Chapitre 2. De l’enfrichement à la fermeture des paysages : revoir, peut-être, la nature ordinaire
p. 175-202
Texte intégral
1La mise en place d’un discours critique à l’égard des friches est liée historiquement à la « première révolution agricole ». Et, si la représentation négative de ces espaces s’installe durablement, traversant le xixe et le xxe siècle, la lutte contre les friches apparaît progressivement comme moins cruciale à mesure que sont mises en œuvre dans les champs les techniques à l’origine de la « seconde révolution agricole ». Dès lors, en effet, qu’il devient possible d’intensifier encore l’exploitation de l’ager d’une façon telle que l’accroissement de la production permet d’écarter les préoccupations concernant la capacité de l’agriculture à nourrir la population, les crispations sur les espaces incultes ou jugés trop peu productifs tendent à s’estomper et font place à l’indifférence. D’une certaine façon, une fois la rupture consommée, la nature ordinaire des friches tombe dans l’oubli.
2Toutefois, la seconde révolution agricole va, de manière indirecte, provoquer la réapparition de la thématique des friches sur le devant de la scène publique et le renouvellement, en quelque sorte, de la critique qui les vise.
La peur de l’enfrichement
3Objet de représentations sociales négatives depuis le xviiie siècle, la friche va se trouver, plus récemment, c’est-à-dire à partir des années 1960, au centre d’un phénomène social nouveau : l’enfrichement. Dans la France de l’après-guerre, de nombreuses voix émettent, en effet, un avis inquiet sur l’avenir des campagnes. Exode rural, abandon des pratiques traditionnelles, mal-être paysan, etc., autant d’indicateurs qui signalent que l’agriculture est en crise. De ce constat démographique et sociologique pessimiste découle une nouvelle inquiétude : les campagnes ne sont-elles pas en voie de désertification ? La France n’est-elle pas en train de s’enfricher ? Pour la première fois depuis le Moyen Âge, la courbe de l’évolution de la surface agricole utile s’inverse de manière non ponctuelle. « La France part en friche », s’alarme Éric Fottorino et l’emphase refait son apparition :
La France se désertifie autant qu’elle se défigure. […] Il faut arpenter ces landes du centre breton, le sud des Côtes-du-Nord, le nord du Morbihan, où les quelques âmes survivantes semblent s’excuser, tant la présence de l’homme y paraît incongrue1.
4La friche ne renvoie plus simplement à un mauvais usage de la terre, mais devient, plutôt, le symptôme social de la désertification des campagnes. Comme l’écrivent Claude Janin et Lauren Andres :
On passe ainsi d’une friche « mauvais paysan » du dix-neuvième siècle, qui pointe du doigt des individus comme faisant mal leur métier, à une friche « phénomène social » qui révèle et désigne une société qui plus que ses paysages, traiterait mal son agriculture2.
5D’une certaine manière, la friche est liée aux deux dernières grandes périodes de transformation de l’agriculture, la première amorcée au xviiie siècle et la deuxième dans la seconde moitié du xxe siècle. La problématique est, toutefois, différente dans les deux cas : alors que la suppression de la friche-jachère était l’un des leviers de la première révolution agricole, la friche de l’enfrichement est le témoin de la seconde. Comme l’écrit Jean de Montgolfier en 1988 :
La grande différence entre le mouvement actuel d’enfrichement et ceux des époques antérieures tient à leurs causes Ce n’est plus la récession démographique ou économique qui est à l’origine de l’abandon de terres cultivées. Au contraire, ce sont les extraordinaires progrès de productivité de l’agriculture qui entraînent l’abandon des terres les moins rentables3.
6L’enfrichement apparaît, en effet, comme une conséquence directe de la transformation productiviste que connaît l’agriculture française après la Seconde Guerre mondiale – mécanisation généralisée, utilisation massive de produits phytosanitaires, amélioration des semences – qui permettent une augmentation très importante de la productivité à l’hectare. La généralisation de ces innovations techniques va être la cause de l’apparition de nouvelles friches, et ce pour deux raisons. D’une part, la mécanisation incite à pratiquer des remembrements qui laissent de côté des terres inaccessibles aux machines agricoles. D’autre part, l’augmentation de la productivité est telle que la superficie des surfaces cultivées peut être réduite tout en maintenant l’accroissement de la production4.
7De ce point de vue, la modernisation de l’agriculture dans la seconde moitié du xxe siècle réalise pleinement les objectifs fixés par la révolution agricole du xviiie siècle qui visait à augmenter la productivité par l’intensification de la culture des terres arables. C’est ainsi que paradoxalement la conclusion des efforts mis en œuvre pour se débarrasser de la friche la ferait partout renaître. Expulsée des champs sous la figure de la jachère, la friche gagnerait, peu à peu, du terrain et viendrait désormais menacer, de l’extérieur, les espaces agricoles.
8Pire encore, à la fin des années 1980, la friche refait son apparition au sein même des champs. La pratique du « gel des terres » mis en place par la politique agricole commune européenne incite alors les agriculteurs à ne pas cultiver certaines de leurs parcelles, afin de limiter les excédents de production5.
9L’agriculture nouvelle nécessite ainsi moins de terres et moins d’hommes. Dans ce contexte apparaît, sous le nom de « seuil de sociabilité »6, l’idée qu’il existerait une limite démographique en deçà de laquelle un espace serait condamné à décliner et à se transformer en désert. Dans cette veine, Éric Fottorino rapporte les propos suivants de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne : « On est passé en dessous du minimum d’agriculteurs souhaitable pour que l’homme se conduise bien avec la nature7. »
10La friche est désormais le symbole de la mort sociale d’un espace8. Raphaël Larrère constate en 1978 que les habitants du plateau de Millevaches sur lequel il réalise une étude « parlent de leur région comme d’un pays qui se meurt » et il s’interroge en conséquence :
Le plateau de Millevaches va-t-il donc devenir, à plus ou moins brève échéance, un « désert » agricole, couvert de broussailles et de forêts ; un territoire abandonné, ou mal entretenu par des propriétaires absentéistes ? Sommes-nous à la fin d’une histoire9 ?
11Ainsi, la crise agricole qui marque la deuxième moitié du xxe siècle en France ajoute au discrédit des friches. Désormais symptôme social, signe de son absence plutôt que du mauvais travail, celles-ci sont associées aux thèmes de l’abandon, du délaissement ou encore de la désertion. Et, une nouvelle fois, les discours de différents registres, le social et le naturel, s’entrecroisent pour dénoncer ce phénomène d’enfrichement. La progression des friches, le retour du désordre de la nature sous la forme du développement de « végétaux agressifs10 », sont considérés comme des menaces pour l’ordre social. Espaces délaissés, à l’abri des regards, les friches seraient propices au développement d’activités suspectes, voire illégales11.
12Dans ce contexte, des recommandations en matière d’entretien des terres sont adressées aux propriétaires par les pouvoirs publics. C’est, par exemple, une brochure éditée par le ministère de l’Environnement en 1991, intitulée, « La friche de grand-papa. Citadin, voici quelques idées pour entretenir votre terre à la campagne12 ». Le document est destiné aux « citadins » afin de leur donner des conseils pour gérer leur terre à la campagne, le préambule s’adresse aux « heureux propriétaires » d’un terrain, et principalement à ceux qui viennent de l’acquérir. Attirant l’attention de ces derniers sur la nouvelle responsabilité qu’implique cette propriété, les auteurs commencent par les inviter à respecter les « racines du paysage français » en entretenant leur terre pour éviter qu’elle ne se transforme en une « friche impénétrable envahie de ronces », et ce, soit en déléguant cet entretien à un agriculteur local, sans oublier de préciser dans le contrat « oral ou écrit » que celui-ci devra cultiver la terre « en bon père de famille », soit en s’en chargeant personnellement. La brochure ajoute que si le second choix nécessite sans conteste un investissement personnel plus important, les propriétaires en seront toujours récompensés, car :
Retrouver sa terre pour l’entretenir en « bon père de famille » est au-delà d’une obligation légale, un véritable plaisir et, manifestement, un surcroît de richesse intérieure13.
13Nous retrouvons ainsi, dans un premier temps, la constitution de la friche en repoussoir, comme quelque chose qu’il faut à tout prix éviter et, dans un second temps, l’invitation à suivre le modèle de gestion du « bon père de famille ». Rappelant l’obligation légale associée à l’adoption de cette conduite, le texte ajoute que celle-ci permet « manifestement » d’avancer dans ce qui semble être défini comme l’accomplissement d’une vie bonne : la lutte contre la friche revêt, en somme, des enjeux juridiques et moraux.
Les approches paysagères
14Marquant les études rurales de la seconde moitié du xxe siècle, le thème de l’enfrichement va trouver son expression la plus forte dans les approches qui mettent au centre de leurs recherches la notion de « paysage ».
15La fin des années 1960 et les années 1970 voient les recherches « paysagères » se multiplier14.Ainsi que l’écrit Yves Luginbühl, depuis ces années :
L’accord est unanime : la question du paysage connaît un extraordinaire développement sur la scène publique, dans tous les domaines et à toutes les échelles. Évidence dont il est important de souligner les diverses dimensions. Un rappel permet de mesurer la place d’une notion pour les uns, d’un concept pour les autres, d’un slogan pour d’autres : le paysage est présent à la fois dans le champ de l’opérationnel, de la recherche, de l’enseignement, et à des échelles diverses, du local à l’international15.
16Ainsi, si la notion de paysage fait l’objet d’un engouement indéniable, celui-ci ne doit pas cacher la très grande diversité qui caractérise les façons de l’appréhender. Cette multiplicité tient, en partie, à la nature diverse des disciplines qui se sont saisies du concept de paysage, la géographie16 bien sûr, l’histoire17, l’histoire et la philosophie de l’art18, mais aussi l’écologie19, la philosophie20, la sociologie21, ou encore l’économie22. Et, dans ces cadres conceptuels très différents, les références communes au terme de paysage renvoient souvent, en réalité, à des réflexions théoriques sur des objets qui ont peu de choses en commun. Pour le dire simplement, le paysage de l’écologue n’est pas celui de l’historien de l’art, pas plus qu’il n’est celui du géographe ou du sociologue.
Le paysage entre approches naturaliste et culturaliste
17S’en tenir à la simple juxtaposition des approches paysagères développées au sein de chacune de ces disciplines conduirait à manquer l’existence de points de rencontre entre ces différentes réflexions, qui sont aussi souvent des points de friction. Quelques grandes oppositions structurent, en effet, le champ des études paysagères. La principale met en jeu deux conceptions qui semblent s’opposer : l’une fait du paysage un objet naturel, un fragment de nature, que l’on peut observer et qui est doté d’une existence objective ; l’autre le définit comme une représentation culturelle, de ce point de vue le paysage n’est pas une réalité naturelle, mais une construction subjective. Une ligne partagerait, autrement dit, les théories selon qu’elles développent une conception naturaliste ou culturaliste du paysage. Pour les unes, le paysage est naturel tandis que pour les autres, il est construit selon des règles culturelles ou artistiques23.
18Pour les tenants de l’approche culturaliste, le paysage est avant tout une forme artistique. C’est en ce sens qu’Alain Roger affirme que « tout paysage est un produit de l’art, d’une artialisation24 ». Et, afin de marquer ce qui le distingue d’une approche naturaliste, le philosophe mobilise une distinction entre pays et paysages25, qu’il introduit par analogie avec le couple « nudité-nus ». Il écrit sur ce point :
Et c’est ainsi que je parvins à remplir la case vide de mon dispositif conceptuel : à la dualité « Nudité-Nu », je décidai en effet d’associer le couple « Pays-Paysage », emprunté à René-Louis De Girardin, le créateur d’Ermenonville : « Le long des grands chemins, et même dans les tableaux des artistes médiocres, on ne voit que du pays ; mais un paysage, une scène poétique, est une situation choisie ou créée par le goût et le sentiment26. » Il y a « du pays », mais des Paysages, comme il y a de la nudité et des Nus. La nature est indéterminée et ne reçoit ses déterminations que de l’art : « du pays » ne devient un paysage que sous la condition d’un Paysage, et cela, selon les deux modalités, libre et adhérente, de l’artialisation27.
19Et Alain Roger poursuit un peu plus loin en expliquant notre tendance à la naturalisation des paysages de la façon suivante :
Le « pays », c’est, en quelque sorte, le degré zéro du paysage, ce qui précède l’artialisation, directe (in situ) ou indirecte (in visu). Mais les paysages nous sont devenus si familiers, si « naturels », que nous avons accoutumé de croire que leur beauté allait de soi ; et c’est aux artistes qu’il appartient de nous rappeler cette vérité première : qu’un pays n’est pas, d’emblée, un paysage, et qu’il y a, de l’un à l’autre, toute l’élaboration, toute la médiation de l’art28.
20Le paysage n’adviendrait donc que par la médiation artistique. Dans sa version forte, l’approche culturaliste nie l’existence de quelque chose comme un paysage naturel, au sens d’une nature qui formerait paysage. Alain Roger condamne ainsi fermement l’artiste qui envisagerait sa tâche sous la modalité de la répétition de la nature :
L’artiste, quel qu’il soit, n’a pas à répéter la nature – quel ennui, quel gâchis ! –, il a pour vocation de la nier, de la neutraliser, en vue de produire les modèles qui nous permettront, à rebours, de la modeler. « Je rature le vif », écrivait Valéry : il s’agit, d’abord, de raturer la nature, de la dénaturer, pour mieux la maîtriser et nous rendre, par le processus artistique aussi bien que le progrès scientifique, « comme maîtres et possesseurs de la nature »29.
21Alain Roger fait sienne, de ce point de vue, la critique que Charles Baudelaire, déjà, avait développée à l’encontre des peintres paysagistes de son temps, ces « animaux beaucoup trop herbivores » qui, peignant la nature de trop près, oublient de composer des paysages. Le poète et critique d’art écrivait :
Si tel assemblage d’arbres, de montagnes, d’eaux et de maisons, que nous appelons un paysage, est beau, ce n’est pas par lui-même, mais par moi, par ma grâce propre, par l’idée ou le sentiment que j’y attache. C’est dire suffisamment, je pense, que tout paysagiste qui ne sait pas traduire un sentiment par un assemblage de matière végétale ou minérale n’est pas un artiste. […] Les artistes qui veulent exprimer la nature, moins les sentiments qu’elle inspire, se soumettent à une opération bizarre qui consiste à tuer en eux l’homme pensant et sentant30 […].
22L’affirmation que le paysage est un pur produit de l’art est, en outre, associée à l’idée selon laquelle il existerait des sociétés paysagères et d’autres qui ne le sont pas, autrement dit que le paysage est une forme de représentation du monde qui n’est apparue qu’au sein de certaines cultures. Selon le géographe Augustin Berque, seules deux civilisations auraient réuni les quatre critères permettant, selon lui, de les qualifier de paysagères, à savoir l’usage d’un ou plusieurs mots pour dire « paysage », une littérature (orale ou écrite) décrivant des paysages ou chantant leur beauté, des représentations picturales de paysages et de jardins d’agrément et, enfin, de jardins d’agrément. C’est ainsi que Augustin Berque écrit :
Les grandes civilisations ont toutes présenté au moins l’un des trois derniers. Seules deux d’entre elles, dans l’histoire de l’humanité, ont présenté l’ensemble des quatre critères, et notamment le premier : la Chine à partir du ive siècle de notre ère, et, mille deux cents ans plus tard, l’Europe à partir du xvie siècle31.
23Concernant l’Europe, les liens entre l’avènement de la modernité et l’apparition de la peinture de paysage ont été assez largement analysés32. Le paysage naît en même temps que le sujet moderne se met à distance du monde et en géométrise la représentation. Rappelant la thèse d’Erwin Panofsky33, Augustin Berque résume :
Ce n’est pas un hasard si, en Europe, la découverte du paysage en peinture et la mise au point de la perspective linéaire sont contemporaines. Elles témoignent en effet qu’au xve siècle un certain regard sur le monde s’est instauré en Europe. Un regard qui prend du recul par rapport aux choses, les toise (i.e. les mesure), et les institue peu à peu en un environnement objectif, abstrait du sujet. En ce sens, la perspective, comme la célèbre thèse de Panofsky l’a mis en lumière, aura été la « forme symbolique » de l’émergence du sujet moderne.
24Corrélativement, la découverte du paysage aura été la forme symbolique de l’émergence du monde moderne, objectifié sous le regard de ce sujet34.
25Ainsi, apparue historiquement dans certaines régions du globe, la forme paysagère ne serait pas une forme universelle de représentation du monde35.
26En outre, l’approche culturaliste du paysage peut se montrer plus restrictive encore, quant à l’extension du regard paysager. Si le paysage est le produit de l’art, sa création requiert une forme de compétence artistique ou culturelle. « La perception d’un paysage exige et du recul et de la culture36 », affirme, en ce sens, Alain Roger. Autrement dit, tous les individus dans les « civilisations paysagères » ne seraient pas capables de « faire paysage ». Il faudrait ainsi distinguer entre les regards cultivés qui font les paysages et ceux qui ne voient que du « pays ». De ce point de vue, certains individus, en particulier les paysans, seraient trop proches « du pays » pour le transformer par la médiation de l’art ou de la culture en « paysage ». Le paysage échapperait donc aux paysans.
27La thèse culturaliste revient ainsi à encadrer assez étroitement l’usage du terme de paysage37. Ce faisant, elle définit en creux les approches « naturalistes » qu’elle refuse de qualifier de paysagères. Les tenants du culturalisme s’opposent à ce qu’ils considèrent comme une réduction, qu’elle soit géographique, réduisant les paysages à des géosystèmes, ou écologique, les ramenant à des écosystèmes38. C’est dans ce sens qu’Augustin Berque affirme que « l’étude paysagère est […] autre chose qu’une morphologie de l’environnement39 ». Et c’est précisément pourquoi, selon ces auteurs, certaines disciplines comme la géographie physique ou l’écologie se trompent quand elles croient pouvoir se saisir des paysages. À propos de cette dernière, Alain Roger écrit :
Lorsque le biologiste Haeckel (1866) invente le mot Oekologie, c’est un concept scientifique qu’il veut produire. Lorsque Möbius (1877) forge le concept de biocénose, et Tansley (1935) celui d’écosystème, qui va bientôt féconder toutes les théories de l’environnement, ce sont des préoccupations scientifiques qui animent ces pionniers, et je ne vois pas comment de tels concepts seraient applicables au paysage, sinon par une réduction de ce dernier à son socle naturel. Il convient donc de distinguer systématiquement ce qui a trait au paysage et ce qui relève de l’environnement40.
28La réflexion sur le paysage se démarquerait ainsi, d’une part, de l’immédiateté des rapports entre un pays et ses habitants et, d’autre part, de l’analyse scientifique de systèmes naturels, ou socio-naturels.
29De fait, au regard du projet de recherche que définit l’écologie des paysages qui apparaît dans les années 1980, il faut bien constater que l’objet de cette nouvelle sous-discipline est assez éloigné du paysage en tant que forme artistique. En témoigne la description des objectifs de l’écologie des paysages proposée par Odile et Henri Décamps, qui écrivent :
L’« écologie du paysage » a une tout autre ambition : celle de mieux comprendre, à la place qui est la sienne, comment la structure de l’espace qui nous entoure interfère avec les processus qui animent la dynamique des populations, des communautés et des écosystèmes41.
30Il s’agit donc, de façon générale, d’étudier comment la structure de l’espace influence les processus écologiques qui s’y déroulent. De ce point de vue, le paysage n’est plus du tout appréhendé comme une représentation artistique, mais comme un niveau d’organisation des systèmes écologiques. Objet d’études scientifiques, le paysage existe en deçà des constructions subjectives et peut être caractérisé par un ensemble de données mesurables. Françoise Burel et Jacques Baudry définissent la notion de la façon suivante :
C’est un niveau d’organisation des systèmes écologiques, supérieur à l’écosystème ; il se caractérise essentiellement par son hétérogénéité et par sa dynamique gouvernée pour partie par les activités humaines. Il existe indépendamment de la perception42.
31Dans l’approche écologique, le paysage existe indépendamment de la représentation que l’on peut s’en faire. De ce point de vue, elle prend à rebours les affirmations de l’approche culturaliste. Et l’on voit très bien ce qui distingue la représentation artistique d’un lieu de l’analyse scientifique des organisations systémiques qui s’y trouvent. Construction subjective d’un paysage culturel, d’un côté, étude objective d’un paysage naturel, de l’autre, les deux approches semblent, en effet, entièrement étrangères l’une à l’autre.
Pour un pluralisme des approches
32Une expression pose toutefois problème dans la présentation schématique que nous venons de donner, celle de paysage naturel. Celle-ci sous-entend que l’écologie des paysages s’intéresse à des systèmes naturels, et exclusivement naturels, autrement dit qu’elle exclut les actions de l’homme du champ de ses recherches. C’est cette définition du paysage, non comme un agencement humain, mais comme une organisation naturelle qui caractériserait la « position naturaliste ». Or, c’est très précisément contre la tendance de la science écologique à se désintéresser des interactions entre les sociétés humaines et les processus naturels que l’écologie des paysages s’est constituée. C’est ce que précisent Françoise Burel et Jacques Baudry :
Lorsque l’écologie des paysages a émergé dans les années 1980, l’objet d’étude des écologues s’est différencié de l’écosystème non seulement par son hétérogénéité, mais aussi par la place des activités humaines dans sa dynamique et dans l’émergence des problèmes environnementaux. Le paysage est la résultante d’une confrontation continue entre la société et son milieu43.
33Les paysages naturels sont façonnés par les hommes, il n’y aurait donc pas lieu d’opposer approches naturalistes et culturalistes. Odile et Henri Décamps écrivent ainsi à propos de l’ambition de l’écologie des paysages :
Cette ambition s’appuie sur deux idées-forces : d’une part, on ne saurait sous-estimer l’influence de l’espace dans les rapports que les êtres vivants développent entre eux et avec leur milieu ; d’autre part, on ne saurait séparer ce qui serait « la nature » d’un côté et « l’homme et la société » de l’autre44.
34Certes, pourrait objecter un partisan de l’approche culturaliste comme Alain Roger, les hommes façonnent les espaces dans lesquels ils vivent, y compris les espaces que l’on qualifie de naturels, mais cela ne suffit pas pour dire qu’ils produisent des paysages. Pour cela, il faudrait qu’ils les « artialisent », d’une artialisation non plus in visu (dans et par le regard), comme dans le cas du peintre qui crée un paysage sur une toile, mais in situ (sur le terrain45). Cette création in situ n’est pas impossible, elle peut être le fruit du travail des jardiniers ou d’un artiste comme dans le cas du land art, mais elle est loin d’être la forme la plus courante d’action des hommes sur leur environnement. La production in situ d’un paysage reste l’apanage des artistes. De ce point de vue, l’écologie peut bien étudier la manière dont les paysans, entre autres, façonnent leur pays, il n’y sera toujours pas question de paysage.
35Mais la distinction nous semble cette fois plus ténue. Qu’est-ce qui distingue si radicalement l’action du jardinier qui plante un arbre dans un parc de celle d’un paysan qui fait de même en bordure de son champ ? On peut bien sûr opposer deux intentions de nature différente, l’une esthétique, l’autre utilitaire. Mais s’en tenir à cette opposition tranchée ne revient-il pas à réduire de façon abrupte la diversité des motifs d’action qui peuvent animer les paysans ? Il est douteux qu’aucune considération esthétique ne soit prise en compte par ces derniers dans la façon dont ils agencent l’espace agricole. C’est ce que soutient Raphaël Larrère, écrivant :
Cette argumentation ne me paraît pas convaincante. Ne peut-on pas postuler que toute culture a une esthétique ? Si les sauvages amérindiens ou les peuplades africaines « artialisent » leur nudité, comme le dit Alain Roger, en la sculptant, en la peignant, en l’ornant de plumes ou de fleurs, les Grecs anciens en la fardant et la drapant pourquoi les paysans de nos contrées n’auraient-ils pas tenté d’orner, tant les paysages qu’ils ont formés, que les maisons qu’ils ont bâties ? Au nom de quoi refuser qu’ils aient eu des motivations, des aspirations esthétiques ? Certes, nous ne les connaissons pas : nous jugeons leurs actions sur leurs effets (un paysage), nous ne pouvons les juger sur leurs intentions. Est-ce une raison suffisante pour voir dans tout paysage rural l’œuvre d’une « main invisible », et non celle des paysans qui l’ont façonné ?46
36Et il poursuit :
Je me refuse à croire que la disposition des marais salants de l’île de Ré, l’organisation de l’airial landais, le bocage normand, la disposition des bosquets et des arbres isolés des collines du Gers ne doivent rien à une aspiration esthétique, éventuellement mimétique. Il ne me semble même pas totalement exclu que l’on ne puisse induire des discours que les ruraux tiennent sur ce qu’ils voient de leur pays et sur les paysages d’autres lieux (ruraux ou urbains), de leur attitude vis-à-vis des modifications de leur territoire, quelques schèmes en continuité avec les conceptions esthétiques des paysans de jadis. À condition bien sûr de les écouter et de savoir décrypter leur propos47.
37Refuser d’exclure la possibilité que les rapports des paysans à leur environnement aient une dimension esthétique invite, en somme, à décloisonner les discours sur le paysage. Cette idée permet d’envisager, au-delà des perspectives et des cadres conceptuels distincts qui les caractérisent, un dialogue possible entre les approches paysagères. Il ne s’agit pas de réduire leurs différences – le paysage de l’écologie reste très différent de celui de la théorie artistique, qui n’est pas non plus celui que considèrent ses habitants –, mais de reconnaître que ces différentes approches ne sont pas aussi unidimensionnelles que ne le laisse à penser un schéma cloisonné qui inscrit chacune des disciplines paysagères dans une voie bien délimitée, définie par des méthodes et des objets trop étrangers les uns aux autres pour dialoguer. Des points de rencontre peuvent alors apparaître, des dimensions se recouper. Ainsi, le discours artistique sur un paysage peut croiser des logiques paysannes d’agencement de l’espace agricole, que l’écologie, qui s’intéresse aux interactions entre la société et les systèmes naturels, doit prendre en compte.
38Dès lors, plutôt que de s’en tenir à une division des tâches par trop rigide, à l’écologie l’étude des écosystèmes ou des mosaïques d’écosystèmes, aux paysans et autres « gens du cru » le façonnage des pays, à l’art enfin la création des paysages, il s’agit d’opter pour une forme de pluralisme qui reconnaît l’existence d’une diversité de regards sur le paysage, sans chercher à les réduire les uns aux autres. C’est en ce sens que Raphaël Larrère décrit l’existence de trois grands types de regard sur les paysages : les regards formés ou artistiques, les regards informés ou scientifiques et, enfin, les regards initiés portés par les personnes qui y vivent48. Soutenir cette thèse pluraliste, c’est défendre l’idée que « la richesse des questions relatives au paysage tient justement au fait que ces regards se croisent, s’opposent, se superposent, parfois même s’hybrident49 ». Elle invite, autrement dit, à dépasser les revendications de légitimité exclusives et à permettre l’expression d’une pluralité de voix au sein de débats publics sur les paysages.
39Ce dialogue entre les disciplines, et plus largement entre tous les acteurs concernés, est, à n’en pas douter, bien souvent conflictuel. Les critères de jugement, esthétiques, écologiques, utilitaires, sont parfois difficiles à concilier. L’exemple classique que l’on met en avant pour souligner les difficultés auxquelles peuvent se heurter de tels débats est celui d’environnements très dégradés d’un point de vue écologique, mais que l’on peut juger par ailleurs d’une grande beauté – les marées vertes en Bretagne ne sont pas nécessairement inesthétiques. À ce propos, Bernard Lassus écrit :
Il y a une différence, une irréductibilité d’une eau propre à un paysage. On peut très facilement imaginer qu’un lieu pollué fasse un beau paysage, et qu’à l’inverse un lieu non pollué ne soit pas nécessairement beau50.
40Toutefois, ces exemples de points de vue contradictoires ne nous semblent pas signifier l’impossibilité du dialogue. Ils témoignent, certes, du fait qu’il faudra parfois se résoudre à l’existence de désaccords persistants entre certains acteurs des paysages, mais cela ne montre en aucun cas le caractère vain d’un tel dialogue. La valeur du pluralisme ne tient pas seulement à sa capacité à produire des accords entre des opinions divergentes, mais aussi à la façon dont il permet aux conflits et aux désaccords persistants de s’exprimer.
41Nous allons voir que cette question du pluralisme est au centre de la problématique qui traduit le phénomène d’enfrichement dans un cadre conceptuel « paysager » et qui renvoie à l’expression de « fermeture des paysages ».
De la fermeture des paysages à l’ouverture à la nature ordinaire
La fermeture des paysages
42Le développement des études paysagères, dans le dernier quart du xxe siècle, est contemporain de l’apparition sur la scène publique de la thématique de l’enfrichement des campagnes. Autrement dit, c’est au moment où, sous l’effet de la seconde révolution agricole, ils se transforment rapidement que les paysages font l’objet d’un nombre d’études croissant. C’est, en partie, que les approches paysagères proposaient un cadre conceptuel particulièrement propice pour analyser des problématiques telles que le développement des friches, les boisements des terres, ou encore la diminution de la surface agricole utile. Dans ce contexte, une expression va s’imposer, celle de « fermeture des paysages ».
43L’expression apparaît véritablement à la fin des années 1970. Ce sont, d’une part, deux études collectives de paysagisme d’aménagement – une étude sur les Vosges dirigée par Jacques Sgard51 en 1976 et une autre sur la région grenobloise menée par Bernard Fischesser52 en 1977 – et, d’autre part, un programme de recherches pluridisciplinaires développé par l’Inra53 qui vont la populariser54. La thèse de la fermeture des paysages est formée dans ces études comme un équivalent spatial de la théorie des seuils de sociabilité, l’idée étant qu’à partir d’un certain seuil de fermeture, c’est-à-dire d’enfrichement, un espace serait condamné à se fermer complètement. Sophie Le Floch résume ainsi la thèse défendue :
Bernard Fischesser et al. tentent de théoriser et de calculer la « fermeture du paysage ». Bien que se gardant de toute naïveté à l’égard de la théorie du nombre d’or, ils considèrent qu’elle peut toujours servir pour des « aménagements paysagers qui veulent rapporter harmonieusement des pleins à des vides (forêt et espaces ouverts), des verticales à des horizontales, etc. ». En particulier, les proportions toutes « théoriques et idéalistes et très approximatives » de 2/3 de la surface au sol occupée par la forêt et 1/3 de la surface ouverte, issues de la règle du nombre d’or, « peuvent servir de guide dans un aménagement paysager ». Ceci serait corroboré par les observations empiriques des « anciens forestiers », pour qui cet « équilibre » était juste, tant pour des raisons physiques qu’économiques ou encore subjectives : cela correspond à la « perception intuitive d’une harmonie entre espaces ouverts et espaces fermés ». Nous pouvons penser que le chiffre de seuil de fermeture de 60 %, avancé ultérieurement, trouve son origine dans ce raisonnement55.
44De ce point de vue, il apparaît que la thèse de la fermeture des paysages s’appuie sur des sources assez variées, mobilisant des arguments artistiques, scientifiques, mais aussi, comme nous allons le voir, plus pragmatiques.
45La question de la fermeture des paysages obtient un écho important dans le monde agricole. C’est que, comme l’indique le titre de la seconde étude fondatrice que nous avons évoquée, Pays, paysans, paysages dans les Vosges du Sud, elle met l’accent sur les liens qui associent la transformation des paysages et les activités agricoles. Les paysans apparaissent, en effet, comme les premiers acteurs susceptibles de contribuer au maintien des espaces ouverts. La poursuite, voire le rétablissement, des pratiques pastorales dans les régions rurales défavorisées est, en ce sens, décrit comme l’un des leviers d’action – pas le seul56 – contre le « mitage57 » ou l’obstruction complète des paysages58. De ce point de vue, le thème de la fermeture des paysages inscrit l’agriculture au cœur des projets d’aménagement des espaces concernés. C’est ainsi que dans un ouvrage collectif, précisément intitulé Quels paysages avec quels paysans ?, il est affirmé en introduction que :
Le paysage apparaît comme un médiateur entre la société et l’agriculture. Il est une façade visuelle, une vitrine du métier d’agriculteur59.
46Les préoccupations concernant la conservation des milieux ouverts conduisent, en quelque sorte, à la reconnaissance du travail paysager des paysans. Ajoutons que pour ces derniers, la question de la fermeture ne concerne pas simplement la survie de leurs activités économiques, mais engage bien également une dimension esthétique. C’est ce qu’expriment les propos d’un éleveur recueillis par Céline Granjou et Isabelle Mauz :
« Et heureusement qu’on est restés quelques paysans hein, si le village et les environs est encore, reste beau, c’est bien grâce aux paysans hein ; si y avait pas les paysans, ça serait la friche quoi, comme dans certaines communes60. »
47Les paysans mettent ainsi en avant le rôle qu’ils jouent dans la lutte contre l’enfrichement et contre la fermeture des paysages61.
48Par ailleurs, la question de la fermeture des paysages va également pénétrer l’écologie scientifique sous l’angle de la thématique de la biodiversité. Un certain nombre de recherches vont, en effet, montrer que les paysages ouverts sont, en règle générale, plus riches en biodiversité que ceux fermés62. De sorte que la lutte contre la fermeture des paysages acquiert un enjeu écologique. Et, à partir du milieu des années 1990, le maintien de leur ouverture tend à s’imposer en Europe comme objectif important dans les politiques de protection de l’environnement63.
49Ainsi, sous la figure de l’opposition à la fermeture des paysages, la France de la fin du xxe siècle verrait se réactualiser la lutte contre la friche. Et, l’emphase semble à nouveau de rigueur : la friche est une « lèpre qui dévore le paysage64 », elle efface les contours, dissout la hiérarchie des espaces et provoque des impressions d’abandon, d’isolement, d’étouffement65. L’apparition de la thématique de la fermeture des paysages ajouterait encore à la charge émotionnelle négative portée par les friches66.
L’ouverture à la nature ordinaire
50Il y aurait ainsi, depuis la fin du xviiie siècle, une certaine constance dans la critique formulée à l’encontre des espaces en friche. Que ce soit sous le visage de l’inculte, de l’abandon ou plus récemment de la fermeture des paysages, la friche, est, en effet, chaque fois la cible des discours faisant état des crises qui frappent les campagnes. Cette préoccupation semble systématiquement redoubler pendant les périodes de grandes transformations des espaces ruraux : l’histoire du discrédit des friches aurait ainsi deux acmés, correspondant respectivement aux première et deuxième révolutions agricoles. Toutefois, la continuité apparente entre les deux discours, disons pour les nommer simplement entre la critique de la friche « mauvais paysan » et la critique de l’enfrichement comme fermeture des paysages, exige d’être examinée plus attentivement. Formulés dans des contextes distincts, renvoyant à des transformations des campagnes dissemblables, ces discours, qui, d’un point de vue terminologique, prennent la même cible, contiennent, en effet, des propositions qui diffèrent sensiblement. Pour clarifier ce point, il nous faut revenir plus en détail sur les descriptions de fermeture des paysages.
51Nous avons jusqu’ici essentiellement décrit les paysages qui se ferment, d’un point de vue visuel, par la représentation d’espaces qui se couvrent, peu à peu, de taches sombres. C’est cette progression du foncé sur le clair qui donnerait à voir le processus d’enfrichement. Nous allons essayer de caractériser de façon plus précise ces catégories du vert clair et du vert foncé. Du point de vue de l’écologie des paysages, un paysage ouvert se définit, quant à son apparence, par la prédominance des taches de cultures et de prés, ou de tout autre type de végétation basse, sur les taches boisées. En ce sens, Jacques Lepart et ses collègues écrivent :
En écologie, les formations végétales sont d’autant plus ouvertes que plus de lumière atteint les strates basses de la végétation : les paysages ouverts sont constitués par des cultures, prairies, pelouses, tourbières, steppes, toundras… et les paysages fermés dominés par la forêt67.
52Et ils ajoutent :
En Europe, les paysages ouverts ont généralement été aménagés et entretenus par les sociétés qui ont favorisé les premiers stades des successions végétales par la mise en culture, le pâturage, la fauche, les incendies… Plus rarement, ils sont liés soit à des perturbations naturelles (inondations, incendies, chablis, herbivores sauvages…), soit à des contraintes climatiques ou édaphiques empêchant l’installation des arbres ou limitant leur survie : pelouses alpines, tourbières hautes, landes sur serpentines, marais et enganes littoraux68…
53De cette description, nous pouvons tirer deux points essentiels quant aux compositions respectives des catégories du vert clair et du vert foncé. Le premier est que les paysages ouverts sont composés, certes, des espaces cultivés, mais aussi d’un ensemble d’espaces dominés par les « premiers stades des successions végétales » (pelouses, tourbières, steppes, toundras, landes, marais ou autres enganes), autrement dit, des espaces qui tombaient sous le coup de la critique des friches telle qu’elle fut formulée à partir de la fin du xviiie siècle. Le second point est que ce qui caractérise le mieux les paysages fermés, ce sont les espaces boisés, et non les friches. De ce point de vue, c’est l’arbre, non la friche, qui est le moteur véritable de la fermeture des paysages.
54Ces définitions sont tout à fait cruciales, car elles renversent la lecture que nous avons initialement décrite, qui situait la lutte contre la fermeture des paysages dans la continuité de la volonté de faire disparaître l’inculte des campagnes au profit des cultures d’une part, et de la forêt d’autre part. Il y a de l’inculte ouvert ou semi-ouvert – plus ouvert en tout cas que la forêt –, et, par conséquent, des espaces qui ne relèvent ni de l’ager, ni de la silva, et qu’il faudrait conserver. Une nouvelle fois, c’est avant tout contre le boisement, non contre l’enfrichement, qu’il faudrait lutter pour maintenir les paysages ouverts.
55De fait, si l’on observe les transformations dans l’occupation du sol et des paysages qu’ont connues les campagnes françaises dans la seconde moitié du xxe siècle, il apparaît que l’un des processus les plus marquants, outre le recul des terres agricoles et l’artificialisation des sols, est l’expansion de la forêt. En progression lente pendant plus d’un siècle – la superficie boisée était de 10 millions d’hectares en 1830, elle est de 11 millions en 1945 –, l’occupation des sols par les forêts et les bois augmente de 5 millions d’hectares entre 1945 et 199969. Parallèlement, de 1950 à 2010, la superficie agricole utilisée passe de 34407000 à 29147000 hectares70, soit une diminution de plus de 5 millions d’hectares. S’il y a ainsi incontestablement une diminution de l’empreinte agricole sur le territoire, celle-ci se fait au profit des espaces urbanisés71 d’une part, mais aussi au profit de la forêt d’autre part. C’est ce que confirme le fait que les espaces classés dans la catégorie landes et friches régressent72. Il est difficile de donner des chiffres précis de cette diminution dans la mesure où le classement des terres en friche fluctue selon les études : les friches sont, en effet, parfois classées dans les « sols naturels » à l’instar des surfaces boisées, d’autres fois dans les terres agricoles non cultivées, d’autres fois encore avec les landes au sein d’une catégorie qui leur est propre. Toutefois, les différentes données s’accordent à montrer un recul de ce type d’espace. Une synthèse issue de la statistique agricole annuelle indique, par exemple, que le territoire agricole non cultivé est passé de 5,7 millions à 3 millions d’hectares entre 1950 et 199473. À partir des années 1990 et grâce à des améliorations techniques, les statistiques ciblant les friches à proprement parler sont plus nombreuses. Et, les données témoignent toutes d’un recul sensible des friches et des landes : de 1992 à 2004, celles-ci ont perdu 396700 hectares74 ; une autre série confirmait déjà cette tendance indiquant que de 1992 à 1998, les mêmes espaces ont reculé de 234000 d’hectares75.
56Pourtant, l’on continue dans le même temps à affirmer que les paysages agricoles reculent devant les landes et les friches76 d’une part, et l’urbanisation d’autre part. Comment les campagnes peuvent-elles s’enfricher alors même que la proportion du sol occupée par les friches se réduit ? Le paradoxe n’est qu’apparent, objectera-t-on, car si l’on peut continuer à parler d’enfrichement alors même que les friches reculent dans les données de la statistique agricole, c’est simplement parce qu’on ne distingue pas entre la transformation d’une terre en une friche, proprement dite – c’est-à-dire telle qu’elle est définie dans les catégories statistiques –, et le boisement d’une terre. Or, dans nos régions tempérées, les friches tendent à se boiser naturellement. C’est ce que confirment les données agricoles : la forêt gagne sur les terres incultes et les friches77. De 1993 à 1999, par exemple, l’extension des sols boisés s’est faite, en moyenne, à raison de 51000 hectares par an et, sur ces 51000 hectares, 42000 hectares étaient anciennement des friches, des landes ou des maquis78. Le paradoxe d’un enfrichement qui fait disparaître la friche s’expliquerait donc bien par le fait que celui-ci conduit la plupart du temps, à moyen terme, à un boisement.
57Mais ce que cet argument du devenir naturel des friches passe sous silence, c’est ce que la progression de la forêt doit aussi aux boisements intentionnels, effectués par les forestiers et par les propriétaires de terrains non cultivés. Comme nous l’avons rappelé, tout au long du xixe et du xxe siècle, l’administration forestière française s’est efforcée d’étendre les surfaces boisées dans les campagnes, en gagnant notamment sur les communaux79. L’opposition constante des paysans a pendant longtemps mis en échec cette volonté étatique. Mais, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la déprise agraire offre les conditions propices à un reboisement massif, piloté par le Fonds forestier national créé en 1946. C’est dans ce contexte que la surface boisée s’est fortement accrue. Si elle n’a pas provoqué la crise agraire de l’après-guerre, l’administration forestière a su saisir les opportunités de reboisement offertes par celle-ci et est, ainsi, venue renforcer le phénomène de reboisement « naturel »80.
58Les premiers discours sur la fermeture des paysages, dans les années 1970, apparaissent donc après une vingtaine d’années durant lesquelles l’administration forestière a favorisé les reboisements sur les terres laissées libres par la déprise agricole. De ce point de vue, le discours qui décrit la façon dont la friche, symbole d’un retour non contrôlé de la nature sur les terrains anciennement cultivés, menace nos paysages de fermeture masque une réalité bien plus complexe. Si le boisement d’espaces abandonnés est bien un phénomène réel, il n’est peut-être pas tant le fruit du retour de la nature que le résultat attendu, sinon activement recherché par des plantations, de la part de propriétaires qui perçoivent l’avantage du reboisement de leurs terres81. C’est alors que la mobilisation des thématiques de l’enfrichement et de la désertification peut se montrer stratégique. Comme l’écrit Raphaël Larrère :
Nous ne sommes plus au temps où les forestiers pouvaient voir dans la progression de l’inculte une révélation de la vocation naturelle ; où ils proposaient de se mettre à l’école de la végétation spontanée pour reconstituer l’équilibre écologique d’une région. La nature sauvage sans appropriation humaine est désormais perçue comme élément hostile. Elle symbolise la faillite de la société et de ses efforts de mise en valeur. Elle est assimilée au désert. Et le désert c’est la mort d’un pays, c’est un espace incontrôlé et inquiétant (refuge des bêtes sauvages, voire même des réprouvés, des asociaux). Compte tenu des connotations courantes du terme, parler de désertification, c’est aujourd’hui condamner sans appel – et sans autre analyse – l’évolution des choses. C’est proclamer l’inéluctable fin de la société rurale. C’est justifier l’urgence, l’impérieuse nécessité d’une nouvelle forme d’appropriation et de mise en valeur de l’espace. La crainte du désert, s’organisant au cœur même de la civilisation, renforce le pouvoir de conviction de tout projet, justifie toute intervention, discrédite le point de vue de ceux d’entre les habitants qui tenteraient de résister aux mutations économiques et sociales qui « s’imposent »82.
59Mais c’est aussi de ce point de vue qu’il apparaît que les actions menées au nom de la lutte contre la désertification agricole peuvent s’opposer au maintien des paysages ouverts. Si substituer un bois à une friche peut constituer une façon de lutter contre l’enfrichement, c’est aussi une manière de contribuer à la fermeture des paysages. Autrement dit, le reboisement qui était l’un des leviers de la lutte contre l’inculte fait désormais partie intégrante du problème.
60D’une certaine façon, l’apparition de la thématique de la fermeture des paysages conduit, en réalité, à la remise en cause du partage binaire des campagnes entre l’arbre et le champ, qu’avaient voulu et orchestré les forestiers et les agronomes jusque dans les années 1970. La définition d’objectifs en matière de maintien de l’ouverture des paysages permet de donner de la valeur à des espaces qui ne sont ni intensivement cultivés, ni boisés. Il s’agit, en somme, de requalifier dans les paysages les terrains sur lesquels se développent des formations végétales spontanées qui, pour des raisons naturelles, climatiques, édaphiques ou liées aux activités humaines, se maintiennent dans les premiers stades des successions végétales. De ce point de vue, la lutte contre la fermeture des paysages peut se traduire par la volonté de voir renaître une forme de saltus.
61Et c’est de ce point de vue que la convergence soulignée par les écologistes entre la protection de la biodiversité et le maintien des paysages ouverts définit une base nouvelle pour la coopération entre l’agriculture et la nature. Comme l’écrit Raphaël Larrère :
Protéger la nature ne revient donc plus à geler une nature sauvage, maintenue à l’abri des interventions humaines. Au contraire, préserver, dans la biodiversité, la « capacité évolutive » des processus écologiques implique de maintenir des pratiques. Ainsi, dans les pays d’Europe occidentale, du fait de la configuration est/ouest des barrières naturelles à la recolonisation forestière après les grandes glaciations du Quaternaire, ce sont les formations herbacées qui présentent la plus grande diversité spécifique. Or, ces végétations ne peuvent subsister que si le pâturage maintient un régime de perturbations évitant la « fermeture » du paysage par le développement de peuplements forestiers. Sous les climats européens, préserver la biodiversité suppose ainsi de préserver des activités pastorales83.
62Ainsi, s’il apparaît que les espaces qui formaient auparavant le saltus peuvent être, du fait de leur diversité biologique, des acteurs de la protection de l’environnement, il faut se souvenir que le saltus de la trilogie agraire était associé à une forme d’intervention humaine dans ces espaces naturels, ou plutôt semi-naturels. Les activités des hommes, en particulier le pastoralisme, y témoignaient, en quelque sorte, d’une certaine mesure dans le rapport à la nature. Les usages du saltus exerçaient une pression moyenne sur ces espaces, ni trop faible pour contenir le développement ligneux, ni trop forte pour permettre la croissance de formations végétales spontanées. C’est dans ce cadre que les pratiques pastorales sont revalorisées84.
63De ce point de vue, la problématique de la fermeture des paysages permet de dépasser la logique clivante qui a souvent prévalu dans les politiques d’aménagement des campagnes depuis la fin du xviiie siècle. Plutôt qu’au découpage du territoire rural en espaces monofonctionnels, les uns dédiés à la production, les autres à la nature, la volonté de maintenir des milieux ouverts semble à même de faire converger des points de vue différents vers un même objectif. D’une certaine façon, parce qu’ils accueillent une diversité d’acteurs sociaux et naturels, parce qu’ils sont multifonctionnels, les espaces ouverts invitent au pluralisme. Ils se prêtent moins aux ambitions hégémoniques des discours spécialisés, tels que le discours des forestiers sur la forêt, des agronomes ou des agriculteurs sur les champs, des artistes sur les paysages jugés extraordinaires, des environnementalistes sur la nature, etc. De ce point de vue, la lutte contre la fermeture est aussi une façon de maintenir le débat ouvert sur les paysages. Sur ces espaces moins rigoureusement définis, ces « espaces frontières85 », qui échappent à la bipolarisation entre nature et société, les différents regards, formés, informés, initiés, peuvent, peut-être, mieux se rencontrer, donnant de la consistance à l’idée d’une approche pluraliste des paysages. De ce point de vue, les espaces incertains suscitent une nouvelle fois le croisement de discours sur la nature et sur les hommes, mais cette fois selon une modalité positive, les espaces écologiquement ouverts seraient aussi des espaces d’« ouverture aux autres86 ».
64Cependant, si elle est propice à l’expression d’un pluralisme, la thématique de l’ouverture des paysages n’en est pas moins traversée par de vives divergences d’opinions, donnant lieu parfois à des conflits assez violents, qui marquent notamment les négociations concernant la gestion des parcs naturels87. Autrement dit, si la question de la fermeture des paysages peut inviter au pluralisme, elle est loin d’être consensuelle. C’est, en premier lieu, l’objectif en lui-même d’empêcher la fermeture des paysages qui est remis en cause88. Et, quand bien même cet objectif est partagé, c’est aussi les motivations qui animent les différents acteurs qui peuvent susciter des conflits. Il en est ainsi des tensions entre éleveurs et gestionnaires de l’environnement plaidant en faveur des milieux ouverts pour des raisons souvent différentes, sources de malentendus, d’incompréhensions, mais aussi parfois d’accords89. Les espaces de conciliation sont souvent fragiles et précaires90, comme l’écrivent Philippe Fleury et Raphaël Larrère : « Il faut savoir entrer en controverse et pouvoir en sortir par des compromis (et non par la victoire d’un point de vue sur tous les autres)91. » Mais ils vont bien dans le sens de l’expression d’un pluralisme des formes de rapport à l’espace et à la nature.
Conclusion
65Les terrains indécis selon les catégories de l’organisation spatiale et fonctionnelle des campagnes font l’objet depuis la fin du xviiie siècle d’un ensemble de discours normatifs, qui pendant longtemps furent extrêmement négatifs. Ils visaient, en particulier le discours agronomique et le discours forestier, tout simplement la suppression de ces espaces. Cette critique des friches, landes, maquis ou autres terrains de parcours, assimilés sans distinctions au domaine de l’inculte nous a semblé conduire à une rupture avec la nature ordinaire. L’apparition du thème de la fermeture des paysages, dans la seconde moitié du xxe siècle, marqua le renouvellement de la réflexion sur les friches. La peur de l’enfrichement semblait conduire au redoublement des évaluations négatives précédentes. Il nous semble toutefois que la description du phénomène de fermeture des paysages comme un jeu, non pas à deux, mais à trois acteurs – les cultures, les bois ou forêts, et l’ensemble des espaces intermédiaires qui, s’ils sont plus indécis, n’en sont pas moins ouverts – modifie quelque peu la lecture que l’on peut en faire. L’objectif de maintien de l’ouverture des espaces permet, en effet, de requalifier des terres auparavant visées par le discours critique à l’égard des friches, en particulier les terrains de parcours et plus généralement l’ensemble de ceux qui relevaient de la catégorie du saltus.
66Dépassant la crainte du développement erratique d’une nature hors de contrôle sur les espaces ruraux, délaissés, abandonnés, cette autre lecture insiste sur le fait que la fermeture des paysages est un phénomène social autant que naturel92, comme en témoignent, notamment, les politiques de reboisement qui se sont succédé aux xixe et xxe siècles. Surtout, soulignant une forme d’aveuglement qui consiste à ne voir que le désordre là où des espaces semi-naturels étaient, en réalité, maintenus dans des configurations écologiques particulières par des pratiques humaines, elle permet de comprendre comment la fermeture est aussi une conséquence de la disparition d’une forme de rapport à la nature. Elle nous invite, en somme, à dépasser la peur des friches et à redécouvrir la nature ordinaire.
Notes de bas de page
1 Éric Fottorino, La France en friche, Paris, Lieu commun, 1989, p. 13.
2 Claude Janin, Lauren Andres, « Les friches : espaces en marge ou marges de manœuvre pour l’aménagement des territoires ? », Annales de géographie, 663, 2008, p. 8.
3 Jean de Montgolfier, « La France en friche ? », Études, 368, mai 1988, p. 620.
4 Philippe Moustier, « Déprise agricole et mutations paysagères depuis 1850 dans le Champsaur et leValgaudemar (Hautes-Alpes) », Méditerranée, 2, 2006, p. 43-51.
5 Que cette pratique ait pu être désignée comme un retour de la jachère marque l’aboutissement du renversement de sens qu’a connu la notion, voir Pierre Morlon, François Sigaut, La troublante histoire de la jachère, op. cit.
6 Sur ce point, voir l’analyse critique suivante : Raphaël Larrère, Dépeuplement et annexion de l’espace rural. Le rôle de la théorie des seuils de sociabilité, Toulouse, Institut de géographie (Géodoc), 1976.
7 Éric Fottorino, La France en friche, op. cit.
8 Jean de Montgolfier, « La France en friche ? », art. cité.
9 Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit., p. 9.
10 Jean de Montgolfier, « La France en friche ? », art. cité, p. 621.
11 Lucie Dupré, « Des friches : le désordre social de la nature », Terrain, 44, 2005, p. 125-136. Voir également, l’évocation par Éric Fottorino d’événements qui auraient contribué à forger dans l’opinion publique cette inquiétude sécuritaire vis-à-vis des espaces ruraux délaissés, par exemple le fait que des membres d’Action directe aient pu se cacher dans une campagne désertée ou encore la disparition dans le maquis de l’actrice Pauline Laffont en 1988, dans Éric Fottorino, La France en friche, op. cit.
12 Bernard Fischesser et al., La friche de grand papa. Citadin, voici quelques idées pour entretenir votre terre à la campagne, Antony, Cemagref, 1991.
13 Ibid.
14 Pour Yves Luginbühl, l’année 1968 est tout particulièrement décisive avec la parution de l’article du géographe Georges Bertrand, « Paysage et géographie physique globale : esquisse méthodologique », Revue géographique des Pyrenées et du Sud-Ouest, 39/3,1968,p. 249-272. Voir Yves Luginbühl, « Pour un paysage du paysage », Économie rurale, 297-298, 2007, p. 23-37.
15 Yves Luginbühl, « Pour un paysage du paysage », art. cité, p. 23.
16 Georges Bertrand, « Paysage et géographie physique globale », art. cité ; Claude Bertrand, Georges Bertrand, Une géographie traversière. L’environnement à travers territoires et temporalités, Paris, Arguments, 2002 ; Augustin Berque, Médiance. De milieux en paysages, Montpellier, GIP Reclus (Géographiques), 1990 ; Id. (dir.), Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, Champ Vallon (Pays-paysages), 1994 ; Id., Les raisons du paysage. De la Chine antique aux environnements de synthèse, Paris, Hazan, 1995 ; Id., La pensée paysagère, Paris, Archibooks + Sautereau (Crossborders), 2008.
17 Annie Antoine, Le paysage de l’historien. Archéologie des bocages de l’Ouest de la France à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire), 2000 ; Gérard Chouquer, L’étude des paysages. Essais sur leurs formes et leur histoire, Paris, Errance, 2000 ; François Walter, Les figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe, 16e- 20e siècle, Paris, Éditions de l’EHESS (Civilisations et sociétés, 118), 2004.
18 Anne Cauquelin, L’Invention du paysage, Paris, Plon, 1989 ; Hervé Brunon, « L’essor artistique et la fabrique culturelle du paysage à la Renaissance. Réflexions à propos de recherches récentes », Studiolo. Revue d’histoire de l’art de l’Académie de France à Rome, 2006, p. 261-290.
19 Françoise Burel, Jacques Baudry, Yannic Le Flem, Écologie du paysage, op. cit. ; Henri Décamps, Odile Décamps, Au printemps des paysages, Paris, Buchet-Chastel (Écologie), 2004.
20 Alain Roger (dir.), La théorie du paysage en France. 1974-1994, Seyssel, Champ Vallon (Pays-paysages), 1995 ; Id., Court traité du paysage, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 1997 ; Colloque de philosophie et d’esthétique du paysage, Mort du paysage ? Philosophie et esthétique du paysage actes, Seyssel, Champ Vallon (Milieux, 5), 1982 ; Françoise Dastur, « Phénoménologie du paysage », Projets de paysage, 5, 2011.
21 Martine Berlan-Darqué, Yves Luginbühl, Daniel Terrasson, Paysages. De la connaissance à l’action, Versailles, Éditions Quæ, 2007 ; Yves Luginbühl, « Pour un paysage du paysage », art. cité ; Pierre Donadieu, « Le paysage », Économie rurale, 297-298, 2007, p. 5-9.
22 Robert Lifran, Walid Oueslati, « Éléments d’économie du paysage », Économie rurale, 297-298, 2007, p. 85-98.
23 Yves Luginbühl, « Pour un paysage du paysage », art. cité.
24 Alain Roger, « Histoire d’une passion théorique ou comment on devient un raboliot du paysage », dans Augustin Berque (dir.), Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, Champ Vallon (Pays-paysages), 1994, p. 311.
25 Pour une critique de cette opposition, voir, par exemple, Gérard Chouquer, « À propos d’un contresens partiel sur “Pays” et “Paysage” », Études rurales, 161-162, juin 2002, p. 273-287.
26 René-Louis Girardin, De la Composition des paysages, ou des moyens d’embellir la nature autour des habitations, en joignant l’agréable à l’utile, par R. L. Gérardin, …, Genève/Paris, P.-M. Delaguette, 1777.
27 Alain Roger, « Histoire d’une passion théorique », art. cité, p. 312-313.
28 Ibid., p. 313.
29 Alain Roger, Court traité du paysage, op. cit., p. 12.
30 Charles Baudelaire, Salon de 1859. Texte de la Revue française, Paris, Honoré Champion, 2006, chapitreVIII « Le paysage ».
31 Augustin Berque, « Paysage, milieu, histoire », dans Id. (dir.), Cinq propositions pour une théorie du paysage, op. cit., p. 301.
32 Anne Cauquelin, L’invention du paysage, op. cit.
33 Erwin Panofsky, La perspective comme forme symbolique et autres essais, Paris, Éditions de Minuit, 1975.
34 Augustin Berque, « Paysage, milieu, histoire », art. cité, p. 305.
35 Yves Luginbühl, « Pour un paysage du paysage », art. cité.
36 Alain Roger, Court traité du paysage, op. cit., p. 445.
37 Gérard Chouquer, « Nature, environnement et paysage au carrefour des théories », Études rurales, 157-158, juin 2001, p. 235-251.
38 Alain Roger, « Histoire d’une passion théorique », art. cité.
39 Augustin Berque (dir.), Cinq propositions pour une théorie du paysage, op. cit.
40 Alain Roger, « Histoire d’une passion théorique », art. cité, p. 317.
41 Henri Décamps, Odile Décamps, Au printemps des paysages, op. cit., p. 18.
42 Françoise Burel, Jacques Baudry, Yannic Le Flem, Écologie du paysage, op. cit., p. 43.
43 Françoise Burel, Jacques Baudry, Yannic Le Flem, Écologie du paysage, op. cit., p. 19.
44 Henri Décamps, Odile Décamps, Au printemps des paysages, op. cit.
45 Ou bien l’art intervient directement sur le socle naturel, in situ : c’est l’art millénaire des jardiniers et, depuis le xviiie siècle, celui des paysagistes. Ou bien il opère indirectement, in visu, par la production de modèles, picturaux, littéraires, etc., voir Augustin Berque (dir.), La mouvance. Du jardin au territoire, cinquante mots pour le paysage, Paris, Éditions de laVillette, 1999.
46 Raphaël Larrère, « Nature, campagne et paysage : des différents regards et de leur légitimité », dans Jean-Pierre Sylvestre (dir.), Agriculteurs, ruraux et citadins. Les mutations des campagnes françaises, Dijon, Educagri Éditions, 2002, p. 201-202.
47 Raphaël Larrère, « Nature, campagne et paysage : des différents regards et de leur légitimité », art. cité.
48 Raphaël Larrère, « Nature, campagne et paysage », art. cité.
49 Ibid.
50 Bernard Lassus, « Les continuités du paysage », Urbanisme et architecture, 250, 1991, p. 64.
51 Jacques Sgard (dir.), Les paysages de l’aménagement du massif vosgien. Schéma d’orientation et d’aménagement du massif vosgien, Pont-à-Mousson, Oream-Lorraine, 1976.
52 Bernard Fischesser (dir.), Le paysage de montagne, Grenoble, Cemagref (Étude 116), 1977, 3 fascicules.
53 Joseph Bonnemaire, Pays, paysans, paysages dans les Vosges du Sud. Les pratiques agricoles et la transformation de l’espace, Paris, Inra, 1977.
54 Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, Jean-Pierre Deffontaines, « La “fermeture du paysage” : au-delà du phénomène, petite chronique d’une construction sociale », L’Espace géographique, 34/1, 2005, p. 49-64 ; Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, Qu’entend-on par « fermeture du paysage » ?, Paris, ministère de l’Écologie et du Développement durable, 2003.
55 Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, Jean-Pierre Deffontaines, « La “fermeture du paysage” », art. cité, p. 55.
56 Pascal Marty, Jacques Lepart, Georges Kunstler, « Le paysage culturel rattrapé par sa dynamique : l’exemple des Grands Causses », dans Paul Robin, Jean-Paul Aeschlimann, Christian Feller (dir.), Histoire et agronomie. Entre ruptures et durée, Paris, IRD Éditions, 2007, p. 415-438 ; Olivier Rousset, Jacques Lepart, « Évaluer l’impact du pâturage sur le maintien des milieux ouverts. Le cas des pelouses sèches », Fourrages, 159, 1999, p. 223-235.
57 Un paysage « mité » est un paysage dans lequel des habitations ou des constructions apparaissent éparpillées au cœur des espaces à empreinte agricole.
58 Joseph Bonnemaire, Pays, paysans, paysages dans les Vosges du Sud, op. cit.
59 « Introduction. Le paysage et l’agriculture », dans Jacques Brossier (dir.), Quels paysages avec quels paysans ? Les Vosges du Sud à 30 ans d’intervalle, Versailles, Éditions Quæ, 2008, p. 13.
60 Céline Granjou, Isabelle Mauz, « Les éleveurs et leurs voisins. Étude du renouvellement des rhétoriques professionnelles d’une profession contestée », Review of Agricultural and Environmental Studies-Revue d’études en agriculture et environnement, 90/2, 2009, p. 215-235.
61 Yvan Droz, Valérie Miéville-Ott, « De l’ordre et de l’entretien. Les représentations paysannes de la nature et du paysage », dans Id., On achève bien les paysans. Reconstruire une identité paysanne dans un monde incertain, Genève, Georg, 2001, p. 59-101 ; Emmanuel Guisepelli, Philippe Fleury, « Représentations sociales du paysage, négociation locale et outils de débat sur le paysage », dans Yvan Droz, Valérie Miéville-Ott (dir.), La polyphonie du paysage, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2005, p. 179-207.
62 Pour une synthèse sur cette question, voir Jacques Lepart, Pascal Marty, Mario Klesczewski, « Faut-il prendre au sérieux les effets des changements du paysage sur la biodiversité ? », dans Martine Berlan-Darqué, Yves Luginbühl, Daniel Terrasson (dir.), Paysages. De la connaissance à l’action, Versailles, Éditions Quæ, 2007.
63 Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, Qu’entend-on par « fermeture du paysage » ?, op. cit.
64 Expression employée par Michel Cointat, alors ministre de l’Agriculture, dans Les Agriculteurs et ruraux dans le monde de demain, Colloque international organisé du 3 au 5 mars 1971 par le Ceneca, Paris, 1971, et rapportée dans Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, Qu’entend-on par « fermeture du paysage » ?, Convention cadre « Gestion des Territoires », Cemagref, 2003.
65 Jacques Sgard, « Le paysage en friche », Métropolis, 87, 1990, p. 12-17.
66 Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, Qu’entend-on par « fermeture du paysage » ?, op. cit.
67 Jacques Lepart, Pascal Marty, Mario Klesczewski, « Faut-il prendre au sérieux les effets des changements du paysage sur la biodiversité ? », art. cité, p. 31.
68 Ibid.
69 Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du territoire, GraphAgri. La Forêt et les industries du bois, Agreste, 2000, nouvelle édition 2006.
70 Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du territoire, GraphAgri France, Agreste, 2011.
71 L’artificialisation des sols s’affirme, à la fin du xxe et au début du xxie siècle, comme une problématique environnementale de plus en plus préoccupante. Le taux d’artificialisation, déjà élevé, s’intensifie, en effet, passant de 61000 ha/an durant la période de 1992 à 2003 à 80000 ha/an de 2006 à 2010 (voir Michel-Paul Morel, René Jean, « L’artificialisation atteint 9 % du territoire en 2009 », Agreste Primeur, 246, juillet 2010 ; Dorothée Pageaud, Camille Carré, « La France vue par CORINE Land Cover, outil européen de suivi de l’occupation des sols », Commissariat général au développement durable, Le Point sur, 10, avril 2009). Le développement des maisons individuelles est l’une des causes principales de cette progression (sur ce point, voir Laurent Bisault, « La maison individuelle grignote les espaces naturels », Agreste Primeur, 219, janvier 2009).
72 La catégorie « landes et friches » est définie de la manière suivante, selon l’enquête Teruti-Lucas, réalisée chaque année par les services statistiques du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du territoire permet de suivre l’évolution des différentes catégories d’occupation et d’usage du sol à partir d’un ensemble de points constituant un échantillon représentatif du territoire national : « Landes et friches : occupations appelées selon les régions landes, friches, maquis, garrigues ou savanes, caractérisées par la présence d’arbustes et de végétaux ligneux ou semi-ligneux bas (moins de 5 m) sur plus de 20 % de la superficie. Il peut aussi y avoir des arbres épars (de plus de 5 m) qui couvrent moins de 10 % de la superficie. »
73 Élisabeth Béraud, « Un demi-siècle d’agriculture. Plus de performances sur moins d’espace », Insee Première, 466, juin 1996
74 « L’utilisation du territoire en 2004. Nouvelle série 1992 à 2004 », Chiffres et données. Série Agriculture, 169, 2004.
75 « Les zones agricoles défavorisées. La France des forêts et des herbages », Agreste Primeur, 55, avril 1999.
76 « Les paysages agricoles en repli devant les landes et les villes », Agreste Primeur, 76, juillet 2000.
77 Élisabeth Béraud, « Un demi-sècle d’agriculture », art. cité.
78 « Deux milliards de m3 de bois sur pied », Agreste Primeur, 73, mai 2000.
79 Raphaël Larrère et al., « Reboisement des montagnes et systèmes agraires », art. cité.
80 Ibid. ; Philippe Moustier, « Déprise agricole et mutations paysagères », art. cité.
81 Raphaël Larrère, « Désertification ou annexion de l’espace rural ? L’exemple du plateau de Millevaches », Études rurales, 71/1, 1978, p. 9-48.
82 Raphaël Larrère, « Désertification ou annexion de l’espace rural ? L’exemple du plateau de Millevaches », art. cité, p. 38.
83 Raphaël Larrère, Philippe Fleury, « Malentendus, incompréhensions et accords dans la gestion de la biodiversité », Fourrages, 179, 2004, p. 309.
84 Cyril Agreil, Nicolas Greff, Des troupeaux et des hommes en espaces naturels. Une approche dynamique de la gestion pastorale, Vourles, Conservatoire Rhône-Alpes des espaces naturels, 2008 ; Claude Béranger, Joseph Bonnemaire, Prairies, herbivores, territoires. Quels enjeux ?, Versailles, Éditions Quæ, 2008 ; Élise Trivelly, Quand les moutons s’en vont… Histoire et représentations sociales du boisement des pelouses sèches du sud-est de la France, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2004 ; Dominique Henry, « Les éleveurs, l’herbe et la montagne : un paysage de la pratique pastorale ? Éléments d’ethnogéographie paysagiste en Pyrénées centrales », Projets de paysage, 4, 2010 ; d’un point de vue pratique, André Bornard et al., Les végétations d’alpage de la Vanoise. Description agro-écologique et gestion pastorale, Versailles, Éditions Quæ, 2006 ; voir également le documentaire de Jean-Pierre Deffontaines, Benoît Deffontaines et Jean Ritter, Un sentier pastoral, Inra/Educagri, 2005.
85 Céline Granjou, Isabelle Mauz, « Des espaces frontières d’expérimentation entre pastoralisme et protection de la nature », Natures sciences sociétés, 20/3, 2012, p. 10-317.
86 Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, « La “fermeture du paysage” : au-delà de l’esthétique, les enjeux d’un espace rural ouvert », dans Martine Berlan-Darqué, Yves Luginbühl, Daniel Terrasson (dir.), Paysages. De la connaissance à l’action, op. cit., p. 41-53.
87 Martine Berlan-Darqué, Raphaël Larrère, Bernadette Lizet, Histoire des parcs nationaux. Comment prendre soin de la nature ?, Versailles/Paris, Éditions Quæ/Muséum national d’histoire naturelle, 2009 ; Adel Selmi, Administrer la nature. Le Parc national de la Vanoise, Paris, Éditions de la MSH, 2006 ; Céline Granjou, Isabelle Mauz, « Des espaces frontières d’expérimentation entre pastoralisme et protection de la nature », art. cité.
88 Voir Annik Schnitzler-Lenoble, Jean-Claude Génot, La France des friches, op. cit.
89 Raphaël Larrère, Philippe Fleury, « Malentendus, incompréhensions et accords dans la gestion de la biodiversité », art. cité.
90 Céline Granjou, Isabelle Mauz, « Des espaces frontières d’expérimentation entre pastoralisme et protection de la nature », art. cité.
91 Raphaël Larrère, Philippe Fleury, « Malentendus, incompréhensions et accords dans la gestion de la biodiversité », art. cité.
92 Jacques Lepart, Pascal Marty, Olivier Rousset, « Les conceptions normatives du paysage. Le cas des Grands Causses », Nature sciences sociétés, 8/4, 2000, p. 15-25.
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