Chapitre 1. De l’ordinaire de la nature à la nature de l’ordinaire
p. 207-250
Texte intégral
1Dans le premier chapitre, nous essayerons donc de caractériser la nature ordinaire. Nous analyserons, en premier lieu, comment la pensée de la wilderness a suscité un certain nombre de critiques au sein même du courant environnemental, donnant lieu à d’intenses débats entre les penseurs de l’environnement. Nous verrons que cette critique ouvre la voie d’une autre conception de la protection de la nature. Nous nous intéresserons ensuite, de manière plus directe, à la façon dont le thème de la nature ordinaire a été introduit, sous diverses formes, dans la réflexion environnementale. Nous examinerons, en somme, une pluralité de points de vue sur la nature ordinaire. Nous nous poserons, enfin, la question de notre rapport à cette forme de nature. Nous nous demanderons, plus particulièrement, si ce tournant vers l’ordinaire dans la pensée environnementale peut être éclairé par celui opéré au sein de la philosophie à partir de la fin du xixe siècle.
De la wilderness à la nature ordinaire
La wilderness comme référence fondatrice
2Inviter à se tourner vers la nature ordinaire laisse entendre, en creux, que c’est une autre forme de nature qui a été, jusqu’à récemment, l’objet principal de l’attention des individus qui se sont souciés de sa protection. C’est, en premier lieu, ce que nous allons montrer en examinant les racines nord-américaines de la pensée environnementale, qui remontent au xixe siècle. Les réflexions qui se forment alors sur les conséquences néfastes de l’intensification de la transformation des espaces naturels par les activités humaines témoignent, en effet, d’une préoccupation centrale pour la disparition d’une nature qui n’avait rien d’ordinaire, objet de fantasmes et de craintes, mais aussi d’admiration : la nature sauvage et indomptée, celle du mythe américain de la frontière, ou, en un mot qui deviendra central dans l’histoire de l’environnement, la wilderness.
3C’est ainsi l’idée de la nécessité de protéger la wilderness qui va fédérer les premiers environnementalistes américains. Intraduisible dans la plupart des autres langues, à l’exception des langues scandinaves1, le terme désigne des espaces dont l’homme est absent ou dont il n’est, tout au plus, qu’un visiteur temporaire. Le Wilderness Act, qui inscrira plus tard – en 1964 – les objectifs de préservation de ces espaces naturels dans la législation américaine, en donne la définition suivante :
Par contraste avec ces régions où les hommes et ses œuvres dominent le paysage, nous entendons, ici, par wilderness, une région où la terre et la communauté de la vie sont non perturbées par l’homme, où l’homme est un visiteur temporaire. Un espace de wilderness est, en outre, défini dans cette loi comme un espace non développé du territoire fédéral, présentant encore ses caractéristiques et influences originelles, sans aménagements permanents et sans habitations humaines, qui est protégé et géré de façon à préserver ses conditions naturelles et qui (1) semble avoir été, en règle générale, affecté principalement par les forces de la nature, l’empreinte du travail humain y étant en grande partie invisible ; (2) se prête admirablement à la solitude ou à des types de loisirs primitifs ou non confinés ; (3) est constitué d’au moins cinq mille acres de terre ou est suffisamment grand pour rendre possible sa préservation et l’utiliser dans un état non dégradé ; et (4) peut aussi contenir des caractéristiques écologiques, géologiques ou autres, ayant une valeur scientifique, éducative, esthétique ou historique2.
4La wilderness renvoie ainsi à des espaces modelés, non par la main de l’homme, mais par les « forces de la nature ». C’est le lieu par excellence de la nature où l’homme peut faire l’expérience de cette dernière et de son extériorité radicale.
5Trois types de valeur sont attribués à la wilderness par les différents auteurs qui se proposent de la protéger3. En premier lieu, c’est le caractère récréatif de ces espaces qui est mis en avant. La wilderness est, de ce point de vue, nécessaire à l’exercice de passe-temps virils qui donnent l’occasion aux hommes de se mesurer à la nature sauvage, tels que la chasse ou les expéditions solitaires. Cette importance du rôle récréatif, autant qu’éducatif, de la wilderness est tout particulièrement mise en avant par Theodore Roosevelt4 et par Sigurd Olson5, mais est aussi défendue, dans un premier temps, par Aldo Leopold6. Sur ce point, l’historien américain Frederick Jackson Turner7 a montré comment la pensée de la wilderness hérite du mythe de la frontière8. La conservation d’espaces réservés à la nature au sein d’un territoire désormais entièrement occupé d’est en ouest aurait un enjeu identitaire. C’est la perpétuation de l’identité et d’une culture américaines, forgées par les pionniers de la conquête de l’Ouest, qui se jouerait dans le maintien d’îlots de wilderness9.
6D’autres auteurs défendent l’idée selon laquelle la wilderness sert des fins plus élevées encore – some higer uses. Elle aurait, en fait, une valeur spirituelle, permettant aux hommes qui font l’expérience solitaire de la nature d’élever leur esprit. C’est cette dimension spirituelle que soulignent les penseurs transcendantalistes, ou proches de ce courant philosophique, tels que Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau et, après eux, John Muir. La wilderness apparaît, de ce point de vue, avant tout comme le lieu où les hommes peuvent faire l’expérience du sublime et aller à la rencontre du sacré. De William Wordsworth à Muir en passant par Thoreau, ces expériences dans une nature qui n’est pas faite pour les hommes changent de connotation, la terreur et l’effroi laissant la place à l’extase, mais les récits de ces auteurs témoignent bien tous d’une même croyance suivant laquelle les paysages sublimes sont propices à la rencontre avec Dieu10.Apparaissent, de ce point de vue, les racines religieuses de la pensée de la wilderness et la connexion très forte entre l’environnementalisme et le puritanisme américains, soulignés notamment par l’historien Donald Worster et le philosophe Mark Sagoff11. De prime abord, ce lien peut étonner dans la mesure où l’un des textes fondateurs de la réflexion écologique, l’article célèbre de l’historien des techniques Lynn White Junior, intitulé « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis12 », faisait du développement du christianisme sous toutes ses formes l’une des principales causes historiques de la dégradation de l’environnement. En outre, comme l’a mis en lumière Roderick Nash, les récits des premières incursions des colons dans la nature sauvage de l’Amérique, qui font de ces espaces de wilderness de véritables repères du démon13, ne laissaient pas présager qu’une telle rencontre entre le puritanisme et les formes naissantes de l’environnementalisme puisse avoir lieu.
7Pourtant, cette connexion est bien réelle – que l’on pense à Muir, au transcendantalisme américain14 ou plus récemment à la figure centrale de l’éthique environnementale qu’est Holmes Rolston III, lui-même pasteur – et a pu s’établir, précisément à la suite d’un renversement du jugement porté sur la wilderness, effectué par une seconde génération de puritains, représentée notamment par la figure du théologien Jonathan Edwards. Pour les premiers arrivants, l’Amérique apparaissait comme un territoire sauvage qu’il fallait civiliser, accomplissant la tâche qui leur était confiée par Dieu de dominer la nature. Mais, dès lors que cette mission de civilisation fut presque entièrement accomplie, un autre regard porté sur la wilderness vit le jour, à la lumière d’une relecture du thème, central pour le calvinisme, du pêché originel15 et de la quête du rétablissement sur terre du jardin d’Éden16. Dans la première version du récit rédempteur, l’homme chassé du Paradis doit travailler à la maîtrise de la nature inhospitalière dans laquelle il évolue désormais. Mais dans la lecture proposée par un auteur comme Edwards, cette connotation négative de la nature disparaît, la chute et la dépravation ne concernant que les hommes tandis que le reste de la création est innocent. Autrement dit, le vice n’est plus dans cette nature sauvage à laquelle les hommes seraient désormais obligés de se confronter pour faire triompher leur foi, mais bien dans les sociétés humaines. Et, de ce point de vue, la wilderness apparaît, quant à elle, imprégnée de la vertu divine, elle est l’image ou l’ombre du divin, fragment du jardin édénique17. C’est ainsi que la protection de la wilderness, de cette nature immaculée, non viciée par les hommes, se voit dotée d’un enjeu moral et spirituel.
8Enfin, la troisième valeur mise en avant par ce courant en faveur de la protection de la wilderness est artistique. Portée par les peintres de l’école de l’Hudson River18 et par les premiers photographes de paysages, cette valorisation de la beauté de la nature sauvage participe d’une esthétique du sublime, qui met en scène les monuments emblématiques et spectaculaires de la nature américaine et contribue à forger la pensée de la wilderness19.
9De ce point de vue, ce qu’il faut protéger pour l’environnementalisme naissant, c’est avant tout la nature dans ce qu’elle a de grandiose, d’exceptionnel ou de spectaculaire, ce sont les monuments naturels, les geysers du Yellowstone, la vallée de Hetch Hetchy, le Half Dome du Yosemite, le Grand Canyon, les chutes du Niagara, etc., une nature qui est censée être entièrement étrangère aux hommes et qui, les dépassant, invitent ceux-ci à une certaine forme d’humilité, mais qui, paradoxalement, est aussi devenue fragile et vulnérable.
La wilderness, une idée classique et controversée
10Toutefois, cette conception de la wilderness, qui devient classique en un siècle, des années 1830 aux années 193020, va rencontrer un certain nombre de critiques émanant d’opposants au courant environnementaliste, mais aussi soulever des controverses internes assez vives, marquant l’existence de divergences d’opinions importantes parmi les penseurs de l’environnement. Ce sont précisément ces discussions internes que retracent les deux ouvrages importants édités par Michael P. Nelson et John Baird Callicott, The Great New Wilderness Debate21 et The Wilderness Debate Rages On22.
11Suivant un article de John Baird Callicott, republié dans le second volume et intitulé « Contemporary Criticisms of the Received Wilderness Idea23 », nous pouvons décrire les principales critiques visant l’idée classique de la wilderness. La première cible le caractère ethnocentrique de cette conception de la protection de la nature. Ces critiques défendent l’idée que la wilderness est une construction culturelle, spécifique aux États-Unis et à l’Australie, et qui est donc bien loin d’être partagée de façon universelle. En ce sens, l’historien de l’environnement William Cronon, dans un article qui lui valut des inimitiés fortes avec bon nombre d’environnementalistes et des réponses assez cinglantes24, expose les limites culturelles de l’idée classique de wilderness :
Plus on apprend à connaître son histoire particulière, plus on comprend que la wilderness n’est pas exactement ce qu’elle paraît être. Loin d’être le seul lieu sur Terre indépendant de l’humanité, il s’agit d’une création foncièrement humaine, une création très spécifique présente à des époques très particulières de l’histoire humaine. Elle n’est pas un sanctuaire immaculé où l’on peut, pour quelque temps encore, rencontrer les dernières bribes d’une nature inaltérée, menacée mais toujours transcendante, exempte de cette souillure contagieuse de la civilisation. En fait, la wilderness est plutôt le produit de cette même civilisation et elle pourrait difficilement être contaminée par ce qui l’a produite. L’artificialité de la wilderness se cache derrière un masque d’autant plus trompeur qu’il paraît si naturel. Nous scrutons un miroir sans nous en rendre compte, nous imaginons trop facilement que ce que nous apercevons est la Nature quand nous voyons, en fait, le reflet de nos propres aspirations et désirs inconscients25.
12D’une certaine façon, la plupart des critiques qui suivent visent, en définitive, les conséquences de cet ethnocentrisme qui s’ignore. En premier lieu, ce regard culturel qui fait de la nature précolombienne une nature originelle efface toutes les transformations humaines opérées par les populations amérindiennes sur les espaces dans lesquels ils vivaient bien avant l’arrivée des premiers colons. Que cet effacement passe par la naturalisation de populations jugées plus sauvages qu’humaines ou par l’affirmation du caractère négligeable de ces transformations, il se heurte aux travaux des géographes et des historiens qui soulignent, au contraire, leur importance26 et décrivent, notamment, l’expansion de la population d’Homo sapiens comme la cause principale de l’extinction importante de la mégafaune américaine au Pléistocène. Bref, la nature précolombienne n’est pas, tant s’en faut, une nature originelle. En réalité, les paysages « naturels » que ces pionniers rencontrent se sont formés à la suite de la décroissance rapide des populations amérindiennes, causée par l’arrivée des Européens. De ce point de vue, si la nature que ces derniers rencontrent à la fin du xviiie siècle revêt les traits d’espaces non transformés, c’est que l’empreinte humaine s’y est estompée. Il s’agit donc d’un « état de wilderness artificiel, un effet écologique anthropogénique, créé par la dépopulation du pays consécutive aux conséquences démographiques désastreuses de la rencontre [entre les Européens et les Indiens]27 ». Il faut, par conséquent, déconstruire ce que William Denevan appelle le « mythe de la virginité28 », qui « exalte le pionnier mais occulte l’Indien29 ».
13Les enjeux d’une telle déconstruction ne sont pas – malheureusement – seulement théoriques. L’effacement des populations qui habitaient les espaces de wilderness, afin de penser ces derniers comme des terra nullius30, se traduisit très concrètement par des déplacements de population, mais aussi par des éliminations brutales de certains peuples autochtones, comme en Australie31.Val Plumwood écrit ainsi à propos de la Tasmanie :
« Les derniers Tasmaniens », perçus dès le début comme une ethnie sauvage en voie d’extinction, furent victimes de la Culture, et non de la Nature comme le dix-neuvième siècle voulut le faire croire. Ils furent victimes d’une forme virulente et impérieuse de culture qui voulait qu’ils fassent partie de la Nature, et non pas qu’ils soient les habitants humains d’un espace pleinement culturel, dans laquelle ils vivaient « étrangers à tout principe d’ordre social » selon les mots du journal de Peron écrit en 1801, depuis Maria Island, une île de la côte sud-est. Les Aborigènes ne cultivaient pas la terre à la façon des Européens, et donc vivaient, aux yeux des visiteurs européens, comme de simples « animaux de la forêt » ou comme de simples « parasites » dans leur environnement. Qu’ils soient décrits comme nobles par les Français, ou comme informes et nus par les Anglais, ils étaient toujours des « enfants de la nature »32.
14En outre, comme le rappelle John Baird Callicott, les exemples plus récents d’exactions commises au nom de la wilderness ne manquent pas : au Guatemala, en Ouganda, en Inde33. De sorte qu’il apparaît que les tentatives d’exportation dans le monde entier de l’idée, forgée dans la culture occidentale, de wilderness sont politiquement et moralement désastreuses34.
15Ces tentatives donnèrent lieu à des contestations importantes des politiques de conservation de la wilderness, menées par les peuples qui se les voyaient imposer et qui furent dépossédés de leurs terres, comme ce fut le cas pour les Amérindiens et pour les Aborigènes en Australie. Comme en témoignent, en effet, les deux volumes dédiés à ce « grand débat de la wilderness », les critiques émanant des pays du Sud, dans lesquels étaient implantés des parcs naturels réservés à la wilderness, se sont multipliées dans la seconde moitié du xxe siècle, notamment à la suite de la parution en 1989 de l’article important du sociologue indien Ramachandra Guha, intitulé « Radical American Environnementalism and Wilderness Preservation. A Third World Critique35 ». Ces auteurs dénoncent le fait que sous couvert des objectifs de protection de la nature, censés se situer au-delà des différences entre les cultures, précisément parce que la wilderness serait extérieure aux sociétés humaines et dépasserait donc les intérêts humains, une nouvelle forme hégémonique de la culture occidentale serait à l’œuvre.
16Par ailleurs, à cette critique politique du mythe de la nature originelle vient s’en ajouter une autre portée par des écologues. Ceux-ci soutiennent, en effet, que l’idée classique de la wilderness comme nature dans son état primitif est non seulement invalidée par l’histoire du peuplement du territoire américain, mais aussi par la science écologique qui a connu au xxe siècle un changement de paradigme important36. La thèse selon laquelle les pionniers américains rencontrèrent une nature originelle suppose, en effet, qu’en l’absence de perturbations humaines les écosystèmes naturels restent dans des états stables. Or, les développements de la science écologique ont précisément invalidé cette conception de la nature en équilibre, et souligné, au contraire, que les systèmes naturels sont engagés dans une succession non finie de perturbations, autrement dit qu’ils ont une histoire écologique. Qu’elle soit ou non transformée par les hommes, la nature ne se conserve jamais à l’identique.
17Enfin, une dernière critique importante adressée à la wilderness, qui sera développée par le courant écoféministe37, cible son androcentrisme. Celui-ci s’exprime, en effet, à plein dans les glorifications de la confrontation virile avec la nature sauvage que l’on trouve, par exemple, dans les écrits de Roosevelt, encore imprégnés, comme l’a décrit Frederick Jackson Turner, du mythe de la frontière. Cette association entre l’affirmation de la masculinité et l’expérience de la wilderness est poussée à l’extrême, dans la première moitié du xxe siècle, par des auteurs comme Robert Marshall qui n’hésite pas à affirmer que la wilderness peut être un « équivalent moral de la guerre38 », susceptible d’entretenir le courage des hommes, ou Sigurd Olson qui prétend que seuls deux types d’expérience peuvent redonner une forme de paix intérieure aux hommes en manque d’action, « la voie de la wilderness et la voie de la guerre39 ».
Repenser le sauvage
18L’idée classique de wilderness soulève ainsi un certain nombre de problèmes sérieux. Politiquement et moralement douteuse, notamment quand elle cherche à s’exporter dans le monde, attachée à un discours qui fait l’éloge de la virilité pour le moins rétrograde, et, enfin, contestable d’un point de vue historique et scientifique, elle apparaît, comme l’écrit William Cronon, par bien des aspects comme un obstacle plutôt que comme un atout pour la protection de la nature40. Si bien que la nécessité de l’amender semblait, au moins pour certains environnementalistes, s’imposer. Rappelant que la cible de leurs critiques n’est pas l’existence de ces espaces réservés à la nature auxquels renvoyait la wilderness, mais bien l’idée même de celle-ci dans ce qu’elle avait de misanthropique, d’ethnocentrique et de religieux41, ces auteurs invitent à repenser les fondements écologiques et éthiques de la protection de la nature. Par rapport à la wilderness, cette volonté de rénover la pensée environnementale empruntent, essentiellement, deux voies, la première consistant à essayer de « revisiter » l’idée classique qui la caractérisait, la seconde s’employant plutôt à décentrer de celle-ci la réflexion sur la nature. C’est en ce sens que Michael P. Nelson et John Baird Callicott écrivent dans l’introduction de leur premier volume :
Nous voyons se former deux solutions de rechange à la conception répandue de la wilderness. La première serait de désanthropocentrer l’idée classique de wilderness ; la seconde serait de resituer la conception répandue de la wilderness par rapport au concept lui-même, qui lui est lié mais en diffère très sensiblement, et par rapport aux concepts de la nature libre, de la soutenabilité et de la capacité à habiter la nature qui lui sont associés42.
19La première stratégie consiste à essayer de corriger ce qu’il y avait de paradoxalement très anthropocentré dans la conception classique de la wilderness. Selon ce modèle, s’il s’agissait bien de conserver des espaces entièrement dédiés à la nature, c’était, en définitive, toujours au nom d’intérêts humains, plus ou moins « élevés » – récréatifs, éducatifs, spirituels, artistiques, etc. Cela conduisit à privilégier dans la nature, les paysages spectaculaires, qui impressionnent les visiteurs humains temporaires. De ce point de vue, la correction importante que traduit l’idée de désanthro-pocentrisation consiste à modifier explicitement les objectifs fixés dans le cadre de la conservation de certains espaces de wilderness. L’idée est de protéger ces derniers, non pas au nom de leurs valeurs récréatives, spirituelles ou encore esthétiques, mais en raison de leur capacité à accueillir des espèces menacées par les activités humaines, autrement dit de considérer la wilderness comme réserve de biodiversité. Cette redéfinition des objectifs permet d’écarter un certain nombre des objections que nous venons d’évoquer concernant la conception classique de la wilderness, en particulier l’androcentrisme et dans une certaine mesure l’ethnocentrisme. Elle rend également le concept compatible avec les évolutions de la science écologique, en s’affranchissant de la référence à un hypothétique état primitif de la nature.
20Toutefois, l’idée de la wilderness comme réserve de biodiversité laisse inchangé le cadre dualiste dans lequel est pensée la protection de la nature. Le principe de la création de réserve maintient la thèse selon laquelle il faut mettre des fragments de nature à l’abri des actions humaines pour la protéger. C’est précisément ce qui distingue la première voie de cette rénovation de la pensée environnementale de la seconde. Au-delà de la redéfinition de la raison d’être principale des espaces protégés, une autre approche consiste à rompre avec l’idée que la protection de la nature ne se joue que dans les espaces d’où l’homme est absent. Elle fait même de cette idée la racine des difficultés, voire des contradictions, que rencontre la volonté de protéger la wilderness. Comme le souligne William Cronon, le tort le plus important que cette dernière cause à la réflexion environnementale tient à la façon dont elle tend à imposer l’idée de l’impossibilité de la cohabitation entre les hommes et la nature. Elle conduit, en quelque sorte, à se désintéresser des espaces dans lesquels les premiers vivent, car elle présuppose que la seconde y a nécessairement disparu. La philosophe Val Plumwood écrit à ce propos :
Si la nature véritable n’existe que là où l’homme n’a aucune influence, nous ne pourrons pas reconnaître l’importance de la nature ou respecter ses limites dans nos vies quotidiennes, ou alors seulement à travers des pratiques élitistes ou exceptionnelles d’excursion dans la nature. Si la nature est habituellement « ailleurs », nous n’avons pas besoin de nous montrer sensibles à ces interventions dans les environnements locaux de nos vies urbaines, professionnelles et domestiques43.
21En somme, la pensée de la wilderness se montre assez pauvre du point de vue de la réflexion sur les rapports entre les hommes et la nature, puisqu’elle n’en envisage qu’une seule forme souhaitable, l’abstention. C’est ainsi que William Cronon écrit :
Dans la mesure où nous célébrons la wilderness comme la mesure nous permettant de juger la civilisation, nous perpétuons ce dualisme qui contribue à situer humanité et nature aux antipodes l’une de l’autre. Nous ne nous laissons ainsi que peu d’espoir de découvrir à quoi pourrait ressembler une insertion de l’homme dans la nature, éthique, soutenable et honorable44.
22À l’inverse, la seconde voie de « rechange à la conception répandue de la wilderness » consiste à suivre l’idée qu’il y a des façons d’habiter la nature qui ne la dégradent pas et que des interactions positives entre cette dernière et les sociétés humaines sont possibles. Cette approche invite, non pas à se désintéresser des espaces de wilderness, mais à déplacer le regard afin d’embrasser aussi une nature, de prime abord moins remarquable, moins spectaculaire, celle avec laquelle nous vivons.
23Comme l’indiquent John Baird Callicott et Michael P. Nelson, l’une des portes d’entrée de cette nouvelle approche est ouverte par la distinction entre les termes de wilderness et de wildness. En ce sens également, William Cronon souligne la façon dont la confusion entre les deux mots est à l’origine de la pensée de la protection de l’environnement où hommes et nature sont mutuellement exclusifs. Cette confusion s’illustrerait de manière emblématique dans l’interprétation erronée de la formule célèbre de Henry David Thoreau : alors que l’auteur de Walden écrit « in wildness is the preservation of the world45 », les tenants de la préservation exclusive de la nature auraient compris « in wilderness is the preservation of the world ». D’une certaine façon, ce que proposent des auteurs comme William Cronon et John Baird Callicott, c’est de revenir en amont de cette erreur pour proposer une autre pensée de la protection de la nature.
24Le passage du terme de wildness à celui de wilderness est, en effet, significatif et a des conséquences importantes pour la réflexion environnementale. L’écart entre les deux mots se définit notamment par deux conceptions différentes de l’altérité ou de l’extériorité de la nature. Celle de la wilderness est radicale, elle marque l’opposition forte entre les lieux transformés par les hommes et les espaces naturels ; elle spatialise, en somme, le dualisme moderne de l’homme et de la nature. L’idée de wildness contient, quant à elle, l’affirmation d’une forme d’altérité, mais celle-ci ne met pas nécessairement en place une dichotomie homme/ nature. La wildness s’oppose indéniablement à une forme de civilisation, mais elle n’est pas le contrepoint absolu de toutes formes d’activités humaines. Elle est l’expression d’une certaine autonomie de la nature, elle se donne à voir dans les processus qui adviennent sans les hommes, mais aussi dans les phénomènes qui témoignent d’une interaction, parfois d’un échange, entre les deux. C’est là le point central : contrairement à la wilderness, il peut y avoir de la wildness dans les sociétés humaines, de la wildness in our own backyard. En ce sens, William Cronon écrit :
Habiter un lieu signifie inévitablement que nous utiliserons la nature qu’on y trouve, car on ne peut éviter de travailler, d’agir sur et de tuer certaines parties de la nature pour y établir notre foyer. Mais si nous reconnaissons l’autonomie et l’altérité des choses et des créatures qui nous entourent – autonomie que notre culture nous a appris à qualifier avec le mot « sauvage » – alors nous nous interrogerons au moins avec précaution sur les usages que nous leur imposons et nous nous demanderons même si nous devons les utiliser tout court. C’est ainsi que nous pouvons encore rejoindre Thoreau en déclarant que « le salut du monde réside dans la wildness », car la wildness (par opposition à la wilderness) peut se trouver partout : dans les champs apparemment domestiqués et les terres boisées du Massachusetts, dans les fissures d’un trottoir de Manhattan et même dans les cellules de nos propres corps46.
25De ce point de vue, la réflexion sur la protection de la nature tend à se décentrer des espaces qui lui seraient réservés, pour s’intéresser aux lieux de vie commune entre les hommes et la nature. Il s’agit ainsi d’inviter les penseurs de l’environnement à se tourner vers un « common middle ground » que William Cronon définit de la façon suivante :
Le middle ground est le lieu où nous vivons. C’est l’endroit où chacun de nous – quels que soient le lieu ou la manière – habite47.
26L’expression anglaise « middle ground » nous semble intéressante, car elle renvoie tout à la fois au statut intermédiaire – entre les deux pôles abstraits que sont la pure nature et l’urbain entièrement artificiel – des espaces que nous habitons, mais aussi à l’idée d’un terrain d’entente48 entre les hommes et la nature. C’est cette idée que l’on trouvait déjà chez Aldo Leopold qui manifestait un intérêt particulier pour ce qu’il désignait du nom de middle landscape. Sur ce point John Baird Callicott souligne la façon dont l’auteur de l’Almanach d’un comté des sables est, dans les mots, un penseur de la wilderness – puisqu’il utilise bien le terme –, mais développe et met en action une pensée de la wildness49, destinée aux paysages ruraux plutôt qu’à une nature préservée à l’écart des hommes. Il écrit ainsi :
Et dans « Wilderness », Leopold se soucie moins de la wilderness que des potentialités pour l’expression de la wildness dans les paysages intermédiaires de l’Amérique du Nord, comme il les appelle parfois – les paysages ruraux entre les régions urbaines densément peuplées et les régions de wilderness à proprement parler, essentiellement inhabitées50.
27C’est en cela que Leopold fait figure de précurseur dans le mouvement environnemental, dans la façon dont il ouvre, déjà, la voie d’un dépassement de l’opposition entre usage et non-usage de la nature, entre le modèle de la seule gestion des ressources et celui de la préservation exclusive, pour penser la possibilité d’une coopération harmonieuse entre les hommes et la nature. John Baird Callicott écrit à son sujet :
Leopold a travaillé avec des fermiers du Wisconsin pour accroître les « récoltes » sauvages en complément des récoltes domestiques. Dans cette nature intermédiaire entre les rues de la ville et la wilderness, Leopold commença à penser la conservation comme une forme d’harmonie entre les hommes et la terre51.
28D’une telle approche, les espaces de wilderness ne sont pas exclus, mais la pensée de la protection de la nature ne se limite plus à ces réserves, elle s’étend également aux espaces transformés par les hommes. Plus encore, il s’agit de suivre l’idée selon laquelle c’est dans ces derniers que la réflexion sur la nature peut se montrer la plus intéressante, la plus stimulante. Ce déplacement correspond, en effet, à une modification dans la façon d’envisager notre rapport à la nature. Plutôt que de glorifier la wilderness comme une nature non viciée par les hommes, il s’agit de s’enthousiasmer pour les formes de coopération réussie entre les deux. De ce point de vue, les réserves naturelles ne sont pas ces sortes de point d’orgue de la protection de la nature, comme invite à le penser l’idée classique de la wilderness, ce sont des espaces dédiés aux espèces naturelles avec lesquelles nous cohabitons mal – ou qui cohabitent mal avec nous –, et, en ce sens, marqués plutôt par la déception associée à notre incapacité à faire société avec certains membres du monde naturel, plutôt que l’incarnation d’une nature idéalisée. Toutefois, s’il s’agit de reconnaître que notre capacité à cohabiter avec la nature est limitée, ce qui impose la nécessité des réserves de biodiversité52, il ne faut pas, pour autant, occulter le fait que ces limites définissent un espace immense, un vaste « terrain d’entente », dans lequel les interactions entre les hommes et la nature peuvent renvoyer à l’idée d’une coopération, d’une « bonne entente ».
29C’est en ce sens qu’un certain nombre de penseurs de l’environnement nous invite dans des formules qui se font écho à nous intéresser aux formes de cohabitations réussies entre les hommes et la nature. C’est William Cronon qui conclut son article en écrivant :
Si la wildness peut cesser d’être (simplement) là-bas et commencer à être (également) ici, si elle peut être aussi humaine qu’elle est naturelle, alors peut-être nous pourrons commencer à nous atteler à la tâche infinie de se battre pour vivre de façon juste dans le monde – pas seulement dans le jardin, pas simplement dans la wilderness, mais dans la maison qui les abrite tous deux53.
30C’est aussi Val Plumwood qui écrit :
Définir notre expérience de la wilderness comme une quête de la présence de la nature sauvage, non de l’absence des hommes, crée un espace conceptuel pour le continuum entremêlé de nature et de culture ; et pour reconnaître cette présence du sauvage et du travail de la nature, nous devons la mener dans tous les contextes de notre vie, à la fois dans la wilderness et dans les lieux plus proches de nos maisons. C’est cette reconnaissance qui devrait être le but d’une société verte et d’une économie verte. Et cela pourrait aussi être ce dont nous avons besoin pour nous aider à mettre un terme à l’opposition entre culture et nature, entre le jardin et la wilderness, et en venir, enfin, à nous reconnaître, dans les deux, comme étant chez nous54.
31De la préservation à la coopération, de la nature temporairement visitée aux espaces habités, naturels autant que sociaux, on passe ainsi d’une pensée de la wilderness à une réflexion sur la nature ordinaire.
Définir la nature ordinaire
32Au début des années 1990, la pensée de la protection de la nature est marquée par un phénomène de globalisation que symbolise le sommet de la Terre de Rio de 1992. Les préoccupations environnementales sont désormais appréhendées comme des problèmes engageant l’humanité tout entière, et la défense de la nature apparaît dès lors comme un enjeu mondial. Dans ce cadre, la réflexion sur l’environnement tend à se focaliser sur les grandes thématiques ayant précisément une dimension globale, en particulier le réchauffement climatique et la réduction de la biodiversité. Concernant cette dernière, les protecteurs de la nature font le choix de mettre en avant quelques espèces remarquables, susceptibles de fédérer le plus grand nombre dans la lutte contre leur disparition, telles que l’ours polaire, la baleine, le panda ou encore des espèces végétales rares comme l’edelweiss. Ainsi, si la question de la biodiversité est moins immédiatement globale que celle du réchauffement climatique, la médiatisation de la menace d’extinction de quelques espèces conduit à la globalisation d’une nature rare et localisée. De ce point de vue, ce tournant global prolonge la valorisation d’une nature sauvage, belle et remarquable, qui était, déjà, au centre de l’attention de la pensée de la protection de la nature.
33Cette tendance globalisante a, toutefois, provoqué une réaction chez un certain nombre d’écologistes et de penseurs de l’environnement qui ont mis en lumière la façon dont la focalisation sur les enjeux planétaires allait de pair avec une occultation des problématiques locales. Le souci pour l’avenir de la planète s’accommoderait, en quelque sorte, d’une forme de désintérêt des individus pour les problèmes environnementaux plus proches d’eux, plus localisés, et dont ils pouvaient faire l’expérience au quotidien. C’est, au contraire, pour attirer l’attention sur ces problématiques que pose la vie commune des hommes et de leur environnement que ces penseurs et acteurs de l’écologie affirment alors la nécessité de conserver, aussi, la nature ordinaire55.
Une définition plurielle
34Quotidienne, proche, commune, banale, partenaire, ou encore commensale, interstitielle, humanisée, la nature ordinaire présente de multiples facettes. Cette multiplicité est d’ailleurs telle que l’on peut s’interroger sur l’identité des natures diverses qui se voient qualifier d’ordinaires. On peut, comme le géographe Laurent Godet, essayer de classer les approches de cette nature selon trois catégories56. Dans une première voie, elle se définit comme un type d’espace intermédiaire, un écotone, entre les espaces artificiels et ceux purement naturels. La nature ordinaire se trouverait, ainsi, dans l’ensemble des territoires qui se situent entre les villes et la nature vierge de toute présence humaine. Ce type d’approche peut se décliner suivant différents modèles de configuration de l’espace que Laurent Godet énumère57 : dans le « modèle de la Rome antique », la nature ordinaire se donnerait à voir, entre la cité et la silva, à la fois dans l’ager, dans l’hortus et dans le saltus ; dans le modèle « Amérique du Nord », on pourrait la trouver dans les espaces agricoles entre la ville et la wilderness ; dans un modèle de « géographie humaine », enfin, cette nature s’exprimerait entre les deux pôles antithétiques du monde et de l’antimonde58. De ce point de vue, la nature ordinaire se distingue de celle « naturelle » ou « véritable » par sa proximité et sa familiarité avec les hommes. C’est une nature avec laquelle on vit et dont on fait usage.
35Au-delà de la seule dimension spatiale, le deuxième type d’approche s’intéresse aux facteurs prédominants dans l’évolution du milieu ou du système considéré. Distinguant les facteurs d’origine anthropiques et les facteurs naturels, il permet de définir la nature ordinaire comme l’ensemble des systèmes qui font l’objet d’un forçage anthropique, mais dont l’évolution n’est pas entièrement contrôlée par les hommes. Une nouvelle fois, cette définition se décline suivant différentes approches : ce peut être, entre la « nature spontanée » et la « nature surcomposée », la « nature composée ou recomposée »59 ; elle se retrouve également sous l’appellation d’« anthroposystèmes60 » ou d’« écocomplexes61 » entre les écosystèmes naturels et les « sociosystèmes » humains. Contrairement à la nature « véritable » d’une part, et aux espaces entièrement artificiels d’autre part, la nature ordinaire se caractérise, de ce point de vue, par le fait que son évolution combine facteurs naturels et humains.
36Dans une troisième approche, plus écologique, le qualificatif d’ordinaire peut, enfin, être donné en référence aux espèces qui habitent les espaces visés. La nature ordinaire désignerait donc les milieux peuplés d’espèces communes, par contraste avec la nature que la présence d’espèces rares et protégées rend extraordinaire. Dans ce cadre, les difficultés de définition sont déplacées du concept général de nature ordinaire à celui d’espèces communes. Celles-ci peuvent être caractérisées à l’aide de plusieurs critères tels que l’aire de répartition, la taille des populations et le degré de spécialisation62. Les plus communes, ainsi, sont les espèces que l’on rencontre dans de nombreuses régions du monde, formant de vastes populations et occupant une large gamme d’habitats.
37De ces trois types d’approche, il ressort que, malgré les efforts de définition, les contours de la nature ordinaire restent difficiles à tracer. Empruntant des traits caractéristiques aux différents types d’espaces que décrivent géographes et écologues, elle se prête mal au jeu de la catégorisation. La nature ordinaire se définit, en somme, principalement par la façon dont elle n’est en rien exclusive, accueillant humains et non-humains, espèces sauvages, domestiques, mais aussi exotiques, combinant les usages anthropiques et le « laissez-faire ».
38Ces difficultés à déterminer le lieu exact de la nature ordinaire ainsi que les caractéristiques précises permettant de l’identifier compliquent inévitablement la tâche qui consiste à essayer de la conserver. L’idée de protéger la nature ordinaire peut, en fait, sembler quelque peu paradoxale, dans la mesure où, son principal trait de caractère étant d’être commune, elle n’est pas menacée de disparition. Ainsi, si la volonté de préserver des systèmes naturels rares ou des espèces en voie d’extinction renvoie à des objectifs aisément identifiables, il n’en va pas de même pour la nature ordinaire. La mise en œuvre d’une gestion conservatoire requiert de répondre au préalable à un certain nombre de questions : en premier lieu, quels milieux, quels territoires sont concernés par la protection de la nature ordinaire ? Si l’on parvient à identifier ces derniers, peut-on définir un état de référence pour ces milieux ? Quels critères permettent de juger de la bonne santé de la nature ordinaire ? Quels acteurs, enfin, ce type de conservation de la nature engage-t-il ?
39En France, cette question a été principalement abordée sous la thématique de la sauvegarde des paysages ordinaires. Dès la fin des années 1980, des auteurs s’intéressent au revers de la globalisation de la question environnementale, du point de vue de la nature proche qu’habitent les hommes, et le traduisent en termes paysagers. La mondialisation serait, en réalité, le moteur d’un « dépaysement global de l’humanité63 », d’un détachement à l’égard des pays64 ou, encore de l’apparition de « non-lieux65 ». C’est dans ce contexte, pour Bernadette Lizet, que l’idée de poser un regard paysager sur les campagnes afin de préserver des formes d’aménagement des espaces ruraux voit le jour66.Yves Luginbühl décrit, de son côté, un renouveau des approches paysagères qui voit les paysages ordinaires se substituer aux paysages élitaires67. Nous passons ainsi de la campagne à la « nature ordinaire68 ».
40Par là, la réflexion sur les territoires ruraux vient à la rencontre des questionnements difficiles que nous venons d’évoquer. Il s’agit de définir les traits caractéristiques des paysages ordinaires que l’on veut conserver. Et la question se pose d’une manière tout autre que dans le cas de la protection d’un site ou d’un monument naturel qu’encadre la loi de 1906. Les paysages ordinaires des campagnes sont le produit des sociétés rurales qui les ont façonnés par les activités agricoles et forestières, ce sont des espaces socialisés. Pour reprendre la distinction, employée notamment par Alain Roger69, avant d’être des paysages, la nature ordinaire des espaces ruraux est faite de pays70. Elle est une manière d’habiter les campagnes, qui se transforme dans la seconde moitié du xxe siècle. De ce point de vue, la gestion conservatoire des paysages ordinaires ne peut être pensée sans s’interroger sur l’évolution des activités humaines qui leur sont liées.
41Or, la protection de la nature ordinaire est ici en tension entre deux positionnements. D’une part, elle peut conduire à la requalification et à la revalorisation des pratiques vernaculaires dans les campagnes, en montrant comment celles-ci ont façonné des paysages dont on reconnaît la valeur aujourd’hui. En ce sens, Yves Luginbühl écrit :
Resocialiser le paysage, c’est en effet redonner aux pratiques vernaculaires et populaires le sens de savoir-faire au même titre que les savoir-faire des paysagistes. Mais, si ces pratiques n’ont jamais eu le but de produire un effet paysager, il n’empêche qu’elles ont cependant traduit dans l’espace, par leur aspect, des connaissances empiriques de la nature et des territoires et un imaginaire social comparable à celui des élites71.
42Mais, d’autre part, les approches paysagères renvoient également à une esthétisation des campagnes, qui souligne inversement ce qui distingue le paysage du pays, les regards savants, formés ou informés des paysagistes ou des écologues, du regard paysan72. De ce point de vue, faire paysage peut aussi représenter une manière de se détacher du pays. Comme l’écrit Bernadette Lizet :
Le paysage résulte d’une esthétisation du lieu duquel on se trouve arraché, comme à la logique sociale qui l’ordonne et que synthétise l’idée de « pays », faite d’expérience sensible, de vécu quotidien et communautaire dans un territoire travaillé, matériellement et symboliquement73.
43Par l’intermédiaire des paysages, la protection de la nature ordinaire n’est ainsi pas sans recroiser une problématique que posait la volonté de préserver la wilderness, à savoir le fait d’imposer un regard externe sur des espaces habités. Si elle exalte le paysagiste mais occulte le paysan74, la thématique de la nature ordinaire va à la rencontre de difficultés similaires à celles auxquelles se heurtait l’idée de wilderness.
Pour la nature férale
44La notion de nature ordinaire renvoie à des lieux ainsi qu’à des formes d’organisation naturelle, mais elle contient également l’idée d’une forme de rapport à la nature, caractérisée par la quotidienneté et la proximité. Les campagnes sont l’ordinaire des gens qui les habitent. Et, de ce vécu quotidien, l’ordinaire des écologues et des paysagistes ne doit pas se détacher, sous peine de perdre ce qui fait la force du concept de nature ordinaire, à savoir la capacité à inclure les dimensions sociales et écologiques dans la réflexion visant à la conserver. Il ne faudrait pas, en quelque sorte, entièrement naturaliser la « nature ordinaire ».
45Mais, inversement, d’autres protecteurs de la nature s’inquiètent de la socialisation de la nature ordinaire qu’ils jugent excessive. Prenant acte de la nécessité d’élargir la réflexion sur la protection de la nature au-delà des limites de la wilderness, ces auteurs refusent néanmoins d’assimiler nature ordinaire et nature humanisée. La protection de la première dans sa forme la plus courante s’apparenterait à une forme de sociocentrisme qui, des limites de l’idée de wilderness, tirerait la conclusion qu’en définitive, il n’est pas question de nature dans les problématiques environnementales, mais seulement de rapports sociaux75. Dans ce cadre, si elle n’est pas totalement évacuée, la nature ne se voit accorder de place dans la société que dans la mesure où elle s’accommode des activités humaines sans les contraindre. C’est en ce sens qu’un auteur comme Jean-Claude Génot affirme que la protection de la nature, qui a pris, après le temps de la préservation des espaces, un tournant vers le modèle de la gestion conservatoire, favorise la nature commensale76. En écologie, la commensalité définit une relation entre une espèce hôte et une autre espèce, rapport qui est à la fois favorable à l’espèce étrangère ou commensale et neutre pour l’hôte qui ne retire, autrement dit, aucun bénéfice, ni ne subit de désavantage, de cette relation77. De ce point de vue, parler de nature commensale est une façon pour Jean-Claude Génot de défendre l’idée que, dans les sociétés actuelles, les hommes ne font plus que tolérer la présence d’une nature qui ne dérange pas les affaires humaines.
46S’opposant à cette évolution, Jean-Claude Génot et Annick Schnitzler-Lenoble plaident en faveur d’une protection de la nature qui accorde une large place à l’expression de sa spontanéité. Pour ces auteurs, s’il faut bien passer de la focalisation sur la wilderness à une appréhension plus large de la nature ordinaire, il n’en reste pas moins qu’au sein de cette dernière on peut distinguer entre une nature laissée à son libre développement et une nature humanisée. C’est pourquoi ils en appellent à la protection d’une forme de nature qui se développe sur les espaces délaissés, la nature férale.
47Empruntant la notion de féralité aux zoologistes78, qui désignent par ce terme les animaux domestiques retournés à l’état sauvage – le terme est également utilisé par les botanistes afin de décrire les plantes issues de culture qui se « naturalisent » –, Jean-Claude Génot et Annick Schnitzler-Lenoble cherchent à montrer comment la nature férale se distingue tout à la fois de la wilderness et de la nature rurale. Ils écrivent ainsi :
La nature férale continuera à dépendre des usages présents et de ceux à venir, en fonction de la matrice paysagère dans laquelle elle s’insère, des surfaces qu’elle occupe, et du temps de liberté qu’on lui octroiera. Cette nature ne reviendra pas à celle qui prévaudrait si l’homme n’avait pas détruit les écosystèmes originels. Mais si ces espaces ne sont pas utilisés durant des siècles et s’ils sont bien protégés, ils pourront acquérir un état de maturité fonctionnelle sans l’aide de personne, par les voies universelles de la sylvigenèse, en intégrant d’autres plantes et d’autres espèces que celles des forêts anciennes bien préservées. Et durant tout le temps de la maturation, cette nature-là nous offrira de multiples possibilités d’accumulation de données et de réflexions philosophiques79.
48Ainsi, si la nature férale n’est pas de la wilderness, puisqu’elle dépend des usages, elle s’éloigne également de la nature ordinaire telle que nous l’avons jusqu’ici décrite, dans la mesure où son évolution doit être soustraite à l’intentionnalité humaine. Autrement dit, tout en reconnaissant que ces espaces protégés sont immanquablement impactés par les activités humaines passées ou présentes, les auteurs caractérisent la nature férale par l’absence de plan de gestion humaine la visant directement. C’est ce que confirme la précision qu’ils ajoutent immédiatement :
Précisons que par « protection », nous entendons une nature totalement spontanée, non entravée dans son évolution jusqu’à la fin de la succession80.
49Il y a, en somme, dans la notion de féralité l’idée d’une reconquête de la nature sur des espaces anciennement anthropisés. Jean-Claude Génot et Annick Schnitzler-Lenoble plaident en faveur d’un ensauvagement d’une nature ordinaire qu’ils jugent trop humanisée.
50Mais cette valorisation du sauvage pourrait rejoindre, au fond, l’inflexion de la réflexion environnementale vers la nature ordinaire, marquée par le passage de la wilderness à la wildness81. Le tournant vers l’ordinaire de la nature nous semblait, en effet, inviter à suivre la voie du sauvage qui, de la nature vierge, pouvait nous reconduire parmi les hommes. Contrairement à la wilderness, nous pouvons rencontrer le sauvage (wildness) in our backyard. Sortant de la wilderness, nous entrions dans la nature ordinaire faite d’espaces où les hommes et la nature cohabitent. La protection de cette dernière pouvait ainsi se penser dans les termes du maintien des conditions d’expressions de sa spontanéité plutôt que de la préservation d’espaces. De ce point de vue, la nature ordinaire renvoyait moins à des lieux précis qu’à une forme de rapport entre les hommes et la nature. Il s’agissait de faire place à celle-ci au sein de nos sociétés, non pas tant de lui réserver un espace que de lui donner les moyens de s’exprimer. Il s’agissait de donner une voix au sauvage dans la construction d’un vivre ensemble. D’une certaine manière, Jean-Claude Génot et Annick Schnitzler-Lenoble suivent bien cette voie qui se préoccupe centralement de la conservation de la spontanéité de la nature ; mais avec leur définition de la nature férale, ils tendent parfois à réaffirmer la scission entre les hommes et la nature au sein de la nature ordinaire. Il peut y avoir de la nature spontanée dans les espaces protégés comme dans la nature ordinaire, affirment-ils, mais à condition de réserver des espaces au sein de cette dernière, desquels les hommes doivent se retirer. De ce point de vue, la présence humaine semble de nouveau éteindre la spontanéité de la nature, étouffer l’expression du sauvage.
51C’est pourquoi, toujours selon les mêmes auteurs, l’idée de gestion conservatoire de la nature ordinaire met en place une stratégie qui a peu de chose à voir avec le naturel et le sauvage. Pour être plus juste, Jean-Claude Génot et Annick Schnitzler-Lenoble n’excluent pas entièrement la gestion – que le premier critiquait plus vivement dans La nature malade de la gestion82. Si ce qu’ils appellent la gestion conservatoire permet de « mieux vivre dans les campagnes », elle est, selon eux, digne d’intérêt. Mais ils ajoutent aussitôt qu’« elle ne remplace pas une nature libre et spontanée sur des territoires abandonnés »83. Et l’ensemble de leur ouvrage, La France des friches, met en place une opposition forte entre nature rurale et nature férale. La discussion centrale du livre traite, en effet, de la question du maintien des milieux ouverts84. Ils remettent en cause la thèse, qu’ils jugent désormais dominante chez les écologistes, selon laquelle la protection de la nature passerait par la conservation de l’ouverture des milieux, c’est-à-dire par la mise en œuvre d’une gestion humaine qui arrête la progression naturelle des successions végétales et maintient les espaces dans un état particulier, propre, selon eux, à la préservation de la nature rurale85. Ils contestent ce parti pris en faveur des espaces ouverts, qui conduit les conservationnistes à discréditer des milieux plus fermés tels que les friches et, surtout, les forêts non gérées. En définitive, la nature férale de Jean-Claude Génot et Annick Schnitzler-Lenoble, ce sont les peuplements forestiers qui s’établissent après plusieurs successions végétales sur les espaces délaissés. Passer de la ruralité à la féralité, c’est passer de la prairie à la forêt, d’une nature entretenue à une nature spontanée, et, implicitement, de l’artifice au sauvage.
La féralité, entre l’ordinaire et la naturalité
52Or, si la critique du discours sur la fermeture des paysages vise souvent juste, la mise en place de cette opposition entre nature rurale et nature férale peut interpeller. Pourquoi la volonté de faire place à la spontanéité de la nature exigerait-elle nécessairement de sortir de la nature ordinaire ? Il ne semble pas y avoir de demi-mesure possible ici, soit la nature s’exprime librement, c’est-à-dire sans les hommes, soit elle est étouffée. C’est bien pourquoi, selon les auteurs de La France des friches, sans la préservation d’espaces pour la nature férale, seule une nature commensale peut subsister dans l’ombre des sociétés humaines. En se référant à l’écologie, on aurait pu penser à d’autres relations entre les espèces pour qualifier les rapports entre les hommes et la nature, en particulier le mutualisme qui évoque une interdépendance avantageuse pour l’ensemble des partenaires engagés. Mais, Jean-Claude Génot et Annick Schnitzler-Lenoble opposeraient, plutôt, non sans raisons d’ailleurs, que bien souvent ce que l’on observe, ce sont des rapports unilatéraux par lesquels les hommes transforment la nature et, en définitive, la dénaturent. Du contact entre les deux ne reste trop souvent pour eux que l’artifice. Mais, dans ce cadre, l’idée d’une nature ordinaire semble, en définitive, pour partie évacuée. Nous retrouvons d’une certaine manière le « grand partage » : d’un côté la nature, composée de la wilderness et de la nature férale ; de l’autre, les hommes et les sociétés humaines. C’est ainsi que le non-interventionnisme associé à la nature férale en vient à s’opposer à l’idée de conservation de la nature ordinaire. Comme l’analyse Raphaël Larrère, dans la préface, élogieuse à bien d’autres égards, qu’il donne à l’ouvrage :
À l’origine de cette divergence existent deux conceptions différentes de ce qui distingue la nature de l’artifice. Selon nos auteurs, il y a artificialisation dès qu’il y a une intervention technique de l’homme. La nature n’est authentique que lorsqu’elle ne dépend pas de lui et qu’il n’a aucune prise sur elle (ou si peu). Quant au domaine de l’artifice, il comprend non seulement les objets techniques et les infrastructures que construisent et dont s’entourent les sociétés humaines, mais aussi tous les objets naturels et les milieux qui ont été plus ou moins instrumentalisés : les prairies pâturées, les champs cultivés, les forêts soumises à diverses pratiques sylvicoles… et même les espaces dits « naturels » dès qu’ils sont protégés, gérés et contrôlés86.
53Ce principe de naturalité semble contredire l’idée qu’il puisse y avoir des degrés d’artificialité ou des objets plus ou moins naturels. Comme l’écrit encore Raphaël Larrère :
Le monde est divisé en deux domaines bien distincts : la nature que l’on apprécie et l’artifice que l’on déplore, surtout s’il est utilisé au nom de la conservation de la nature. Pour les gestionnaires de la biodiversité, la nature et l’artifice constituent deux pôles entre lesquels se situent pratiquement tous les objets et tous les milieux qui nous environnent. Il n’y a pas deux domaines distincts, mais un continuum selon différents degrés d’artificialisation. Nous vivons entourés de milieux hybrides qui sont des productions conjointes des activités humaines et des processus naturels. Plus les activités humaines ont respecté les processus naturels (et en particulier lorsque l’on s’est contenté de les piloter), et plus on se rapproche de cette nature avec laquelle il a bien fallu composer ; inversement, plus on a négligé les contextes et les processus naturels, et plus on s’oriente en direction de l’artifice. Le tout est de décider où placer le curseur et, dans les espaces protégés, il est logique qu’il soit placé au plus près du naturel – soit en utilisant des techniques de pilotage, soit par l’absence de toute intervention technique sur certains espaces et milieux87.
54Opter pour le continuum, plutôt que l’opposition, entre artificialité et naturalité, c’est plaider en faveur de la diversité au sein de la nature ordinaire, pas simplement en faveur de la biodiversité, mais aussi d’une diversité de rapports à la nature, d’usages, dont certains très peu interventionnistes. On peut valoriser la spontanéité de la nature et ne pas proscrire toute forme d’intervention. Par exemple, parce que c’est l’herbe88 plutôt que la forêt qui passionne Gilles Clément, celui-ci explore la voie d’un jardinage de la nature qui, tout en suivant la dynamique spontanée des végétations de friche, y apporte quelques inflexions, afin notamment de limiter le développement du couvert forestier89.
55Si le sauvage peut habiter la nature ordinaire, c’est parce qu’il renvoie moins à un lieu qui lui serait réservé qu’à une dynamique, à un « flux puissant » dans lequel on peut s’insérer sans nécessairement l’interrompre. Envisager la nature ordinaire de cette façon, c’est rendre partout visible l’expression de la spontanéité de la nature, y compris dans les endroits où l’on s’y attend le moins. C’est se pencher aussi sur la nature en ville, sur la nature interstitielle, sur la nature en marge. C’est s’intéresser aux friches, rurales et urbaines, non pas uniquement comme la première étape de la reconquête de la nature, mais comme un lieu où l’on peut expérimenter des façons multiples d’agir avec la nature.
Nature et philosophie de l’ordinaire
56Nous voudrions suivre ainsi l’infléchissement de la réflexion environnementale vers la nature ordinaire, amorcé par certains auteurs à la fin du xxe siècle. Se tourner vers l’ordinaire, c’est apporter une double modification au regard que l’on porte sur la nature. Il s’agit, d’une part, se déplacer géographiquement, du lointain vers le proche, de la nature vierge des lieux les plus reculés de la planète vers l’environnement proche des espaces de vie humains et, d’autre part, de changer d’objets privilégiés de réflexion, de passer d’une pensée qui s’intéresse aux êtres naturels, en tant qu’ils s’opposent radicalement aux hommes, à une réflexion sur les relations entre ces derniers et la nature, qui font le quotidien des sociétés humaines. Ce changement d’approche entraîne un renouvellement du questionnement philosophique qui avait été mené par les premiers penseurs de la protection de la nature, à partir de la fin du xixe siècle. Dans ce cadre, c’est en particulier d’un tout autre point de vue que le problème moral de la protection de la nature se pose. De la wilderness à la nature ordinaire, on passe schématiquement d’une interrogation sur la valeur de l’existence d’une nature sans les hommes et sur la valeur de la vie des êtres naturels à une réflexion sur la façon de vivre au quotidien avec la nature, d’une théorie morale de la valeur intrinsèque de la nature à une éthique de la nature ordinaire. Avec ce passage, on assisterait, en somme, au tournant de la philosophie de l’environnement vers l’ordinaire.
57De ce point de vue, peut-on conclure que la sous-discipline qu’est la philosophie de l’environnement suit un mouvement plus général qui a animé la philosophie du xxe siècle en la conduisant sur le terrain de l’ordinaire ? Autrement dit, la philosophie de l’environnement qui s’intéresse à la nature ordinaire est-elle une philosophie de l’ordinaire ?
Les philosophies de l’ordinaire
58L’ordinaire s’impose comme un thème important de la réflexion philosophique au début du xxe siècle. Si elle hérite en partie de l’empirisme britannique de George Berkeley et David Hume, cette réflexion sur l’ordinaire dépasse, toutefois, l’opposition entre le sens commun et la philosophie instituée : « Il ne s’agit pas de vanter le sens commun, mais de ramener toute la pensée à l’ordinaire » écrit, en ce sens, Sandra Laugier90. Comme le souligne Christiane Chauviré, le mouvement excède d’ailleurs les limites de la philosophie anglaise, faisant de l’ordinaire, de Franz Brentano à Ludwig Wittgenstein en passant par Charles Sanders Peirce et Edmund Husserl, une sorte de thème transversal de certaines philosophies anglaises, américaines et allemandes du début du xxe siècle. Cet élan vers l’ordinaire traduit une volonté de recommencement de la philosophie, qui passe par l’adoption d’un regard sur le monde exempt de présuppositions. Il s’agit pour ces philosophes de s’efforcer de décrire le monde tel qu’il nous apparaît, d’oublier – au moins dans un premier temps – les grandes catégories philosophiques afin de retrouver dans nos expériences quotidiennes une forme d’immédiateté avec le monde. Cette volonté de ramener la philosophie vers le monde de la vie est le point de départ des deux grands courants philosophiques qui se développent au xxe siècle, la phénoménologie et la philosophie analytique. Christiane Chauviré le résume ainsi :
Le thème du retour à l’ordinaire, en lien avec le mot d’ordre de la description, semble donc avoir été à l’ordre du jour tout au début du xxe siècle en Nouvelle-Angleterre comme en Allemagne (Les Recherches logiques de Husserl datent de 1901) et rester dans l’air du temps à Cambridge (Grande-Bretagne) au début des années 193091.
59Si elles déclinent le thème de l’ordinaire de différentes manières, ces philosophies de la description prennent pour point de départ la critique de la façon dont les philosophes, entièrement tournés vers les grandes idées, vers le sublime, se seraient rendus aveugles au quotidien, au monde de la vie. Elles dénoncent ainsi la façon dont le familier, le proche, les pratiques de la vie quotidienne sont désormais absents des recherches philosophiques. Affirmant, au contraire, que l’important de la vie humaine se situe dans ce familier, devenu invisible parce que trop proche, elles appellent la philosophie à regagner le terrain de l’ordinaire, de nos expériences concrètes, à quitter en somme le monde abstrait des idées pour développer une philosophie de « plein air92 ». Contre la tendance à l’abstraction des philosophes, il faut, comme l’écrit Wittgenstein, figure centrale de la philosophie de l’ordinaire, ramener la pensée vers le « sol raboteux » de l’ordinaire93.
60De ce thème contemporain de l’ordinaire, Sandra Laugier propose de retracer le parcours philosophique, qui prend la forme d’allers et retours transatlantiques94. L’une des thèses centrales développées par la philosophe est que la thématisation de l’ordinaire sous sa forme contemporaine prend naissance dans le transcendantalisme américain de Ralph Waldo Emerson et de Henry David Thoreau, plutôt que dans l’empirisme britannique. Elle écrit en ce sens :
Notre thèse ici sera que le thème spécifique et contemporain de l’ordinaire part de l’Amérique et du transcendantalisme d’Emerson et Thoreau, pour se réinventer en Europe avec la philosophie du langage ordinaire, et réapparaître sous une forme transformée en Amérique [… ]95.
61Sandra Laugier reprend ici l’hypothèse de Stanley Cavell qui voit dans l’invention de l’ordinaire le point de départ d’une philosophie proprement américaine96. De cette entreprise de recommencement philosophique, Emerson, qui met au centre de sa réflexion la revendication de l’ordinaire américain contre le sublime européen, fait logiquement figure de père fondateur. De ce point de vue, la formule suivante issue de sa célèbre allocution prononcée à Harvard en 1834, intitulée « The American Scholar », contient la ligne directrice de cette nouvelle philosophie :
Je ne demande pas le grand, le lointain, le romanesque ; ni ce qui se fait en Italie ou en Arabie ; ni ce qu’est l’art grec, ni la poésie des ménestrels provençaux ; j’embrasse le commun, j’explore le familier, le bas, et suis assis à leurs pieds. Donnez-moi l’intuition d’aujourd’hui, et vous aurez les mondes antiques et à venir97.
62La démonstration est convaincante qui fait du transcendantalisme américain un courant philosophique à l’intitulé paradoxal puisqu’il en appelle, en définitive, à une forme d’« empirisme radical », dans lequel il s’agit de se situer au plus près des expériences concrètes du quotidien98. Emerson veut affranchir la philosophie, et plus généralement les hommes, des catégories traditionnelles censées structurer nos expériences, notamment des catégories kantiennes de l’entendement. Il s’agit d’établir une proximité avec le monde qui permet d’en faire l’expérience immédiate, sans les filtres déformants de la philosophie européenne. S’interrogeant sur nos expériences les plus banales, sur le quotidien, il fait surgir la question sceptique de la connaissance du monde et d’autrui au sein du familier, du proche. C’est en faisant l’expérience de l’« inquiétante étrangeté de l’ordinaire » qu’Emerson et, avec lui, Thoreau ouvrent la voie de la réflexion philosophique sur l’ordinaire qui se déploiera au xxe siècle99.
Thoreau et Emerson, penseurs de l’ordinaire
63Toutefois, si l’on reprend la progression de notre réflexion sur l’évolution de la pensée de la protection de la nature, la rencontre de cette thèse sur l’origine des philosophies de l’ordinaire suscite une certaine perplexité. Retrouver Thoreau et Emerson, après un tournant vers l’ordinaire qui laissait derrière nous la philosophie de la wilderness, dont ces mêmes auteurs sont précisément présentés comme des figures centrales, soulève une interrogation quant à la piste que l’on suit, censée nous mener de la pensée de la nature vierge et sauvage à une réflexion sur la nature ordinaire. Si l’on accepte la thèse selon laquelle Thoreau et Emerson sont des penseurs de l’ordinaire, nous pouvons envisager deux hypothèses susceptibles de rétablir la logique de notre argumentation. Soit, contrairement à ce qui est classiquement affirmé dans les manuels de philosophie de l’environnement, Thoreau et Emerson ne sont pas des penseurs de la wilderness, mais plutôt des précurseurs du courant environnemental tourné vers la nature ordinaire. Soit les deux auteurs transcendantalistes sont à la fois des penseurs de la wilderness et des philosophes de l’ordinaire, ce qui indiquerait qu’en deçà de ce thème apparemment commun de l’ordinaire, le tournant de la réflexion environnementale vers l’ordinaire n’emprunte pas la voie parcourue par les philosophes que nous avons évoqués, autrement dit que la réflexion sur la nature ordinaire n’est pas une philosophie de l’ordinaire.
64La première hypothèse suit apparemment la voie d’une interprétation hétérodoxe d’Emerson et de Thoreau, dans la mesure où leur statut de pères fondateurs de la réflexion sur la wilderness est solidement établi au sein du courant environnemental. Dans le premier volume de leurs deux ouvrages consacrés au grand débat de la wilderness, John Baird Callicott et Michael P. Nelson reproduisent, par exemple, des textes de Thoreau et d’Emerson dans leur premier chapitre consacré aux penseurs qui ont le plus contribué à forger l’idée classique de wilderness100. Emerson, dans son essai intitulé Nature101, et Thoreau, dans « Walking102 », font un éloge de la nature originelle dont s’inspireront indéniablement les penseurs qui développeront la voie préservationniste et en appelleront à la protection de la wilderness. Toutefois, nous allons essayer de montrer qu’il existe quelques arguments à l’appui de la thèse qui nous éloigne de l’interprétation préservationniste des deux auteurs et nous rapproche simultanément du thème de la nature ordinaire. Le premier d’entre eux tient à la façon dont Emerson et Thoreau valorisent la proximité avec les choses concrètes du monde. Emerson, nous l’avons vu, ne réclame pas le lointain, le grand, mais le proche, le familier, et, d’une certaine manière, cet appel vaut également pour la nature. Quant à Thoreau, le récit de sa vie pendant deux années, dans une cabane près de l’étang de Walden, rend tout à fait concrète l’idée de retrouver une forme de proximité avec la nature, de se situer dans le voisinage de la nature. En somme, chez l’un comme l’autre, découvrir les vertus de la nature n’exige pas nécessairement de faire un long voyage vers des contrées reculées où l’on peut trouver une nature pure et originelle. L’expérience quotidienne de son environnement naturel proche est susceptible d’élever l’âme des hommes et de les instruire.
65Sur ce point, la façon dont un penseur de la wilderness comme Sigurd Olson se démarque de Thoreau est intéressante, puisqu’il reproche précisément à ce dernier de ne pas s’éloigner suffisamment du monde des hommes. Olson écrit en ce sens :
La conception de Thoreau d’une « wildness vivifiante » est caractéristique de ce type d’interprétation, mais pour les hommes que j’ai pu rencontrer, cette compréhension n’effleure même pas ce qu’ils ressentent. Pour lui, le sauvage signifie les prairies pastorales de Concord et l’étang de Walden, et la joie qu’il ressent, bien qu’indéniablement authentique, ne se rapproche pas du désir furieux et insatiable des hommes de mon temps. Pour eux, l’extérieur proche ne suffit pas ; pas plus que les plaisirs de la méditation103.
66Pour Olson, les prairies de Concord sont trop proches des hommes pour que l’on puisse y ressentir les bienfaits de l’immersion dans la wilderness véritable. Et à cette occasion, il met en place une opposition très claire entre l’ordinaire de la vie quotidienne et l’expérience hors du commun de la wilderness. Il écrit :
Alors que faire l’expérience de la wilderness signifie s’évader des problèmes compliqués de la vie quotidienne et se libérer de la tyrannie des télégrammes, des sonneries, des horaires et des responsabilités oppressantes, néanmoins, cela peut initialement constituer un véritable choc et des jours voire des semaines peuvent se passer avant que les hommes ne réalisent enfin que la tension s’en est allée104.
67Ce qui nous intéresse ici tout particulièrement est le fait qu’Olson affirme cette nécessité de rompre avec l’ordinaire alors qu’il vient de ranger Thoreau du côté de ce dernier. Cette différence d’opinions sur la nécessité de l’éloignement est particulièrement bien illustrée par l’évocation des bruits de la ville. De la formule d’Olson, nous pouvons mettre en regard le passage suivant de Walden :
Parfois, le dimanche, j’entendais les cloches, la cloche de Lincoln, d’Acton, de Bedford ou de Concord, lorsque le vent se trouvait favorable, comme une faible, douce, et eût-on dit, naturelle mélodie, digne d’importation dans la solitude. À distance suffisante par-dessus les bois ce bruit acquiert un certain bourdonnement vibratoire, comme si les aiguilles de pin à l’horizon étaient les cordes d’une harpe que ce vent effleurât. Tout bruit perçu à la plus grande distance possible ne produit qu’un seul et même effet, une vibration de la lyre universelle, tout comme l’atmosphère intermédiaire rend une lointaine arête de terre intéressante à nos yeux par la teinte d’azur qu’elle lui impartit. Il m’arrivait, en ce cas, une mélodie que l’air avait filtrée, et qui avait conversé avec chaque feuille, chaque aiguille du bois, telle part du bruit que les éléments avaient reprise, modulée, répétée en écho de vallée en vallée. L’écho, jusqu’à un certain point, est un bruit original, d’où sa magie et son charme. Ce n’est pas simplement une répétition de ce qui valait la peine d’être répété dans la cloche, mais en partie la voix du bois ; les mêmes mots et notes vulgaires chantés par une nymphe des bois105.
68Pour Olson, la wilderness commence là où le bruit de la ville s’arrête ; Thoreau, de sa cabane dans les bois, continue de les entendre. Pour ce dernier, il faut, certes, également mettre à distance les bruits de la ville pour se situer dans la nature, il faut que les sons passent, par exemple, au filtre des aiguilles de pin pour les rendre plus doux, plus mélodieux et, surtout, plus naturels, mais leur écho déformé parvient tout de même à la clairière proche de l’étang de Walden. La description par Thoreau de cet ensauvagement progressif des sons de la ville qui se mêlent à la nature nous semble donner à penser la façon dont on peut dépasser l’opposition, fréquemment associée à l’idée de wilderness, entre la pureté de la nature et le vice des sociétés humaines, dont il faudrait s’éloigner le plus possible. Ne nous y trompons pas, Thoreau développe ce dernier thème en bien des endroits de ses écrits, y compris dans Walden et nous pouvons trouver des formules qui font tout à fait écho à l’éloge du lointain de Olson. Dans « Walking », il écrit, par exemple :
Les jardins devant nos maisons ne sont pas faits pour y marcher, tout au plus pour les traverser, et vous pouvez prendre le chemin de lieux plus reculés. Mon esprit s’élève infailliblement à mesure que l’environnement devient désolé. Donnez-moi l’océan, le désert, ou la wilderness106 !
69Il y a incontestablement chez Thoreau, comme chez Emerson, un positionnement en faveur de la préservation d’espaces de wilderness au sens classique de la nature originelle, préservée des hommes. Ces lieux de nature reculés restent, pour eux, la source d’inspiration la plus féconde, les espaces les plus propres au ressourcement moral et spirituel, qu’il faut visiter de temps à autre. Et Thoreau décrit cette nécessité en mobilisant la figure du poète :
Cela nous rappelle que, non seulement pour la force, mais aussi pour la beauté, le poète doit, de temps en temps, prendre le chemin des bûcherons et le sentier des Indiens, pour boire à une nouvelle fontaine des Muses plus vivifiante, loin dans les lieux reculés de la wilderness107.
70Mais, l’idée de wilderness n’est peut-être pas aussi centrale chez Thoreau et Emerson que chez des auteurs préservationnistes comme Muir ou Olson. Comme nous l’avons déjà évoqué108, le concept clé de la pensée de l’auteur de Walden n’est pas la wilderness, mais celui de wildness. Or, contrairement à la première, nous pouvons faire l’expérience de la seconde à peine franchi le pas de notre porte. Pas de wilderness à Walden, mais partout l’expression de la wildness avec laquelle Thoreau compose une forme de nature ordinaire.
71On peut, en somme, interpréter la pensée de Thoreau de deux façons qui diffèrent sensiblement. La première centre l’attention sur les récits de grandes excursions dans la nature dans lesquels l’auteur loue les bienfaits de la wilderness. La seconde suit le fil du quotidien et les descriptions du sauvage au sein de nos lieux de vie. Selon que l’on met l’accent sur les premiers ou sur les secondes, que l’on insiste sur le randonneur de « Walking » ou sur l’habitant de Walden, Thoreau est tantôt un penseur classique de la wilderness, tantôt l’auteur d’une réflexion sur les façons d’ensauvager le quotidien, qui relève, à notre sens, d’une pensée de la nature ordinaire.
72Si elles conduisent à deux courants de protection de la nature différenciés, l’un préservationniste, l’autre préoccupé des relations entre les hommes et la nature et s’intéressant donc à la nature ordinaire, les deux interprétations de la pensée de Thoreau ne sont pas exclusives l’une de l’autre. C’est que pour ce dernier, comme le souligne Roderick Nash, la wilderness est, en réalité, un réservoir de wildness109. La wilderness est une source de wildness, qu’il ne faut pas tarir sous peine de ne plus voir le monde s’ensauvager. Or, Thoreau l’a affirmé dans une formule qui fera date dans l’histoire de la pensée environnementale : « in wildness is the preservation of the world. » Préservation de la wilderness et déploiement du sauvage au sein même des sociétés humaines sont donc liés. La lecture d’un Thoreau penseur de la nature ordinaire ne met donc pas en place une alternative entre deux compréhensions de son œuvre. Elle montre comment l’auteur américain ne se limite pas à une pensée préservationniste de la nature originelle qui exclut les hommes, et se préoccupe aussi de la question des rapports entre les deux, qu’il aborde sous l’angle de l’expression du sauvage dans les mondes humains. Si l’on suit l’interprétation de Roderick Nash sur ce point, partant d’un éloge inconditionné de la wilderness, la pensée de Thoreau aurait même évolué en direction d’une valorisation de plus en plus grande de la rencontre entre le sauvage et la civilisation et d’une forme d’hybridation entre les choses humaines et naturelles. Un événement décisif serait à l’origine de cette évolution de la pensée de l’auteur, son ascension du mont Katahdin. Selon l’historien de l’environnement, partant avec l’enthousiasme d’un fervent adorateur de la wilderness, Thoreau aurait été fortement impressionné par une nature plus rude et inhospitalière qu’il ne l’attendait – ce dont témoigne le récit qu’il fit de son excursion110 – et serait rentré avec l’idée que la perfection ne se situait pas dans une nature entièrement sauvage, mais plutôt dans le juste équilibre entre le sauvage et le cultivé. Sur ce point, Roderick Nash renvoie à un passage de Walden dans lequel Thoreau expose cette thèse de l’équilibre à partir du modèle très concret de son champ de haricot « à demi cultivé » :
Mon champ était pour ainsi dire le chaînon reliant les champs sauvages aux champs cultivés ; de même que certains États sont civilisés, d’autres à demi civilisés, d’autres sauvages ou barbares, ainsi mon champ se trouvait être, quoique non pas dans un mauvais sens, un champ à demi cultivé111.
73Roderick Nash ajoute que sur ce point Thoreau rejoint l’idée d’un perfectionnement pensé comme l’affinement culturel de la nature brute et sauvage, qu’Emerson exprimait de la façon suivante :
Tout ce qui est bon dans la nature et dans le monde réside dans ce moment de transition, quand les sèves brunies coulent encore abondamment de la nature, mais que leur astringence ou leur âcreté est éliminée par l’éthique ou par l’humanité112.
74C’est dans ce thème de l’équilibre entre ensauvagement de la culture et domestication du sauvage, plutôt que dans celui de la préservation de la wilderness la plus brute possible, que nous semble résider la part la plus intéressante de la réflexion d’Emerson et Thoreau sur la nature. Sur ce point, la conclusion qu’apporte Roderick Nash à son court chapitre sur Thoreau nous semble éclairante :
En proposant une défense philosophique du semi-sauvage, Thoreau donna une nouvelle fondation à l’idéalisation américaine de la pastorale. Auparavant, la plupart des Américains avaient admiré le rural, la condition agraire comme une libération à la fois de la wilderness et de la haute civilisation. Ils reposaient, pour ainsi dire, sur leurs deux pieds, au centre du spectre des environnements. Thoreau, de son côté, est parvenu au milieu en enjambant. Il réunit les extrêmes et, en conservant un pied dans chaque, croyait qu’il pouvait extraire le meilleur des deux mondes.
Le rural était le point d’équilibre entre les pôles. Selon Thoreau, la wildness et le raffinement n’étaient pas deux extrêmes, mais des influences à parts égales bénéfiques que les Américains avaient tout intérêt à mêler113.
75C’est dans l’image de cet homme qui, dans son champ de haricots, entremêle à coup de houe le sauvage et le cultivé, l’artificiel et le naturel, que nous voyons se dessiner le profil d’un penseur de la nature ordinaire.
76L’hypothèse qui éloigne Thoreau et Emerson d’une pensée purement préservationniste de la wilderness et les rapproche, en sens inverse, d’une réflexion sur la nature ordinaire nous semble ainsi pouvoir être défendue de façon crédible. À première vue, elle invalide la seconde hypothèse que nous faisions, en levant la contradiction apparente que constituait la classification de Thoreau et Emerson parmi les philosophes de l’ordinaire, alors qu’au sein du courant environnemental ils apparaissaient comme les précurseurs d’une pensée de la protection de la nature qui délaisse plutôt l’ordinaire pour se concentrer sur la nature remarquable. En philosophes comme en protecteurs de la nature, Emerson et Thoreau seraient ainsi des penseurs de l’ordinaire.
Un ordinaire non langagier
77L’adéquation entre nature ordinaire et philosophie de l’ordinaire nous semble néanmoins devoir être interrogée plus en profondeur. Pour cela, il nous faut revenir sur la trajectoire de l’ordinaire dessinée par Sandra Laugier. Ce que la philosophe met au jour en suivant l’inspiration de Stanley Cavell, c’est l’existence d’un fil conducteur entre la pensée transcendantale américaine de l’ordinaire et la philosophie du langage ordinaire que développeront Wittgenstein d’une part, et les penseurs d’Oxford, au premier rang desquels John Austin, d’autre part. Décrivant cette connexion transatlantique entre expérience de l’ordinaire et langage ordinaire, Sandra Laugier écrit :
Pour Cavell comme pour Wittgenstein, la tâche de la philosophie est de nous ramener à l’ordinaire – ramener nos mots de leur usage métaphysique à leur usage quotidien – ce qui n’a rien d’aisé ni d’obvie. La recherche de l’ordinaire ne prend son sens qu’en écho au risque du scepticisme – de la perte ou de l’éloignement du monde, décrits au début de l’essai d’Emerson Experience, associés au défaut de la parole qui la rend par définition inadéquate ou malheureuse, au sens où il s’agit d’une « parole malheureuse » ou, comme le dira ensuite Austin, d’un échec (infelicity) du langage. […] L’appel à l’ordinaire est inséparable de ce moment sceptique où le monde radicalement nous chagrine, nous échappe, selon Emerson, de ce moment où (parce que) nous le voulons le plus fortement agripper, saisir à la fois conceptuellement et possessivement. Dans leur défense de l’ordinaire, Emerson et Thoreau sont ainsi les précurseurs de la philosophie du langage ordinaire : contre la vaine volonté de conceptualisation et de saisie du réel, ils en recommandent la description attentive. […] Le rapport à l’ordinaire est une autre façon de formuler la question du rapport au réel, et de notre capacité à dire les choses avec notre langage ordinaire et partagé114.
78Le fil de l’ordinaire qui mène de Concord à Oxford et à Wittgenstein est donc un fil sceptique. Cette continuité passe par une interrogation commune sur le monde, qui ne renvoie pas à une réflexion transcendantale sur les conditions de possibilité de la connaissance, mais conduit à interroger le monde qui nous est proche, familier. C’est ainsi une forme de scepticisme du quotidien, qui s’exprime quand le familier apparaît soudainement comme étranger, quand l’« inquiétante étrangeté de l’ordinaire » se fait sentir, que partagent Thoreau, Emerson et un philosophe de l’ordinaire tel que Wittgenstein. Du transcendantalisme à la philosophie du langage, nous passons d’une réflexion sur l’expérience, sur notre capacité à « trouver le contact avec l’expérience » et à nous « rapprocher du monde »115 à une analyse de nos usages ordinaires du langage, mais nous restons dans le cadre d’une même interrogation sur notre rapport au monde. En ce sens, Sandra Laugier écrit :
Emerson et Thoreau, par leur attention à l’ordinaire, annoncent donc la philosophie du langage ordinaire : non parce que l’ordinaire ou the low serait une réponse au problème de la connaissance, mais parce que le rapport à l’ordinaire est une façon de reformuler la question du rapport au monde, et de notre capacité à dire le monde avec notre langage ordinaire, commun116.
79Cette « connexion transatlantique, cachée117 », révélée par Stanley Cavell, décrit également un passage qui mène du « voir » au « dire ». C’est un thème commun qui traverse toutes les pensées de l’ordinaire que celui de donner à la philosophie la tâche, non pas d’essayer de révéler l’invisible, mais de s’efforcer de voir le visible, que nous ne voyons pas précisément parce qu’il est trop proche118, ce qu’indique Sandra Laugier de la façon suivante :
Tout est déjà devant nous, étalé sous nos yeux : reste à voir le visible. Thoreau annonce ainsi, comme Emerson, le projet anthropologique des Recherches : voir l’ordinaire, ce qui nous échappe parce que c’est proche de nous, sous nos yeux119.
80Et ce qu’elle reformule, un peu plus loin, en écrivant :
L’ordinaire n’existe que dans cette difficulté propre d’accès à ce qui est juste sous nos yeux, et qu’il faut apprendre à voir120.
81Mais la spécificité de la philosophie du langage est d’aborder ce thème sous l’angle exclusif de la façon dont nous disons quotidiennement le monde qui nous entoure. Son objet est bien, en effet, la question de notre rapport au monde, mais sous la forme d’une analyse de notre « conversation ordinaire avec autrui et les choses121 ». Autrement dit, l’ordinaire de cette philosophie est purement langagier au sens où, pour citer de nouveau Sandra Laugier, il est « défini par le langage, par nos usages ordinaires et communs, car il n’a pas d’autre définition (le monde avec lequel je parle)122 ».
82C’est précisément à la lumière de cet éclairage sur l’association entre l’ordinaire et le langage ordinaire qu’il nous semble qu’il faut réexaminer le recoupement supposé entre la philosophie de l’ordinaire et la réflexion sur la nature ordinaire. Il s’agit non pas de mettre en cause le chemin qui mène de Concord à Oxford, mais d’examiner l’hypothèse selon laquelle la pensée de la nature ordinaire ferait route commune avec une philosophie de l’ordinaire qui se définit comme une philosophie du langage ordinaire. Or, la formulation même de cette hypothèse indique un écart entre les deux courants de réflexion. Entrer dans la philosophie du langage, c’est pénétrer dans le monde des hommes et seulement des hommes. Et l’on voit bien ce qui éloigne en conséquence, ce questionnement philosophique sur l’ordinaire d’une pensée qui cherche à repérer, dans le quotidien, les formes ordinaires de contribution non humaine à la reproduction de nos sociétés. Dans la mesure où les relations entre les hommes et la nature que vise cette pensée de la nature ordinaire sont essentiellement non langagières, la voie d’une philosophie du langage ordinaire ne semble pas se prêter le mieux à ce type de réflexion123.
83Et, de fait, si l’on se penche à nouveau sur ce qui dans la pensée d’Emerson et de Thoreau permet de les considérer comme des précurseurs de la philosophie du langage ordinaire, il apparaît que la nature est, pour l’essentiel, absente des thèses ou des arguments mobilisés. Le « Emerson, philosophe de l’ordinaire » que décrit de façon convaincante Sandra Laugier développe, en définitive, bien plus une approche anthropologique qu’une pensée de la nature. En témoigne la déclaration fameuse issue de « The American Scholar » :
La révolution s’accomplira par la domestication graduelle de l’idée de Culture. L’entreprise du monde la plus importante, en termes de splendeur et d’étendue, est la construction d’un homme. Voici les matériaux, épars sur le sol124.
84À propos de cette formule, Sandra Laugier écrit :
En revendiquant l’ordinaire, c’est à une révolution qu’appelle Emerson (« Voici les matériaux, épars sur le sol »). L’espoir américain devient celui de la construction d’un homme nouveau et d’une culture, l’un et l’autre « domestiqués », ce qui est le contraire d’opprimés et d’esclavagisés : l’homme domestique est celui qui arrive à accorder son intérieur et son extérieur, sa voix publique et sa voix privée, sans renoncer à l’une ni à l’autre. La construction d’une démocratie américaine est l’invention d’un homme ordinaire : « the upbuilding of man »125.
85Il apparaît clairement, de ce point de vue, que le pan de la philosophie d’Emerson auquel est accroché le fil qui mène à la philosophie du langage ordinaire est une réflexion sur l’homme, non sur la nature, ordinaire.
86De sorte qu’en définitive, des développements qui précèdent, ce ne sont pas deux, mais trois pistes qui ressortent et peuvent trouver des points d’ancrage dans les travaux d’Emerson et de Thoreau. La première est la voie préservationniste qui suit le thème de la wilderness. La deuxième est celle de la philosophie de l’ordinaire qui conduit de Concord à Oxford, puis à Chicago. La troisième, enfin, est celle qui dessine l’inflexion de la réflexion sur la protection de la nature, partant de la wilderness et en direction de la nature ordinaire. Et de ce point de vue, cette discussion sur le croisement entre la philosophie environnementale et le thème de l’ordinaire souligne la diversité qui caractérise la postérité de ces deux penseurs américains que sont Emerson et Thoreau126. Il apparaît, en outre, que la voie d’une philosophie de la nature ordinaire que nous suivons ici se distingue, d’une part, au sein du courant environnemental, des pensées de la wilderness – ce qui tombe sous le sens puisqu’elle se construit précisément en se démarquant de ses dernières – et, d’autre part, du courant philosophique qu’est la philosophie de l’ordinaire, ou philosophie du langage ordinaire. Autrement dit, le tournant vers l’ordinaire de la réflexion environnementale ne s’apparente pas à celui qu’ont donné à la philosophie les penseurs du langage ordinaire : le cheminement vers la nature ordinaire ne passe pas par Oxford.
87Il ne s’agit pas néanmoins de nier que la réflexion philosophique sur l’ordinaire puisse apporter un éclairage sur la question de la nature ordinaire. Notre démarche suit, en réalité, l’hypothèse que l’on peut tendre un autre fil entre Emerson et Thoreau – peut-être surtout ce dernier – et la réflexion environnementale sur la nature ordinaire, un fil philosophique de l’ordinaire qui ne passe pas, ou pas nécessairement, par le langage ordinaire. De ce point de vue, l’appel des philosophies de l’ordinaire à voir le visible proche nous semble central, dans la mesure où il est approprié par la démarche qui consiste à déplacer la réflexion environnementale, pour l’amener à s’intéresser à la nature proche de nous, la nature avec laquelle on vit au quotidien et que désigne l’expression de « nature ordinaire ». C’est, en fait, la déclinaison éthique de ce thème qui nous paraît la plus cruciale dans le cadre de nos recherches. Cette déclinaison examine les implications morales de l’exploration du proche. Elle fait apparaître que, sous nos yeux, des choses comptent, qui restaient ou ont été rendus invisibles. Elle conduit à percevoir des motifs éthiques délaissés par la réflexion morale philosophique. C’est cette voie de la morale de l’ordinaire qu’explorera Stanley Cavell, et que suivront les éthiques du care, qui nous semble pouvoir informer une réflexion qui se propose d’élaborer une éthique de la nature ordinaire. Dans ce dernier cadre, l’ordinaire à explorer, ce sont, par exemple, les animaux avec lesquels nous faisons société, c’est aussi la nature que l’on cultive ; et les motifs moraux apparaissent dans les manières d’agir des hommes avec la nature, des éleveurs avec leurs animaux, des agriculteurs avec la nature des champs cultivés ou pâturés127. La nature ordinaire est cette nature que nous avons voulu prendre en main. Son éthique élabore une réflexion sur les succès et les échecs de cette prise en main, au sens de sa capacité à établir une bonne relation ou une relation réussie entre les hommes et la nature. Ceci la conduit à s’intéresser à deux types de nature qui composent une fois réunis la nature ordinaire. Il y a, d’une part, ce qui a été effectivement saisi par les hommes : les champs, les prés, les forêts cultivés, les animaux d’élevage, et sur lesquels l’éthique de la nature ordinaire invite à desserrer parfois l’emprise humaine, pour rétablir une relation qui ne soit pas une pure instrumentalisation, mais plutôt une coopération avec la nature. Mais il y a aussi, d’autre part, ce qui a glissé entre nos doigts lorsque nous avons refermé la main sur la nature, ce qui a été à la fois ébranlé par cette tentative d’appropriation humaine, mais, en définitive, y a échappé ou a été délaissé. La nature ordinaire est aussi cette nature qui vit dans notre voisinage, mais qui ne fait pas plus l’objet d’intentions que d’attention humaines, la nature autour de nous, que l’on délaisse. C’est à l’éthique de cette nature ordinaire que nous allons maintenant nous intéresser, dessinant ainsi une trajectoire qui pourrait partir de Walden, plutôt que de Concord, passer par Baraboo, Wisconsin128, et traverser à son tour l’Atlantique pour gagner un vallon de la Creuse129.
Notes de bas de page
1 John Baird Callicott, « Contemporary Criticisms of the Received Wilderness Idea », dans Michael P. Nelson, John Baird Callicott (dir.), The Wilderness Debate Rages On : Continuing the Great New Wilderness Debate, Athens, University of Georgia Press, 2008, p. 355-377.
2 « A wilderness, in contrast with those areas where man and his own works dominate the landscape, is hereby recognized as an area where the earth and community of life are untrammeled by man, where man himself is a visitor who does not remain. An area of wilderness is further defined to mean in this Act an area of undeveloped Federal land retaining its primeval character and influence, without permanent improvements or human habitation, which is protected and managed so as to preserve its natural conditions and which (1) generally appears to have been affected primarily by the forces of nature, with the imprint of man’s work substantially unnoticeable ; (2) has outstanding opportunities for solitude or a primitive and unconfined type of recreation ; (3) has at least five thousand acres of land or is of sufficient size as to make practicable its preservation and use in an unimpaired condition ; and (4) may also contain ecological, geological, or other features of scientific, educational, scenic, or historical value. », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), « The Wilderness Act of 1964. Public Law 88-577. 88th Congress, S.4. September 3, 1964 », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great NewWilderness Debate, Athens, University of Georgia Press, 1998, p. 121.
3 John Baird Callicott, Michael P. Nelson, « Introduction : The Growth ofWilderness Seeds », dans Michael P. Nelson, John Baird Callicott (dir.), The Wilderness Debate Rages On, op. cit.
4 Theodore Roosevelt, « The American Wilderness. Wilderness Hunters and Wilderness Game (1897) », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 63-74.
5 Sigurd Olson, « Why Wilderness ? (1938) », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 97-102.
6 Aldo Leopold, « Wilderness as a Form of Land Use (1925) », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 75-84.
7 Frederick Jacksonturner, The Frontier in American History, New York, Henry Holt, 1920.
8 Sur ce point, voir également, William Cronon, « The Trouble with Wilderness : Or, Getting Back to the Wrong Nature », dans J. Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, p. 471-499.
9 Aldo Leopold, « Wilderness as a Form of Land Use (1925) », art. cité.
10 William Cronon, « The Trouble with Wilderness », art. cité.
11 John Baird Callicott, « That Good Old-Time Wilderness Religion », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 387-394.
12 Lynn White Jr, « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis », Science, 155/3767, 1967, p. 1203-1207.
13 Roderick Nash, Wilderness and the American Mind, op. cit.
14 Sur les liens entre le courant transcendantalisme et le calvinisme, voir Perry Miller, Errand Into the Wilderness, New York, Harper & Row, 1956.
15 Jonathan Edwards, « Christian Doctrine of Original Sin Defended », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 25 ; Id., « Sinners in the Hands of an Angry God », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 25-27.
16 Carolyn Merchant, Reinventing Eden, op. cit.
17 Jonathan Edwards, « The Images or Shadows of Divine Things (1758) », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 23-25.
18 John K. Howat, The Hudson River and its Painters, NewYork, American Legacy Press, 1983.
19 Alfred Runte, National Parks : The American Experience, Lincoln, University of Nebraska Press, 1997.
20 John Baird Callicott, Michael P. Nelson, « Introduction : The Growth of Wilderness Seeds », art. cité.
21 Id., The Great New Wilderness Debate, op. cit.
22 Id., The Wilderness Debate Rages On, op. cit.
23 John Baird Callicott, « Contemporary Criticisms of the Received Wilderness Idea », art. cité.
24 Donald M.Waller, « Getting Back to the Right Nature : A Reply to Cronon’s “The Trouble with Wilderness” », dans Michael P. Nelson, John Baird Callicott (dir.), The Wilderness Debate Rages On, op. cit., p. 540-567.
25 « The more one knows of its peculiar history, the more one realizes that wilderness is not quite what it seems. Far from being the one place on earth that stands apart from humanity, it is quite profoundly a human creation — indeed, the creation of very particular human cultures at very particular moments in human history. It is not a pristine sanctuary where the last remnant of an untouched, endangered, but still transcendent nature can for at least a little while longer be encountered without the contaminating taint of civilization. Instead, it’s a product of that civilization, and could hardly be contaminated by the very stuff of which it is made. Wilderness hides its unnaturalness behind a mask that is all the more beguiling because it seems so natural. As we gaze into the mirror it holds up for us, we too easily imagine that what we behold is Nature when in fact we see the reflection of our own unexamined longings and desires », dans William Cronon, « The Trouble with Wilderness », art. cité, p. 471-472.
26 Paul S. Martin, « The Discovery ofAmerica », Science, 179/4077, 1973, p. 969-974 ; Stephen J. Pyne, Fire in America. A Cultural History of Wildland and Rural Fire, Princeton, Princeton University Press, 1982.
27 John Baird Callicott, « Contemporary Criticisms of the Received Wilderness Idea », art. cité, p. 367.
28 William M. Denevan, « The Pristine Myth : The Landscape of the Americas in 1492 », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 414-442.
29 Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit., p. 186.
30 Fabienne Bayet, « Overturning the Doctrine : Indigenous People and Wilderness. Being Aboriginal in the Environmental Movement », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 314-324.
31 Derek A.Whitelock, Conquest to Conservation : History of Human Impact on the South Australian Environment, Adélaïde, Wakefield Press, 1985.
32 « “The Last Tasmanians”, slated from the first as a dying race of savage Nature, were victims of Culture, and not of Nature, as nineteenth-century tried to claim. They were victims of a virulently imperial form of culture, one that held them to be Nature, not fully human inhabitants of a space empty of culture, in which they lived as “strangers to every principle of social order” in the words of Peron’s 1801 journal entry from Maria Island on the southeast coast. Aborigines did not cultivate the land in European style, and therefore lived, in the estimation of the European visitors, as mere “beasts of the forest” or “parasites” upon the land. Whether noble, as in the French estimate, or unclothed and unformed, as in the British, they were “children of nature” », dans Val Plumwood, « Wilderness Skepticism and Wilderness Dualism », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 654.
33 John Baird Callicott, « Contemporary Criticisms of the Received Wilderness Idea », art. cité.
34 Voir également Carolyn Merchant, « Shades of Darkness : Race and Environmental History », Environmental History, 8/3, juillet 2003, p. 380-394.
35 Ramachandra Guha, « Radical American Environmentalism and Wilderness Perservation. AThird World Critique », Environmental Ethics, 11/1, 1983, p. 71-83.
36 John Baird Callicott, « The Implication of the “Shifting Paradigm” in Ecology for Paradigm Shifts in the Philosophy of Conservation », dans Michael P. Nelson, John Baird Callicott (dir.), The Wilderness Debate Rages On, op. cit., p. 571-600.
37 Voir, par exemple, dans le recueil de textes, la contribution de Val Plumwood, « Wilderness Skepticism and Wilderness Dualism », art. cité.
38 Robert Marshall, « The Problem of the Wilderness », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 85-96.
39 Sigurd Olson, « Why Wilderness ? (1938) », art. cité.
40 William Cronon, « The Trouble with Wilderness », art. cité.
41 Voir sur ce point, la réponse de John Baird Callicott à Holmes Rolston, John Baird Callicott, « That Good Old-Time Wilderness Religion », art. cité ; ainsi que William Cronon, « Le problème de la wilderness, ou le retour vers une mauvaise nature », Écologie & politique, 38/1, 2009, p. 173.
42 « We see two alternatives to the received wilderness idea currently taking shape. One alternative would deanthropocentrize the classic wilderness idea ; the other would replace the received wilderness idea with the obviously related, but very different, concept of wildness and the concepts of free nature, sustainability, and reinhabitation that are allied with it », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., p. 13.
43 « If Nature proper is found only in places without any human influence, there is no way we can recognize the importance of nature or respect its limits in our daily lives, except through elite or exceptionnal practices of nature escape. If nature is normally “somewhere else”, we do not need to be sensitive to its operations in our local environments of urban, working, and domestic life », dansVal Plumwood, « Wilderness Skepticism and Wilderness Dualism », art. cité, p. 671.
44 « To the extent that we celebrate wilderness as the measure with which we judge civilization, we reproduce the dualism that sets humanity and nature at opposite poles. We thereby leave ourselves little hope of discovering what an ethical, sustainable, honorable human place in nature might actually look like. », dans William Cronon, « The Trouble with Wilderness », art. cité, p. 484.
45 Henry David Thoreau, Walden ou la Vie dans les bois, trad. par L. Fabulet, Paris, Gallimard (L’Imaginaire), 1990.
46 « Calling a place home inevitably means that we will use the nature we find in it, for there can be no escape from manipulating and working and even killing some parts of nature to make our home. But if we acknowledge the autonomy and otherness of the things and creatures around us — an autonomy our culture has taught us to label with the word “wild” — then we will at least think carefully about the uses to which we put them, and even ask if we should use them at all. just so can we still join Thoreau in declaring that “in Wildness is the preservation of the World,” for wildness (as opposed to wilderness) can be found anywhere : in the seemingly tame fields and woodlots of Massachusetts, in the cracks of a Manhattan sidewalk, even in the cells of our own bodies », dans ibid., p. 495.
47 « The midlle ground is where we actually live. It is where we — all of us, in our different places and ways — make our homes », dans ibid., p. 490.
48 Nous préférons traduire middle ground par « terrain d’entente » plutôt que par « terrain neutre » (ou ne pas le traduire du tout), contrairement au choix retenu par la traductrice de l’article de William Cronon. Il nous semble qu’il s’agit bien de s’entendre avec la nature, et non de sortir, ni de la nature, ni des espaces urbains, pour s’engager sur un « terrain neutre ». Voir William Cronon, « Le problème de la wilderness », art. cité.
49 On peut se rappeler, de ce point de vue, la première phrase de l’Almanach : « Il y a des gens qui peuvent se passer des êtres sauvages et d’autres qui ne le peuvent pas », Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables. Suivi de quelques croquis, Paris, Flammarion, 2000.
50 « And in “Wilderness”, Leopold attends less to wilderness than to the potential for wildness in the middle landscape, as it is sometimes called, of North America — the rural landscape between densely settled urban areas and the largely unsettled designated and de facto wilderness areas », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), « Introduction », dans John Baird Callicott, Michael P. Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., 1998.
51 « Leopold worked with Wisconsin farmers to grow wild game “crops” ancillary to domesticated crops. In this middle landscape between the streets of the city and the wilderness, Leopold began to think of conservation as harmony between people and land », dans John Baird Callicott, « The Implication of the “Shifting Paradigm” in Ecology for Paradigm Shifts in the Philosophy of Conservation », art. cité, p. 580.
52 John Baird Callicott, « The Implication of the “Shifting Paradigm” in Ecology for Paradigm Shifts in the Philosophy of Conservation », art. cité.
53 « If wildness can stop being (just) out there and start being (also) in here, if it can start being as humane as it is natural, then perhaps we can get on with the unending task of struggling to live rightly in the world — not just in the garden, not just in the wilderness, but in the home that encompasses them both », dans William Cronon, « The Trouble with Wilderness », art. cité, p. 495-496.
54 « Defining our wilderness experience as a quest for the presence of the wild nature, not the absence of humans, creates conceptual space for the interwoven continuum of nature and culture, and for that recognition of the presence of the wild and of the labor of nature we need to make in all our life contexts, both in wilderness and in places closer to home. It is this recognition that should be the aim of a green society and a green economy. And this may also be what we need to help us end the opposition between culture and nature, the garden and the wilderness, and to come to recognize ourselves at last as at home in both », dansVal Plumwood, « Wilderness Skepticism and Wilderness Dualism », art. cité, p. 684.
55 Voir, par exemple, Catherine Mougenot, Prendre soin de la nature ordinaire, Versailles, Éditions Quæ, 2003 ; Jean-Claude Abadie, La nature ordinaire face aux pressions humaines : le cas des plantes communes. Méthodes de suivis et évaluation de l’impact des activités humaines, Paris, Museum national d’histoire naturelle, 2008.
56 Laurent Godet, « La “nature ordinaire” dans le monde occidental », L’Espace géographique, 39/4, 2010, p. 295-308.
57 Ibid.
58 Jacques Lepart, Pascal Marty, « La nature : un antimonde ? », Géographie et cultures, 57, 2006, p. 87-102.
59 Raphaël Mathevet, Camargue incertaine. Sciences, usages et natures, Paris, Buchet-Chastel, 2004.
60 Christian Lévêque et al., « L’anthroposystème : entité structurelle et fonctionnelle des interactions sociétés-milieux », dans Christian Lévêque, Sander Van Der Leeuw (dir.), Quelles natures voulons-nous ? Pour une approche socio-écologique du champ de l’environnement ?, Paris, Elsevier, 2003, p. 110-129.
61 Patrick Blandin, Maxime Lamotte, « Écologie des systèmes et aménagement : fondements théoriques et principes méthodologiques », dans Maxime Lamotte (dir.), Fondements rationnels de l’aménagement du territoire, Paris, Masson, 1985, p. 139-162.
62 Deborah Rabinowitz, « Seven Forms of Rarity », dans Hugh Synge (dir.), The Biological Aspects of Rare Plant Conservation, New York, Riley, 1981, p. 205-217.
63 Jacques Theys, Bernard Kalaora, La terre outragée (les experts sont formels), Paris, Autrement (Sciences en société), 1992.
64 Michel Serres, Les cinq sens. Philosophie des corps mêlés, Paris, Grasset, 1985.
65 Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992.
66 Bernadette Lizet, « De la campagne à la “Nature ordinaire”. Génie écologique, paysages et traditions paysannes », Études rurales, 121-124, janvier 1991, p. 169-184.
67 Yves Luginbühl, « Paysage élitaire et paysages ordinaires », Ethnologie française, 19/3, juillet 1989, p. 227-238.
68 Bernadette Lizet, « De la campagne à la “Nature ordinaire” », art. cité.
69 Alain Roger, « Histoire d’une passion théorique », art. cité.
70 Nous utilisons ici cette distinction sans endosser la thèse selon laquelle les paysans n’ont pas de paysages, seulement des pays.
71 Yves Luginbühl, « Paysage élitaire et paysages ordinaires », art. cité, p. 238.
72 Raphaël Larrère, « Nature, campagne et paysage : des différents regards et de leur légitimité », dans Jean-Pierre Sylvestre (dir.), Agriculteurs, ruraux et citadins. Les mutations des campagnes françaises, Dijon, Educagri Éditions, 2002, p. 193-208.
73 Bernadette Lizet, « De la campagne à la “Nature ordinaire” », art. cité, p. 180.
74 De même que la wilderness exaltait le pionnier, mais occultait l’Indien, voir Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit.
75 Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit.
76 Annik Schnitzler-Lenoble, Jean-Claude Génot, La France des friches. De la ruralité à la féralité, Versailles, Éditions Quæ, 2012, p. 141.
77 François Ramade, Éléments d’écologie. Écologie fondamentale, 4e éd., Paris, Dunod, 2009.
78 À la suite d’Emma Marris, mais en lui donnant un sens assez différent, voir Emma Marris, « Ecology : Ragamuffin Earth », Nature, 460/7254, 22 juillet 2009, p. 450-453.
79 Annik Schnitzler-Lenoble, Jean-Claude Génot, La France des friches, op. cit., p. 11.
80 Ibid.
81 Voir supra.
82 Jean-Claude Génot, La nature malade de la gestion, Paris, Sang de la terre (La pensée écologique), 2008.
83 Annik Schnitzler-Lenoble, Jean-Claude Génot, La France des friches, op. cit., p. 162.
84 Nous reviendrons sur cette question dans le chapitre suivant.
85 Voir le chapitre suivant.
86 Raphaël Larrère, « Préface », dans Annik Schnitzler-Lenoble, Jean-Claude Génot, La France des friches, op. cit., p. 4.
87 Raphaël Larrère, « Préface », art. cité.
88 Gilles Clément, Louisa Jones, Où en est l’herbe ? Réflexions sur le jardin planétaire, Arles, Actes Sud, 2006.
89 Voir Raphaël Larrère, « Préface », art. cité.
90 Sandra Laugier, « L’ordinaire transatlantique », art. cité, p. 171.
91 Christiane Chauviré, « La philosophie comme description de l’ordinaire chez Peirce et chez Wittgenstein », Archives de philosophie, 73/1, 2010, p. 84.
92 Vincent Descombes, La denrée mentale, Paris, Éditions de Minuit, 1995.
93 Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2005.
94 Sandra Laugier, « L’ordinaire transatlantique », art. cité.
95 Ibid., p. 169.
96 Stanley Cavell, Qu’est-ce que la philosophie américaine ? De Wittgenstein à Emerson, trad. par Ch. Fournier, S. Laugier, Paris, Gallimard, 2009.
97 Ralph Waldo Emerson, « Le savant américain » [1834], trad. par Ch. Fournier, Critique, 541-542, 1992.
98 Sandra Laugier, « Emerson : penser l’ordinaire », Revue française d’études américaines, 91, 2002, p. 43-60.
99 Stanley Cavell, Qu’est-ce que la philosophie américaine ?, op. cit.
100 John Baird Callicott, Michael Nelson (dir.), The Great New Wilderness Debate, op. cit., « The Received Wilderness Idea », p. 23-200.
101 Ralph Waldo Emerson, Nature and Selected Essays, New York, Penguin, 1982.
102 Henry David Thoreau, « Walking », The Atlantic Monthly, juin 1862.
103 « Typical of this tone of interpretation is Thoreau with is “tonic of wildness”, but to the men I have come to know his was an understanding that does not begin to cover what they feel. To him the wild meant the pastoral meadows of Concord and Walden Pond, and the joy he had, though unmistakably genuine, did not approach the fierce unquenchable desire of my men of today. For them the out-of-doors is not enough ; nor are the delights of meditation », dans Sigurd Olson, « Why Wilderness ? » [1938], art. cité, p. 98.
104 « While wilderness means escape from the perplexing problems of everyday life and freedom from the tiranny of wires, bells, schedules and opressing responsibility, nevertheless, it may be at first a decided shock and days and even weeks may pass before men are finally aware that the tension is gone », dans ibid., p. 100.
105 Henry David Thoreau, Walden ou la Vie dans les bois, op. cit.
106 « Front yards are not made to walk in, but, at most, through, and you could go in the back way. […] My spirits infallibly rise in proportion to the outward dreariness. Give me the ocean, the desert, or the wilderness ! », dans Id., « Walking », art. cité.
107 « These remind us, that, not only for strength, but for beauty, the poet must, from time to time, travel the logger’s path and the Indian’s trail, to drink at some new and more bracing fountain of the Muses, far in the recesses of the wilderness », dans Henry David Thoreau, The Maine Woods, Princeton, Princeton University Press, 2010, p. 156.
108 Voir au début de ce chapitre.
109 Roderick Nash, « Henry David Thoreau : Philosopher », dans Id., Wilderness and the American Mind, op. cit.
110 Henry David Thoreau, The Maine Woods, op. cit.
111 Id., Walden ou la Vie dans les bois, op. cit.
112 « Everything good in nature and the world is in that moment of transition, when the swarthy juices still flow plentifully from nature, but their astringency or acridity is got out by ethics or humanity », dans Ralph Waldo Emerson, The Conduct of Life, Boston, Ticknor and Fields, 1860.
113 « In providing a philosophic defense of the half-savage, Thoreau gave the American idealization of the pastoral a new foundation. Previously most Americans had revered the rural, agrarian condition as a release both from wilderness and from high civilization. They stood, so to speak, with both feet in the center of the spectrum of environments. Thoreau, on the other hand, arrived at the middle by straddling. He rejoiced in the extremes and, by keeping a foot in each, believed he could extract the best of both worlds. The rural was the point of equilibrium between the poles. According to Thoreau, wildness and refinement were not fatal extremes but equally beneficent influences Americans would do well to blend », dans Roderick Nash, « Henry David Thoreau : Philosopher », art. cité.
114 Sandra Laugier, « L’ordinaire transatlantique », art. cité, p. 172.
115 Id., « Emerson : penser l’ordinaire », art. cité, p. 48.
116 Ibid., p. 46-47.
117 Id., « L’ordinaire transatlantique », art. cité, p. 182.
118 Thème que l’on retrouve chez Michel Foucault, voir Arnold I. Davidson, Foucault and his Interlocutors, Chicago, University of Chicago Press, 1997.
119 Sandra Laugier, « L’ordinaire transatlantique », art. cité, p. 173.
120 Ibid., p. 174.
121 Id., « Emerson : penser l’ordinaire », art. cité, p. 52.
122 Ibid., p. 54.
123 On peut, toutefois, noter la tentative de Philippe Devienne de mener une réflexion sur l’animal en mobilisant les ressources de la philosophie du langage ordinaire, mais elle ne vaut que pour certains animaux dit « supérieurs », voir Philippe Devienne, « L’animal et mon cri. Une approche ordinaire de la douleur animale », dans Jean-Luc Gurchet (dir.), Douleur animale, douleur humaine, Versailles, Éditions Quæ (Update Sciences & Technologies), 2010, p. 107-119 ; Id., Penser l’animal autrement, Paris, L’Harmattan, 2010.
124 « This revolution is to be wrought by the gradual domestication of the idea of Culture. The main enterprise of the world for splendor, for extent, is the upbuilding of a man. Here are the materials strewn along the ground », dans Ralph Waldo Emerson, « The American Scholar », dans Id., Nature and Selected Essays, op. cit.
125 Sandra Laugier, « L’ordinaire transatlantique », art. cité, p. 178.
126 Sur la diversité de la postérité émersonnienne, voir Id., « Essai de synthèse », Revue française d’études américaines, 91/1, février 2002, p. 126-128.
127 Voir la première partie.
128 Localisation de la cabane d’Aldo Leopold depuis laquelle il fait les observations dont il donne le récit dans Almanach d’un comté des sables, op. cit.
129 « LaVallée » est le nom qu’a donné Gilles Clément à un vallon dans la Creuse qu’il parcourait enfant et dont il fait l’acquisition des années plus tard. Sur ce terrain, il expérimenta pour la première fois les méthodes de jardinage qui allaient devenir celles du « jardin en mouvement ».
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