont à chaque fois été invoqués dans des décisions d’une signification particulière en tant que sous-tendues par un contexte politique fort. »
9 R. Pelloux, « Vrais et faux droits de l’homme. Problèmes de définition et de codification », RDP, 1981, p. 53.
10 R. Seve, « Les droits de l’homme sont-ils vraiment fondamentaux ? », dans G. Lafrance (éd.), Éthique et droits fondamentaux, Ottawa, Presses de l’université d’Ottawa, 1989, p. 16 ; Villey, « Peut-on parler de droits fondamentaux ? », dans G. Lafrance (éd.), Ethique et droits fondamentaux, op. cit., p. 53 ; S. Goyard-Fabre, « La dérive des droits fondamentaux », dans G. Lafrance (éd.). Ethique et droits fondamentaux, op. cit., p. 61. Voir aussi B. mathieu, « Pour une reconnaissance de “principes matriciels” en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », D., chron., 1995, spéc. p. 212, où l’auteur entend permettre au Conseil constitutionnel de ne « faire porter son contrôle que sur le respect des principes véritablement fondamentaux » (nous soulignons).
11 P. Fraisseix, « Les droits fondamentaux. Prolongement ou dénaturation des droits de l’homme ? », RDP, n° 2, 2001, p. 531.
12 R. Sacco, La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Économica, coll. Études juridiques comparatives, 1991, p. 8 : « La comparaison est une science ; elle est une science pourvu qu’elle rassemble des données théoriques, indépendamment de toute utilisation pratique de ces données. En même temps, elle reste science lorsqu’on a recours à elle en vue d’une possible imitation de modèles. » Voir aussi du même auteur, « Epilogue », dans Un défi pour les juristes du nouveau millénaire. Société de législation comparée, 2000, p. 337. La conception, que l’on pourrait aujourd’hui appeler « classique », du droit comparé est celle qui fait de son but premier la connaissance, cf. de façon emblématique, K. Zweigert et H. Kötz, An Introduction to Comparative Law, 2e éd., vol. I, trad. T. Weir, Oxford, Clarendon Press, 1987, spéc. p. 13. Comp. O. Pfersmann, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », dans M. delmas-marty et alii. Variations autour d’un droit commun. Travaux préparatoires, Paris, Société de législation comparée, 2001, spéc. p. 125-129, qui oppose à la vision illusoire d’un droit comparé comme science de législations ou, plus largement, de connaissance des droits nationaux étrangers, celle d’une « interprétation conceptuelle différenciée » des droits nationaux, O. Pfersmann, art. préc., p. 133.
13 Voir en général les travaux de P. Legrand, qui plaide vigoureusement pour le relativisme des normes juridiques en raison de leur dimension culturelle incontournable, spéc. P. Legrand, « Comparative legal studies and commitment to theory », MLR, vol. 58, 1995, p. 262.
14 C. girard, La conception anglaise des droits fondamentaux. Étude de cas, Bibliothèque de droit public européen, Londres, Esperia Pub Ltd, Bruxelles, Bruylant, 1999.
15 C. girard, Droits fondamentaux et évolution juridique en Angleterre et en France. Vraie ou fausse gémellité ?. Bibliothèque de droit public européen, Londres, Esperia Pub Ltd, Bruxelles, Bruylant, 2003.
16 De façon assez surprenante, on constate que l’expression a subi une fortune diverse au cours du temps, qui ne s’explique pas par l’influence directe du « droit européen des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Il est certain que le recours au vocable « fundamental rights » est lié au contenu de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à la volonté politique – d’envergure internationale – qui la porte. Mais on remarque qu’il est relativement courant dans la doctrine anglaise des années 1970 et 1980 ; puis, qu’il s’estompe au profit des plus familiers « human rights » et « civil liberties » au plus fort du débat sur l’incorporation de la Convention européenne des droits de l’homme, au cours des années 1990. Voir progressivement et d’une façon qui ne se veut pas exhaustive : J. W. Bridge, D. lasok, R. O. Plender et D. L. perrot (éds.), Fundamental Rights, Londres, Sweet and Maxwell, 1973 ; M. Cranston, « What are Human Rights ? », dans The Human Rights Reader, Londres, Bodley Head, 1978, p. 17, qui tend à accréditer l’idée que droits fondamentaux et droits de l’homme sont généralement confondus ; A. lester, « Fundamental rights : the United Kingdom isolated », PL, 1984, p. 46, pour la première phase ; J. Laws, « Is the High Court the guardian of fundamental constitutional rights ? », PL, 1993, p. 59 ; J. Laws, « The limitations of Human Rights », PL, 1998, p. 254 ; J. Laws, « Beyond rights », OJLS, vol. 23 (2), 2003, p. 265 ; A. lester, « A Human Rights bill », NLJ, 145 (6681), 1995, p. 141 ; A. lester, « The mouse that roared : the Human Rights bill 1995 », PL, 1995, p. 198 ; S. Sedley, « Human Rights : the twenty-first century agenda », PL, 1995, p. 386, pour la deuxième phase ; P. Thornton, Decade of Decline : Civil Liberties in the Thatcher Years, Londres, National Council for Civil Liberties, 1989 ; K. Ewing et C. Gearty, Freedom under Thatcher : Civil Liberties in Modern Britain, 2e éd., Oxford, Clarendon Press, 1990 ; D. Feldman, Civil Liberties and Human Rights in England and Wales, Oxford, Clarendon Press, 1993 ; C. Gearty, « The European Court of Human Rights and the protection of civil liberties : an overview », CLJ, vol. 52 (I), 1993, p. 89 ; S. Marks, « Civil liberties at the margin : the United Kingdom dérogation and the European Court of Human Rights », OJLS, vol. 15 (1), 1995, p. 69 ; D. Beyleveld, « The concept of Human Right and incorporation of the European Convention on Human Rights », PL, 1995, p. 577 ; D. Irvine, « The development of Human Rights in Britain under an incorporated convention on Human Rights », PL, 1998, p. 221 et, à l’inverse, T. H. jones, « The devaluation of Human Rights under the European Convention », PL, 1995, p. 430 ; C. Gearty (éd.), European Civil Liberties and the European Convention on Human Rights. À Comparative Study, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, International Studies in Human Rights, 1997 ; E. Shorts et C. de Than, Civil Liberties. Legal Principles of Individual Freedom, Londres, Sweet and Maxwell, 1998 ; C. Gearty (éd.), European Civil Liberties and the European Convention on Human Rights. A Comparative Study, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, International Studies in Human Rights, 1997, pour la troisième phase.
17 Cf. infra, n. 732.
18 T. Meindl, La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines constitutionnelles françaises et allemandes, Paris, LGDJ, coll. Bibl. const. sc. po., 2003. Voir aussi le travail de D. Capitant qui, s’il se concentre sur l’Allemagne, n’en demeure pas moins un travail de comparaison : D. Capitant, Les effets des droits fondamentaux en Allemagne, Paris, LGDJ, coll. Bibl. dr. publ., 2001.
19 R. Sacco, « L’idée de droit commun par circulation de modèles et par stratification », dans M. Delmas-marty, H. Muir Watt et H. Ruiz Fabri (dir.), Variations autour d’un droit commun. Premières rencontres de l’UMR de droit comparé de Paris (Paris, Sorbonne, 28 et 29 mai 2001), Paris, Société de législation comparée, 2002, p. 196-198.
20 Cette technique peut être illustrée par les analyses d’E. Picard lorsqu’il propose une modélisation des droits fondamentaux à partir, d’une part, de la critique du droit positif français, É. picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », art. préc., p. 6 et, du même auteur, « Droits fondamentaux », dans D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige-Lamy, 2003, p. 544, et, d’autre part, de la présentation du fonctionnement du common law, d’un point de vue assez large : une certaine conception essentialiste du droit, É. picard, « Les droits de l’homme et l’“activisme judiciaire” », Pouvoirs, n° 93, Le Royaume-Uni de Tony Blair, 2000, p. 113 et, du même auteur, « Common Law », dans D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 238. Cf. infra, n° 468.
21 K. Zweigert et H. Kötz, An Introduction to Comparative Law, vol. I, op. cit., p. 15 (nous soulignons).
22 Ibid.
23 Sur ce point, voir P. Legrand, « Comparative legal studies and commitment to theory », art. préc., où l’on s’aperçoit que l’objectivité prétendue est plus une technique de dissimulation des enjeux, qu’une méthodologie et un but réalisables ; « Tout acte de comparaison constitue une critique idéologique d’un droit, notamment parce que l’imputation de sens au texte vise à satisfaire des intérêts premiers qui sont autres que l’intérêt pour l’identification du sens du texte », du même auteur, « Sur l’analyse différentielle des jurisconsultes », RIDC, n° 4, 1999, p. 1061.
24 « Prénotions locales » que la conception classique du droit comparé se propose d’éradiquer par l’effet du principe méthodologique de base : la fonctionnalité de la méthode du droit comparé, K. Zweigert et H. Kötz, An Introduction to Comparative Law, vol. I, op. cit., p. 28.
25 Au sujet des droits de l’homme, mais aussi des droits fondamentaux, ce thème fait systématiquement l’objet de controverses importantes, à l’occasion de débats à la fois techniques et militants, d’un point de vue général : B. Edelman, « Universalité et droits de l’homme », in M. Delmas-marty (dir.), Procès pénal et droits de l’homme. Vers une conscience européenne, Paris, PUF, coll. Les voies du droit, 1992, p. 153 ; M. delmas-marty et J.-F. Coste, « Les droits de l’homme : logique non standard », dans Le genre humain, Paris, Seuil, coll. Interdisciplinarités, 1998, p. 135 ; d’un point de vue plus spécifique : B. Fauvarque-Cosson, « Droit comparé et droit international privé : la confrontation de deux logiques à travers l’exemple des droits fondamentaux », dans M. Delmas-Marty et alii, Variations autour d’un droit commun. Travaux préparatoires, op. cit., spéc. p. 58 s. ; voir aussi la thèse de L. Sinopoli qui souligne l’enjeu des droits fondamentaux, lesquels s’incarnent à l’occasion de rapports privés (entre individus), mais ne révèlent pas moins un rapport de force entre États (entre cultures), L. Sinopoli, Le droit au procès équitable dans les rapports privés internationaux, Th. Paris 1, dactyl., 2000. Pour l’affirmation de l’objectif universaliste du droit comparé en général, par l’exploitation d’un concept de droit commun, issu de la tradition du jus commune, voir M. Delmas-marty, « Avant-propos », dans M. Delmas-marty et alii. Variations autour d’un droit commun. Travaux préparatoires, op. cit., spéc. p. 12 ; pour la fonction d’unification du droit comparé héritée des comparatistes du début du xxe siècle, voir M. Delmas-marty, Pour un droit commun, Paris, Seuil, 1997 et, du même auteur. Le relatif et l’universel. Les forces imaginantes du droit, Paris, Seuil, coll. Couleur des idées, 2004, et parmi de nombreux articles, du même auteur, « La mondialisation du droit. Chances et risques », D., Chron., 1999, p. 44 et « Réinventer le droit commun », D., Chron., 1995, p. L ; M. Sarfatti, « Le droit comparé en fonction de l’unification du droit », RIDC, I, 1951, p. 69. Voir aussi dans une perspective politico-juridique, l’affirmation de valeurs libérales à vocation universelle au travers de l’impératif de protection des droits fondamentaux : « l’universalisme individualiste et libéral est la seule conception de la liberté qui permette de reconnaître les droits fondamentaux de la personne humaine », Y. Madiot, « Universalisme des droits fondamentaux et progrès du droit », dans La protection des droits fondamentaux, Actes du colloque organisé à Varsovie du 9 au 15 mai 1992, Paris, PUF, coll. Publications de la faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, 1993, spéc. p. 38 s.
26 K. Zweigert et H. Kötz, An Introduction to Comparative Law, vol. I, op. cit.
27 « Puisque le droit ne peut exister que dans un langage et puisqu’un langage ne constitue toujours qu’une articulation signifiante singulière et contingente, il est impossible de faire advenir un universel juridique », P. Legrand, « Sur l’analyse différentielle des jurisconsultes », art. préc., p. 1069-1070.
28 B. Fauvarque-Cosson, « Droit comparé et droit international privé : la confrontation de deux logiques à travers l’exemple des droits fondamentaux », art. préc., p. 70. Il faut toutefois préciser que l’auteur relativise son propos en expliquant l’effet explosif des droits fondamentaux, observé à l’occasion des conflits du droit international privé. Il semblerait que leur irruption dans le droit international privé ait conduit à privilégier la méthode d’harmonisation plutôt que l’unification. Il reste que cet objectif repose sur le présupposé du nécessaire rapprochement des droits nationaux, rendu possible par la conviction que les droits fondamentaux sont le témoin de l’universalité du droit.
29 É. picard, « L’état du droit comparé en France, en 1999 », art. préc., p. 903 (nous soulignons) ; cf. infra, nos 468 et 469. É. Picard articule alors une réflexion critique exprimant une certaine inquiétude quant à l’éventuel impact du positivisme juridique sur l’avenir du droit comparé en tant que technique de révélation d’un jus unum : « [...] sur la base du positivisme juridique, le comparatisme risque à certains égards soit de se priver d’objet ou de raison d’être, soit de récuser sa pertinence ou sa validité », É. picard, « L’état du droit comparé en France, en 1999 », art. préc., p. 904.
30 O. Pfersmann, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », art. préc., p. 129 (nous soulignons).
31 O. Pfersmann, art. préc., p. 132.
32 Kelsen, Théorie pure du droit, trad. C. Eisenmann, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, coll. Pensée juridique, 1999, p. 9.
33 O. Pfersmann, art. préc., p. 131-132.
34 Cf. infra, n° 84 et n° 112 s.
35 Nous rejoignons le constat d’O. Pfersmann, pour qui « le droit comparé est [...] le plus important catalyseur de questions théoriques », O. Pfersmann, art. préc., p. 133.
36 En France, on s’est mis à évoquer un envahissement, à propos du droit privé, B. fauvarque-Cosson, art. préc., p. 53, à propos du droit public et du droit en général, É. picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », art. préc., p. 6 ; et, d’une certaine façon, on pose la question à propos des droits de l’homme ; puisque la distinction est faiblement convaincante, il convient de citer cet article, D. Gutmann, « Les droits de l’homme sont-ils l’avenir du droit ? », dans Mélanges en hommage à François Terré, Paris, Dalloz, PUF, éd. du Juris-Classeur, 1999, p. 327. Sur l’argument de l’invasion, cf. infra, n° 526 s.
37 Cette expression fait référence au thème du travail du texte, que l’on trouve dans la théorie de l’intertextualité notamment, dont la fonction est de rendre compte de la littérature en tant que système de textes : « Un espace ou un réseau, une bibliothèque si l’on veut, où chaque texte transforme les autres qui le modifient en retour », S. Rabau, L’intertextualité (Textes choisis et présentés par), Paris, Flammarion, coll. GF-Corpus, 2002, p. 15. Cf. infra, n. 952.
38 Cette dernière possibilité est suggérée par ce que permet l’intertextualité elle-même : « Penser la littérature comme un système qui échappe à une simple logique causale et même à la linéarité du temps humain : les textes se comprennent les uns par les autres et chaque nouveau texte qui entre dans ce système le modifie, mais n’est pas le simple résultat des textes précédents [...] », ibid. Dès lors, une redéfinition des postulats théoriques est possible, prenant le contre-pied des catégories antérieures, « théologiques », privilégiant, le sujet, le sens, la vérité. Voir J. Kristeva, Sémiotikè. Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, p. 144-145.
39 Voir AJDA, n° spécial, Les droits fondamentaux. Une nouvelle catégorie juridique ?, op. cit., numéro qui envisage les droits fondamentaux comme un phénomène émergeant en France.
40 Ibid.
41 Voir la problématique de l’AJDA, n° spécial, Les droits fondamentaux. Une nouvelle catégorie juridique ?, op. cit, p. 1, énoncée par L. Richer : « Avec la notion de droits fondamentaux, l’unité de la matière est restaurée, les clivages sont dépassés. [...] la catégorie des droits fondamentaux dépasse à certains égards celle des libertés publiques. Tout droit fondamental n’est pas une liberté publique, la notion de droit fondamental permet d’introduire une hiérarchie et, bien plus, elle va au-delà du droit. » ; voir également, P. Fraisseix, « Les droits fondamentaux. Prolongement ou dénaturation des droits de l’homme ? », art. préc. Il semble que la problématique de la catégorie des droits fondamentaux pose bel et bien la question des limites du droit, plus que celle des limites de la catégorie des droits elle-même. Cf. infra, n° 27.
42 Voir le fameux bloc de constitutionnalité français et ses textes révolutionnaires et post-révolutionnaires, ainsi que ses principes reconnus par le juge constitutionnel au fil du temps.
43 Voir par exemple la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (JO n° 54 du 5 mars 2002) qui, par son article 3, insère dans le Code de la santé publique, le droit fondamental à la protection de la santé (art. L. 1110-1 CSP). La référence générale aux libertés et droits fondamentaux des personnes est de plus en plus courante dans les textes de lois – en particulier ceux qui présentent un risque pour lesdits droits et libertés –, voir la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, dont l’article 24 modifié par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 (JO du 7 août 2004), prévoit que « les données contenues dans les traitements automatisés de données à caractère personnel gérés par les services de police et de gendarmerie nationales peuvent être transmises, dans le cadre des engagements internationaux régulièrement introduits dans l’ordre juridique interne, à des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou à des services de police étrangers, qui représentent un niveau de protection suffisant de la vie privée, des libertés et des droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet ou peuvent faire l’objet ». Ce type d’inscription renvoie à d’autres droits et libertés, dont on ne peut le plus souvent que présumer l’existence en tant que droits et libertés fondamentaux, car les textes français ne consacrent pas beaucoup de droits fondamentaux proprement dits, mais des droits et libertés de portées diversement qualifiées par les juges.
44 On déduit de la déc. n° 93-325 DC du 13 août 1993, relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, que les droits et libertés suivants reconnus aux étrangers comme aux nationaux sont fondamentaux : « La liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale [...], droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français [...] l’exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés » (cons. 3).
45 Il semblerait à cet égard qu’existe un consensus pour considérer que la seule reconnaissance de cet objet par le constituant, le législateur ou le juge suffit à en faire un élément de l’ordre juridique positif. Pour une analyse critique de ce constat, cf. infra, n° 634 s.
46 C’est notamment l’objet d’un rapport de recherche récent intégrant la dimension européenne en matière de maniement de principes fondamentaux, D. rousseau (dir.), Désordres et reconstructions du droit sous l’effet des principes fondamentaux dégagés par les Cours suprêmes nationales et européennes. Rapport de recherche, Paris, Mission de recherche Droit & Justice, 2004. L’un des constats centraux de ce rapport est le bouleversement de la hiérarchie des normes. C’était déjà le constat réalisé par É. Picard à propos des droits fondamentaux, É. picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », art. préc., cf. infra, n° 98.
47 Sur la question de la supraconstitutionnalité comme enjeu du renouvellement théorique, cf. infra, n° 631 s.
48 Voir le mode d’exposition de la question des droits fondamentaux dans le manuel de droits constitutionnels européens de C. Grewe et H. Ruiz Fabri, Droits constitutionnels européens, Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 1995, p. 140 s. La dimension dynamique de l’existence juridique des droits fondamentaux en fait non seulement un objet de la pratique juridique, mais également de la théorie juridique, dont les thèmes de réflexions sont, parmi les plus importants, la codification, la hiérarchie des normes, la constitutionnalisation du droit (c’est-à-dire le rapport de la constitution avec les autres normes en matière de création normative ; de même, d’un point de vue institutionnel) et la théorie de l’effet direct ou Drittwirkung.
49 Le droit anglais ne fait qu’une place allusive aux droits fondamentaux en tant qu’expression, ce qui ne veut pas dire que les droits de l’homme, human rights, eux, ne reçoivent pas un traitement particulier et de plus en plus marqué, comme on l’a dit supra, n° 14 ; la seule expression ancienne suggérant en Angleterre l’existence de droits approchant l’idée de droits de l’homme est l’expression civil liberties. On ne peut la confondre avec la catégorie juridique française de libertés publiques. On ne peut l’approcher qu’au travers de la longue histoire des privilèges revendiqués et protégés pour le compte des individus et contre l’Etat en la personne du monarque. De même, aux États-Unis, ne voit-on apparaître l’expression des droits fondamentaux que de façon rarissime et sans qu’il lui soit réservé de traitement particulier. Tout au plus accorde-t-on aux États-Unis une attention toute particulière à ces éléments du droit positif que sont les droits constitutionnels, constitutional rights. Quant au Canada, qui est aussi un pays de common law, il n’y a de fondamentales que les libertés limitativement énumérées à la section 2 de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982.
50 L’espace de la Convention européenne des droits de l’homme, par exemple, ne se comprend que par la combinaison du texte et de son interprétation par la Cour européenne des droits de l’homme. Plusieurs arrêts anciens de cette juridiction le précisent, à partir de l’article 45 de la Convention d’alors selon lequel : « La compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires concernant l’interprétation et l’application de la présente Convention que les Hautes Parties Contractantes ou la Commission lui soumettront [...] », cf. notamment CEDH, 9 février 1967, Affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique c. Belgique, Série A n° 5. Voir également la perception qu’en ont d’autres espaces et notamment l’Union européenne dont le Projet de Traité établissant une constitution pour l’Europe précise, dans le Préambule de la Charte des droits fondamentaux, que : « La présente Charte réaffirme, dans le respect des compétences et des tâches de l’Union, ainsi que du principe de subsidiarité, les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des Chartes sociales adoptées par l’Union et par le Conseil de l’Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme » (nous soulignons), Projet de Traité établissant une constitution pour l’Europe, Bruxelles, 6 août 2004, CIG 87/04, 2004, p. 64. De la même façon, la Cour de justice des Communautés européennes a développé une jurisprudence des droits fondamentaux par laquelle cette juridiction est l’auteur principal du droit communautaire des droits fondamentaux, avant même l’édiction de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Voir notamment CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handels-gesellschaft mbH c. Einfuhr – und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel, aff. n° 11/70, Rec. p. 1126, § 3 et § 4.
51 Voir notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont le préambule dispose que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » et qu’en conséquence « il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit ». De même le préambule des Pactes de New York de 1966 : « [...] Conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’idéal de l’être humain libre, jouissant des libertés civiles et politiques et libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits civils et politiques, aussi bien que de ses droits économiques, sociaux et culturels, sont créées, [...] la Charte des Nations unies impose aux États l’obligation de promouvoir le respect universel et effectif des droits et des libertés de l’homme [...]. »
52 P. Wachsmann, « Droits de l’homme », dans D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige-Lamy, 2003, p. 540.
53 « Protection internationale des droits de l’homme » est l’expression consacrée tant en français qu’en anglais avec ce qui devient une branche du droit international public à part entière : International Human Rights Law.
54 Dans un arrêt ancien de la Cour européenne des droits de l’homme, CEDH, 7 décembre 1976, Kjeldsen, Bush Madsen et Pedersen c. Danemark, Série A n° 23, cf. Voir Berger, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Sirey, 7e éd., 2000, n° 181, p. 508, la supériorité du droit à l’instruction est affirmée par le biais de sa qualification par le juge en tant que droit fondamental, doublé d’un devoir parental « naturel », arrêt préc. § 52. La prétention conciliée, et qui en définitive succombe, est celle de l’État à promouvoir un enseignement public, à laquelle est rattaché le droit constitutionnel danois à un enseignement gratuit dans les écoles publiques (art. 76 de la constitution d’alors) : « [...] la seconde phrase de l’article 2 (du Protocole n° 1) doit se lire en combinaison avec la première qui consacre le droit de chacun à l’instruction. C’est sur ce droit fondamental que se greffe le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques, la première phrase ne distingue pas plus que la seconde entre l’enseignement public et l’enseignement privé » (nous soulignons), arrêt préc., § 50. De même, à propos de la liberté d’expression d’un journaliste – notamment quant aux jugements de valeur qu’il a pu émettre –, c’est en raison de son caractère fondamental dans le cadre d’une société démocratique, et dans la mesure où aucun élément ne venait en l’espèce justifier de limitation, que la Cour fait prévaloir cette liberté sur le pouvoir de limitation de l’État reposant sur son droit à condamner la diffamation susceptible de nuire à l’ordre public : « Aux yeux de la Cour, il y a lieu de distinguer avec soin entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. » La Cour relève, à ce propos, que les faits sur lesquels M. Lingens fondait son jugement de valeur n’étaient pas contestés, non plus d’ailleurs que sa bonne foi (§ 21 ci-dessus). Selon le paragraphe 3 de l’article 111 du code pénal, combiné avec le paragraphe 2, les journalistes ne peuvent en pareil cas échapper à une condamnation pour des actes définis au paragraphe 1 que s’ils peuvent établir la vérité de leurs assertions (§ 20 ci-dessus). Or, pour les jugements de valeur, cette exigence est irréalisable et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 de la Convention » (nous soulignons), CEDH, 8 juillet 1986, Lingens c. Autriche, Série A n° 103, § 46, cf. V. Berger, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., n° 166, p. 458.
55 Voir T. Berns (dir.), Le droit saisi par le collectif, Bruxelles, Bruylant, coll. Droits, Territoires, Cultures, 2004, qui pose la question de l’humanité comme sujet de droit potentiel. La question a d’inévitables échos philosophiques. Voir aussi le débat sur le clonage humain à l’occasion duquel cette question se pose, le corps humain apparaissant comme l’indice de l’humanité, sujet de droit, H. Atlan, M. Auge, M. delmas-marty, R.-P. Droit et N. Fresco, Le clonage humain, Paris, Seuil, 1999.
56 H. Arendt, Les origines du totalitarisme. L’impérialisme, t. 2, trad. M. Leiris, Fayard, 1982, coll. Points Essais, 1997, spéc. p. 66 : « L’idée d’humanité constitue la seule idée régulatrice en termes de droit international » et p. 285 : « Cette situation nouvelle, dans laquelle l’“humanité” remplit effectivement le rôle autrefois attribué à la nature ou à l’histoire, voudrait dire dans ce contexte que c’est l’humanité elle-même qui devrait garantir le droit d’avoir des droits, ou le droit de tout individu d’appartenir à l’humanité. » Cette conception absolutiste des droits est inspirée à Arendt par sa lecture de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Ce qui embrouille si souvent et si facilement tout le problème c’est le rôle important que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen joua au cours de la Révolution française, où ces droits, en réalité, étaient censés non pas indiquer les limitations imposées à tout gouvernement légitime, mais être, au contraire, sa vraie fondation. [...] La conception française proclame l’existence de droits indépendants du corps politique et extérieurs à lui, puis confond ces “droits”, droits de l’homme en tant qu’homme, avec les droits du citoyen », H. Arendt, Essai sur la révolution, trad. M. Chrestien, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1967, p. 216-217 ; du même auteur, La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, 1954, Paris, Gallimard, 1972, spéc. p. 186 s.
57 R. Aron, Essai sur les libertés, édition revue et augmentée, Paris, Librairie générale française, Pluriel, 1976 ; C. Lefort, « Hannah Arendt et la question du politique », dans Essais sur le politique (xixe-xxe siècles), 1986, Paris, Seuil, coll. Points Essais, 2001, p. 64 et « Les droits de l’homme et l’État-providence », dans Essais sur le politique, op. cit., p. 33. Voir aussi M. Gauchet, « Les droits de l’homme sont-ils une politique ? », dans La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, coll. Tel, 2002, p. 1, et « Quand les droits de l’homme deviennent une politique », dans La démocratie contre elle-même, op. cit., p. 326.
58 E. Mounier, Manifeste au service du personnalisme (1936), Paris, Seuil, coll. Points Essais, 2000. Voir aussi X. Bioy, Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque des thèses, 2003 ; J.-L. chabot, « Le courant personnaliste et la déclaration universelle des droits de l’homme », dans J. ferrand et H. petit (dir.), Fondations et naissances des Droits de l’homme (Actes du colloque international organisé par le Centre historique et juridique des droits de l’homme de la Faculté de droit de Grenoble sur 2001, l’odyssée des droits de l’homme, université Pierre-Mendès-France, 22-24 octobre 2001), 3 vol., Paris, L’Harmattan, coll. La librairie des humanités, 2003, vol. 1, p. 325-337. Cf. infra, n° 555.
59 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, 1981, trad. J.-M. Ferry et J.-L. Schlegel, 2 tomes, Paris, Fayard, coll. L’espace du politique, 1987. Cf. infra, n° 617 s.
60 Jonas, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1998 ; Lévinas, Humanisme de l’autre homme, Paris, Fata Morgana, 1972, notamment, et « Responsabilité et substitution », entretiens avec A. Ponzio, dans A. Ponzio, Sujet et altérité. Sur Emmanuel Lévinas, Paris, L’Harmattan, 1996, spéc. p. 67 s. et p. 143 s. Voir aussi P. Hayat, Emmanuel Lévinas. Éthique et Société, Paris, Kimé, 1995, p. 47 s. ; X. Bioy, « Dignité et responsabilité. Genèse d’une rencontre entre éthique et droit », dans C. girard et S. Hennette-Vauchez (dir.), Voyage au bout de la dignité, Rapport de recherche, Paris, Mission de recherche Droit & Justice, 2004, spéc. p. 256 s.
61 Le succès de l’anthropologie appliquée au droit est à ce titre remarquable et constitue une conséquence directe du nouveau regard porté non seulement sur l’être en philosophie, mais également sur l’être en droit, voir notamment N. rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 1988 et, du même auteur, Aux confins du droit, Paris, Odile Jacob, 1991.
62 Définition phénoménologique de S. Goyard-Fabre, voir S. Goyard-Fabre, Essai critique de phénoménologie du droit, Paris, Klincksieck, 1972.
63 On ne doit pas confondre le rapport au droit avec le rapport de droit qui est conçu comme tout rapport entre sujets de droit et fondé exclusivement par des normes. Cf. infra, n. 74.
64 J. Chevallier (dir.), L’Etat de droit, Paris, La Documentation française, coll. Problèmes politiques et sociaux, 2004, spéc. chap. consacré aux droits fondamentaux comme élément de « l’État de droit substantiel ».
65 On verra que cette approche facilite l’acceptation de la nécessité d’aborder la recherche d’un point de vue épistémologique, cf. infra, n° 28.
66 Cf. infra, n° 96 s.
67 C. girard et S. Hennette-Vauchez (dit.), Voyage au bout de la dignité, op. cit.
68 Cf. infra, n° 551 s.
69 À première vue donc, cette prétention répond à l’un des postulats positivistes, selon lequel la tâche d’un juriste-théoricien consiste à décrire, non à prescrire. Toutefois, notre point de vue étant à la fois réflexif et critique, nous avons le devoir de prévenir qu’il ne s’agit ici que d’une prétention. Nous ne pouvons donc pas exclure d’échouer. Les développements montreront d’ailleurs que cette volonté postulée de ne pas prescrire, qui s’apparente à une autorestriction, reproduit l’ambiguïté attachée à la notion de fondement du droit : celle d’être à la fois contraignante et absolument libre quant à sa définition. Cf. infra, spéc. n° 125. Cette ambiguïté est d’ailleurs la même que celle de la souveraineté, qui se présente comme une notion autoposée, cf. infra, n. 430 ; de même sur le principe d’autolimitation de l’autorité de l’Etat, cf. infra, n. 129. Cette ambiguïté fait aussi écho à la problématique de l’acte constituant, cf. infra, n° 267, ii ; l’acte constituant comme acte de rupture, A. Negri, Le pouvoir constituant, Paris, PUF, 1997, et comme acte fondateur, C. girard, « Contracting and founding in times of conflict », communication à la conférence Varieties of World-Making. Beyond Globalization, Institut universitaire européen de Florence, 14-16 octobre 2004 (ouvrage à paraître). Pour un aperçu général de la problématique du pouvoir constituant, voir C. Klein, Théorie et pratique du pouvoir constituant, Paris, PUF, coll. Les voies du droit, 1996.
70 Cf. infra, n° 156 et aussi n. 196 et n. 871.
71 P. Jestaz et C. Jamin, La doctrine, Paris, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2004.
72 F. Recanati, La transparence et l’énonciation. Pour introduire à la pragmatique, Paris, Seuil, coll. L’ordre philosophique, 1979, rééd. 1989. Cf. infra, spéc. n. 373.
73 Cf. infra, n° 503 s.
74 Le « rapport au droit » est déterminé à la fois par la fonction institutionnelle de l’acteur juridique, par exemple le juriste-théoricien, et la signification juridique de l’objet, qui peut être – et qui sera le plus souvent – une norme juridique. Ici, et dans un premier temps, la question est compliquée parce que l’objet juridique, lorsqu’il prend le nom des droits fondamentaux et qu’il est associé au fondement du droit, comporte un enjeu particulier. En effet, les conséquences attachées à une norme dite fondamentale et/ou remplissant la fonction de fonder un ordre juridique, sont particulières. L’enjeu d’un fondement en droit est précisément celui de la définition du droit, puisque celui qui maîtrise le contenu du fondement, détient par voie de conséquence le pouvoir de dire ce qu’est le droit. Le fondement joue en effet le rôle d’un étalon à l’aune duquel on peut évaluer la normativité, l’obligatoriété d’une allégation. Dès lors, la juridicité, c’est-à-dire la qualité de ce qui est du droit, dépend de la confrontation à la référence fondamentale. Aussi, la parole consistant à dire ce qu’est le fondement du droit détermine-telle la source du droit et ainsi, ce qui en découle. La métaphore traditionnelle de la source du droit explique bien que le droit dans son ensemble, en tant qu’ordre, dépend de l’existence et du contenu de cette source, voir Sources du droit, APD, t. XXVII, Paris, Sirey, 1982 ; spéc. P. Amselek, « Brèves réflexions sur la notion de sources du droit », APD, t. XXVII, 1982, p. 252-254, notamment à propos du De Legibus de Cicéron. Mais la métaphore des sources ne doit pas occulter la question stratégique que constitue la thématique du fondement du droit. Dans un second temps, la question est aussi compliquée par le fait que la normativité du fondement du droit n’est pas un donné a priori et n’a donc aucune automaticité. Considérer cet objet comme une norme ou comme un fait induit deux attitudes différentes de la part des juristes-théoriciens ; le fondement est considéré, soit comme un élément de droit ou soit comme un élément de fait. Les options sont les suivantes : le fondement est considéré comme un élément de fait destiné à devenir du droit ; comme un élément de fait condamné à demeurer du fait ; comme un élément qui a toujours été et demeurera du droit. Ces options sont de nature à nuancer la signification de l’objet, en principe un fondement du droit aux yeux de ceux qui tentent de le décrire. Il ne faut pas confondre ici le fondement et le motif ou la motivation des arguments juridiques utilisés et examinés lors d’une affaire. Il s’agit de l’énonciation d’un fondement du droit objectif, comme il est arrivé que le juge administratif énonce un principe général du droit ou le Conseil constitutionnel, un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Notons que le recours à l’expression du « fondement de notre droit » ou expression approchante, existe, mais uniquement dans le texte des saisines du Conseil constitutionnel. C’est le cas pour quelques décisions. Voir déc. n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Bioéthique et l’énonciation par le Conseil du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ; déc. n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, CMU et le principe fondamental reconnu par les lois de la République du respect des droits de la défense. Mais l’argument relatif au « principe contributif, fondement de notre régime de protection sociale », énoncé par les auteurs de la saisine, n’a pas trouvé d’écho dans la décision CMU du Conseil constitutionnel ; déc. n° 2003-480 DC du 31 juillet 2003, Archéologie préventive, « Votre jurisprudence a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de continuité du service public, principe fondamental de notre droit public (déc. n° 79-105 DC du 25 juillet 1979 ; n° 94-347 DC du 21 juillet 1994 ; n° 96-380 DC du 23 juillet 1996) » ; déc. n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Salaires, temps de travail, développement de l’emploi : « [...] le principe de faveur, lequel constitue, en soi, un principe fondamental du droit du travail qui s’impose au législateur [...]. Ce principe de faveur apparaît bien comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République posé par le législateur républicain car, touchant à l’exercice des droits et libertés, et ayant reçu une application constante et suffisante dans la législation antérieure à 1946 ». Un principe fondamental du droit ou d’une branche du droit aurait pour caractéristique de limiter la souveraineté du législateur et se justifierait par une application sur un temps jugé long et une période spécifique de l’histoire politico-juridique française. Malgré ces références, l’expression « fondement de notre droit » n’a pas cours dans les textes des jugements, arrêts et décisions.
75 Cf. infra, dans cette introduction, le choix de la distanciation, n° 36 s.
76 Ceci pour dire que le positivisme, en raison de la rigueur de ces postulats, que l’on appelle parfois aussi des dogmes, rend pratiquement impossible leur respect. De sorte que le positivisme ne peut être en quelque sorte, qu’une attitude asymptotique : on ne peut qu’y tendre, jamais l’être. Dans ces conditions, n’étant jamais tout à fait positiviste, on est nécessairement jusnaturaliste. Cette position pourra paraître défaitiste, ou pire, paresseuse ; nous préférons la considérer – sans connotation théorique cette fois – réaliste. Elle tient compte de l’impossibilité de séparer « purement » droit et morale, objectivité et subjectivité, etc.
77 N. Bobbio, Essais de théorie du droit, trad. M. Guéret et C. Agostini, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1998, p. 44.
78 M. Troper, La philosophie du droit, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2003, p. 20-21.
79 Certains travaux entreprennent de décrire un ordre juridique hiérarchisé à partir des droits fondamentaux, dont la constitution dispose expressément qu’ils sont une norme de rang constitutionnel prééminent, voir par exemple, J. P. Müller, Pour une théorie suisse des droits fondamentaux, Berne, Stampfli, 1984, et, sous forme d’article, A. Auer, « Les droits fondamentaux et leur protection », Pouvoirs, n° 43, 1987, p. 87 ; plus récemment, voir L. Ferrajoli, Dirittifondamentali, Rome et Bari, Laterza, 2001, G. Peces-Barba Martinez, Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, vol. 38, 2003. On a vu aussi s’affirmer en France un appel à la reconnaissance de droits fondamentaux, dans le cadre d’une théorie constitutionnelle du droit mettant en avant à la fois une fonction et un contenu de ces droits, voir W. Sabete Ghobrial, De l’obligation de la reconnaissance constitutionnelle des droits fondamentaux. À la recherche d’un fondement de l’obligation, Th. dr. publ., Bordeaux I, dactyl., 1994. Il faut ici noter l’association entre droits fondamentaux et fondement du caractère obligatoire, et donc juridique, d’un énoncé ; autant dire entre droits fondamentaux et fondement du droit. Au cours d’une réflexion qui ne prend pas appui sur les droits fondamentaux dans un premier temps, mais qui en fait le cadre de la réflexion sur la notion de personne humaine, X. Bioy s’attache à décrire le mécanisme du rapprochement entre ces deux notions juridiques. Il semblerait alors que l’intention soit d’associer la notion de personne humaine à celle de droits fondamentaux, et de faire de la première notion, un critère de la seconde. Il y aurait alors non seulement une recherche fonctionnelle, mais aussi une recherche de contenu, X. Bioy, Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, op. cit. Certains articles de doctrine, entreprennent cette recherche substantielle à l’égard des droits fondamentaux ou des droits de l’homme, voire de la dignité de la personne humaine, ce qui participe de la même logique. Mais nous nous concentrons ici sur les droits fondamentaux, dans leur rapport éventuel avec les droits de l’homme. Voir dans la perspective d’une recherche approfondie sur les tenants et aboutissants de la notion de droits fondamentaux, prise dans la réalité jurisprudentielle ambiguë de son application en France, É. picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », art. préc., du même auteur, « Droits fondamentaux », art. préc. Dans une perspective approchante en ce qu’elle vise à mettre au jour une « substance » susceptible de correspondre à l’idée que peut inspirer l’adjectif « fondamental » à l’auteur du discours doctrinal, B. mathieu, « Pour une reconnaissance de “principes matriciels” en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », art. préc. ; M.-L. Pavia, « Éléments de réflexion sur la notion de droit fondamental », Les petites affiches, n° 54, 1994, p. 13 ; P. Fraisseix, « Les droits fondamentaux. Prolongement ou dénaturation des droits de l’homme ? », art. préc. Dans un cadre plus pratique, B. mathieu, « Force et faiblesse des droits fondamentaux comme instruments du droit de la bioéthique : Le principe de dignité et les interventions sur le génome humain », RDP, 1999, p. 93.
Cette tendance est d’autant plus marquante, lorsqu’elle se manifeste au cours d’une recherche sur la jurisprudence d’un juge qui n’a pas encore eu l’occasion de faire grand usage de l’expression. En effet, le Conseil constitutionnel prononce le terme « droits fondamentaux » à partir de la décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé. Pourtant, on voit notamment un article annonçant un bilan et une réforme au sujet de cette jurisprudence, voir par exemple J. Robert, « La protection des droits fondamentaux et le juge constitutionnel français. Bilan et réforme », RDP. 1990, p. 1255 ou R. Badinter et B. Genevois, « Normes de valeur constitutionnelle et degré de protection des droits fondamentaux », rapport de la délégation française à la VIIIe Conférence des cours constitutionnelles européennes, RFDA, 1990, p. 317 ; et plus encore lorsque, dans les années 1980, s’amorce un mouvement doctrinal, dit de la constitutionnalisation du droit, dont on s’aperçoit qu’il s’initie à partir d’une notion de droits fondamentaux encore inexprimée dans la jurisprudence française, L. Favoreu (dir.), Cours constitutionnelles et droits fondamentaux, Aix-Marseille, Économica, 1982. Elle transparaît aussi dans le choix récent de créer une matière du droit constitutionnel jurisprudentiel, à partir d’un vocable somme toute peu utilisé par le juge correspondant, B. Mathieu et M. Verpeaux,
Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, coll. Manuels, 2002. En effet, on ne compte pas plus de trois décisions, entre 1990 et 1997, cf. infra, n. 196, dans lesquelles, le Conseil constitutionnel invoque – lui-même et non la saisine ou le Gouvernement – les droits fondamentaux ou, plus exactement, les « droits et libertés fondamentaux à valeur constitutionnelle ». Pour un aperçu critique de l’usage comparé de la catégorie par le juge constitutionnel et par la doctrine, voir J. Favre et B. Tardivel, « Recherches sur la catégorie jurisprudentielle de “libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle” », art. préc. Cette tendance à la prescription d’un contenu des droits fondamentaux est sans équivoque lorsqu’elle s’inscrit dans la perspective de la connaissance du droit naturel dont les droits fondamentaux seraient l’expression positive, P. Arsac, J.-L. Chabot, H. Pallard (dir.), État de droit, droits fondamentaux et diversité culturelle, Paris, L’Harmattan, 1999. Cf. infra, n° 518 s.
80 H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 77.
81 Cf. supra, n. 74.
82 Cf. infra, n° 503 s.
83 Adepte du « ni... ni... », l’auteur pourra refuser d’être catalogué en tant que juspositiviste ou jusnaturaliste.
84 Nous avons organisé un dialogue non seulement entre juristes (Kelsen, Hart, Villey, Perelman), mais aussi avec les philosophes qui ont pu les inspirer (quelques représentants de l’École moderne du droit naturel, mais aussi Kant, Rousseau et d’autres). Nous avons également trouvé quelques éléments d’explication chez des auteurs contemporains de la théorie politique et de la pensée dite sociale, tels que J. Rawls ou J. Habermas. Ils nous permettent d’élargir encore le débat.
85 Par exemple, les ouvrages théoriques de M. Troper, Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, coll. Léviathan, 1994 ou La théorie du droit, le droit, l’État, Paris, PUF, coll. Léviathan, 2001 ; plutôt que le manuel de droit constitutionnel, M. Troper et F. Hamon, Manuel de droit constitutionnel, 28e éd., Paris, LGDJ, Montchrestien, EJA, coll. Manuels, 2003 ; même si la dimension théorique du manuel existe aussi indéniablement.
86 Cf. infra, n° 55, où nous reconnaissons que nous aurions tendance prima facie à lier droits fondamentaux au fondement du droit, sans autre forme de réflexion théorique.
87 Nous avons alors cru pouvoir éviter de prendre parti pour l’un ou l’autre camp, juspositiviste ou jusnaturaliste. Les développements de cette thèse vouent, quoi qu’il en soit, cette intention initiale à l’échec. La croyance selon laquelle une absence d’« engagement théorique » est non seulement possible, mais souhaitable, est renversée par la démonstration que tout, y compris et surtout les éléments fondamentaux d’un système juridique, est affaire de choix et qu’en tout, la neutralité n’est pas possible. Cf. supra, n° 32.
88 Cf. supra, p. 23 s.
89 Comme un euphémisme, cette expression permet de nuancer la dichotomie tout en maintenant son opérationnalité. Elle permet d’ailleurs de parler de tendance ou de tonalité, jusnaturaliste ou jusposiviste. C’est aussi une manière de marquer notre approbation quant à l’idée maintenant largement acceptée selon laquelle il existe plusieurs jusnaturalismes et plusieurs juspositivismes. Pour le recours à l’adjectif « non positiviste », cf. infra, spéc. n° 359 ; pour la pertinence du pluriel, cf. infra, spéc. n. 91.
90 Sauf la mention des droits fondamentaux par Kelsen qui, pourtant ne donne pas lieu à l’élaboration d’une théorie de ces droits qui les distinguent juridiquement des autres normes. Cf. infra, n° 74.
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