Chapitre 3. Politiques de la nature ordinaire
p. 291-316
Texte intégral
1Le premier effort important qui caractérise la démarche voulant élaborer une éthique de la nature ordinaire est de rendre à nouveau visible la part naturelle de nos activités sociales. L’éthique de la nature ordinaire attire notre attention sur les relations quotidiennes entre les hommes et la nature. Elle cherche à montrer que ce que nous pensions comme des activités purement humaines engage, en réalité, des relations avec des êtres naturels et que ces relations ne sont pas moralement neutres. Or, dès lors que nous reconnaissons que nous n’agissons pas sur, mais avec la nature, nous devons nous interroger sur les bonnes et les mauvaises façons de nous conduire. De ce point de vue, l’éthique de la nature ordinaire doit se prolonger par une politique de la nature ordinaire, qui pose la question de la construction d’une société démocratique n’ignorant plus les relations entre les hommes et la nature ordinaire.
La révolution du tiers espace ou l’impossible entrée en politique de la nature
2La nature constitue-t-elle un nouvel acteur porteur d’une transformation politique profonde ? Le moment politique qu’ouvre la reconnaissance de la crise environnementale globale dans les années 1970 est-il celui de la révolution de la nature ? C’est, d’une certaine façon, ce que donne à penser l’expression de « tiers espace » utilisée pour désigner l’apparition de la nature dans le paysage politique de la fin du xxe siècle. Nous trouvons cette expression sous la plume de trois auteurs venus d’horizons différents : le sociologue Jean Viard, le géographe Martin Vanier et, enfin, sous la forme déjà évoquée du « tiers paysage », le jardinier Gilles Clément1. S’ils l’utilisent dans des contextes sensiblement différents et à des fins qui, nous allons le voir, divergent également, ces auteurs déclinent une même intention de recherche, que l’on peut résumer par l’idée de penser la nature comme « tiers », c’est-à-dire comme une entité qui était par le passé absente des discussions ou des rapports de force visant à régler l’organisation de la communauté politique, mais avec laquelle il faudra dorénavant compter.
La nature comme tiers
3La première référence que nous allons examiner est la plus ancienne, issue du travail du sociologue Jean Viard. Dans le cadre de ses recherches sur l’aménagement du territoire, sur l’agriculture et plus globalement sur les espaces ruraux, ce dernier publie, en 1990, un ouvrage intitulé Le tiers espace. Essai sur la nature2. JeanViard s’y attache à décrire l’apparition d’un nouveau type d’espace qui ne rentre pas dans le cadre traditionnel d’analyse du territoire défini par la vieille opposition entre ville et campagne. Il s’agit – le titre de l’ouvrage nous l’avait déjà indiqué – de la nature, plus exactement des espaces dédiés, ou plutôt réservés, à la nature. Le tiers espace est donc la nature des parcs, des réserves, la nature « emparquée ».
4Ce qui rend ces nouveaux espaces intéressants pour le sociologue, c’est la façon dont ils sont mis en protection, à l’abri, par l’homme contre lui-même. Il écrit à ce propos :
Nous vivons la définition d’un nouvel espace, espace qui trouve la légitimité de ses usages et de ses règles dans l’octroi à la nature d’un territoire propre, octroi humain où l’homme se constitue un nouveau pôle absolu de relation avec son idée du temps. Désirant instituer le pré-humain comme lieu, il inscrit dans le patrimoine de l’humanité des morceaux du globe, cassant ainsi, au moins symboliquement, son droit à l’appropriation généralisée de la terre et du monde3.
5Les espaces paradigmatiques auxquels pense Jean Viard sont, en premier lieu, les parcs nationaux américains, créés à partir du xixe siècle (Yellowstone en 1872,Yosemite en 1890) et, d’autre part, les parcs nationaux français créés à partir de la loi de 1960 (Vanoise en 1963, Port Cros en 1963, Pyrénées en 1967, Cévennes 1970, Écrins en 1973, Mercantour en 1979, Guadeloupe en 1989, La Réunion en 2007 et Guyane en 2007).
6Il élabore ainsi le concept de tiers espace comme un outil pour essayer de penser l’apparition de ce nouveau type d’espace réservé par l’homme à la nature. Il écrit :
J’ai cherché à fabriquer une machine à faire penser qui remette sur l’ouvrage nos vieilles catégories de villes et de campagnes pour proposer l’idée que dans notre société planétaire régie par la civilisation urbaine, un tiers-espace, l’espace-nature, était venu déranger et requalifier l’espace-ville et l’espace-campagne4.
7Concernant plus particulièrement le cas français, l’apparition du tiers espace se fait durant la période charnière pour l’aménagement du territoire que sont les années 1950-1960. D’une part, un nouveau maillage du territoire se met en place avec de nouvelles catégories en rupture avec celles de la Révolution – notamment avec la morphologie physique des départements – et établissent un zonage du territoire. JeanViard écrit sur ce point :
Nous quittons, chaque jour un peu plus, une période de notre histoire marquée d’un nouveau maillage du territoire. Une même pensée se saisit de la France des années cinquante/soixante et y dessina zones à urbaniser en priorité, zones industrielles, zones rurales, schéma routier national, plans d’occupation des sols, parcs nationaux, parcs naturels régionaux… Autrement dit, la place de chaque usage se trouva redéfinie, le plus souvent sans qu’il ne déménage. Ainsi, la grande refonte territoriale de la Révolution française, celle des frontières naturelles et des départements, qui accoutuma à vivre dans des cadres géographiques (rivières et fleuves, massifs, mers et océans), céda la place à une nouvelle grille de repérage basée sur le numéro (substitut des noms de lieux) et des zones généralement monocaractérisées5.
8D’autre part, la transformation productiviste de l’agriculture modifie profondément les campagnes. L’intensification importante des cultures libère, notamment, des espaces qui ne sont plus cultivés. C’est précisément sur ces derniers que l’on va pouvoir installer la nature, comme le décrit le sociologue :
Les transformations internes à l’agriculture marquées par le passage de la communauté rurale au monde technique de l’exploitation agricole vont permettre que des espaces délaissés soient occupés par nos désirs de nature6.
9Plus globalement, c’est un nouveau rapport entre la société et le territoire qui semble caractériser la France de la fin du xxe siècle. JeanViard écrit en ce sens que :
l’espace n’est plus en correspondance simple avec l’organisation sociale. Territoire/espace/social sont dans un jeu de relations complexe que nos systèmes de perception et de pensée ont bien du mal à démêler et à représenter7.
10Et il faut, pour comprendre ce nouveau rapport, « sortir toujours plus nettement de la pensée spatiale, cadastrale et sédentaire issue des anciennes paroisses ». C’est dans cette optique que Jean Viard propose un cadre tripolaire, et non plus bipolaire, composé de trois pôles absolus : la ville, la campagne et la nature, tiers espace qui révolutionne la pensée territoriale.
11C’est dans le travail du géographe MartinVanier que nous allons rencontrer la deuxième conception de la notion de tiers espace. Celui-ci publie en 2000 un article intitulé « Qu’est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique8 », qu’il reprend en partie dans un passage de son livre postérieur Le pouvoir des territoires. Essai sur l’interterritorialité9. Il écrit, par la suite, un certain nombre d’articles dans les titres desquels apparaît la notion de tiers espace10.
12Dans le premier texte cité, Martin Vanier attribue explicitement la paternité de ce concept à JeanViard, pour qui selon lui le tiers espace est une « certaine idée de la nature ». Toutefois, il précise immédiatement qu’il va se démarquer de la réflexion du sociologue, écrivant en ce sens :
C’est dans un sens tout différent qu’on l’entendra ici, à la fois plus matériel, fonctionnel, et plus politique. Dans cette présente note de recherche, le tiers espace est cet espace mi-urbain mi-rural, c’est-à-dire en somme ni vraiment urbain ni vraiment rural, qui s’est considérablement développé durant les trente ou quarante dernières années sous les vocables de périurbain, suburbain, rurbain, exurbain, contre-urbain, etc., et qui, contrairement aux espaces de croissance et d’étalement urbain des étapes précédentes, semble devoir conserver durablement des caractéristiques d’organisation spatiale qui ne le feront ni basculer du côté de la ville en bonne et due forme, ni se fondre dans la campagne éternelle et toujours renouvelée11.
13Le tiers espace n’est donc pas un troisième pôle à côté de la ville et de la campagne, il est une forme d’espace hybride, entre le rural et l’urbain. Produit de la périurbanisation, mais non simple extension de l’urbain, il renvoie à des espaces qui combinent durablement les logiques – habitantes, sociales, économiques, techniques, etc. – rurales et urbaines.
14Le tiers espace rassemble donc tous les espaces indéterminés, intermédiaires, que l’on ne parvient pas à classer du côté de la ville ou du côté de la campagne. De ce point de vue, il se démarque clairement de la « nature emparquée » des parcs nationaux. En réalité, dans les termes de l’analyse de Jean Viard, le tiers espace serait, en somme, plus proche de l’entre-trois qui s’étend entre les « pôles absolus » du territoire – ville, campagne, nature – que de la nature, elle-même : « essai sur la nature12 », avait annoncé Jean Viard en sous-titre ; « essai sur l’interterritorialité13 », écrit quant à lui Martin Vanier.
15Essentiellement caractérisée par sa position d’entre-deux, par sa situation d’intermédiaire, la notion est très large et recouvre une grande diversité d’espaces. Martin Vanier reconnaît que le tiers espace est « multi-forme », « discontinu » et « complexe », et, en conséquence, difficile à saisir.
16Au fil de son article, il propose toutefois quelques énumérations illustratives qui permettent de mieux cerner ce qu’il entend désigner par le terme de tiers espace. Il écrit, par exemple, que celui-ci réside
Dans les aires d’influence des métropoles, dans les interstices des réseaux de villes petites et moyennes qui polarisent l’espace de métapolisation, le long des grands couloirs de circulation, et particulièrement dans certaines régions de tourisme littoral et alpin qui se sont tant urbanisés ces dernières décennies14 ;
17Ou que l’on peut le décrire comme
un réseau de places, pôles, tissus (petits centres urbains relais, pôles commerciaux, concentrations au droit des échangeurs autoroutiers, nappes de lotissements, etc.), en même temps qu’un ensemble d’espaces interstitiels (parcelles agricoles, boisées, zones naturelles protégées… )15.
18Dans un article intitulé « Le périurbain à l’heure du crapaud buffle : tiers espace de la nature, nature du tiers espace16 », il résume en disant que ce dernier désigne
des espaces de densité intermédiaire aux formes hétéroclites d’occupation des sols, aux paysages mixtes, aux polarisations discrètes ou lointaines mais aux réseaux omniprésents – campagnes urbanisées, petites villes prises dans la métropolisation, linéaments qu’on ne sait plus comment qualifier : tout un désordre inacceptable à la pensée fonctionnaliste17.
19Dans ce même article, MartinVanier étudie plus précisément la question des rapports entre nature et tiers espace. Il souligne la façon dont celui-ci permet de sortir de l’opposition de longue date entre la nature des campagnes et l’artifice des villes. Dans le tiers espace, l’urbain et le rural, comme le naturel et l’artificiel, s’entremêlent : une route croise le biotope des crapauds buffles et les représentants de cette espèce protégée de batraciens la traversent pendant la période de reproduction, s’exposant aux roues des voitures. Dans ce contexte, comme l’écrit le géographe,
le périurbain s’interroge : s’il doit, un tant soit peu, partager son habitat avec la faune et la flore locales, quel statut doit prendre ce partage ? S’agit-il d’une limite pour la ville, ou de la condition d’une nouvelle urbanité ? Les batraciens traversent, mais le périurbain hésite18.
20Le tiers espace est le lieu de rencontre de conceptions et d’usages variés de la nature, s’y croisent les regards des paysans, des nouveaux ruraux, mais aussi des écologues, etc. De ce point de vue, ce tiers espace décrit par Martin Vanier, qui naît de la périurbanisation, n’est pas sans rappeler certaines des descriptions que nous avons faites d’une forme de nature ordinaire.
21C’est, enfin, sous l’appellation, rencontrée au chapitre précédent, de « tiers paysage » que nous trouvons la troisième et dernière référence à l’idée de tiers. Tiers paysage donc, et non tiers espace, c’est, comme nous l’avons vu, le terme qu’utilise le jardinier Gilles Clément pour désigner « la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature19 ».
Tiers espace et tiers état
22S’ils en donnent ainsi une définition différente, les trois auteurs affirment conjointement que le tiers espace ou le tiers paysage renvoient bien au tiers état comme ordre de la société d’Ancien Régime, Martin Vanier et Gilles Clément se référant même, comme nous allons le voir, au célèbre essai de 1789 de l’abbé Sieyès Qu’est-ce que le tiers état ?. Chez Jean Viard, la référence semble avant tout conjoncturelle. Son ouvrage paraissant en 1990, année qui suit le bicentenaire de la Révolution très célébré en France, il indique par le choix du terme de tiers espace sa volonté de rendre hommage à la Révolution. Mais il précise aussi de quelle façon cette référence peut faire sens en associant la dimension révolutionnaire du tiers espace à la force politique qui accompagne son institution et qui est portée par l’impératif écologique. Il entame ainsi son ouvrage par les lignes suivantes :
Achever, l’année du bicentenaire de la Révolution française, un livre intitulé le tiers espace, est une forme d’hommage à cet événement. Mais hommage questionneur, tentant d’éclairer dans le présent des forces qui font bouger notre idée de l’homme et de la vie et notre capacité à nous représenter ce monde. Or, l’intrusion progressive dans notre siècle de l’impératif écologique est pour moi une de ces forces neuves, chargée à la fois d’espoir et de danger, nourrie d’histoire longue et de catastrophe présente20.
23Autrement dit, désigner la nature que l’on protège et qui se voit peu à peu accorder une place qui lui est propre dans le territoire par le terme de tiers espace inviterait à comprendre le développement de ce phénomène de la même façon que le tiers état se voit reconnaître une existence politique en 1789.
24En intitulant l’article dans lequel il introduit la notion de tiers espace « Qu’est-ce que le tiers espace ? » et en donnant pour titre à son introduction « Le retour de l’abbé Sieyès », Martin Vanier, quant à lui, marque plus explicitement encore cette référence qu’il met en scène dans l’interrogation suivante :
Entendrons-nous dans quelque temps un essayiste politique s’enflammer sur le mode : « Qu’est-ce que le tiers espace ? Tout ! Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans la recomposition territoriale ? Rien ! Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose ! » Qui pourrait bien s’affirmer ainsi comme le Sieyès moderne de la révolution des territoires [… ]21 ?
25De ce point de vue, le géographe semble même établir une véritable analogie : le tiers espace serait à la révolution des territoires ce que le tiers état fut à la Révolution française22.
26C’est à Sieyès également que Gilles Clément fait, enfin, référence dès la troisième phrase du Manifeste du Tiers paysage, dans laquelle il écrit :
Tiers paysage renvoie à tiers-état (et non à Tiers-monde). Espace n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir [...]. Il se réfère au pamphlet de Sieyès en 1789 :
« Qu’est-ce que le tiers-état ? -Tout.
Qu’a-t-il fait jusqu’à présent ? - Rien.
Qu’aspire-t-il à devenir ? - Quelque chose »23.
27Faut-il ne voir dans ces références qu’un simple clin d’oeil à l’abbé Sieyès, comme Martin Vanier le suggère lui-même24 ? Ou peut-on au-delà du « clin d’oeil » ou du simple recyclage de la puissante rhétorique sieyèsienne, trouver dans la pensée du révolutionnaire de 1789 des éléments de réflexion sur le tiers espace ?
28Nous allons ici nous concentrer sur l’analyse de Jean Viard. Celle-ci consiste à associer l’apparition sur le territoire de ce nouvel espace et la montée dans le champ politique du courant écologiste. L’entrée en politique du tiers espace se concrétiserait par l’apparition d’une nouvelle force sur la scène politique, qui entend faire passer le message de l’« impératif écologique ». Les partis verts seraient, en quelque sorte, la voix politique du tiers espace. Et, de ce point de vue, le sociologue décrit, non sans en faire la critique, ce qu’il considère comme une volonté politique d’imposer la nécessité de la protection de cette nature mise à l’écart des hommes. Il écrit en ce sens :
En fait, leur objet est d’imposer ce tiers espace comme espace de protection et d’amour, à partir du vert défini comme territoire/couleur/ emblématique ; la peur de la mort, celle des forêts, celle de la couche d’ozone, fonctionnant comme dans chaque religion en point focal de la religiosité25.
29Et l’ultime phrase de l’ouvrage renouvelle cette critique qui, en définitive, voit dans l’écologie politique l’intrusion d’une nouvelle forme de religion dans la sphère politique :
Si la légitimité des Verts se confond avec celle que nous proposons ici au tiers espace, alors s’ouvre une perspective de réflexion où la laïcisation de structures religieuses de la pensée, comme moment de l’intégration de préoccupations humaines neuves dans le corpus ancien, doit être réfléchie en soi. Ne voyons-nous pas à l’œuvre le même mécanisme intellectuel pour organiser hier la domination de la ville, aujourd’hui celle de la nature26 ?
30De ce point de vue, il apparaît, en définitive, que le rapprochement entre tiers espace et tiers état sert essentiellement, ici, la critique de la volonté que porteraient les écologistes de faire entrer la nature en politique.
31Avec le renversement entre dominations de la ville et de la nature, Jean Viard propose, au fond, une lecture territoriale assez schématique dans laquelle une hypothétique « révolution de la nature » viendrait répondre quelque deux cents ans plus tard à la Révolution française. De fait, les revendications du tiers espace ainsi définies s’opposent à la logique qui présida à la réforme territoriale27, que Sieyès, notamment, appelait de ses vœux. Dans l’optique de cette dernière, la France devait « former un seul tout, soumis uniformément dans toutes ses parties, à une législation et une administration communes28 ». À ce propos, Sieyès écrit encore qu’il faut doter la France d’« une administration générale qui, partant d’un centre commun, va frapper uniformément les parties les plus reculées de l’empire29 ». Cet objectif donne lieu au projet d’aménagement du territoire géométrique du 29 septembre 1789, inspiré par Sieyès et Thouret, qui prévoyait de découper la France en 80 départements carrés (avec 18 lieues de côté), chacun d’eux divisé en 9 cantons. Nous voyons bien comment l’idée de créer des espaces protégés à l’écart de l’administration commune du reste du territoire s’oppose à cette politique territoriale. Toutefois, le rapprochement entre tiers espace et tiers état tourne court parce qu’il n’y a ici rien de tel qu’une révolution de la nature, mais plutôt l’achèvement du processus de spatialisation du dualisme moderne qui a commencé après la période révolutionnaire et s’est poursuivi aux xixe et xxe siècles, que nous avons décrit dans la deuxième partie de cet ouvrage.
32En définitive, ce qui ressort de l’analyse territoriale de Jean Viard, c’est l’impossibilité de faire entrer la nature en politique si nous continuons à la penser dans un cadre dualiste qui l’oppose radicalement aux hommes. Si le tiers espace est l’ensemble des territoires soustraits à l’administration des hommes, nous ne voyons pas très bien comment il pourrait avoir trait à la politique.
33Nous rejoignons, au fond, la réflexion menée par Bruno Latour dans Politiques de la nature30, qui vise à montrer comment une écologie politique qui cherche à faire entrer la nature en démocratie conduit à une impasse. Après avoir souligné dans ce même ouvrage la façon dont les environnementalistes avaient contribué à la refonte de notre conception du politique en montrant comment les non-humains participaient eux aussi à la composition du monde commun, le sociologue met en garde contre le risque de les voir court-circuiter le processus de composition en essayant d’imposer au collectif une organisation calquée sur des schémas écologiques. Une « révolte des moyens » oui, mais pas de révolution de la nature ! Pour Bruno Latour, c’est précisément l’erreur majeure que commettent les écologistes. En voulant faire entrer en politique la nature « organique » qu’ils se sont attachés à redéfinir, ils reproduisent, selon lui, le schéma moderne qui donne aux savoirs naturalistes la capacité de couper court aux discussions politiques par lesquelles devrait s’élaborer l’articulation du collectif. C’est ce que le sociologue reproche précisément à un auteur comme John Baird Callicott, à propos duquel il écrit :
S’il suffisait de critiquer la notion de nature pour s’en sortir, l’écologie politique aurait la philosophie de ses ambitions. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Un article au titre aussi flamboyant que « La nature est morte, vive la nature ! » a pour but de montrer qu’après la vision mécaniste de la nature une autre vision « plus organique » va prendre sa place. […] On pourrait attendre de John Baird Callicott un doute quelconque sur l’utilité politique de la notion de nature. Et bien non, en passant, et sans même le signaler, il a court-circuité le travail d’unification. On est donc passé du dualisme supposé du passé à l’unité englobante sans s’apercevoir que la nature y joue le même rôle deux fois31 !
34Pour Bruno Latour, la nature comme la société, son pendant dans l’« ancienne Constitution », doivent être purement et simplement congédiées de la réflexion politique. Est-ce à dire qu’il faut écarter toute tentative de penser le tiers espace comme un nouvel acteur politique ? Nous allons voir que l’auteur lui-même défend une proposition qui rejoint, en réalité, une telle tentative si l’on envisage maintenant le tiers espace, non plus sous la forme de la conception moderne de la nature, mais sous celle que nous en donne Martin Vanier.
La voie latourienne : faire entrer les non-humains en politique
La nature dans les collectifs
35Bruno Latour nous invite, en effet, à commencer la réflexion politique en nous interrogeant : qui sommes-nous, nous qui nous associons dans des communautés politiques ? À cette question, qu’il faut comprendre du point de vue de l’ontologie sociale, et non pas comme une interrogation identitaire, les théories politiques classiques répondent : une assemblée d’individus humains qui cherchent à s’entendre ou acceptent de s’entendre sur une gamme plus ou moins large de règles et de fins collectives. Or, pour Bruno Latour, ce postulat de base est tout simplement faux, pour deux raisons. D’une part, il n’est pas vrai que nos sociétés politiques sont des associations d’humains et seulement d’humains : nous sommes également engagés avec des acteurs non humains. D’autre part, cette conception laisse à penser que l’on peut apporter une réponse quasi définitive à la question de la composition du collectif, que l’on pourrait tracer une frontière stable entre l’intérieur et l’extérieur de la communauté. Or, ce que va montrer le sociologue, c’est que cette frontière est toujours mouvante, sans cesse remise en cause, que la composition de la communauté n’est, en somme, jamais arrêtée. Cette instabilité est structurelle, elle ne renvoie pas simplement aux recompositions liées à la possibilité qu’ont les membres de quitter la communauté, ou au contraire d’y entrer. Dans le modèle démocratique latourien, toute décision politique conduit à intégrer de nouveaux membres dans le monde commun, ou au moins à confirmer l’intégration de certains d’entre eux, mais aussi à en rejeter d’autres. Chaque décision politique remodèle, en quelque sorte, les frontières du collectif.
36Or, pour Bruno Latour, du point de vue de sa typologie des contributions à l’exercice démocratique apportées par les différents « corps de métier », cette réflexion sur les frontières de la communauté politique caractérise la contribution des « moralistes ». Ce sont eux qui œuvrent sans cesse à attirer l’attention sur les exclus du collectif, sur ceux qu’une décision politique renvoie hors de la communauté. Cette contribution permet ainsi de clarifier les contours du « nous », au nom duquel les représentants politiques peuvent légitimement parler. Bruno Latour écrit ainsi :
Loin de s’opposer à la politique, comme le prétendait l’ancien partage des rôles, l’exigence de reprise va entrer, au contraire, en résonance avec le travail des politiques pour ravauder sans cesse la fragile enveloppe qui leur permet de dire « nous » sans être infidèles à leurs mandants. À tous les « Nous voulons » de la politique, le moraliste ajoutera : « Oui, mais eux, que veulent-ils ? »32.
37Dans ce cadre, nous voyons très bien le rôle plus spécifique que peuvent jouer les éthiciens de l’environnement : ces « moralistes » de la nature ont œuvré à montrer comment le monde commun, en tant que « résultat provisoire de l’unification progressive des réalités extérieures33 », excluait massivement les non-humains. D’une certaine manière, ce que Bruno Latour désigne comme l’« ancienne Constitution » rejetait même par principe ces non-humains du collectif, puisque le « grand partage moderne », qui la structurait, séparait la société des hommes d’un côté, et la nature de l’autre. Les êtres naturels étaient donc, par définition, exclus du monde commun. De ce point de vue, la critique de l’anthropocentrisme des sociétés modernes, menée par les éthiques environnementales, peut se lire comme une invitation à élargir le « nous » de la politique, en y incluant aussi, désormais, des non-humains. Il s’agit dès lors de veiller à ce que le monde commun que nous essayons de composer prenne bien la forme d’une association d’humains et de non-humains. En ce sens, l’auteur écrit :
Dans la nouvelle Constitution, le rôle des moralistes est justement d’éviter de tomber dans le piège où ils se retrouveraient avec une société simplement humaine environnée d’une nature simplement matérielle ! Avec la morale de l’écologie politique, on ne risque plus de croire en l’existence durable d’un tel extérieur et d’un tel intérieur. Si l’on ne peut s’entendre – politiquement, scientifiquement, économiquement – sans mettre de côté la plupart des êtres, grâce à la morale, les laissés pour compte se font entendre à nouveau. Réserver cette vertu aux seuls humains passera bientôt pour le plus immoral des vices34.
38Il reste, toutefois, à décrire la façon dont ces non-humains, que nous sommes invités à intégrer au collectif, peuvent concrètement participer à la composition progressive du monde commun. Comment ceux-ci pourraient-ils prendre une part active au débat démocratique ? Ne sont-ils pas muets ? Nouvelle erreur dans laquelle nous plongeait l’ancienne Constitution, riposte Bruno Latour. Affirmer que les non-humains sont incapables de prendre la parole dans l’espace public, c’est s’en tenir à une conception de la politique comme processus par lequel des sujets humains cherchent à organiser leur vie commune sur le support inerte que constitue la nature. Pour se défaire définitivement de cette conception, le sociologue propose d’examiner à nouveau trois questions fondamentales, du point de vue de la réflexion sur la procédure démocratique : qui parle ? qui agit ? qui peut35 ?
39La réponse à la première question va mettre fin à une affirmation qui semblait jusqu’ici indiscutable : les sujets parlent, les objets sont muets. C’est, précisément, cette incapacité des non-humains à prendre la parole qui impliquait nécessairement que la politique fût le domaine réservé des hommes. Et bien, Bruno Latour va nous montrer comment les objets, ou plutôt les non-humains, peuvent parler, et même comment, en réalité, ils ne cessent de parler dans la vie quotidienne de nos sociétés, que nous croyons humaines. Peut-être mieux que toute autre discipline, c’est, selon lui, la sociologie des sciences qui permet de le comprendre36. Que font les savants dans le cadre de leurs recherches scientifiques ? L’« ancienne réponse », celle qui dérivait du grand partage, était qu’ils produisaient des connaissances objectives fondées sur l’observation de la nature. Mais, Bruno Latour cherche à montrer que bien loin de ce modèle d’objectivité, la production des faits scientifiques emprunte des voies plus sinueuses et marquées par les controverses incessantes37. C’est qu’en réalité, l’action des scientifiques n’est pas d’introduire des faits objectifs dans la société afin de nous mettre d’accord. Il faut plutôt envisager les savants comme des « porte-parole » des non-humains, qui font entendre les voix de ces derniers et leur permettent d’entrer dans les débats et les controverses scientifiques. À ce sujet, l’auteur écrit :
Les blouses blanches ont inventé des appareils de phonation qui permettent aux non-humains de participer aux discussions des humains lorsqu’ils deviennent perplexes à propos de la participation des entités nouvelles à la vie collective38.
40De ce point de vue, l’activité scientifique n’est pas si différente de l’activité politique, dans laquelle des mandants confient à leurs représentants la tâche de porter leur parole dans le débat démocratique. C’est ainsi que Bruno Latour écrit :
Grâce à la notion de porte-parole, un rassemblement peut déjà commencer qui ne diviserait plus d’avance les types de représentants entre ceux qui démontrent ce que sont les choses et ceux qui affirment ce que veulent les humains39.
41Et, dans les sciences comme en politique, se pose, en définitive, la même question de la fiabilité des porte-parole qui s’expriment. C’est que les non-humains comme les humains connaissent des « embarras de parole », des situations dans lesquelles un doute apparaît quant à la fidélité des représentations.
42Mais ce qui importe ici, c’est de réintégrer les sciences dans le cours normal de l’élaboration progressive du monde commun, autrement dit de « faire entrer les sciences en démocratie ». Et, à la question « qui parle ? », il faut répondre les humains et les non-humains, sous peine de ne pouvoir articuler démocratiquement le collectif. Comme l’écrit Bruno Latour :
En défendant les droits du sujet humain à parler et à parler seul, on ne fonde pas la démocratie, on la rend chaque jour plus impraticable40.
43La question qui suit celle que nous venons d’examiner est : « Qui agit ? » L’auteur entend revenir maintenant sur un autre présupposé de la réflexion politique classique, à savoir que seuls les humains peuvent être considérés comme des acteurs de l’activité politique. Sur ce point, il écrit :
La tradition distingue, d’un côté, l’acteur social doué de conscience, de parole, de volonté et d’intention et, de l’autre, la chose qui obéit à des déterminations causales. Même s’il est souvent conditionné, voire déterminé, on dira que l’acteur se définit pourtant par sa liberté, alors qu’une chose ne fait qu’obéir à des chaînes de causalité. On ne peut pas dire d’une chose qu’elle est acteur, en tout cas pas un acteur social ; puisqu’au sens propre, elle n’agit pas. Elle est causée41.
44Mais, une nouvelle fois, cette répartition de la capacité d’agir résulte de la séparation théorique entre sujet et objet. Et si l’on considère qu’un être agit dès lors qu’il « modifie d’autres acteurs par une suite de transformations élémentaires dont on peut dresser une liste grâce à un protocole d’expériences42 », les candidats potentiels au titre d’acteur social apparaissent nettement plus nombreux que les seuls sujets humains. De façon générale, Bruno Latour redéfinit les acteurs sociaux comme des associations d’humains et de non-humains. Il ne constitue pas de ce point de vue les objets en acteurs sur le modèle des sujets isolés de l’ancienne Constitution. L’idée est au contraire de faire apparaître les attachements qui lient ces sujets et dont ils semblaient devoir se dépouiller en entrant en politique. Les acteurs sociaux ne sont ni des sujets, ni des objets, mais des associations d’humains et de non-humains « attachés » entre eux. C’est parce qu’ils sont capables de se regrouper ainsi avec les humains que les non-humains peuvent agir. Et ce, même si les frontières de ces associations sont floues initialement, ce que Bruno Latour suggère de la façon suivante :
Chaque non-humain, candidat à l’existence, se trouve accompagné par une suite de blouses blanches et beaucoup d’autres professionnels qui pointent du doigt les instruments, les situations, les protocoles, sans que l’on puisse encore distinguer qui parle et avec quelle autorité43.
45Ainsi, humains et non-humains se présentent réunis en associations pour participer à l’élaboration progressive du monde commun. Il ne s’agit plus de s’interroger sur les façons dont les objets se rapportent à des sujets, mais sur les manières que peuvent trouver les acteurs sociaux de s’accorder dans leur diversité.
46Il reste à répondre à la dernière question : « qui peut ? » Il s’agit là essentiellement d’une interrogation sur le concept de réalité. Dans les deux premiers points, l’objectif était de reconnaître aux non-humains des propriétés, la capacité de parler et d’agir socialement, que l’on croyait réservées aux humains. Le rééquilibrage entre les deux s’inverse ici, en quelque sorte, puisque le partage qu’il s’agit d’effacer est celui qui opposait la réalité du monde des choses aux errements des croyances, des opinions, des valeurs et des intérêts humains. C’est le dysfonctionnement fondamental du paradigme moderne que Bruno Latour met déjà en lumière dans ses ouvrages précédents44. En opposant l’objectivité de la nature à la subjectivité des cultures humaines, on se prive de la possibilité de faire de la politique. Le concept de réalité extérieure au collectif, qui désignait auparavant le monde des choses, doit être entièrement remodelé. Il faut même procéder à un renversement complet. En effet, si l’extériorité était le règne de la nécessité, elle s’associe désormais à la surprise et l’événement. Le collectif n’est plus cerné par une nature objective et figée. Il est doté d’une sorte d’« anti-chambre » composée d’une liste d’acteurs, humains et non-humains, qui « font irruption de façon surprenante »45 et demandent à y entrer.
47Dans ce contexte, Bruno Latour nous invite à oublier les catégories d’objectivité et de subjectivité, et à « donner à toutes les associations d’humains et de non-humains la quantité minimale de réalité qui convient pour les assembler46 ».
48Sont ainsi redistribuées les compétences de parole, d’association et de réalité entre les humains et les non-humains. Dans ce cadre, les citoyens de la nouvelle Constitution ne renvoient pas à des sujets, que l’on pourrait facilement identifier, et qui portent des revendications de droits, pensés sur le modèle de ceux de l’homme et du citoyen. La procédure démocratique ne se limite pas à garantir que tous les membres de la communauté politique, reconnus comme tels, pourront bien faire entendre leurs voix dans les délibérations politiques, elle a aussi pour tâche d’assurer que toutes les propositions, portées par des associations d’humains et de non-humains, venant de l’extérieur seront examinées. En ce sens, l’auteur écrit :
Nous allons dire qu’une rivière, un troupeau d’éléphants, un climat, El Niño, un maire, une commune, un parc, présentent au collectif des propositions47.
49Et la légitimité démocratique d’un collectif provisoirement articulé repose sur sa capacité à justifier le refus d’une proposition, l’exclusion de certains acteurs du monde commun. D’une certaine manière, cette conception du processus démocratique comme examens successifs des propositions nouvelles qu’adressent des acteurs au collectif n’est pas sans rappeler le modèle communicationnel de Jürgen Habermas, qui décrit la façon dont un locuteur qui entre dans une discussion émet des prétentions à la validité que les autres participants vont critiquer au sein de discussions argumentées48. Dans ce cadre, l’extension de la démocratie se mesure à la capacité des participants à argumenter librement, c’est-à-dire à l’abri de rapports de pouvoir susceptibles de couper court à la discussion. Chaque acteur a le droit de voir sa proposition examinée. La démocratisation de la construction du monde commun porte une exigence d’égalité au regard de la possibilité pour tous les acteurs, humains et non-humains, de prendre la parole et d’être entendu par le collectif sans discrimination. Et, pour Bruno Latour, cette ouverture de l’activité politique à l’ensemble des acteurs sociaux, c’est-à-dire à l’ensemble des associations d’humains et de non-humains qui se présente aux portes du monde commun, « aura les mêmes effets pour la future République que le jour où le Tiers, la Noblesse, et le Clergé refusèrent de siéger à part et de voter par Ordre49 ».
Le tiers paysage en démocratie
50C’est ici que nous recroisons donc cette idée de voir entrer en politique un tiers espace, pensé non plus à la façon de Jean Viard, c’est-à-dire comme une catégorie spatiale, l’espace de la nature, mais plutôt sous la forme des territoires décrits par Martin Vanier.
51Le géographe s’inscrit, en effet, dans la perspective constructiviste latourienne. Invitant à penser les territoires comme des « sujets politiques50 », il rejoint la proposition du sociologue visant à définir ceux-ci comme des acteurs construits et non comme des objets déjà constitués51. Les territoires latouriens ne sont pas des objets spatiaux, ce sont des « liste[s] des entités dont on dépend », dans lesquelles figure un ensemble d’êtres hétérogènes, de sujets et d’objets entrelacés. Les territoires sont, en somme, des associations d’humains et de non-humains ou encore des acteurs sociaux.
52Dans un tel cadre, la question de la politisation du tiers espace s’éclaire d’un jour nouveau : il est un acteur social qui veut faire entendre sa voix dans le débat politique. Avec le tiers espace, ce n’est pas la nature qui entre en politique, ce sont des territoires hybrides, des acteurs sociaux qui frappent à la porte du monde commun et réclament une existence politique. De ce point de vue, la référence à Sieyès semble faire sens. Le tiers espace est un acteur qui existe d’un point de vue social et économique, mais n’était pas reconnu politiquement. Martin Vanier décrit bien ce point de recoupement :
Le tiers espace, bien que difficile à saisir encore, ne fait pas une réalité nouvelle, comme d’ailleurs, pour rester encore un peu avec l’Abbé Sieyès, le tiers état n’était pas en tant que formation sociale sinon en tant que force politique une découverte en 178952.
53C’est ainsi dans sa volonté à « être quelque chose » alors qu’il n’est pour l’instant « rien » dans la politique territoriale que le tiers espace présente une aspiration similaire à celle portée en 1789 par le tiers état.
54Il y aurait bien là une manière de prolonger politiquement l’appel au dépassement de l’anthropocentrisme, formulé par les éthiciens de l’environnement. Cette politisation peut, en effet, être lue comme donnant lieu à un renforcement du discours écologiste, à l’empowerment des non-humains, car, en somme, des éthiques de l’environnement aux Politiques de la nature, les êtres naturels, en devenant des non-humains, passent du statut de « patient moral » à celui d’acteur social et politique, participant à la construction du monde commun. Sans doute, les non-humains doivent-ils faire l’objet de notre considération morale, semble nous dire Bruno Latour, mais surtout ils parlent, émettent des propositions et sont capables de prendre part à la vie politique. Par conséquent, plutôt que de s’efforcer de fonder, d’un point de vue moral, leur valeur intrinsèque, ne faudrait-il pas plus simplement les écouter, et pour ce faire nous donner les moyens démocratiques de les entendre ?
55De ce point de vue, et bien qu’il s’en défende parce qu’il juge l’entreprise du philosophe allemand « contre-productive » du fait de son incapacité à intégrer les non-humains53, Bruno Latour s’inscrit dans la voie procédurale du modèle de démocratie discursive développé par Jürgen Habermas54. Il nous semble, en effet, que l’on peut caractériser une large part de la pensée politique latourienne comme l’élaboration à nouveaux frais de la conception habermassienne de la société civile, objet de réflexion central pour le philosophe allemand. Dans ce cadre, la politisation de la nature passerait, en effet, par l’hybridation d’une société civile qui deviendrait capable de faire entrer dans l’espace public des problèmes ou des propositions engageant des humains, mais aussi des non-humains.
56Cette proposition est, du reste, séduisante et, à notre sens, convaincante du point de vue de la façon dont elle montre que les non-humains peuvent « parler ». Une question subsiste toutefois. Si ces derniers savent nous parler par l’intermédiaire des associations qu’ils composent avec les humains, auront-ils réellement la capacité de le faire ? Quels non-humains parviendront, en pratique, à se faire entendre ? De John Baird Callicott à Bruno Latour, nous passons d’une éthique que l’on peut qualifier de substantielle – au sens où, sous la forme de descriptions de ce que peuvent être de bonnes conduites avec la nature, elle prend tout de même position sur le bien – à une conception procédurale de la politique, épurée autant que possible de telles prises de position. Mais, dans ce dernier cadre, la nouvelle Constitution offre bien peu de garanties concernant le renforcement effectif de la cause écologiste. Ce sont les sciences, non la nature, qui doivent entrer en démocratie, soutient le sociologue, mais la question reste entière de savoir quels « instruments de phonation » nous allons retenir. Et il est pour le moins incertain que les instruments choisis seront ceux qui font parler ceux qui comptaient moralement, pour les écologistes, dans l’ancienne nature. Les non-humains sauront-ils et, surtout, pourront-ils, par exemple, nous parler du sauvage ?
57De ce point de vue, il nous semble que la proposition de refonte du politique en vue d’y intégrer la problématique écologique qu’élabore Bruno Latour tombe sous le coup d’une critique réaliste, similaire à celle que Jürgen Habermas s’est vu opposer concernant le déploiement de sa théorie de la démocratie délibérative. Il s’agit de souligner que la réflexion sur les procédures propres à l’établissement de discussions libres et argumentées ne doit pas faire oublier qu’en pratique, celles-ci se réduisent bien souvent à des négociations, dans lesquelles les « exploités » et les « exclus » ont bien peu de chances de l’emporter. À ce sujet, Stéphane Haber écrit :
Sur ce plan Droit et démocratie n’offre d’autre réponse que l’expression d’une sorte de conviction diffuse : plus une culture démocratique (i. e. fondée sur le principe de discussion) s’enracine profondément dans une société, plus l’intolérance face aux inégalités irrationnelles a des chances de se développer, réduisant ainsi la marge de manœuvre des « resquilleurs » et enclenchant une dynamique d’intégration des défavorisés, des dominés et des « exploités ». Solution crédible assurément, quoique encore sûrement trop optimiste au vu de l’expérience historique contemporaine. Pour cette raison, elle n’interdit pas de regretter l’absence dans Droit et démocratie d’une approche plus critique des conjonctures contemporaines ainsi que d’une théorie plus volontariste des luttes sociales et du changement historique qui doivent pallier les déficits toujours possibles, et même probables, de cette dynamique vertueuse sur laquelle se concentre le raisonnement, au terme d’un choix théorique à la fois fécond et coûteux55.
58Transposée dans le domaine de la réflexion environnementale, cette remarque nous semble valoir pour l’ouvrage de Bruno Latour. La solution crédible qu’offre le sociologue à la question de la politisation de la nature n’interdit pas de regretter l’absence dans Politiques de la nature d’une théorie plus volontariste des luttes environnementales. Évoquant la réunion des trois ordres durant les états généraux de 1789, l’auteur présente son ouvrage comme une forme de « Serment du Jeu de paume écologique ». Mais l’émergence politique d’un tiers, pour continuer la métaphore, exige sans doute d’aller plus loin en direction de la concrétisation de revendications à la fois sociales et écologiques.
Rendre visibles les dominations croisées
59La politisation de la nature ne peut pas prendre la forme d’une constitution immédiate de celle-ci en sujet politique, qui resterait inscrite dans le cadre dualiste de l’opposition entre l’homme et la nature. Il revient à Bruno Latour de l’avoir montré de façon très claire. L’entrée en politique de la nature se fait sous la forme d’une diversité d’associations particulières qui attachent entre eux les êtres humains et les êtres naturels. Il ne s’agissait pas d’en appeler à l’expression politique d’une extériorité radicale qui cherchait à faire valoir ses droits, mais plutôt de montrer que les discussions par lesquelles nous essayons de nous mettre d’accord sur l’organisation de la vie commune n’engageaient pas seulement des humains, mais aussi des acteurs non humains. En somme, en montrant que la construction du monde commun exigeait le dépassement du dualisme moderne, Bruno Latour semble nous inviter à suivre la voie de la politisation d’une forme de nature ordinaire, celle avec laquelle on vit et à laquelle nous nous attachons de diverses manières. Toutefois, nous avons souligné le fait que cette description de l’intégration des non-humains par un processus d’approfondissement de la culture démocratique, en adoptant une conception essentiellement procédurale de la démocratie écologique, restait assez largement indéterminée quant à la question de savoir de quelle façon elle pouvait répondre aux enjeux environnementaux actuels.
60En définitive, si l’on en revient à l’opposition que nous avons décrite à la fin de la première partie de cet ouvrage entre la critique de la modernité menée par les éthiques de l’environnement et la critique du capitalisme, qui incarnait schématiquement une opposition entre une approche affirmant la nécessité d’un travail philosophique visant à fonder théoriquement une attitude de respect à l’égard de la nature et une autre pour qui la réponse à cette crise passait avant tout par la lutte contre les inégalités sociales qui lui sont associées, nous pouvons dire que Bruno Latour ouvre bien une voie permettant de dépasser ce qui apparaît comme une surdité réciproque entre le social et de l’environnemental. Mais ce dépassement se paie au prix d’une désubstantialisation importante de ce que l’on pourrait attendre d’une politique écologique du point de vue à la fois de la lutte contre les inégalités sociales et de celle contre la dégradation et les mauvais traitements infligés à la nature.
61Une politique de la nature ordinaire peut-elle endosser certains acquis de la sociologie latourienne, en particulier la thèse qu’il existe une agentivité des non-humains – qui, pour nous, peut être décrite comme une agentivité de la nature ordinaire – en refusant une telle désubstantialisation ? C’est ce que nous semble permettre de penser la voie tracée par la philosophe écoféministe, Carolyn Merchant, en s’emparant du thème des rapports entre production et reproduction dans une perspective non anthropocentrée. De The Death of Nature56 à Reinventing Eden57, l’auteure est parvenue à montrer comment les transformations de notre environnement étaient, d’une part, liées à l’établissement, non seulement d’un mode de production, mais aussi d’une façon d’organiser la reproduction de ce mode de production, et, d’autre part, à la succession des paradigmes scientifiques et philosophiques, qui imposent une conception dominante du monde et des rapports à la nature. Autrement dit, Carolyn Merchant permet de faire se rejoindre l’analyse matérialiste de la crise environnementale et la réflexion philosophique sur la nature, développée dans une perspective écologiste. C’est que, comme la philosophe l’affirme :
Les transformations écologiques s’accompagnent non seulement de changements majeurs concernant les relations entre l’écologie, la production et la reproduction, mais aussi concernant les façons dont les individus perçoivent et représentent le monde naturel à travers des idées telles que la science, le mythe et la religion58.
62L’un des pivots de son analyse de la crise environnementale est la thèse décrivant la mise en place d’une domination conjointe des femmes et de la nature, associée au développement de l’économie capitaliste d’une part, et à la « révolution scientifique » de la modernité d’autre part. D’un côté, le capitalisme a conduit à la séparation des activités de production et de reproduction et instauré le primat des premières sur les secondes. Celles-ci, tant dans leur dimension biologique que sociale, la reproduction intergénérationnelle de l’espèce humaine comme l’ensemble des activités visant à assurer la subsistance, mais aussi la qualité de l’environnement habité, ont été majoritairement prises en charge par les femmes59. Or, non seulement, ce travail ne jouit d’aucune reconnaissance politique alors même qu’il est indispensable à la production des biens échangés dans la sphère marchande, mais, en outre, le développement industriel des activités reconnues comme productrices, la révolution verte en premier lieu, ont rendu le travail de reproduction de plus en plus difficile, dégradant l’environnement naturel, expropriant les paysans, détruisant les agricultures vivrières, polluant l’eau, etc. Cette invisibilité du travail reproductif est ainsi au cœur des « dominations croisées » ciblant à la fois les femmes et la nature associées au développement du capitalisme mondialisé60.
63D’un autre côté, Carolyn Merchant montre aussi comment la science moderne, avec Francis Bacon comme fer-de-lance, a enjoint aux hommes de dominer une nature qui, tant dans les représentations antiques que chrétiennes, est associée à la féminité. Suivant cette idée directrice, elle analyse, en détail, la façon dont la définition baconienne du modèle d’expérimentation scientifique croise l’histoire judiciaire du xviie siècle marquée par les procès de sorcellerie contre des femmes. Elle met en lumière la façon dont l’expérimentation de la nature est pensée sur le modèle des interrogatoires auxquels l’Inquisition soumettait ces femmes accusées d’être des sorcières. Il s’agit d’extorquer ses secrets à la nature. La philosophe souligne l’existence d’un vocabulaire commun au cadre scientifique et judiciaire, mais aussi d’une communauté de pratiques qu’expriment, à la fois, les dissections publiques des corps de femmes condamnées61 et la proximité entre certains protocoles d’expérimentation scientifique et les méthodes de torture62. Par cette analyse de la science moderne, Carolyn Merchant montre comment un mode de production des connaissances scientifiques définit des relations de pouvoir. Dans le sillage des travaux de Michel Foucault et de Donna Haraway, elle écrit :
Les cadres idéologiques représentent, cependant, plus que les idées des élites dominantes. Elles sont aussi des structures de pouvoir. Par exemple, des changements de paradigmes scientifiques ont un pouvoir d’influence sur la société et sur la nature63.
64C’est ainsi qu’elle peut montrer comment la réflexion philosophique sur les rapports entre les hommes et la nature peut rencontrer la problématique matérialiste de la reproduction. Parce que les sphères scientifiques et philosophiques ne sont pas isolées des sphères sociales et économiques, les façons que nous avons de concevoir la nature et nos rapports avec elle ne sont pas neutres du point de vue du développement des modes de production et de l’organisation de la reproduction sociale et écologique de la production.
65Dans ce cadre, comme le soutient le courant écosocialiste, la convergence est, en effet, possible entre la pensée écologiste et la critique matérialiste ; mais contrairement à ce que celui-ci semble indiquer, cela ne requiert pas l’abandon par les tenants de la première de la critique de l’anthropocentrisme dont témoigne la conception moderne de la nature. Bien au contraire, la transformation des rapports de production et de reproduction qui vise à mettre un terme à l’exploitation des hommes et de la nature s’appuie, certes, sur une théorie sociale critique, mais requiert également une pensée nouvelle de la nature. En ce sens, comme l’écrit Catherine Larrère, « la réflexion sur le lien entre production et reproduction permet d’articuler l’approche écologique et l’approche sociale64 ».
66Dans cette optique, Carolyn Merchant explore une piste visant à substituer au paradigme de la domination un cadre conceptuel permettant de penser les rapports à la nature sur le modèle d’un partenariat (partnership). Cela nécessite l’abandon de la conception mécaniciste d’une nature qui ne serait que passive et vouée à l’instrumentalisation humaine. C’est, en effet, parce qu’elle n’est pas inerte, parce qu’elle interagit avec nous, que l’idée de coopération avec la nature peut prendre sens.
67C’est l’objet de l’éthique de la nature que de penser la diversité de nos rapports avec celle-ci, autrement dit de développer une philosophie de la nature définissant un cadre conceptuel dans lequel l’idée de partenariat puisse prendre corps. Carolyn Merchant rappelle les grandes lignes d’une telle philosophie : elle invite à penser à la fois les continuités et les différences entre les hommes et la nature non humaine, elle affirme leur interdépendance et indique la nécessité de dépasser le point de vue strictement humain pour appréhender l’altérité de la nature65.
68La perspective écoféministe de Carolyn Merchant nous permet ainsi de formuler une réponse à la question de la traduction politique du dépassement de l’anthropocentrisme proposé par les éthiques de l’environnement, qui s’écarte des solutions que nous avons discutées plus haut dans ce chapitre. Elle permet de comprendre qu’il ne s’agit pas de s’interroger sur les moyens de faire entrer la nature ou les non-humains en politique, à l’image d’un « parlement des choses » qui ouvrirait ses portes à des nouveaux acteurs politiques, mais plutôt de reconnaître que l’éthique de la nature est aussi en elle-même politique, en ce sens que les problématiques qu’elles soulèvent sont au cœur de l’organisation de la communauté et des modalités de sa reproduction. Penser l’éthique de la nature comme une éthique de l’ordinaire, c’est donc soutenir en même temps que le dépassement de l’anthropocentrisme est politique.
69La contestation de la séparation entre l’éthique et la politique portée par les éthiques de l’ordinaire, que nous avons introduites au chapitre précédent, et en particulier le care, ouvre ainsi une voie qui permet de contourner un obstacle important auquel s’est heurtée la pensée environnementale, et en particulier l’éthique environnementale. Qu’il y ait de la morale dans nos relations avec les êtres naturels, en particulier avec ceux engagés dans les pratiques agricoles, que les relations entre des éleveurs et leurs animaux, entre des paysans et leur environnement naturel ne relèvent pas simplement d’un rapport instrumental, des sociologues, des philosophes de l’environnement l’ont montré de façon convaincante. Mais ils se sont souvent vus répondre que cette dimension éthique du rapport à la nature relevait de la sphère privée, et en tant que telle, pour le dire rapidement, ne concernait pas le politique. La force critique d’une éthique de la nature ordinaire est très précisément de montrer que l’on ne peut pas séparer ces questions comme si elles relevaient de sphères totalement indépendantes, que la question éthique du rapport à l’environnement naturel est aussi politique, et ce à au moins deux titres : d’une part, parce que la sphère de production qui serait, au fond, l’objet privilégié de la politique dépend entièrement d’un ensemble d’activités qui ne sont pas prises en compte et qui assurent la possibilité de sa reproduction, d’autre part, parce que cette invisibilité des activités reproductrices engendre des inégalités qui appellent une réflexion politique. Et, c’est ce que le courant écoféministe a parfaitement su montrer.
70Ainsi, l’éthique de la nature ordinaire peut se prolonger en une politique plus substantielle que ne le permettait d’établir la voie latourienne au sens où elle nous semble appuyer la résistance à des formes de domination croisée des hommes et de la nature. Ce prolongement est possible précisément parce que cette éthique refuse l’alternative définie par le libéralisme politique entre approches procédurale et substantielle. Si l’éthique de la nature que nous décrivons ici ne peut se limiter à la réorganisation des procédures de décisions démocratiques visant à donner la possibilité aux non-humains de parler dans l’espace public, elle adopte aussi une forme de modestie normative en ne prétendant pas définir de manière autonome la façon dont nous devrions nous conduire avec la nature. Cela nous conduit sans doute à revoir à la baisse l’ambition théorique qui anime certaines des éthiques du respect de la nature, mais aussi à développer une attention croissante à l’égard de nos pratiques qui engagent des êtres naturels. Et si elle porte, au fond, également l’ambition de faire entendre des voix non entendues dans l’espace public, c’est par la description des expériences concrètes qu’elle entend la réaliser. En somme, la traduction politique d’une éthique de la nature pensée comme une éthique de l’ordinaire est une politique de l’ordinaire66.
Notes de bas de page
1 Voir la fin du chapitre 2 de cette partie.
2 JeanViard, Le tiers espace. Essai sur la nature, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1990.
3 Ibid., p. 26.
4 Ibid., p. 14.
5 Ibid., p. 18.
6 Ibid., p. 118.
7 Jean Viard, Le tiers espace. Essai sur la nature, op. cit., p. 143.
8 Martin Vanier, « Qu’est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique », Revue de géographie alpine, 88/1, 2000, p. 105-113.
9 Id., Le pouvoir des territoires. Essai sur l’interterritorialité, Paris, Anthropos Economica, 2008.
10 Id., « Le périurbain à l’heure du crapaud buffle : tiers espace de la nature, nature du tiers espace », Revue de géographie alpine, 91/4, 2003, p. 79-89. Voir également, Id., « Le tiers espace, acte II de la périurbanisation », Pouvoirs locaux, 48, 2001, p. 59-63 ; Id., « Périurbanisation : un tiers espace voué à l’innovation », Économie et humanisme, 362, 2002, p. 53-58.
11 Id., Le pouvoir des territoires, op. cit., p. 105.
12 Jean Viard, Le tiers espace, op. cit.
13 Martin Vanier, Le pouvoir des territoires, op. cit.
14 Ibid., p. 107-108.
15 Id., « Qu’est-ce que le tiers espace ? », art. cité, p. 111.
16 Ibid.
17 Id., « Le périurbain à l’heure du crapaud buffle », art. cité, p. 82-83.
18 Ibid., p. 80.
19 Définition figurant sur le site internet de l’auteur à la page « Tiers paysage » : http://www.gillesclement.com/cat-tierspaysage-tit-le-Tiers-Paysage
20 Jean Viard, Le tiers espace, op. cit., p. 9.
21 Martin Vanier, « Qu’est-ce que le tiers espace ? », art. cité. L’auteur fait ici référence à un article de Jean-Louis Guigou, professeur d’université et haut fonctionnaire français, dans lequel ce dernier appelle de ses vœux cette révolution du territoire, voir Jean-Louis Guigou, « La révolution des territoires : un jeu de rôle », Pouvoirs locaux, juin 1996, p. 101-104.
22 Même si, ailleurs, il souligne la dimension métaphorique de ce rapprochement, voir MartinVanier, Le pouvoir des territoires, op. cit.
23 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, op. cit.
24 Martin Vanier, « Qu’est-ce que le tiers espace ? », art. cité, p. 113.
25 Jean Viard, Le tiers espace, op. cit., p. 151.
26 Ibid., p. 152.
27 Sur la réforme territoriale sous la Révolution française voir Marie-Vic Ozouf-Mariginier, La formation des départements. La représentation du territoire français à la fin du 18e siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1992 et l’entrée « départements » dans François Furet, Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988. La création des départements est achevée dès le 26 février 1790, mais ils seront remaniés rapidement.
28 Jérôme Mavidal, Émile Laurent (dir.), Archives parlementaires de 1787 à 1860, recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, Ire série : 1789 à 1799, Paris, Librairie administrative Paul Dupont, 47 vol., 1867-1896, t. 8, p. 597.
29 Emmanuelle-Joseph Sieyès, Dire sur la question du veto royal, discours à la séance du 7 septembre 1789, Paris, Baudouin imprimeur de l’Assemblée nationale, 1789.
30 Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte (Armillaire), 1999.
31 Ibid., p. 31 et 312.
32 Bruno Latour, Politiques de la nature, op. cit., p. 214.
33 Ibid., p. 357.
34 Ibid., p. 217.
35 Ibid., p. 2.
36 Bruno Latour, La science en action. Introduction à la sociologie des sciences, Paris, La Découverte (Poche), 2005.
37 Bruno Latour, Steve Woolgar, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 1988.
38 Bruno Latour, Politiques de la nature, op. cit., p. 104.
39 Ibid.
40 Ibid., p. 107.
41 Ibid., p. 112.
42 Ibid., p. 114.
43 Ibid.
44 En particulier, Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1997.
45 Id., Politiques de la nature, op. cit., p. 120.
46 Ibid., p. 123.
47 Ibid., p. 124.
48 Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, 1, Rationnalité de l’action et rationnalisation de la société, trad. par J.-M. Ferry, 1987, 2, Critique de la raison fonctionnaliste, trad. par J.-L. Schlegel, Paris, Fayard (L’espace du politique), 1987.
49 Bruno Latour, Politiques de la nature, op. cit., p. 94.
50 MartinVanier, Le pouvoir des territoires, op. cit., « Introduction ».
51 Bruno Latour, « La mondialisation fait-elle un monde habitable ? », Territoires 2040. Prospective périurbaine et autres fabriques de territoires, 2, 2010, p. 9-19.
52 Martin Vanier, « Qu’est-ce que le tiers espace ? », art. cité, p. 106.
53 Ibid., p. 15 et 38.
54 Jürgen Habermas, Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard (Nrf essais), 1997, p. 124.
55 Stéphane Haber, Jürgen Habermas, une introduction, Paris, Pocket/La Découverte, 2001, p. 218.
56 Carolyn Merchant, The Death of Nature, op. cit.
57 Id., Reinventing Eden, op. cit.
58 « Ecological transformations are accompanied not only by major changes in the relationships of ecology, production, and reproduction, but also in the ways in which people perceive and represent the natural world through ideas such as science, myth, and religion », dans Id., « The Realm of Social Relations : Production, Reproduction, and Gender in Environmental Transformations », dans B. L. Turner et al. (dir.), The Earth as Transformed by Human Action : Global and Regional Changes in the Biosphere over the Past 300 years, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 681.
59 Greta Gaard, Lori Gruen, « Ecofeminism : Toward Global Justice and Planetary Health », dans Andrew Light, Holmes Rolston (dir.), Environmental Ethics. An Anthology, op. cit., p. 280.
60 Voir aussi, sur ce point, les travaux de Vandana Shiva, en particulier Vandana Shiva, Éthique et agro-industrie. Main basse sur la vie, Paris, L’Harmattan, 1996.
61 Carolyn Merchant, « Secrets of Nature : The Bacon Debates Revisited », Journal of the History of Ideas, 69/1, janvier 2008, p. 147-162.
62 Carolyn Merchant, « The Scientific Revolution and The Death of Nature », Isis, 97/3, 2006, p. 513-533.
63 « Ideological frameworks are more than ideas of controlling elites, however. They are also power structures. For example, shifts in scientific paradigms have a stake power over society and nature », dans Id., « The Realm of Social Relations », art. cité, p. 682.
64 Catherine Larrère, « Care et environnement : la montagne ou le jardin ? », art. cité, p. 261.
65 Carolyn Merchant, Reinventing Eden, op. cit.
66 Voir la troisième partie de l’ouvrage de Sandra Laugier et Albert Ogien, précisément intitulée « Politiques de l’ordinaire » : Albert Ogien, Sandra Laugier, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique, Paris, La Découverte, 2014.
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Reconnaissance ou mésentente ?
Un dialogue critique entre Jacques Rancière et Axel Honneth
Jean-Philippe Deranty et Katia Genel
2020
Éthique de la nature ordinaire
Recherches philosophiques dans les champs, les friches et les jardins
Rémi Beau
2017
Expériences vécues du genre et de la race
Pour une phénoménologie critique
Marie Garrau et Mickaëlle Provost (dir.)
2022
La pensée et les normes
Hommage à Jean-François Kervégan
Isabelle Aubert, Élodie Djordjevic et Gilles Marmasse (dir.)
2021