Chapitre 2. Éthique de la nature ordinaire
p. 251-289
Texte intégral
1Il est temps pour nous d’entrer plus en avant dans le champ théorique des éthiques environnementales, afin de montrer comment ce courant philosophique, né dans les années 1970, de regards tendus vers le lointain de la wilderness, peut se tourner vers la nature ordinaire. Nous allons plus précisément analyser l’élaboration philosophique, proposée par John Baird Callicott, de l’éthique écocentrique brièvement formulée par la figure incontournable de l’environnementalisme américain qu’est le forestier Aldo Leopold, sous le nom de land ethic. Après avoir étudié l’important travail théorique du philosophe, nous en proposerons une interprétation définissant la land ethic comme une éthique relationnelle et contextuelle, ce qui la préparera, en quelque sorte, à la rencontre avec les éthiques de l’ordinaire, en particulier avec les éthiques du care. C’est, en effet, à ces dernières que nous nous intéresserons ensuite pour souligner la façon dont le renouveau de la pensée morale qu’elles veulent incarner peut emporter dans le même mouvement l’éthique environnementale. La réévaluation de la part descriptive de l’éthique, inspirée du care, nous conduira enfin à étudier la réflexion du jardinier Gilles Clément, qui nous semble associer étroitement une éthique et une esthétique de la nature ordinaire.
L’éthique environnementale comme éthique de la nature ordinaire
2La nature est moralement neutre. C’est ce que la distinction kantienne entre les personnes et les choses formulait de la façon la plus claire :
Les êtres dont l’existence repose en vérité, non sur notre volonté, mais sur la nature, n’ont toutefois, s’il s’agit d’êtres dépourvus de raison, qu’une valeur relative, en tant que moyens, et se nomment par conséquent des choses ; en revanche, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les distingue déjà comme des fins en soi, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être utilisé simplement comme moyen, et par conséquent, dans cette mesure, limite tout arbitre (et constitue un objet de respect)1.
La naissance des éthiques environnementales
3La nature ne limite pas l’arbitre, elle est dénuée de valeur morale : cette idée est au cœur de la philosophie morale moderne.
4C’est très précisément contre cette thèse de la neutralité morale de la nature que se sont élevées les éthiques environnementales au début des années 19702. Dénonçant le « chauvinisme humain3 » en matière de morale, des philosophes se proposaient de développer des éthiques permettant de rendre compte de la valeur morale de la nature. Dans cette optique, il leur fallait répondre à un certain nombre de questions : si la nature a une valeur morale, de quel type de valeur s’agit-il précisément4 ? Faut-il développer une nouvelle éthique rompant avec les théories existantes pour essayer de résoudre les problématiques morales que soulève notre rapport à la nature5 ? Comment rendre compatible ces nouvelles obligations environnementales avec les obligations humaines ? De longs débats ont eu lieu autour de ces questions entre les différents protagonistes de cette nouvelle discipline, donnant lieu à la constitution de courants bien distincts. De manière générale, on peut identifier trois grands courants environnementaux, respectivement anthropocentriste, biocentriste et écocentriste. Le premier rejette la nécessité d’un dépassement véritable de l’anthropocentrisme dans le domaine de l’éthique, c’est-à-dire de la thèse selon laquelle la sphère de la moralité est coextensive à celle de l’humanité. Les deux autres courants militent, au contraire, en faveur d’un tel dépassement, l’un en se fondant sur un principe de respect de la vie individuelle, l’autre, dans une position plus holiste, en faisant dépendre les obligations morales de l’appartenance à une communauté.
5On peut préférer un autre critère de distinction à cette tripartition. Ainsi Catherine Larrère écrit-elle :
Descriptivement, on peut distinguer, dans les éthiques environnementales, entre les éthiques anthropo-, bio-, et écocentrées. Mais si l’on veut comprendre comment elles se sont élaborées, il vaut mieux distinguer entre éthiques extensives et éthiques inclusives6.
6Les premières cherchent à étendre la considération morale au-delà des seuls êtres humains. Ce sont des éthiques de la valeur intrinsèque, elles se donnent pour objectif de substituer aux anciens critères de considérabilité morale de nouveaux critères qui permettent d’affirmer la valeur morale des êtres vivants qu’ils ciblent : ce peuvent être la sensibilité, la capacité à être des « sujets d’une vie7 », le fait de posséder des fins qui leur sont propres, etc. Selon le choix de ce critère, la sphère de la moralité sera donc plus ou moins étendue.
7Les éthiques inclusives, quant à elles, ne cherchent pas à étendre la sphère de la considération morale, mais développent plutôt l’idée que c’est l’appartenance des humains et des non-humains à une même communauté qui dirige nos obligations morales vis-à-vis des autres membres de la communauté. Résolument holistes concernant les obligations morales que nous avons à l’endroit de la nature, les éthiques inclusives s’opposent à l’individualisme des éthiques extensives8 et affirment que ce qui est à protéger, ce ne sont pas des êtres naturels en tant qu’individus, mais des communautés, des ensembles d’êtres vivants, dont nous faisons partie et au sein desquels nous agissons. Il ne s’agit pas, dans ce cadre, d’explorer la nature comme un nouveau continent moral, isolé des hommes et jusqu’alors délaissé, ni de trouver dans la nature elle-même, indépendamment de tous rapports avec les êtres humains, les éléments susceptibles de fonder sa valeur intrinsèque. Les éthiques inclusives sont, au contraire, relationnelles au sens où elles prennent pour point de départ l’interdépendance entre les hommes et les êtres naturels qui vivent au sein de communautés mixtes. Ainsi, tandis que les éthiques environnementales extensives, en particulier celles du respect de la nature qui invitent à préserver des espaces sauvages à l’écart des activités humaines, expriment l’héritage de l’idée classique de wilderness, les éthiques inclusives nous semblent pouvoir accompagner ce que nous avons décrit comme un tournant vers la nature ordinaire.
La land ethic d’Aldo Leopold
8Parmi ces dernières, la land ethic que John Baird Callicott développe à la suite du forestier américain Aldo Leopold nous paraît la plus intéressante9. Dans le dernier chapitre de l’Almanach d’un comté des sables, véritable bible de la pensée écologique, ce dernier condensait en une formule célèbre sa proposition d’éthique environnementale, affirmant :
Une chose est juste quand elle tend à favoriser l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse10.
9Cette maxime est, en effet, le cœur de l’essai théorique intitulé « Land Ethic » qui vient conclure un ouvrage faisant auparavant la part belle aux récits des activités de l’auteur dans la nature proche de sa cabane du Wisconsin. Issu d’une lente maturation – il est le fruit d’un travail de réécriture associant plusieurs textes, dont le premier fut rédigé quatorze années avant la parution de la version finale11 –, cet essai constitue l’aboutissement de la réflexion de Leopold sur le contenu et les conditions de mise en œuvre d’une éthique écologique. Il est aussi l’achèvement d’un itinéraire pratique et intellectuel, marqué par le double héritage de la préservation américaine et de la gestion européenne de la nature, itinéraire fait d’une succession d’expérimentations et de retours réflexifs sur les échecs ou les imperfections des mesures de gestion mises en œuvre aux États-Unis et en Europe. L’éthique leopoldienne est ainsi une pensée élaborée en contexte, au plus près des problèmes concrets rencontrés dans son travail de forestier et de gestionnaire de la faune sauvage.
10Parmi ces problèmes, la question de la gestion des populations de cervidés a tout particulièrement éclairé la compréhension de l’auteur des interactions écologiques qui régulent les ensembles naturels et renforcé sa conviction que la conservation de la nature doit se préoccuper centralement de la santé écologique de la communauté biotique tout entière, plutôt que de celle de chacun de ses membres. Leopold retrace cette expérience dans l’un des textes les plus célèbres de l’Almanach intitulé « Penser comme une montagne ». Chargé de repeupler de cerfs une montagne en mal de gibier, son service de gestion forestière décide d’éradiquer leurs prédateurs, en l’occurrence les loups ; comme attendu, la population de cervidés croît rapidement et le repeuplement est un succès. Mais l’efficacité de la mesure est telle que l’accroissement de la population devient insoutenable pour la forêt, menacée de ne plus pouvoir se régénérer. Leopold fait de cet épisode la clé de la compréhension de la complexité des équilibres dynamiques de la nature. La gestion écologique ne peut se focaliser sur une seule espèce et délaisser les autres ; elle doit, au contraire, prendre en compte les multiples interactions qui façonnent les systèmes naturels et que l’écologie naissante commence à décrire. Il faut dépasser les modèles de causalité trop simplistes, notamment le modèle unilatéral proie-prédateur. « Sommes-nous certains que les compétitions que nous percevons sont plus importantes que les coopérations que nous ne percevons pas ?12 », s’interroge ailleurs Leopold, à propos des relations entre les faucons, les hiboux et les populations d’oiseaux. Pour le forestier, la bonne décision écologique ne peut donc être prise qu’en adoptant un point de vue intégrateur qui juge les effets de l’évolution des différentes populations animales et végétales à l’aune de la santé de l’ensemble qu’elles composent – dans le cas des cerfs, ce point de vue est celui de la montagne. C’est dans ce souci pour la communauté dans son ensemble que réside le holisme de la land ethic leopoldienne et, dans l’intégration de la conception écologique de la communauté à la réflexion éthique que se situe son caractère inclusif, deux caractéristiques qu’il résume dans un autre passage de l’Almanach souvent cité :
L’éthique de la terre élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l’eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre.
En bref, une éthique de la terre fait passer l’Homo sapiens du rôle de conquérant de la communauté-terre à celui de membre et citoyen parmi d’autres de cette communauté. Elle implique le respect des autres membres, et aussi le respect de la communauté en tant que telle13.
L’écocentrisme de John Baird Callicott
11Scientifique, forestier, écrivain et penseur de terrain, Leopold n’était pas philosophe de profession et, s’il brosse à grands traits une histoire de la morale pour indiquer à la fois ce qu’il y a de neuf dans l’éthique écologique qu’il appelle de ses vœux, mais aussi la façon dont elle s’inscrit dans une séquence éthique, c’est-à-dire dans une histoire de son développement progressif, il n’a pas cherché à la situer dans le cadre de l’histoire de la philosophie morale, encore moins dans le paysage philosophique qui lui était contemporain. C’est à cette tâche que s’est précisément consacré le philosophe américain John Baird Callicott.
12Exilé de son Sud natal en raison de ses engagements politiques pour les droits civiques, le philosophe de Memphis rejoint, par hasard, les terres du Wisconsin, familières à Leopold. Convaincu que l’écologie sera la grande question et le nouveau terrain de luttes du xxie siècle, John Baird Callicott se donne pour projet philosophique de fonder théoriquement une éthique environnementale capable de répondre aux interrogations morales que soulève notre rapport à la nature. Il inscrit ce développement d’une nouvelle morale dans la perspective plus large d’un développement général des connaissances, et notamment des connaissances scientifiques. Comme l’a noté Catherine Larrère, il souscrit, en effet, à l’idée de « cadre conceptuel » développée par Werner Heisenberg et Niels Bohr, il soutient donc :
l’idée qu’un moment donné d’une théorie physique informe, ou gouverne, toute une série d’énoncés différents : des énoncés scientifiques sur d’autres domaines, des énoncés philosophiques ou méthodologiques, la façon de concevoir les rapports entre la science, l’art, la religion, et que ces configurations, qui caractérisent une période, peuvent être remaniées sous l’effet de changements globaux ou d’expériences nouvelles14.
13Or, pour John Baird Callicott, sous l’impulsion de la « nouvelle physique » et du développement de la science écologique, le cadre conceptuel moderne se fissure et éclate au xxe siècle, son schéma unificateur, ses dualismes ontologiques ne tiennent plus, tandis qu’un nouveau cadre « postmoderne15 » se dessine peu à peu. De ce point de vue, le xxie siècle philosophique serait au xxe scientifique ce que le xviiie fut au xviie, c’est-à-dire celui de la reconstruction d’un paradigme qui se définit par une conception du monde et une ontologie, mais aussi une philosophie morale, cohérentes avec les avancées de la connaissance scientifique. Selon ce modèle séquentiel, à la façon dont les éthiques humanistes avaient répondu à la modernité scientifique, il faut bâtir des éthiques environnementales à la hauteur de la vision écologique du monde de l’après-modernité16.
14Nous saisissons tout de suite comment Leopold s’est imposé comme une figure centrale dans le travail de John Baird Callicott. D’une part, celui-ci s’est fait le fervent défenseur du développement de la science écologique dont il est le contemporain, soulignant les profondes transformations dans les façons de comprendre et d’expliquer les processus naturels qu’elle porte. D’autre part, il repère, dans les quelques textes que le forestier consacre aux enjeux moraux liés à notre façon d’agir avec la nature, tous les éléments d’une éthique propre à répondre au questionnement environnemental qui prend de l’ampleur dans les années 1970. Suivant cette inspiration, il va s’efforcer de donner une assise philosophique à la proposition leopoldienne de land ethic. Cette tâche l’occupera d’ailleurs pendant l’essentiel de sa carrière, de sorte que nous pouvons lire presque tout son travail comme un effort continu de déploiement philosophique de la pensée non théorique de Leopold.
15Dès les années 1970, John Baird Callicott ouvre ainsi plusieurs chantiers philosophiques. En premier lieu, ancrer la land ethic dans une tradition philosophique. Il lui reconnaît une triple filiation : David Hume17, Adam Smith18 et Charles Darwin19. Pour cela, il va s’appliquer à tirer certains fils mal connus ou non explicités entre ces différents auteurs. Il souligne, tout d’abord, la proximité de la thèse de la séquence éthique avancée par Leopold avec l’analyse darwinienne de l’origine et de l’extension de l’éthique. Dans le chapitre de La filiation de l’homme intitulé « The Moral Sense », Darwin décrit comment l’éthique, qu’il définit comme un code de conduite favorisant l’intégration sociale et, par là, la survie du groupe, repousse progressivement les limites de son champ d’action, passant des frontières du clan à celles de la tribu, puis de la nation et, enfin, de l’État-nation. John Baird Callicott ajoute à cette progression une étape supplémentaire, le « village global », celle à laquelle Leopold considérait que les théories morales de la modernité étaient parvenues et qu’il convenait désormais de dépasser. Après avoir ainsi montré comment la land ethic pouvait s’appuyer sur la théorie darwinienne, le philosophe poursuit en défendant l’idée que cette dernière trouve un antécédent chez Hume, lorsqu’il décrit dans l’Enquête sur les principes de la morale une progression des sentiments humains assez similaire. Dès lors, l’ancrage philosophique le plus profond de la land ethic est établi. C’est, en effet, à la lumière de la théorie humienne des sentiments moraux que John Baird Callicott veut fonder philosophiquement son éthique, se démarquant en cela des quelques rares collègues qui lui ont emboîté le pas dans cette quête d’une éthique environnementale et qui privilégient les approches kantiennes ou utilitaristes20.
16Le philosophe doit lever pour cela deux écueils théoriques21. Il lui faut, en effet, montrer que la sympathie, qui est au cœur de la théorie humienne de la morale, peut s’exprimer à la fois à l’endroit d’entités collectives et de sujets non humains. Il doit autrement dit montrer que la théorie des sentiments moraux, passée au crible d’une relecture visant à la « désindividualiser » et à la « désanthropocentrer », conserve sa cohérence et sa pertinence. John Baird Callicott va, en réalité, défendre l’idée que la réponse au premier de ces problèmes théoriques permet de résoudre le second également. Chez Hume, il repère un certain nombre de passages qui attestent que le philosophe écossais envisageait lui-même qu’un individu puisse exprimer des sentiments moraux à l’égard d’une communauté à laquelle il appartient22. Ce premier argument permet d’écarter l’idée que l’individualisme de la théorie humienne invaliderait théoriquement le projet d’y ancrer une land ethic à tendance holistique. Ce premier pas accompli, il reste encore à montrer que des non-humains peuvent bien susciter des sentiments moraux. Ne pouvant s’appuyer de ce point de vue sur les textes de Hume, John Baird Callicott mobilise cette fois l’apport de la science écologique. Cette dernière nous apprend, en effet, que nous évoluons dans un réseau d’interdépendances qui nous lient à une multitude d’êtres naturels, que nous appartenons donc, ainsi que Leopold l’a maintes fois souligné, à des communautés biotiques. Il suffit dès lors de convoquer le premier argument pour défendre l’idée que, par l’intermédiaire des communautés biotiques dont nous sommes les membres, des sentiments moraux peuvent viser des êtres naturels. Ainsi parce que nous développons des sentiments moraux à l’égard de nos communautés d’appartenance et que nous reconnaissons précisément appartenir à la communauté biotique, nous sommes capables et, d’une certaine manière, nous sommes appelés à adopter une éthique environnementale telle que la land ethic.
17À ceux qui opposent que cette intrusion de la science écologique serait bien peu fidèle à Hume dans la mesure où elle constituerait une illustration parfaite de la confusion entre ce qui relève du is et du ought, précisément dénoncée par le philosophe écossais, John Baird Callicott propose, assez finement, une réponse humienne, qui écarte l’interprétation forte de la « loi de Hume23 ». Revenant sur la thèse de l’inactivité de la raison en matière de morale24, il souligne que si Hume défend bien l’idée que la raison, et par conséquent la science, est à elle seule incapable de motiver l’action morale, elle peut néanmoins jouer un rôle dans les choix que nous faisons quant à la façon de conduire nos actions. La raison peut, en premier lieu, éveiller une passion en décrivant l’objet qu’elle vise, en révélant son existence qui nous était jusqu’alors inconnu. Elle peut, également, en expliquant des relations de cause à effet, nous aider à déterminer les moyens d’exercer une passion. Or, pour John Baird Callicott, ces deux usages de la raison sont précisément ceux auxquels la land ethic a recours. Il écrit en ce sens :
Dans « The Land Ethic » Leopold fait usage de la raison (sous la forme de l’écologie) pour influencer notre conduite en deux façons. Il révèle un objet propre de nos passions orientées vers la communauté – la communauté biotique – à l’égard de laquelle, sur la base de tels sentiments, nous pourrions nous conduire plus respectueusement. Et il découvre, pour nous, un lien de cause à effet, nous donnant les moyens d’exercer nos passions25.
18Il montre ainsi de façon convaincante que la philosophie morale de Hume est compatible avec la forme de holisme écologique qui caractérise la land ethic. Cependant, il ne résout pas par là, tant s’en faut, tous les problèmes que pose la mise en œuvre de cette nouvelle éthique et que ne manquent pas de relever un certain nombre de contradicteurs. La multiplicité des critiques va même faire du travail visant à leur répondre un second chantier philosophique à part entière, qui donnera lieu à une série de textes, puis à un ouvrage précisément intitulé In Defense of the Land Ethic26.
Les critiques du holisme et du monisme
19La critique la plus forte qui se fait entendre dès ces premiers articles, et plus largement dès les premiers travaux des éthiciens de l’environnement, s’inquiète de la misanthropie qui animerait ces philosophes. L’éthique de la nature ne serait-elle pas une manière de penser la morale contre les hommes ? Ce soupçon est même redoublé concernant la proposition de John Baird Callicott. L’insistance du philosophe sur la dimension holiste de son éthique qui semble indiquer la prévalence du tout sur les parties, ou de la communauté sur les individus, et sa volonté supposée de constituer la maxime de Leopold en nouvelle règle d’or de l’éthique au mépris de toute forme de pluralisme ne mènent-t-elle pas, en définitive, vers une forme d’écofascisme ?
20La réception de ses premiers textes donne ainsi lieu à une incompréhension quasi totale de la démarche philosophique de l’ancien militant des droits civiques qui se voit accusé d’être le théoricien d’un anti-humanisme et d’un fascisme vert. Cette incompréhension, qu’il rencontre y compris chez certains de ses collègues au sein de la philosophie environnementale27, conduit John Baird Callicott à réaliser un examen rétrospectif de ses premiers textes, et notamment de celui le plus polémique, l’article de 1980 intitulé « Animal Liberation : A Triangular Affair28 ». Dans l’introduction de son second ouvrage, Beyond the Land Ethic29, il revient, en effet, sur sa première formulation « moniste » de la land ethic :
Initialement, j’interprétais la land ethic comme posant un principe moral unique, comparable de ce point de vue, non pas à l’éthique platonicienne, mais aux éthiques chrétiennes, utilitaristes et kantiennes, plus familières, lesquelles s’appuient chacune sur un seul et même principe moral maître[30]. […] La règle d’or de la land ethic est « une chose est juste quand elle tend à favoriser l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse ». Élevé dans une culture prédominante chrétienne et formé aux éthiques modernes déontologiques et conséquentialistes, j’endossais simplement, de façon naïve, un monisme moral au niveau des principes. Et par conséquent, initialement, je défendais l’idée que la land ethic exigeait de nous que nous jugions du caractère juste ou injuste de toutes nos actions à la façon dont elles se conformaient à ce principe31.
21Faisant de la naïveté qui caractérisait sa première interprétation de la land ethic, le cœur du malentendu qui suivit la parution de l’article, John Baird Callicott précise les contours du positionnement de l’éthique écologique qu’il appelle de ses vœux au sein de la philosophie morale et répond, partiellement, par la même occasion à l’objection pluraliste qui lui était adressée. Il ajoute ainsi :
Et j’aurais, sur le champ, abandonné la land ethic, s’il ne m’était pas apparu que j’avais tort de l’interpréter comme posant un principe moral unique comme le font les éthiques chrétiennes, utilitaristes et kantiennes. Je remarquais que Leopold décrivait la land ethic comme une « accrétion », c’est-à-dire comme un complément à nos éthiques interhumaines familières ; elle n’est pas destinée à remplacer ou à éclipser nos éthiques interhumaines familières. Mais, si la maxime qui résume la land ethic est un nouveau principe à additionner aux précédents, nous ne pouvons le faire de façon cohérente, c’est-à-dire sans auto-contradiction, que si nous le situons à l’intérieur d’une théorie éthique et d’une philosophie morale qui intègrent une pluralité de principes pleinement humains et environnementaux32.
22Cette thèse de l’accrétion vient clarifier la compréhension de la description de la « séquence éthique » que John Baird Callicott, après Hume, Darwin et Leopold, reprend à son compte33. Les extensions successives de la sphère de la considération morale, qui correspondent à l’allongement progressif de la portée de notre souci moral envers la communauté, ne remettent pas en cause les droits et les obligations morales précédemment définis. Il ne s’agit pas d’une progression par substitution, mais par accrétion, ce que John Baird Callicott illustre en affirmant que l’extension de la morale ne doit pas être comprise, à la façon de Peter Singer34, suivant le modèle d’un ballon de baudruche qui se gonfle, mais plutôt suivant celui des cercles concentriques qui témoignent de la croissance d’un arbre sur la coupe de son tronc – image qu’il emprunte à Richard etVal Routley35.
23Dans ce cadre, les obligations familiales prévalent sur celles que nous avons à l’égard de la communauté humaine tout entière, qui, elles-mêmes, prévalent sur les obligations définies par notre appartenance à la communauté biotique. La land ethic ne recommande donc pas le sacrifice des individus humains au nom du bien-être de la communauté biotique et elle échappe, par conséquent, aux accusations d’écofascisme. L’éthique écocentrée n’est que l’une des accrétions les plus récentes du développement de la moralité et le principe moral central qui la caractérise vient s’additionner aux autres principes moraux établis, et non pas les remplacer ou les subsumer. Il ne s’agit donc pas, ainsi que l’écrit clairement l’auteur dans sa mise au point rétrospective citée un peu plus haut, d’évaluer l’ensemble de nos actions du seul point de vue de leur contribution à l’intégrité, à la stabilité et à la beauté de la communauté biotique.
24Toutefois, cette clarification appelle un certain nombre de nouvelles interrogations. Si de nos appartenances multiples à des communautés de dimension et de nature différentes découle une pluralité d’obligations morales, comment devons-nous les hiérarchiser ? Dans sa réponse à l’accusation d’écofascisme, John Baird Callicott a soutenu que la land ethic ne remettait pas en cause les obligations que nous avons à l’endroit des humains, mais cette défense peut susciter une critique inversée qui consisterait à se demander quelle force aurait une éthique écologique qui ne s’opposerait jamais aux intérêts humains. Dernière née de la séquence éthique, la land ethic ne serait-elle qu’un « tigre de papier » écologique36 ?
25Prenant au sérieux cette critique, le philosophe élabore une réponse théorique qui consiste à définir deux principes de hiérarchisation permettant d’ordonner dans chaque situation les obligations morales que nous reconnaissons. Le premier est formulé de la façon suivante :
Le premier principe de second ordre (PSO 1) est que les obligations générées par le fait d’appartenir à des communautés plus vénérables et plus soudées [intimate37] l’emportent sur celles qui sont produites par l’appartenance à des communautés plus récentes et plus impersonnelles38.
26Il constitue, donc, la formulation théorique de la thèse de l’extension de la morale comme accrétion.
27Le second principe est le suivant :
Le deuxième principe de second ordre (PSO 2) est que les enjeux les plus forts (à défaut d’un meilleur terme) génèrent des devoirs qui l’emportent sur les devoirs générés par des enjeux plus faibles39.
28L’auteur précise, en outre, que ces deux principes sont eux-mêmes ordonnés. En effet, le premier principe est celui qu’il faut appliquer, en règle générale, pour hiérarchiser ses obligations morales, tandis que le second ne vient l’emporter sur le premier que dans les conditions qu’il stipule, c’est-à-dire quand la différence d’importance des enjeux liés à deux obligations requiert que l’on accorde la priorité à la plus importante, même si celle-ci implique de contrevenir au premier principe. Concrètement, ce que John Baird Callicott s’efforce d’établir, c’est le fait que les obligations environnementales, qui passent, en règle générale, après les obligations humaines, peuvent dans certains cas devenir prioritaires. Par conséquent, la land ethic échapperait à l’impuissance écologique.
29Toutefois, la formalisation à laquelle donne lieu cette réponse soulève peut-être plus de questions qu’elle n’en résout. D’une part, plusieurs notions que mentionnent les deux principes sont assez largement indéterminées : c’est le cas des communautés « plus vénérables » et « plus soudées », mais aussi des enjeux « plus forts » et « plus faibles ». D’autre part, cette idée d’un modèle formel permettant à un individu d’arbitrer entre ses différentes obligations morales nous semble assez mal convenir à la philosophie morale développée ici. Elle force, en effet, l’inscription de la land ethic dans un cadre théorique qui n’est pas le sien et que le philosophe ne cesse d’ailleurs de critiquer en dénonçant les variations néo-scolastiques sur le thème des choix de l’individu moral. La formalisation vient donc brouiller la lecture de sa réflexion écocentrique en homogénéisant des obligations très différentes, notamment interindividuelles et à l’égard de communautés. Elle le conduit, en définitive, à transposer son éthique écologique sur le terrain largement débattu de la question de la partialité morale. Or, ce n’est pas sur ce terrain que le travail de John Baird Callicott se montre le plus novateur. En effet, les deux principes de hiérarchisation qu’il énonce reformulent plutôt qu’ils ne résolvent un problème assez classique de ce point de vue. À la question de savoir dans quelle mesure la partialité morale est légitime, ils répondent : tant que les enjeux ne sont pas tels qu’elle ne l’est plus.
Vers une éthique pratique
30Cette réponse peut apparaître décevante, mais plutôt que le signe d’une incomplétude de la théorie morale de John Baird Callicott, nous y voyons la conséquence d’une forme d’utilisation à contre-emploi de la land ethic, à laquelle l’aurait conduit la volonté de répondre aux critiques fortes qu’il a rencontrées. Nées d’une réflexion sur les problèmes écologiques dont la visibilité s’accroît à partir des années 1970, les éthiques environnementales ont été sommées dès leur apparition de montrer comment elles pouvaient très concrètement contribuer à la résolution de la crise environnementale. Ainsi, peut-être plus que dans tout autre domaine de la morale, leur légitimité philosophique s’est vu indexée sur leur capacité à produire des effets dans le monde. Cette indexation résulte en grande partie de la montée en puissance d’un courant pragmatiste au sein de la réflexion écologique, dont le mot d’ordre était, pour le dire très rapidement, de bannir toute distinction théorique dépourvue d’implication pratique d’un point de vue environnemental40. Dans un tel contexte, nous comprenons aisément pourquoi l’auteur s’est efforcé de montrer comment son éthique pouvait être mise en application, et ce malgré son opposition ferme à l’écopragmatisme. Mais il nous semble que cela le conduit à engager sa réflexion morale sur une voie qui n’était pas celle qu’il a suivie lorsqu’il s’est proposé de fonder philosophiquement la land ethic de Leopold.
31Dès le début de son entreprise, John Baird Callicott s’était, en effet, positionné contre l’idée que la philosophie environnementale fût réductible à une éthique appliquée conçue en plaquant des principes moraux existants au domaine particulier de l’environnement41. Il ne s’agissait pas même d’inventer simplement de nouveaux principes moraux, mais de proposer une refonte plus profonde de la philosophie morale. Comme nous l’avons écrit un peu plus haut, il envisage sa tâche comme un travail contribuant à la construction d’une nouvelle conception du monde ou d’une nouvelle philosophie naturelle, de laquelle pourra naître une philosophie morale42. Nous pouvons reformuler sa thèse centrale en disant qu’elle consiste à affirmer que notre façon de décrire le monde, héritée de la modernité, n’est pas la bonne, qu’elle omet des pans entiers de réalité, formés de la multiplicité de relations qui nous lient aux êtres naturels, et que cette description déficiente a des implications morales, parmi lesquelles la déconsidération de la quasi-totalité des êtres naturels. De ce point de vue, la tâche centrale de la philosophie de l’environnement consiste à proposer de nouvelles descriptions du monde, et des communautés que nous construisons et au sein desquelles nous évoluons.
32La normativité d’une telle éthique ne tient pas à sa capacité à répondre de façon autonome à des problèmes moraux que soulèverait notre rapport à la nature. De ce point de vue, elle peut, encore une fois, paraître décevante si l’on attend d’une éthique environnementale qu’elle soit une théorie morale capable de répondre, uniquement à partir de ses propres ressources normatives, à des questions du type « est-il moral d’agir de telle façon dans la nature ? » La philosophie environnementale nous invite précisément à rompre avec l’idée de l’autonomie de la morale par rapport à notre connaissance scientifique du monde. C’est ce que la lecture qu’en effectue Catherine Larrère montre de façon convaincante. Se référant à la façon dont Stanley Cavell conteste cette thèse de l’autonomie de la morale, elle écrit :
Dériver un impératif d’un impératif est tautologique ; l’on doit donner les raisons particulières d’agir de la sorte, autrement dit, fournir le contexte à l’intérieur duquel un tel acte prendra sens, améliorera la condition morale de l’agent. La morale traite de la description d’un monde, d’une communauté dans laquelle nous pouvons vivre ensemble, dans laquelle nous pouvons partager des valeurs et assumer des responsabilités. La morale requiert de l’expertise, pas seulement de la bonne volonté. Ce sont de bonnes nouvelles.
Si Cavell a raison (et je le crois), nous sommes soulagés de l’un des mystères métaéthiques les plus irritants : comment pouvons-nous savoir qu’une action est une action morale ? Nous n’avons plus à répondre à une telle question, mais à assortir différentes descriptions de valeurs, mais aussi de faits. L’exigence que doit satisfaire le concept de communauté biotique se pose dans les termes suivants « peut-il fournir un contexte pertinent pour l’action éthique ? ». Et, à mon avis, l’analyse de Callicott de la communauté biotique en tant que communauté éthique satisfait une telle exigence. Par conséquent, comme Callicott l’écrit, « la physique et l’éthique… décrivent toutes deux la nature »43.
33Ce que souligne cette interprétation, c’est la façon dont la land ethic apparaît comme une éthique contextuelle qui vaut moins pour sa capacité à définir le statut moral des êtres naturels ou de la communauté biotique que pour la manière dont elle porte l’exigence de rendre visible les relations pertinentes permettant d’évaluer les conséquences de nos actions dans la nature. Si nous repensons à la façon dont Leopold évoquait les coopérations qui pouvaient résider dans l’ombre des relations de compétition, cette lecture contextualiste de la land ethic philosophiquement élaborée par John Baird Callicott nous semble se situer au plus près de l’héritage leopoldien. Elle montre, en outre, que l’élaboration théorique de la pensée du forestier ne conduit pas nécessairement à s’éloigner des récits et des descriptions de la nature que ce dernier offre dans plusieurs de ses textes et, en particulier, dans l’Almanach. Peut-être l’apport théorique principal de cette éthique environnementale tient-il à la façon dont il déconstruit la frontière morale entre les hommes et les êtres naturels sans chercher à instituer immédiatement un nouveau cadre déclinant les différents statuts moraux qu’elle attribuerait aux êtres naturels selon leurs capacités et leur nature collective ou individuelle ? Il s’agirait en ce sens de refuser de saturer de déterminations théoriques l’espace libéré par la critique des morales anthropocentriques et de convoquer la diversité des matériaux descriptifs qui donnent à voir les êtres naturels avec lesquels nous vivons. Les récits de nature comme les descriptions scientifiques sont autant de matériaux divers à partir desquels nous pouvons penser des façons de nous situer dans la nature. Le cadre humien que John Baird Callicott a donné à la land ethic se prête à cette exploration des relations avec les êtres naturels qui tiennent les mondes dans lesquels nous évoluons quotidiennement. Il ouvre bien de ce point de vue la possibilité d’une éthique de la nature ordinaire.
L’éthique de l’ordinaire et la nature
34L’éthique environnementale est animée par une intention principale qui tient dans la volonté de faire entendre au sein de la réflexion morale l’idée que la nature vaut non seulement pour l’utilité qu’elle peut avoir pour les hommes, mais aussi pour elle-même. Nous avons essayé de montrer que cette idée ne conduisait pas nécessairement à théoriser une valeur intrinsèque de la nature pensée comme entièrement indépendante des hommes, mais pouvait aussi donner lieu au développement d’une éthique relationnelle qui associe étroitement descriptif et normatif. Cette éthique prend forme, en effet, dans les descriptions des pratiques qui nous lient aux êtres naturels. Par là, elle conduit bien à déplacer le centre de l’éthique environnementale de la wilderness, de la nature sans les hommes, vers la nature ordinaire, celle avec laquelle ces derniers interagissent quotidiennement. À côté de la nature sauvage, extraordinaire, celle qui nous inspirerait le sentiment du sublime, elle nous invite à regarder la nature invisible avec laquelle nous vivons.
Les éthiques du care et l’environnement
35De ce point de vue, cette éthique de la nature nous semble pouvoir s’inspirer de la rénovation de la philosophie morale qu’incarnent les éthiques de l’ordinaire et, en particulier, les éthiques du care. Nous retrouvons, en effet, dans cette volonté de passer de la wilderness à la nature proche, une intention similaire à celle qui anime les penseurs du care lorsqu’ils invitent à enrichir la pensée morale en développant une attention à l’ordinaire. C’est ce que décrit, très précisément, Sandra Laugier :
L’éthique du care appelle notre attention sur ce qui est juste sous nos yeux, mais que nous ne voyons pas, par manque d’attention ou justement parce que c’est trop proche44.
36La philosophe ajoute un peu plus loin :
L’ordinaire n’existe que dans cette difficulté propre d’accès à ce qui est juste sous nos yeux, et qu’il faut apprendre à voir. Il est toujours objet d’enquête – ce sera le mode d’approche du pragmatisme – et d’interrogation, il n’est jamais donné, toujours à atteindre par le care, chose dont chacun est capable45.
37Dans son ouvrage célèbre, In a Different Voice46, la psychologue américaine Carol Gilligan ouvrait la voie d’une nouvelle compréhension de la morale sur la base d’une remise en cause de la théorie du développement moral de Lawrence Kohlberg47. Comme en témoignaient les sujets féminins qu’elle avait interrogés, la conception rationaliste et abstraitement impartiale de la morale se montrait incapable de rendre compte d’une autre forme de comportement moral qui s’exprimait en termes d’attention ou de souci pour autrui. Opposant point par point cette nouvelle approche aux théories morales des droits et des obligations, en particulier à celles de la justice, Carol Gilligan posait ainsi les jalons de l’éthique du care, en écrivant notamment :
Selon cette conception, le problème moral surgit à l’intersection de responsabilités conflictuelles plutôt qu’à l’intersection de droits rivaux, et sa solution requiert un mode de pensée contextuel et narratif plutôt qu’abstrait et formel. Cette conception de la moralité préoccupée par l’activité de soin centre le développement moral sur la compréhension de la responsabilité et des liens humains, tout comme la conception de la moralité comme impartialité lie le développement moral à la compréhension de droits et de règles48.
38Le care part ainsi de la dénonciation des manquements des approches dominantes en philosophie morale, en particulier d’une forme de pauvreté morale dont font preuve ces théories49 et se propose, en réaction, d’explorer la richesse morale de nos comportements ordinaires. Principale introductrice du care en France, aux côtés de Patricia Paperman et de Pascale Molinier50, Sandra Laugier écrit en ce sens :
La focalisation sur les notions d’action rationnelle, d’obligation, de choix moral ou de réalité morale laisse de côté une partie importante du questionnement moral ordinaire. Bien sûr, il serait injuste de considérer que la réflexion morale contemporaine néglige entièrement les caractères de ce genre – le renouveau actuel des « éthiques de la vertu », ainsi qu’une partie de l’éthique appliquée, ont attiré l’attention sur des qualités comme la générosité, le courage, la confiance. Mais le care vise à aller plus loin qu’une éthique des vertus ou du développement/épanouissement humain ; à valoriser le souci des autres, non contre le souci de soi, mais comme définition même d’un réel et réaliste souci de soi. Comme élément essentiel et non pas accessoire de l’éthique51.
39Ces éthiques – éthiques du care, éthiques de la vertu, une forme d’éthique appliquée –, qui prennent chacune à leur façon une direction orthogonale à celle suivie par les théories morales rationnelles et abstraites, décrivent ainsi des trajectoires assez proches, et peuvent s’informer les unes les autres, comme en témoignent par exemple l’invitation d’Eva Feder Kitay à « faire de la bioéthique sur le modèle d’une éthique du care52 » ou l’analyse des rapports entre éthique du care et éthique de la vertu proposée par Frédérique Plot53. Nous voudrions, quant à nous, souligner comment la caractérisation par les éthiques du care de ce que peut être une pensée contextuelle de la morale peut être mise à profit dans l’optique de développer une conception non théoriciste de l’éthique environnementale.
40Les éthiques du care se développent, en effet, dans une veine antithéorique qui rejoint le questionnement, apparu au sein des éthiques appliquées, sur l’utilité ou la pertinence des principes moraux pour résoudre les problèmes rencontrés dans la vie réelle. Sur ce point, comme le note, Sandra Laugier :
Les analyses en termes de care s’inscrivent (d’où la difficulté à parler de théories du care) dans un mouvement de critique de la théorie morale, qui revendique un primat de la description des pratiques morales dans la réflexion éthique, ce qui met en cause la méthodologie, voire le principe, de ce qu’Anscombe appelait, dans un fameux article, « la philosophie morale moderne ». Les éthiques pratiques du care partent, au contraire, de problèmes moraux concrets, et voient comment nous nous en sortons, non pas pour abstraire à partir de ces solutions particulières (ce serait retomber dans la pulsion de généralité) mais pour percevoir la valeur même du (dans le) particulier. Elles appellent une sorte d’ethnographie morale qui laisserait leur place aux expressions propres des agents davantage qu’une approche surplombante54.
41Le care invite ainsi au développement d’une pensée contextuelle qui ne se limite pas à penser le contexte, mais s’élabore également comme une pensée en contexte. Les éthiques du care cherchent à saisir la moralité qui s’exprime dans les descriptions en contexte des situations particulières, autrement dit dans toutes les formes de narration. Contre l’idée de l’application de concepts normatifs à des situations concrètes, selon laquelle la réflexion morale exige l’élaboration préalable d’une théorie normative indépendante des descriptions particulières, les éthiciens du care défendent l’idée que l’examen de nos pratiques associe indissociablement des dimensions descriptives et normatives55. Soulignant, de ce point de vue, leur héritage wittgensteinien, Sandra Laugier, à nouveau, écrit :
La réflexion sur le care va contre ce que Wittgenstein appelait dans le Cahier bleu la « pulsion de généralité », le désir d’énoncer des règles générales de pensée et d’action. Elle vise à faire valoir en morale l’attention au(x) particulier(s), au détail ordinaire de la vie humaine. Une telle volonté descriptive modifie radicalement la morale : apprendre à voir ce qui est important et non remarqué, justement parce que c’est sous nos yeux. Émerge alors une éthique de la perception particulière des situations, des moments, de « ce qui se passe » (what is going on), à la façon dont Goffman définit l’objet de la sociologie et dont Hilary Putnam parle, renvoyant lui aussi à Wittgenstein, d’une « éthique sans ontologie ». Il n’y a pas de concepts moraux univoques qu’il ne resterait qu’à appliquer à la réalité, mais nos concepts moraux dépendent, dans leur application même, de la narration ou de la description que nous donnons de nos existences, de ce qui est important (matter) et de ce qui compte pour nous56.
42Le care partage ainsi avec les éthiques de la vertu la volonté de recentrer la réflexion morale sur les relations entre les agents – pour le care, care giver et care receiver – plutôt que sur l’action morale. Il s’agit moins de soumettre une action à une règle que de manifester une attention à l’autre, un souci pour l’agent ou le patient moral avec lequel on est en interaction. Les penseurs du care essayent de montrer comment les échanges sociaux ou affectifs révèlent ce qui compte pour les acteurs, que ce soit à l’occasion d’expériences positives ou, au contraire, négatives, comprises comme des manques d’attention à des êtres qui comptent pourtant réellement. Les éthiques du care s’opposent ainsi, encore une fois, aux morales traditionnelles qui confient aux principes théoriques la tâche de repérer, dans l’enchevêtrement des émotions et des jugements qu’expriment les acteurs dans une situation particulière, ce qui est important et ce qui ne l’est pas, ce qui relève de la morale et ce qui n’en relève pas. Il ne s’agit pas de passer le réel au crible de concepts moraux qui définissent ce qui en théorie devrait être fait, afin de déterminer ce que l’on doit faire en pratique. Développer une pensée du care, c’est aborder une situation particulière sans savoir au préalable ce qui compte, c’est essayer précisément de comprendre ce qui importe à partir des discours et des comportements des acteurs engagés dans cette situation.
Éthiques du care et éthique environnementale
43De quelle façon maintenant l’approche développée par les éthiques du care pourrait-elle informer l’éthique environnementale ? Cette idée ne va pas de soi. Le care est, en effet, une pensée des relations humaines, et même, à l’origine, une pensée des relations duales entre les individus, « dyadiques », dont celle mère-enfant constituait le paradigme. Ce dernier point a, certes, été rapidement contesté par l’autre grande figure américaine du care qu’est Joan Tronto. Celle-ci a, en effet, appelé à se départir du modèle de la relation duale qu’elle jugeait trop étroite pour rendre compte de la diversité des situations de care et qu’elle percevait, de surcroît, comme un obstacle important à leur politisation57. Et, en ce sens, la philosophe a proposé la définition suivante du care en tant qu’activité :
Une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre « monde » de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités (selves) et notre environnement, que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie58.
44On note immédiatement l’apparition du terme d’« environnement » dans cette dernière définition, signe encourageant dans l’optique de dégager un éventuel apport de la pensée du care à la réflexion environnementale. Si le « monde » compte aussi pour nous, et pas simplement les individus humains, est-ce à dire qu’un rapprochement est possible entre les éthiques du care et les éthiques environnementales ? Le care peut-il réellement s’étendre aussi aux non-humains ?
45En réalité, cette interrogation ne renvoie pas à un croisement purement hypothétique entre les deux courants de réflexion morale puisque, comme le note Layla Raïd, la rencontre entre le care et les éthiques environnementales est, de fait, en train d’avoir lieu59. Ainsi, pour répondre à cette question de la possibilité de l’extension du care à l’environnement, nous pouvons commencer par évaluer le caractère fructueux ou non de ces premiers « contacts ».
46Trois articles, respectivement de Marie Gaille60, Catherine Larrère61 et Layla Raïd62, parus récemment dans le même ouvrage63, traitent de cette rencontre entre les éthiques du care et les éthiques environnementales. S’ils contribuent tous trois à montrer que l’idée d’une telle rencontre n’est pas creuse, ils en donnent des versions sensiblement différentes. Une première raison qui explique ces divergences tient au choix de l’« interlocuteur » du care au sein de la pensée environnementale. Ceci nous semble particulièrement clair en ce qui concerne les textes de Layla Raïd et de Marie Gaille : la première s’intéresse à la rencontre entre la land ethic et le care, tandis que la seconde, bien qu’elle traite également de la question générale des relations entre les hommes et la nature, ou l’environnement, nous semble, en définitive, donner plus de place dans son article à la question du care à l’égard des animaux ainsi qu’à celle, qui lui est liée, de notre régime alimentaire carné – comme l’indique le fait que l’auteur le plus discuté, dans ce texte, soit Jonathan Safran Foer64. Or, comme le rappelle précisément Catherine Larrère dans l’introduction du dernier de ces trois articles, les relations entre le care et les éthiques environnementales d’une part, et celles entre le care et les éthiques animales d’autre part, renvoient à des discussions distinctes65. Les secondes ont été assez largement traitées par le courant féministe de l’éthique animale, qui s’est développé en réaction contre les éthiques des droits et des intérêts élaborées par leurs collègues masculins, en particulier Tom Regan et Peter Singer66.
De la land ethic aux éthiques du care
47C’est au premier de ces deux ensembles de discussions que nous voudrions nous intéresser maintenant. De ce point de vue, la question à laquelle il nous faut répondre est la suivante : peut-on aller « de la land ethic aux éthiques du care », comme le suggère le titre de Layla Raïd ? C’est dans la façon de répondre à cette question que se différencient, par ailleurs, les trois auteurs. Pour résumer brièvement leurs positions respectives, pour Marie Gaille, les éthiques du care et les éthiques environnementales pourraient être associées dans une figure morale qui serait l’image, reflétée par un « miroir moral », d’un sujet soucieux des autres et de son environnement. De ce point de vue, cette thèse nous semble décrire l’union possible du care et de l’éthique environnementale au sein d’une éthique de la vertu. Layla Raïd, quant à elle, veut puiser dans les écrits d’Aldo Leopold les ressources susceptibles d’illustrer la façon dont on peut prendre soin de la nature, y compris de la nature sauvage. Un care pour la wilderness – sous les modalités d’un caring about et d’un taking care – serait possible. C’est précisément ce point que conteste Catherine Larrère, rappelant selon l’expression de Holmes Rolston que « Nature is not fair » et ajoutant « Nor does it care much »67.
48Ces distinctions établies, nous allons maintenant examiner plus en détail cette divergence sur la question du care pour la wilderness, qui nous semble éclairer, au-delà du problème de la nature sauvage, la conception du care susceptible de pénétrer le champ de la réflexion environnementale. Si les deux auteurs parviennent à des conclusions différentes, Catherine Larrère et Layla Raïd partent du même point de départ : la présence dans les descriptions narratives de Leopold de nombreuses caractéristiques communes avec les approches développées par les éthiques du care, telles que « la vision relationnelle, l’importance accordée aux sentiments, l’approche narrative des questions éthiques68 ». « Tous les ingrédients d’une éthique environnementale du care semblent ainsi présents chez Leopold69 », écrit Catherine Larrère. Mais si, pour Layla Raïd, ceci va « dans le sens d’une exhortation au care qui englobe le monde sauvage », il n’en est rien pour Catherine Larrère qui écrit :
L’éthique environnementale peut dire l’importance des relations et des interdépendances, ne pas négliger les sentiments, sans pour autant faire place au care. Du respect, de l’admiration, de la dévotion, de l’amour… mais pas de care70.
49Quelle place y aurait-il pour une activité de care envers une nature sauvage dont l’homme se doit d’être absent, s’interroge ainsi Catherine Larrère ? Layla Raïd tente de contourner la difficulté en mettant à profit la distinction établie par Joan Tronto et Bérénice Fisher71 entre quatre dimensions de care, et qu’elle décrit de la façon suivante :
Fisher et moi-même avons également décrit quatre phases du care ; j’ai ensuite ajouté des dimensions morales à chacune de ces phases : le fait de se soucier de quelqu’un ou quelque chose (caring about) ; prendre soin de quelqu’un (caring for) ; de soigner quelqu’un (care giving) ; d’être l’objet du soin (care receiving)72.
50Selon Layla Raïd, la wilderness serait, en réalité, susceptible d’être l’objet d’un caring about ainsi que d’un caring for, sans que cela ne nécessite la présence ni de care givers, ni de care receivers. Le care pour la wilderness serait à penser suivant les modalités de l’attention à un autre qui prendrait soin de lui-même de manière autonome. Mais, de ce point de vue, on pourrait se demander ce qui le distingue d’une attitude de respect à l’égard de la nature sauvage.
51Si pour Catherine Larrère, cette difficulté marque précisément l’incompatibilité entre le care et la wilderness, la philosophe n’entend pas toutefois signifier l’impossibilité de toute association entre des relations avec l’environnement et des pratiques de care. Selon elle, un care environnemental existe bien, mais il ne s’exerce pas sur la nature sauvage. Pour aller « de la land ethic aux éthiques du care », il faut changer d’environnement, passer de la « montagne » au « jardin ». C’est la thèse qu’elle défend de la façon suivante :
Les jardins, en effet, sont une façon d’être dans la nature, pas de l’admirer de l’extérieur. Or, à reconsidérer la proposition de Joan Tronto (inclure dans le care nos relations avec des objets, des animaux, la nature), on se rend compte qu’il ne s’agit pas nécessairement de quitter le monde humain pour aller dans d’autres mondes (animal ou naturel) mais plutôt de prendre conscience que, dans notre monde humain, nous avons également relation à des non-humains73.
52Pour la philosophe, c’est en suivant cette piste que l’on peut mettre en lumière la pertinence du care, et de sa dimension féministe, pour la réflexion environnementale. Si l’on s’intéresse, en effet, précisément à la question de savoir qui « prend soin » des jardins, il apparaît que ce sont majoritairement des femmes, et que celles-ci subissent des « dominations croisées » – en tant que femmes, mais aussi en tant que directement dépendantes d’un environnement exploité et dégradé, ainsi que, pour nombre d’entre elles, en tant que citoyennes des pays du Sud. La réflexion environnementale permet ainsi de révéler tout un ensemble d’activités exercées par des femmes qui relèvent d’un travail de care, et qui sont passées sous silence. C’est ce que Carolyn Merchant avait repéré, comme le souligne Catherine Larrère :
Le mouvement contre les inégalités écologiques et pour la justice environnementale (qui se préoccupe de l’inégale répartition des risques environnementaux, mais aussi de l’insuffisante participation des populations intéressées aux décisions concernant ces risques) est, conclut-elle [Carolyn Merchant], « une question de femmes » (a feminist issue)74.
53Il apparaîtrait ainsi que plus qu’aux éthiques de l’environnement, ce serait avec cet autre courant de réflexion qu’est la justice environnementale75, et qui s’intéresse aux inégalités sociales associées à des problématiques environnementales plutôt qu’à la protection de la nature, que le care posséderait le plus d’affinités. Ce rapprochement est d’une certaine façon paradoxal si l’on se souvient que les éthiques du care se sont essentiellement développées contre les approches morales élaborées dans les termes d’une réflexion sur la justice. De ce point de vue, quoi qu’il en soit des éventuels apports de la pensée du care aux éthiques environnementales, le texte de Catherine Larrère montre indirectement, qu’en sens inverse, la réflexion environnementale peut fournir une aide précieuse aux éthiques du care, en proposant un éclairage sur l’une de ses questions centrales, à savoir la question des rapports, souvent pensés comme relevant d’une opposition forte, entre le care et la justice76. Ce que la réflexion sur les inégalités environnementales met en lumière, c’est, en effet, la façon dont la répartition inégale des tâches associées à la fois à la subsistance et à la protection de l’environnement, est un problème de justice et de care.
Une éthique relationnelle
54Si l’on revient maintenant à la question de la contribution des éthiques du care à la réflexion environnementale, elle tiendrait avant tout à la façon dont elles permettent d’articuler les problématiques sociales et écologiques. Parce que les éthiques du care sont des éthiques relationnelles, l’idée d’un care environnemental renvoie nécessairement à des pratiques qui mettent en relation les hommes et la nature, ce qui réfute l’idée d’un care pour la wilderness. Pour Catherine Larrère, c’est très précisément parce qu’il n’y a pas de care possible pour une nature sans les hommes que les éthiques du care contribuent au déplacement de la réflexion environnementale de la question de la wilderness vers celle de la co-habitation avec les non-humains ou encore de la protection de la nature à la construction d’un monde commun.
55Mais c’est aussi du point de vue de la méthode philosophique qu’elles proposent que les éthiques du care peuvent contribuer à la réflexion environnementale. La mise en avant de la valeur des récits et des descriptions de pratiques pour la réflexion morale au détriment d’une approche de l’éthique purement théorique est, nous l’avons vu, un point central de la méthodologie qu’appellent de leurs vœux les penseurs du care. À ce sujet, Catherine Larrère écrit :
Autour de la notion de care se regroupent un ensemble de théories, qui ont une dimension normative (une configuration de notions morales). Mais il y a aussi une approche descriptive du care, celle des pratiques du care. C’est là surtout que réside sa dimension subversive : car étudier ces pratiques, c’est rendre visible ce qui est le plus souvent occulté. Connaître le care, c’est donc en présenter les pratiques [… ]77.
56C’est cette dimension descriptive du care qui retient, en premier lieu, l’attention de qui s’intéresse à l’extension du care vers l’environnement. Et c’est ce qui conduit précisément Layla Raïd comme Catherine Larrère, dans leur référence commune à Leopold, à mettre en avant la première partie de l’Almanach d’un comté des sables78 plutôt que la seconde. Layla Raïd explique ainsi ce choix :
Le rapprochement que j’opérerai fonctionnera sur le fondement d’autre chose que ce point aveugle du texte de Leopold, qu’il convient de lire pour ce qu’il offre : il s’appuiera sur la description minutieuse de la vie quotidienne qu’il propose dans la première partie de son ouvrage, à partir de laquelle s’érige, dans la dernière partie, sa land ethic. La description de Leopold contient une dimension de care qui sera le fondement de ma comparaison79.
57La différence d’analyse entre les deux philosophes tient, nous l’avons vu, à la seconde de ces deux phrases. Pour Layla Raïd, le récit calendaire de l’Almanach témoigne de la présence d’une pensée du care chez Leopold, tandis que Catherine Larrère s’oppose à cette idée, ces éléments descriptifs à partir desquels se dessine peu à peu une éthique renvoient à une forme de réflexion morale assez proche de celle développée par les éthiques du care, mais ils ne décrivent pas des pratiques de care. Partant, Catherine Larrère s’employait à démontrer que le care était à chercher ailleurs que dans la montagne.
58Mais ce qui nous intéresse maintenant, c’est précisément ce que la forme de réflexion morale propre au care peut apporter à l’éthique environnementale, sans se préoccuper de la question de savoir si au-delà de sa forme, cette dernière s’apparente véritablement à une éthique du care. Sur ce point, il ne semble pas y avoir de désaccord : la contribution principale des éthiques du care à l’éthique environnementale consiste à inviter cette dernière à accorder plus d’importances à la description des actions développées par les hommes dans la nature. La description des pratiques environnementales, les récits d’expériences dans la nature, abondants dans la littérature américaine, peuvent prendre la forme d’une réflexion morale sur l’environnement : c’est sans doute le message important que peut recevoir l’éthique environnementale de la part des éthiques du care. Il vient ainsi confirmer la lecture de la land ethic, que nous proposions plus haut, et qui suggérait que celle-ci ne tenait pas seulement dans le dernier chapitre de l’Almanach de Leopold, sur lequel se sont souvent focalisés les philosophes de l’environnement, mais aussi dans les récits que le forestier délivre en égrenant les mois de l’année.
Éthique et esthétique de la nature ordinaire
59L’appel lancé par Ralph Waldo Emerson à embrasser le commun et à explorer le familier, que nous avons voulu faire résonner au sein de l’éthique environnementale, porte également dans le domaine de l’esthétique environnementale. Le déplacement du regard vers la nature ordinaire conduit, en effet, à se détacher de l’idée selon laquelle seule la nature vierge et sauvage serait à même de produire des émotions esthétiques. Et, d’une certaine façon, l’approche esthétique redouble l’enjeu de l’interprétation de Emerson et de Henry David Thoreau en penseurs de l’ordinaire. Car, suivant l’idée classique de la wilderness80, le transcendantalisme américain a été associé au courant artistique de l’école de l’Hudson River, qui se caractérise par les représentations de paysages naturels grandioses qu’inspire le sublime américain. Ensemble, Emerson et Thomas Cole devaient, en effet, incarner les vecteurs, philosophique et artistique, d’un même mouvement de constitution de l’identité américaine. Ce grand récit fondateur du xixe siècle américain décrit le philosophe et le peintre en moralistes, chacun célébrant à leur manière la valeur fondatrice de la wilderness pour la nation américaine81. C’est précisément cette trajectoire éthique et esthétique qui partirait de Emerson et de Thoreau que le thème de l’ordinaire permet d’infléchir, ouvrant la voie à une autre éthique de la nature, mais aussi à une nouvelle esthétique paysagère.
60Si nous trouvons déjà l’expression de cette esthétique de la nature ordinaire dans plusieurs passages d’Aldo Leopold, consacrés à la land esthetic et dans lesquels il souligne la façon dont la beauté de la nature peut être observée dans notre environnement le plus proche82, et si de façon le plus générale le champ dynamique de l’esthétique environnementale mériterait une discussion plus large83, nous voudrions nous intéresser plus particulièrement pour conclure ce chapitre aux travaux théoriques et aux pratiques du jardinier-paysagiste Gilles Clément. Par la façon dont elle prend son origine dans une conversion du regard porté sur des paysages fortement anthropisés, qui y fait apparaître la nature encore présente, la trajectoire artistique de ce dernier nous semble, en effet, pleinement s’inspirer d’une esthétique de l’ordinaire qui perçoit la beauté de la nature dans certains de nos paysages les plus communs. Partant d’une analyse des trois concepts centraux de sa réflexion environnementale – le « tiers-paysage », le « jardin en mouvement » et le « jardin planétaire » –, nous allons essayer de montrer comment ce changement de regard sur notre environnement proche auquel nous invite Gilles Clément indique aussi une nouvelle façon de se situer dans la nature.
Le tiers paysage
61Le premier de ces trois concepts est celui de « tiers paysage ». Au centre de l’un des textes les plus connus de Gilles Clément, précisément intitulé Manifeste du Tiers paysage84, il se définit de la façon suivante :
Le Tiers-Paysage […] désigne la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. Il concerne les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes, tourbières, mais aussi les bords de route, rives, talus de voies ferrées, etc. À l’ensemble des délaissés viennent s’ajouter les territoires en réserve. Réserves de fait : lieux inaccessibles, sommets de montagne, lieux incultes, déserts ; réserves institutionnelles : parcs nationaux, parcs régionaux, « réserves naturelles »85.
62Ainsi que le relate le jardinier, c’est de l’observation d’un paysage de Vassivière86 que naît le concept87. Au premier regard, l’espace qui entoure le lac semble présenter un caractère essentiellement binaire, partagé qu’il est entre les masses sombres formées par les arbres des forêts gérées et les surfaces claires des pâtures. Mais, nous dit Gilles Clément :
Si l’on cesse de regarder le paysage comme l’objet d’une industrie on découvre subitement – est-ce un oubli du cartographe, une négligence du politique ? – une quantité d’espaces indécis dépourvus de fonction sur lesquels il est difficile de porter un nom. Cet ensemble n’appartient ni au territoire de l’ombre ni à celui de la lumière. Il se situe aux marges. En lisière des bois, le long des routes et des rivières, dans les recoins oubliés de la culture, là où les machines ne passent pas. Il couvre des surfaces de dimensions modestes, dispersées comme les angles perdus d’un champ ; unitaires et vastes comme les tourbières, les landes et certaines friches issues d’une déprise récente.
Entre ces fragments de paysage aucune similitude de forme. Un seul point commun : tous constituent un territoire de refuge à la diversité. Partout ailleurs celle-ci est chassée.
Cela justifie de les rassembler sous un terme unique. Je propose Tiers paysage, troisième terme d’une analyse ayant rangé les données principales apparentes sous l’ombre d’un côté, la lumière de l’autre88.
63De ce point de vue, le tiers paysage apparaît initialement sous la forme de fragments de nature au sein d’un paysage anthropisé, « fragment indécidé du jardin planétaire89 » dira ailleurs Gilles Clément. Ce sont des espaces interstitiels qui échappent à l’action uniformisante de l’homme, que celle-ci touche les forêts ou les champs.
64Dans ces espaces vit une diversité d’êtres biologiques qui ne peuvent pas cohabiter avec les modes de mise en valeur du territoire, qu’impliquent nos activités économiques dans leurs formes actuelles. Ces habitants spécifiques du tiers paysage, ce sont les espèces végétales et animales que nos pratiques agricoles repoussent dans les haies et les bordures des champs, ou plus loin encore – sur lesquelles Aldo Leopold, déjà, attirait l’attention90 –, celles qui trouvent refuge dans les bordures de route, dans les terre-pleins centraux des autoroutes, celles, encore, que les activités urbaines cantonnent dans les terrains vagues ou les espaces interstitiels des villes. Le tiers paysage attire ainsi notre attention sur un impensé de nos politiques territoriales, il révèle qu’une grande diversité d’êtres biologiques ne survivent que parce que subsistent des espaces restant en marge des activités humaines, des espaces interstitiels qui leur servent d’abri.
Le jardin en mouvement
65Le deuxième concept central de la réflexion de Gilles Clément est celui de « jardin en mouvement ». Cette idée qu’il élabore de façon pratique, en jardinant, comme on ne le lui avait pas appris, un vallon de la Creuse dont il avait fait l’acquisition, renvoie à des manières de « jardiner léger ». Il s’agit, comme il l’écrit lui-même, d’« observer plus et de jardiner moins91 ». Dans ce cadre, le jardinier accepte de voir la nature reconfigurer périodiquement son jardin, il regarde avec bienveillance les déplacements des populations végétales qui s’étendent ou quittent la place qu’il leur avait initialement donnée. Dans cette dynamique, il ne s’interdit pas d’intervenir, mais cherche à s’insérer dans le flux naturel, à piloter sans trop contraindre. En ce sens, Gilles Clément décrit les premiers pas de son travail dans la « La Vallée » – c’est ainsi qu’il nomme son jardin de la Creuse –, de la façon suivante :
Au lieu d’éliminer la totalité de ce que contient « la friche », on décide de garder, çà et là, des épines, des herbes, des arbrisseaux, des jeunes plants de chênes et de hêtres92.
66Il refuse, ainsi, presque systématiquement de supprimer totalement une espèce d’un jardin, que celle-ci soit endogène ou exogène, de ces « exotiques » que l’on juge souvent bien vite envahissantes et nuisibles. Et s’il ne peut s’y résoudre qu’en dernière extrémité, c’est parce qu’il juge que :
L’éradication d’une espèce envahissante est un constat d’échec : c’est dire que l’état actuel de nos connaissances ne nous permet pas d’avoir d’autre recours que la violence93.
67Le même esprit prévaut dans la création d’un jardin, comme celui du parc André-Citroën : le jardinier compose une sélection de végétaux, élabore un plan de semis, essaye bien sûr de prévoir les évolutions. Mais il accepte, également, d’être surpris, regarde le développement imprévu d’une espèce, non comme une erreur à corriger, mais comme une proposition de nouvelle configuration, qu’il peut toujours en dernière instance rejeter, à condition de l’avoir auparavant étudiée.
68La réflexion sur le jardin en mouvement peut être résumée par l’intention paysagère suivante : faire le plus possible avec la nature, le moins possible contre. Il renvoie donc à une certaine conception des rapports entre l’homme et la nature. Et l’on pense, bien sûr, à Jean-Jacques Rousseau, et à la formule célèbre de Julie à propos de son Élysée, « la nature a tout fait, mais sous ma direction94 ». De cette collaboration naît précisément un jardin dont les contours évitent soigneusement les lignes trop droites et qui accueille « sans ordre et sans symétrie, des broussailles de roses, de framboisiers, de groseilles, des fourrés de lilas, de noisetier, de sureau, de seringa, de genêt, de trifolium, qui par[ent] la terre en lui donnant l’air d’être en friche » ou qui donne au terrain un « je ne sais quoi de vague95 ». Or, si ce jardin place le « bout du monde à notre porte », s’il paraît « le lieu le plus sauvage de la nature96 », ce n’est pas, contrairement aux coûteux jardins d’apparat qui nourrissent l’orgueil de leurs propriétaires, parce qu’il rassemble en un même lieu les plantes plus exotiques, mais bien parce que cette manière de faire avec la nature laisse venir les « herbes communes » et les « arbrisseaux communs »97.
69Nous retrouvons bien là le rapport à la nature que Gilles Clément décrit en ces termes :
Le Jardin en Mouvement apporte sa contribution aux questions posées par les relations de l’homme à son territoire. Notamment en proposant, en guise de jardinage, une collaboration de l’homme avec la nature, une manière d’aller avec et non contre98.
70Et, d’une certaine façon, c’est ici que l’on retrouve le tiers paysage. « Lieu privilégié de l’intelligence biologique », il est un lieu d’investigation précieux pour qui cherche à comprendre les dynamiques naturelles qui animent les paysages. Le tiers paysage est ainsi capable d’« instruire l’usager des précautions nécessaires à la manipulation et à l’exploitation des êtres dont il dépend99 ». Il est riche de nouvelles propositions paysagères et peut jouer dans ce sens le « rôle matriciel d’un paysage en devenir100 ».
71C’est ainsi que le regard porté depuis le jardin en mouvement vers le tiers paysage permet de comprendre que, si les hommes sont invités à préserver le caractère non aménagé de ces espaces, ils ne doivent pas, pour autant, s’en désintéresser. « Le délaissement du Tiers paysage par l’institution ne signifie pas délaissement absolu101. » Il faut s’abstenir d’intervenir, mais pas d’observer. Nous pouvons regarder la nature faire le tiers paysage et essayer de comprendre ce qu’elle fait. Il faut observer ce territoire de l’invention et de l’intelligence biologiques. Anciennement ignoré, le tiers paysage devient désiré, scruté. Dans cette optique, nous devons mettre à profit la multitude de moyens techniques que nous avons à notre disposition pour étendre une « couverture anthropique » de surveillance, qui ne soit pas trop intrusive. Et, c’est précisément parce que notre technologie nous donne la possibilité de « surveiller » la planète entière, ou presque, que la troisième idée, celle du « jardin planétaire », peut prendre sens. À ce propos, Gilles Clément écrit :
La couverture anthropique concerne le niveau de « surveillance » du territoire affecté à la régie de l’homme. Dans un jardin, si tout n’est pas maîtrisé, tout est connu. Les espèces délaissées du jardin le sont volontairement, par commodité ou par nécessité, mais l’espace délaissé n’est pas nécessairement un espace inconnu. La planète, entièrement soumise à l’inspection des satellites, est, de ce point de vue, assimilable au jardin102.
Le jardin planétaire
Le Jardin Planétaire est un concept destiné à envisager de façon conjointe et enchevêtrée : la diversité des êtres sur la planète et le rôle gestionnaire de l’homme face à cette diversité103.
72D’un point de vue étymologique, l’expression ne va pourtant pas de soi. Venant du germanique Garten, qui signifie « enclos », le mot de jardin renvoie habituellement à des espaces relativement peu étendus et clos de murs ou de haies. Comment passer de cet espace localisé qu’est le jardin à la globalité de la planète ? En réalité, si pour Gilles Clément, nous pouvons passer du jardin à la planète sans solution de continuité, c’est parce que la crise écologique qui apparaît en pleine lumière dans la seconde moitié du xxe siècle nous révèle la finitude de notre planète. En ce sens, l’auteur écrit :
Jusqu’au début du xxe siècle, le jardin utilisait la Nature pour exprimer un art de vivre et de penser. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans une atmosphère d’urgence à reconstruire, surgit ce qui va modifier en profondeur le regard de l’Homme sur son environnement : l’avènement de l’écologie fait de la Nature l’objet et le sujet du jardin. La révélation – quasi foudroyante – d’une finitude de la planète Terre bouleverse les rapports aux êtres vivants ainsi qu’à l’espace qu’ils occupent.
En parcourant le monde, j’ai constaté l’intense activité du brassage auquel se livrent – sans doute depuis la nuit des temps, mais aujourd’hui de façon accélérée – les plantes et les animaux de tous les continents. L’Homme, animal agité par son activité croissante et ses voyages, s’emploie à rapprocher de façon virtuelle mais biologiquement très concrète l’ensemble des continents et de tous les isolats autrefois séparés par des obstacles naturels. Ce constat, allié à l’assertion des scientifiques selon laquelle la biomasse n’est pas inépuisable, place l’humanité de façon brusque et tragique au sein d’un jardin qui englobe désormais la Terre entière104.
73Ainsi, dès lors que l’écologie nous apprend la finitude de la Terre et nous informe de la façon dont nous avons intensifié et porter le brassage des espèces vivantes à un niveau mondial, dès lors également que notre technologie permet d’observer le monde dans sa quasi-totalité, l’idée de jardin planétaire prend sens. Dans les limites de la biosphère, nous sommes les jardiniers, souvent insouciants, d’un « enclos autonome et fragile, où chaque paramètre interfère sur l’ensemble, et l’ensemble sur chacun des êtres en présence105 ».
74Le concept de jardin planétaire met en lumière la responsabilité des hommes à l’égard de la Terre et redéfinit, sous l’angle du jardinage, la perspective cosmopolitique. C’est ce que Gilles Clément indique de la façon suivante :
Monde des jardins, jardin du monde : quelles frontières entre le territoire individuel et le projet collectif d’une planète viable ? Sans doute s’agit-il d’une seule et même question, accéder à l’équilibre heureux des êtres partageant un espace commun : animaux, plantes, mammifères, humains… Quelle que soit son échelle, le jardin porte en lui les dimensions de l’utopie. Petit ou grand, il raconte un rêve identique : vivre en paix au sein d’une nature apaisée. Seul varie le mode d’apaisement106.
75Jardiner la planète, c’est donc œuvrer à la composition d’un monde commun qui fait place à la nature, non pas en lui réservant des espaces en marge des sociétés humaines, mais en considérant les êtres naturels comme des acteurs de cette composition. La perspective du jardin planétaire tend ainsi à « inverser le regard porté sur le paysage en Occident107 ». Pour les politiques territoriales purement productivistes, le tiers paysage représente des espaces relictuels qui restent à aménager ou des délaissés temporaires de la gestion des territoires qu’il faudrait, tôt ou tard, reprendre en main. Si l’on « regarde le paysage comme l’objet d’une industrie », le tiers paysage est ce reste qui irrite le gestionnaire, car il indique que le maximum d’exploitation n’est pas encore atteint. Dans le cadre éthique et esthétique proposé par Gilles Clément, il devient, au contraire, valorisé au regard de sa capacité à accueillir la diversité et à incarner une forme de créativité naturelle, mais aussi parce qu’il nous instruit sur les différentes façons de faire avec la nature.
76Le jardin planétaire reste, bien sûr, encore très largement à faire. Nous ne connaissons pas, tant s’en faut, tous les recoins de la Terre, quant à la diversité des êtres vivants qui l’habitent – nous n’en connaîtrions que le dixième, même en considérant les estimations les plus faibles du nombre total d’espèces dans le monde. C’est pourquoi Gilles Clément nous invite à « mettre à disposition les outils nécessaires à l’appréhension du Tiers paysage », à « rendre accessibles les images satellites, les images microscopiques » de ces espaces et, encore, à « favoriser la reconnaissance à l’échelle habituelle du regard » et à « apprendre à nommer les êtres »108. Il appelle, autrement dit, au développement de la connaissance de ces espaces, à la multiplication des savoirs qui renvoient à autant de propositions dans lesquelles la nature nous indique des manières d’agir avec elle.
77À la lumière de la formule qui caractérise le jardin en mouvement, « faire le plus possible avec la nature, le moins possible contre », nous comprenons que si l’idée de jardin planétaire exprime le refus de voir les hommes faire sans la nature, le tiers paysage ne se limite pas à la revendication inverse de laisser la nature faire sans les hommes. Faire véritablement avec la nature, c’est instaurer une forme de symétrie dans la formule : l’homme avec la nature et la nature avec l’homme. Il s’agit d’introduire une certaine réciprocité dans les relations entre les hommes et la nature, de refuser donc que la coopération ne soit, en définitive, qu’anthropisation sans naturalisation, mais aussi de refuser que la logique de la séparation radicale l’emporte. Gilles Clément écrit ainsi qu’il faut « favoriser les dynamiques d’échange entre les milieux anthropisés et le Tiers paysage109 ». Il introduit cette idée en nous invitant à « engager un processus de requalification des substrats autorisant la vie – air, sol, eau – en modifiant les pratiques périphériques aux espaces de Tiers paysage afin de ne pas en altérer la dynamique et pour en espérer l’influence110 ». Reconnaître la valeur du tiers paysage nous inciterait ainsi non pas à agir directement sur ces espaces, mais à changer nos pratiques sur ceux qui les entourent afin de diminuer l’impact des espaces anthropisés sur le tiers paysage et à espérer en retour voir le tiers paysage en influencer les autres.
78Le jardin planétaire est en mouvement, animé de dynamiques naturelles dans lesquelles les hommes s’insèrent, les accélérant ou les freinant, parfois encore les détournant ou les interrompant. C’est ce dont témoigne, par exemple, le phénomène de brassage planétaire des espèces, à propos duquel Gilles Clément écrit :
Le jardin, pris dans le sens traditionnel, est un lieu privilégié du brassage planétaire. Chaque jardin, fatalement agrémenté d’espèces venues de tous les coins du monde, peut être regardé comme un index planétaire. Chaque jardinier comme un entremetteur de rencontres entre espèces qui n’étaient pas destinées, à priori, à se rencontrer. Le brassage planétaire, originellement réglé par le jeu naturel des éléments, s’accroît du fait de l’activité humaine, elle-même toujours en expansion111.
79Dans le jardin planétaire, les hommes sont des « entremetteur[s] de rencontres », ils nouent des liens, parfois inattendus, entre des êtres humains et des êtres naturels, mais aussi au sein de sa propre espèce. Ils composent, en somme, le monde commun en connectant des dynamiques naturelles à des dynamiques sociales. Nous pourrions dire des jardiniers planétaires, ce que Raphaël Larrère disait des gestionnaires de la biodiversité, en écrivant que pour ces derniers, « la nature et l’artifice constituent deux pôles entre lesquels se situent pratiquement tous les objets et tous les milieux qui nous environnent112 », autrement dit qu’il y a un continuum entre le naturel et l’artificiel. En construisant le monde commun, les hommes ont la capacité de définir la position du curseur dans ce continuum. De ce point de vue, deux tendances s’opposent. Soit, nous continuons à nous efforcer de faire le plus possible sans la nature afin de construire un monde humain et seulement humain. Soit, nous travaillons à l’élaboration d’un jardin planétaire et nous laissons quelques-uns de ses fragments indécidés éclairer nos décisions politiques.
80Du tiers paysage au jardin planétaire, en passant par le jardin en mouvement, Gilles Clément nous invite à suivre le déploiement d’une même idée : des dynamiques naturelles existent, qui ne se développent ni en deçà, ni au-delà, mais au cœur des sociétés humaines. Quand bien même nous voudrions les exclure, le tiers paysage nous rappelle, dans chaque interstice de nos aménagements, que l’on ne peut pas congédier la nature. Il faut bien peu de temps, après que l’on a cessé de battre le pavé d’une rue, pour que réapparaissent l’herbe et, avec elle, toute une cohorte d’espèces pionnières qui compose la flore rudérale113. Le tiers paysage indique, souvent de manière discrète, que les travaux toujours en cours que sont les paysages sont presque tous co-signés par les hommes et par la nature114. Les parts de contributions respectives sont, bien sûr, variables selon les paysages, mais jamais les hommes ne les façonnent sans la nature ou en dehors de la nature.
Notes de bas de page
1 Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion (GF, 715-716), 1994, p. 107.
2 Pour une présentation éclairante des grandes tendances au sein de ce mouvement voir Catherine Larrère, Les philosophies de l’environnement, op. cit. ; et plus récemment Gérald Hess, Éthiques de la nature, Paris, Puf, 2013. Voir également Andrew Light, Holmes Rolston (dir.), Environmental Ethics : An Anthology, 1re éd., Oxford, Wiley-Blackwell, 2002 ; ainsi que John Baird Callicott, Robert Frodeman (dir.), Encyclopedia of Environmental Ethics and Philosophy, 1re éd., Basingstoke, Macmillan, 2008. Pour un recueil de textes clés traduits en français, voir Hicham-Stéphane Afeissa (dir.), Éthique de l’environnement, op. cit.
3 Expression utilisée par Richard Routley Sylvan, dans « Is There a Need for a New, an Environmental Ethic ? », art. cité ; trad. française, « A-t-on besoin d’une nouvelle éthique environnementale ? », dans Hicham-Stéphane Afeissa (dir.), Éthique de l’environnement, op. cit., p. 31-50.
4 Voir la troisième partie « Is Nature Intrinsically Valuable ? », dans Andrew Light, Holmes Rolston (dir.), Environmental Ethics : An Anthology, op. cit.
5 Richard Routley Sylvan, « Is There a Need for a New, an Environmental Ethic ? », art. cité.
6 Catherine Larrère, Les philosophies de l’environnement, op. cit., p. 37.
7 Tom Regan, The Case for Animal Rights, Berkeley, University of California Press, 1983.
8 Précisons que toutes les éthiques extensionnistes ne sont pas individualistes. L’éthique kantienne de Holmes Rolston, qui est indéniablement extensionniste, attribue une valeur à des ensembles d’êtres vivants, à des espèces, à des écosystèmes et même à la planète Terre tout entière. Voir par exemple, Holmes Rolston III, « Value in Nature and the Nature ofValue », dans Robin Attfield, Andrew Belsey (dir.), Philosophy and the Natural Environment, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 13-31 ; trad. française, « La valeur dans la nature et la nature dans la valeur », dans Hicham-Stéphane Afeissa (dir.), Éthique de l’environnement, op. cit., p. 153-186.
9 Aldo Leopold, Sand County Almanac and Sketches Here and There, Oxford, Oxford University Press, 1949 ; trad. française, Almanach d’un comté des sables, op. cit. Concernant John Baird Callicott, deux livres majeurs rassemblent sa contribution à la land ethic : John Baird Callicott, In Defense of the Land Ethic : Essays in Environmental Philosophy, New York, State University of New York Press, 1989 ; Id., Beyond the Land Ethic : More Essays in Environmental Philosophy, NewYork, State University of NewYork Press, 1999. Signalons également les parutions de traductions en français : John Baird Callicott, Pensées de la Terre : Méditerranée, Inde, Chine, Japon, Afrique, Amériques, Australie. La nature dans les cultures du monde, trad. par P. Madelin, Marseille, Wildproject (Domaine sauvage), 2011 ; Id., Éthique de la terre, Marseille, Wildproject (Domaine sauvage), 2011.
10 Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, op. cit.
11 Voir Curt Meine, « L’élaboration de “l’éthique de la terre” », dans Aldo Leopold, La conscience écologique, Marseille, Wildproject, 2013.
12 Aldo Leopold, La conscience écologique, Marseille, Wildproject, 2013, p. 138.
13 Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, op. cit., p. 258-259.
14 Catherine Larrère, Les philosophies de l’environnement, op. cit., p. 119.
15 L’utilisation du terme « postmodernité » par John Baird Callicott ne renvoie pas au sens plus fréquent que l’on rencontre en philosophie et qui renvoie aux États-Unis à la French theory, il renvoie plus simplement à la construction d’un nouveau cadre conceptuel succédant au cadre moderne.
16 John Baird Callicott, « Après le paradigme industriel », dans Id., Éthique de la terre, op. cit., p. 269-291.
17 David Hume, Traité de la nature humaine, Paris, Flammarion (GF), 1991 ; Id., Enquête sur les principes de la morale [suivi de] L’histoire naturelle de la religion, Paris, J.Vrin, 2002.
18 Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, éd. révisée, Paris, Puf (Quadrige), 2010. Comme nous allons le voir, John Baird Callicott accorde toutefois moins de place à la discussion de la théorie des sentiments moraux d’Adam Smith qu’à celle de David Hume. Voir sur la possibilité de fonder une éthique environnementale dans les travaux d’Adam Smith, Patrick R. Frierson, « Adam Smith and the Possibility of Sympathy with Nature », Pacific Philosophical Quarterly, 87/4, p. 442-480.
19 Charles Darwin, La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, trad. par M. Prum, Paris, Syllepse, 1999.
20 Gérald Hess, Éthiques de la nature, op. cit.
21 Yeuk-Sze Lo, « A Humean Argument for the Land Ethic ? », EnvironmentalValues, 10, 2001, p. 523-539.
22 Voir la sous-partie « Holism in Hume’s Moral Philosophy », dans John Baird Callicott, Thinking Like a Planet : The Land Ethic and the Earth Ethic, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 61.
23 Richard Mervyn Hare, « Universalisability », Proceedings of the Aristotelian Society, 55, 1954, p. 295-312.
24 Laurent Jaffro, « Inactivité de la raison et influence du sentiment : de la métaéthique humienne au point de vue architectonique », Revue internationale de philosophie, 263/1, avril 2013, p. 63-80.
25 « In “The Land Ethic” Leopold uses reason (in the form of ecology) to influence our conduct in both ways. He reveals a proper object of our community-oriented passions — the biotic community — toward which, on the basis of such sentiments, we might conduct ourselves more respectfully. And he discovers for us the connection of causes and effects, affording us the means of exerting our passions », John Baird Callicott, Thinking Like a Planet, op. cit., p. 79.
26 John Baird Callicott, In Defense of the Land Ethic : Essays in Environmental Philosophy, New York, State University of New York Press, 1989.
27 Tom Regan, The Case for Animal Rights, op. cit. Voir également William Aiken, Tom Regan, « Ethical Issues in Agriculture », dans Tom Regan (dir.), Earthbound : New Introductory Essays in Environmental Ethics, New York, Random House, 1984 ; Frederick Ferré, « Persons in Nature : Toward an Applicable and Unified Environmental Ethics », Ethics and the Environment, 1/1, avril 1996, p. 15-25 ; Kristin Shrader-Frechette, « Individualism, Holism, and Environmental Ethics », Ethics and the Environment, 1/1, avril 1996, p. 55-69. Pour une discussion de ces positions, voir Michael P. Nelson, « Holists and Fascists and Paper Tigers… Oh My ! », Ethics and the Environment, 1/2, octobre 1996, p. 103-117.
28 John Baird Callicott, « Animal Liberation : A Triangular Affair », Environmental Ethics, 2/4, 1980, p. 311-338.
29 John Baird Callicott, Beyond the Land Ethic, op. cit.
30 John Baird Callicott montre ici qu’il considère que la grande majorité des théories morales « classiques » sont monistes au niveau des principes, ce qui, dans les catégories que nous utilisons ici, peut être discuté.
31 « At first, I understood the Leopold land ethic, to possit a single moral principle, comparable in this regard, not to the Platonic ethic, but to the more familiar Christian, utilitarian, and Kantian ethics, each of wich endorse one and only one master moral principle. [...] The golden rule of the land ethic is “A thing is right when it tends to preserve the integrity, stablility, and beauty of the biotic community ; it is wrong when it tends otherwise.” Raised in a predominatly christian culture and schooled in Modern consequentialist and deontological ethics, I naively just assumed moral monism at the level of principle. And so at first I argued that the land ethic required is to assess the rightness or wrongness of all our actions to the extent that they conform to this principle », dans John Baird Callicott, Beyond the Land Ethic, op. cit., p. 12. Il souligne lui-même le « toutes ».
32 « And, then and there, I would have abandoned the land ethic, had it not occured to me that I had been wrong to interpret it as positing a single moral principle as do the Christian, utilitarian, and Kantian ethics. Leopold characterizes the land ethic, I noted, as an “accretion”, that is, an addition to our familiar human-to-human ethics ; it is not intended to replace or eclipse our familiar human-to-human ethics. But if the summary moral maxim of the land ethic is a new principle to be added to others, we can only do so consistenly, that is, without self-contradiction, if we can locate it within an ethical theory and moral philosophy that accomodates a plurality of principles, human, and environmental », dans John Baird Callicott, Beyond the Land Ethic, op. cit., p. 13.
33 John Baird Callicott rappelle ce point à de multiples reprises pour clarifier sa position, voir, par exemple, John Baird Callicott, « The Search for an Environmental Ethics », dans Tom Regan (dir.), Matters of Life and Death : New Introductory Essays in Moral Philosophy, New York, McGraw-Hill, 1993 ; Id., « Libération animale et éthique environnementale : de nouveau ensemble », dans Hicham-Stéphane Afeissa, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer (dir.), Philosophie animale. Différence, responsabilité et communauté, Paris, J.Vrin (Textes clés), 2010 ; voir également sa « palinodie », « Introductory Palinode », http://jbcallicott.weebly.com/introductory-palinode.html, consulté le 15 octobre 2012.
34 Peter Singer, The Expanding Circle : Ethics, Evolution, and Moral Progress, Princeton, Princeton University Press, 2011.
35 Richard Val Routley (ultérieurement Richard Sylvan, Val Plumwood), « Human Chauvinism and Environmental Ethics », dans Don S.Mannison, MichaelA.Mcrobbie, Richard Routley (dir.), Environmental Philosophy, Canberra, Australian National University Research School of Social Sciences Department of Philosophy, 1980.
36 Michael P. Nelson, « Holists and Fascists and Paper Tigers… Oh My ! », art. cité.
37 Dominique Bellec, le traducteur de ce texte pour son édition française, fait ici le choix de traduire intimate par « soudé ». Toutefois, ce choix ne rend pas tout à fait compte de la signification de l’idée d’une communauté more intimate. Il nous semble que l’on peut tout simplement parler de communauté intime, tout comme l’on parle d’une sphère intime à propos, par exemple, de la sphère familiale.
38 John Baird Callicott, Éthique de la terre, op. cit., p. 163.
39 Ibid., p. 164.
40 Bryan G. Norton, « Why I Am Not a Nonanthropocentrist », Environmental Ethics, 17/4, juin 2008, p. 341-358.
41 John Baird Callicott, « Non-Anthropocentric Value Theory and Environmental Ethics », American Philosophical Quarterly, 21/4, 1984, p. 299-309.
42 Id., « Primauté de la philosophie naturelle sur la philosophie morale », Cahiers philosophiques, 127, novembre 2011, p. 41-62.
43 Catherine Larrère, « Philosophy of Nature or Natural Philosophy ? Science and Philosophy in Callicott’s Metaphysics », dans Wayne Ouderkirk, Jim Hill (dir.), Land, Value, Community : Callicott and Environmental Philosophy, New York, State University of New York Press, 2002, p. 164-165.
44 Sandra Laugier, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », dans Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Payot, 2009, p. 165.
45 Ibid., p. 187.
46 Carol Gilligan, In a Different Voice : Psychological Theory and Women Development, Cambridge, Harvard University Press, 1982 ; trad. française, Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008.
47 Lawrence Kohlberg, The Development of Modes of Moral Thinking and Choice in the Years 10 to 16, Chicago, University of Chicago Press, 1958 ; Id., The Philosophy of Moral Development : Moral Stages and the Idea of Justice, Londres, Harper & Row, 1981.
48 Carol Gilligan, Une voix différente, op. cit., p. 19.
49 Voir sur ce point, Michael Stocker, « The Schizophrenia of Modern Ethical Theories », The Journal of Philosophy, 73/14, 1976, p. 453-466 ; cité par Patricia Paperman, Sandra Laugier (dir.), Le souci des autres. Éthique et politique du care, Paris, Éditions de l’EHESS (Raisons pratiques), 2005, p. 17.
50 Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, op. cit.
51 Patricia Paperman, Sandra Laugier (dir.), Le souci des autres, op. cit., p. 17.
52 Eva Feder Kitay, « Une éthique de la pratique philosophique », dans Sandra Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, Payot & Rivages, 2012, p. 171.
53 Frédérique Plot, « Éthique de la vertu et éthique du care. Quelles connexions ? », dans Patricia Paperman, Sandra Laugier (dir.), Le souci des autres, op. cit., p. 227-246.
54 Sandra Laugier, « Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire », dans Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ?, op. cit., p. 169.
55 Voir sur ce point Patricia Paperman, « D’une voix discordante : désentimentaliser le care, démoraliser l’éthique », dans Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ?, op. cit., p. 89-110.
56 Sandra Laugier, « Le sujet du care », art. cité, p. 168.
57 Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009 ; Id., « Care démocratique et démocraties du care », dans Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ?, op. cit., p. 35-55 ; Layla Raïd, « Care et politique chez Joan Tronto », dans Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ?, op. cit., p. 57-87.
58 Joan Tronto, Un monde vulnérable, op. cit., p. 143.
59 Layla Raïd, « De la Land ethic aux éthiques du care », dans Sandra Laugier (dir.), Tous vulnérables ?, op. cit., p. 173-203.
60 Marie Gaille, « De la “crise écologique” au stade du miroir moral », dans Sandra Laugier (dir.), Tous vulnérables ?, op. cit., p. 205-232.
61 Catherine Larrère, « Care et environnement : la montagne ou le jardin ? », dans Sandra Laugier (dir.), Tous vulnérables ?, op. cit., p. 233-261.
62 Layla Raïd, « De la Land ethic aux éthiques du care », art. cité.
63 Sandra Laugier (dir.), Tous vulnérables ?, op. cit.
64 Jonathan Safran Foer, Eating Animals, Londres, Hamish Hamilton, 2009.
65 Catherine Larrère, « Care et environnement », art. cité.
66 Id., « Au-delà de l’humain : écoféminismes et éthique du care », dans Vanessa Nurock (dir.), Carol Gilligan et l’éthique du care, Paris, Puf (Débats philosophiques), 2010.
67 Id., « Care et environnement », art. cité, p. 244.
68 Catherine Larrère, « Care et environnement », art. cité, p. 240.
69 Ibid., p. 242.
70 Ibid., p. 244.
71 Berenice Fisher, Joan Tronto, « Toward a Feminist Theory of Caring », dans Emily K. Abel, Margaret K. Nelson (dir.), Circles of Care : Work and Identity in Women’s Lives, New York, State University of New York Press, 1990, p. 35-62.
72 Joan Tronto, « Care démocratique et démocraties du care », art. cité, p. 37.
73 Catherine Larrère, « Care et environnement », art. cité, p. 250.
74 Ibid., p. 251.
75 David Schlosberg, Defining Environmental Justice : Theories, Movements, and Nature, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Giovanna Di Chiro, « Nature as Community : The Convergence of Environment and Social Justice », dans William Cronon (dir.), Uncommon Ground : Rethinking the Human Place in Nature, New York, W. W. Norton, 1995, p. 298-320 ; Kristin Shrader-Frechette, Environmental Justice : Creating Equality, Reclaiming Democracy, Oxford, Oxford University Press, 2005 ; Carolyn Merchant, Earthcare : Women and the Environment, New York, Routledge, 1996 ; Ramachandra Guha, « Radical American Environmentalism and Wilderness Perservation : A Third World Critique », Environmental Ethics, 11/1, 1989, p. 71-83 ; voir également certains des textes rassemblés dans Émilie Hache et al., Écologie politique. Cosmos, communautés, milieux, Paris, Amsterdam, 2012.
76 Voir la section « Care et justice », dans Patricia Paperman, Sandra Laugier (dir.), Le souci des autres, op. cit.
77 Catherine Larrère, « Care et environnement », art. cité, p. 249.
78 Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, op. cit.
79 Layla Raïd, « De la Land ethic aux éthiques du care », art. cité., p. 182.
80 John Baird Callicott, Michael P. Nelson, The Great New Wilderness Debate, op. cit.
81 Christine Cadot, « Thomas Cole et l’Empire américain : l’Hudson River School à contre-courant », Raisons politiques, 24/4, décembre 2006, p. 55-78.
82 Voir Raphaël Larrère, « L’esthétique de la nature », dans Florence Burgat, Vanessa Nurock (dir.), Le multinaturalisme. Mélanges à Catherine Larrère, Marseille, Wildproject, 2013.
83 Hicham-Stéphane Afeissa, Yann Lafolie (dir.), Esthétique de l’environnement. Appréciation, connaissance et devoir, Paris, J. Vrin, 2015.
84 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, Paris, Sujet-objet (L’autre fable), 2004.
85 Définition figurant sur le site internet de l’auteur à la page « Tiers paysage » : http://www.gillesclement.com/cat-tierspaysage-tit-le-Tiers-Paysage
86 Vassivière se situe dans le Limousin, il s’agit d’un lac artificiel créé par la construction d’un barrage hydroélectrique en 1950.
87 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, op. cit.
88 Ibid.
89 Ibid.
90 Dans ce sens, John Baird Callicott écrit à propos de Aldo Leopold : « Finally, and most important, he urged the farmers with whom he worked to dedicate portions of their smallhold lands — fencerows, roadsides, woodlots, stream corridors, ponds, marshes, and bogs — to wildlife habitat. It was mostly in these « waste » lands (miniature biodiversity preserves) on the rural farmstead that native species would maintain land health or ecosystem services », dans John Baird Callicott, « The Implication of the “Shifting Paradigm” », art. cité.
91 Gilles Clément, Le jardin en mouvement (cf. note 84 p. 268).
92 Id., Le jardin en mouvement. De la Vallée au champ via le parc André-Citroën et le jardin planétaire, Paris, Sens & Tonka, 2007, p. 60.
93 Gilles Clément, Le jardin en mouvement. De la Vallée au champ via le parc André-Citroën et le jardin planétaire, p. 40.
94 Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, 2e éd., Paris, Gallimard, 1961, t. 2, Lettre XI à milord Édouard.
95 Ibid.
96 Ibid.
97 Ibid.
98 Gilles Clément, Louisa Jones, Où en est l’herbe ?, op. cit., p. 124.
99 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, op. cit.
100 Ibid.
101 Ibid.
102 Gilles Clément, « Le jardin planétaire », http://www.gillesclement.com/cat-jardinplanetaire-tit-Le-Jardin-Planetaire
103 Gilles Clément, « Le jardin planétaire », http://www.gillesclement.com/cat-jardinplanetaire-tit-Le-Jardin-Planetaire
104 Gilles Clément, Louisa Jones, Où en est l’herbe ?, op. cit., p. 51-52.
105 Ibid., p. 52.
106 Ibid.
107 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, op. cit.
108 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, op. cit.
109 Ibid.
110 Ibid.
111 Gilles Clément, « Le jardin planétaire », art. cité.
112 Raphaël Larrère, « Préface », art. cité, p. 4.
113 Bernadette Lizet, « Naturalistes, herbes folles et terrains vagues », art. cité.
114 Gilles Clément, « Le jardin planétaire est co-signé par l’homme et la nature », leçon inaugurale au Collège de France, le 1er décembre 2011.
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