Chapitre 1. Du saltus à la friche : l’oubli de la nature ordinaire
p. 141-174
Texte intégral
1Des débuts de la première révolution agricole à la fin du xixe siècle, nous pouvons observer la mise en place de politiques d’aménagement du territoire dont l’un des principaux objectifs est la disparition des « terres inutiles », c’est-à-dire l’ensemble des terres inexploitées, non cultivées ou non forestières. Cette vaste entreprise de rationalisation de l’usage des terres s’appuie sur une pluralité de discours normatifs qui ont en commun de viser ensemble les hommes et la nature. Dans ce contexte, des espaces naturels, pourtant très différents (les landes, les garrigues, les maquis, etc.), vont être rassemblés sous l’appellation de friches et faire l’objet de critiques radicales. Parce que cette nature faisait auparavant l’objet d’usages, caractéristiques de ce que l’on désignait par le terme de saltus dans la trilogie agraire, qui se distinguaient de ceux dès lors préconisés à la fois par les promoteurs de la « nouvelle agriculture » et par l’administration forestière, nous voyons dans le discrédit jeté sur les friches, les terrains de parcours et autres espaces anciennement intégrés aux systèmes agraires et à la vie sociale des campagnes, le premier moment de l’oubli de la nature ordinaire.
La première révolution agricole et l’organisation nouvelle des campagnes
La transformation des systèmes de culture
2Entre le xvie et le xixe siècle, les agricultures européennes connaissent des transformations profondes qui conduisent un certain nombre d’historiens des mondes ruraux à parler d’une véritable « révolution agricole1 ». L’un des leviers du changement est la suppression des périodes de jachère dans les systèmes agricoles hérités du Moyen Âge. Qu’elles soient biennales ou triennales, les rotations qui organisaient la succession des cultures sur les parcelles accordaient, en effet, entre deux semis de céréales, une large place à la jachère, période consacrée à la reproduction de la fertilité du sol. Par exemple, dans le cas d’une rotation triennale – qui s’étend donc sur trois années –, se succédaient une période de jachère de 15 mois, la culture d’une céréale d’hiver pendant 9 mois, puis, à nouveau, 8 mois de jachère et, enfin, la culture d’une céréale de printemps pendant 4 mois2. Les terres labourables restaient ainsi non ensemencées pendant plus de la moitié de la durée de la rotation. C’est précisément l’un des grands changements apportés par l’« agriculture nouvelle » que de remplacer ces jachères par des prairies artificielles ou par des cultures de plantes fourragères – destinées à l’alimentation du bétail – venant s’intercaler entre les céréales d’hiver et de printemps. Les systèmes de rotation des cultures se complexifient ainsi. En reprenant le schéma triennal précédent, la « grande jachère » de 9 mois est remplacée par une prairie artificielle de graminées comme le ray-grass ou de légumineuses fourragères telles que le trèfle ou le sainfoin, tandis qu’une culture de plantes sarclées, comme le navet, se substitue à la « petite jachère » de 4 mois.
3Comme l’écrivent Marcel Mazoyer et Laurence Roudart, on pourrait s’étonner de la simplicité apparente de la modification culturale censée provoquer une véritable « révolution agricole3 ». Si la seule alternance entre céréales et légumineuses ou plantes fourragères permettait de se passer de la jachère, pourquoi cette pratique se serait-elle maintenue si longtemps dans les systèmes de culture ? Cette interrogation est d’autant plus forte que les plantes cultivées durant les anciennes périodes de jachère étaient, pour la plupart, déjà connues et cultivées dans les jardins (hortus). C’est qu’en réalité, cette alternance ne suffit pas, en elle-même, à rendre la jachère inutile. Le succès des assolements complexes sans jachère tient à la façon dont ils exploitent de manière optimale les synergies entre les pratiques culturales et l’élevage, que ne mettaient que partiellement à profit les rotations médiévales avec jachère. Contrairement à ce qui avait pu être tenté par le passé – mener deux cultures de céréales consécutives sur une même parcelle ou faire suivre une culture de légumineuse immédiatement après celle d’une céréale pour faire face à des pénuries alimentaires –, les cultures qui se substituent à la jachère dans l’« agriculture nouvelle » ne sont, en effet, pas destinées directement à l’alimentation humaine, mais pour l’essentiel à celle du bétail. La culture des plantes fourragères permettait, en fait, de donner naissance à un cercle vertueux : disposer d’une alimentation abondante pour le bétail permet la possession d’un plus grand nombre d’animaux et donc la production d’une plus grande quantité de fumier, ce dernier permet d’enrichir les terres cultivées et d’augmenter la production céréalière, tout en assurant de manière efficace le renouvellement de la fertilité du sol. Ainsi plus que le simple abandon de la jachère, la première révolution agricole des Temps modernes tint à la mise au point de systèmes de polyculture-élevage complexes.
4Les agronomes du xviiie siècle consacrèrent leurs travaux à élaborer les principes de cette « nouvelle agriculture » qui se développa, d’abord, de façon pratique par la mise en œuvre, à partir du xvie siècle, de nouvelles techniques culturales par les paysans. Dès 1731, l’Anglais Jethro Tull publie un ouvrage dans lequel il se propose de démontrer l’inutilité de la jachère, mais aussi de la fumure et de la rotation des cultures, pratiques auxquelles il préconise de substituer des binages et des sarclages réguliers du sol, ce que permet la culture en rangées4. Par la suite, les agronomes européens, tout en reprenant les thèses de Tull concernant l’exploitation plus intensive de la fertilité du sol, établissent la nécessité de la rotation culturale et de l’apport d’engrais et proposent des systèmes variés de succession de cultures. En Angleterre, Arthur Young se fait ainsi l’avocat d’une rotation quadriennale, aussi appelée la rotation de Norfolk5. En France, Henri Louis Duhamel de Monceau introduit les travaux de Tull et défend une version française de l’intensification agricole6. Plus tard, Jean-Antoine Chaptal apporte sa contribution au développement de l’agronomie, mettant, notamment, en avant les bénéfices de l’intégration de la culture de la betterave dans le cycle de rotation7, tandis qu’en Allemagne, Albrecht Daniel Thaër8 définit des principes raisonnés de l’agriculture à partir de la théorie de l’humus9. Ainsi, entre la fin du xviiie et le début du xixe siècle, l’agronomie s’applique à donner un fondement théorique à la « nouvelle agriculture » et plaide en faveur de l’abandon des anciens systèmes de culture avec jachère.
Les transformations du régime foncier et des usages
5Toutefois, pour prendre la mesure de la transformation des agricultures européennes, qui s’opère dès la fin du xvie siècle en Angleterre, nous ne pouvons nous en tenir à la seule description technique de la complexification des systèmes agricoles associant l’élevage et les pratiques culturales. Le développement de l’« agriculture nouvelle » exigea, en effet, une réorganisation profonde des sociétés rurales, marquée notamment par un changement de régime de propriété foncière et une reconfiguration des rapports entre les hommes et les espaces ruraux.
6Dans le passage des assolements simples aux assolements complexes, se jouait plus qu’une modification des successions culturales prenant place sur une parcelle. Les systèmes agricoles avec jachères engageaient, en effet, des rapports collectifs à la terre, réglés par un certain nombre de droits d’usage. La jachère était, en particulier, étroitement associée à la vaine pâture collective : dans l’organisation médiévale des assolements triennaux ou biennaux, à une période de culture faisait suite une période durant laquelle les chaumes étaient laissés en libre accès aux animaux de tous les habitants du village qui pouvaient venir y paître10. Cet accès commun aux terres individuelles définissait la servitude de vaine pâture collective. Si ce droit était contraignant pour les propriétaires, la présence du bétail sur leurs terres assurait, en échange, un apport en fumier qui fertilisait le sol. La vaine pâture associée à la jachère s’intégrait plus largement dans une organisation agraire qui faisait une large place aux usages communs11.Au-delà des chaumes, les propriétaires d’animaux pouvaient faire paître leurs bêtes sur les terrains de parcours, sur des prés, dans certains bois et sur l’ensemble des biens communaux du village12. Par ailleurs, les habitants bénéficiaient d’un certain nombre de ressources que leur garantissaient, d’une part, une série de droits d’usage collectifs sur les terres appropriées (droits d’affouage, de marronnage, de cueillette des fruits sauvages, d’écorçage des arbres, de prise des chablis, de panage, de glanage, de grappillage, de râtelage, etc.) et, d’autre part, l’accès aux « propriétés collectives » que constituaient les communaux au xviiie siècle. Les systèmes agricoles avec jachère étaient ainsi associés à un régime foncier dans lequel la propriété privée, exclusive et absolue, était bien loin d’occuper tout l’espace rural.
7L’existence de ces usages collectifs et, en particulier, l’attachement de servitudes collectives aux terres cultivées expliquent la résistance forte à laquelle s’est longtemps heurtée l’idée de supprimer la jachère dans les rotations culturales. Cultiver en permanence les terres labourables, c’était priver les habitants non propriétaires de leurs droits d’usage sur ces domaines. Avec les jachères disparaissaient les périodes durant lesquelles les terres cultivées retournaient temporairement dans le domaine commun, autrement dit la nouvelle agriculture tendait à modifier le régime de propriété de la terre en appuyant son caractère privé et exclusif. La modernisation des systèmes de culture se trouvait ainsi au centre des disputes associées aux servitudes et aux propriétés collectives, lesquelles opposaient de longue date les propriétaires terriens, qui cherchaient à renforcer leur droit de propriété ainsi qu’à accroître leur domaine en s’appropriant des biens communaux, et les individus qui défendaient leurs droits d’usage13. La suppression de la jachère fut ainsi l’un des enjeux de la lutte pour l’individualisme agraire14.
8Le xviiie siècle voit monter en puissance l’opposition contre les usages collectifs et les formes de propriété collective. D’une part, comme le souligne Nadine Vivier, à propos des communaux, les tensions générées par ces rapports collectifs à la terre culminent à cette époque. La fréquence et la virulence des conflits qui lui sont liés concourent alors à imposer l’idée qu’il faut mettre un terme à la propriété collective. L’historienne écrit ainsi :
[L]es biens communaux ont, de façon endémique, engendré des conflits : conflits liés à la contestation de la propriété, aux empiétements des particuliers, petits paysans ou seigneurs ; conflits liés à l’utilisation qui oppose les riches possesseurs de bétail qui tendent à accaparer et les petits qui réclament.
Ces conflits endémiques traditionnels changent brutalement de nature au xviiie siècle et passent par une phase paroxystique de crise à la fin du xviiie siècle. La notion même de propriété collective est remise en cause15.
9D’autre part, c’est l’inefficacité productive de la mise en valeur commune des terres qui est dénoncée, tandis qu’à l’inverse, les mérites de la propriété privée sont vantés. En ce sens, les physiocrates abordent selon une approche arithmétique16 la question de la productivité agricole17. Comme l’écrit Geneviève Gavignaud-Fontaine :
Les physiocrates, en économistes zélés, recherchaient, d’une part, le mode de culture susceptible de réaliser la plus forte productivité, d’autre part la forme de propriété la mieux adaptée au mode de culture choisi en conséquence des exigences de production18.
10Et, l’auteur poursuit, indiquant que cette recherche les conduit à défendre une forme de propriété absolue et exclusive :
Le droit de propriété devait être « complet », sans entraves ni limites ; une conception individualiste en fort contraste avec les pratiques collectives encore en cours sur les soles. La suppression de la jachère, de la vaine pâture et autres droits était ardemment souhaitée, tout autant que le déploiement de la culture intensive19.
11Dans le même sens, l’historienne Nadine Vivier décrit le consensus qui règne parmi les physiocrates sur le fait de mettre un terme aux servitudes et aux propriétés collectives, si ce n’est sur la méthode à employer dans ce dessein, du moins sur le principe :
Les physiocrates proposent une philosophie économique et sociale. Dans leur système, l’agriculture constitue la richesse première, elle doit donc être améliorée. Tous pensent que les progrès passent d’abord par la disparition des pratiques collectives, mais ils ne sont pas d’accord sur les méthodes. Certains, tel l’abbé Malvaux (1780), veulent la vente des communaux au profit des riches, d’autres comme François Quesnay (1759) préfèrent le partage entre les ménages. En fait, les communaux n’apparaissent qu’à l’arrière-plan de leur système puisqu’ils doivent disparaître rapidement20.
12Pour ces économistes, la liberté de clore les champs est une condition nécessaire du progrès agricole et donc du progrès économique. Sur ce point, agronomes et physiocrates se rejoignent : le développement de la nouvelle agriculture exige l’affermissement du droit de propriété.
13Lorsqu’en 1789 éclate la Révolution, la question des usages et des biens collectifs dans les campagnes est ainsi plus que jamais d’actualité. De façon générale, les révolutionnaires français se sont prononcés en faveur de la suppression des servitudes collectives et du partage des propriétés collectives que sont les biens communaux. Ils poursuivaient ainsi, bien qu’en en modifiant les conditions de mise en œuvre21, l’entreprise qui visait à placer les terres agricoles sous le régime de la propriété privée, amorcée par l’administration monarchique22. De fait, les décrets du 28 septembre au 6 octobre 1791, formulant le projet d’élaborer un code rural, affirment que le droit de clore ses terres résulte de façon essentielle du droit de propriété, établi comme droit naturel et imprescriptible de l’homme par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 178923, ce qui conduit à la limitation importante du droit de vaine pâture et de parcours24. Ainsi, dès 1791, les pratiques collectives associées à des droits d’usage sont restreintes par décret, au nom de la liberté des personnes et du territoire de la France25.
14Concernant les propriétés collectives, comme l’écrit Nadine Vivier26, la question qui se pose véritablement sous la Révolution n’est pas celle de savoir s’il faut partager les communs, mais comment devait être effectué ce partage27. C’est d’ailleurs ce que confirme la chronologie législative28. Un décret qui proclame l’obligation du partage de tous les communaux, excepté les bois, est voté le 14 août 179229. Mais il laisse ouverte la question des modalités qui ne seront définies qu’un an plus tard. L’élaboration de la loi de partage fut, en effet, longue et délicate, les propriétaires comme les paysans sans terre espérant pouvoir tirer parti de ce découpage des communaux. C’est dans le climat populaire qui suit la chute des Girondins que la loi du 10 août 1793 est finalement votée : elle prévoit un partage facultatif – en cas de l’accord d’un tiers des habitants – qui donnerait en toute propriété des lots égaux à chaque habitant. Toutefois, son application va se heurter à des difficultés importantes, soulevant de vives oppositions et entraînant la multiplication des réclamations. Après la fin de la Convention, le Directoire poursuivit, dans un premier temps, l’objectif de réaliser les partages, tout en révisant la loi de 1793, avant de se résoudre, devant la difficulté, à les suspendre par la loi du 21 prairial an IV (9 juin 179630). Néanmoins, cette décision de figer la situation ne mit pas un terme aux vifs débats sur la question et les discussions se prolongèrent durant le Consulat31, sous lequel la fin des partages fut, finalement, proclamée par la loi du 9 ventôse an XII (29 février 1804). Les atermoiements politiques et législatifs concernant les communaux étaient toutefois loin d’être terminés et, en somme, tous les gouvernements qui se succéderont au xixe siècle se montreront hésitants quant à la réalisation concrète d’un partage32.
15S’il est complexe de faire un bilan quantitatif du partage des communaux durant la période révolutionnaire33, nous pouvons, grâce notamment aux travaux de Nadine Vivier, donner une approximation de la superficie de terres communales devenues des propriétés privées, en un siècle à partir du milieu du xviiie siècle : représentant 16 % du territoire français vers 175034, les biens communaux s’étendent sur 9 % du territoire en 184635, date à laquelle les premières statistiques issues du cadastre sont produites. Ce serait donc environ 7 % du territoire français qui seraient passés du statut de propriété collective à celui de propriété privée. À ceci s’ajoutent l’ensemble des terres qui changent de propriétaires, pendant la Révolution, lors de la vente des biens nationaux, issus des biens du clergé et des émigrés, et que l’historien Bernard Bodinier estime à 10 % du territoire36. Il apparaît ainsi que la France de la fin du xviiie siècle fut bien le théâtre d’un transfert foncier important, renvoyant au développement et à l’affermissement de la propriété privée.
16La Révolution française contribua à ce recul de l’indivision. Si les débats sur les conséquences sociales de la limitation des usages collectifs et du partage des communaux témoignent de l’existence de lignes politiques diverses, et notamment d’un souci plus ou moins grand de l’égalité, les révolutionnaires dans leur grande majorité se prononcèrent en faveur de la disparition des droits d’usage et des propriétés collectives. L’heure est au progrès, et le progrès, y compris agricole, passe par la liberté. De ce point de vue, les servitudes attachées aux terres, les assolements forcés et la jachère obligatoire sont jugés comme appartenant au passé et renvoient à l’archaïsme d’une société féodale qui ignorait la liberté des hommes et du territoire, laquelle est aussi la liberté de cultiver ses terres comme on l’entend37. Il s’agit bien de mettre un terme à l’ensemble des obstacles, hérités du monde féodal, qui entravent le libre usage de la terre par son propriétaire. Sur ce point, les révolutionnaires rejoignent, en somme, les physiocrates et les agronomes38 : la modernisation agricole passe par le développement de la propriété privée.
Une lecture fonctionnelle
17Si la « première révolution agricole des Temps modernes39 » fut ainsi marquée par une évolution de la forme de la propriété prédominante dans les campagnes, elle impliqua également une reconfiguration de l’espace rural d’un point de vue fonctionnel. Cette transformation peut être exprimée dans les termes de la trilogie agraire définie dès l’Antiquité et remise en lumière au xixe siècle par Paul Vidal de La Blache40. Celle-ci distingue dans l’espace rural trois composantes : l’ager, le saltus et la silva. L’ager est l’espace cultivé, il renvoie aux terres labourées et mises en culture. La silva correspond aux forêts et aux espaces boisés. Le saltus, enfin, est un espace non cultivé, sur lequel les herbacées, et non les arbres, dominent. D’une certaine façon, c’est un espace intermédiaire dans la mesure où, d’une part, l’ager qui n’est plus cultivé évolue vers le saltus et, d’autre part, sous les climats qui le permettent, le saltus a tendance à se boiser naturellement et à évoluer progressivement vers la silva. Toutefois, il peut également être maintenu dans cet état écologique par différents facteurs, d’origines humaines ou non, tels que les feux ou le pâturage des animaux. À cette trilogie peut s’ajouter l’hortus, les jardins et les vergers, réservés à la culture des fruits et légumes, mais aussi du chanvre et du lin, tandis que l’ager était, pour l’essentiel, consacré à la céréaliculture41.
18S’ils renvoient à des espaces non cultivés, le saltus et la silva ont néanmoins des fonctions importantes dans l’organisation agraire. D’une part, ces deux types d’espaces accueillent les animaux d’élevage qui viennent y paître. D’autre part, ils fournissent un certain nombre de ressources naturelles alimentant l’économie rurale – fruits, bois, champignons, gibiers, etc. Hortus, ager, saltus et silva sont ainsi à la fois des catégories spatiales et fonctionnelles. Partant, l’hypothèse suivie par un certain nombre d’auteurs est que l’on peut caractériser tous les systèmes agricoles qui se sont succédé depuis l’Antiquité comme des configurations particulières associant ces quatre types d’espace dans des proportions différentes et mettant à profit, à des degrés variés, leurs complémentarités fonctionnelles. Cette voie est notamment explorée par les historiens Marcel Mazoyer et Laurence Roudart42 et, dans une perspective différente, par l’économiste Ester Boserup43.
19Pour les premiers, le fait marquant de l’Antiquité du point de vue de l’histoire agricole est la distinction du saltus et de l’ager d’une part, et de la silva d’autre part. Jusqu’alors, l’organisation agraire était essentiellement binaire et temporaire : les systèmes de culture sur abattis-brûlis prédominant, l’espace était partagé entre la forêt et les terres cultivées, ces dernières étant après un certain temps d’exploitation abandonnées et peu à peu rendues à la forêt. Durant l’Antiquité, apparaît ce que Marcel Mazoyer et Laurence Roudart désignent comme des « systèmes agraires à jachère et culture attelée légère ». Leur spécificité est de délimiter clairement l’ager et le saltus en leur attribuant deux fonctions distinctes : les terres labourables les plus fertiles recevront les cultures et formeront l’ager ; les autres, terres non boisées, friches, maquis et garrigues, seront, quant à elles, utilisées pour le pâturage des animaux – la forêt pouvant également accueillir ces derniers. La division entre ager et saltus ne vise pas, toutefois, à rendre ces espaces entièrement indépendants, mais cherche bien au contraire à exploiter leurs complémentarités fonctionnelles. L’idée est d’organiser un transfert de matière organique depuis le saltus vers l’ager afin d’enrichir ce dernier et d’assurer la reproduction de la fertilité du sol. La solution retenue durant l’Antiquité pour assurer ce transfert fut de parquer, la nuit venue, sur l’ager les animaux qui le jour paissaient sur le saltus ou dans la silva.
20C’est ainsi que comme le décrit Ester Bosserup l’ager devint un puit et le saltus, de même que la silva, des sources de fertilité44 (figure 2).
21Partant, l’économiste danoise inscrit toute l’histoire de l’agriculture dans un triangle aux sommets duquel figurent les termes de la trilogie agraire, situant les phases du développement agricole, qu’elle associe à la réduction progressive de la durée des périodes de jachère, selon les poids respectifs que prennent l’ager, le saltus et la silva, dans le système (figure 3).
22Les phases 1 et 2 correspondent à des agricultures forestières, le passage de l’une à l’autre indiquant la transition de la technique de l’abattis-brûlis, qui assortit une période de culture courte et une période de non-culture très longue, entre 15 et 20 ans afin que l’écosystème forestier se reconstitue, vers un système qui fait place à une forme de jachère forestière de moyenne durée (entre 6 et 10 ans). Gagnant le centre du triangle, la phase 3 renvoie à l’intégration du saltus dans les systèmes agraires, qui apparaît dans l’Antiquité avec ce que Marcel Mazoyer et Laurence Roudart appelaient – on l’a dit – les « systèmes agraires à jachère et culture attelée légère ». Toutefois, et c’est ce qui va particulièrement nous intéresser ici, les étapes suivantes du développement agricole marquent le recul du poids du saltus dans une organisation agraire qui va tendre peu à peu à ne se concentrer qu’exclusivement sur l’ager. La phase 5 est, pour Esther Boserup, celle de l’apparition des rotations complexes et de la suppression de la jachère ; de la phase 3 à la phase 5 se joue donc la « première révolution des Temps modernes » décrite par Marcel Mazoyer et Laurence Roudart. C’est ainsi que la complexification des systèmes de rotation et le perfectionnement de l’exploitation des complémentarités entre les cultures et l’élevage vont entraîner une diminution de l’importance du saltus dans l’agriculture moderne. L’introduction de la culture des plantes fourragères et des prairies artificielles, formant une sorte de saltus cultivé, permet, en effet, d’exploiter ces synergies fonctionnelles au sein même de l’exploitation agricole. Les systèmes intensifs de polyculture-élevage se passent ainsi de plus en plus du saltus, l’ager s’autonomise peu à peu. Dans ce processus d’autonomisation de l’ager, le passage de la phase 5 à la phase 6 marque la modernisation productiviste de l’agriculture qui ajoute une rupture de nature différente. En effet, le « rétrécissement » du saltus consécutif à la « première révolution des Temps modernes » était lié à l’optimisation de la complémentarité fonctionnelle entre les cultures et l’élevage, tandis que l’achèvement de l’autonomisation de l’ager par rapport au saltus et à la silva accomplie par la révolution agricole du xxe siècle met fin aux systèmes de polyculture-élevage. L’ager est plus que jamais considéré comme un puits, mais c’est désormais l’industrie chimique, et non plus l’élevage et ses sous-produits, qui l’approvisionne.
23Mais arrêtons-nous pour le moment au recul du saltus qu’occasionne l’agriculture nouvelle à partir de la fin du xviie siècle. Pour les agronomes que nous avons cités, il apparaît que la modernisation de l’agriculture passe par l’intensification de l’exploitation de l’ager qui permet d’augmenter la productivité à l’hectare. C’est ce que permettent de réaliser les systèmes de polyculture-élevage dont ils décrivent les principes. Dès lors, la jachère apparaît comme inutile : laissant les terres non ensemencées pendant de longs mois, elle représenterait une perte de productivité très importante. L’autonomisation de l’ager va de pair avec l’idée que tout ce qui n’est pas cultivé n’est pas productif, voire contre-productif, d’un point de vue agricole. C’est ainsi que tout comme les jachères, les friches, les maquis, les landes, tout ce qui relevait, en somme, du saltus dans les systèmes agraires développés depuis l’Antiquité, font désormais l’objet de jugements fortement négatifs.
Les friches, l’inculte et l’oubli de la nature ordinaire
Les agronomes, les physiocrates et l’inculte
24La focalisation de la nouvelle agriculture sur l’ager tend à faire disparaître les rôles importants que jouaient certaines terres non cultivées, ou tout du moins non labourées, dans les systèmes agraires précédents. Alors qu’ils apportaient une contribution essentielle à la reproduction de la fertilité des sols, ces espaces semblent désormais exclus de la sphère agricole, et même en former le contrepoint.
25L’exemple fréquemment cité de ce regard mal informé sur les friches, les maquis, les landes ou autres terrains de parcours est celui de l’agronome anglais Arthur Young qui, visitant la Bretagne lors de l’un de ses voyages en France, s’exclame : « Mon Dieu ! Toutes ces landes, ces déserts, ces bruyères, ces genêts épineux, ces trous et ces marais fangeux que je viens de parcourir pendant cent lieues45. » Partout dans la région, l’auteur voit la domination de l’inculte et en conclut à la médiocrité de l’agriculture qui y est pratiquée. Mais, comme l’écrit Annie Antoine :
Ce faisant, Arthur Young passe à côté de la rationalité des systèmes bocagers traditionnels assimilant ajonc, genêt et mauvaises herbes, ignorant le rôle de pâturages d’appoint de ces faux incultes qu’il croit être inutiles. Une observation plus profonde des systèmes agraires lui aurait certainement fait découvrir qu’une partie au moins de ces pays de bocage sont des pays d’élevage qui ne sont pas tous aussi peu productifs que Young semblait le penser. Elle lui aurait également montré que l’assolement dit biennal (jachère/seigle) est loin d’être la règle générale et qu’il existe des multitudes de possibilités parfois très ingénieuses en pays de bocage46.
26Au prisme du modèle agronomique anglais, les systèmes de polyculture-élevage extensifs qui sont pratiqués en Bretagne apparaissent comme des modes de mise en valeur agricoles essentiellement désorganisés et peu productifs, ne valorisant, en particulier, qu’une très faible portion des terres cultivables. Trompé par une grille de lecture définie par l’opposition du cultivé et de l’inculte et inadaptée aux paysages agricoles bretons, Young multiplie les erreurs d’interprétation, qu’énumère Annie Antoine :
Il semble notamment que Young n’ait pas observé les qualités de deux plantes : l’ajonc et le sarrasin. Il n’a pas non plus vu l’intérêt d’une véritable pluriculture incluant des arbres (châtaigniers, oliviers, pommiers selon les régions).
Il n’a pas compris que des plantes comme les genêts ou les ajoncs sont en fait des plantes fourragères intégrées dans les assolements des pays de sol acide (Massif armoricain ou Massif Central) comme peut l’être la luzerne dans les pays au sol calcaire. Ces plantes sont semées en même temps que la dernière céréale de la rotation et elles se développent après sa moisson. Elles apportent de l’azote au sol et elles forment un fourrage très utile pour les bovins et aussi pour les chevaux en Bretagne.
Il n’a pas vu non plus que ces régions d’agriculture pauvre cultivent le sarrasin en tête d’assolement et que le sarrasin est à la fois une plante ameublissante et nettoyante car elle couvre le sol de son feuillage, empêchant la germination des mauvaises herbes. Le sarrasin est donc le complément nécessaire de la jachère puisqu’il contribue à éliminer les mauvaises graines qui se sont accumulées pendant cette période.
Plus profondément, ce queYoung n’a pas vraiment vu, faute d’analyser en profondeur les différents systèmes agraires et de remarquer la diversité des paysages qu’il a classés sous la même dénomination, c’est que les bocages de la France n’ont pas la même signification que les enclosures de l’Angleterre47.
27Ainsi, Young et, avec lui, bon nombre d’agronomes du xviiie siècle ne voient que désorganisation et mises en valeur erratiques là où sont pratiquées des méthodes de culture extensives qui, si elles résistent aux catégories binaires du cultivé et de l’inculte, n’en sont pas moins parties prenantes de véritables systèmes agraires, continuant à s’appuyer sur une complémentarité entre l’ager, le saltus ou la forêt. De cette inadaptation du modèle binaire du cultivé et de l’inculte témoignent également les difficultés que rencontrèrent les enquêteurs chargés en 1801 par Jean-Antoine Chaptal de faire l’inventaire du territoire français et qui découvrirent que des friches et des landes, dans lesquelles ils ne voyaient que des paysages « tristes, sauvages et froids », étaient, en fait, cultivées, et même assez productives48. Toutefois, c’est bel et bien cette « nouvelle grille de lecture » qui s’impose à partir du début du xixe siècle et qui va favoriser le développement d’un discours extrêmement négatif à l’égard de tout ce qui est assimilé à des espaces incultes.
28C’est également dans le même sens que la jachère, dont l’inutilité aurait été démontrée, est associée par les agronomes du xviiie siècle à une incursion inacceptable de l’inculte sur les terres labourables. C’est ce que montrent notamment Pierre Morlon et François Sigaut dans leur Troublante histoire de la jachère49. Les deux auteurs décrivent, en effet, la façon dont cette dernière est peu à peu assimilée à la friche, notamment par le discours qui en fait la critique. Ils remontent, en particulier, à la source de l’association impropre entre la jachère et la notion de « repos du sol ». La confusion naît, en partie, d’une erreur étymologique. Alors que le terme de « jachère » dériverait du verbe « jachérer », « ghaskerer » en ancien français, qui signifiait « labourer », certains agronomes du xviie siècle, notamment Jean-Augustin-Victor Yvart50, auraient contribué à imposer le latin jacere, littéralement « être couché », comme étymologie, associant la jachère à une période d’inaction. Or, ce que montrent les deux auteurs, c’est que la jachère était loin d’être de tout repos pour les paysans, elle incluait plusieurs labours successifs visant à prévenir le développement des adventices et à incorporer dans le sol les apports de fumure. Ainsi, si les terres en jachère ne portaient pas de peuplement végétal cultivé, elles n’en faisaient pas moins l’objet de travaux menés par les paysans. L’association entre la jachère et le repos du sol peut, de ce point de vue, étonner ; elle ne s’impose, en réalité, qu’au moment où son inutilité est affirmée. Gommer ce qui dans la jachère renvoyait à un travail actif visant à reproduire la fertilité des sols appuie la critique qui dénonce le défaut de productivité des systèmes de culture qui l’intègrent et associe ce caractère improductif à un manque de travail. Éléments clés de l’organisation agraire antérieure, le maintien des jachères serait désormais le fait de paysans indolents et cultivant une forme d’archaïsme, un goût pour l’« antique barbarie51 ».
29C’est ainsi que les tenants de l’agriculture nouvelle développent une critique de l’inculte, des friches et de la jachère, au ton résolument emphatique. En ce sens, Yvart fait de la suppression de la jachère l’enjeu le plus crucial de l’économie rurale. Il écrit ainsi :
La question des jachères est incontestablement la plus importante que puisse présenter l’économie rurale, dans toutes les contrées soumises à une culture régulière. Étroitement liée à celle des assolements raisonnés, que les premiers agronomes de l’Europe s’accordent à regarder comme la base la plus solide de la prospérité agricole, elle intéresse, de la manière la plus directe et la plus prononcée, non seulement tous les propriétaires ruraux, tous les cultivateurs, mais aussi tous les hommes d’État, tous les gouvernements, et nous pouvons ajouter la société tout entière52.
30L’insistance sur l’importance de l’enjeu de la disparition des jachères appuie la critique adressée aux paysans qui continuent à y recourir. D’une certaine façon, le maintien des systèmes agraires avec jachère, cette concession faite à l’inculte, ne relève plus simplement de mauvaises pratiques agricoles, mais suscite désormais une réprobation morale. François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur de 1796 à 1799, en charge des questions agricoles, n’hésite à pas parler de l’« opprobre des jachères53 ». Il évoque également, à l’inverse, des paysans qui, quoi qu’il leur en coûte, labourent toutes leurs terres, « pour ne pas déshonorer [leur] ferme par l’existence d’une friche54 ». Opprobre et déshonneur couvriraient ainsi les paysans qui ne s’emploient pas au recul de l’inculte dans les campagnes et, à plus forte raison, de l’inculte au sein même des terres labourables ou de l’ager.
31Les terres non cultivées des biens communaux sont également associées au sentiment de honte. C’est ce dont témoigne le récit du voyage en Alsace de l’agronome allemand Johann Nipomek von Schwerz, qui écrit
La première fois que je vins en Alsace, la fertilité du sol, la richesse des moissons, le bien-être et l’industrie des habitants, me donnèrent une haute idée de l’agriculture de cette province ; quelle fut ma surprise, en voyant, dans la plus belle des plaines et parmi cette population laborieuse, des contrées entières ne former que de vastes solitudes, et condamnées à n’être habitées que par des vaches et des chevaux en pleine liberté !
[…] On compte dans le département du Bas-Rhin 119,000 arpents de 20 ares de déserts, car je ne saurais nommer autrement les biens communaux, pâtures vagues ou autres d’une contrée où, comme dans les arrondissements de Strasbourg et de Schelestadt, il n’y a guère plus de 400,00 arpents soumis à la charrue ; c’est là un crime contre nature, c’est une perte pour l’État, et pour tout dire, en un mot, c’est une honte pour l’agriculture d’un pays civilisé55.
32Et, d’ajouter un peu plus loin :
Les pâtures communales étendues, qui à la honte de l’Alsace occupent encore une grande partie de la plus belle de toutes les contrées, et la déshonorent aux yeux de l’industrie, ces communaux, dis-je, ont été restreints, et disparaîtront complètement56.
33Les termes employés sont une nouvelle fois très forts pour critiquer des communaux que Schwerz n’hésite pas à qualifier de « déserts », quand il mentionne pourtant le fait que les animaux viennent y paître. L’historien Louis Binz montre que ce sentiment négatif à l’égard des espaces incultes est présent également dans les campagnes suisses, rapportant les propos suivants d’un individu qu’il nomme le « citoyen Frary » :
« Vous êtes bons genevois, dites-vous ! Hé bien, c’est le moment de vous montrer dignes de ce nom honorable, j’aime à le croire ; pour m’en convaincre, mettez-vous à la tête de vos ouvriers, conduisez-les la pioche à la main pour détruire ces bosquets, ces promenades, ces arbres inutiles, ces terrasses, ces labyrinthes qui n’ont servi jusqu’à présent qu’à insulter à la misère du pauvre, et les ensemencer tout de suite afin de nous procurer une prompte abondance57. »
34Par ailleurs, outre les agronomes, les représentants de l’autre courant de pensée qui s’est appliqué à défendre la nécessité pour l’agriculture d’emprunter cette voie de modernisation, la physiocratie, avaient déjà donné voix à la critique virulente des espaces non proprement cultivés. Focalisés sur l’amélioration de la productivité de l’agriculture, les physiocrates voyaient, en effet, d’un mauvais œil les terres inexploitées, les lieux de parcours et toutes les terres qui, pouvant l’être, n’étaient pas emblavées, et développèrent une critique des friches que l’on peut qualifier d’« obsessionnelle58 ».
35De sorte que la « révolution agricole des Temps modernes » qui, dans le triangle de la trilogie agraire, tend à déplacer le barycentre des systèmes agricoles vers le sommet de l’ager, s’accompagne de l’apparition d’un discours fortement négatif sur tout ce qui, n’étant pas de l’ager, est désormais considéré comme de l’inculte inutile. Le regard se modifie, ainsi, sur des espaces qui auparavant prenaient place dans l’organisation agraire. Désormais jugés improductifs, les friches, les landes, les maquis, les garrigues, les terrains de parcours, apparaissent comme le symbole d’un archaïsme agricole, d’une mise en valeur de l’espace qui ne satisfait pas l’idéologie progressiste des Lumières et de la modernité. L’heure est au « grand défrichement », intellectuel autant qu’agricole, comme l’exprime Voltaire assignant sa tâche au philosophe véritable :
Il sait, comme le sage de Montbard [Buffon], comme celui de Voré [Helvétius], rendre la terre fertile et ses habitants plus heureux. Le vrai philosophe défriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues, et par conséquent des habitants ; occupe le pauvre et l’enrichit, encourage les mariages, établit l’orphelin, ne murmure point contre des impôts nécessaires et met le cultivateur en état de les payer avec allégresse59.
Une rupture avec la nature ordinaire
36D’une certaine façon, le regard sur les paysages agricoles se simplifie à travers les filtres binaires du cultivé et de l’inculte, du productif et de l’improductif, du mis en valeur et du négligé, autant de dualismes qui ne sont pas sans lien avec celui, central, de la modernité qui oppose l’homme et la nature.
37De ce point de vue, les agronomes de la fin du xviiie siècle s’inscrivent d’ailleurs explicitement dans la filiation de Francis Bacon, « père fondateur » de la science moderne. Ainsi, Young écrit-il à propos de ce dernier :
Les recherches du grand Bacon sur l’agriculture, aussi loin qu’elles s’étendent, sont dignes de son immortel génie : elles sont purement expérimentales et rapportées avec une précision philosophique60.
38Les références à Bacon dépassent en outre les frontières anglaises. C’est ainsi que Yvart, décrivant des modèles d’irrigation, écrit :
L’Angleterre nous présente encore plusieurs belles entreprises en ce genre, quoiqu’elles n’y soient pas à beaucoup près aussi nombreuses qu’elles pourraient et devraient l’être, malgré l’ancienne recommandation du chancelier Bacon, et malgré celles, plus modernes, de William Tatham, d’ArthurYoung, de Marshall, de Curwen, du chevalier Sinclair, et de plusieurs autres agronomes anglais61.
39Certains passages du même ouvrage font, par ailleurs, assez nettement écho à la formule célèbre de Bacon qui invite à « étendre la puissance et l’empire du genre humain tout entier, sur l’immensité des choses62 ». Yvart écrit, par exemple :
Que de conquêtes à faire encore en ce genre et dans d’autres non moins utiles ! Que de victoires à remporter sur la nature ! Nous ne pouvons nous dispenser de dire ici que si la centième partie des milliards dissipés de temps immémorial, dans le monde entier, pour essayer de mettre à la raison ses semblables en en tuant un grand nombre, avoit été employée sagement à l’amélioration du sol, il n’existeroit plus sans doute aujourd’hui, nulle part, aucune terre inculte, malsaine, improductive ; et les horreurs de la famine n’auroient pas désolé si souvent l’espèce humaine63.
40Et, plus loin, l’auteur de s’exclamer à nouveau :
Que de grandes victoires à remporter encore ici sur la nature ! Que de riches conquêtes à obtenir, sans sortir de notre territoire, et sans avoir besoin de ravager celui de nos voisins64 !
41Yvart inscrit le progrès agricole sous le signe de la victoire sur la nature ou de la conquête, montrant d’une certaine façon qu’il est déjà partiellement engagé dans la voie qu’explorera plus en avant le développement technique des xixe et, surtout, xxe siècles, celle qui poursuit l’ambition de dominer sans partage la nature. Engagement partiel de sa part et des agronomes, car la rupture avec la nature à laquelle peut conduire la modernité, à laquelle elle conduira, n’est pas encore consommée. Si les théories agronomiques du xviiie siècle invitent, en effet, à la concentration des activités agricoles sur l’ager, elles restent toutefois dans la continuité des systèmes agricoles qui se sont succédé depuis l’Antiquité du point de vue de la façon dont elles s’appuient encore sur une forme de coopération avec la nature. Par les systèmes intensifs de polyculture-élevage, il s’agit, en effet, de concentrer sur l’ager les synergies fonctionnelles qui mobilisaient par le passé les trois types d’espace rural que définit la trilogie agraire, mais pas encore de vouloir se substituer à la nature et prendre en charge l’intégralité du processus de production. Si elle est désormais pensée dans les limites de l’ager, la reproduction n’est pas séparée de la production, et toutes deux mobilisent des processus naturels, et reconnus comme tels. L’heure n’est pas encore au triomphe de l’artifice auquel prétendront les tenants de la modernisation de l’agriculture au lendemain de la Seconde Guerre mondiale65.
42Cette absence de rupture véritable avec la nature associée à l’agriculture nouvelle est, à plus forte raison, confirmée par l’implication des physiocrates dans le développement de l’agronomie qui la sous-tend. Dans le modèle physiocratique, la société s’inscrit, en effet, dans la continuité de la nature. Et à ce sujet, comme l’écrit clairement Catherine Larrère, pour les physiocrates :
Bien loin d’agir contre la nature, comme l’affirme le paradigme industriel issu du maker’s argument, le travail des hommes doit « concourir » avec elle66.
43De ce point de vue, l’amélioration de l’agriculture est pensée sur le modèle de l’optimisation de mécanismes inscrits dans un « ordre naturel67 ». Les activités humaines s’insèrent dans des cycles de production et de reproduction naturels.
44Toutefois, s’il n’y a rupture véritable avec la nature, ni chez les agronomes du xviiie siècle, ni chez les physiocrates, la thèse que nous défendons est que l’agriculture nouvelle qu’ils appellent de leurs vœux rompt pourtant bien avec une certaine forme d’espaces naturels, ceux que désignait depuis l’Antiquité le terme de saltus, et, par conséquent, avec la forme de rapport à la nature qu’impliquaient les activités menées sur ces espaces. Cette rupture se joue, en somme, dans le passage du modèle de la trilogie agraire au partage binaire des paysages ruraux entre ager et silva.
45Ainsi, la volonté de rompre avec ces espaces incertains pour les catégories agronomiques, tels les friches, les maquis, les garrigues ou les landes, est, par exemple, clairement exprimée par Belial DesVertus dans son Essai sur l’administration des terres. Dans ses recommandations sur la façon de valoriser des terres, l’auteur distingue entre les bonnes et les mauvaises terres. Les premières doivent toujours être labourées et cultivées sur la plus grande étendue possible. Tandis qu’au sujet des secondes, il écrit :
Lorsque les terres font mauvaises, il faut, autant qu’il est possible, diminue les exploitations du colon […]. Dans ce cas, on doit diminuer l’exploitation du Domaine maigre, il faut en séquestrer les plus mauvaises Terres, et ne laisser au Fermier que celles qui sont avantageuses à la culture, afin de diminuer les bâtimens et la quantité de prés que l’on fournissoit au Fermier. À l’égard de la partie séquestrée, on la plante en bois ; mais fi l’on n’est pas situé dans un Pays avantageux pour le débit du bois, il faut se retourner pour améliorer le Fonds, soit en obligeant le Fermier de marner, soit en lui faisant mettre une partie des Terres en bourgognes, luzernes et autres espèces de foin, suivant qu’elles en seront susceptibles ; soit enfin en l’obligeant de semer beaucoup de vesses, pois & dragées, qui le mettront en état de nourrir beaucoup de bétails et de se procurer une abondance de fumiers68.
46L’auteur n’envisage ainsi pour les terres que deux modèles d’organisation écologiques, celui de l’ager de façon préférentielle, et à défaut celui de la silva. Il faut labourer ou planter des arbres. Une hantise du vide, que représenteraient les friches ou autres terres non exploitées à plein, semble, en quelque sorte, animer l’agronome, ce dont témoigne la citation suivante à propos de la plantation d’arbres :
On trouve toujours de la place pour des Saules et des Peupliers : il n’y a point de grandes terres où il ne se trouve des racines et des ruisseaux, voilà des bords à garnir. On peut obliger chaque fermier de planter tous les ans un arbre, soit fruitier, soit de toutes espèces d’arbres stériles, à raison de chaque arpent de son exploitation. En se promenant sur sa ferme, on lui indiquera le ravin, la haie ou le champ propre à planter. On trouve aussi toujours des friches. On l’obligera de replanter les arbres qui périront ; on lui donnera en compte ceux qui seront sur sa Ferme, et on en fera le recensement chaque année : cela est facile, si on a l’attention de comprendre et d’énoncer dans le Bail du Fermier toutes les pièces de Terre qu’il exploite : le surplus est l’ouvrage d’un Garde intelligent69.
47De façon plus générale, la volonté de faire croître les superficies des terres labourées d’une part, et des forêts d’autre part, au détriment du saltus, de partager, en somme, l’espace entre champs cultivés et forêts constitue l’idée directrice des politiques rurales qui dominent à partir de la fin du xviiie siècle. L’organisation spatiale des campagnes met désormais en scène un jeu, non plus à trois, mais à deux acteurs : l’arbre et le champ.
La lutte de l’arbre et du champ
48Cependant, ce partage, qui ne semble pas poser problème dans les écrits des physiocrates ou des agronomes, dans la mesure où il semble que l’on puisse toujours trouver de la place pour planter des arbres sans que cela ne nuise à l’extension de l’ager, se montrera éminemment conflictuel tout au long des xixe et xxe siècles. C’est que, si les champs cultivés et les forêts deviennent les acteurs majeurs dans les campagnes à l’exclusion du saltus, la révolution agricole ne conduit pas à la réapparition de modèles agraires agroforestiers. Bien au contraire, le xixe siècle est aussi marqué par la dissociation de l’agriculture et de la forêt. La foresterie s’autonomise, en effet, en se détachant des activités productives de l’ager. Ce sont désormais dans des logiques différentes que sont conduites les exploitations respectives des espaces boisés, d’une part, et des champs cultivés, d’autre part. Et, bien loin de renvoyer à une relation harmonieuse entre l’« arbre » et le « champ », l’histoire rurale des xixe et xxe siècles est le théâtre de luttes récurrentes entre forestiers et paysans.
49Au début du xixe siècle, l’aménagement étatique des forêts possède déjà une longue histoire qui remonte au moins à la création de l’administration des Eaux et Forêts en 1318 sous le règne de Philippe V70.
50Dès 1346, l’ordonnance de Brunoy introduit l’idée d’une nécessaire régulation des coupes afin d’assurer la pérennité de la production de bois, mais c’est l’ordonnance de Jean-Baptiste Colbert de 1669 qui définit les bases juridiques d’un véritable code forestier visant à instaurer une gestion de la forêt que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de soutenable71. Le xixe siècle va toutefois marquer un tournant dans l’histoire de l’administration forestière, qu’accompagne le renforcement considérable du pouvoir du corps des forestiers, tout d’abord par la création de l’École forestière de Nancy en 1824, puis par l’édiction du nouveau code forestier de 1827. Dans un contexte marqué par la période révolutionnaire qui, mettant fin aux privilèges seigneuriaux concernant l’accès aux ressources forestières, a vu les populations locales augmenter leur pression sur les milieux boisés, la nouvelle réglementation semble répondre à la volonté de « remettre de l’ordre » dans les forêts. De fait, le code de 1827 s’attaqua fortement à l’ensemble des droits d’usage ou des servitudes collectives qui donnaient la possibilité aux populations locales de profiter de différents biens issus de la forêt, pour confier la gestion quasi exclusive des bois à l’administration forestière. Dans cette optique, la bonne santé des forêts ne pouvait être obtenue que par leur aménagement conduit par des spécialistes, les forestiers.
51De ce point de vue, les usages des populations locales, en particulier des paysans qui viennent faire pâturer leurs bêtes dans les bois communaux, apparaissent comme des obstacles à la bonne gestion. L’administration forestière va, par conséquent, s’employer à restreindre considérablement ces pratiques, quand ce n’est pas tout simplement à les interdire. Elle œuvre, en somme, à imposer une nouvelle forme de mise en défens des forêts et suscite logiquement de vives réactions parmi les populations locales, dont l’opposition prit à plusieurs reprises la forme de véritables luttes ou batailles rangées, comme ce fut le cas lors de l’épisode le plus célèbre de cette série de troubles forestiers auquel on a donné le nom de « Guerre des demoiselles72 ». Le xixe et le début du xxe siècle seront ainsi marqués par des conflits entre les paysans et les forestiers qui cherchent à étendre la superficie des forêts, en reboisant notamment les communaux73. Et, comme l’écrit Pierre Cornu, l’arbre est désormais considéré comme le « symbole de l’éviction du terroir par la force étatique74 ».
52La revendication de l’exclusivité de la gestion étatique des forêts s’accompagne de la formulation d’un discours très alarmiste sur les conséquences néfastes de la déforestation pour les milieux naturels, mais aussi pour la société tout entière. La fin du xviiie siècle voit, en effet, se développer des réflexions théoriques visant à mettre en exergue les liens entre la déforestation et certains processus naturels qui posent problème tels que l’érosion des sols, les inondations, les sécheresses, ou encore les avalanches. Ainsi, l’hypothèse de l’influence stabilisatrice de la forêt sur les milieux naturels ainsi que sur le climat, développée sous la plume d’auteurs tels que François Rauch, est intégrée dans le discours forestier et tend à s’imposer plus largement dans la société. Les bienfaits supposés de la forêt ne se limitent pas, par ailleurs, au monde naturel, celle-ci aurait également, en effet, des vertus sociales, assurant notamment la stabilité de l’ordre social. Bernard Kalaora et Antoine Savoye écrivent à ce propos que les forestiers « élèvent [la forêt] au rang de critère de l’état social » et précisent que « leur leitmotiv, simple, est alors : “à mauvaise forêt, mauvaise société” et “ce qui est bon pour la forêt est bon pour la société”75 ». De ce déplacement du naturel vers le social, l’économiste libéral Adolphe Blanqui, qui publie, en 1843, un rapport intitulé Du déboisement des montagnes76 est emblématique. Au sujet de ce dernier, les deux auteurs écrivent :
Dans « Du déboisement des montagnes », Blanqui établit un lien entre la désolation physique du territoire et l’état social des populations. Les progrès du déboisement et les ravages des torrents qui en sont les conséquences, apparaissent aux yeux de l’illustre économiste comme les facteurs principaux de déstructuration de l’économie et du système social des populations77.
53Mais ce discours qui valorise le rôle de la forêt dans l’organisation de la société et de son territoire n’est-il pas en somme une forme de réaffirmation de la complémentarité fonctionnelle des différents types d’espace agricole qu’exprimait la trilogie agraire ? La thèse qu’il contient est, en réalité, très différente. Ce ne sont plus, ni les ressources que peuvent tirer des forêts les populations locales, ni la source de fertilité pour les espaces agricoles qu’elles peuvent représenter, que mettent en exergue ces réflexions théoriques – comme en témoigne l’exclusion des paysans et de leurs animaux. Il ne s’agit plus, en somme, de souligner l’intégration de la forêt dans la micro-économie rurale. C’est d’un point de vue macroscopique que l’administration forestière affirme la nécessité de la forêt pour maintenir des équilibres naturels entre les différents territoires et pour favoriser la stabilité de l’ordre social. Et, c’est précisément parce que ce niveau macroscopique échappe, selon les forestiers, aux populations rurales qu’il faut les tenir à l’écart des forêts et gérer ces dernières de façon technocratique78.
54En pratique, l’opposition constante des paysans a pendant longtemps mis en échec cette volonté étatique et les infractions au code forestier, bien que sévèrement réprimées, restèrent nombreuses79. Néanmoins, la scission entre l’agriculture et la forêt est entérinée théoriquement par le discours des forestiers. Appuyant le partage théorique entre la silva et l’ager, ils renvoient ainsi chacun des acteurs des espaces ruraux à leurs domaines respectifs, les champs aux paysans, les forêts aux forestiers. Quant au saltus, parent pauvre des campagnes, il doit autant que possible disparaître sous la frondaison des arbres nouvellement plantés ou sous le coup du soc de la charrue.
La friche et le mauvais paysan, l’arbre et le bon forestier
55La fin du xviiie siècle voit se multiplier les réflexions théoriques sur des questions que l’on peut rapporter de façon générale à l’aménagement du territoire rural. C’est, d’une part, le discours agricole développé par les physiocrates et les agronomes qui formulent les principes d’une agriculture nouvelle basée sur l’intensification de l’exploitation de l’ager. C’est aussi, d’autre part, le discours forestier qui plaide en faveur d’une gestion administrative et autonome des forêts. Ces deux discours ont en commun de développer une critique soutenue des espaces qui ne relèvent ni du domaine cultivé, ni de la forêt, autrement dit de ceux qui étaient rassemblés antérieurement sous l’appellation de saltus. Forestiers et agronomes ont, en effet, des représentations très négatives de ces espaces incertains, au sens où ils ne peuvent être classés parmi l’une ou l’autre des deux catégories qui devraient partager les campagnes, selon le modèle binaire qu’ils cherchent à imposer. Dans cette critique des friches, des landes ou autres garrigues, l’emphase forestière80 fait écho à la virulence des jugements portés par les agronomes sur le maintien dans les campagnes de certains systèmes agraires avec jachère. Le ton emphatique adopté par les deux discours vise, bien sûr, à souligner la gravité de la question traitée. La suppression de la jachère d’une part, le reboisement d’autre part, et, par conséquent, la diminution de la part du territoire laissée aux friches ou autres terres incultes, sont décrits comme des enjeux vitaux pour la société. C’est dans ce cadre que les jugements négatifs visant les friches ou les espaces incertains nous semblent prendre place dans un discours normatif plus englobant qui se met en place et qui vise conjointement la nature et la société.
56De ce point de vue, le développement de l’agriculture nouvelle et l’affirmation de l’autorité de l’administration sur la gestion des forêts contribuent au processus de normalisation des campagnes, et plus largement de normalisation de la société que Michel Foucault voit à l’oeuvre dans l’exercice du bio-pouvoir81. C’est dans sa volonté de cibler, non plus les individus, mais une population que le philosophe français situe la spécificité de cette nouvelle forme de pouvoir. Il s’agit de se préoccuper de « faire vivre » une population. C’est dans ce cadre qu’apparaissent les analyses foucaldiennes visant le développement de la médecine publique et de l’hygiénisme, qui prend en charge les problèmes de la reproduction, de la natalité, de la morbidité, mène des campagnes d’apprentissage de l’hygiène et de médicalisation de la population. Mais il est un autre point que souligne Foucault et qui nous semble indiquer la façon dont les discours des agronomes et des forestiers participent de la mise en place de ce bio-pouvoir : il s’agit de la question des rapports entre les hommes et leur milieu de vie, qu’il décrit comme un domaine d’application de ce pouvoir. Il écrit à ce sujet dans son cours de 1976 :
Enfin, dernier domaine (j’énumère les principaux, en tout cas ceux qui sont apparus à la fin du xviiie siècle et au début du xixe ; il y en aura bien d’autres après) : prise en compte des relations entre l’espèce humaine, les êtres humains en tant qu’espèce, en tant qu’êtres vivants, et puis leur milieu, leur milieu d’existence – que ce soient les effets bruts du milieu géographique, climatique, hydrographique : les problèmes, par exemple, des marécages, des épidémies liées à l’existence des marécages pendant toute la première moitié du xixe siècle82.
57C’est dans ce cadre que s’exprime un discours normatif qui vise conjointement les hommes et la nature. Ce qu’illustrent, en premier lieu, les écrits des agronomes qui associent les paysages qu’ils découvrent et les hommes qui les habitent dans un même jugement de valeur. Dans les paysages non conformes aux canons de la nouvelle agronomie se lit l’indolence des paysans. Mais aussi, en sens inverse, certaines régions sont jugées plus favorables au maintien d’une forme d’archaïsme chez les paysans. Par ailleurs, c’est au nom de leur participation trop faible à l’effort collectif pour nourrir la population que certaines régions ou certains paysages sont jugés négativement. D’une certaine manière, les friches ou autres terres incultes sont la honte de la nature et le déshonneur des hommes, parce qu’elles ne permettent pas d’optimiser les rapports entre une population et son territoire. Les nouveaux modèles agronomiques associent des normes visant la bonne organisation à la fois des systèmes naturels et de la société. De même, l’ordre naturel des physiocrates doit se prolonger dans l’ordre social.
Le discours forestier
58De ce recoupement entre les jugements sur la nature et sur les hommes, le discours des forestiers est, lui aussi, particulièrement représentatif. La formule « à bonne forêt, bonne société », envers positif de la maxime qu’attribuait Bernard Kalaora et Antoine Savoye aux forestiers, l’exprime de façon tout à fait explicite. Et, pour le corps forestier du xixe siècle très majoritairement conservateur, l’histoire récente illustre parfaitement ce lien. Son discours se construit en bonne partie comme une réaction contre ce qu’il considère être les effets néfastes sur les forêts des « agitations politiques » de la période révolutionnaire. Il affirme que les déboisements consécutifs à l’abolition des mises en défens de l’Ancien Régime sont la preuve que dans une société désordonnée, les forêts se meurent, et que la société, elle-même, menace de les suivre à son tour. À l’inverse, le reboisement et la restauration de la pleine santé des forêts conduiront nécessairement au rétablissement et à la stabilité de l’ordre social. C’est ainsi qu’ils peuvent soutenir que le reboisement est une question vitale pour la société tout entière.
59Comme les agronomes, les forestiers font le procès des espaces incultes et de la nature désordonnée, qu’ils veulent faire disparaître, quant à eux, par le reboisement. Mais, de manière plus claire que les premiers, ils vont, en outre, leur opposer un modèle de la nature belle et harmonieuse, celui de la forêt, qu’ils rendent, en définitive, synonyme de la nature elle-même. Ce discours, qui vante les mérites de la forêt, définit, en même temps ce qui serait le lieu de la nature véritable, de la nature naturelle. Contemporains de l’essor du romantisme, les forestiers partagent l’idée selon laquelle le salut de la société est dans la nature, et ils ajoutent que l’archétype de cette nature vertueuse et salvatrice est la forêt. Dans le même sens, à la fin du xviiie siècle, les peintres de l’école de Barbizon louent, non seulement les qualités esthétiques d’une forme de forêt, mais aussi ses effets sur les mœurs. À ce propos, Bernard Kalaora écrit :
Les peintres de la forêt ne sont pas seulement des « visionnaires », des « artistes ». En recherchant leurs motifs, ils découvrent l’aspect récréatif et salubre de la forêt ; en privilégiant le caractère esthétique, ils la balisent de leur regard et diffusent des modèles de comportements dont s’inspireront les nouveaux pratiquants83.
60Le discours forestier sur la nature contribue, en fait, à mettre en place un schéma qui va s’installer durablement, dans lequel sont pensés les rapports entre la société et la nature. Instituant l’idée selon laquelle la bonne santé de la nation repose sur l’équilibre macroscopique entre deux grands pôles, respectivement naturel et social, les forestiers procèdent à une forme de spatialisation du dualisme moderne qui sépare l’homme et la nature : d’un côté, les espaces pour produire, domaine de l’artifice, de l’industrie, mais aussi, dorénavant, de l’agriculture ; de l’autre, les espaces réservés à la nature qu’il faut protéger. Les forestiers participent ainsi de la formation d’une pensée de la protection de la nature qui ne se préoccupe que des espaces qu’elle considère comme étant véritablement naturels. La nature qu’il faut protéger est une nature située spatialement. Il ne s’agit pas nécessairement de préserver une nature vidée de toute présence humaine : si les forestiers excluent les paysans locaux et leurs usages qu’ils jugent néfastes, ils défendent ardemment l’idée qu’il faut entretenir les forêts pour qu’elles restent belles et en bonne santé. Et, dans le courant de protection de la nature qui prendra de l’ampleur à la fin du xixe siècle, les forestiers représenteront précisément le pôle de la protection pensée comme une bonne gestion de la nature, plutôt que selon le modèle de l’abstention.
61Mais, ce qui nous intéresse ici, c’est moins la question du type de protection de la nature défini, que la façon dont le discours forestier contribue au partage de l’espace, et en particulier de l’espace rural, entre milieux artificiels et milieux naturels, entre le domaine des hommes et celui de la nature. Puisque ce qui se joue dans cette valorisation du lieu propre de la nature que serait la forêt, c’est en négatif la disparition, ou du moins l’occultation, d’une autre forme de nature : celle qui n’est pas nécessairement belle ou admirable, à l’œil d’un romantique, celle qui jouxte les champs cultivés, celle que forment les espaces qui ne sont pas sous couvert forestier, mais qui ne sont pas, non plus, labourés ou cultivés de façon intensive. En somme, faire de la forêt le lieu par excellence de la nature, c’est préparer l’oubli de la nature ordinaire.
Le désordre de la nature et de la société
62L’agronomie et la foresterie développent, à partir de la fin du xviiie siècle, des discours normatifs sur l’homme et sur la nature qui s’entrelacent. La première discipline établit un modèle du bon paysan, en même temps qu’elle définit les principes théoriques des systèmes agraires modernes, par opposition au couple archaïque que constitueraient le paysan de l’Ancien Régime et la jachère. La seconde raisonne de façon plus macroscopique, elle affirme l’existence de liens entre la stabilité et la moralité d’une société et la bonne santé de la forêt, croyant en la supériorité morale de l’arbre sur la friche. Agronomes et forestiers contribuent ainsi à l’élaboration d’un modèle normatif du bon rapport entre les hommes et la nature. D’un point de vue individuel, il s’agit, d’une certaine manière, de se conduire en société et avec la nature « en bon père de famille ». Cette mesure de conduite sociale84, qui apparaît dans le code civil85, mais aussi dans le code rural86, inclut, en effet, par exemple, des considérations sur la bonne façon de gérer ses terres pour un propriétaire87. Et le bon paysan qui applique les règles de la nouvelle agronomie afin de nourrir la population, comme le bon forestier qui entretient les forêts pour le salut de la société, agissent, en définitive, en bons pères de famille.
63Dans le discours agronomique, comme dans le discours forestier, s’exprime la volonté d’ordonner conjointement la nature et la société. Il s’agit, d’une part d’aménager les champs, de délimiter et de clore les parcelles, de clarifier les régimes de propriété foncière, d’autre part d’agencer au niveau du territoire national les espaces réservés à la nature, les forêts, avec ceux consacrés aux activités humaines, mais aussi de rationaliser la gestion de ces forêts. Ainsi, ce désir d’ordre unit de façon syncrétique le progressisme des agronomes du xviiie siècle et le conservatisme des forestiers du xixe. Ce qui conduit les deux courants de pensée à faire le procès des espaces incultes, négligés, des terres incertaines ou des terrains vagues. En somme, agronomes et forestiers voient et condamnent dans les friches le désordre de la nature et celui de la société.
64En cela, les préconisations de l’agronomie nouvelle et de la foresterie nous semblent prendre place, au sein d’un processus large de normalisation, aux côtés des théories urbanistes et hygiénistes qui se développent à la même époque. Comme l’urbanisme assainit les villes, reconfigure les espaces, nomme les rues, numérote les habitations, les théories agronomiques et forestières contribuent, à leur façon, à la mise en ordre des campagnes, à atteindre, en somme, les objectifs fixés par le code rural de 1791 de « veiller généralement à la tranquillité, à la salubrité et à la sûreté des campagnes88 ».
65L’ensemble de ces discours nous semble former un faisceau de propositions normatives visant l’homme et la nature, cherchant à définir la nature du premier, leurs rapports, mais aussi la place de la nature par rapport à la société. Ils ont en commun de voir à l’œuvre dans l’histoire agitée de la fin du xviiie et du xixe siècle des désordres sociaux et naturels. En ce sens, Bernadette Lizet, dans son article intitulé « Naturalistes, herbes folles et terrains vagues », décrit la façon dont les discours sur la nature et sur les phénomènes sociaux se croisent tout particulièrement à la fin du xixe siècle, montrant notamment comment l’idée qu’il existe une végétation de la subversion ou une flore de crise s’impose alors – on parle aussi de flore rudérale au sens littéral d’une végétation qui pousse sur les décombres. De fait, cette association entre l’écologique et le social intéresse des botanistes qui sillonnent les villes et élaborent des flores urbaines. À ce propos, l’auteur écrit :
La végétation nomade, la flore du déséquilibre écologique et social (Une Flore obsidionale – de la ville assiégée – paraîtra en 1871) s’individualisent donc, sous le Second Empire, comme un nouveau sujet d’étude pour les botanistes89.
66Et, un peu plus loin, elle retrace l’histoire d’une flore « légendaire », la flore de la place Vendôme qui aurait été écrite par le botaniste Charles Louis L’Héritier de Brutelle en l’an II ou III de la République, « lorsque les plus beaux quartiers de Pairs étaient déserts » du fait des événements révolutionnaires, soulignant qu’à ce sujet :
Les échanges d’informations parues dans le Journal des curieux font bien jouer la problématique croisée de l’ordre et du désordre, de la nature et de la culture dans la cité en crise. Les interstices du pavé portent le germe du débordement végétal, métaphore de la violence sociale. Le piétinement quotidien, signe d’ordre et de permanence dans les affaires de la cité, peut, seul, contenir l’herbe folle90.
67De ce point de vue, le discours urbain comme les discours ruraux des agronomes et des forestiers assignent sa place à la nature. Il faut la cantonner dans les espaces naturels. Dans ces limites qui lui sont réservées, il faut la laisser s’épanouir pleinement, permettre à la forêt de développer son extension optimale et concourir à son entretien ; en dehors, les incursions de la nature sont jugées intempestives, appréhendées sur le mode de l’invasion. En somme, cet ensemble de discours normatifs appelle de ses vœux l’établissement ou le rétablissement d’une société bien ordonnée d’une part, de la nature harmonieuse d’autre part ; ni l’une, ni l’autre n’ont de place pour une nature ordinaire.
68Ainsi, nous nous sommes efforcés de montrer comment s’est mis en place, à partir de la fin du xviiie siècle, un cadre conceptuel hostile à toutes formes de terres incertaines, telles que les friches, les landes, les garrigues ou autres terrains de parcours. Autrefois saltus, ces espaces appartiennent désormais au domaine de l’inculte. C’est à ce changement de regard et de pratiques qu’ont contribué les théories agronomiques et le discours forestier. S’impose alors une nouvelle grille de lecture des paysages qui ne voit entre l’arbre et le champ que le désordre improductif, des espaces en marge, résiduels, et qu’il faut essayer de transformer en système agricole ou forestier. Ce que nous avons voulu montrer ici, c’est la façon dont, dans un faisceau de justifications agronomiques, économiques, politiques et morales, s’est constituée la représentation sociale des friches qui domine encore de nos jours et qui les définit comme des espaces inutiles, improductifs, comme des déserts, des ressources inemployées, autant de caractéristiques qui les rendraient détestables et qui motiveraient la rupture avec cette forme de nature ordinaire.
Notes de bas de page
1 Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, Histoire des agricultures du monde, op. cit.
2 Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, Histoire des agricultures du monde, op. cit.
3 Ibid., p. 417.
4 Jethro Tull, Horse-Hoeing Husbandry, Londres, A. Millar, 1751.
5 Arthur Young, Political Arithmetic, New York, A. M. Kelley, 1967.
6 Henri Louis Duhamel du Monceau, Traite de la culture des terres, suivant les principes de Tull, Anglois, Paris, Hyppolite Louis Guerin, 1750.
7 Jean-Antoine Chaptal, De l’industrie française, Paris,A. A. Renouard, 1819.
8 Albrecht Daniel Thaër, Principes raisonnés d’agriculture, Paris,A. Cherbuliez, 1831. 9 La théorie de l’humus, à laquelle on oppose traditionnellement la théorie minérale de Justus von Liebig, défendait l’idée que les plantes se nourrissaient d’une substance unique qu’elles absorbaient par les racines, l’« humus ».
9 La théorie de l’humus, à laquelle on oppose traditionnellement la théorie minérale de Justus von Liebig, défendait l’idée que les plantes se nourrissaient d’une substance unique qu’elles absorbaient par les racines, l’« humus ».
10 Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale francais, Paris, Armand Colin, 1968, p. 65-66.
11 Sur la question des « communs » voir le travail de référence de Pierre Dardot, Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au xxie siècle, Paris, La Découverte, 2014.
12 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale. Les biens communaux en France, 1750-1914, Paris, Publications de la Sorbonne (Histoire de la France aux xixe et xxe siècles), 1998.
13 Id., « Le conflit autour des biens communaux ou la crise de la propriété collective (1760-1870) », dans Corinne Beck, Yves Luginbühl, Tatiana Muxart (dir.), Temps et espaces des crises de l’environnement, Versailles, Éditions Quæ (Indisciplines), 2006 ; Jean-Marc Moriceau, « L’accès à l’herbe sous l’Ancien Régime : des compromis pastoraux impossibles », dans Corinne Beck, Yves Luginbühl, Tatiana Muxart (dir.), Temps et espaces des crises de l’environnement, op. cit. ; Gérard Béaur, « En un débat douteux », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 53/1, juillet 2006, p. 89-114.
14 Marc Bloch, « La lutte pour l’individualisme agraire dans la france du xviiie siècle », Annales d’histoire économique et sociale, 2/7, 1930, p. 329-383.
15 NadineVivier, « Le conflit autour des biens communaux », art. cité, p. 71.
16 Catherine Larrère, « L’Arithmétique des physiocrates : la mesure de l’évidence », Histoire & mesure, 7/1-2, 1992, p. 5-24 ; Id., L’invention de l’économie au xviiie siècle. Du droit naturel à la physiocratie, Paris, Puf (Léviathan), 1992.
17 François Quesnay, Tableau économique des physiocrates, Paris, Calmann-Lévy, 1969.
18 Geneviève Gavignaud-Fontaine, Propriété et société rurale en Europe. Les doctrines à l’épreuve de l’histoire sociale française : années 1780-1920, Nantes, Éditions du Temps (Synthèse d’histoire contemporaine), 2005, p. 35.
19 Ibid., p. 39.
20 NadineVivier, « Le conflit autour des biens communaux… », art. cité, p. 72.
21 Intégrée à l’abolition des droits de la Nuit du 4 août, la suppression du droit de triage qui autorisait les seigneurs à s’approprier un tiers des terres concernées par un partage est, de ce point de vue, essentielle.
22 En particulier sous l’impulsion d’Henri Bertin et Henri Lefèvre d’Ormesson, respectivement ministre d’État en charge des affaires agricoles de 1763 à 1780 et intendant général des finances, voir Nadine Vivier, « Le conflit autour des biens communaux », art. cité.
23 Article 4 – section IV : « Le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. L’Assemblée nationale abroge toutes les lois et coutumes qui peuvent contrarier ce droit », J.-B. Pérot, Le code rural de 1791, Reims, Matot-Braine, 1865.
24 Article 5 – section IV : « Le droit de parcours et le droit simple de vaine pâture ne pourront, en aucun cas, empêcher les propriétaires de clore leurs héritages ; et tout le temps qu’un héritage sera clos de la manière qui sera déterminée par l’article suivant, il ne pourra être assujetti ni à l’un ni à l’autre droit ci-dessus », ibid.
25 Article 1 : « Le territoire de la France, dans toute son étendue, est libre comme les personnes qui l’habitent : ainsi toute propriété territoriale ne peut être sujette envers les particuliers qu’aux redevances et aux changes dont la convention n’est pas défendue par la loi ; envers la nation, qu’aux contributions publiques établies par le Corps législatif, et aux sacrifices que peut exiger le bien général, sous la condition d’une juste et préalable indemnité », ibid.
26 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale, op. cit.
27 Voir également sur ce point Noelle Plack, Common Land, Wine and the French Revolution : Rural Society and Economy in Southern France, c.1789-1820,Aldershot, Ashgate, 2009.
28 Sur les lois de partage de 1792 et 1793, voir Nadine Vivier, « Le conflit autour des biens communaux », art. cité ; Maurice Agulhon, Gabriel Désert, Robert Specklin, Histoire de la France rurale. De 1789 à 1914, 3, Apogée et crise de la civilisation paysanne, Paris, Seuil (Points, 168), 1992.
29 « Décret relatif au partage des biens et usages communaux. L’Assemblée nationale, sur la motion d’un de ses membres, après avoir décrété l’urgence, décrète 1o que, dès cette année, immédiatement après les récoltes, tous les terrains et usages communaux, autres que les bois, seront partagés entre les citoyens de chaque commune ; 2o que ces citoyens jouiront en toute propriété de leurs portions respectives ; 3o que les biens connus sous le nom de sursis et vacans, seront également divisés entre les habitans ; 4o que, pour fixer le mode du partage, le comité d’agriculture présentera dans trois jours le projet de décret », Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglements, et avis du Conseil d’État, Paris,A. Guyot et Scribe, 1824.
30 Loi portant qu’il sera provisoirement sursis aux poursuites résultant de l’exécution de la loi du 10 juin 1793, sur le partage des communaux, ibid.
31 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale, op. cit.
32 Noelle Plack, Common Land, Wine and the French Revolution, op. cit. ; Gérard Béaur, « En un débat douteux », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1, 2006, p. 89-114 ; Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale, op. cit. ; Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale francaise, op. cit.
33 Voir sur ce point, Gérard Béaur, « En un débat douteux », art. cité.
34 Ibid., p. 96 ; Nadine Vivier retient, quant à elle, la fraction de 1/6 dans Propriété collective et identité communale, op. cit., p. 33.
35 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale, op. cit.
36 Bernard Bodinier, « La vente des biens nationaux : essai de synthèse », Annales historiques de la Révolution française, 315, 1999, p. 7-19, 1999 ; Id., « La Révolution française et question agraire », Histoire & sociétés rurales, 33/1, octobre 2010, p. 7-47.
37 Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale francaise, op. cit.
38 Ce qui ne signifie pas qu’ils s’accordent de la même façon sur la question de la répartition des terres et de la taille des propriétés agricoles qu’il faut privilégier.
39 Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, « Histoire des agricultures du monde », art. cité.
40 Paul Vidal de La Blache, Principes de géographie humaine, Paris, L’Harmattan, 2008 ; voir sur ce point, Paul Claval, « About Rural Landscapes : The Invention of the Mediterranean and the French School of Geography », Erde, 138/1, 2007, p. 7-24.
41 Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, « Histoire des agricultures du monde », art. cité.
42 Ibid.
43 Ester Boserup, Évolution agraire et pression démographique, Paris, Flammarion, 1970.
44 Voir sur ce point, Marjolein Visser, « Revisiting Ester Boserup : The Agroecology of Agrarian Change Under Population Pressure », dans Jean-Pascal vanypersele, Marek Hudon (dir.), Quelle transition pour nos sociétés ?, actes du Premier Congrès interdisciplinaire du développement durable, Namur, 31 janvier et 1er février 2013, p. 141.
45 Arthur Young, Voyages en France, pendant les années 1787, 88, 89 et 90, entrepris plus particulièrement pour s’assurer de l’état de l’agriculture, des richesses, des ressources et de la prospérité de cette nation, par ArthurYoung, traduit de l’anglais par F. S., avec des notes et observations par M. de Casaux, traduit par François Soulès, Paris, Buisson, 1794, p. 187.
46 Annie Antoine, Terre et paysans en France aux xviie et xviiie siècles, Paris, Ophrys, 1998, p. 20.
47 Annie Antoine, Terre et paysans en France aux xviie et xviiie siècles, op. cit., p. 20.
48 Andrée Corvol, Marie-Noëlle Bourguet, « L’image des terres incultes : la lande, la friche, le marais », dans Id. (dir.), La nature en Révolution. 1750-1800 [colloque], Paris, L’Harmattan (Alternatives rurales), 1993.
49 Pierre Morlon, François Sigaut, La troublante histoire de la jachère. Pratiques des cultivateurs, concepts de lettrés et enjeux sociaux, Dijon/Versailles, Educagri/Éditions Quæ (Sciences en partage), 2008.
50 Jean-Augustin-Victor Yvart, Considérations générales et particulières sur la jachère et sur les meilleurs moyens d’arriver graduellement à sa suppression, avec de grands avantages, par J.-A.- VictorYvart, Paris, Mme Huzard, 1822.
51 Mémoire de la Société d’agriculture de Bourges, Archives nationales, H. 1495, no 20, cité par Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, op. cit., p. 246.
52 Jean-Augustin-Victor Yvart, Considérations générales et particulières sur la jachère, op. cit., préface.
53 Nicolas François de Neufchâteau, Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon, contenant l’exposition du moyen employé avec succès depuis un siècle pour corriger l’abus de la désunion des terres, Paris, Mme Huzard, 1806, p. 31.
54 Ibid., p. 132.
55 Johann Nepomuk von Schwerz, Assolement et culture des plantes de l’Alsace, s. l., Vve Huzard, 1839, p. 25-26, nous soulignons.
56 Ibid., p. 86.
57 Louis Binz, Regards sur la Révolution genevoise, 1792-1798. Actes, Paris, Librairie Droz, 1992, p. 109.
58 Catherine Larrère, « L’Arithmétique des physiocrates », art. cité, p. 51.
59 Voltaire, « Correspondance, Étienne Noël Damilaville, 1er mars 1765 », dans Id., Correspondance...., texte établi et annoté par Théodore Besterman, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1964.
60 Arthur Young, Le cultivateur anglois, ou Œuvres choisies d’agriculture et d’économie rurale et politique, Paris, Maradan, 1801, préface.
61 Jean-Augustin-Victor Yvart, Excursion agronomique en Auvergne, principalement aux environs des Monts-Dor et du Puy-de-Dôme. Suivi de recherches sur l’état et l’importance des irrigations en France, Paris, Imprimerie royale, 1819, p. 213.
62 Francis Bacon, Novum Organum, 3e éd., Paris, Puf (Épiméthée), 2010.
63 Jean-Augustin-Victor Yvart, Excursion agronomique en Auvergne, principalement aux environs des Monts-Dor et du Puy-de-Dôme, op. cit., p. 197.
64 Jean-Augustin-Victor Yvart, Excursion agronomique en Auvergne, principalement aux environs des Monts-Dor et du Puy-de-Dôme, op. cit., p. 204.
65 Voir le chapitre 2 de notre première partie.
66 Catherine Larrère, « La physiocratie comme science nouvelle », dans Franck Tinland (dir.), Nouvelles sciences. Modèles techniques et pensée politique de F. Bacon à N. de Condorcet, Seyssel, Champ Vallon, 1998, p. 133.
67 Id., « La physiocratie comme science nouvelle », art. cité.
68 Belial Desvertus, Essai sur l’administration des terres, Paris, Jean-Thomas Hérissant, 1759, p. 26.
69 Belial Desvertus, Essai sur l’administration des terres, op. cit., p. 84-85.
70 Louis Bourgenot (dir.), Les Eaux et Forêts du 12e au 20e siècle, Paris, Éditions du CNRS, 1987. Plus récemment, Benoît Boutefeu, « L’aménagement forestier en France : à la recherche d’une gestion durable à travers l’histoire », VertigO-la revue électronique en sciences de l’environnement, 6/2, 2005.
71 Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit.
72 PhilippeVigier, « Les troubles forestiers du premier xixe siècle francais », Revue forestière française, numéro spécial, 1980, Société et forêts, p. 128-135.
73 Raphaël Larrère et al., « Reboisement des montagnes et systèmes agraires », Revue forestière française, numéro spécial, 1980, Société et forêts, p. 20-36.
74 Pierre Cornu, « Déprise agraire et reboisement », Histoire & sociétés rurales, 20/2, 2003, p. 173-201.
75 Bernard Kalaora, Antoine Savoye, La forêt pacifiée. Les forestiers de l’École de Le Play, experts des sociétés pastorales, Paris, L’Harmattan, 1986. Voir, également, l’ouvrage suivant, récemment paru et qui revient sur ces travaux à la lumière des débats environnementaux contemporains : Guillaume Decocq, Bernard Kalaora, ChloéVlassopoulos, La forêt salvatrice. Reboisement, société et catastrophe au prisme de l’histoire, Seyssel, Champ Vallon, 2016.
76 Adolphe Blanqui, Du déboisement des montagnes, Paris, Académie des sciences morales et politiques, 1843.
77 Bernard Kalaora, Antoine Savoye, La forêt pacifiée, op. cit., p. 21.
78 La nécessité de l’exclusion des ruraux de la gestion des forêts fera, toutefois, l’objet d’une contestation interne au corps des forestiers, associée notamment à la figure de Frédéric Le Play, voir Bernard Kalaora, Antoine Savoye, La forêt pacifiée, op. cit.
79 Raphaël Larrère, Olivier Nougarède, « La forêt dans l’histoire des systèmes agraires : de la dissociation à la réinsertion », Cahiers d’économie et sociologie rurales, 15-16, 1990, p. 11-38.
80 Raphaël Larrère, « L’emphase forestière : adresse à l’État », dans Michel Anselme et al. (dir.), Recherches, 45/1981, Tant qu’il y aura des arbres. Pratiques et politiques de nature 1870-1960, p. 113-153.
81 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, Paris, Gallimard/Seuil (Hautes études), 2004 ; Id., La volonté de savoir, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1976 ; Id., « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, 1975-1976, Paris, Seuil (Hautes études), 1997, p. 218.
82 Id., « Il faut défendre la société », art. cité, p. 218.
83 Bernard Kalaora, « Les Salons verts : parcours de la ville et de la forêt », dans Alain Roger (dir.), La théorie du paysage en France. 1974-1994, Seyssel, Champ Vallon (Pays-paysages), 1995, p. 116.
84 Sur la notion de « père de famille » dans le droit voir la thèse de Serge Seyrat, Le Bon père de famille. Étude sur l’origine, la signification et la fonction de l’expression dans le droit, université Lille 3,Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), 1986.
85 Les articles sont les suivants : 1728, 601, 627, 1137, 1374, 1729, 1766, 1806, 1880, 1962.
86 Article L462-12.
87 En particulier, l’article 1766 qui déclare que : « Si le preneur d’un héritage rural ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s’il abandonne la culture, s’il ne cultive pas en bon père de famille, s’il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou, en général, s’il n’exécute pas les clauses du bail, et qu’il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail. »
88 Article 5, titre II du code rural de 1791, dans J.-B. Pérot, Le code rural de 1791, Reims, Matot-Braine, 1865.
89 Bernadette Lizet, « Naturalistes, herbes folles et terrains vagues », Ethnologie française (nouvelle serie), 19/3, juillet 1989, p. 261.
90 Bernadette Lizet, « Naturalistes, herbes folles et terrains vagues », art. cité, p. 263.
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