La souveraineté du peuple électoral ou de l’opinion sondagière ?
p. 53-77
Texte intégral
1Les discours sur la souveraineté occupent, depuis quelque temps déjà, une bonne partie de l’espace public, politique et juridique en général ; doctrinal et théorique, pour ce qui nous intéresse plus spécifiquement. Une dichotomie aussi fondamentale que massive est en train de s’installer opposant « les souverainistes » et « les autres », européanistes, mondialistes ou anti-étatistes de divers bords. Car, en effet, la souveraineté et l’État ont, depuis les débuts mêmes de la modernité politique, eu le destin lié. L’idée de souveraineté traduisant, en droit, le pouvoir politique, suprême et légitime, qui s’incarnait dans l’État. Par conséquent, il est logique de constater que toutes les « crises » ou « mutations » de l’État, en tant que « puissance » de fait et pouvoir légitime, ont entraîné celles de la souveraineté. Depuis l’époque monarchique et son régime dynastique, en passant par l’État libéral et le système représentatif, jusqu’à l’instauration de la démocratie électorale. Mais la souveraineté de droit divin, de la nation ou du peuple s’incarnait toujours dans l’État. Puissance suprême, l’État est reconnu comme tel, donc légitimé, par ses égaux à l’extérieur, et par ses « sujets », « nationaux » ou « citoyens » à l’intérieur de son espace. Car, l’idée, c’est-à-dire le principe et le régime de la souveraineté, ont toujours postulé un pouvoir légitime (« de droit originaire ») et souverain (« suprématie de fait »). L’effectivité, en termes de puissance, et la légitimité, en termes d’adhésion, sont d’ailleurs en corrélation étroite : interactive ou synergique. La puissance s’affirme d’autant mieux qu’elle est considérée comme légitime ; la légitimité bénéficie, à son tour, de l’efficacité de la puissance. C’est pourquoi les temps forts de l’évolution des pouvoirs dominants, tant sur le plan des faits que sur celui des croyances, ont toujours produit des effets sur la notion de souveraineté ; mais celle-ci n’a jamais quitté l’État qui, depuis plusieurs siècles, reste l’expression la plus parachevée du pouvoir politique.
2De nos jours, on constate souvent « le déclin de l’État-national » traditionnel qui n’est plus, dit-on, une alternative pertinente à la mondialisation. L’État se voit « dépassé » par le haut1 et par le bas2. Encore que cet aspect de l’évolution en cours reste largement contrebalancé par une tendance contraire. « Les nouveaux pouvoirs » ont, eux aussi, tendance à se structurer à partir de l’idée souverainiste. On réclame désormais la souveraineté pour l’Europe3, alors que les peuples ou les minorités nationales ou ethniques, à velléités sécessionnistes ou indépendantistes, n’aspirent qu’à devenir des États souverains. D’une façon générale, d’ailleurs, l’on a tendance à sonner le glas un peu rapidement pour l’État national « classique ». Malgré tous les abandons, transferts, partages ou limitations de la souveraineté, celui-ci reste encore le maître du jeu des relations du pouvoir. Les États sont aujourd’hui ébréchés en tant que « puissances légitimes », c’est-à-dire souverains ; ils n’en demeurent pas moins des seuils primordiaux d’exercice du pouvoir. Derrière les instances « communautaires », supra et infra-étatiques, qui occupent de plus en plus le champs politique visible, on retrouve souvent l’État, dès que l’on quitte le plan formel pour aller au réel. La souveraineté y résiste grâce aux règles unanimitaires, consensuelles ou de la très forte majorité...
3Ceci dit, le droit de la souveraineté, comme tous les droits, pour être pertinent, exige une certaine adéquation à la réalité. Toute modification des faits, de la suprématie du pouvoir, en termes de force ou de légitimité, produit des conséquences sur la souveraineté ; sur son régime de compétences, interne ou internationales, ainsi que sur son idée fondatrice, le principe lui-même.
4En démocratie, notamment, où la légitimité est la ressource fondamentale du pouvoir, tout déclin de celle-ci entraîne avec lui la notion de souveraineté. Ainsi donc, l’État et sa souveraineté subissent les conséquences de l’affaiblissement du politique en général et du régime représentatif « classique » en particulier.
5Mais les systèmes étatiques du pouvoir, et notamment les démocraties4, se défendent et corrigent les déficits ou les perversions du régime représentatif en construisant des mécanismes nouveaux d’une « démocratie d’opinion ». Celle-ci apparaît comme une expression plus directe5, plus fine6 et plus continue7 du peuple souverain.
6 Seulement, cette « nouvelle démocratie » se situe, pour le meilleur ou pour le pire, hors du champ constitutionnel en vigueur ; en parallèle des « principes démocratiques »8 et de « l’esprit de la Constitution »9 qui définissent « les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté »10. Tels qu’ils ont été énoncés par une dizaine de décisions du Conseil constitutionnel, en France, en tout cas11.
7Parmi les multiples aspects d’éclatement, d’affinement, de complexification ou de mutation du régime, voire de l’idée même de la souveraineté, il y a celui du « partage », venu dans l’ordre interne, après la « co-souveraineté » d’ordre international. Alors que, traditionnellement, il était postulé que la souveraineté est un pouvoir global, à titulaire unique ; qu’elle est « une et indivisible » comme la République souveraine, en quelque sorte, on tend, de nos jours, à assouplir cette exigence et à admettre qu’elle puisse être « partagée »12, en reflétant, ainsi, en droit, la pluralité sociale, c’est-à-dire politique. Il y a des partages dont on a démocratiquement débattu, avant de les consacrer juridiquement. D’autres partages s’installent de façon diffuse mais pas moins réelle, sans que le débat critique s’instaure à l’échelle nécessaire à un tel problème. C’est le cas de la tendance à la relève du gouvernement représentatif par le gouvernement d’opinion qui met gravement en question le régime de la souveraineté.
8C’est, précisément, ce décrochage du mode de fonctionnement réel de l’opinion publique par rapport au peuple électoral que nous nous proposons d’examiner, à l’aune des exigences constitutionnelles et avec l’appui de la théorie démocratique.
I. Le régime constitutionnel de la souveraineté implique le modèle de la démocratie représentative
9Le peuple électoral est, comme « corps politique », le seul titulaire de la souveraineté démocratique.
10Si le principe même de la « souveraineté n’a pas à être fondé », selon l’énoncé resté célèbre de J. Lafferrière, le Conseil constitutionnel s’est penché, à plusieurs reprises, sur « les conditions essentielles de son exercice ». Ceci sur la base des principes et des règles constitutionnels, affirmés dès le début, dans les articles 1, 2, 3 et 4 notamment.
11Il s’agit des « principes démocratiques » (al. 4) qui concernent la République (al. 1), le suffrage universel (al. 3) et « les partis (al. 4) et groupements politiques » :
- la République « laïque », c’est-à-dire politique et non pas idéologique ou, bien sûr, « religieuse ». La République est sans aucun dogme officiel : ni religieux, ni agnostique ; ni spirituel, ni temporel. La République est idéologiquement neutre, au sens de l’idéologie politique, mais avec ses valeurs systémiques, c’est-à-dire fondatrices et consensuelles, bien sûr, ce qui est tout autre chose.
- le suffrage universel, lorsqu’il est politique, c’est-à-dire démocratique, et non point professionnel, institutionnel, associatif, ou autre (al. 3). Sachant que les élections politiques peuvent être nationales ou locales13.
- les partis et autres « groupements politiques », en excluant toutes les autres « formations sociologiques », de classe, de race, d’ethnie, de nationalité, ou de profession, par exemple. Il s’agit donc, dans l’ensemble, du caractère essentiellement politique du pouvoir souverain, qu’il s’agira d’approfondir.
12Mais « les principes démocratiques » ne sont pas seulement politiques ; ils sont aussi juridiques. La démocratie est nécessairement un État de droit ; de droit constitutionnel, notamment. La souveraineté s’exerce conformément aux normes constitutionnelles. Le pouvoir souverain est, d’abord, un pouvoir constituant originaire, avant le dérivé.
13C’est pourquoi nous nous proposons d’examiner les deux faces de la souveraineté démocratique telle qu’elle est impliquée par la Constitution ; son texte et la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en précise le sens et la portée. Dans l’ensemble, il s’agit de la référence au régime de la démocratie représentative « classique ».
A. La souveraineté s’exerce dans le cadre d’un ordre politique
14C’est un postulat fondamental qu’il faut aujourd’hui rappeler, tant le politique, à travers tous ses aspects14, est en discrédit, voire en délégitimation. Or, la démocratie n’a pu se construire que par la médiation du politique (et du juridique, comme on le constatera), qui civilise les conflits en les rendant gérables et même stimulants, c’est-à-dire productifs des idées et des décisions nouvelles. La règle du jeu démocratique est d’abord politique, avant d’être juridique. Elle oblige à se soumettre à l’impératif primordial de la politisation des enjeux, des acteurs et des procédures15 . Ce qui est confirmé par le droit constitutionnel positif français.
1. La souveraineté se réfère à un pouvoir politique. De la primordialité du politique en démocratie
15Lorsque l’alinéa 4 de la Constitution de 1958 invoque le respect des principes de la démocratie, il concerne, au prime abord, le vote, la minorité, le pluralisme, la majorité, la transparence, parmi les autres. Mais, au-delà des principes concrets impliquant les aspects de la procédure du débat et de la décision, on y vise, fondamentalement, le principe politique, dont ils sont les émanations particulières. En effet, pour dédramatiser les conflits sociaux, le politique rend les acteurs sociologiquement plus anonymes et leurs enjeux plus limités16.
a. La politisation des acteurs par la déglobalisation identitaire
16En démocratie les principaux « acteurs » ou « sujets » sont des hommes, organisations et institutions « politiques » et non point « sociaux »17, lato sensu. Par principe, le jeu démocratique n’oppose pas, de façon directe, les groupes sociaux primaires : ceux-ci doivent accepter d’amortir le choc de leurs conflictualités en transitant par le politique. En abdiquant, dans le jeu pour la conquête et de l’exercice du pouvoir, leur identité globale d’ordre général, au profit de l’identité politique d’ordre spécifique. L’identité politique est corrélée avec le flou sociologique. Les instances du politique se construisent en fonction des idées politiques (projets, programmes, discours politiques divers) et non pas en raison des identités sociales globales. Le système démocratique vise en permanence à mettre en place et à gérer un pluralisme politique qui transcende la pluralité sociologique.
17Le temps du politique doit, au moins, subordonner le sociologique. C’est aussi vrai pour un candidat individuel à une « élection politique », nationale18 ou locale et, en tout cas, « populaire », que pour les partis politiques, véritables melting-pots sociologiques19. Les partis démocratiques sont d’abord politiques. Ils ne sont pas « de classe », ethniques, nationaux, corporatifs, territoriaux ou religieux. Ils ne peuvent se construire sur la base d’un critère d’identification globalisante. Ces partis-là sont généralement formellement interdits. La seule forme de démocratie que la théorie connaît et reconnaît est « représentative » ; c’est-à-dire médiatisée par les hommes et les institutions diverses, dont le principal dénominateur commun est politique. À cet égard, la démocratie est un régime impliquant un langage politique commun, tout autant qu’un droit commun.
18L’expression des acteurs, autant que les voies et les moyens de leur action, sont essentiellement politiques20. Il s’agit des représentants politiques de la nation ou du peuple ; de la majorité et de l’opposition politiques. L’idée de la majorité sociologique (un moment invoquée par le Président Mitterrand en 1981) n’est pas « démocratiquement correcte ». Le système ne permet de connaître que la majorité politique, grâce aux élections du même nom. La majorité sociologique relève de l’interprétation idéologique ou doctrinale ; ou, au mieux, théorique, mais les théories peuvent être légitimement contradictoires. En ce sens, la majorité sociologique est invérifiable et peut varier selon l’opinion des auteurs qui l’invoquent.
19Il en va de même, aujourd’hui, avec le « politiquement correct », c’est-à-dire des « discriminations positives » au profit des minorités sociologiques proclamées ou autoproclamées comme défavorisées. Il y a là une confusion conceptuelle en voulant opposer une minorité sociologique à une majorité politique ; du moins si l’on cherche à « libérer » la première de toute obligation de politisation de son discours et de ses moyens d’action, alors qu’il s’agit là d’une exigence de la règle du jeu fondamentale du système démocratique. La relève du politique par le sociologique ne peut être supportée qu’au titre relativement marginal et provisoire, en démocratie21. Le noyau dur du système doit rester politique si l’on veut continuer d’espérer en la conciliation démocratique. C’est, en tout cas, toute l’histoire analytique de la démocratie qui nous l’enseigne. Tout le reste relève surtout de la prospective idéologique ou philosophique libérée des logiques historiques, c’est-à-dire systémiques. Car la logique des affrontements primaires, c’est-à-dire globalement identitaires, induit plutôt une dynamique de guerre civile que de pacification par le compromis.
b. La souveraineté se réfère à des enjeux spécifiques. La politisation des enjeux par leur « spécialisation »
20Pour dédramatiser les conflits incontournables, le politique rend, en démocratie, les enjeux plus limités. Qu’il s’agisse des enjeux matériels ou idéologiques, ils sont toujours éclatés sous forme de politiques publiques, de façon la plus typique. La compétition pour la conquête du pouvoir oppose les programmes généralistes, lors des élections, par exemple. L’exercice du pouvoir peut donner lieu à des enjeux plus « pointillistes ». Mais, d’une façon plus courante, ce sont les politiques publiques qui correspondent, grosso modo, aux départements ministériels, qui rythment les débats démocratiques par excellence.
21Par ailleurs, les enjeux sont sublimés par les « idées politiques » qui cherchent à les légitimer. Le politique est, ici, médiatisé par les idées, qui s’interposent, quelque part, entre les intérêts particuliers et les croyances générales. Les intérêts matériels et les croyances idéologiques transitent, ainsi, par les idées politiques qui permettent d’inclure, plus facilement, le critère d’intérêt général, lors des arbitrages faits sous couvert de la « volonté générale ».
22La confrontation des intérêts particuliers – seuls – correspond à l’anarchie. L’affrontement primordial des idéologies favorise la dictature idéologique ou la guerre civile...
23Seule la compétition des idées qui, en amont, s’inspire des valeurs et couvre des intérêts des parties, et, en aval, se rattache aux références communes, permet une gestion pacifique, voire « douce », des conflits. C’est par la crédibilité de leurs idées que les acteurs, en démocratie, légitiment leurs intérêts et leurs préférences idéologiques générales.
24Ainsi, la politisation de l’ordre démocratique signifie, ici, la déglobalisation des intérêts et la fragmentation des valeurs. Les deux devant transiter par la logistique légitimante du débat d’idées politiques ; par le langage commun des idées politiques.
25Le rappel de ce postulat politique du système démocratique était nécessaire, car il sous-tend toute discussion autour de l’idée de souveraineté au sein des États régis par le modèle constitutionnel pluraliste où, globalement et en dernière instance, la question qui se pose est celle de la légitimité du pouvoir souverain.
2. Du caractère politique de la souveraineté. De la souveraineté politique sous la Ve République
26Le texte de 1958, tout comme la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ne cessent de le rappeler : la souveraineté concerne le politique. Aussi bien quant à son titulaire, le peuple constitutionnel, c’est-à-dire « citoyen » ou « électoral », que relativement aux « conditions d’exercice » de la souveraineté.
a. Le texte de la Constitution définit le régime de la souveraineté comme un ordre essentiellement politique
27Le titre I de la Constitution, intitulé « De la souveraineté », comporte trois articles (1, 3 et 4) qui impliquent la nature politique du pouvoir souverain.
28Dès l’alinéa 1, la France est définie comme « une République... laïque et démocratique » dont le « principe est : gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».
29Sans reprendre ici tout ce qui sépare et tout ce qui unit la République et la démocratie, qui sont, bien évidemment, deux notions différentes, disons simplement, pour le moment, que les deux se réfèrent, en synergie en quelque sorte, à l’interdiction de l’appropriation du pouvoir souverain par un seul. Si « la République est démocratique » alors que la démocratie est politique, c’est que l’ordre républicain impliqué est, lui aussi, « politique » ; c’est ainsi qu’il faut l’entendre quand on l’évoque, plus couramment, sous l’appellation de « la chose publique ».
30La République est, de surcroît, laïque. Si, en stricte exégèse, le mot concerne la neutralité religieuse de l’État républicain, désormais séparé de toute église, il suggère, aujourd’hui, plus largement, la séparation de l’État politique d’avec tout type de dogme idéologique. Qu’il s’agisse des religions traditionnelles ou « spirituelles » ou des religions « civiles », c’est-à-dire idéologiques ! L’État républicain démocratique est un État arbitre neutre ; médiateur politique entre les différents dogmes religieux ou idéologiques ; « spirituels » ou « laïques », lato sensu.
31C’est, d’ailleurs, grâce à l’autonomie du politique que « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » a pu se réaliser comme un système, à la fois légitime et efficace ; les deux qualités étant interactives et synergiques. L’autonomie du politique signifie, à la fois, la limitation du pouvoir au politique et la protection du politique contre toute pénétration de « l’ordre moral », idéologique (idéocratique) ou scientiste (technocratique), comme la tendance s’en manifeste, aujourd’hui, avec ce que l’on nomme le « gouvernement d’opinion ».
32L’alinéa 3 pose le principe du fondement électoral du pouvoir. Le peuple souverain, au nom et pour le compte de la nation, ne s’affirme que grâce au « suffrage... toujours universel, égal et secret ». Qu’il soit « direct » ou « indirect » (alinéa 3) ; c’est-à-dire qu’il serve à désigner « les représentants » ou qu’il soit un moyen d’expression immédiate du peuple « par la voie du référendum » (alinéa 1), peu importe. En tout état de cause on ne vise, ici, que les élections politiques, à l’exclusion de toutes les autres : corporatives, universitaires, associatives... Les électeurs sont des « nationaux français jouissant de leurs droits politiques », notamment. Mais les élections politiques sont aussi locales, c’est-à-dire municipales22. Comme toutes les élections qui relèvent du Code électoral, il s’agit d’élections politiques, fondées par la citoyenneté qui « ouvre le droit de vote et d’éligibilité »23.
33L’article 4 affirme que « les partis et groupements politiques », concourent à l’expression du suffrage, qui est le fondement même de la société politique. « Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Sont exclus du cercle de la souveraineté tous les groupes dits de pression : groupes d’intérêts matériels ou idéologiques, corporatifs ou « moraux » qui, en amont, ne relèvent pas du suffrage universel, seul suffrage politique et, en aval, ne prétendent pas à la conquête et à l’exercice du pouvoir politique souverain, mais seulement son infléchissement dans le sens souhaité.
34Les partis et groupements politiques sont tenus de respecter « les principes de la démocratie » qui sont, d’abord, ceux du code politique de la démocratie : vote, majorité, opposition, débat contradictoire et public, transparence, pluralisme, choix, etc. Or, ces principes à contenu politique ont été développés à travers la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
b. La jurisprudence concrétise les dimensions politiques de la souveraineté démocratique
35Elle développe un certain nombre d’exigences qui relèvent des « principes démocratiques » invoqués par l’alinéa 4. La souveraineté et, donc, aussi, en ordre juridique ; un principe juridique est un régime juridique24. La démocratie est, nécessairement, un Etat de droit25. Mais le droit est dans ce cas à la fois une valeur légitimante et une « procédure d’exercice ».
36De toute façon, la question de la légitimité est fondamentale. En démocratie, elle est, en plus, fondamentalement complexe, car elle fait intervenir obligatoirement, à la fois, la question politique et la question juridique : l’élection et la Constitution. Mais, la légitimité politique et ressourcée à l’élection est aussi juridique, puisque celle-ci doit être conforme à l’esprit et à la lettre de la norme. Et la légitimité juridique, issue de la Constitution, a dans son arrière-plan l’acte de votre constituant. La norme constitutionnelle, c’est-à-dire électorale, est générée par l’acte de vote. C’est la combinatoire de ces deux paramètres du pouvoir démocratique qui fonde sa légitimité, laquelle participe de sa « puissance » souveraine.
B. la souveraineté est régie par un ordre juridique
37Faut-il rappeler que la souveraineté est d’abord un concept juridique qui consacre une puissance politique de fait, à la fois suprême et légitime26 ? Ce n’est pas un phénomène sauvage, mais une institution juridique, avec son principe fondateur et son régime de règle ou sur la dévolution et l’exercice du pouvoir. Le droit de la souveraineté condense, à la fois, un droit à la souveraineté, en quelque sorte, et « les conditions d’exercice » de celle-ci ; le sens et la portée de compétences du titulaire du pouvoir souverain. Ce constat est primordial en démocratie qui est dominée par le questionnement sur la légitimité du souverain et sa systématique vérification électorale. C’est pourquoi la démocratie est nécessairement un Etat de droit, alors que l’inverse n’est pas obligé27. Le juridique, grâce à la loi « générale et impersonnelle », norme par excellence, tout comme le politique, amortit la conflictualité et favorise les arbitrages. Il est plus facile d’obéir à une norme anonyme, à portée universalisante, qu’à un vainqueur prétentieux et arrogant, même s’il s’agit d’une majorité électorale indiscutable.
38Mais la souveraineté, ce n’est pas, seulement, ce que nous avons appelé « le droit à la souveraineté », c’est-à-dire la prétention fondée, légitime, au pouvoir souverain. C’est, aussi, la procédure de son exercice, à travers ses conditions « essentielles », elles aussi, selon l’adjectif récurrent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
1. La légitimité de principe de la souveraineté démocratique s’exprime en droit ; elle est postulée, mais n’a pas besoin d’être justifiée
39Pourquoi le peuple est-il souverain plutôt qu’une classe sociale – missionnaire – ou le monarque de droit divin ? Autrement dit, le peuple, en démocratie, n’a pas besoin d’avoir raison ; de prouver qu’il a raison ! Il suffit qu’il s’exprime clairement à travers les procédures mises à sa disposition. C’est pourquoi la volonté politique doit épouser des formes juridiques d’authentification. Mais, à ce titre, ces procédures sont à leur tour légitimantes et, de ce fait – en termes de puissance – valorisantes. Le droit, par la Constitution, tout comme le politique, par l’élection, participent à l’expression du souverain, en amont ; et aussi à sa protection, en aval28.
40Le droit de la souveraineté peut-il alors fonder la souveraineté du droit, comme proclamé par l’axiome de l’État de droit ? On constate que le droit n’a de sens, en démocratie, notamment, qu’en tant qu’instrument de la légitimité. La norme, même constitutionnelle, ne résiste pas au consensus refondateur ! L’idée de la supraconstitutionnalité paraît encore comme une nébuleuse. Il n’y a pas d’exemple où le vote (ou la légitimité réelle d’un autre type que démocratique, dans le passé) n’ait pas eu raison de la norme. La volonté ou le rapport de forces politiques dicte sa loi au juridique ; fondamentalement et à la longue. Le droit de la souveraineté se doit d’être réaliste en évitant un trop grand écart entre l’énoncé et l’énonciation. Les systèmes communistes ont implosé à cause de l’écart pervers entre la souveraineté « du peuple travailleur tout entier »29 et le monopole exigu des oligarques du parti, seuls détenteurs réels de la souveraineté. Et connus comme tels – implicitement !
2. « Les conditions essentielles d’exercice » du pouvoir souverain sont, par contre, contrôlées par le jugé
41Si, comme nous l’avons constaté, le « pourquoi » du principe même de la souveraineté du peuple n’a pas à être disputé, il n’en va pas de même avec le « comment ». Le Conseil constitutionnel français a souvent évalué la constitutionnalité sinon la crédibilité des procédures d’exercice. Sauf dans l’hypothèse où le souverain est sensé agir en direct, par la voie référendaire, comme en 196230.
42Lorsque l’on apprécie l’authenticité d’un vote majoritaire, le respect des droits de la minorité, le pluralisme du débat ou la transparence des décisions, on ne se limite pas seulement au contrôle des procédures ; par delà le respect apparent des formes, on implique des valeurs démocratiques de liberté, égalité, différence, concurrence, compromis, participation ou autres.
II. Le gouvernement d’opinion déstabilise le régime constitutionnel de la souveraineté du peuple
43Vers la « souveraineté partagée » entre le peuple électoral et l’opinion sondagière.
44La Ve République constitue un grand virage – historique – dans l’évolution du système constitutionnel français ; constat on ne peut plus unanime, voire banal. Mais ce temps fort du changement institutionnel s’accompagne d’une aussi profonde mutation du mode de fonctionnement politique, dont il est l’expression juridique. Car, en amont et en aval du droit, il y a le politique, qui en explique la genèse et lui donne « sens et portée » réels, grâce aux usages. Or, en matière de souveraineté, précisément, rien ne bouge sur le plan formel ! La Déclaration de 1789, le Préambule de 1946 et le titre I de la Constitution de 1958, consacrés à la souveraineté, semblent pérenniser le modèle traditionnel de la souveraineté « nationale » du peuple. Celle-ci s’exprime par la voie du vote (élection et référendum) et s’exerce, en général, par l’intermédiaire des institutions et des personnels politiques, représentatifs du corps social qui, en l’occurrence, se désigne comme « corps politique ». Cependant, à cause d’une certaine usure de la démocratie, vécue désormais comme « sur-représentative » et grâce aux nouvelles possibilités technologiques des mass media, avec les années 1960, le système s’ouvre plus largement à toutes les techniques d’appel au peuple et d’appel du peuple. Celles-ci sont considérées comme expressions d’une démocratie plus fiable parce que plus directe31. C’est alors le passage d’une démocratie élitaire32 à une démocratie de masse. La télévision « démocratisée » et le sondage « banalisé » en sont les chaînons concrets les plus marquants ; notamment au quotidien, qui rythme désormais la vie publique. C’est l’émergence significative de l’opinion publique, qui infiltre désormais l’espace politique, après s’être installée dans le domaine spécifiquement social33, puis économique. Depuis, nous assistons à la construction, voire à la montée en puissance quasiment exponentielle de ce que certains appellent le « gouvernement d’opinion », forme privilégiée de « la démocratie de masses » ou du « public » (B. Manin).
45Dans un premier temps, il s’agissait de légitimer les expressions diverses de l’opinion publique34 comme correctifs conjoncturels de la longueur des mandats institutionnels, c’est-à-dire des rythmes électoraux. L’opinion devait jouer, par rapport à l’électorat, un rôle comparable à celui du juge par rapport à la loi : elle devait assouplir le jeu représentatif en l’adaptant, plus finement, au contexte conjoncturel ou au thème du jour.
46Par la suite, cependant, l’espace de l’opinion publique s’est considérablement imposé au point de passer du stade de complément au stade de concurrent du « gouvernement représentatif », c’est-à-dire électoral et parlementaire. Toujours au nom du même peuple. Nous assistons à la coexistence de deux « sous-systèmes » en concurrence. L’opinion publique n’est plus, seulement, une technologie nouvelle de communication politique. Elle a, aussi, désormais, une légitimité propre, qui tend à porter ombrage au procédé électoral, dès lors très facilement assimilé à l’électoralisme ! Les hommes politiques, représentants traditionnels du souverain peuple, ont d’abord essayé de résister à la prégnance de cette nouvelle venue, au fond insaisissable, qu’était l’opinion publique35. Mais ils ont dû se rendre à l’évidence du fait établi : la crédibilité, voire la légitimité, se ressource autant dans les enquêtes d’opinion que dans les procédés électoraux. Plus même, on constate de plus en plus que les élections se font dans le sillage des sondages et acquièrent un sens conjoncturel, « présentiste »36, qui les dénature. Elles doivent, normalement, condenser le sens d’une rétrospective sur le mandat accompli, avec un pari sur la prospective qui dépasse l’horizon du jour, sans se laisser déterminer ou « surdéterminer » (Althusser) par le contexte immédiat et le thème particulier.
47C’est le danger de la submersion de la souveraineté électorale du peuple constitutionnel par la souveraineté sondagière du peuple statistique qui nous occupe aujourd’hui. D’autant plus que cette mutation s’accomplit de façon implicite, diffuse, voire sournoise ; en tout cas sans débat public suffisant, ni sur le plan politique, ni sur le plan scientifique. Comme d’ailleurs et de façon générale, peut-être, nous nous soumettons au fait accompli, systématiquement considéré comme manifestation de la modernité, voire de la post-modernité démocratique. Sans un débat lourd exigible pour une telle « révolution » ; en tout cas sans une contre-pensée critique, seul filtre sinon seul critère de la modernité démocratique.
48Il s’agit, finalement, de voir de plus près, en quoi le prétendu « gouvernement d’opinion » ne peut, automatiquement, être assimilé au « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », qui est l’emblème de la Constitution française. Pourquoi « la démocratie sondagière » ne répond-t-elle pas parfaitement aux exigences politiques, c’est-à-dire électorales et juridiques, alias constitutionnelles, qui fondent le statut de la souveraineté en droit français ?
49« Les principes démocratiques » et « l’esprit de la Constitution » ne s’y retrouvent pas, à travers « les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté », pour reprendre, ici, les principales références du Conseil constitutionnel.
A. « Les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté », quant au politique, ne se retrouvent pas toujours dans le mode de fonctionnement de l’opinion publique
50En effet, dans l’espace de ce qu’il est convenu d’appeler l’opinion publique, l’objet du discours, le type de procédures et la qualité des acteurs ne répondent pas, souvent, aux exigences des « principes de la souveraineté nationale »37, alias populaire, tels qu’ils ont été posés en 178938, revus et complétés en 1946 et développés dans les articles 2, 3 et 4, notamment, du texte de 1958. Le tout suivi d’une jurisprudence – spécifique – d’une vingtaine de décisions du Conseil constitutionnel.
1. Le discours médiatique, qui porte l’opinion publique, s’écarte sensiblement du discours politique, typique du système représentatif
51On constate, dans le cadre du phénomène général de la « crise » ou le « déclin » du politique, une dépolitisation de l’objet du discours qui occupe désormais l’espace public (Habermas). Il y a, à la fois, semble-t-il, moins d’idées et de politique dans le nouveau discours émergent. À la place des idées on évoque les faits39, sous forme d’événements chiffrés ou imagés. À la place du politique40, c’est souvent le discours moral ou idéologique qui prend la relève.
52Ainsi, au lieu de discuter des programmes, projets et politiques publiques41, on évoque les 35 heures ou le quinquennat « sec », comme des « faits » suffisants en eux-mêmes.
53La légitimité intellectuelle ou plutôt « idéelle » du débat s’en trouve escamotée et de ce fait sa légitimité politique.
54Bien sûr, ce factualisme apparemment désincarné est parfois appuyé par l’argument scientifique (le discours « expert »), ou économique (en fait économiste, sur « la » performance). Dans les deux cas, cependant, nous sommes loin du discours politique-type qui organise une concurrence légitime entre les idées opposées ; avec, bien sûr, en arrière plan de celles-ci, des idéologies abstraites et des intérêts concrets, mais tous également légitimes, au départ, et respectables à l’arrivée de l’arbitrage électoral.
2. Parfois le débat d’idées est abandonné non pas au profit du « fait », mais au profit de la valeur idéologique
55Cela se produit toujours au détriment des idées stricto sensu. Dans ce cas ce sont les grands thèmes emblématiques (liberté, égalité, solidarité, dignité...) qui deviennent des évocations au jour le jour, à propos des grands comme des petits problèmes gestionnaires de la cité. Le discours se fait ainsi moralisateur ou idéologue.
56En tout cas, il oppose « le Bien » au « Mal » comme la légitimité à l’illégitimité. Tout comme le discours scientiste oppose « la Vérité » scientifique à l’erreur vulgaire ou le discours économiste, qui se complait dans la dichotomie de la performance et de la... contre-performance.
57Tout « événement du jour » est, ainsi, mis en perspective de façon plus symbolique et idéologique que concrète et politique.
58Dans tous les cas, donc, le nouveau discours se présente comme manichéen et de ce fait, fort éloigné des exigences des « principes démocratiques », de la concurrence pertinente, c’est-à-dire pluraliste et équilibrée. Il s’agit, en somme, de concurrences légitimes ; considérées comme telles par les protagonistes – « associés-rivaux ». Le but de tout système démocratique n’est-il pas d’assumer, ou mieux encore, de promouvoir et de gérer les concurrences légitimes ? Or, cela ne peut s’obtenir que par la politisation du débat, ce qui n’est pas la tendance du « gouvernement d’opinion » dont la vocation est de parler « court, simple et fort » pour être compris et suivi, en direct et en continu, par la grande masse citoyenne. On comprend alors le souci de vigilance démocratique devant quelques tentations démagogiques induites par le mode de fonctionnement de l’opinion publique. On ne retrouve dans ce cas ni « les principes », ni « l’esprit de la Constitution ».
3. Les procédures typiques du mode de fonctionnement de l’opinion publique sont étrangères au droit positif de la souveraineté
59Peut-être même contrarient-elles l’esprit de la Constitution formelle ?
60La souveraineté s’exprime par les élections, alors que l’opinion se « révèle » par les sondages, principalement.
61L’élection est accompagnée d’un débat politique dont la nature est essentiellement dialectique ; rien de très semblable dans le champ médiatique qui est mû par une dynamique de la surenchère.
a. Élection et sondage
62Le vote sous forme de suffrage universel direct ou indirect est la seule forme de la souveraineté. L’alinéa 3 invoque les élections pour le choix des représentants et la voie référendaire. Encore faut-il qu’il s’agisse des élections « nationales », ce qui exclut les députés européens42. De surcroît, il ne peut s’agir que des élections politiques, et non point administratives, corporatives ou autres. Le problème s’est posé pour les élections municipales. Elles ont été « raccrochées » au politique par le biais des élections sénatoriales : le Sénat participe à l’exercice de la souveraineté nationale.
63Le vote constitue ainsi le lien politique entre le souverain et ses représentants ; il permet, aussi, l’expression directe du souverain. Rien de tel dans les sondages qui impulsent le « gouvernement d’opinion ».
64L’opinion publique s’exprime, bien sûr, de très diverses manières, mais la procédure typique est, malgré tout, l’enquête par sondage. Le sondage est à « la démocratie d’opinion » ce que l’élection est à la démocratie représentative. Or, le sondage ne satisfait à aucune des exigences constitutionnelles relatives à la souveraineté.
65« Les principes démocratiques » classiques, tels qu’évoqués par la Constitution ou la jurisprudence du Conseil constitutionnel, sont souvent transgressés voire ignorés par les mécanismes d’opinion publique.
66Il y a d’abord l’évacuation de la procédure de vote. Si les sondages sur les intentions de vote peuvent être encore placés dans le continuum électoral, les sondages d’opinion proprement dits tendent de plus en plus à se substituer, voire à se superposer à la procédure électorale elle-même.
67Ainsi, par exemple, la doctrine constitutionnaliste tend à expliquer ou à justifier le développement du Conseil constitutionnel en France grâce à l’approbation par l’opinion publique de sa généreuse et libérale jurisprudence, qui impliquerait des conséquences sur l’instance elle-même43 ; sans jamais réclamer, pour mettre le texte en accord avec le fait, une réforme – votée – de la Constitution, qui devient pourtant un procédé relativement banal !
68En matière européenne, également, malgré le fameux « déficit démocratique » de l’Union européenne qui concerne, précisément, l’élargissement de l’assise électorale de ses institutions, on se plaît à constater, très couramment, que celles-ci « bénéficient globalement dans l’opinion d’une légitimité communautaire »44. L’opinion, sans vote, justifiet-elle des transferts de souveraineté ?
69Il y a aussi le principe du pluralisme. Sans forcer l’interprétation, on doit constater que le système de l’opinion publique fait une large place au « principe du monisme », alias unanimisme, plutôt qu’au pluralisme45. L’opinion publique s’écrit au singulier ; tout comme la République ou la volonté générale, elle apparaît comme « une et indivisible », en fait. Lorsque le sondage est publié, nous sommes sensés savoir ce que pensent « les Français » ou « le peuple ». Seul le premier chiffre des résultats compte ; la minorité, les « sans opinion » ou les abstentionnistes sont oubliés dès le lendemain. L’opposition ou la minorité n’ont aucun statut – même de fait – dans ce jeu. Le sens du premier chiffre (quelquefois même inférieur à 50 %) se voit rapidement globalisé, sans aucune promotion de la critique légitime. Au contraire, il devient délicat sinon difficile de « penser autrement » dans l’espace médiatique. Il n’y a pas encore de place pour une sorte de « contre-opinion »– légitime ; par comparaison avec l’opposition parlementaire et son « contre-gouvernement » (shadow cabinet). En ayant tendance à considérer « la démocratie d’opinion » comme une forme d’expression directe du souverain, par transposition de l’idée référendaire, où s’écarte toute idée de doute ou de « contrôle » critique de « l’opinion publique ». Ne touche pas à mon opinion publique souveraine, en quelque sorte ! « Le lien politique », fondateur de la démocratie représentative, souffre, lui-aussi, de l’irruption des sondages comme moyen d’expression de la volonté souveraine. Même si la question posée reste formellement politique, les sondages sont vus par des logiques autres que spécifiquement politiques.
70Il y a d’abord la logique statistique qui préside à la constitution de « l’échantillon représentatif » (aujourd’hui mille personnes ou moins), devant exprimer l’opinion de quarante millions de citoyens, électeurs potentiels. Mais, selon la fondamentale distinction entre les sondages sur les intentions de vote et les sondages d’opinions stricto sensu, on ne sait pas, exactement, dans le second cas, ce que pense précisément et concrètement « le corps politique ». Car l’hypothèse statistique relève de la loi probabiliste. Or, de surcroît, celle-ci prend en compte des critères sociaux et non pas politiques.
71Il y a, par conséquent, dans les sondages, une implication des critères d’ordre sociologique et non pas politique. La profession, le sexe, l’âge, la religion, le domicile, le niveau de revenus ou d’études ne préjugent pas forcément, ni précisément, des idées politiques des individus. La démocratie témoigne que même s’il y a des tendances et des dominantes, il n’y a pas de déterminisme sociologique. C’est l’autonomie de la volonté qui correspond à l’autonomie du politique. Et le lieu représentatif est postulé comme spécifiquement politique. Il est utile de le rappeler à l’époque d’un retour massif au « primaire sociologique » sous forme d’arithmétiques paritaires, affirmées par les entités sociales de divers ordres.
72Il y a, enfin et éminemment, une logique économique qui sous-tend les sondages d’opinion. Il n’est pas étonnant de constater que la grande majorité des sondages sont d’ordre économique et relèvent des stratégies du marketing qui finissent par contrôler le marché. Pourquoi en irait-il autrement pour le marché politique ? D’autant plus que les organismes qui en sont les promoteurs, divers « instituts » de sondages, relèvent de la logique économique privée, avec le souci du profit et l’épreuve de la concurrence. En amont, ils dépendent des annonceurs, leurs principaux financiers ; en aval, ils visent un but marchand, clientéliste. Leur vocation est donc autant de connaître, c’est-à-dire d’exprimer l’opinion que de la contrôler, voire de la récupérer.
73Avec tout cela, nous sommes loin de la lettre et de « l’esprit de la Constitution » quant à la rigueur dans le respect des principes démocratiques. Une ambiguïté consécutive se retrouve dans l’altération des conditions du choix, qui est l’une des grandes préoccupations du Conseil constitutionnel.
b. Débat pluraliste et surenchère moniste
74La liberté du choix est une conséquence du principe de la souveraineté du peuple. Elle implique beaucoup de « conditions d’exercice » concrètes. Dans sa décision du 23 octobre 196046, à propos du regroupement national, le Conseil constitutionnel a insisté sur la clarté de la question posée, qui ne doit être ni ambiguë, ni multiple, par exemple. Mais la qualité du débat contradictoire nous semble une exigence encore plus forte, dans le même ordre d’idées. Car, dans cette hypothèse surtout, les conditions d’un véritable choix – une authentique alternative – sont offertes. Cela suppose un choix légitime47, équilibré, pertinent ; un choix du type droite-gauche de la belle époque de cette dichotomie, pour illustrer notre modèle de référence. Le débat électoral dans le pays ou au Parlement, entre hommes et partis politiques.
75Les choses se présentent de façon sensiblement différente dans le champ médiatique de l’opinion publique. Le discours typique, en tout cas massif, y est du type manichéen ; il a tendance à opposer le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux, la Légitimité et l’Illégitimité. Il invoque le principe – unique – de « modernité », « rationalité » ou « réalité ». Il s’agit, donc, d’une finalité désormais unique à laquelle il faut faire face par « des moyens du bord ». Le consensus BCBG sous-tend, par conséquent, le discours des principaux protagonistes qui ne se distinguent que par la nuance, voire par le subsidiaire. La légitimité se construit, alors, de plus en plus, par la logique de la surenchère, plutôt que par la dialectique oppositionnelle. C’est l’intensité de l’argument, la façon de faire, le moment choisi dans la défense du « Bien » ou la dénonciation du « Mal » qui deviennent décisifs. Dans ces conditions, la notion du choix, tel qu’il est défini dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, n’y trouve plus son compte. En tout cas, le choix, dans les tenailles d’une telle alternative, ne paraît plus légitime. Donc, il n’est plus vraiment libre. Or, un droit crédible ne peut pas trop s’écarter du fait ; il doit traduire l’esprit réel des situations.
4. Les acteurs
76Les citoyens, électeurs et représentants élus, sont, avec les partis et groupements politiques (article 4), les seuls « sujets » juridiques participant à l’exercice constitutionnel de la souveraineté. Or, depuis la Ve République, grosso modo, et de façon croissante, la réalité déborde de ce cadre juridique. Les théories politistes nous disent que notre vieil État – représentatif – est devenu, primordialement, un médiateur inter-corporatif. En effet, les principaux animateurs dans le champ de l’opinion publique sont des acteurs dits « socio-économiques », plus spécifiquement encore, du type corporatif. Cela nous écarte d’autant des postulats constitutionnels. Or, l’expérience démontre que les acteurs corporatifs n’ont pas tous, au départ, loin s’en faut, les mêmes moyens de « négociation », c’est-à-dire de prégnance sur le public. Les cheminots, électriciens, routiers ou médecins, peuvent véritablement « prendre le peuple en otage », selon une expression consacrée significative. L’exercice de la souveraineté par la voie de l’opinion publique ne permet pas le respect de l’exigence égalitaire, « républicaine » ou « citoyenne ».
77Lorsque les apparences laissent croire que ce sont les hommes et les partis politiques qui agissent dans le champ médiatique, il s’agit souvent d’un trompe-l’œil. Une analyse qualitative plus approfondie révèle que la classe politique48 – « professionnelle »– essaye de se raccrocher au mouvement en marche, mais que l’essentiel lui échappe, à savoir le contrôle de la règle du jeu spécifique. L’initiative, en amont, et l’interprétation, en aval49, ne leur appartiennent plus de façon prépondérante. Les techniques d’enquête (par sondages, notamment) et les organismes qui les gèrent (les divers instituts privés) ne sont plus sous le contrôle déterminant du politique.
B. L’opinion publique n’est pas saisie par le droit, alors que les « conditions essentielles d’exercice » de la souveraineté l’exigent
78Selon les principaux articles constitutionnels consacrés à la souveraineté50, celle-ci ne peut être que l’expression d’un acte de vote. Bien sûr, le suffrage universel peut être « direct » (le référendum) ou « indirect » (élections des représentants), mais toujours « dans les conditions prévues par la Constitution »51. La procédure par laquelle le souverain s’exprime et décide doit être transparente, c’est-à-dire connue d’avance et « claire ». C’est pourquoi il y a nécessité d’un Code électoral52. Même si celui-ci est d’ordre essentiellement législatif en France, les principes démocratiques qui le sous-tendent sont dans la Constitution, déjà53 . Et une abondante jurisprudence électorale complète le statut nominatif de la souveraineté à cet égard. Avec l’opinion publique, on se trouve devant un vide juridique relatif. Certains aspects des sondages sont l’objet d’une législation relative aux règles de publication, par exemple, dont nous aurons à évaluer la portée. Mais, en général, l’opinion publique présente beaucoup d’aspects dans son mode de fonctionnement qui se placent sous l’égide du marché ou de la concurrence libre, sinon sauvage.
79Or, non seulement les rapports entre l’opinion publique et le droit sont limités, voire limites en matière de sondages, notamment, mais, de surcroît, le débat public sur le sens suffisamment précis et consensuel de la notion n’a pas vraiment eu lieu ; ou, en tout cas, n’a pas débouché ! Alors que, précisément, l’opinion publique, en tant que telle et détachée des élections, pèse de plus en plus sur l’élaboration et l’application de la norme juridique. Les lois sont souvent votées ou amendées sous la pression des « mouvements d’opinion » échappant au filtre des partis politiques. La justice, une autorité, voire un pouvoir qui monte en puissance, « s’émancipent » du gouvernement pour chercher son appui légitimant dans l’opinion publique. Avec la revalorisation des références comme l’équité, la justice, le contexte, le cas, c’est en fait l’opinion publique conjoncturelle qui est prise en compte, au détriment de la norme anonyme et froide ; supposée stable, c’est-à-dire égale dans le temps et l’espace du droit positif. D’où l’intérêt de poser le problème du rapport entre l’opinion publique et l’État de droit.
1. L’opinion, comme l’autre profil du peuple souverain, reste encore une référence trop ambiguë
80Le Conseil constitutionnel considère l’ambiguïté comme l’antonyme de la transparence, alias « clarté »54. À cet égard, la condition essentielle d’exercice de la souveraineté n’est pas remplie. Car le débat démocratique, dans le champ politique, tout comme le débat critique dans le domaine scientifique, sont inachevés ; à supposer que les discussions et polémiques qui ont eu lieu puissent en tenir le rôle légitime et suffisant.
a. Il n’y a pas, encore, de consensus scientifique sur « le sens et la portée » démocratique de l’opinion publique
81Dans les années 1970, Pierre Bourdieu soutenait, dans un article resté célèbre, que « l’opinion publique n’existe pas », qu’il s’agissait d’un faux concept scientifique. Pour que la somme des opinions privées – individuelles – se transforme en opinion publique collective, encore faut-il un débat démocratique suffisant. Or, dans la technique des sondages, il n’y a rien qui rappelle un débat démocratique. La question, en amont, et l’interprétation, en aval, sont réservées à un cercle étroit d’organismes et de spécialistes55. Entre les deux étapes, l’échantillon est interrogé discrètement et rapidement. Bourdieu disait, sévèrement, que le sondage pose une question que les gens ne se posaient pas, qu’il demande une opinion qu’ils n’ont pas forcément, sur la base d’une information dont ils ne disposent pas, et surtout, il suppose que toutes les opinions se valent socialement, ce qu’il rejette.
82De nos jours, P. Champagne, disciple de Bourdieu, est obligé de reconnaître que les choses ont changé depuis les années 1970. L’opinion publique, cela existe au moins comme un mythe-réel ; une « représentation collective » selon laquelle l’opinion est « révélée » par les sondages. Comme tous les grands mythes de l’histoire, celui-ci fonderait-il de nos jours un nouveau système de gouvernement ? Et, surtout, le « gouvernement de l’opinion, par l’opinion et pour l’opinion »... est-il conforme aux critères qui définissent « en droit » le « corps politique » souverain ? Rien n’est moins sûr, comme nous le constatons progressivement. En tout cas, tous les auteurs réputés, politologues et sociologues, notamment, qui ont cherché à analyser le mode de fonctionnement de l’opinion publique sondagière, débouchent sur des conclusions critiques ou – du moins – réservées. C’est, bien sûr, le cas de Bourdieu, chef de file et de P. Champagne, mais aussi de L. Blondiaux, D. Gaxie, B. Lacroix, B. Manin. F. Bon, A. Max, D. Reynie, j. Leca et la plupart de ceux qui figurent dans notre bibliographie.
83Par contre, un certain nombre de « spécialistes des sondages » et, aussi, quelques universitaires, mais impliqués dans les fonctions médiatiques ou commerciales des sondages, prennent souvent des positions favorables : les sondages sont, pour eux, des affinements de la technologie représentative. Ils n’ont aucune réserve de principe quant à l’impératif démocratique. J-L. Parodi, A. Lancelot, J. Jaffré et R. Cayrol, se sont le plus souvent exprimés en ce sens.
b. Il n ’y a pas eu, non plus, de véritable débat politique sur les limites de la légitimité démocratique des sondages
84La classe politique institutionnelle et partisane avait d’abord essayé de résister face à ce grignotage de leur monopole représentatif de la souveraineté. Puis, relativement rapidement, elle s’est « rendue » au fait accompli et en constante progression. Les « sondocrates » des différents « instituts », les « doxosophes » (P. Bourdieu) universitaires et autres journalistes ont largement pris la place parmi les interprètes de la volonté souveraine. Or, ce débat autour des sondages face aux principes démocratiques est fort complexe. D’un côté, il y a le problème de la représentativité politique des sondages, tels qu’en eux-mêmes. De l’autre, il y a le problème de l’influence qu’ils exercent sur les élections. Or, la science n’a pas encore de réponse assurée à cette question. Y a-t-il un réflexe dominant, qui pousserait à prendre le train de la victoire ? Ou, au contraire, à courir au secours de la minorité ? À moins que ce jeu prévisionnel soit à somme nulle, les deux tendances s’annihilant l’une l’autre, comme on a tendance à le croire de nos jours à propos de l’impact télévisuel.
2. L’opinion publique échappe largement au droit, comme elle échappe à l’analyse scientifique
85La souveraineté est essentiellement un « pouvoir de droit » (Lafferrière). Cela implique, au moins, concrètement, qu’elle soit attribuée par le droit, de façon « originaire » ou fondatrice ; puis, aussi, qu’elle s’exerce conformément à ce droit (« principes démocratiques ») et à son esprit (« l’esprit de la Constitution »). Or, en général, l’opinion publique n’est pas une référence constitutionnelle. Seuls certains aspects très particuliers des sondages sont régis par la loi.
a. Le droit constitutionnel ignore l’opinion publique
86Le terme ne figure jamais dans le texte constitutionnel ; ni dans les travaux préparatoires, en amont ; pas plus que dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en aval. Seule la doctrine y fait référence (L. Favoreu, D. Rousseau, par exemple), sans que jamais aucune analyse en profondeur ne soit venue légitimer théoriquement, c’est-à-dire scientifiquement, cette référence. À la fois politiquement, du point de vue de la légitimité démocratique, et juridiquement, du point de vue de la compatibilité avec des exigences constitutionnelles. Il est difficile d’imaginer que « les conditions essentielles d’exercice » de la souveraineté puissent se situer hors du champ juridique. Or, c’est le cas de l’opinion publique, surtout si on fait la comparaison avec le Code des élections, dont les principes fondateurs sont toujours fixés dans la Constitution. Même en France où, par un consensus historique des principaux acteurs, le mode de scrutin relève de la loi « ordinaire » permettant des réformes plus souples, mais toujours par l’accord entre « les intéressés » principaux. C’est une condition primordiale de la démocratie : la règle du jeu doit être connue d’avance. Il ne suffit pas qu’elle soit, seulement, formellement consacrée et concrètement accessible ; encore faut-il qu’elle soit intellectuellement transparente, quant à son sens suffisamment « clair » et non point « ambigu », pour reprendre les adjectifs de la décision du Conseil constitutionnel de 1960 sur le regroupement national.
b. Seuls certains aspects des sondages sont saisis par le droit
87Le droit de la presse (écrite, radiodiffusée, télévisée, voire internet), ainsi que le régime des manifestations publiques participent de la mise en forme juridique des différents aspects de l’opinion publique. Mais les sondages focalisent leurs manifestations, éclatées dans le temps comme dans l’espace social et thématique. C’est pourquoi les sondages peuvent être considérés comme un mode d’expression, voire de fabrication56, privilégié de l’opinion.
88Or, le seul texte législatif qui concerne les sondages, la loi du 29 juillet 1977, ne vise que les sondages électoraux et, plus particulièrement, l’interdiction de leur publication pendant la semaine précédent le scrutin57. Une autorité administrative indépendante, la Commission des sondages, en a résulté. Grâce à sa jurisprudence, une certaine fiabilité technique et morale a pu être obtenue sur le plan déontologique. Il n’en reste pas moins vrai que la loi de 1977 n’a même pas donné une définition du sondage (encore moins du sondage politique), ni précisé son exigence démocratique quant aux « principes d’objectivité et de qualité », simplement énoncés58. La proposition de la modification de la loi de 1977, soumise au Parlement récemment par L. Fabius et D. Mathius ne change pas fondamentalement les choses, à cet égard. On constate en fin de compte que dans l’état actuel de son mode de fonctionnement le « gouvernement d’opinion » ne satisfait pas aux « conditions essentielles d’exercice » de la souveraineté, ni juridiquement, ni politiquement.
89Faisons un mauvais rêve !
90Un jour, insensiblement et sur la lancée de quelques dynamiques ambiantes, l’opinion publique se substitue franchement au peuple électoral. De par l’effet du fait accompli, elle est assimilée alors à « l’expression directe du souverain », tout comme le référendum et à ce titre soustraite à tout contrôle juridictionnel ; ceci après avoir échappé, depuis quelques décades, déjà, au contrôle politique en bonne et due forme...
91Il n’empêche : le fait de l’épuisement de la démocratie électorale et de la montée en puissance de l’opinion publique demeure, avec toutes les ambiguïtés menaçantes que nous avons tenté de saisir au nom de la vigilance théorique et démocratique.
Notes de bas de page
1 Par l’Union européenne, notamment (sinon par toute une série d’instances de la Communauté internationale), qui implique des « limitations », voire des « transferts » de souveraineté.
2 Par des collectivités internes, juridiques ou sociologiques, qui bénéficient ou réclament des statuts d’autonomie, fédérés ou de « co-souveraineté » et qui « grignotent », plus ou moins intensément, sur les régimes antérieurs de la souveraineté « pleine et entière ». Les exemples n’en manquent pas ni à l’Est (les « sujets » de la Fédération de Russie, les Républiques fédérées de la deuxième et troisième Yougoslavie), ni à l’Ouest (en France, notamment, avec le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie et autres évolutions – corse et similaires).
3 J. Monod, A. Magoudi, Manifeste pour une Europe souveraine, Paris, O. Jacob, 1999.
4 Qui ne s’épanouissent que dans les « sociétés globales », relativement intégrées, que sont les États, avec des valeurs communes et « la volonté de vivre ensemble », à la base du consensus fondateur.
5 Car elle est censée se passer des « représentants » intermédiaires.
6 Fonctionnant au coup par coup, selon le thème du jour.
7 Grâce aux sondages hebdomadaires, sinon plus.
8 Ou, aussi, « principes de la souveraineté nationale », comme dans la décision sur l’interruption volontaire de grossesse du 15 janvier 1975 ou dans celle relative au regroupement national du 23 décembre 1960.
9 Dans la décision sur la loi référendaire du 6 novembre 1962.
10 Formule utilisée notamment dans les décisions du 19 juin 1970, 22 mai 1985 et 9 avril 1992 (Maastrischt).
11 II s’agit des décisions Regroupement national (23 décembre 1960), Loi référendaire (6 novembre 1962), Liberté d’association (16 juillet 1971), IVG (15 janvier 1975), Loi de nationalisation (16 janvier, 11 février 1982), Entreprises de presse (10 et 11 octobre 1984), Découpage électoral (1-2 juillet et 18 novembre 1986), Maastrischt I, II, III (9 avril, 2 et 23 septembre 1992).
12 L’idée a ouvert une sorte de voie de capillarité, en France, du moins, depuis l’affaire de la Nouvelle-Calédonie.
13 Cf. supra, B.
14 L’instabilité des institutions, même constitutionnelles, par des réformes accélérées et les pulsions hégémoniques du normativisme juridique ; le discrédit de la classe politique, des « représentants de la nation », alias peuple, à la fois moralement « corrompus » et politiquement peu « représentatifs » ; l’affadissement du discours politique, de moins en moins concurrentiel et de plus en plus conformiste, débouchant sur « la pensée unique », c’est-à-dire une langue de bois. Sans parler ici du droit politique (L. Duguit) que nous aborderons plus loin.
15 Que nous examinerons dès le B.
16 Et aussi « les procédures plus universelles », selon la formule de Max Weber qui se référait au génie de la médiation juridique, tout aussi nécessaire en démocratie que la médiation politique.
17 Au sens d’entité sociale pensée à travers un concept sociologique.
18 Car, en tant qu’individu, il ne représente pas « sa » circonscription, mais en tant que corps, les élus – collectivement – représentent ensemble la nation ou le peuple.
19 Ce qui n’exclut pas la possibilité des dominantes sociologiques de certaines institutions politiques. Le PCF se présente traditionnellement comme « le parti de la classe ouvrière ». En réalité, la rétrospective nous révèle que le vote structurel de la classe ouvrière était essentiellement ternaire. Un tiers important votait pour le PCF, un tiers plus faible pour le PS, quelle qu’en fût l’appellation historique et le plus faible tiers se fixait sur les partis de droite, de droite extrême, voire d’extrême droite !
20 Nous décrivons ici le noyau dur du système de pouvoir démocratique. Il va de soi qu’en périphérie du système, il existe des acteurs à profil plutôt sociologique qui cherchent à influencer le pouvoir politique souverain. C’est le cas de tous les groupes de pression ou lobbies... qui ne relèvent pas du suffrage universel, ni des institutions politiques. C’est aussi le cas des diverses entités, communautés, minorités sociologiques qui émergent aujourd’hui dans l’espace public avec des velléités politiques, comme les femmes, par exemple, avec les revendications paritaires. D’une façon générale, le système démocratique évolue et les processus de politisation et de dépolitisation de certains acteurs l’accompagnent inévitablement. C’est cela, la logique ou le travail d’« intégration politique ».
21 En « périphérie » du système, par opposition au « centre », et en attendant l’intégration politique postulée.
22 Décision n° 82-146 DC. 18-XI-1982.
23 Le caractère national de la souveraineté du peuple limite le droit électoral aux institutions de la République française. L’élection des députés européens est exclue du cadre politique par excellence de la souveraineté nationale qu’est le cadre étatique. (CC, 76/71 DC, 29/30-XII- 1976).
24 Qui exprime une puissance légitime en amont et qui la protège en aval.
25 Alors que l’inverse n’est pas forcément vrai. Nous avons soutenu, par ailleurs, cette thèse avec l’argumentaire complexe qu’elle implique.
26 Dans l’histoire, ce fut d’abord l’État moderne, entre le xvie et le xviiie siècle, disons, qui s’est imposé par l’effectivité de sa puissance, avant que celle-ci ne génère sa légitimité (au nom du réalisme politique et de l’idéalisme monarchique, peu importe). Le droit a enregistré et validé une situation de fait ; l’État, alias monarque, n’avait pas d’égal à l’intérieur du royaume, ni de supérieur à l’extérieur.
27 On a connu des États de droit libéraux, grâce aux « régimes représentatifs », avant le suffrage universel et l’idéologie citoyenne. Mais on ne connaît pas de démocratie qui ne soit pas un État de droit authentique, c’est-à-dire efficace, car le droit y exprime une légitimité partagée et, donc, d’autant plus spontanément assumée ! La « peur du gendarme » y joue, peut-être, moins que « le mystère... d’adhésion civique » (B. de Jouvenel).
28 La légitimité démocratique s’affirme comme complexe : à la fois politique (par l’élection) et juridique (par la Constitution ou la norme en général). Mais les deux paramètres sont intimement liés, interactifs et synergétiques. L’élection est d’autant plus porteuse qu’elle est conforme à la lettre et à l’esprit de la norme qui l’organise. De son côté, la norme constitutionnelle est le résultat d’un acte de vote constituant, dont la qualité et l’ampleur ne sont pas indifférents au destin de la norme.
29 URSS, 1977.
30 L’incontestabilité de la loi référendaire du 06-XI-1962.
31 La promotion juridique et politique du référendum en font partie.
32 Au sens des élites démocratiques, représentatives des différents pluralismes politiques, avec des statuts conformes aux valeurs et procédures démocratiques.
33 « De société », avant ou à côté des problèmes politiques.
34 Presses écrite, radiodiffusée ou télévisée, mais, aussi, manifestations diverses, de rue ou pétitionnaires...
35 Pierre Bourdieu écrira, dans les années 1970, son article célèbre : « L’opinion publique n’existe pas ». Il n’y a pas encore une définition scientifique – consensuelle – de l’opinion publique. Beaucoup, parmi les auteurs qui cherchent à penser le phénomène, sont critiques et finissent par « chuter » sur l’idée du mythe. Souvent ils avancent qu’il s’agit d’une « représentation collective » révélée par les sondages ! Encore que les sondages ne révèlent qu’une somme amalgamée des représentations individuelles juxtaposées. Seul un débat démocratique aurait pu déboucher sur une « représentation collective ».
36 Que l’on pourrait qualifier d’« actualisme », d’« instantanéïsme », pour éviter le terme « journalisme », qui serait, pourtant, étymologiquement le plus adapté.
37 Préambule de la Constitution de 1958.
38 Préambule de la Constitution de 1946.
39 Les faits prétendument « bruts », « objectifs », « neutres » ne sont que les idées plus ou moins masquées, mais nécessairement impliquées par les faits ; tout autant que des valeurs ou des intérêts.
40 Celui qui traduit en langage politique commun, et en termes d’idées, les différents enjeux des acteurs.
41 À travers « le rapport qualité-prix », c’est-à-dire le rapport entre la finalité et les moyens mis en œuvre.
42 CC, DC 76-71 du 29 et 30-XII-1976. Car, la souveraineté de l’article 3 « tant dans son fondement que dans son exercice ne peut être que nationale et seuls peuvent être regardés comme participant à l’exercice de cette souveraineté les représentants du peuple français élus dans le cadre des institutions de la République ». Exit les députés européens.
43 R. Badinter, D. Rousseau, L. Favoreu, M. Turpin et beaucoup d’autres constitutionnalistes sont dans ce cas.
44 Voir Le Monde du 1er septembre 2000, « Communes du passé, communautés d’avenir. État résiduel », par F. Grosrichard.
45 Qui s’épanouit en démocratie représentative sous diverses formes : partisanes, institutionnelles, et d’une façon générale, avec le jeu des contre-pouvoirs.
46 226 DC.
47 Dans la mesure où « les associés-rivaux » (R. Aron) se reconnaissent mutuellement la légitimité, sur la base du respect de la même règle du jeu électoral, mais surtout consécutivement à un débat conforme aux exigences démocratiques.
48 Qui, historiquement, a d’abord essayé de résister aux sondages et à la prégnance de l’opinion dont ils sont les promoteurs, avant de « se rendre », en essayant de récupérer le nouveau sens du mouvement.
49 Pour le moins, les politiques n’ont pas le monopole, ni même la majeure partie des initiatives de l’interrogation du public. Ils ne les ont pas davantage au niveau des interprétations que les « doxosophes » (selon P. Bourdieu), journalistes, et divers autres spécialistes (scientifiques ou techniques).
50 Articles 2, 3 et 4, notamment.
51 Maastricht I, II, III, des 9-IV et 2 et 23-IX-1992.
52 Depuis 1964, notamment, en France.
53 Dans beaucoup de pays démocratiques avancés, les principales règles relatives aux modes de scrutin sont, elles-aussi, constitutionnalisées.
54 Dans sa décision sur le regroupement national du 23-XII-1960.
55 Les fameux « doxosophes » selon P. Bourdieu.
56 Pour tous ses critiques, et ils sont nombreux.
57 Ainsi, le livre d’A. Lazareff qui annonce dans son titre Le droit des sondages électoraux ne traite, en fait, que de la loi de 1977, faute du reste ! Voir aussi : O. Schrameck et X. Delcros, « La commission des sondages, un garant fragile de la démocratie », L’Actualité juridique, Droit administratif, 20 juillet 1988, p. 386 ; P. Crouzet, « La jurisprudence de la commission des sondages », Pouvoirs, n° 33, 1985, p. 57 ; O. Duhamel, « Les mises au point de la Commission des sondages », Pouvoirs, n° 3, 1985, p. 71 ; G. Courtois, C. Monnot, « La législation sur les sondages électoraux est de plus en plus contestée », Le Monde, 26 mai 1997, p. 6 ; G. Courtois, « Le tribunal de Paris invite le gouvernement à libéraliser la loi sur les sondages », Le Monde, 18 décembre 1998, p. 7 ; « Le Conseil État va se prononcer sur la loi sur les sondages », Le Monde, 31 mai 1999, p. 8 ; « La réforme de la législation à nouveau à l’ordre du jour », Le Monde, 4 août 1999, p. 5.
58 Seul un décret du 16 mai 1980 tend à en préciser la portée, plus technique que politique d’ailleurs. On s’intéresse aux faiblesses de l’échantillon, à la formulation des questions, à la formation des enquêteurs, à la sincérité des résultats, etc. Mais on ne s’intéresse pas sur le point de savoir comment, où, par qui et pourquoi est fait le choix de la question-facteur déterminant du processus ! Résulte-t-il d’un débat public et contradictoire, conforme aux exigences du pluralisme ? On ne s’intéresse pas, non plus, au sort des réponses minoritaires et des « sans réponses ». Beaucoup d’autres questionnements relèvent de la notion des « principes démocratiques », si fondamentale dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Auteur
Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV ; Directeur du Centre d’études et de recherches sur les Balkans.
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