Chapitre 2. Quelles agricultures soutenables au xxie siècle ?
p. 69-135
Texte intégral
1Les appellations qualifiant des modes de mise en valeur agricole se sont récemment multipliées. Leurs promoteurs entendent tous marquer leur volonté de rompre avec l’agriculture conventionnelle et s’engager dans la voie du développement d’une agriculture durable. C’est cette convergence supposée qui verrait des conceptions très différentes se rejoindre sur le chemin de la durabilité que nous voudrions maintenant interroger : la diversité des modèles agricoles proposés couvre-t-elle des dissonances vouées à durer ou sont-elles « le fait d’instrumentistes s’accordant avant la symphonie1 » pour reprendre les mots de Jean Merckaert ? Pour répondre à cette question, nous essayerons, en particulier, d’évaluer la capacité de ces modèles « alternatifs2 » à tenir la promesse essentielle de la soutenabilité, à savoir celle de ne négliger aucune des trois dimensions, économique, sociale et environnementale, auxquelles elle doit s’appliquer. Nous examinerons, en premier lieu, différents modèles agricoles sous l’angle de leur pertinence environnementale, en nous intéressant aux arguments agronomiques et écologiques qui les sous-tendent. C’est ensuite la capacité des « nouvelles orientations agricoles » à promouvoir la dimension sociale de l’agriculture que nous analyserons. La question de savoir si l’agriculture durable n’est pas, en définitive, condamnée à choisir entre deux voies, l’une qui associe des préoccupations économiques et sociales, l’autre qui se soucie d’économie et d’environnement3, se posera à cette occasion. De ce point de vue, on peut interroger sa capacité à constituer réellement une voie tridimensionnelle plutôt que l’union de deux voies bidimensionnelles.
La soutenabilité environnementale de l’agriculture durable
2Si la nécessité de prendre en compte les préoccupations environnementales dans la réforme des politiques agricoles s’est progressivement imposée à partir des années 1990, celle-ci a conduit à l’apparition d’une pluralité de propositions qui prétendent mettre en œuvre des systèmes de culture plus respectueux de l’environnement. Nous étudierons successivement deux grands types de modèles agricoles « écologiques » : les premiers qui affirment que les objectifs environnementaux de l’agriculture peuvent être atteints en effectuant un travail sur les intrants chimiques, les seconds qui soutiennent la nécessité d’une refonte plus importante des systèmes agricoles selon une approche agroécologique. Nous examinerons, enfin, comment les revendications d’une forme d’excellence écologique donnent lieu à des controverses entre ces acteurs.
Un travail sur les intrants
3Parmi la diversité de modèles agricoles proposés, nous pouvons repérer un premier ensemble dont la préoccupation centrale est la question de l’utilisation des intrants chimiques. Causes principales des pollutions des nappes et des sols, mais aussi à l’origine de maladies professionnelles et suspectés de dégrader la qualité des aliments, les produits chimiques de synthèse apparaissent logiquement comme la première variable sur laquelle il est possible d’agir en vue d’inscrire un système de culture dans la durabilité.
4Cette logique renvoie, en premier lieu, au mieux connu des modèles agricoles qui cherchent à se démarquer de l’agriculture conventionnelle, l’agriculture biologique. Deux caractéristiques principales permettent, en effet, de définir cette dernière : la mise à l’écart des produits issus de la chimie de synthèse, d’une part, et des organismes génétiquement modifiés, d’autre part. C’est ainsi que le règlement de la communauté européenne qui définit le cahier des charges devant être respecté afin d’obtenir la certification biologique4 contient en annexe une longue liste de produits susceptibles ou non d’être utilisés dans un tel système de culture. Et le règlement d’instituer les règles de production suivantes :
Le mode de production biologique implique que […] i) seuls les produits qui contiennent des substances mentionnées à l’annexe I ou énumérées à l’annexe II peuvent être utilisés comme produits phytosanitaires, engrais, amendements du sol, aliments des animaux, […], produits de nettoyage et de désinfection des bâtiments et des installations d’élevage, produits pour lutter contre les organismes nuisibles et les maladies dans les bâtiments et les installations d’élevage ou à toute autre fin précisée à l’annexe II pour certains produits ; ii) seuls sont utilisés des semences et du matériel de reproduction végétative qui ont été produits selon le mode de production biologique ; iii) les organismes génétiquement modifiés et/ou les produits dérivés de ces organismes ne peuvent être utilisés5.
5D’un point de vue agronomique, l’agriculture biologique se définit ainsi essentiellement par l’absence d’usage de la grande majorité des produits chimiques utilisés dans l’agriculture conventionnelle. Elle relève, en ce sens, d’une innovation « par retrait6 », puisqu’elle ne se caractérise pas par l’introduction d’un nouvel artefact mais par la réduction ou le retrait de l’usage d’objets techniques. L’agriculture biologique ou, plutôt, sa forme institutionnalisée en Europe – nous verrons qu’elle ne constitue qu’une conception partielle de l’agriculture biologique – peut également être qualifiée d’« agriculture de substitution », puisqu’elle se met en place « en substituant les intrants chimiques interdits par le cahier des charges par des intrants d’origine organique autorisés7 ».
6Ainsi, la logique de réforme de l’agriculture conventionnelle qui dirige la transition vers le modèle de production biologique définit, d’un point de vue théorique, une façon simple permettant d’engager les systèmes de culture dans la voie de la durabilité : il s’agit, en somme, d’identifier des substances toxiques pour l’environnement – les produits issus de la chimie de synthèse – et de les exclure des pratiques culturales. En pratique, cette transition n’est toutefois pas simple à maîtriser et exige l’apprentissage de nouvelles connaissances agronomiques8.
7L’agriculture biologique ne constitue pas la seule proposition en matière de réforme des techniques d’utilisation des intrants dans les cultures. Parmi les modèles agricoles apparus à la fin du xxe siècle, l’un d’eux propose la mise en œuvre d’une gestion plus efficiente de ces intrants chimiques. Il s’agit, cette fois, non pas d’exclure entièrement l’utilisation des produits chimiques, mais d’en rationaliser l’usage, afin d’en limiter les rejets excessifs dans l’environnement. C’est le programme de l’agriculture dite « raisonnée ».
8En France, cette appellation s’appuie sur un réseau créé en 1993 à l’initiative d’organisations professionnelles agricoles, essentiellement la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et l’Union interprofessionnelle pour la protection des plantes (UIPP), le Forum des agriculteurs responsables respectueux de l’environnement (FARRE). Dans ce cadre, l’agriculture raisonnée est définie de la façon suivante :
L’agriculture raisonnée correspond à des démarches globales de gestion d’exploitation qui visent, au-delà du respect de la réglementation, à renforcer les impacts positifs des pratiques agricoles sur l’environnement et à en réduire les effets négatifs, sans remettre en cause la rentabilité économique des exploitations9.
9Le souci de clarifier la traduction pratique d’une démarche définie par des objectifs très généraux a conduit à l’élaboration en 2002 d’un référentiel définissant les exigences à respecter afin de pouvoir prétendre à la qualification au titre de l’agriculture raisonnée. Ainsi, l’article 1 du décret relatif à cette qualification stipule-t-il que :
Les modes de production raisonnés en agriculture consistent en la mise en œuvre, par l’exploitant agricole sur l’ensemble de l’exploitation dans une approche globale de celle-ci, de moyens techniques et de pratiques agricoles conformes aux exigences du référentiel de l’agriculture raisonnée.
Le référentiel porte sur le respect de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail et le bien-être des animaux10.
10Ce premier article met en lumière l’inscription de l’agriculture raisonnée dans une démarche technicienne. Il s’agit de développer de nouvelles techniques agricoles qui s’appuient sur la recherche scientifique. Comme l’écrivent Samuel Féret et Jean-Marc Douglet, à propos des recommandations extraréglementaires du référentiel :
Il s’agit essentiellement de recommandations visant à éviter les pratiques de surfertilisation et à adopter des méthodes de fertilisation raisonnée prenant en compte la nécessité de limiter les fuites de fertilisants vers les milieux aquatiques : calcul, espacement, époque d’application des doses de fertilisants, intégration des apports de déjections animales dans le raisonnement de la fertilisation, gestion de l’interculture. […] Pratiquement cela se traduit par : (a) l’appel aux connaissances scientifiques et d’experts pour optimiser les apports en nutriments et plus généralement les pratiques culturales, (b) le développement de nouveaux produits moins nocifs pour l’environnement (nouveaux pesticides, nouveaux engrais, organismes génétiquement modifiés…), (c) le développement d’actions calquées sur le type Ferti-Mieux, pour mettre en œuvre des pratiques culturales moins consommatrices en azote11.
11Si elle se propose ainsi, comme l’agriculture biologique institutionnalisée, de lutter contre les effets négatifs des intrants chimiques, l’agriculture raisonnée ne prend pas tant pour cible les produits eux-mêmes que l’usage qui en est fait. Il s’agirait, en somme, de passer du maximum à l’optimum, d’une « agriculture chimique systématisée12 » à une agriculture qui fait un usage rationnel de ces produits chimiques13.
12De ce point de vue, l’agriculture raisonnée se rapproche d’une autre appellation agricole apparue à la fin du xxe siècle, l’« agriculture de précision14 ». Cette dernière consiste à tenter d’ajuster les différents traitements chimiques à des échelles spatiales et temporelles plus fines que celles utilisées en agriculture conventionnelle. Pour cela, elle s’appuie sur des moyens technologiques importants – systèmes de position par satellite, imagerie satellitaire, systèmes d’informations géographiques – qui lui permettent de moduler les apports de produits chimiques en fonction de variations mesurées au sein d’une même parcelle.
13Seconde appellation bénéficiant d’une institutionnalisation en France au titre de son engagement en faveur de la qualité environnementale, l’agriculture raisonnée entend ainsi représenter une voie vers la durabilité susceptible d’engager plus largement les agriculteurs que ne pourrait le faire l’agriculture biologique15. Toutefois, cette revendication est fermement contestée par bon nombre de chercheurs et d’acteurs du monde agricole, qui émettent des doutes quant à la soutenabilité de l’agriculture raisonnée16. Celle-ci ne représenterait pas tant une rupture avec l’agriculture conventionnelle que le « verdissement » de cette dernière, intégré dans une stratégie de communication destinée à revaloriser le secteur agricole dans l’opinion publique17. Dans ce cadre, la logique agronomique resterait inchangée : il s’agirait de s’appuyer sur une utilisation, certes plus précise, mais toujours intensive des intrants chimiques pour garantir une forte productivité à l’hectare.
14La remise en cause de l’engagement de l’agriculture raisonnée dans une voie s’écartant véritablement des pratiques conventionnelles s’appuie sur l’identification des acteurs qui sont à l’origine de la démarche. Parmi ses promoteurs, figurent, en effet, de nombreux représentants des industries agroalimentaires, productrices des produits chimiques dont l’usage, précisément, est censé être rationalisé. Cette présence des mêmes acteurs qui soutenaient activement l’organisation productiviste de l’agriculture intensive suscite un doute légitime quant aux motifs qui président au développement de l’agriculture raisonnée18. En ce sens, Samuel Féret et Jean-Marc Douguet écrivent :
La logique d’intensification productiviste n’est donc nullement remise en cause. On reste dans le cadre d’une agriculture intégrée dans un complexe agro-agri-industriel, c’est-à-dire qu’il subsiste une forte dépendance vis-à-vis des industries agroalimentaires, des coopératives et des négoces – pour l’achat des produits intermédiaires et la vente de leur production – des industries d’engrais et de produits phytosanitaires, des centrales d’achat, etc. En outre, ce sont ces mêmes acteurs qui en tant que partenaires économiques – comme la CFCA par exemple (Confédération française de la coopération agricole) – vulgarisent le concept d’agriculture raisonnée auprès de leurs adhérents19.
15L’absence de rupture réelle avec l’agriculture conventionnelle est assez largement confirmée par le contenu du référentiel définissant la qualification au titre d’agriculture raisonnée. Parmi les 98 points qu’il contient, 55 renvoient à des exigences réglementaires, autrement dit ne font qu’exiger le respect de la réglementation existante, et un grand nombre des points restants établissent des recommandations faiblement contraignantes d’un point de vue environnemental20. Le référentiel de l’agriculture raisonnée s’accommode ainsi d’un engagement écologique faible, ce qui tend à confirmer que la motivation principale de la démarche ne réside pas là, comme l’écrivent Clarisse Cazals et Marie-Claude Bélis-Bergouignan à propos de l’« arboriculture raisonnée » :
Elle a donc des visées commerciales qui prennent le pas sur les objectifs environnementaux conduisant les producteurs eux-mêmes à émettre un doute sur l’impact environnemental de leur démarche21.
16Le caractère vertueux d’un point de vue environnemental de l’agriculture raisonnée est donc sérieusement remis en cause, de même que son inscription dans le cadre de la durabilité ; et si certains auteurs préfèrent n’y voir qu’une étape vers la mise en œuvre d’une agriculture durable22, d’autres n’hésitent pas à affirmer qu’agriculture durable et agriculture raisonnée renvoient, respectivement, à deux chemins qui divergent et même qui s’opposent23.
17Dans une perspective plus globale, s’ils se distinguent clairement entre eux, les deux modes de production bénéficiant actuellement de la reconnaissance institutionnelle du ministère de l’Agriculture24 – l’agriculture biologique25 et l’agriculture raisonnée – nous semblent pouvoir être conjointement visés par une critique relative à leur façon d’envisager la sortie du productivisme de l’après-guerre.
18Proposant des solutions différentes, l’une l’exclusion, l’autre l’optimisation, les deux démarches ont en commun d’aborder la question de la réforme de l’agriculture conventionnelle en se focalisant sur les intrants chimiques. De ce point de vue, elles invitent à corriger un dysfonctionnement du modèle agronomique de l’agriculture intensive plutôt qu’à une refonte globale des systèmes de culture. Dans le cas de l’agriculture raisonnée, l’application de cette logique correctrice est évidente. Si la réorientation qu’elle implique est, certes, plus affirmée, puisqu’elle exige l’exclusion d’un grand nombre d’intrants chimiques, l’agriculture biologique institutionnalisée ou « labellisée » nous semble également relever d’une telle démarche – comme en témoigne l’existence d’une agriculture biologique industrielle26. C’est ce qu’expriment Dominique Desclaux, Yuna Chiffoleau et Jean-Marie Nolot, s’appuyant sur les travaux de Bertil Sylvander27, pour décrire le modèle d’agriculture biologique que tend à mettre en œuvre la réglementation européenne :
[Ce modèle] est illustré par une agriculture de substitution que l’on propose de qualifier « de label », développée en réponse aux nouvelles exigences environnementales des politiques publiques nationales et européennes. […] Ce modèle raisonné facteur par facteur se met en place par innovation incrémentale en substituant les intrants chimiques interdits par le cahier des charges par des intrants d’origine organique autorisés28.
19Une telle réforme des pratiques agricoles renvoie bien en ce sens à l’idée d’une correction des défauts du modèle existant plutôt qu’à une « reconception » du système.
20Or, c’est précisément à une refonte plus importante du modèle agronomique qui sous-tend l’agriculture conventionnelle qu’en appellent d’autres acteurs. Pour ces derniers, il ne s’agit pas simplement de moduler l’intensité de l’utilisation des intrants chimiques, mais de repenser entièrement les systèmes de culture. La réflexion sur le développement d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement passerait, ainsi, par une interrogation plus profonde sur les présupposés agronomiques de l’agriculture chimiquement intensive.
Les voies de l’agroécologie
21La révélation des conséquences négatives pour l’environnement de l’agriculture chimiquement intensive a conduit à la volonté de réformer les pratiques culturales que celle-ci met en œuvre. Dans cette optique, le modèle agronomique « séquencé29 » qui la soutient a été examiné. Les deux premières propositions de réorientation que nous avons décrites, l’agriculture biologique « labellisée » et l’agriculture raisonnée, nous ont semblé partager une volonté commune de corriger les défauts d’un tel modèle plutôt que de le refondre entièrement. Ainsi, si elles cherchent à éliminer ou à réduire dans les séquences successives de la production agricole l’utilisation des produits chimiques dont les conséquences sont les plus dommageables pour l’environnement, autrement dit à agir sur certains facteurs de production, elles laissent pour l’essentiel la structure organisationnelle des activités agricoles inchangée. Nous allons maintenant nous intéresser à des propositions de réforme qui remettent précisément en cause ce découpage séquencé de la production agricole.
L’agroécologie contre l’agronomie réductionniste
22Ces propositions s’ancrent dans un changement d’approche opéré au sein de la science agronomique. S’opposant, en effet, au réductionnisme dominant, un certain nombre d’auteurs en ont appelé au développement d’une nouvelle approche systémique en agronomie30. Dans cette optique, ils s’efforcent de replacer au centre des recherches le concept de « système de culture », apparu dès la naissance de l’agronomie au xviiie siècle, et que François Papy, à la suite de Michel Sébillotte31, définit de la façon suivante :
Un système de culture c’est une manière de cultiver, d’utiliser les ressources de la nature par une combinaison de techniques pour en tirer une production végétale32.
23Le rappel de la notion ancienne de système de culture invite les agronomes à élargir leur appréhension des pratiques culturales au-delà des seules questions posées par les processus de nutrition minérale et de protection des plantes qui, avec la problématique de l’amélioration variétale, ont focalisé leur attention pendant la majeure partie du xxe siècle. Il s’agit, en effet, dans ce cadre, d’aborder les champs cultivés, non plus simplement sous l’angle du peuplement végétal que l’on y fait croître jusqu’à la récolte, mais comme des systèmes complexes en interaction avec leur environnement. Dans ce sens, l’agronome Thierry Doré caractérise ce qu’il désigne comme une « vision systémique du champ cultivé », en en soulignant les traits principaux :
L’agriculteur agit en effet sur un système complexe, constitué de trois compartiments : sol (y compris les organismes vivants qu’il contient), peuplement cultivé, atmosphère (y compris les organismes vivants). Ce système est en permanente évolution, il passe au cours du temps par une succession d’états, engendrés par le climat, les techniques appliquées, et les organismes vivants qu’il héberge. Au sein de ce système, les composantes physiques, chimiques et biologiques du milieu sont en interaction permanente […].
Cette complexité est pour partie à l’origine de l’incertitude qui caractérise l’application d’une technique culturale : pour une technique donnée, on peut observer toute une famille de résultats possibles. […] Il n’existe donc pas de relation biunivoque entre l’application d’une technique et un état particulier du système.
Les techniques mises en œuvre sur une parcelle donnée interagissent fortement entre elles. D’une part, un état du système donné peut être obtenu par différents cheminements. […] Par ailleurs, une même technique modifie le plus souvent plusieurs composantes du milieu simultanément, de manière intentionnelle […], mais aussi non intentionnelle […]. In fine, le résultat d’une technique dépendra, parfois étroitement, des autres techniques appliquées sur la parcelle33.
24La vision systémique permet ainsi d’appréhender la complexité du fonctionnement d’un champ cultivé. Bien loin de correspondre au modèle de l’application maîtrisée d’une technique élaborée à partir de connaissances scientifiques développées en laboratoire, la mise en œuvre d’une nouvelle technique culturale est toujours incertaine, aura toujours des conséquences imprévues, positives ou négatives. Pour reprendre les termes de Bernard Chevassus-au-Louis, nous passons d’une logique qui repose sur le triplet « décrire, comprendre, agir » à celle de l’« agir dans un monde incertain »34. Comme l’écrit, encore, François Papy :
Cette conception du champ cultivé sort l’agronomie du réductionnisme qui a si longtemps prévalu et qui consistait à pousser sans cesse plus avant l’analyse des processus biophysiques pour en déduire des applications, sans articuler ces dernières, ni étudier les conditions de leur mise en œuvre35.
25La vision complexe du champ cultivé révèle que l’action d’un agriculteur s’inscrit dans un réseau d’interactions engageant les différents organismes vivants en présence et les composantes physiques et chimiques du système de culture. L’intervention de l’agriculteur ne fait en quelque sorte qu’ajouter une interaction à ce réseau. Par conséquent, afin d’essayer d’anticiper les effets de ces interventions, l’agronome doit s’efforcer de comprendre le fonctionnement du système naturel dans lequel les pratiques culturales s’insèrent. L’agronomie, autrement dit, doit s’informer de l’écologie, mettant ainsi un terme à une longue période d’ignorance mutuelle entre les deux sciences36.
26Plus encore qu’au dialogue entre les deux disciplines, l’adoption d’une conception systémique en agronomie invite à leur rapprochement. Il s’agit, en définitive, d’aborder les milieux cultivés de la même façon que l’écologie aborde les milieux naturels, c’est-à-dire dans une perspective globale, holiste. De ce point de vue, l’agronomie systémique s’inscrirait à la suite du développement d’une science qui fait écho à l’écologie en tant que science des écosystèmes, l’agroécologie, définie comme science des « agrosystèmes » ou des « agroécosystèmes ».
27D’une certaine manière, la réforme de l’agronomie se traduirait par un changement de paradigme scientifique, identique à celui qui a conduit à l’apparition de l’agroécologie, et que décrit le philosophe John Baird Callicott. Pour ce dernier, en effet, l’agroécologie résulte de la transition d’un modèle mécanique newtonien à un modèle écologique eltonien, le passage d’un paradigme réductionniste et mécaniciste à un paradigme plus holiste37. À la suite d’Aldo Leopold38, le philosophe affirme que la dimension subversive de l’écologie s’exprime précisément dans la façon dont elle déconstruit les fondements de la conception mécanique du monde pour lui substituer une conception qui considèrent les communautés biotiques ou les écosystèmes comme des « touts » (wholeness), irréductibles à la somme des parties qui les composent. L’agroécologie consiste à étendre en somme ce point de vue holiste aux champs cultivés ou aux « paysages ruraux » pour reprendre les termes de Leopold, et à les considérer comme d’« authentiques touts systémiques »39, ou encore comme des agrosystèmes, en interaction avec des écosystèmes naturels40.
28L’agroécologie se définit ainsi par un programme scientifique, mais le terme ne renvoie pas simplement à une science41. Dépassant le cadre de l’étude scientifique des champs cultivés dans une perspective holiste, l’agroécologie entend également développer des implications pratiques à partir de ce changement de paradigme théorique. Il s’agit de mettre à profit l’étude des interactions entre les cultures et leur environnement au sein d’un agrosystème pour mieux exploiter la complémentarité possible entre les pratiques culturales et le fonctionnement des écosystèmes, et développer des modèles agricoles plus respectueux de l’environnement ou plus soutenables. Le terme d’agroécologie possède ainsi deux significations différentes. Il peut désigner une science, l’écologie des agrosystèmes, mais il peut également renvoyer à un ensemble de pratiques visant le développement d’une agriculture soutenable. C’est aussi le nom d’un mouvement social de résistance à la modernisation de l’agriculture, ajoutent Alexander Wezel et ses collègues dans un article précisément intitulé « Agroecology as a Science, a Movement and a Practice » et qui a pour but de distinguer les différentes significations que peut prendre le terme, dont ils jugent l’ambiguïté problématique42, tout en reconnaissant qu’elle est inhérente au développement des sciences elles-mêmes. Ils écrivent ainsi :
Il y a souvent un lien entre une vision politique (le mouvement), une application technologique (les pratiques) pour atteindre les objectifs, et une façon de produire la connaissance (la science)43.
29Au-delà de sa dimension politique, l’agroécologie se situe ainsi à l’intersection des domaines scientifique et technique ; c’est, en somme, une discipline techno-scientifique. En cela, elle ne diffère pas tant que cela de l’agronomie, science sociale, mais aussi techno-science44.
30Rompant, cette fois véritablement, avec le modèle agronomique de l’agriculture chimiquement intensive, l’agroécologie définirait ainsi le cadre théorique et pratique du développement d’une agriculture soutenable. Deux objections à cette idée, l’une visant plutôt l’agroécologie en tant que science, l’autre en tant que pratique, exigent toutefois d’être examinées.
Des objections pratiques et scientifiques
31La première objection concerne le développement de la science agroécologique. Celle-ci correspond à la volonté d’appliquer la méthodologie holiste de l’écologie aux milieux cultivés. C’est en ce sens qu’elle qualifie ces derniers d’agrosystèmes, pendants « domestiqués » des écosystèmes. D’un point de vue théorique, l’agroécologie est donc une émanation théorique de la science écologique. Mais, c’est précisément cet ancrage qui soulève une interrogation. Le problème est le suivant : contre le réductionnisme de l’agronomie dominante, l’agroécologie vient puiser les outils théoriques nécessaires au développement d’une approche holiste au sein de l’écologie scientifique au moment même où le holisme est remis en cause dans cette dernière. Autrement dit, l’agroécologie essayerait de s’inscrire dans un cadre théorique en passe d’être périmé.
32Si nous retraçons brièvement les grandes étapes du développement de la science écologique, nous pouvons observer, en effet, que deux thèses centrales se sont vues successivement fortement contestées, l’organicisme en premier lieu, et le holisme par la suite. C’est, en effet, en partie, contre la première, contre l’idée de penser, à la manière de Frederic Edward Clements par exemple, la communauté des êtres vivants comme un super organisme, qu’Arthur Tansley élabore le concept d’« écosystème45 ». Dès 1935, l’épistémologie écologique marque donc une rupture avec l’organicisme, qui réapparaîtra sous différentes formes. Inversement, l’apparition du terme d’écosystème assoit durablement la domination de l’approche holiste en écologie. Mais, cette conception dominante est, elle aussi, contestée à partir de la fin du xxe siècle. Et sa clé de voûte théorique qu’est le concept d’écosystème fait dès lors l’objet de nombreuses critiques visant, notamment, son ancrage dans une théorie dépassée des équilibres de la nature, qu’exprime, par exemple, la notion de « climax », mais aussi l’inadéquation de cette construction conceptuelle qui ne renverrait pas véritablement à une réalité physique – l’écosystème serait, en pratique, indéfinissable. La remise en cause est telle au sein de la discipline que d’aucuns se demandent : « Is it time to bury the ecosystem concept46 ? » Outre cette interrogation sur le concept d’écosystème, l’écologue Patrick Blandin et le philosophe Donato Bergandi nient plus radicalement l’inscription supposée de l’écologie dans un cadre holiste. Contre les interprétations communes, les deux auteurs soutiennent, en effet, que la science écologique, y compris la synthèse qu’en ont proposée les frères Odum47, n’a jamais été holiste, ou plutôt qu’elle n’a développé qu’un holisme de façade masquant une recherche, en réalité réductionniste48. Le cœur de l’argumentation concerne la question des propriétés émergentes. Une démarche véritablement holiste, rappelle les deux auteurs, se caractérise essentiellement par le fait qu’elle affirme que le tout possède des propriétés différentes de celles de la somme de ses parties (holisme ontologique) et que l’on ne peut pas expliquer les propriétés de ce tout en raisonnant simplement à partir de la somme de ses parties (holisme méthodologique). En réalité, pour Patrick Blandin et Donato Bergandi, l’écologie n’a pu revendiquer l’adoption d’un holisme que sur la base d’une confusion entre propriétés émergentes et propriétés collectives. Ils écrivent ainsi :
Or, la différence, qu’Odum ne perçoit pas, entre propriétés émergentes et propriétés collectives est essentielle : par définition, les propriétés émergentes d’un niveau d’intégration donné ne peuvent pas être déduites de l’analyse de ses composantes, tandis que des propriétés collectives même si elles ne sont pas caractéristiques des entités individuelles, en tant que fonctions statistiques, sont de nature purement additive49.
33Pour Patrick Blandin et Donato Bergandi, l’écologie écosystémique n’est donc pas, en définitive, holiste tout simplement parce qu’elle n’est pas parvenue à décrire l’existence de propriétés émergentes au niveau des écosystèmes. De ce point de vue, en cherchant à développer une approche holiste des milieux cultivés, basée sur le concept d’agrosystème, l’agroécologie perdrait son temps en suivant une voie explorée, sans résultats, par l’écologie écosystémique.
34Par ailleurs, un argument supplémentaire vient confirmer la dimension paradoxale de la démarche agroécologique. Avec l’écologie écosystémique, l’agroécologie choisit pour analyser des milieux cultivés par l’homme un cadre théorique dont l’incapacité à prendre en compte les activités humaines est désormais très largement décrite50. Ce serait là le paradoxe du projet de développer une écologie des agrosystèmes.
35Faudrait-il par conséquent, pour reprendre les termes de Robert O’Neill, « enterrer » le concept encore naissant d’agrosystème ? Avant d’y consentir, nous voudrions, à la suite de l’écologue Jacques Tassin, nous poser la question suivante : au fond, un agrosystème est-il un écosystème51 ? Il s’agit de se demander, en fait, si le premier concept, bien que modelé à partir du second, ne possède pas néanmoins des spécificités qui permettent de contourner certaines des difficultés soulevées par le concept d’écosystème. C’est ce que suggère Jacques Tassin en défendant l’idée selon laquelle l’agrosystème serait, en définitive, un concept mieux ajusté aux développements récents de l’écologie que ne l’est celui d’écosystème.
36D’une part, l’agrosystème pourrait être défini spatialement beaucoup plus clairement que ne peut l’être l’écosystème, il serait « cartographiable52 ». D’autre part, tandis que la pensée des équilibres naturels tendait à faire de l’écosystème un objet intemporel, l’agrosystème apparaît comme le résultat d’une succession de systèmes de culture, autrement dit ce que l’écologie récente essaie de mettre en lumière à propos des systèmes naturels, à savoir qu’ils ont une histoire, apparaît comme une évidence pour les agrosystèmes53. Ces deux caractéristiques sont, en fait, liées à la transformation principale qui se joue dans le passage entre l’écoet l’agro-, à savoir la prise en compte de l’action humaine. Les hommes ne peuvent, par définition, être exclus de l’agrosystème, c’est un système « piloté par l’homme ». Cette présence humaine qui apparaît dans la définition même de l’agrosystème écarte effectivement certains des écueils associés à la notion d’écosystème : la question ne se pose plus, par exemple de savoir si l’objet théorique délimité renvoie bien à une unité naturelle, puisque l’agrosystème est un espace concrètement délimité par l’homme. Comme l’écrit Jacques Tassin, l’agrosystème est
un espace piloté dévolu à la production agricole, historiquement construit, et dont la cohérence spatiale et fonctionnelle résulte d’une succession de systèmes décisionnels54.
37En définitive, l’agrosystème, en tant que réalité éprouvée par l’agriculteur au quotidien serait nettement plus aisé à définir que l’écosystème élaboré comme une « commodité intellectuelle » renvoyant à une « manière de regarder la nature55 ».
38Mais, c’est également à la question du holisme, ou de la recherche des propriétés émergentes « introuvables », que permettrait de répondre le concept d’agrosystème. Jacques Tassin propose, en effet, l’idée intéressante selon laquelle l’apparition des propriétés émergentes pourrait, en quelque sorte, être pilotée par les hommes. Il écrit pour clarifier cette idée :
L’agroécologie présente donc l’agrosystème selon une approche holiste en quête de propriétés émergentes, et opère ainsi à contre-courant de l’évolution de l’écologie. Mais ce qui nous apparaît ici majeur est que ces propriétés émergentes ne sont pas envisagées comme autogénérées par le système en question, mais résultent de choix, d’arrangements spatiaux et de pratiques. Telles les perturbations, les propriétés émergentes de l’agrosystème apparaissent donc, une fois encore, pilotées par l’homme56.
39Ce pilotage qui vise à favoriser l’apparition de propriétés émergentes dans les agrosystèmes prend notamment la forme de choix d’agencements spatiaux des différents systèmes de culture en interrelation dans un espace donné. Cette idée conduit à définir les agrosystèmes à une échelle moins fine que celle du champ cultivé57. Il s’agirait, en effet, de s’intéresser à un niveau d’organisation qui rend compte des relations complexes entre plusieurs systèmes de culture. L’agroécologie, en cela, suivrait, en réalité, les pas de l’écologie des paysages, qui a précisément ouvert de nouvelles perspectives pour la démarche holiste dans la discipline en s’intéressant à des niveaux d’organisation supérieurs à celui de l’écosystème. C’est à cette hauteur que l’on pourrait observer, du fait de ce que Jacques Baudry nomme l’« effet paysage », l’apparition de propriétés émergentes. En ce sens, l’écologue écrit que « le produit d’écosystèmes en interaction a des propriétés différentes de la somme des propriétés de ces écosystèmes58 ». À cette prise en compte des agencements spatiaux des écosystèmes, Patrick Blandin, Maxime Lamotte et Donato Bergandi59 ajoutent une réflexion sur la dimension temporelle de ces interactions entre des systèmes écologiques qui forment ce qu’ils désignent par le terme d’« écocomplexe60 ». Il s’agit, autrement dit, comme l’écrivent Catherine et Raphaël Larrère, d’« appréhender la nature comme une hiérarchie de systèmes61 ».
40Au regard de ces développements, le programme de l’agroécologie qui vise à élaborer une écologie des milieux cultivés est largement redéfini. L’objet d’une telle démarche ne serait pas de décrire l’état d’équilibre d’un champ cultivé sur le modèle d’une approche écosystémique, mais de rechercher des niveaux d’organisation permettant de mettre en lumière des propriétés émergentes qui témoignent du fait que certains assemblages de systèmes de culture forment des entités réelles. Ainsi, c’est dans sa capacité à s’affranchir de l’écologie écosystémique que se jouerait le caractère prometteur du développement d’une agroécologie s’opposant au réductionnisme de l’approche agronomique dominante.
41L’agroécologie pourrait ainsi dépasser les contradictions qui menacent la démarche scientifique à laquelle elle renvoie. Celle-ci doit cependant faire face à une seconde objection qui vise cette fois sa dimension pratique. Partant de l’analyse écologique des milieux cultivés, l’agroécologie poursuit l’ambition de proposer des modèles agricoles s’inscrivant dans le cadre du développement d’une agriculture soutenable. Il s’agit dans cette optique de tirer parti de la compréhension de l’inscription des pratiques culturales dans les systèmes naturels. C’est précisément la façon d’envisager les enseignements issus de l’observation de ces derniers qui soulève une critique à l’encontre de l’agroécologie.
42L’interrogation porte sur la manière dont la dimension normative de l’agroécologie s’articule avec sa qualité de science d’observation. La critique souligne, en réalité, la tendance de l’approche agroécologique à ériger les systèmes naturels en modèles auxquels nous devrions essayer de conformer les agrosystèmes. En somme, d’un point de vue pratique, l’agroécologie s’apparenterait-elle à une nouvelle forme d’invitation à imiter la nature62 ?
43De ce point de vue, le critère de soutenabilité d’un agrosystème serait sa similarité fonctionnelle avec un écosystème naturel. C’est très exactement ce que soutient, par exemple, le « professeur en agroécologie63 », Stephen R. Gliessman lorsqu’il écrit :
Plus grande est la similarité structurale et fonctionnelle entre un agro-écosystème et les écosystèmes naturels de sa région géographique d’appartenance, et plus durable est cet agro-écosystème64.
44En l’état, une telle proposition revient à poser un modèle normatif radicalement naturaliste qui se résume, en somme, à la proposition tout ce qui est naturel est bon, ou, tout du moins, si l’on veut éviter d’introduire une dimension morale, tout ce qui est naturel est écologiquement stable, il faut donc se conformer à la nature. Or, que l’on intègre ou non une perspective morale dans cette proposition, elle se heurte à de très sérieux arguments. Si elle revêt une dimension éthique, l’invitation à imiter le fonctionnement des systèmes naturels traduit l’adoption d’une métaphysique, lourde de la croyance en l’existence d’une finalité de la nature ou d’un ordre naturel. En outre, l’idée selon laquelle un système naturel dont le fonctionnement n’est pas entravé par l’action humaine est nécessairement stable est invalidée par les développements récents de l’écologie, notamment par l’écologie des perturbations. De sorte que l’agroécologie fait fausse route si elle consiste à chercher dans la nature des schémas écologiques et à les ériger en modèles normatifs pour nos pratiques agricoles.
45Est-ce à dire que l’agroécologie doit se cantonner à un statut de science de l’observation qui ne se prononce pas sur le type de modèle agricole qu’il faudrait mettre en œuvre en vue du développement d’une agriculture soutenable ? Ce serait le cas si l’on s’en tient au dualisme qui oppose ce qui relève de la nature et ce qui relève de l’humain. Dans un tel cadre, toute tentative d’importation de normes naturelles dans la sphère des actions humaines revient à naturaliser cette dernière de manière trop abrupte. Mais, si l’on considère que l’agroécologie prend ancrage dans une science écologique qui a pris ses distances avec l’approche écosystémique, encore imprégnée de dualisme, la question de la traduction pratique de ses recherches scientifiques prend une autre tournure. Il ne s’agira plus dès lors d’essayer de conformer les agrosystèmes à des lois écologiques établies en observant le fonctionnement des écosystèmes « naturels », mais d’analyser à différents niveaux d’organisation les interactions entre les processus naturels et les pratiques humaines afin d’orienter les premiers par les secondes vers un objectif poursuivi. Nous passons de l’imitation au pilotage des processus naturels65. Ces deux modèles renvoient à des conceptions très différentes des rapports entre les activités humaines et la nature : tandis que celui de l’imitation présuppose une séparation claire entre écosystèmes naturels et systèmes cultivés, les deux relevant de régimes de fonctionnement distincts, l’un naturel, l’autre dirigé par la rationalité humaine, le modèle du pilotage s’appuie sur la description des interactions entre les pratiques humaines et les processus naturels. De ce point de vue, l’articulation entre observations scientifiques et propositions pratiques ne conduit pas à importer des normes naturelles dans la sphère des activités humaines. L’agroécologie peut néanmoins conserver une dimension normative, celle-ci s’appuierait sur l’observation des résultats des tentatives de pilotage menées par les agriculteurs. À l’aune de critères de soutenabilité – qui restent pour partie à définir –, elle pourrait ainsi juger de la réussite de tels pilotages et valoriser les modèles agricoles qui leur sont associés.
46L’agroécologie, tant du point de vue de sa méthodologie scientifique que de sa volonté de promouvoir des modèles agricoles en pratique, nous semble ainsi, sous certaines conditions, pouvoir éviter les écueils que nous venons d’examiner et représenter une démarche féconde dans l’optique du développement de modèles agricoles mieux intégrés à leur environnement. Dans une approche holiste, elle invite à étudier les modes de mise en valeur agricoles du point de vue de l’organisation spatio-temporelle des systèmes de culture qu’ils intègrent, elle s’intéresse plus particulièrement aux propriétés, éventuellement, émergentes de ces assemblages complexes. Par là, elle ambitionne de proposer des solutions à la question du développement d’une agriculture soutenable qui ne s’appuient pas sur le seul examen des facteurs de production de l’agriculture chimiquement intensive, mené selon une approche réductionniste66.
Des approches agroécologiques
47Suivant l’approche agroécologique, nous voudrions maintenant examiner trois modes de mise en valeur supplémentaires qui se proposent de s’écarter de la voie de l’agriculture conventionnelle. Il s’agit, en premier lieu, de revenir sur la question de l’agriculture biologique afin d’examiner des positionnements théoriques que l’institutionnalisation de cette dernière a, assez largement, occultées. Nous analyserons ensuite successivement les deux modèles agricoles relativement récents que sont l’agriculture intégrée et l’agriculture de conservation.
Agriculture biologique
48En premier lieu, nous allons nous intéresser à nouveau au cas de l’agriculture biologique, que nous avons jusqu’ici caractérisée comme un modèle agricole pensé selon la seule logique de substitution de produits naturels aux intrants chimiques. Si cette conception renvoie bien à une forme réelle de l’agriculture biologique, sa forme institutionnalisée ou labellisée, elle n’épuise pas, loin de là, la pensée du courant biologique. Ainsi que le rappelle Yvan Besson dans un ouvrage qui présente la pensée de ses fondateurs, l’agriculture biologique ne renvoie pas simplement à une préoccupation concernant l’usage des produits chimiques dans les pratiques agricoles67. Comme il l’écrit ailleurs :
Le concept d’agriculture biologique, l’approche sociale et technique désignée par les inventeurs de cette expression, est ainsi plus un projet philosophique, sinon spirituel, que seulement un louable effort visant à moins abîmer et polluer les terres et nos corps68.
49En réalité, quatre courants peuvent être distingués dans l’histoire du développement de l’agriculture biologique : la méthode biodynamique de Rudolf Steiner69, dérivée de son « anthroposophie70 » ; l’agriculture « sauvage » de Masanobu Fukuoka71 ; la méthode « organo-biologique » de Hans Peter Rusch72 et le courant de l’agriculture « organique » d’Albert Howard73. Tous ces auteurs partagent la volonté de fonder l’agriculture sur la biologie comme science du vivant, mais aussi d’une certaine manière en tant que science de la nature comme un tout vivant. La réflexion sur l’agriculture est, pour eux, à inscrire dans une pensée plus globale des relations entre les hommes et la nature. Il s’agit, en somme, de réinsérer les actions humaines dans les cycles naturels.
50Nous allons plus particulièrement nous intéresser ici au modèle de l’agriculture organique que développe Howard, notamment dans son ouvrage de synthèse An Agricultural Testament, qu’il publie en 1940. L’approche adoptée par l’agronome et botaniste anglais est résolument holiste, il s’agit pour lui d’aborder les problématiques agricoles, non pas comme un ensemble de questions scientifiques et techniques relativement indépendantes les unes par rapport aux autres, mais comme prenant place dans un tout systémique qui intègre des processus de croissance et de dégradation qu’il faut s’efforcer d’équilibrer. C’est ainsi qu’il écrit :
Dans ce travail, nous devons enfin nous émanciper de l’approche conventionnelle des questions agricoles qui passe par la division des sciences et par-dessus tout du traitement statistique des indices apportés par l’expérience ordinaire des champs. Au lieu de démonter le sujet en éléments et d’étudier l’agriculture en pièces détachées par les méthodes analytiques de la science, propres seulement à la découverte des faits nouveaux, nous devrons adopter une méthode de recherche synthétique et considérer le cycle de la vie comme un tout et non comme un assemblage de choses sans relations entre elles74.
51Pour Howard, la question centrale de l’agriculture est celle de la fertilité des sols. Et la thèse qu’il défend est que contrairement à ce que l’approche agrochimique pensait avoir démontré, notamment à la suite des travaux de Justus von Liebig, le maintien de cette fertilité ne peut être assuré simplement par l’apport des éléments chimiques, évalués comme étant en quantité insuffisante dans un sol. Pour le fondateur de l’agriculture organique, la fertilité d’un sol dépend de la quantité et de la qualité de l’humus qu’il contient. Howard donne la définition suivante de ce dernier :
L’humus est un résidu complexe de végétaux partiellement oxydés et de matières organiques, mélangé aux substances sécrétées par les champignons ainsi qu’aux bactéries qui décomposent ces déchets. D’un point de vue chimique ou physique, l’humus n’est pas un corps simple : il est formé d’un groupe de composés organiques très complexes, fonction de la nature des résidus à partir desquels il s’est constitué et des conditions dans lesquelles la décomposition s’effectue. C’est pourquoi l’humus n’est pas partout semblable. C’est de plus quelque chose de vivant et de fécond, en liaison avec un grand nombre de micro-organismes qui tirent la plus grande partie de leur nutrition de ce substratum. Dans son état naturel, l’humus est en perpétuelle évolution. Du point de vue de l’agriculture, nous avons donc affaire, pas simplement à de la matière morte, comme un sac de sulfate d’ammonium […], mais à un vaste complexe organique75.
52Pour Howard, la perte de fertilité d’un sol est donc associée à la disparition ou à la dégradation de la qualité de l’humus. La solution passe donc par la mise au point de techniques permettant de restaurer cet humus. C’est en observant le cycle naturel des systèmes forestiers qu’il élabore une méthode de compostage permettant de recycler les sous-produits de l’agriculture76. Il écrit sur ce point :
La nature a créé dans la forêt un modèle qui peut être imité tel quel pour la transformation des déchets en humus, c’est la clé de la prospérité. C’est la base du procédé Indore. Des légumes mélangés et des déchets animaux peuvent être convertis en humus par les champignons et les bactéries en quatre-vingt-dix jours, à condition qu’ils soient alimentés en eau, en air, et que l’on ajoute une base afin de neutraliser les excès d’acidité. Comme le monceau de compost est vivant, il requiert simplement autant d’attention que le bétail d’une ferme ; dans le cas contraire, l’on n’obtiendra pas l’humus de la meilleure qualité77.
53L’obtention d’humus par compostage n’est pas le seul levier permettant de rééquilibrer les systèmes agricoles. Howard soutient également la nécessité d’associer l’élevage aux cultures. Il souligne, en effet, les « synergies techniques » entre les pratiques d’élevage et les cultures végétales, qui permettent la reproduction du système agricole. Pour l’agronome anglais, la bonne santé d’une exploitation agricole ne se mesure pas à l’aune de sa productivité, mais dans sa capacité à établir une forme de cercle vertueux : une bonne fertilité des sols assure la qualité des cultures et des prairies, qui elles-mêmes favorisent la bonne santé des animaux qui paissent, tandis que ces derniers participent en retour à la reproduction de la fertilité des sols.
54La conduite des pratiques agricoles doit, par conséquent, être menée dans le souci constant d’être attentif aux processus naturels qui se développent sur l’exploitation. Il faut observer les réactions des animaux, la santé des plantes cultivées, mais aussi l’évolution des populations d’insectes, de champignons et autres micro-organismes susceptibles d’interagir avec les cultures. Dans ce sens, Howard écrit :
La réponse des cultures et des animaux à des améliorations de la condition du sol doit être attentivement observée. Ce sont nos plus grands et nos plus profonds experts. Nous devons les regarder au travail ; nous devons leur poser des questions simples, nous devons faire de leurs réponses des études de cas similaires à celle que Charles Darwin a mise en place pour étudier les vers de terre. Les insectes, les champignons et les autres micro-organismes qui attaquent la plante et l’animal sont d’autres agents aussi importants de la recherche. Ce sont des censeurs de la nature pour indiquer de mauvaises pratiques agricoles. Actuellement, la règle est de détruire ces agents inestimables et de reproduire les cultures inefficaces et les animaux qu’ils essayent de faire partir. Demain, nous devrons les regarder comme des professeurs naturels d’agriculture et comme un élément essentiel de tout type de système de culture rationnel78.
55De ce point de vue, l’agriculture organique de Howard ainsi que les modes de mise en valeur biologiques qui s’en inspirent nous semblent pleinement représentatifs d’une démarche agroécologique.
Agriculture intégrée
56Le deuxième modèle de production que nous voudrions examiner dans une perspective agroécologique est désigné par l’expression d’« agriculture intégrée », résultant de l’extension du principe de « protection intégrée » des cultures à l’ensemble du système agricole. Apparu dans les années 1950, celui-ci renvoie de façon générale à l’idée de mettre à profit en agriculture l’action des adjuvants naturels des cultures, de les « intégrer », autrement dit, dans les systèmes agricoles. Ce principe s’est, en réalité, décliné de plusieurs manières, renvoyant à des conceptions différentes de l’intégration de processus naturels auxiliaires dans les cultures – Pierre Ferron dénombre une soixantaine de variations du concept79. Nous allons essayer de montrer que certaines de ces déclinaisons peuvent renvoyer à une démarche agroécologique80.
57C’est plus exactement sous l’appellation de « lutte intégrée » que cette idée apparaît. Constatant les conséquences néfastes des pesticides sur l’environnement, des scientifiques, en particulier des entomologistes californiens81, proposèrent d’intégrer des moyens de lutte biologique dans les pratiques de défense des cultures, c’est-à-dire de les associer avec les moyens chimiques existants dans une stratégie de lutte combinée. De ce point de vue, la lutte intégrée consiste à ajouter aux méthodes chimiques traditionnelles, le recours à des organismes vivants ou à des processus naturels afin d’empêcher ou de réduire les pertes ou dommages causés par des bioagresseurs.
58Initialement pensée comme un moyen de substitution à certaines méthodes de traitement chimique, l’idée d’intégration va peu à peu amener certains agronomes à repenser, de façon plus large, les systèmes de culture. Suivant ce principe de tirer parti des auxiliaires naturels des cultures, ils élargissent leur champ de réflexion au-delà de la seule question du traitement des bioagresseurs et cherchent à élaborer un modèle de « production agricole intégrée82 ». Ce passage d’une conception de la lutte intégrée à une compréhension plus systémique de l’intégration, qui prend parfois le nom de « protection intégrée », marque un changement de logique important. Le principe de la lutte intégrée s’inscrivait dans une logique de traitements de symptômes, d’éradication ou de limitation d’une population de bioagresseurs, présente dans un champ cultivé. L’approche systémique consiste plutôt, quant à elle, à développer des pratiques de prévention visant à limiter l’apparition ou le dépassement d’un seuil critique pour une population de bioagresseurs. Comme le montre Philippe Lucas à partir d’une analyse du cycle de développement d’un bioagresseur83, le passage de la lutte à la protection intégrée implique la mise en œuvre de pratiques très différentes. Dans le premier cas, il s’agit d’interrompre le cycle par un pesticide juste avant que le bioagresseur ne cause des effets néfastes. Dans le second cas, la logique d’action est tout autre : la protection passe, en effet, par une intervention au niveau de plusieurs étapes du cycle de développement, qui ne visent pas tant à l’interrompre qu’à le ralentir afin de ne pas atteindre le seuil critique qui exigera l’élimination par traitement chimique. Comme l’écrit Philippe Lucas :
La protection intégrée des cultures fait appel à un ensemble de leviers qui visent à empêcher l’établissement des populations de bioagresseurs au sein des cultures, à rendre ces cultures à la fois moins propices à leur développement et moins vulnérables aux dégâts qu’elles pourraient occasionner. [Ils] peuvent n’avoir, individuellement, qu’une efficacité partielle. C’est leur combinaison qui par effet complémentaire ou additif rend la stratégie pertinente84.
59La protection contre les bioagresseurs est ainsi désormais pensée dans le cadre d’une appréhension plus globale du système de culture. On passe d’une intervention technique isolée à la réorganisation du système cultivé, d’une démarche réductionniste à une réflexion holiste.
60Le holisme de l’approche de la protection intégrée s’exprime d’ailleurs dans la façon dont elle cherche à favoriser des synergies permettant de défendre les cultures à différents niveaux d’organisation. L’agriculture intégrée intervient, en effet, à des échelles d’action différentes : de la parcelle à la région, en passant par l’îlot de parcelles85. Ses méthodes varient ainsi du choix de la succession culturale sur une même parcelle à la mise en œuvre d’aménagements paysagers (plantations de haies, composition de mosaïque de cultures, création de zones refuges, combinaison de variétés, etc.).
61De ce point de vue, l’extension de cette logique qui donne lieu à la naissance de l’expression de système de production intégrée, que l’on peut également qualifier d’agriculture intégrée, s’inscrit bien dans une démarche agroécologique. Il s’agit, comme l’écrit Pierre Ferron, de privilégier une « approche écologique de la régulation des populations » et de considérer l’« agro-écosystème comme le niveau d’organisation et d’interventions préventives »86.
62D’une certaine manière, l’inscription progressive du concept de protection intégrée dans la perspective de l’agroécologie se mesure à la distance qu’il prend avec une autre forme d’agriculture que nous avons évoquée, celle raisonnée. Les rapports entre les deux types d’agriculture, raisonnée et intégrée, manquent souvent de clarté, obscurcis qu’ils sont, parfois à dessein, par le jeu des traductions entre le français et l’anglais87. En reprenant la succession des stratégies de défense des cultures précédemment citées, nous pouvons toutefois éclairer ce qui les sépare. Le modèle de l’agriculture raisonnée renvoie aux premières étapes de la réforme de la « lutte chimique aveugle » : il répond, en effet, aux principes de rationalisation de l’usage des pesticides et d’amélioration de la précision des applications. L’agriculture raisonnée est donc un modèle d’action technique qui, contrairement à l’agriculture intégrée, ne propose pas de réorganisation du système de production. Que l’on considère l’agriculture raisonnée comme un premier pas vers l’agriculture intégrée ou, plutôt comme une voie divergente, la confusion entre les deux termes nous semble à proscrire dans la mesure où elle tend au dévoiement de la seconde par la première.
Agriculture de conservation
63Troisième et dernier type d’agriculture que nous voudrions observer du point de vue de l’agroécologie, l’« agriculture de conservation » qui fait son apparition dans les années 1990. Issu de la réflexion d’agriculteurs cherchant à simplifier le travail du sol, initialement pour des raisons économiques – il s’agissait d’essayer de réduire le coût important du travail de labour –, le développement de techniques de culture sans labour croise celui de méthodes de semis direct sous couvert végétal, mené dans une perspective environnementale visant, notamment, à limiter le phénomène d’érosion des sols88. Les deux trajectoires de recherche se rejoignent et donnent naissance à l’agriculture de conservation, naissance marquée par la création de l’association Bretagne agriculture, sol et environnement (Base)89 en 2001 et de la revue Techniques culturales simplifiées (TCS)90 dès 1998.
64L’agriculture de conservation fait du sol son objet central de recherche. Elle se propose, en quelque sorte, d’ouvrir la « boîte noire » du sol, qu’avait entièrement délaissée l’agriculture conventionnelle, mais aussi l’agriculture biologique. Abandonnant la conception réductionniste du sol en tant que simple support physico-chimique des cultures, les promoteurs des techniques sans labour mettent en avant le caractère vivant des sols et insistent sur la nécessité du développement des recherches sur l’écologie des sols cultivés. L’agronomie réductionniste de l’après-guerre a très largement ignoré la composante biologique du milieu cultivé91. Elle s’est plus précisément focalisée uniquement sur les organismes vivants du sol, susceptibles de causer des dommages aux cultures, les bioagresseurs, négligeant par là entièrement un second groupe d’organismes capables, quant à eux, de favoriser les cultures, que l’on désigne comme des « auxiliaires de culture ». L’agriculture de conservation s’intéresse précisément à ces derniers, cherchant à montrer comment ils peuvent contribuer à l’amélioration des sols et rendre inutile, voire dommageable, le travail de labour destiné à la préparation du sol avant l’ensemencement.
65L’agriculture de conservation s’inscrit en ce sens dans une perspective agroécologique. Elle étudie, en effet, le sol comme un niveau d’organisation complexe, incluant diverses interactions entre les organismes qui y vivent, le milieu physico-chimique et les interventions humaines. Cherchant à redéfinir la notion de qualité des sols92, elle essaye de repérer des propriétés de ce système complexe, favorables aux cultures. De ce point de vue, l’élaboration des techniques sans labour apparaît comme la recherche de la mise au point d’un pilotage des processus naturels qu’abritent les sols.
66Toutefois, cette description ne rend compte que partiellement de la réalité de l’agriculture de conservation. Si la volonté de mettre à profit le fonctionnement écologique des sols relève bien de l’agroécologie, les techniques de culture sans labour s’en éloignent par d’autres aspects. Le problème principal qui résulte de l’absence de labour est la question de la gestion des adventices que permettait précisément le travail de la terre. Pour compenser cette absence de désherbage mécanique, l’agriculture de conservation a recours à des herbicides, souvent le glyphosate, et ce parfois massivement, notamment dans les grandes cultures qui représentent l’un des principaux secteurs d’application de ce mode de mise en valeur. Au labour mécanique, elle substitue un « labour chimique » et utilise des semences génétiquement modifiées résistantes à ces traitements. Cette pratique tend ainsi à inscrire le développement de l’agriculture de conservation dans un cadre technique en continuité avec celui de l’agriculture conventionnelle. Comme le note Frédéric Goulet :
Les valeurs de productivité et de rendement, la culture de la performance et de la puissance restent entières et sont même entrevues comme les clés de l’agriculture de demain. Cette vision est largement relayée par les slogans des firmes qui commercialisent les intrants et autres équipements nécessaires à la pratique du semis direct. Ainsi, une marque de semoir direct se targue dans ses prospectus d’avoir semé « 98 hectares en 24 heures avec un semoir de 3 mètres », alors qu’une firme de tracteur-pulvérisateur, utilisé notamment pour l’application d’herbicides, met en avant le « premier record du monde de pulvérisation terrestre : 102,57 hectares en 1 heure 14 minutes 14 secondes »93.
67Et, de façon similaire au cas de l’agriculture raisonnée, l’identité de certains promoteurs économiques de l’agriculture de conservation éveille les soupçons quant à l’affirmation de la primauté de la dimension environnementale dans une telle démarche94.
68En définitive, l’agriculture de conservation nous semble duale. Dans sa façon de concevoir de nouveaux systèmes de culture basés sur le pilotage du fonctionnement écologique des sols, elle renvoie clairement à une démarche agroécologique. Mais l’usage massif d’herbicides à laquelle elle donne lieu, fréquemment, l’inscrit plutôt dans une perspective techniciste qui s’écarte de l’agroécologie.
Une revendication environnementale controversée
69Les analyses précédentes nous permettent d’affirmer que des modèles agricoles existent qui donnent corps à l’idée de développer une démarche agroécologique. L’agriculture biologique, quand elle dépasse la seule logique de substitution des intrants, l’agriculture intégrée, quand elle se démarque nettement de l’agriculture raisonnée, l’agriculture de conservation, enfin, quand elle ne se limite pas à la mise en œuvre d’un « labour chimique », représentent autant de modèles qui s’écartent de l’agriculture conventionnelle et cherchent à mettre en place des systèmes agricoles qui s’appuient sur le pilotage de processus naturels. Toutefois, la nécessité qui nous est apparue d’ajouter une condition visant chacun de ces modèles souligne la prudence que nous voudrions conserver quant à leur caractérisation en tant que concrétisation de l’approche agroécologique, que nous avons jusqu’ici appréhendée comme la voie véritable du développement d’une agriculture soutenable d’un point de vue environnemental. Les analyses précédentes nous semblent, en effet, inviter à maintenir un regard sceptique sur l’apparition de la multiplicité d’appellations agricoles revendiquant leur adéquation au volet environnemental de l’agriculture durable. Ce scepticisme ne se limite pas au partage entre deux catégories d’appellations, les premières relevant plus d’un positionnement stratégique que d’un engagement environnemental, qui caractériserait au contraire les secondes. Autrement dit, s’il nous est apparu assez clairement que l’agriculture raisonnée et une certaine forme institutionnalisée d’agriculture biologique ne répondaient pas aux exigences d’une rupture véritable avec l’organisation du système conventionnel, les modes de mise en valeur qui nous ont semblé les plus à même de mettre en œuvre une telle rupture ne sont pas, eux non plus, dénués d’ambiguïté, et la prudence s’impose donc également avant d’affirmer leur exemplarité environnementale.
70L’agriculture biologique, l’agriculture intégrée et l’agriculture de conservation relèvent de l’agroécologie parce que ces modes de mise en valeur invitent au développement de systèmes de culture qui, contrairement à l’agriculture conventionnelle, témoignent de la volonté de mettre en œuvre une forme de coopération entre l’agriculture et l’environnement. Mais ce sont aussi des appellations agricoles engagées, comme les autres, dans un entrelacement d’enjeux stratégiques, commerciaux et politiques. Sous chacune de ces appellations se rassemble un groupe hétérogène d’acteurs des mondes agricoles, des agriculteurs, des syndicats, des instituts de recherche, des associations locales ou internationales, des industries chimiques et agroalimentaires, comme autant de porteurs d’intérêts différents qui convergent pour soutenir le développement d’une appellation particulière. Dans ce contexte où la reconnaissance publique de l’excellence environnementale d’un mode de mise en valeur est devenue un enjeu stratégique important, il est, bien souvent, difficile de démêler ce qui relève dans les différentes démarches de motivations réelles en faveur du développement d’une meilleure association entre l’agriculture et l’environnement et ce qui répond avant tout à des choix stratégiques instrumentalisant la référence à l’environnement pour conserver un rôle d’acteur dominant dans le développement agricole, ou pour le devenir. De ce dernier point de vue, l’étude de la composition du groupement d’acteurs qui soutient une appellation nous renseigne au moins autant que l’analyse des propositions agricoles auxquelles elle renvoie95.
Une rivalité entre l’agriculture de conservation et l’agriculture biologique
71De cet entrelacement de motivations stratégiques et environnementales, les relations entre les acteurs de l’agriculture de conservation et le mouvement de l’agriculture biologique offrent une bonne illustration, que le sociologue Frédéric Goulet a analysée. Comme ce dernier l’indique, le développement de l’agriculture de conservation a donné lieu à la constitution d’un véritable segment professionnel, dont l’élément fédérateur est l’abandon de la pratique hautement symbolique en agriculture que constitue le labour96.Ainsi que le choix du terme de conservation dans l’appellation l’indique, les promoteurs de ce mode de mise en valeur affirment clairement leur revendication de représenter la solution pour le développement d’une agriculture soutenable. Afin d’appuyer cette affirmation, il leur faut justifier le bien-fondé environnemental des techniques culturales simplifiées, mais aussi se situer par rapport aux autres démarches revendiquant également l’inscription dans la soutenabilité, au premier rang desquelles figure l’agriculture biologique97. Dans cette optique, l’agriculture de conservation fait valoir son expertise en termes de protection des sols agricoles, qu’elle cherche en même temps à promouvoir comme enjeu environnemental prioritaire, par rapport à d’autres tels que les problématiques associées à la qualité de l’eau et à la qualité de l’air. En somme, l’agriculture de conservation soutient l’idée que la protection de l’environnement passe avant tout par la préservation des sols et qu’en ce domaine, elle est plus experte que l’agriculture biologique. Elle serait donc plus « environnementale » que cette dernière, ce qu’expriment des agriculteurs cités par Frédéric Goulet : « Aujourd’hui pour la préservation de la structure du sol, on est mieux que le bio » ; « je ne suis pas bio mais j’ai l’impression d’être plus bio que les bios »98.
72Afin d’affirmer leur légitimité écologique face à l’agriculture biologique, les acteurs de l’agriculture de conservation cherchent ainsi à mobiliser des arguments scientifiques, visant à disqualifier le savoir des tenants du courant biologique. Il s’agit de contester, en somme, l’expertise des « bios » en matière de protection environnementale, en dénonçant leur méconnaissance des sciences du sol. Partant, ils proposent une nouvelle trajectoire technique pour la réorientation de l’agriculture. Frédéric Goulet écrit à ce propos :
Ces oppositions établies par les défenseurs de l’agriculture de conservation laissent entrevoir que pour eux le débat sur les herbicides, et plus particulièrement sur le glyphosate incontournable en semis direct, n’a pas lieu d’être : selon eux, mieux vaut utiliser des herbicides et ne pas travailler le sol, plutôt que l’inverse. La convention permettant habituellement de définir les agricultures alternatives change d’objet technique : elle se déplace depuis l’usage des produits chimiques vers celui de la charrue et autres outils de travail du sol, et il s’agit de faire passer le « sans labour » devant le « sans chimie » en termes de pertinence environnementale. Ce que l’on entend par agriculture conventionnelle n’est donc plus ici pour les défenseurs de l’agriculture de conservation celle qui utilise les produits de synthèse, mais celle qui travaille le sol, comme l’affirme un agriculteur breton en évoquant « l’agriculture biologique conventionnelle »99.
73La dévaluation de l’appellation environnementale opposée se fait ainsi sur le fond d’une querelle d’expertise scientifique en matière de pertinence environnementale.
74Toutefois, si sous ce premier aspect la confrontation entre les deux modèles agricoles apparaît comme une opposition entre deux conceptions scientifiques de la protection de l’environnement, elle engage par ailleurs des enjeux extrascientifiques. Dans le cas de l’agriculture de conservation, l’intérêt que portent les industriels producteurs d’herbicides et de semoirs adaptés au semi direct au développement d’un tel modèle agricole est trop évident pour ne pas voir également à l’œuvre une motivation économique dans cette volonté de déqualifier l’agriculture biologique100. C’est d’ailleurs ce que ne manquent pas de souligner les tenants de cette dernière. En retour, les partisans du labour dénoncent, quant à eux, l’opportunisme qui dirigerait les conversions des agriculteurs au mode de production biologique. Il s’agirait surtout pour ces derniers d’obtenir une certification qui leur permet d’accéder au « marché du bio ». De sorte que chacun des acteurs accuse l’autre d’instrumentaliser une prétendue expertise en matière de protection de l’environnement au nom d’objectifs économiques.
75Le débat qui oppose les tenants de l’agriculture de conservation et les partisans du courant biologique est ainsi dans une large mesure l’expression d’une compétition économique entre acteurs qui saisissent l’intérêt qu’ils ont à incarner la traduction du volet environnemental de l’agriculture durable. Faut-il en conclure, pour autant, que le développement de ces appellations agricoles, qui nous avaient semblé être parmi celles qui portaient le mieux le projet de développer des modèles agricoles mieux intégrés dans l’environnement, ne répond en définitive qu’à des stratégies économiques ? Ce serait occulter le fait que si elles apparaissent effectivement au sein de démarches qui portent des intérêts économiques, les questions scientifiques que soulèvent ces modèles agroécologiques n’en sont pas moins pertinentes. C’est le cas, en particulier, des questions posées par l’agriculture de conservation concernant le fonctionnement écologique des sols. Autrement dit, si la mise en lumière des jeux d’influences sous-tendant les discussions sur la pertinence environnementale des modèles agricoles est requise, elle ne doit pas faire oublier les interrogations scientifiques réelles qu’elles soulèvent, attirant ainsi l’attention sur le caractère lacunaire de nos connaissances tant du point de vue de l’écologie des sols que, de façon plus générale, concernant les interactions entre les processus naturels et nos pratiques agricoles.
Pour un pluralisme scientifique et pratique
76De ce point de vue, la confrontation entre des modèles agricoles qui se disputent la pertinence environnementale relève certes de l’action de groupements d’acteurs qui défendent leurs intérêts, mais elle marque aussi le croisement de recherches scientifiques menées sur les milieux cultivés depuis des points de vue particuliers, caractérisés par une affiliation à une appellation. Elle est en ce sens animée par des acteurs qui, dans une démarche expérimentale, sont bien à la recherche de pratiques culturales qui interagissent positivement avec les processus naturels. Plutôt que sous la forme d’une confrontation, la rencontre entre ces différentes approches agroécologiques pourrait donc, aussi, être pensée comme un échange entre savoirs scientifiques développés dans des perspectives différentes. C’est d’une certaine façon ce que nous donnent à penser les acteurs qui témoignent de la volonté de voir converger l’agriculture biologique et l’agriculture de conservation101. Dépassant les désaccords initiaux sur les priorités à accorder en matière de protection de l’environnement, ils cherchent ainsi à comprendre les enseignements respectifs que chacune des deux approches peut apporter à l’autre. En ce sens, un certain nombre d’adeptes de l’agriculture de conservation ont récemment montré un intérêt croissant pour les pratiques culturales de l’agriculture biologique. Il s’agirait de trouver dans les techniques développées par cette dernière le moyen de diminuer l’usage des herbicides tout en maintenant l’abandon du labour, de concilier en somme le « sans labour » et le « sans chimie »102. Réciproquement, comme nous avons essayé de le montrer, le mouvement biologique ne se limite pas à l’interdiction des produits chimiques. Les fondateurs de l’agrobiologie partageaient une même préoccupation pour la fertilité du sol qu’ils considéraient comme un milieu vivant. Il y a donc, de ce point de vue, une convergence naturelle entre les courants de l’agriculture biologique qui s’inspirent de ces travaux précurseurs et l’agriculture de conservation. Ainsi, au-delà des positionnements idéologiques et stratégiques, le dialogue entre les tenants des deux approches, et plus généralement des différents modes de mise en valeur relevant de l’agroécologie, pourrait conduire à un enrichissement scientifique mutuel.
77D’une certaine manière, la pertinence environnementale d’une appellation agricole se mesure, pour l’instant, peut-être plus à la profondeur des interrogations scientifiques qu’elle soulève plutôt qu’à la valeur des solutions pratiques dont elle disposerait déjà. Autrement dit, c’est dans leur capacité à contribuer à l’élaboration d’un programme de recherche pour l’agroécologie que ces appellations nous semblent se distinguer dans une perspective environnementale. L’agriculture raisonnée s’interroge sur la juste dose d’intrants à apporter, l’agriculture biologique institutionnelle sur la possibilité de substituer des produits, « naturels », à d’autres produits, chimiques. Elles ne nous semblent donc pas, de ce point de vue, ouvrir de réelles pistes de recherche agroécologique. À l’inverse, l’agriculture biologique qui dépasse la logique de substitution, l’agriculture intégrée et l’agriculture de conservation formulent des questions scientifiques plus complexes. Comment développer de nouveaux modèles de polyculture-élevage innovants ? Par quelles mosaïques culturales et quelles successions de cultures mettre en œuvre une protection écologique des cultures ? Via quels processus écologiques assurer le maintien de la fertilité d’un sol ? À ces questions, nous n’avons que des réponses très lacunaires. C’est l’un des mérites de l’apparition de ces dernières appellations agricoles de souligner le fait que nous ne disposons pas de connaissances scientifiques suffisantes sur le fonctionnement écologique des sols ou sur les interactions positives entre pratiques culturales et processus naturels.
78De ce point de vue, la multiplication des appellations revendiquant une pertinence environnementale appelle au développement des recherches en matière de science agroécologique, qui restent pour l’instant trop rares103. Ce développement se heurte, en effet, toujours à des freins importants, tant du point de vue de l’organisation institutionnelle de la recherche que de son financement. Tout oppose, en effet, la logique de production des savoirs agroécologiques et celle qui animait le modèle agronomique de l’après-guerre104 : il s’agit de passer d’une science de laboratoire à une science de terrain, d’une recherche décontextualisée à la prise en compte du contexte, des aspirations universalistes de la science à l’intérêt pour les savoirs locaux, d’une approche descendante (top-down), enfin, à une logique ascendante (bottom-up).
79Ces oppositions donnent lieu à des tensions entre les acteurs qui cherchent à développer des savoirs agroécologiques de terrain et les chercheurs qui nient le caractère scientifique de connaissances non reproductibles en laboratoire. C’est ce que montre, par exemple, Frédéric Goulet à propos de la question de l’évaluation environnementale des techniques sans labour, notamment de leur capacité à améliorer le stockage du carbone dans les espaces cultivés et à limiter les phénomènes de ruissellement105. Schématiquement, deux modèles d’évaluation s’opposent : le premier organise un suivi in situ en collaboration étroite avec les agriculteurs tandis que le second élabore des dispositifs de mesure en station expérimentale, et les tensions sont fortes entre des acteurs qui cherchent à faire valoir des conceptions différentes du mode de production des connaissances scientifiques. Afin de dépasser le clivage entre savoirs profanes et connaissances d’experts, chercheurs et agriculteurs tentèrent de mettre en place un dispositif d’évaluation hybride, associant mesures en station expérimentale et suivi d’un réseau de parcelles cultivées. L’échec de cette tentative et le retour des tensions entre les deux « communautés épistémiques », symbolisés par la publication séparée d’articles tirant des conclusions assez largement contradictoires quant à la pertinence environnementale des techniques sans labour, marquent bien les difficultés que pose la réorganisation du travail de recherche.
Des blocages institutionnels
80Le cas analysé par Frédéric Goulet permet de situer le cœur du problème de la production de savoirs agroécologiques pour la recherche institutionnelle. Si l’objectif poursuivi par l’agroécologie est de développer nos connaissances des interactions entre les pratiques culturales et leur environnement, elle ne peut que partir de l’observation locale de la diversité des milieux cultivés, résultant à la fois de la diversité des systèmes écologiques dans lesquels s’insèrent les pratiques culturales et de la diversité de ces pratiques elles-mêmes. Autrement dit, la science agroécologique ne peut produire, pour l’essentiel, que des connaissances qui valent localement, ce qui est logique puisqu’elle cherche à définir les modalités d’une meilleure insertion des pratiques culturales dans leur environnement propre. Or, c’est précisément ce caractère local qui pose problème du point de vue de la recherche institutionnelle, tout du moins dans son organisation actuelle106. Que valent des connaissances scientifiques qui ne sont valides que dans une situation locale particulière ? Pour les financeurs comme pour la recherche académique, peu de chose. Pour revenir à l’exemple de l’évaluation des techniques sans labour, c’est très exactement ce qu’opposent deux chercheurs de l’Inra à la volonté des agriculteurs, partisans de l’agriculture de conservation, d’étendre le réseau des parcelles cultivées à évaluer. Comme le rapporte Frédéric Goulet :
Les deux chercheurs mettent en avant le décalage entre la charge de travail liée au suivi du réseau et la valorisation académique de cette tâche ; malgré les tentatives de formalisation du dispositif des couples de parcelles, les connaissances produites ne sont pas assez fiables pour être reconnues au sein de la communauté scientifique. L’un d’eux évoque ainsi : « Le réseau, c’est très intéressant intellectuellement mais en thème de structure de recherche et valorisation de la recherche, ça ne fera jamais une publication »107.
81De ce point de vue, le développement des connaissances en matière d’agroécologie se heurte à un double frein, d’une part le manque d’intérêt des financeurs pour des recherches qui n’auront d’applications que locales et ne possèdent donc que des débouchés économiques assez faibles, et d’autre part le manque de reconnaissance académique pour les chercheurs qui s’engagent dans cette voie.
82L’organisation de la recherche scientifique sur les modèles agricoles vertueux d’un point de vue environnemental est en tension entre deux orientations distinctes. D’un côté, il apparaît de plus en plus clairement que la conciliation entre l’agriculture et l’environnement passe par le développement d’une pluralité de modes de mise en valeur adaptés à des contextes locaux, et, de ce point de vue, les chercheurs sont invités à explorer de multiples pistes de recherches agroécologiques. D’un autre côté, les modes de financement, les politiques de recherche et la valorisation académique des travaux continuent à assigner aux chercheurs l’objectif de développer des solutions à vocation universelle. Il s’agirait, dans cette optique, d’élaborer une sorte de modèle agricole type plus respectueux de l’environnement, qui succéderait au modèle conventionnel de la seconde moitié du xxe siècle. Le tournant environnemental se jouerait dans le passage d’un paradigme dominant à l’autre, de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture durable.
83Les appellations agricoles sont, en quelque sorte, au centre de cette opposition entre une invitation à développer la pluralité des recherches scientifiques et une tendance à l’unification au sein d’un seul paradigme. La multiplication de ces appellations tendrait à indiquer l’engagement des acteurs du monde agricole dans la première de ces deux voies. Mais les rapports entre ces diverses appellations témoignent, également, que leurs promoteurs respectifs n’ont pas abandonné toute ambition hégémonique et cherchent, souvent, à ériger le mode de mise en valeur qu’ils développent en solution universelle. Le panorama des appellations environnementales peut faire l’objet, en somme, d’une double lecture, l’envisageant soit comme l’expression du développement d’une approche véritablement pluraliste des rapports entre l’agriculture et l’environnement, soit comme un paysage en recomposition témoignant de la lutte entre plusieurs paradigmes cherchant à s’imposer en tant que référence pour une agriculture durable d’un point de vue environnemental.
La soutenabilité sociale de l’agriculture durable
84La question de la soutenabilité environnementale de l’agriculture durable ne possède pas de réponse univoque. En effet, cette expression qui cherche à inscrire la réflexion sur les nouvelles orientations agricoles dans le cadre de la durabilité recouvre, en réalité, une pluralité d’approches distinctes qui témoignent d’engagements variables à l’égard des problématiques environnementales. De ce point de vue, si elle indique bien une forme de tournant environnemental de l’agriculture, qui se concrétise notamment par l’ouverture de pistes de recherches agroécologiques, l’apparition de l’agriculture durable dans le paysage agricole institutionnel éveille aussi, assez légitimement, des soupçons quant à une possible instrumentalisation de la référence à l’environnement. C’est maintenant sous un autre angle, juché sur un autre de ses piliers, que nous voudrions évaluer la pertinence de l’agriculture durable, à la fois du concept et de la démarche qui lui sont associés. Il s’agit, en somme, de nous demander si, conjointement à la prise en compte des problématiques environnementales, l’agriculture durable fait droit également à des revendications sociales, autrement dit, si la conciliation des relations entre le développement économique du secteur agricole et la protection de l’environnement modifie aussi les rapports entre les différents acteurs des mondes agricoles.
Un pilier oublié
85À première vue, les définitions sont, sur ce point, tout à fait claires, c’est précisément l’optique de la référence au cadre de la durabilité que d’assurer un développement agricole prenant en compte, à l’avenir, tant ses dimensions sociales qu’économiques et environnementales. Dans ce sens, sur le site internet du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, figure la définition suivante de l’agriculture durable : « C’est un mode de production agricole économiquement viable, socialement équitable, et qui ne nuit ni à l’environnement ni à la santé108. »
86Économique, social et environnemental, l’objectif de l’agriculture durable est bien officiellement triple. Toutefois, en examinant plus attentivement les définitions officielles du concept, il apparaît que les poids respectifs accordés à ces trois dimensions ne sont pas identiques. Plus précisément, les enjeux sociaux de la réforme de l’agriculture conventionnelle semblent être relégués au second plan, au profit de la question de l’articulation entre le développement économique de l’agriculture et l’effort environnemental qu’elle doit accomplir.
87Un certain nombre d’indices témoignent de cette relégation du social tant dans les textes officiels eux-mêmes que dans le domaine ou la rubrique dans lesquels ces textes apparaissent. Pour revenir, en premier lieu, à la définition proposée par le ministère de l’Écologie, celle-ci apparaît au sein d’une page web intitulée « L’agriculture durable : des pratiques respectueuses de l’environnement », ce qui tend bien à l’inscrire dans une démarche avant tout environnementale. En poursuivant notre visite du web ministériel, nous pouvons, par ailleurs, constater que l’expression d’« agriculture durable » n’apparaît presque qu’exclusivement que dans la rubrique « Environnement109 » du site du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Au sein de cette même rubrique, nous apprenons, en outre, l’existence des « trophées de l’agriculture durable » qui distinguent « les démarches […] exemplaires d’une agriculture à la fois productive et particulièrement respectueuse de l’environnement110. » Du point de vue de l’agriculture durable, l’exemplarité se mesurerait ainsi à l’aune de sa productivité et de sa capacité à respecter l’environnement, critères desquels le social est absent. C’est enfin dans un texte rédigé par la Commission européenne que nous trouvons un autre argument à l’appui de l’hypothèse d’une prise en considération faible de la dimension sociale dans la réflexion officielle sur l’agriculture durable. Dans le passage suivant, déjà cité, nous pouvons observer comment la volonté d’inscrire les relations entre l’agriculture et l’environnement dans un cadre durable mobilise, ici, une conception très faible, tout du moins du point de vue social, de la durabilité. Le texte est le suivant :
La relation que l’on souhaite établir entre l’agriculture et l’environnement peut être définie par les termes « agriculture durable ». La durabilité est le concept fondamental du cinquième programme d’action en matière d’environnement, où le développement durable est considéré comme un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations à venir de satisfaire leurs propres besoins. Cela signifie qu’il faut maintenir l’équilibre général et la valeur du capital naturel et redéfinir les questions à court, moyen et long terme pour tenir compte des coûts et des avantages socio-économiques réels de l’utilisation et de la conservation. Pratiquer une « agriculture durable » équivaudrait à gérer les ressources naturelles de manière à garantir que l’on puisse également en tirer profit à l’avenir111.
88Cette description nous semble mettre en lumière le primat de la recherche d’une solution qui vise à accorder préoccupations environnementales et économiques, que traduit le terme de « capital naturel ». Rendre l’agriculture durable, c’est maintenir la valeur du capital naturel, c’est « gérer les ressources naturelles de manière à garantir que l’on puisse également en tirer profit à l’avenir ». Une telle affirmation ne nous dit rien, ni sur la façon dont ces profits sont répartis, ni sur l’organisation du secteur agricole. Une nouvelle fois, le social n’apparaît pas dans cette conception de l’agriculture durable.
89Toutefois, le texte de la Commission prétend bien d’une certaine manière endosser le point de vue des agriculteurs. Mais cette prise en compte de l’« intérêt des agriculteurs » se fait, en réalité, selon une rationalité économique étroite. En effet, la caractérisation de l’agriculture durable se poursuit de la façon suivante :
Cette définition de la durabilité va dans le sens de l’intérêt des agriculteurs. Une vision plus élargie étend cependant la notion de durabilité à un ensemble plus vaste d’éléments liés au sol et à son utilisation, tels que la protection des paysages, des habitats et de la biodiversité, ainsi qu’à des objectifs généraux tels que la qualité de l’eau potable et de l’air. Par conséquent, si l’on considère la question dans une optique plus globale, il faut également mettre en balance l’utilisation des terres et des ressources naturelles à des fins de production agricole lucrative avec les valeurs de la société relatives à la protection de l’environnement et du patrimoine culturel112.
90De ce point de vue, l’affirmation de l’intérêt de l’agriculture durable pour les agriculteurs repose essentiellement sur l’idée selon laquelle elle leur permettrait de continuer à exercer leurs activités lucratives. C’est une vision pour le moins pauvre de la prise en compte des problématiques sociales que le développement agricole soulève depuis une soixantaine d’années.
Le retour des paysans
91D’un point de vue social, le fait majeur de l’histoire agricole de la seconde moitié du xxe siècle est la disparition des sociétés paysannes113. Marquant le passage des paysans aux agriculteurs, celle-ci se traduisit notamment par une perte d’autonomie importante pour ces derniers. Autrement dit, la modernisation productiviste de l’agriculture a eu pour conséquence sociale majeure de destituer les agriculteurs de leur rôle actif dans la définition des orientations à donner au développement agricole, ces dernières étant désormais pilotées de manière technocratique. Cette question apparaît donc logiquement comme le cœur du volet social de la réforme de l’organisation de l’agriculture conventionnelle. De ce point de vue, la mise en œuvre d’une agriculture soutenable ne passe pas simplement par l’élaboration par les institutions agricoles de nouveaux référentiels techniques à mettre en œuvre par les agriculteurs. De telles démarches maintiennent, en effet, les activités de ces derniers dans le simple cadre de l’application d’une politique agricole décidée sans eux. À l’inverse, si elle veut réellement faire droit à la dimension sociale de la réorientation du développement agricole, la réflexion sur l’agriculture soutenable requiert de poser la question de l’identité des acteurs qui jouent un rôle actif dans la construction d’une telle démarche. Dans cette perspective, la soutenabilité d’un modèle agricole ne se mesurerait plus simplement à ses performances environnementales, mais également à la façon dont il engage les agriculteurs.
92Nous allons analyser cette autre façon de penser le développement d’une agriculture soutenable à deux niveaux différents. Elle est, en premier lieu, représentée par la formation, au sein des pays qui furent les premiers à voir leur agriculture se moderniser – grossièrement, les pays du Nord –, de courants de contestation formés par des agriculteurs qui refusent d’emprunter la voie d’une telle modernisation, laquelle, tout en les privant des moyens de choisir les systèmes de culture qu’ils mettent en œuvre, les rend coupables aux yeux de la société de causer d’importants dommages environnementaux et de dégrader la qualité sanitaire et gustative des produits agricoles. De cette contestation, nous semblent tout particulièrement représentatives les activités du Réseau d’agriculture durable (RAD)114. Née en 1997115, cette association d’agriculteurs fait précisément de l’autonomie un objectif prioritaire, comme en témoigne son slogan « Systèmes de production + autonomes et + économes ». Ainsi, s’il mobilise la référence au développement durable116 dans des termes similaires à ceux qui apparaissent dans les définitions institutionnelles de l’agriculture durable – référence est ici aussi faite à la conception du rapport Brundtland : il s’agit de répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre le développement de celles futures117 –, le RAD met en avant le rôle que peuvent jouer les agriculteurs dans la transformation du monde agricole. Autrement dit, l’association entend bien ne pas voir la dimension sociale de la réforme de l’agriculture s’effacer derrière les préoccupations économiques et environnementales. En ce sens, une grille de durabilité est élaborée en 2001, qui propose trois séries de critères renvoyant respectivement à des objectifs économiques, environnementaux et sociaux, parmi lesquels figurent l’efficacité économique, la biodiversité, la gestion des sols, mais aussi la qualité de vie118.
93Mais, d’une certaine manière, c’est moins dans les définitions théoriques du concept d’agriculture durable et des critères permettant d’évaluer cette durabilité que dans l’organisation concrète du réseau et dans ses traductions pratiques que l’on peut repérer ce qui distingue cette approche des premières conceptions que nous avons examinées. Car, après tout, toutes les définitions de l’agriculture durable font plus ou moins référence à la volonté de mettre en place des systèmes agricoles socialement équitables. Si l’on en croit leur définition théorique, les modèles agricoles durables se tiennent toujours harmonieusement en équilibre entre les trois piliers de la durabilité. C’est précisément pour se démarquer de nombreuses orientations actuelles tant aux plans national, communautaires qu’international, qui, en dépit de leur référence à l’agriculture durable, s’en écartent manifestement119, que le RAD, ainsi que d’autres associations partenaires rassemblées au sein du pôle national Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale (pôle Inpact), se refusent à définir un modèle achevé et figé d’agriculture durable. Ainsi, si le réseau a bien défini un cahier des charges de l’agriculture durable120, la présentation de ce dernier est accompagnée de mises en garde contre une compréhension erronée de son statut : le cahier des charges ne fait que rassembler quelques « balises incontournables », l’agriculture durable ne s’y réduit pas, pas plus qu’à un label, cette dernière étant décrite comme « tout le contraire d’un modèle121 ». Autrement dit, le RAD cherche à se tenir éloigné du jeu des appellations agricoles qui consiste à inviter les agriculteurs à se conformer à un référentiel technique afin d’obtenir une labellisation, souvent synonyme de débouchés économiques.
94De façon pratique, le RAD rassemble pour l’essentiel des éleveurs qui mettent en œuvre des systèmes de polyculture-élevage, dans lesquels les animaux sont nourris le plus longtemps possible grâce au pâturage. Les prairies cultivées sont donc un élément essentiel de ces systèmes, elles sont constituées d’associations de graminées et de légumineuses afin d’assurer une bonne captation de l’azote de l’air, qui est ensuite converti en élément nutritif pour la prairie, et de limiter ainsi le recours aux intrants chimiques, ces derniers n’étant toutefois pas nécessairement interdits. De ce point de vue, si l’agriculture durable ainsi définie est clairement proche de certains courants de l’agriculture biologique, les agriculteurs membres du réseau ne sont pas nécessairement convertis au mode de production biologique.
95La logique est bien celle de l’adhésion volontaire à un réseau d’acteurs, non celle de l’obtention d’une certification. Ces approches différentes renvoient, en conséquence, à des prises en compte très différentes de la dimension sociale de la soutenabilité. Quand elle ne les réduit pas purement et simplement à des intérêts économiques, la logique de labellisation traduit, de manière technocratique, le volet social de l’agriculture durable en termes d’objectifs à atteindre pour le développement des territoires ruraux. D’une certaine façon, la dimension sociale de l’agriculture est appréhendée du seul point de vue des services rendus par l’agriculture à la société, de la même façon que le volet environnemental s’intéresse à la façon dont l’agriculture peut contribuer à la protection de l’environnement. En définitive, les problématiques sociales du développement agricole sembleraient ne concerner que les habitants des territoires ruraux qui cohabitent avec les agriculteurs et non ces derniers eux-mêmes. À l’inverse, dans une démarche telle que celle du RAD, la dimension sociale de l’agriculture durable est pensée en termes d’équité parmi les agriculteurs, il s’agit de s’intéresser à des questions de répartition, de droits et de moyens de production, mais aussi d’aides publiques. De ce point de vue, le volet social de l’agriculture durable prend la forme, non plus simplement d’objectifs sociaux à atteindre, mais aussi de revendications sociales portées par des agriculteurs – ce qui ne veut pas dire que celles-ci ne peuvent pas rencontrer des demandes formulées par d’autres acteurs et donner lieu à des alliances, par exemple avec leurs voisins non agriculteurs. Mais, dans ce cadre, le mouvement en faveur du développement d’une agriculture durable apparaît essentiellement comme un mouvement social.
96Cette compréhension différente des enjeux sociaux de l’inscription du développement agricole dans un cadre durable s’exprime, par ailleurs, à un autre niveau. Ce dernier engage plutôt, cette fois, les agriculteurs des pays du Sud qui ont subi et subissent encore une modernisation agricole calquée sur le modèle des années 1950, autrement dit qui ont connu la révolution verte. Ces derniers se sont vus récemment proposer sous le nom de « révolution doublement verte122 » un modèle agricole censé rompre avec un productivisme aveugle aux conséquences sociales de la déstructuration des sociétés paysannes. Ce nouveau modèle de développement promet d’être plus attentif à sa dimension sociale, il écrit un scénario fondé sur l’écologie et l’équité sociale123. Mais une nouvelle fois, l’accent nous semble placé sur la dimension environnementale, sur le développement d’une agriculture écologiquement intensive, plutôt que sur la problématique des inégalités sociales ou la question de l’autonomie décisionnelle des agriculteurs.
97Pour être tout à fait juste, les promoteurs de la révolution doublement verte n’ignorent pas entièrement cette problématique sociale, en particulier la question de l’accès à la terre pour les agriculteurs locaux. Michel Griffon, par exemple, n’hésite pas à affirmer que : « Sans droit à la terre, rien n’est possible124. » Mais le problème est précisément que rien n’indique le commencement de la mise en œuvre d’une telle réforme agraire dont dépendrait tout l’édifice « doublement révolutionnaire ». De ce point de vue, l’affirmation de la prise en compte de la dimension sociale d’un développement agricole dont les acteurs, à qui l’on promet l’équité, restent absents ne peut que sonner à vide.
98En conséquence, le premier pas à effectuer en direction du développement d’une agriculture durable, afin de mettre un terme à une « situation agricole mondiale insoutenable125 », est d’établir les conditions socioéconomiques permettant aux paysans marginalisés par la modernisation de redevenir des acteurs des mondes agricoles. La voie vers un développement agricole socialement soutenable ne passe pas tant par l’élaboration de « modèles » agricoles plus « soucieux » des problématiques sociales que par la restitution aux agriculteurs des conditions matérielles leur permettant de mener de façon autonome leurs activités agricoles. Cela nécessite, avant toute chose, l’accès à la terre. Autrement dit, l’action en faveur du développement d’une agriculture soutenable passerait par le soutien des luttes menées par les agriculteurs sans terres, tel que celui des sans-terre brésiliens126. Une nouvelle fois, la dimension sociale de l’agriculture soutenable ne s’exprime pas simplement dans la définition d’objectifs sociaux à atteindre pour un modèle agricole, mais aussi par le fait que la volonté de réorienter le développement agricole est portée par un mouvement social.
99Ainsi, deux mouvements d’agriculteurs d’origines différentes se rejoignent pour contester l’idée selon laquelle la solution à la crise sociale provoquée par la modernisation productiviste des mondes agricoles résiderait dans l’élaboration d’un « modèle » d’agriculture durable. Ces agriculteurs ne rejettent, toutefois, pas nécessairement l’expression même d’agriculture durable, ils en proposent une conception différente qui s’articule autour de la question de la restitution de leur autonomie. Cette convergence entre des mouvements contestataires menés par des agriculteurs évoluant dans des contextes agricoles différents est symbolisée par leur revendication commune d’un terme qui semblait appartenir au passé, celui de paysan.
100Cette résurgence interpelle les sociologues de la ruralité qui s’étaient accordés à décrire la disparition des paysans127. Comment ces derniers pourraient-ils exister à l’heure où les sociétés paysannes ont définitivement disparu ? C’est tout simplement impossible et cela relève, en réalité, d’un usage abusif du terme, répond Henri Mendras128, réaffirmant sa thèse développée en 1967129. Mais Bernard Wolfer se demande, quant à lui, si la mobilisation croissante du terme, plutôt qu’à la résurgence d’une paysannerie effectivement disparue, ne renvoie pas plutôt à l’apparition de nouvelles figures paysannes130. Il écrit en ce sens :
Ce qui peut également surprendre depuis quelques années, c’est que non seulement la Confédération paysanne, mais aussi les autres syndicats agricoles comme la FNSEA ou le CNJA, revendiquent de nouveau le terme « paysan » pour se qualifier, en tant qu’hommes et non plus seulement comme acteurs d’un territoire. Ce n’est donc peut-être pas l’« archipel paysan » qui les attire, comme peuvent le penser Bertrand Hervieu et Jean Viard, mais un qualificatif restauré et qui, ayant perdu son caractère péjoratif, aurait aujourd’hui de la valeur. Parce que ces paysans sont tellement tenaces dans l’imaginaire de la France et des Français, certains cherchent peut-être à les réinventer. Peut-être est-ce aussi parce qu’il est possible que se recréent de nouvelles figures de paysans en France, comme une résistance, non à la modernité mais au modernisme tel qu’il s’est déployé durant les Trente Glorieuses131.
101Et, d’une certaine manière, cette revendication du terme de paysan pourrait sembler logique du point de vue même de l’analyse sociologique de la transition entre les paysans et les agriculteurs qu’avait réalisée Henri Mendras. Si l’on se souvient, en effet, que l’un des traits principaux de ce passage tenait à la façon dont les agriculteurs avaient certes gagné en modernité mais perdu l’autonomie qui caractérisait les paysans, qu’un mouvement social en faveur de l’autonomie des agriculteurs revendique à nouveau la qualification de paysan est assez naturel.
L’agriculture paysanne
102Si l’on observe la Charte de l’agriculture paysanne, rédigé, en 1998, par la Confédération paysanne, nous comprenons, en définitive, comment le mouvement paysan ne s’oppose pas à l’idée d’inscrire le développement agricole dans le cadre de la soutenabilité, mais conçoit cette inscription d’une façon qui s’écarte des définitions institutionnelles de l’agriculture durable. Dès les premières pages, la charte affirme que l’agriculture paysanne porte en elle trois dimensions : sociale, économique, environnementale132. Nous retrouvons donc les trois piliers du développement durable, mais c’est dans la formulation de son objectif que va apparaître ce qui fait la spécificité de l’approche paysanne de cette tridimensionnalité. Celui-ci figure dans le préambule de la charte qui se conclut de la façon suivante :
Plus que jamais, il convient de repenser les fonctions et la place de l’agriculture dans la société. Il faut redonner aux actifs agricoles leur rôle social, économique et écologique, afin de considérer la production agricole dans sa globalité. L’agriculture paysanne a l’ambition de répondre à cet objectif133.
103La formule soulignée entend bien mettre en lumière ce qui distingue une conception technocratique de l’agriculture durable, qui passerait par l’élaboration d’un référentiel auquel devraient se conformer les agriculteurs, et la voie de l’agriculture paysanne qui affirme que c’est par la restauration de l’autonomie, décisionnelle, économique et technique134 des paysans que l’on peut aller vers la soutenabilité. Il s’agit, en somme, d’affirmer que l’agriculture soutenable a besoin de paysans nombreux et autonomes. En ce sens, la tridimensionnalité de la soutenabilité est déclinée de la façon suivante : « produire - employer - préserver135 ». C’est ainsi que le volet social de l’agriculture soutenable, qui peine à s’exprimer dans les politiques agricoles qui se proposent de la mettre en œuvre, se traduit ici très concrètement par un premier objectif de maintien et de création des emplois agricoles. Cet objectif est réaffirmé dans le premier principe de la charte : « Principe no 1 : Répartir les volumes de production afin de permettre au plus grand nombre d’accéder au métier et d’en vivre136. »
104C’est très précisément ce souci pour l’intégration du plus grand nombre d’individus parmi les actifs agricoles, lesquels peuvent vivre de leurs revenus, qui conduit ce mouvement développé au niveau national à adopter une perspective « internationaliste ». Cette extension fait l’objet du deuxième principe de la charte : « Principe no 2 : Être solidaire des paysans des autres régions d’Europe et du monde137. »
105De ce point de vue, le mouvement paysan français s’associe aux différentes mobilisations paysannes qui apparaissent et se structurent dans le monde138. De cette association témoigne l’appartenance de la Confédération paysanne, et plus largement de la Coordination européenne paysanne – qui en est membre fondateur –, à laVia Campesina139, mouvement paysan international créé en 1993 et qui rassemble environ 150 organisations paysannes, locales ou nationales, dans le monde. C’est ainsi que convergent des contestations d’horizons très divers, du plateau du Larzac à l’Ouest africain en passant par les latifundios brésiliens, pour donner corps à l’idée d’un mouvement paysan international, contribuant à la formation du courant altermondialiste140.
106Parmi les luttes menées par les paysans du monde contre la modernisation productiviste, il en est une particulièrement propice au rapprochement des diverses organisations paysannes, la lutte pour la liberté de choix et d’usage des semences. Le contrôle des variétés cultivées est l’un des leviers majeurs de la modernisation de l’agriculture, telle qu’elle est pensée depuis les années 1950. La centralisation des ressources variétales fut, en effet, un élément indispensable du dispositif mis en place par les autorités, politiques et scientifiques, en vue d’homogénéiser les pratiques culturales141. Contrôler les semences, c’est aussi nécessairement exercer un contrôle sur les itinéraires techniques suivis par les agriculteurs, puisqu’une variété culturale définit, au moins en partie, les conditions dans lesquelles elle doit être cultivée. En réalité, la stratégie qui présida à la modernisation des agricultures des pays du Nord ainsi qu’à la révolution verte fut de rendre ce contrôle total en développant des semences indissociables d’un itinéraire technique particulier. De ce point de vue, la maîtrise des semences assurait celle de la quasi-totalité des pratiques culturales mises en œuvre par les agriculteurs. Ce fut, ainsi, l’un des instruments importants de la mise sous tutelle des agriculteurs, et donc logiquement l’une des cibles principales des luttes paysannes revendiquant l’autonomie. Dans cette « guerre des semences142 », l’une des questions centrales est de savoir si les firmes semencières peuvent, en revendiquant la propriété intellectuelle de leurs semences améliorées, interdire le libre réensemencement des terres à partir de graines issues d’une première culture143. Cette tentative de mainmise sur les agricultures locales a notamment été dénoncée par la féministe et environnementaliste indienne Vandana Shiva, laquelle y voit une forme de confiscation de « communaux intellectuels144 ».
107La revendication de la liberté de choix des semences qu’ils cultivent est, en effet, affirmée par l’ensemble des organisations paysannes dans leur diversité. En France, la création du Réseau semences paysannes en 2003 est représentative de cette contestation145. Les paysans membres du réseau critiquent ainsi la réglementation générale sur les semences, qui n’autorise la vente et l’échange que des semences inscrites au catalogue officiel, autrement dit, en raison des exigences de ce dernier, que des semences produites par des semenciers professionnels. Opposant à ce « verrou réglementaire146 », la longue histoire des pratiques de sélection et d’échange de variétés menées par les paysans, ils revendiquent le droit de développer et de faire circuler librement des semences paysannes.
108Au niveau international, cette préoccupation est, par exemple, affirmée dans la Déclaration des droits des paysannes et des paysans, rédigée par la Via Campesina en 2009. À l’article V de cette déclaration, intitulé « Droit aux semences et à la connaissance agricole traditionnelle », elle est, en effet, formulée à plusieurs reprises :
1. Les paysans et les paysannes ont le droit de déterminer les variétés de semences qu’ils veulent planter.
2. Les paysans et les paysannes ont le droit de rejeter les variétés de plantes qu’ils considèrent comme dangereuses économiquement, écologiquement et culturellement. […]
8. Les paysans et les paysannes ont le droit de cultiver et de développer les variétés paysannes, de les échanger, les donner et les vendre147. La lutte en faveur des semences paysannes constitue ainsi un axe susceptible d’orienter le développement d’une mobilisation paysanne à l’échelle internationale. Elle pourrait d’autant plus le constituer que les paysans cherchent à faire valoir l’intérêt de l’accroissement des semences paysannes pour la protection de la biodiversité148.Associant ainsi le mouvement paysan à une cause environnementale globale, la question des semences paysannes donne corps à l’idée que le développement d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement passe par la restitution du pouvoir d’agir des paysans149.
109C’est dans cette même logique que la Confédération paysanne rejoint la Via Campesina pour dénoncer l’éviction des paysans à laquelle conduisent les acquisitions importantes de terres agricoles par des investisseurs privés dans les pays du Sud – elles concernent majoritairement les États de l’Afrique subsaharienne150. Révélé en 2008 par l’organisation Grain151, cet accaparement des terres sur fond de crise financière et alimentaire152 passe par des investissements transnationaux, à l’initiative majoritaire de fonds d’investissement153 et d’acteurs industriels154. S’il est difficile d’évaluer l’ampleur exacte du phénomène, la FAO rapporte que de 50 à 80 millions d’hectares de terres auraient fait l’objet, ces dernières années, de négociations de la part d’investisseurs internationaux155. Comme l’écrit Olivier de Schutter, cet accaparement s’oppose très exactement au principe d’une réforme agraire qui donnerait des terres aux paysans qui les cultivent, et ne contribue en rien au développement des régions rurales défavorisées156.
110De façon plus générale, le mouvement paysan s’oppose ainsi à une mondialisation de l’agriculture qui associe un modèle agricole, celui de l’agriculture productiviste, et un modèle économique, celui de la libéralisation des marchés mondiaux. D’une certaine manière, ces deux modèles se légitiment mutuellement : c’est parce que les agriculteurs sont appelés à se positionner aujourd’hui sur un marché mondial qu’ils doivent privilégier les grandes monocultures intensives et, inversement, c’est parce que les différentes agricultures nationales se sont spécialisées et produisent massivement pour l’export que la libéralisation du marché mondial apparaît comme essentielle pour le développement de ces agricultures. En amont, ce modèle agroéconomique s’appuie toutefois sur une justification externe, c’est-à-dire autre que la cohérence interne aux systèmes couplés, économique et agricole : il faut nourrir la planète, nourrir les neuf milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre en 2050157. De ce raisonnement global découle un objectif unique : il faut augmenter la production agricole mondiale. C’est très précisément parce qu’elle est censée être la meilleure du point de vue de cet objectif que la voie de la modernisation productiviste des agricultures mondiales et de la libéralisation des marchés agricoles est défendue. Et, c’est de ce point de vue que la déclaration qui fixait les objectifs du cycle de Doha qui s’est ouvert en 2001 a pu décrire les objectifs prioritaires en termes de développement des pays les moins avancés comme étant en continuité avec l’accord agricole de l’Uruguay Round de 1994, qui visait à éliminer les effets de distorsions dans les échanges de produits alimentaires, afin d’établir, au niveau mondial, un marché agricole concurrentiel et sans entraves. La libéralisation du marché agricole mondial est promue condition nécessaire, voire nécessaire et suffisante, de l’éradication de la faim dans le monde, et plus généralement du développement des pays les moins avancés158.
111Cependant, ce modèle macroéconomique qui se préoccupe beaucoup de volumes de production et très peu des problèmes de distribution s’appuie sur des postulats qui, après examen, s’avèrent plus que fragiles. En particulier, il part du principe que la libéralisation des échanges commerciaux est un facteur de croissance et de réduction de la pauvreté au sein des États qui s’engagent dans ce processus, et ce, quels que soient les produits échangés. Or, ce principe général, ou tout du moins son application à une situation réelle, bien loin de présenter les conditions requises pour l’établissement d’un marché libre tel que le suppose l’idéal des économistes, est largement contesté159. Dans le cas plus précis des échanges de produits agricoles, en s’appuyant sur une synthèse des études microéconomiques s’intéressant aux conséquences de la libéralisation sur les prix et les salaires au sein des pays les plus pauvres160, l’économiste Tancrède Voituriez conclut que :
Le lien substantiel entre commerce agricole et développement, que l’on définisse le développement comme la croissance des pays du même nom ou la réduction de la pauvreté parmi ceux-ci, n’est fondé ni théoriquement ni empiriquement161.
112Du point de vue de la population rurale des pays du Sud, il faudrait, pour défendre l’existence d’un tel lien, montrer comment la hausse des exportations par les agriculteurs les plus riches, convertis au modèle productiviste, profite, également, nécessairement aux paysans les plus pauvres, qui n’ont pas accès aux marchés mondiaux et sont concurrencés sur le marché local par les produits des grands pays exportateurs.
113Il existe ainsi de solides arguments allant dans le sens d’une remise en cause de la « croyance162 » dans les vertus de la libéralisation des marchés agricoles. Dans la conclusion de leur ouvrage s’intitulant précisément Libéraliser l’agriculture mondiale ?, les économistes et agronomes Jean-Marc Boussard, Françoise Gérard et Marie-Gabrielle Piketty nient radicalement les bienfaits éventuels d’une telle libéralisation, remettant même en cause sa capacité à induire une hausse de la production agricole :
Aussi pouvons-nous affirmer que la libéralisation agricole ne produira pas nécessairement une augmentation importante de la production, n’induira pas le développement dans les pays pauvres, n’améliorera pas de façon significative la répartition des revenus dans le monde et ne conduira pas à une baisse des prix des produits alimentaires pour le bénéfice des consommateurs. Elle aura plutôt les effets inverses163.
114La critique de la libéralisation des marchés agricoles est aussi celle de l’orientation des agricultures nationales vers les exportations, en particulier de la façon dont cette orientation a transformé bon nombre de pays en voie de développement en importateurs nets de produits agricoles, ces derniers important massivement leurs denrées alimentaires164. C’est en ce sens que le mouvement paysan fait de la question de la souveraineté alimentaire, à la fois, l’« élément central de la lutte pour la justice sociale », mais aussi la condition nécessaire au développement d’une agriculture soutenable165.
115Après un demi-siècle d’une modernisation qui s’est efforcée d’imposer, dans le monde entier, une figure nouvelle de l’agriculteur-entrepreneur, nous assisterions ainsi au « retour » des paysans166. S’emparant du thème de la soutenabilité de l’agriculture, des paysans saisissent, en effet, l’occasion de réaffirmer la valeur de leurs savoirs dans un contexte où la nécessité de la réforme du modèle productiviste de l’agriculture chimiquement intensive s’impose. En accord avec le diagnostic qu’a permis la rencontre entre l’agriculture et le développement soutenable, ils refusent, toutefois, de se voir imposer un nouveau modèle agricole, quand bien même serait-il plus respectueux de l’environnement et de la société, et affirment que le premier pas vers une agriculture soutenable est la restitution de leur autonomie. C’est dans ce sens que la Via Campesina plaide en faveur d’une agriculture paysanne durable167. D’une certaine manière, préciser que l’agriculture soutenable ne peut être que paysanne, c’est insister sur le fait que le développement agricole ne peut, sans contradiction, revendiquer l’inscription dans la soutenabilité, s’il continue à exclure des millions de ruraux. Sans les paysans, pas de volet social ; et la promesse d’atteindre conjointement des objectifs économiques, environnementaux et sociaux, ne pourra être tenue. À l’inverse, le mouvement paysan défend l’idée que la définition d’un cadre politique et économique permettant à des paysans nombreux de développer, de manière autonome, de nouveaux systèmes de culture permettrait de concrétiser la rencontre entre l’agriculture et l’environnement d’une manière telle qu’elle réduise, à la fois, les graves inégalités sociales qui marquent les mondes ruraux et l’impact environnemental168 des systèmes agricoles, tout en nourrissant le monde – pour nourrir le monde, il faut commencer par nourrir ses paysans169.
116L’heure du développement soutenable serait-elle ainsi celle du retour des paysans170 ? Deux réponses sont possibles qui reposent, schématiquement sur deux conceptions de l’agriculture soutenable : la première qui maintient le développement agricole dans un cadre technocratique ne favorisera pas l’émergence de ces nouvelles figures de paysans, la seconde qui fait de cette émergence le premier pas vers la soutenabilité ne peut que l’encourager.
Conclusion
117Après avoir examiné les dimensions environnementales et sociales des propositions agricoles visant à organiser la sortie de l’agriculture du modèle productiviste qui domine depuis les années 1950, nous voudrions nous interroger sur le diagnostic que nous pouvons porter sur cette évolution au prisme de la question de la nature.
118La transformation profonde de l’agriculture qui prit son essor au début des années 1950, et que l’on qualifie souvent de « deuxième révolution agricole171 », résulte en grande partie de la généralisation de l’usage de nouvelles techniques : la motorisation et la mécanisation, l’utilisation massive d’engrais et de pesticides chimiques et le développement de semences hybrides. L’augmentation de la productivité qui s’ensuivit fut spectaculaire. Spectaculaire également, la constance avec laquelle ces hauts rendements étaient obtenus. Quels que soient les aléas météorologiques ou les attaques de « ravageurs », la puissance technique dont disposent les agriculteurs semble désormais leur permettre de répéter de manière ininterrompue la mise en œuvre de pratiques culturales hautement productives. C’est que, grâce à ces développements de la science agronomique, la production agricole ne paraît plus dépendre du fonctionnement de processus naturels. De ce point de vue, le modèle agricole de l’après-guerre marquerait le triomphe de l’artifice dans les champs cultivés172. L’agriculture aurait gagné son autonomie par rapport à la nature. C’est en ce sens que Dominique Bourg affirme :
La résorption des paysans par la société globale équivaut à la disparition de l’assise naturelle propre à soutenir l’édifice social. […] Tout se passe comme si la société s’arrachait définitivement à l’ordre naturel pour entrer dans une ère résolue de l’artifice173.
119L’agriculture serait, en somme, devenue pleinement moderne. Comme l’écrit John Baird Callicott : « L’agriculture moderne est une agriculture moderne parce qu’elle est précisément fondée sur et informée par la science moderne174. » Ayant fait sien le cadre réductionniste du paradigme moderne, l’agronomie s’est appliquée à décomposer les processus naturels en une succession de mécanismes physico-chimiques afin de s’en assurer la maîtrise. C’est bien là l’un des postulats du réductionnisme épistémologique : l’explication d’un phénomène à un certain niveau d’organisation passe par la connaissance de mécanismes plus élémentaires qui le composent. La thématique du triomphe de l’artificialisation mobilise également un réductionnisme constructiviste qui affirme que le contrôle de ces mécanismes élémentaires permet de reproduire l’ensemble des niveaux d’organisation supérieurs. En conséquence, la connaissance du niveau élémentaire de la réalité assure, en somme, la maîtrise du vivant175. L’agriculture peut alors devenir pleinement artificielle, et les agriculteurs, ces figures de la modernité, seraient désormais capables de fabriquer, comme des artefacts, les produits agricoles. Le modèle agricole de la seconde moitié du xxe siècle marquerait, de ce point de vue, l’accomplissement du projet moderne de domination de la nature, rendant les agriculteurs comme « maîtres et possesseurs de la nature », quelque trois siècles après que Francis Bacon176 et René Descartes177 y invitèrent.
120La critique écologiste d’une telle forme d’agriculture, et plus globalement d’un tel mode de production agro-industriel, apparaît précisément comme une dénonciation de ce rapport de domination à la nature qu’instaure la modernisation agricole. Cet achèvement de la modernité qu’opère l’artificialisation complète de l’agriculture est la mise à mort de la nature. C’est l’une des thèses que développe, notamment, Carolyn Merchant, écrivant, par exemple : « Le nouvel ordre mécanique et ses valeurs associées de puissance et de contrôle requerraient la mort de la nature178. » En ce sens, la mise en lumière de l’existence d’une crise environnementale provoquée par le développement industriel des activités humaines souligne les méfaits de l’instrumentalisation technique de la nature que justifie la science moderne179. Comme l’écrit Catherine Larrère :
C’est justement cette emprise technique sur la nature qui a été la cible de tous ceux qui, constatant la crise environnementale, se sont interrogés sur les effets nocifs de nos actions techniques. Les critiques ont engagé le procès de la volonté de domination de la nature qui fonde ces actions techniques180.
121De ce point de vue, la critique écologiste prend la forme d’une dénonciation, d’inspiration romantique181, de la rupture entre les hommes et la nature qu’instaurerait la modernité cartésienne et baconienne.
122La maîtrise, la domination, de la nature ne consisteraient, en somme, qu’à organiser le pillage des ressources et la dégradation des milieux naturels, consécutive également à l’introduction de nos artefacts dans ces milieux. La pensée écologiste insiste, en conséquence, sur la nécessité d’adopter une plus grande prudence dans notre développement technique, elle en appelle à une « maîtrise de la maîtrise182 ».
123Mais le constat de la crise environnementale invite également à une seconde lecture. Si l’agriculture productiviste tend à épuiser les ressources naturelles, c’est que la reproduction des pratiques agricoles continue à faire appel à la contribution de la nature. De même, si l’impact de nos actions et de nos objets techniques menace de détériorer les milieux naturels d’une façon telle que la poursuite de notre développement économique en soit compromise, c’est, d’une part, que nous agissons bien, encore, sur la nature et non uniquement sur des milieux entièrement artificiels, et, d’autre part, que nos activités dépendent du maintien de certains processus naturels. Mais, de ce point de vue, qu’en est-il de l’autonomie des activités humaines de production ? Qu’en est-il de l’arrachement de la société à l’ordre naturel ? Si l’agriculture dépend encore de la nature, c’est qu’elle n’est pas entièrement artificialisée.
124Dans cette seconde lecture, la crise environnementale n’apparaît pas tant comme la conséquence de la réalisation effective du projet conceptuel de la modernité, que comme le signe de son échec, de notre incapacité à maîtriser entièrement la nature et, par conséquent, à nous en extraire. Dans nos activités, nous continuons à interagir avec des processus naturels, nos artefacts s’introduisent dans des milieux naturels qui les transforment, ces objets artificiels modifiés par la nature, ces « hybrides », pouvant, par ailleurs, nous revenir et interagir à nouveau avec nos actions183. Autrement dit, les activités humaines, et, en particulier celles de production, s’inscrivent toujours dans un environnement naturel avec lequel elles sont en interaction. Dès lors, à la suite de Bruno Latour, nous pouvons affirmer que l’agriculture n’a jamais été moderne184. La crise environnementale marque, de ce point de vue, l’inachèvement pratique de la modernité théorique.
125En conséquence, la critique écologiste n’en appelle pas tant au développement de la maîtrise de la maîtrise qu’à la prise de conscience des limites de notre puissance technique185. Ce que fait apparaître au grand jour la crise environnementale, c’est bien le fait que nous ne savons pas assurer la reproduction de nos activités productives, sans la nature. La production agro-industrielle ne s’est pas affranchie de la dépendance à l’égard des processus naturels ; elle a juste rendu invisible, consciemment ou non, la contribution de la nature dans nos activités productives et reproductives. La minéralisation de la matière organique par les organismes vivants dans le sol, la fixation du carbone par les organismes autotrophes, l’épuration naturelle des eaux, la pollinisation par les insectes, etc. sont autant de processus naturels absents des cycles de production industrielle, ou, tout du moins, qui n’y apparaissait pas jusqu’à ce que leur disparition ne perturbe les activités productives, rappelant ainsi que la production ne va pas sans la reproduction et que celle-ci dépend pour partie de conditions naturelles.
126Cette thématique de l’aveuglement du modèle agricole productiviste quant aux conditions réelles de sa reproduction a été saisie par un ensemble d’auteurs qui développent une analyse de la crise écologique dans une perspective marxiste au sein du courant écosocialiste. Il s’agit de montrer comment l’agriculture moderne, au même titre, plus globalement, que le capitalisme, serait engagée dans la voie d’un développement doublement contradictoire. En ce sens, James O’Connor décrit ce qui serait la « seconde contradiction du capitalisme186 ». Quand la première, associée à la baisse tendancielle du taux de profit, opposait le capital au travail, la seconde tient à la manière dont le développement du capitalisme s’accompagne de la dégradation croissante des conditions de possibilité de sa reproduction, et notamment de la destruction des milieux naturels indispensables à un tel développement : elle est donc celle du capital contre la nature187. Dans la même veine, mais en soutenant, contrairement à James O’Connor, l’idée que Karl Marx lui-même défendait très explicitement cette thèse, John Bellamy Foster s’efforce de mettre en lumière l’écologie à l’œuvre dans le travail de l’auteur du Capital et s’oppose ainsi aux lectures classiques qui voit dans l’association entre émancipation et société d’abondance, décrite dans ce dernier ouvrage, la marque d’un anti-écologisme188. En France, André Gorz189, s’il ne croit pas au caractère destructeur d’une telle contradiction pour le capitalisme – et d’une certaine manière, c’est bien, pour lui, le problème –, souligne également la façon dont l’apparition d’exigences écologiques transforme la manière de penser la reproduction du système capitaliste. Avant la crise environnementale, ce qui était tenu pour nécessaire était de reproduire les moyens de production (machines et bâtiments), d’une part, et la force de travail, d’autre part ; la crise ajoute désormais le fait que le maintien des activités économiques exige la reproduction de leur environnement, ce qui requiert, entre autres, de mettre en place des pratiques visant à dépolluer l’air, à décontaminer les eaux, ou encore à conserver la fertilité des sols – question que Marx a prise au sérieux, comme le rappelle John Bellamy Foster190 citant le passage célèbre sur l’agriculture capitaliste ruinant les sources durables de la fertilité191. La reproduction du système capitaliste, et en particulier du modèle agricole qui lui est associé, serait ainsi nettement plus délicate à assurer qu’il n’y paraissait.
127Mais, de ce point de vue, la critique de l’agriculture intensive ne se déplace-t-elle pas ? Prenant conscience de la crise environnementale, le courant écologiste incrimine la pensée moderne. C’est le dualisme de la modernité, la rupture avec la nature, philosophiquement établie, qui est jugée responsable de la crise. John Baird Callicott, par exemple, fait bien le procès d’une agriculture qui est, pour lui, scientifiquement et idéologiquement moderne192. La critique qui vise, quant à elle, l’aveuglement de l’agriculture conventionnelle quant aux conditions naturelles de sa reproduction nous semble mobiliser une argumentation distincte. Il est bien, de ce point de vue aussi, question d’une rupture avec la nature, mais celle-ci n’est pas tant d’ordre théorique que pratique, elle est bien plus la conséquence de la forme prise par le développement économique à partir de la fin du xviiie siècle que le fruit d’une modernité philosophique qui, en définitive, ne se serait pas vraiment traduite dans nos pratiques, tout du moins concernant la question de la séparation des hommes et de la nature. En ce sens, Pierre Charbonnier écrit à partir de l’ouvrage de John Bellamy Foster :
Les repères conceptuels fournis par la tradition matérialiste ignorent en bonne partie les controverses liées à l’anthropocentrisme occidental et à sa critique : la séparation dont il est question ne met pas à l’écart l’homme et la nature, définis comme des réalités en soi, mais des modes d’existence – de production et de reproduction du social – historiquement situés, et des milieux définis, voués à soutenir ces processus193.
128À la suite de Karl Polanyi194, James O’Connor inscrit la rupture avec la nature dans un mouvement plus large qui voit le système économique se « désencastrer » de la société. Autrement dit, dans la perspective de l’écosocialisme, il ne s’agit pas tant de dénoncer la domination de la nature par les hommes, que l’exploitation conjointe des hommes et de la nature par le capital. De ce point de vue, la lutte contre le fait de dominer la nature rejoint nécessairement le combat contre l’exploitation des hommes, car les deux dominations sont liées. Et marxisme et écologisme ne peuvent, en définitive, que converger195.
129Les écosocialistes, qui pensent la possibilité de cette convergence entre les critiques marxistes et écologistes du mode de production agro-industrielle actuel, affirment, toutefois, que celle-ci exige une certaine réorientation de la pensée écologiste. En particulier, ils invitent cette dernière à dépasser la critique de la modernité et de l’anthropocentrisme qui lui serait attaché. C’est en ce sens que Michael Löwy écrit que la rencontre entre les deux courants « implique que l’écologie renonce aux tentations du naturalisme anti-humaniste196 ». L’expression utilisée pour décrire la pensée écologiste nous semble indiquer que la convergence supposée s’annonce moins évidente que prévu. Michael Löwy mobilise, en effet, des arguments classiquement développés par les adversaires de la pensée écologiste. Il écrit, par ailleurs, un peu plus tôt dans le même texte :
Enfin, dans les courants dits « fondamentalistes » (ou deep ecology) on voit s’esquisser, sous prétexte de combat contre l’anthropocentrisme, un refus de l’humanisme qui conduit à des positions relativistes mettant toutes les espèces vivantes sur le même niveau. Faut-il vraiment considérer que le bacille de Koch ou le moustique anofelis ont le même droit à la vie qu’un enfant malade de tuberculose ou de malaria197 ?
130Cette reprise de la dénonciation de l’anti-humanisme de la pensée environnementale ne fait pas justice aux travaux des philosophes écologistes qui ont répondu à cette accusation depuis une trentaine d’années. Il semble montrer, de ce point de vue, que si le marxisme peut se faire écologique, un important travail de médiation entre celui-ci et une pensée écologique fondée sur le dépassement de l’anthropocentrisme reste à faire.
131S’ils s’accordent ainsi sur le constat de l’existence d’une crise environnementale dont les hommes sont à l’origine, écologistes et écosocialistes ne partagent pas le même avis sur la question des causes réelles de cette crise. Schématiquement, les premiers font de la modernité scientifique et idéologique la source principale de la dégradation de la nature tandis que les seconds affirment que c’est le développement du capitalisme industriel qui en est à l’origine. Cette opposition se donne à lire de façon emblématique dans le traitement accordé par John Bellamy Foster aux travaux de Bacon. Le penseur américain considère, en effet, que ce dernier, figure de la modernité particulièrement décriée par les écologistes, ouvre la voie d’une meilleure compréhension des lois de la nature et, par là, d’une correction possible des effets dévastateurs du mode de production capitaliste198.
132Deux discours écologiques, l’un moderne, l’autre radicalement anti-moderne, s’affronteraient ainsi. Pour le second, sortir de la crise environnementale exige, en quelque sorte, de revenir en amont de la pensée moderne, en amont du dualisme qui aurait autorisé les hommes à piller la nature. Le premier refuse de voir dans la modernité théorique le responsable de la crise. Il affirme que ce n’est pas tant la volonté de maîtriser la nature, ni l’élaboration philosophique du dualisme, qui ont séparé les hommes de la nature, mais que cette séparation est une conséquence du rapport instauré entre le travail salarié et le capital. Autrement dit, il ne s’agirait pas tant pour sortir de la crise environnementale de penser à nouveaux frais notre rapport à la nature que de s’attaquer aux conséquences sociales du développement du capitalisme.
133Si l’on revient maintenant vers les mondes agricoles, ces deux analyses de la crise environnementale conduisent logiquement à des critiques sensiblement différentes de l’agriculture intensive actuelle. Dans un cas, cette dernière serait principalement la conséquence d’une mauvaise conception des rapports entre l’homme et la nature, qu’aurait adoptée les acteurs du monde agricole et, en particulier, les agriculteurs. L’agriculture intensive poserait problème parce qu’elle serait moderne. Dans l’autre, les conséquences écologiques du développement agricole au xxe siècle seraient indissociables de l’exploitation des paysans instaurée par le capitalisme industriel. Et la critique de l’agriculture intensive est celle d’un débordement de la modernité par le développement du capitalisme. Ces analyses tracent deux voies pour dépasser la rupture : la première veut en finir avec la modernité pour réconcilier les hommes et la nature, la seconde affirme qu’il faut réintégrer dans les cycles de production les conditions sociales et écologiques de la reproduction des activités productives. De ce point de vue, seule la pensée écologique engage une réflexion conceptuelle sur la question des rapports entre les hommes et la nature remettant en cause l’anthropocentrisme de la modernité. Dans la perspective de l’écosocialisme, une telle réflexion théorique est jugée impuissante, en pratique, pour contrer le développement d’un productivisme oublieux des conditions matérielles de sa reproduction. Ne peut-on toutefois, dans l’optique d’associer à nouveau l’agriculture et la nature, envisager une troisième voie qui dépasse l’alternative entre la voie idéaliste de la critique de la modernité et la marginalisation de la réflexion philosophique sur les rapports entre les hommes et la nature ?
134C’est à une telle tâche que nous voudrions nous atteler dans la suite de ce livre. Nous chercherons à développer une pensée de la nature qui mène la critique de l’anthropocentrisme fort à partir d’un matériau empirique et théorique. C’est, en effet, en suivant l’hypothèse que des types dominants de rapport à la nature peuvent être saisis dans l’analyse de la configuration spatiale de nos activités et dans l’examen de nos manières très concrètes d’intervenir dans les espaces naturels que nous mènerons cette enquête. De façon plus précise, nous allons faire d’un type d’espace particulier, les friches, notre objet de recherche dans la deuxième partie de ce volume afin de montrer comment l’évolution historique du regard porté sur ces espaces témoigne de la transformation de notre rapport à ce que nous allons définir comme la nature ordinaire.
Notes de bas de page
1 Jean Merckaert, « Polyphonie pastorale », Projet, 332, janvier 2013, p. 2-3.
2 Traduction impropre en français de l’adjectif « alternative », utilisé notamment dans l’expression « alternative agriculture », voir Frank Pervanchon, André Blouet, « Lexique des qualificatifs de l’agriculture », art. cité.
3 De ce point de vue, l’interrogation sur l’agriculture durable rejoint une nouvelle fois celle sur le développement durable. Un certain nombre d’auteurs se sont, en effet, demandé s’il était possible, ou souhaitable, de vouloir traiter ensemble ces trois dimensions, plutôt que de s’en tenir à une réflexion sur la façon dont le développement économique pouvait intégrer des préoccupations environnementales, ainsi que se proposait de le faire le courant de l’« éco-développement », soutenu en France par Ignacy Sachs. Sur ce point, voir à nouveau Olivier Godard, « Le développement-durable, une chimère, une mystification ? », art. cité. Voir également Catherine Larrère, « Développement durable : quelques points litigieux », Les Ateliers de l’éthique, 1/2, automne 2006, p. 9-18.
4 « Règlement (CEE) no 2092/91 du Conseil, du 24 juin 1991, concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires », http://www.eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:31991R2092, consulté le 29 décembre 2016.
5 Ibid., article 6, nous avons légèrement modifié la mise en forme du texte.
6 Frédéric Goulet, « Les objets de la nature, les pratiques agricoles et leur mise en œuvre. Le cas de l’agriculture de conservation », dans Pascal Béguin, Benoît Dedieu, Éric Sabourin (dir.), Le travail en agriculture. Son organisation et ses valeurs face à l’innovation, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 53-69.
7 Dominique Desclaux, Yuna Chiffoleau, Jean-Marie Nolot, « Pluralité des agricultures biologiques : enjeux pour la construction des marchés, le choix des variétés et les schémas d’amélioration des plantes », Innovations agronomiques, 4, 2009, p. 299.
8 Voir, par exemple, Claire Lamine, Stéphane Bellon, Transitions vers l’agriculture biologique, Versailles/Dijon, Éditions Quæ/Educagri, 2009.
9 Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, L’agriculture raisonnée, Paris, http://www.agriculture.gouv.fr/ministere/lagriculture-raisonnee, consulté le 29 décembre 2016 ; ou Réseau FARRE, http://www.farre.org/. Cette définition rejoint celle que propose Guy Paillotin : « L’agriculture raisonnée a l’ambition de maîtriser, de la meilleure façon possible, au niveau de l’exploitation prise dans son ensemble, les effets, positifs et négatifs, de l’activité agricole sur l’environnement, tout en assurant la qualité des produits alimentaires et le maintien, voire même l’amélioration, de la rentabilité économique des exploitations », Guy Paillotin, « L’agriculture raisonnée », Rapport au ministre de l’Agriculture et de la Pêche, Paris, 2000.
10 Décret no 2002-631 du 25 avril 2002 relatif à la qualification des exploitations agricoles au titre de l’agriculture raisonnée, avril 2002.
11 Samuel Féret, Jean-Marc Douguet, « Agriculture durable et agriculture raisonnée », Natures sciences sociétés, 9/1, 2001, p. 3. Sur le type Ferti-Mieux, voir Danielle Lanquetuit, Michel Sebillotte, Protection de l’eau. Le guide Ferti-mieux pour les modifications de pratiques des agriculteurs, Paris, Association nationale pour le développement agricole, 1997.
12 Frank Pervanchon, André Blouet, « Lexique des qualificatifs de l’agriculture », art. cité ; Claude Besnault, « L’agriculture raisonnée, une initiative interprofessionnelle », Comptes rendus de l’académie d’agriculture de France, 84/2, 1998, p. 87-90.
13 Michael Wilson, Optimising Pesticide Use, Hoboken, John Wiley & Sons, 2003.
14 Martine Guérif, Dominique King, Agriculture de précision, Versailles, Éditions Quæ, 2007.
15 Guy Paillotin, « L’agriculture raisonnée », art. cité.
16 Samuel Féret, Jean-Marc Douguet, « Agriculture durable et agriculture raisonnée », art. cité ; Frank Pervanchon, André Blouet, « De la durabilité de l’agriculture raisonnée », Nature sciences sociétés, 10/3, juillet 2002, p. 36-39.
17 Raymond Penhouet, « L’agriculture raisonnée a un nouveau (faux) nez », Campagnes solidaires, 259/11, 2011.
18 Marie Roué, « Dans les coulisses de l’agriculture raisonnée », Nature sciences sociétés, 7/3, 1999, p. 53-54.
19 Samuel Féret, Jean-Marc Douguet, « Agriculture durable et agriculture raisonnée », art. cité, p. 61.
20 Clarisse Cazals, Marie-Claude Bélis-Bergouignan, « Mondes de production et protection de l’environnement dans deux filières agricoles », Économie rurale, 5, 2009, p. 38-54.
21 Clarisse Cazals, Marie-Claude Bélis-Bergouignan, « Mondes de production », art. cité, p. 45.
22 Frank Pervanchon, André Blouet, « Deux qualificatifs à concilier en agriculture : raisonné et intégré », Cahiers agricultures, 11/2, 2002, p. 151-157.
23 Samuel Féret, Jean-Marc Douguet, « Agriculture durable et agriculture raisonnée », art. cité.
24 À laquelle il faut désormais ajouter la certification « haute valeur environnementale », issue du Grenelle 2 de l’environnement.
25 Précisons une nouvelle fois que nous parlons ici de l’agriculture biologique sous sa forme institutionnalisée en France.
26 Bertil Sylvander, « Le rôle de la certification dans les changements de régime de coordination : l’agriculture biologique, du réseau à l’industrie », Revue d’économie industrielle, 80/1, 1997, p. 47-66.
27 Bertil Sylvander, Stéphane Bellon, Marc Benoit, « Facing the Organic Reality : The Diversity of Development Models and their Consequences on Research Policies », communication au colloque « Farming and European Rural Development », Odense, mai 2006.
28 Dominique Desclaux, Yuna Chiffoleau, Jean-Marie Nolot, « Pluralité des agricultures biologiques », art. cité, p. 299.
29 Voir, plus haut, Raphaël Larrère, « Agriculture : artificialisation ou manipulation de la nature ? », art. cité.
30 Bernard Chevassus-au-Louis, Biodiversité, un nouveau regard, op. cit.
31 Michel Sebillotte, « Agronomie et agriculture. Essai d’analyse des tâches de l’agronome », art. cité.
32 François Papy, « Le système de culture : un concept riche de sens pour penser le futur », Agricultures, 17/3, 2008, p. 267.
33 Thierry Doré, Jean-Marc Meynard, « Itinéraire technique, système de culture : de la compréhension du fonctionnement du champ cultivé à l’évolution des pratiques agricoles. Introduction », dans Thierry Doré et al. (dir.), L’agronomie aujourd’hui, op. cit., p. 37-38.
34 Bernard Chevassus-au-Louis, Biodiversité, un nouveau regard, op. cit.
35 François Papy, « Le système de culture », art. cité, p. 266.
36 Bernard Chevassus-au-Louis, Biodiversité, un nouveau regard, op. cit.
37 John Baird Callicott, « The Metaphysical Transition in Farming : From the Newtonian-Mechanical to the Eltonian Ecological », Journal of Agricultural Ethics, 3/1, mars 1990, p. 36-49.
38 Susan L. Flader, John Baird Callicott (dir.), The River of the Mother of God and Other Essays by Aldo Leopold, Madison, University of Wisconsin Press, 1991 voir, en particulier, les essais « Engineering and Conservation », « Means and Ends in Wildlife Management » et « The Farmer as a Conservationist ».
39 John Baird Callicott, « The Metaphysical Transition in Farming », art. cité, p. 42.
40 Ibid., p. 46-47.
41 Miguel A. Altieri, Agroecology : The Science of Sustainable Agriculture, Boulder, Westview Press, 1995 ; Peter M. Rosset, Miguel A. Altieri, « Agroecology Versus Input Substitution : A Fundamental Contradiction of Sustainable Agriculture », Society & Natural Resources, 10/3, mai 1997, p. 283-295.
42 Les titres suivants expriment cette ambiguïté : Miguel A.Altieri, Agroecology, op. cit. ; Vern G. Thomas, Peter G. Kevan, « Basic Principles of Agroecology and Sustainable Agriculture », Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 6/1, mars 1993, p. 1-19.
43 « There is often a link between a political vision (the movement), a technological application (the practices) to achieve the goals, and a way to produce the knowledge (the science) », dans Alexander Wezel et al., « Agroecology as a Science, a Movement and a Practice. A Review », Agronomy for Sustainable Development, 29/4, 2009, p. 9.
44 Voir la préface de Michel Sebillotte, « Penser et agir en agronome », dans Thierry Doré et al. (dir.), L’agronomie aujourd’hui, op. cit.
45 Patrick Blandin, Donato Bergandi, « Entre la tentation du réductionnisme et le risque d’évanescence dans l’interdisciplinarité : l’écologie à la recherche d’un nouveau paradigme », dans Catherine Larrère, Raphaël Larrère (dir.), Actes du colloque « La crise environnementale », op. cit., p. 113-130.
46 « Le temps est-il venu d’enterrer le concept d’écosystème ? », dans Robert V. O’Neill, « Is it Time to Bury the Ecosystem Concept ? (with Full Military Honors, of Course !) », Ecology, 82/12, 2001, p. 3275-3284. L’auteur propose, finalement, plutôt que d’« enterrer » le concept avec les honneurs militaires, de procéder à une refonte théorique profonde.
47 Eugene P. Odum, Fundamentals of Ecology, Philadephie, Saunders, 1953.
48 Patrick Blandin, Donato Bergandi, « À l’aube d’une nouvelle écologie ? Il faut admettre qu’il n’y a plus la nature d’un côté, l’homme de l’autre », La Recherche, 332, 2000, p. 56-59 ; Patrick Blandin, « L’écosystème existe-t-il ? Le tout et la partie en écologie », dans Thierry Martin (dir.), Le tout et les parties dans les systèmes naturels, Paris, Vuibert, 2007, p. 21-46 ; Donato Bergandi, « Fundamentals of Ecology de E. P. Odum : véritable “approche holiste” ou réductionnisme masqué », Bulletin d’écologie, 24/1, 1993, p. 57-68.
49 Patrick Blandin, Donato Bergandi, « Entre la tentation du réductionnisme et le risque d’évanescence dans l’interdisciplinarité », art. cité, p. 117.
50 Raphaël Larrère, « L’écologie ou le geste d’exclusion de l’homme », dans Alain Roger, François Guéry (dir.), Maîtres et protecteurs de la nature, Seyssel, Champ Vallon, 1991, p. 172-196 ; Patrick Blandin, Donato Bergandi, « Entre la tentation du réductionnisme et le risque d’évanescence dans l’interdisciplinarité », art. cité.
51 Jacques Tassin, « Un agrosystème est-il un écosystème ? », Cahiers agricultures, 21/1, 2012, p. 57-63.
52 Ibid., p. 59.
53 Ibid., p. 60.
54 Ibid., p. 61.
55 Ibid., p. 62.
56 Jacques Tassin, « Un agrosystème est-il un écosystème ? », art. cité, p. 62.
57 Ce qui n’est pas sans poser de nouveaux problèmes quant à la définition des limites de l’agrosystème, comme le notent Patrick Blandin et Donato Bergandi, « Entre la tentation du réductionnisme et le risque d’évanescence dans l’interdisciplinarité », art. cité.
58 Jacques Baudry, Utilisation des concepts de landscape ecology pour l’analyse de l’espace rural. Utilisation des sols et bocages, thèse, université Rennes 1, 1985 ; Françoise Burel, Jacques Baudry, Yannic Le Flem, Écologie du paysage. Concepts, méthodes et applications, Paris, Éditions Tec & doc, 1999. Sur ce point, voir Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit., p. 146-164.
59 Patrick Blandin, Maxime Lamotte, « Écologie des systèmes et aménagements : fondements théoriques et principes méthodologiques », dans Maxime Lamotte (dir.), Fondements rationnels de l’aménagement d’un territoire, Paris, Masson, 1985, p. 139-162 ; Patrick Blandin, Donato Bergandi, « Entre la tentation… » (cf. note 57).
60 Sur ce point voir Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit., p. 148.
61 Ibid., p. 163.
62 Jacques Tassin, « Quand l’agro-écologie se propose d’imiter la nature », Le Courrier de l’environnement de l’Inra, 61, 2011, p. 45-53.
63 Voir http://www.agroecology.org/Steve.html
64 Stephen R. Gliessman, Agroecology : The Ecology of Sustainable Food Systems, 2e éd., Boca Raton, CRC Press, 2006 ; cité par Jacques Tassin, « Quand l’agro-écologie se propose d’imiter la nature », art. cité, p. 46.
65 Sur la question du pilotage voir Raphaël Larrère, « Agriculture : artificialisation ou manipulation de la nature ? », art. cité.
66 Peter M. Rosset, Miguel A. Altieri, « Agroecology Versus Input Substitution », art. cité.
67 Yvan Besson, Les fondateurs de l’agriculture biologique, Paris, Le Sang de la Terre, 2011.
68 Id., « Une histoire d’exigences : philosophie et agrobiologie. L’actualité de la pensée des fondateurs de l’agriculture biologique pour son développement contemporain », Innovations agronomiques, 4, 2009, p. 330.
69 Rudolf Steiner, Agriculture. Fondements spirituels de la méthode bio-dynamique, Paris, Éditions Anthroposophiques romandes, 2002.
70 Voir Paul Ariès, Anthroposophie. Enquête sur un pouvoir occulte, Mortsel, Golias, 2001.
71 Masanobu Fukuoka, La révolution d’un seul brin de paille, Paris, Guy Trédaniel, 1983.
72 Hans Peter Rusch, La fécondité du sol. Pour une conception biologique de l’agriculture, Paris, Le Courrier du livre, 1986.
73 Albert Howard, Testament agricole. Pour une agriculture naturelle, Lille, Vie et action, 1971.
74 « In this study we must at the outset emancipate ourselves from the conventional approach to agricultural problems by means of the separate sciences and above all from the statistical consideration of the evidence afforded by the ordinary field experiment. Instead of breaking up the subject into fragments and studying agriculture in piecemeal fashion by the analytical methods of science, appropriate only to the discovery of new facts, we must adopt a synthetic approach and look at the wheel of life as one great subject and not as if it were a patchwork of unrelated things », dans Albert Howard, An Agricultural Testament, Londres, Oxford University Press, 1940, p. 22.
75 « It is made up from a group of very complex organic compounds depending on the nature of the residues from which it is formed, on the conditions under which decomposition takes place, and on the extent to which the processes of decay have proceeded. Humus, therefore, cannot be exactly the same thing everywhere. It is bound to be a creature of circumstance. Moreover it is alive and teems with a vast range of micro-organisms which derive most of their nutriment from this substratum. Humus in the natural state is dynamic, not static. From the point of view of agriculture, therefore, we are dealing not with simple dead matter like a sack of sulphate of ammonia […], but with a vast organic complex », dans Albert Howard, An Agricultural Testament, op. cit., p. 27.
76 Yvan Besson, « Un modèle forestier pour l’agriculture : comparaison de la référence à la forêt dans les théories de l’agriculture écologique de A. Howard et de M. Fukuoka », dans Benoît Dodelin et al. (dir.), Les rémanents en foresterie et agriculture. Les branches, matériau d’avenir, Cachan, Lavoisier, 2007, p. 235-239.
77 « Nature has provided in the forest an example which can be safely copied in transforming wastes into humus — the key to prosperity. This is the basis of the Indore Process. Mixed vegetable and animal wastes can be converted into humus by fungi and bacteria in ninety days, provided they are supplied with water, sufficient air, and a base for neutralizing excessive acidity. As the compost heap is alive, it needs just as much care and attention as the live stock on the farm ; otherwise humus of the best quality will not be obtained », dans Albert Howard, An Agricultural Testament, op. cit., conclusion, p. 223.
78 « The response of the crop and the animal to improved soil conditions must be carefully observed. These are our greatest and most profound experts. We must watch them at work ; we must pose to them simple questions ; we must build up a case on their replies in ways similar to those Charles Darwin used in his study of the earthworm. Other equally important agencies in research are the insects, fungi, and other micro-organisms which attack the plant and the animal. These are Nature’s censors for indicating bad farming. Today the policy is to destroy these priceless agencies and to perpetuate the inefficient crops and animals they are doing their best to remove. Tomorrow we shall regard them as Nature’s professors of agriculture and as an essential factor in any rational system of farming. », dans ibid., p. 222.
79 Pierre Ferron, « Protection intégrée des cultures : évolution du concept et de son application », Cahiers agricultures, 8/5, 1999, p. 389-396.
80 Jean-Philippe Deguine, Pierre Ferron, Derek Russell, Protection des cultures. De l’agrochimie à l’agroécologie, Versailles, Éditions Quæ, 2008.
81 Voir Pierre Ferron, « Protection intégrée des cultures », art. cité, p. 390.
82 Il s’inscrit dans la continuité de l’article de Günter Altner et al., « La protection intégrée, une technique d’appoint conduisant à la production intégrée », Bulletin OILB/ SROP, 4, 1977, p. 117-132.
83 Philippe Lucas, « Le concept de la protection intégrée des cultures », Innovations agronomiques, 1, 2007, p. 15-21.
84 Philippe Lucas, « Le concept de la protection intégrée des cultures », art. cité, p. 18.
85 Id., « Le concept de la protection intégrée des cultures », art. cité ; Jean-Marc Meynard, Thierry Doré, Philippe Lucas, « Agronomic Approach : Cropping Systems and Plant Diseases », Comptes rendus biologies, 326/1, 2003, p. 37-46.
86 Pierre Ferron, « Protection intégrée des cultures », op. cit., p. 394 ; voir également Jean-Philippe Deguine, Pierre Ferron, « Protection des cultures et développement durable », Le Courrier de l’environnement de l’Inra, 52, 2004, p. 57-65.
87 Sur ce point, voir notamment, Frank Pervanchon, André Blouet, « Deux qualificatifs à concilier en agriculture », art. cité ; Stéphane Bellon et al., « La production fruitière intégrée en France : le vert est-il dans le fruit ? », Le Courrier de l’environnement de l’Inra, 53, 2006, p. 5-18 ; Philippe Lucas, « Le concept de la protection intégrée des cultures », art. cité ; Pierre Ferron, « Protection intégrée des cultures », art. cité ; Sylvie Bonny, « L’agriculture raisonnée, l’agriculture integrée et Farre (Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement) », Natures sciences sociétés, 5/1, 1997, p. 64-71 ; Marie Roué, « Dans les coulisses de l’agriculture raisonnée », art. cité.
88 Frédéric Goulet, « Des tensions épistémiques et professionnelles en agriculture », Revue d’anthropologie des connaissances, 2/2, 2008, p. 291-310 ; Id., « Nature et ré-enchantement du monde », dans Bertrand Hervieu (dir.), Les mondes agricoles en politiques, op. cit., p. 51-72.
89 Base est, en réalité, l’antenne régionale de l’Association pour la promotion de l’agriculture durable (Apad), créée en 1999.
90 Voir http://agriculture-de-conservation.com/-La-Revue-TCS-.html
91 Thierry Doré et al. (dir.), L’agronomie aujourd’hui, op. cit., chapitre 8.
92 Rémi Chaussod, « La qualité biologique des sols. Évaluation et implications », Étude et gestion des sols, 3, 1996, p. 261-278.
93 Frédéric Goulet, « Nature et ré-enchantement du monde », art. cité, p. 64.
94 Id., « La notion d’intensification écologique et son succès auprès d’un certain monde agricole français : une radiographie critique », Le Courrier de l’environnement de l’Inra, 62, 2012.
95 Voir, par exemple, Stéphanie Cabantous, « Petit lexique écolo-agricole », art. cité ; Frédéric Goulet, « La notion d’intensification écologique et son succès auprès d’un certain monde agricole français », art. cité ; ou, plus particulièrement pour l’agriculture biologique, Dominique Desclaux, Yuna Chiffoleau, Jean-Marie Nolot, « Pluralité des agricultures biologiques », art. cité.
96 Frédéric Goulet, « Nature et ré-enchantement du monde », art. cité ; Id., « Les objets de la nature, les pratiques agricoles et leur mise en œuvre », art. cité.
97 Id., « Nature et ré-enchantement du monde », art. cité ; Id., « Des tensions épistémiques et professionnelles en agriculture », art. cité.
98 Frédéric Goulet, « Nature et ré-enchantement du monde », art. cité, p. 57.
99 Ibid.
100 Id., « La notion d’intensification écologique et son succès auprès d’un certain monde agricole français », art. cité.
101 Philippe Fleury, Carole Chazoule, Joséphine Peigné, « Agriculture biologique et agriculture de conservation : ruptures et transversalités entre deux communautés de pratiques », communication au colloque « Les transversalités de l’agriculture biologique », Strasbourg, 2011.
102 Frédéric Thomas, « AC et AB : des approches complémentaires et convergentes », Techniques culturales simplifiées, 55, 2009, p. 3 ; Matthieu Archambeaud, « Le glyphosate est-il le 4e pilier de l’agriculture de conservation ? », Techniques culturales simplifiées, 62, 2011, p. 5 ; Joséphine Peigné et al., « Techniques sans labour en agriculture biologique », Innovations agronomiques, 4, 2009, p. 23-32.
103 Éric Gall, Glen Millot, Claudia Neubauer, « Faiblesse de l’effort français pour la recherche dans le domaine de l’agriculture biologique : approche scientométrique », Carrefours de l’innovation agronomique, 4, 2009, p. 363-375 ; GaëtanVanloqueren, Philippe V. Baret, « How Agricultural Research Systems Shape a Technological Regime That Develops Genetic Engineering But Locks Out Agroecological Innovations », Research policy, 38/6, 2009, p. 971-983.
104 Bernard Chevassus-au-Louis, Biodiversité, un nouveau regard, op. cit. ; Marc Dufumier, « Agriculture comparée et développement agricole », art. cité.
105 Frédéric Goulet, « Des tensions épistémiques et professionnelles en agriculture », art. cité.
106 Bernard Chevassus-au-Louis, Biodiversité, un nouveau regard, op. cit.
107 Frédéric Goulet, « Des tensions épistémiques et professionnelles en agriculture », art. cité, p. 305.
108 Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, L’agriculture durable : des pratiques respectueuses de l’environnement, http://www.developpement-durable.gouv.fr/L-agriculture-durable-des.html, nous soulignons.
109 Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Rubrique environnement, http://agriculture.gouv.fr/environnement
110 Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Trophées de l’agriculture durable 2012-2013, http://agriculture.gouv.fr/trophees-agriculture-durable, nous soulignons.
111 Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions. Pistes pour une agriculture durable, art. cité. Nous soulignons.
112 Ibid.
113 Voir plus haut dans le chapitre 1.
114 RAD, « L’agriculture durable : qu’est-ce que c’est ? », http://www.agriculture-durable.org/lagriiculture-durable/quest-ce-que-cest/
115 Sur l’histoire du Réseau d’agriculture durable, voir Estelle Deléage, Au-delà de la tradition et de la modernité. Le Réseau agriculture durable : socio-anthropologie d’un mouvement social paysan de l’Ouest de la France, thèse, université de Caen, 2003 ; Id., Paysans, de la parcelle à la planète. Socio-anthropologie du Réseau d’agriculture durable, Paris, Syllepse, 2004 ; Id., « L’agriculture durable : utopie ou nécessité ? », Mouvements, 41/4, septembre 2005, p. 64-69.
116 La distinction entre « soutenable » et « durable » se trouve, ici, quelque peu obscurcie dans la mesure où le RAD, réseau d’agriculture durable, nous semble précisément ouvrir une voie propice à la soutenabilité de l’agriculture.
117 RAD, « L’agriculture durable », http://www.agriculture-durable.org/
118 Les critères sont donc rassemblés selon trois catégories. Pour la durabilité économique : efficacité économique, autonomie, sensibilité à la conjoncture, autonomie financière, efficacité du capital, rémunération du travail. Pour la durabilité sociale : qualité de vie, viabilité socioéconomique, transmissibilité, multifonctionnalité, contribution à l’emploi. Pour la durabilité environnementale : bilan des minéraux ou apparents, pesticides, linéaire de haies, biodiversité, gestion des sols, dépendance énergétique. Voir, RAD, « Évaluer la durabilité », http://www.agriculture-durable.org/lagriiculture-durable/evaluer-la-durabilite/
119 Pôle Inpact, « Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale. Socle commun de la durabilité », http://www.agriculture-durable.org/wp-content/uploads/2009/04/socle.pdf
120 RAD, « Cahier(s) des charges », http://www.agriculture-durable.org/lagriiculture-durable/cahier-des-charges/
121 RAD, « L’agriculture durable : qu’est-ce que c’est ? », op. cit.
122 Voir plus haut dans le chapitre 1.
123 Michel Griffon, Nourrir la planète, op. cit.
124 Ibid., p. 377.
125 Marcel Mazoyer, « Une situation agricole mondiale insoutenable, ses causes et les moyens d’y remédier », Mondes en développement, 117/1, 2002, p. 25-37.
126 Susana Bleil, « L’occupation des terres et la lutte pour la reconnaissance : l’expérience des sans-terre au Brésil », Mouvements, 65/1, 2011, p. 107 ; Douglas Estevam, « Mouvement des sans-terre du Brésil : une histoire séculaire de la lutte pour la terre », Mouvements, 60/4, 2009, p. 37.
127 Henri Mendras, Bertrand Hervieu, « Fin ou retour des paysans, en France et en Europe », dans Bernard A.Wolfer (dir.), Agricultures et paysanneries du monde, Versailles, Éditions Quæ, 2010, p. 25-38.
128 Ibid.
129 Henri Mendras, La fin des paysans, op. cit.
130 Bernard A.Wolfer (dir.), Agricultures et paysanneries du monde, op. cit., p. 7-22.
131 Henri Mendras, Bertrand Hervieu, « Fin ou retour des paysans, en France et en Europe », art. cité, p. 26.
132 Confédération Paysanne, Charte de l’agriculture paysanne, 1998, p. 3, déclaration réaffirmée en dernière page.
133 Ibid., p. 2, nous soulignons.
134 Ibid., p. 7.
135 Ibid., p. 1.
136 Ibid., p. 4.
137 Ibid.
138 Béatrice Mésini, « Résistances et alternatives rurales à la mondialisation », Études rurales, 169-170, juin 2004, p. 43-59 ; Marie-Rose Mercoiret, « Les organisations paysannes et les politiques agricoles », Afrique contemporaine, 217/1, 2006, p. 135 ; Ivan Bruneau, « La Confédération paysanne et le “mouvement altermondialisation”. L’international comme enjeu syndical », Politix, 17/68, 2004, p. 111-134.
139 Voir http://viacampesina.org/fr/
140 Éric Agrikoliansky, Olivier Fillieule, Nonna Mayer, L’altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005 ; « Altermondialisme, anti-capitalisme », Actuel Marx, 44/2, 25 septembre 2008.
141 Christophe Bonneuil, Frédéric Thomas, « Du maïs hybride aux OGM », art. cité.
142 Jacques Grall, Bertrand-Roger Lévy, La guerre des semences. Quelles moissons ? Quelles sociétés ?, Paris, Fayard, 1985 ; Pat Roy Mooney, Les semences de la terre. Une richesse publique ou privée, Ottawa, Inter Pares, 1979.
143 Pour comprendre les enjeux de cette lutte à partir d’un cas concret, voir par exemple celui du riz Nerica développé dans l’un des rapports de l’organisation internationale à but non lucratif Grain : Rapport de Grain. Le riz Nerica, janvier 2009, http://www.grain.org/article/entries/112-le-riz-nerica-un-autre-piege-pour-les-petits-producteurs-africains, consulté le 29 décembre 2016.
144 Vandana Shiva, Éthique et agro-industrie. Main basse sur la vie, Paris, L’Harmattan (Femmes & changements), 1996 ; Id., La vie n’est pas une marchandise. Les dérives des droits de propriété intellectuelle, trad. par Lise Roy-Castonguay, Ivry-sur-Seine/Tunis/Abidjan, Éditions de l’Atelier/Cérès/Éburnie (Enjeux planète, 8), 2004. Sur ce point voir également, Pierre Muller, « Peut-on (encore) penser le global à partir du rural ? Réflexions d’un politiste », Économie rurale, 4, 2007, p. 105-109.
145 Sur cette question, voir Christophe Bonneuil et al., « Innover autrement ? », art. cité ; Élise Demeulenaere, Christophe Bonneuil, « Des semences en partage », Techniques & culture, 2, 2012, p. 202-221 ; Id., « Une génétique de pair à pair ? L’émergence de la sélection participative », dans Florian Charvolin, André Micoud, Lynn Nyhart (dir.), Les sciences citoyennes. Vigilance collective et rapport entre profane et scientifique dans les sciences naturalistes, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2007, p. 122-147 ; Élise Demeulenaere, Frédéric Goulet, « Du singulier au collectif », Terrains & Travaux, 1, 2012, p. 121-138.
146 Guy Kastler, « Les semences paysannes : situation actuelle, difficultés techniques, besoin d’un cadre juridique », Les Dossiers de l’environnement de l’Inra, 30, 2006, p. 53-56.
147 Via Campesina, Déclaration des droits des paysannes et des paysans, http://viacampesina.net/downloads/PDF/FR-3.pdf. Voir également Via Campesina, Appel de Jakarta, http://viacampesina.org/fr/index.php/nos-confnces-mainmenu-28/6-djakarta-2013/declarations-et-motions/810-appel-de-jakarta
148 Élise Demeulenaere, Christophe Bonneuil, « Cultiver la biodiversité. Semences et identité paysanne », dans Bertrand Hervieu (dir.), Les mondes agricoles en politique, op. cit., p. 73-92.
149 Marc Dufumier, « Biodiversité et agricultures paysannes des Tiers-Mondes », Annales de géographie, 651/5, 2006, p. 550-568 ; Id., « Créativité paysanne dans le tiers monde », Écologie & Politique, 31/2, 2005, p. 95.
150 Sur cette question, les deux sites internet, www.grain.org et www.farmlandgrab. org, rassemblent un nombre important de données quantitatives et d’articles.
151 Pour une chronologie de la mise au jour de ce problème voir Mathieu Perdriault, « Appropriations et concentrations de terres à grande échelle : une chronologie des débats », Afrique contemporaine, 237/1, 2011, p. 135.
152 Grain, « Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière », octobre 2008, http://www.grain.org/fr/article/entries/140-main-basse-sur-les-terres-agricoles-en-pleine-crise-alimentaire-et-financiere, consulté le 29 décembre 2016.
153 Grain, « Les fonds de pension : des acteurs clés dans l’accaparement mondial des terres agricoles », À contre-courant, juin 2011, http://www.grain.org/articles/entries/4288-les-fonds-de-pension-des-acteurs-cles-dans-l-accaparement-mondialdes-terres-agricoles, consulté le 29 décembre 2016.
154 Rabah Arezki, « La “course aux terres”. Quelques éclairages empiriques », Afrique contemporaine, 237/1, 2011, p. 131-134.
155 Régimes fonciers et investissements internationaux en agriculture. Rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition, Rome, Comité de la sécurité alimentaire mondiale, 2011.
156 Olivier de Schutter, « Comment détruire la paysannerie mondiale de manière responsable », Project Syndicate, 2010.
157 Pour une critique de cette argumentation, voir Frédéric Goulet, « La notion d’intensification écologique et son succès auprès d’un certain monde agricole français », art. cité.
158 Voir le rapport de la Banque mondiale publié avant la Conférence ministérielle de Hong Kong : Kym Anderson, Will Martin, « AgriculturalTrade Reform and the Doha Development Agenda », The World Economy, 28/9, 2005, p. 1301-1327.
159 Voir, par exemple, les articles de l’économiste turc Dani Rodrik, « The Limits of Trade Policy Reform in Developing Countries », The Journal of Economic Perspectives, 6/1,1992, p. 87-105 ; Id., « The Cheerleaders’Threat to Global Trade », Financial Times, 26 mars 2007.
160 Paul Ekins, Tancrède Voituriez, Trade, Globalization and Sustainability Impact Assessment : A Critical Look at Methods and Outcomes, Londres, Earthscan, 2012.
161 TancrèdeVoituriez, « Agriculture et développement : impasse à l’OMC », Politique étrangère, 2, été 2009, p. 288.
162 Benoît Daviron, Tancrède Voituriez, « La PAC et ses réformes face aux discours sur le “développement” », dans Bertrand Hervieu (dir.), Les mondes agricoles en politiques, op. cit.
163 Jean-Marc Boussard, Françoise Gérard, Marie-Gabrielle Piketty, Libéraliser l’agriculture mondiale ? Théories, modèles et réalités, Montpellier, Centre de coopération en recherche agronomique pour le développement (Cirad), 2005, p. 130.
164 Catherine Laroche Dupraz, « Débat : l’agenda de Doha et les enjeux pour les pays pauvres. Hérité de l’Uruguay Round, le cadre des négociations agricoles est à revoir », Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, 332, novembre 2012, p. 147-154.
165 Via Campesina, Appel de Jakarta, op. cit.
166 Voir, par exemple, Silvia Pérez-Vitoria, Les paysans sont de retour, Arles, Actes Sud, 2005 ; Id., La riposte des paysans. Essai, Arles, Actes Sud, 2010.
167 Via Campesina, Agriculture paysanne durable, https://viacampesina.org/fr/index.php/les-grands-ths-mainmenu-27/agriculture-paysanne-durable-mainmenu-42, consulté le 29 décembre 2016.
168 Du point de vue environnemental, le mouvement paysan fait sien certains des principes de l’agroécologie, voir Via Campesina, « L’agriculture familiale, paysanne et durable peut nourrir le monde », Perspectives de laVia Campesina, 20,2010 ; voir également, la Déclaration de Surin de la première rencontre mondiale de l’agroécologie et des semences paysannes, https://viacampesina.org/fr/index.php/les-grands-ths-mainmenu-27/agriculture-paysanne-durable-mainmenu-42/725-declaration-de-surin-de-la-premiere-rencontre-mondiale-de-lagroecologie-et-des-semences-paysannes, consulté le 29 décembre 2016.
169 Via Campesina, « L’agriculture familiale, paysanne et durable peut nourrir le monde », art. cité.
170 Laurent Auclair, Le retour des paysans ? À l’heure du développement durable, Paris, IRD Éditions, 2006.
171 Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine, Paris, Seuil, 1997.
172 Pour une discussion de cette idée, voir Raphaël Larrère, « Agriculture : artificialisation ou manipulation de la nature ? », art. cité ; Dominique Vermersch, « Regards. L’agriculture entre artificialisation des milieux et artificialisation des échanges », Oléagineux, corps gras, lipides, 7/6, 2001, p. 480-484.
173 Dominique Bourg, « Les agriculteurs : figures de la modernité », dans Catherine Courtet, Martine Berlan-Darqué, Yves Demarne (dir.), Agriculture et société, Paris, Association Descartes/Inra Éditions, 1993, p. 188.
174 « Modern agriculture is modern agriculture precisely because it is based upon and informed by modern science », John Baird Callicott, « The Metaphysical Transition in Farming », art. cité, p. 39.
175 Sur cette question voir les travaux de Bernadette Bensaude-Vincent, Les vertiges de la technoscience. Façonner le monde atome par atome, Paris, La Découverte (Sciences et société), 2009 ; Bernadette Bensaude-Vincent, Dorothée Benoit-Browaeys, Fabriquer la vie. Où va la biologie de synthèse ?, Paris, Seuil (Science ouverte), 2011.
176 Francis Bacon, Novum Organum, 1, Londres, Apud Joannen Billium, 1620, § 129 : « S’il se trouve un mortel qui n’ait d’autre ambition que celle d’étendre la puissance et l’empire du genre humain tout entier sur l’immensité des choses, cette ambition, on conviendra qu’elle est plus pure, plus noble et plus auguste que toutes les autres. »
177 René Descartes, Discours de la méthode : suivi d’extraits de la Dioptrique, des Météores, de la Vie de Descartes par Baillet, du Monde, de l’Homme et de Lettres, Paris, Flammarion (GF), 1966, p. 84.
178 « The new mechanical order and its associated values of power and control would mandate the death of nature », Carolyn Merchant, The Death of Nature : Women Ecology and the Scientific Revolution, San Francisco, Harper, 1980.
179 Voir sur ce point, Marie-Hélène Parizeau, « Protéger ou transformer la nature ? Crise de l’environnement, crise de la modernité », dans Ludivine Thiaw-Po-Une, Questions d’éthique contemporaine, Paris, Stock (Les essais), 2006.
180 Catherine Larrère, « Comment peut-on, aujourd’hui, penser les rapports de l’homme et de la nature ? », Sciences en questions, janvier 2001, p. 97.
181 Pour une analyse des liens entre le romantisme et l’environnementalisme, voir Id., « Écologie et Romantisme », Cahiers philosophiques de Strasbourg, 10, 2000, p. 103-130.
182 Michel Serres, Le contrat naturel, op. cit.
183 Philippe Roqueplo, Climats sous surveillance, op. cit.
184 Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, op. cit.
185 Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, op. cit.
186 James O’Connor, « La seconde contradiction du capitalisme : causes et conséquences », Actuel Marx, 12, 1992.
187 Michael Löwy, Jean-Marie Harribey, Capital contre nature, Paris, Puf, 2003.
188 Voir, en français, John Bellamy Foster, Marx écologiste, Paris, Amsterdam, 2011.
189 André Gorz, « Leur écologie et la nôtre », LesTemps modernes, mars 1974 ; republié dans Id., « Leur écologie et la notre », EcoRev’, 22, 2006.
190 John Bellamy Foster, Marx écologiste, op. cit., p. 43.
191 Karl Marx, Le capital. Critique de l’économie politique, livre premier : Le développement de la production capitaliste, traduit par Joseph Roy, Paris, Éditions sociales, 1948, p. 360-361.
192 John Baird Callicott, « The Metaphysical Transition in Farming », art. cité.
193 Pierre Charbonnier, « De l’écologie à l’écologisme de Marx », Tracés, 1, 2012, p. 164.
194 Karl Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983.
195 Voir, par exemple, Michael Löwy, « Qu’est-ce que l’écosocialisme ? », La Gauche, février 2005.
196 Ibid.
197 Ibid.
198 Voir sur ce point, Jean-Baptiste Fressoz, « Écologies marxistes et écologies de la modernité », Mouvements, 2, 2011, p. 155-159.
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