Chapitre 7. L’immobilier, une activité sociospatiale (I)
Mobiliser des capitaux pour exercer l’activité immobilière
p. 243-276
Texte intégral
1Nous l’avons évoqué dans les précédents chapitres, la coexistence sur les marchés immobiliers, et particulièrement sur les marchés résidentiels, de promoteurs « professionnels » et « amateurs » qui se distinguent a priori par les types de projets immobiliers qu’ils mettent en œuvre et en fonction des stratégies commerciales qu’ils élaborent. Nous avons par ailleurs démontré que l’émergence de nouveaux espaces de vie en périphérie génère une réorganisation des dynamiques socio-économiques et des pratiques habitantes qui s’appuie sur de nouveaux rapports entre les habitants et leurs territoires.
2Un certain nombre de questions restent, à ce stade de l’analyse, en suspens. Comment les différents acteurs immobiliers, du promoteur professionnel à l’acheteur individuel, s’accommodent-ils du manque d’informations sur l’état et l’évolution des marchés, ou encore du manque de formalisation de l’activité immobilière ? Il paraît ici indispensable de caractériser de manière précise la structure des marchés immobiliers, qui déterminent les comportements des acteurs, les choix économiques, et ainsi le système de production de l’espace à Phnom Penh. Ces pratiques immobilières sont conditionnées par la capacité des acteurs immobiliers à répondre à l’opacité de l’environnement économique et à un certain nombre d’incertitudes liées à la production et au commerce de biens immobiliers. Les différents acteurs intervenant sur le marché du logement de Phnom Penh peuvent ainsi être distingués en fonction des ressources dont ils disposent et des stratégies qu’ils déploient pour accomplir leurs objectifs. De l’habitant au promoteur professionnel, les situations varient, même si certaines analogies sont possibles, notamment car les acteurs immobiliers subissent souvent les mêmes contraintes, sans pour autant disposer des ressources égales pour les dépasser.
Le champ de la production immobilière à Phnom Penh : opacité des marchés et rationalité des stratégies d’acteurs
3À Phnom Penh, la réorganisation de la planification urbaine se fait dans un cadre urbanistique et juridique encore flou (voir les chapitres 1 et 4). En conséquence, les informations relatives à l’évolution des prix immobiliers, au volume et à la nature des transactions immobilières font largement défaut. Par ailleurs, les marchés immobiliers, et particulièrement les marchés résidentiels, restent peu financiarisés, ce qui traduit l’importance des pratiques familiales dans cette activité1.
4L’autofinancement ou la sollicitation de la sphère familiale s’avère ainsi être les principales ressources des ménages emprunteurs2 (tableau 15), qui peuvent aussi recourir à un micro-crédit auprès d’une organisation non gouvernementale ou auprès d’un prêteur privé, ces derniers pratiquant des taux d’intérêt bien souvent très supérieurs à ceux des banques3. Si la plupart des grandes banques implantées au Cambodge investissent des capitaux dans le secteur immobilier, ou développent des activités de promotion, il n’existe pas encore de banques réellement spécialisées dans le prêt aux particuliers pour l’achat d’un bien résidentiel. La multiplication des agences immobilières dans la capitale depuis la première moitié des années 2000 permet de constater cependant une formalisation croissante du marché immobilier4. Pourtant, d’après nos observations, une proportion importante de ces agences n’est pas réellement spécialisée dans le commerce de biens immobiliers. Elles pratiquent l’activité immobilière en parallèle à d’autres activités de courtage et interviennent sur le marché au gré des occasions, sans forcément s’y limiter sur le moyen ou le long terme.
Tableau 15. Un très faible recours à l’emprunt pour l’achat d’un bien immobilier à Phnom Penh
Question posée lors des entretiens : avez-vous souscrit un emprunt pour l’achat ou la construction de votre logement actuel ? | Répartitions des réponses (%) |
Non | 90 |
Oui | 10 |
Si oui, auprès de qui ? | |
De ma famille | 63 |
De la banque | 32 |
D’un usurier | 5 |
Source : enquêtes réalisées en 2009 (échantillon : 195 réponses).
5Néanmoins, il existe des agences immobilières locales spécialisées, qui s’imposent petit à petit comme des référents en matière de commerce de biens immobiliers, comme Bonna Realty5, Cambodia Property Limited6 et Cambodian Angkor Real Estate7. D’autres, créées plus récemment, deviennent à leur tour des agences immobilières de plus en plus reconnues8. La professionnalisation accrue de ces acteurs se traduit notamment par l’émergence d’associations professionnelles, comme la Cambodian Valuers and Estate Agents Association9, qui réunit les principaux acteurs immobiliers cambodgiens, ou la Cambodia Construction Association. En outre, l’arrivée sur le marché de compagnies internationales réputées comme CBRE10 et Knight Franck11, ou régionales comme DFDL Mékong12, participe de la professionnalisation du secteur immobilier. Ces compagnies cambodgiennes et étrangères collaborent par ailleurs de manière accrue, notamment par l’intermédiaire d’associations professionnelles régionales ou internationales13. Ces intermédiaires sont consultés par les banques et les institutions pour diverses évaluations. En effet, les institutions d’État, comme la municipalité de Phnom Penh et le ministère de l’Aménagement par exemple, ne sont pas en mesure de caractériser avec précision l’état du marché immobilier dans la capitale14. À Phnom Penh, les compagnies Bonna Realty, Cambodia Property Limited et Cambodian Angkor Real Estate sont souvent sollicitées par les administrations, notamment pour établir les montants de la taxe foncière récemment mise en place.
6De manière générale, l’étude de l’évolution des prix du foncier et du bâti par les institutions locales et les acteurs immobiliers se fonde sur les publications de ces agences immobilières, qui montrent parfois des écarts très importants. Les documents fournissent une photographie générale des prix immobiliers à un moment donné plus qu’ils ne représentent une estimation fiable et précise de ces derniers. La détermination des valeurs immobilières s’appuie sur des évaluations réalisées par des agents immobiliers lors de leur travail de prospection dans les différents quartiers de Phnom Penh15. Ces derniers évaluent le prix des logements en se renseignant, principalement de manière orale, sur le montant des dernières transactions réalisées dans chaque quartier. Si les prix au sein des quatre districts centraux évoluent de manière régulière et sont plus facilement identifiables, ceux des espaces périphériques varient plus fortement16 en fonction des localisations et des propriétaires.
7Les agences immobilières sont loin d’être les interlocuteurs premiers des individus qui souhaitent échanger ou produire des logements ; parmi les ménages périurbains interrogés, peu sont disposés à s’offrir leurs services, n’y voyant souvent pas l’utilité. Sur le total de notre échantillon, aucune personne ne s’est adressée à une agence immobilière pour trouver un logement, ne serait-ce qu’une fois au cours de sa vie. Seulement 2 % ont fait appel à un intermédiaire pour l’achat ou la vente d’un bien immobilier. Ces faits semblent particulièrement probants au sein des espaces périphériques. En effet, près de 80 % des transactions gérées par les agences immobilières à Phnom Penh concernent des biens immobiliers situés au sein des quatre districts centraux17. Ces réalités expliquent la faiblesse des informations disponibles quant à l’état du marché du logement au sein des espaces urbains périphériques et témoignent de la prégnance de modes encore approximatifs et artisanaux d’évaluation des valeurs foncières. Les enjeux de l’acquisition et de la mobilisation d’« informations immobilières18 » (évolution des infrastructures, projets d’aménagement, projets de construction prévus, prix fonciers, etc.) se révèlent ainsi stratégiques pour les acteurs évoluant sur les marchés immobiliers ou souhaitant y prendre part.
8L’opacité des marchés immobiliers est par ailleurs imputable aux déficiences de l’enregistrement et du contrôle des transactions immobilières, ainsi qu’au manque de diffusion des informations économiques et spatiales. L’enregistrement sporadique des propriétés foncières – même si la situation tend à s’améliorer19 – empêche d’avoir une vision claire et globale de l’évolution du marché (état de l’offre et de la demande, prix de l’échange du bâti et du foncier, prix de la construction, etc.) et du patrimoine possédé par les familles20. Les administrations elles-mêmes ont parfois du mal à établir avec exactitude l’ensemble de leur parc immobilier21. Il n’existe pas, à notre connaissance, de documents réunissant et détaillant l’ensemble des propriétés immobilières à Phnom Penh possédées par les différentes institutions étatiques. Ces informations, aux dires de certains fonctionnaires, sont difficilement accessibles, notamment en raison de leur caractère stratégique et parce que chaque administration souhaite les garder pour elle22.
9De même, les chantiers privés ou publics, ainsi que les chantiers de construction d’infrastructures ou de grands projets urbains, n’ont pas l’obligation d’afficher la nature des travaux, les sommes engagées, le nom du propriétaire ou du maître d’ouvrage, ainsi que la référence du permis de construire. Les travaux de réhabilitation ou de rénovation d’un bâtiment ne sont généralement pas réglementés, ou au cas par cas, en fonction des décisions des chefs de commune. Malgré la politique de décentralisation/déconcentration mise en place, les communes et les villages disposent, comme nous l’avons vu (chapitre 6), de peu d’informations sur les futurs aménagements de leur territoire, prévus et mis en œuvre par les échelons supérieurs de la hiérarchie territoriale. Les affichages publics au sein des communes et des villages sont rares et souvent incomplets. Les réunions d’information sur l’aménagement des espaces urbains sont elles aussi sporadiques et les habitants, tout comme les chefs de village, découvrent bien souvent les projets d’aménagement a posteriori23.
10Au sein de ce contexte particulièrement opaque, les mécanismes de formation des prix immobiliers sont difficilement identifiables, en même temps que la nature même des biens entretient les difficultés d’interprétation, et ce particulièrement pour les marchés résidentiels. Rappelons que trois caractéristiques fondamentales des biens immobiliers déterminent leurs valeurs d’usage et d’échange. Tout d’abord, ils sont composés de deux éléments antithétiques : d’une part, le foncier, bien non reproductible et, d’autre part, le bâti qui, lui, est reproductible – bien qu’il reste, dans la majorité des cas, très peu fluide. La formation des prix et les logiques d’échanges sont donc tributaires de cette dualité, qui complexifie les analyses économiques24. Deuxièmement, dans la continuité de cette première caractéristique, un bien immobilier est par nature non fongible (deux biens peuvent présenter des attributs de localisation communs, mais ne peuvent jamais être localisés exactement au même endroit25). Chaque bien immobilier est donc par nature unique et chaque prix correspond aux caractéristiques propres de chaque bien. Troisièmement, le logement n’est pas seulement un bien économique car il comble, pour les individus, un besoin essentiel, celui de se loger, même s’il représente aussi un patrimoine pour les propriétaires. Le logement, en tant qu’élément constitutif de l’habitat et de l’habité (voir le chapitre 5), est alors tributaire de logiques sociales fortes, que les analyses économiques peinent à intégrer dans leurs modèles26.
11Pour ces raisons, l’économie seule explique difficilement les comportements d’acteurs et les logiques de formation des prix, ces derniers s’apparentant à des « valeurs d’opinions27 » conditionnées par la jouissance28 estimée que le bien procure ou procurera, celle-ci pouvant être déterminée, par exemple, par la qualité de l’espace de vie, l’esthétique du logement, son orientation ou encore sa situation. En d’autres mots, l’expression « spéculation immobilière » tient de la tautologie, car les prix immobiliers ne peuvent être, par nature, que spéculatifs. Ils sont en effet tributaires d’une appréciation de la rareté relative du foncier d’une part, et de la valeur du logement d’autre part, qui découle principalement de facteurs d’ordre psychologique. Les marchés immobiliers, et particulièrement ceux résidentiels, sont donc par nature imparfaits29, car les informations attachées à la formation des valeurs immobilières restent parcellaires30, tout en relevant de l’opinion, de la perception et de représentations.
12Ces réalités constituent les fondements structurels de l’opacité des marchés immobiliers et des inégalités d’accès à la ressource immobilière en général. À Phnom Penh plus particulièrement, le manque de données fiables quant aux facteurs déterminant les prix immobiliers renforce cette opacité. Les cartographies de prix présentés par les agences immobilières ne considèrent pas les biens immobiliers (foncier plus bâti), mais seulement le prix du foncier. Ce dernier étant uniquement déterminé à partir du montant des transactions enregistrées par les agences immobilières – que ce soit à partir des transactions auxquelles elles ont pris part, ou à partir des transactions constatées sur le terrain –, il reste très aléatoire et peu modélisable. On sait, par exemple, que la situation près d’un axe de circulation important ou en rez-de-chaussée augmente la valeur du bien. On sait aussi que les prix immobiliers sont plus élevés en centre-ville, et qu’ils décroissent au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. En revanche, on ne sait rien de l’influence de la qualité de la construction, du nombre de pièces, de son orientation, ou encore de son environnement immédiat sur le prix du bâti, sauf pour les projets récents où les caractéristiques des logements correspondent spécifiquement à différentes gammes de prix (qui ne correspondent cependant jamais exactement aux prix réels appliqués lors des transactions). En ce sens, les prix immobiliers tendent à être réduits au résultat de la confrontation théorique en offre et demande, bien qu’aucune donnée fiable ne corrobore ce postulat. Surtout, plusieurs faits nous amènent à le remettre en cause.
13Tout d’abord, les secteurs du centre-ville ont vu leur valeur foncière moyenne continuer d’augmenter (comme dans le reste de l’agglomération), alors qu’ils ont perdu en densité de population, que l’offre de logements a continué de croître, sans que le parc de logements existant ne connaisse d’amélioration substantielle. Ensuite, les prix fonciers affichés par les agences immobilières ne correspondent pas, en périphérie, à ceux pratiqués par les promoteurs au sein des nouveaux projets résidentiels (où la part du prix du bâti dans le total du prix immobilier est beaucoup plus importante qu’ailleurs), qui sont bien supérieurs. Par ailleurs, la croissance des prix fonciers dans les espaces périphériques correspond parfois à des comportements essentiellement spéculatifs qui ne s’appuient pas sur une évaluation précise du rapport entre l’offre et la demande de logements. Enfin, de mêmes difficultés d’analyse apparaissent à l’étude des comportements individuels. Au total, près de 16 % des ménages de notre échantillon a eu, d’une manière ou d’une autre, une approche que la microéconomie qualifierait de « rationnelle », c’est-à-dire que l’agent a cherché à maximiser son investissement en comparant les prix, en évaluant les coûts (transports, travaux, etc.) et en étant attentif à l’évolution du marché.
14Le manque de transparence, la faiblesse présupposée de la rationalité des agents, ainsi que le manque de structures formelles ou normées du marché immobilier remettent en cause la pertinence d’une approche purement économique. En s’intéressant à l’organisation du marché foncier à Nouakchott en Mauritanie, Armelle Choplin évoque à ce titre un « secteur informel “rationalisé”31 », au sein duquel les comportements individuels et collectifs sont conditionnés par le respect de différentes normes et lois qui renvoient à des logiques sociales et sociétales locales. Puisque l’approche du fait immobilier par la géographie sociale implique de considérer à la fois les facteurs économiques, sociaux, culturels et spatiaux qui structurent les marchés, mais aussi les choix individuels et collectifs qui les organisent, ce n’est pas tant la rationalité des choix économiques qu’il faut interroger, mais plutôt les logiques qui déterminent les choix et réalisations des acteurs32. En d’autres termes, à la rationalité économique se substituerait un principe de « cohérence des pratiques », qui permettrait d’élargir le champ d’interprétation des choix individuels et collectifs. Une des questions qui se pose alors est la suivante : comment déterminer les facteurs qui conduisent, tant du point de vue des individus, des familles, des groupes d’individus et d’une société, à cette cohérence des actions qui organiserait la production et le commerce de biens immobiliers ?
15Quitter l’analyse purement économique des dynamiques immobilières paraît indispensable au regard des problèmes soulevés. Cela nous permettra de comprendre dans quelles mesures « ce ne sont pas les prix qui font tout, [mais] c’est le tout qui fait les prix33 », en cherchant à identifier les différents facteurs qui structurent les pratiques immobilières et, finalement, la production de la ville :
Se situer dans le rapport social du marché des terrains c’est prendre la croissance urbaine, sa transformation morphologique dans son mode effectif de réalisation, c’est replacer les décisions des ménages, des entrepreneurs, des propriétaires fonciers dans un cadre réel, c’est considérer la ville dès le départ comme fait social concret34.
16À Phnom Penh, l’accélération de la production et de l’échange de biens immobiliers au cours des années 1990 a suscité un véritable engouement collectif, non seulement pour les acteurs spécialisés dans cette activité, mais aussi pour un très grand nombre de citadins. La réintroduction de la propriété privée a représenté une rupture majeure avec l’urbicide de 1975-1979 et le collectivisme des années 1979-1989. En plus de combler un besoin essentiel des individus (celui de se loger), les perspectives d’enrichissement ont participé à ce que l’immobilier revête une dimension collective très forte. Partout dans la capitale, la thématique foncière et le logement sont devenus des sujets de conversation courants, que ce soit à la maison, dans les espaces publics, les administrations ou les entreprises.
17L’utilisation d’un vocabulaire propre au champ immobilier est par ailleurs attestée à Phnom Penh. Les termes real estate, city house ou condominium par exemple, orthographiés en khmer, utilisés par les acteurs immobiliers et de plus en plus par les habitants (particulièrement la jeune génération), témoignent de l’émergence contemporaine d’un champ lexical spécifique. L’origine de ce métissage linguistique est sûrement à chercher du côté de l’accélération de la demande de biens immobiliers au début des années 1990 avec l’arrivée massive de communautés étrangères et l’emploi croissant de la langue anglaise, dans un contexte d’échanges interculturels aussi soudains qu’importants. De même, certaines expressions khmères, utilisées auparavant de manière péjorative, désignent aujourd’hui, souvent de manière positive, des activités propres au secteur immobilier. Par exemple, l’expression « mangeur de terres », jeu de mots désignant négativement les individus accaparant des terrains, a évolué, au cours des dix dernières années, en « mangeur-commerçant de terres », qui renvoie aux personnes pratiquant des activités de courtage et de promotion dans le secteur immobilier35. Être un « mangeur-commerçant de terres » signifie aujourd’hui avoir réussi dans ce secteur d’activité et évoque un certain professionnalisme. Ce jeu de mots est repris dans différents médias et notamment à la télévision. Il illustre l’univers linguistique qui structure le champ de la production immobilière, ce dernier étant particulièrement attaché au monde citadin, et plus spécifiquement à Phnom Penh36.
18La pratique de l’activité immobilière suppose par ailleurs de disposer de compétences spécifiques, qui se construisent autour de l’accès à différentes ressources (économiques, mais aussi sociales, culturelles, symboliques et, comme nous le verrons, spatiales) et autour de savoir-faire (comme savoir négocier, convaincre, ou encore dénicher les bonnes affaires). Les capitaux et ressources détenus par les individus déterminent fortement leur position hiérarchique dans le champ de la production immobilière, mais surtout leur capacité à pouvoir évoluer et occuper une position de domination. En effet, le commerce de biens-logements induit des relations d’acteurs spécifiques, mues par des rapports de pouvoir. Les très nombreux conflits liés au commerce de terres ou à la gestion collective des espaces bâtis, et les manières de gérer ces litiges, en témoignent. Ils sont propres au secteur immobilier tout en cristallisant des rapports sociaux conflictuels ayant une portée sociale beaucoup plus large37. Le secteur immobilier à Phnom Penh peut ainsi être considéré comme un « champ » particulier, c’est-à-dire comme un espace socio-économique créé et organisé par des individus qui y sont distribués hiérarchiquement, et dont la position est déterminée, d’une part, par certaines particularités du champ et, d’autre part, par les capitaux économiques, sociaux, culturels et symboliques dont ils disposent38. Le champ immobilier doit donc aussi être perçu comme un espace de lutte et de domination, où chaque acteur cherche à défendre ses intérêts, ou encore à atteindre une position hiérarchique supérieure.
19Cependant, nous ne souhaitons pas proposer ici une analyse structurale cloisonnée. Les nouveaux déterminants socioculturels liés à l’évolution de la société cambodgienne contemporaine tout comme les transformations des rapports sociospatiaux nécessitent bien souvent un changement d’échelle d’analyse et des approches par les individus ou les acteurs39, qui présentent l’avantage de ne pas enfermer les décisions et stratégies individuelles au sein de schèmes de pensée parfois trop déterministes. Parce que l’immobilier concerne peu ou prou, directement ou indirectement, l’ensemble des citadins, elle s’apparente aussi à une activité du « quotidien [qui] s’invente avec mille manières de braconner40 ». L’immobilier est autant tributaire d’une organisation sociale, culturelle et économique localisée dans l’espace et le temps, qui autorise analogies et classements, que d’actions individuelles qui défient bien souvent toute structure d’interprétation rationaliste.
20Mais si le jeu des relations socio-économiques apparaît bien balisé par les recherches en sciences sociales, leurs relations avec le territoire, tout comme le rôle des territoires dans la structuration des rapports entre acteurs, apparaissent bien moins considérés. Pourtant, ce sont effectivement les pratiques et représentations sociospatiales qui forment le substrat indispensable à un système de production d’espaces. Si le commerce de biens immobiliers s’apparente à une activité collective, tous les acteurs immobiliers ne peuvent être confondus. Entre l’investisseur habitant qui achète une propriété pour y vivre et l’investisseur à répétition, les stratégies, objectifs et moyens apparaissent multiples (tableau 16).
De l’habitant au « mangeur-commerçant de terres » : mobiliser ses capitaux pour accomplir ses stratégies
L’investisseur habitant et l’investisseur-opportuniste : tirer parti de la spéculation immobilière
21Si les informations relatives aux transactions immobilières font partiellement défaut, les enquêtes menées auprès des habitants révèlent le caractère collectif de cette activité. Tout d’abord, près de 70 % des personnes interrogées sont propriétaires de leur logement et un peu plus de 30 % de ces propriétaires possèdent un autre bien à Phnom Penh ou au Cambodge. Ensuite, plus de 90 % des propriétaires ont effectué au moins une transaction immobilière autre que celle qui a concerné l’acquisition de leur actuel logement au cours des cinq dernières années. Enfin, sur le total de notre échantillon, près de 50 % des personnes interrogées ont réalisé au moins deux transactions immobilières au cours des cinq dernières années.
22L’augmentation rapide des prix immobiliers à partir du début des années 2000, jusqu’en 2008-2009, a fortement incité les habitants de Phnom Penh à mettre en œuvre des stratégies immobilières. Ce qui s’apparente parfois à une véritable frénésie immobilière collective relève de deux dynamiques antagonistes. D’un côté, la croissance des prix immobiliers peut laisser penser que la majeure partie de la population se trouve exclue du marché « formel41 ». D’un autre côté, la spéculation généralisée confère à l’activité immobilière une dimension collective, à partir du moment où la recherche de nouvelles occasions d’investissement concerne une part croissante de propriétaires. Selon nos enquêtes en effet, plus de 90 % des propriétaires se positionnent en tant que possibles vendeurs sur le marché. Le nombre total des transactions immobilières au sein des espaces périphériques est avant tout assuré par des acteurs individuels et des familles, qui achètent un ou plusieurs logements dans le but d’y vivre ou d’y faire vivre leur famille. Si les transactions des moyens et grands investisseurs représentent des volumes financiers très importants et des projets remarquables par leurs tailles, elles engendrent, par la vente de plusieurs milliers de logements, une multitude de transactions immobilières de deuxième niveau assurées par des acheteurs individuels et des familles qui alimentent ainsi un marché résidentiel conséquent, mais généralement non comptabilisé dans les analyses immobilières.
23Il est cependant clair que tous les habitants ne peuvent avoir accès au marché de la même manière et n’ont pas les mêmes capacités d’investissement. De même, vouloir participer au marché immobilier ne signifie pas que les individus se donnent – ou ont – les moyens de leurs ambitions : de nombreux ménages interrogés, qui déclarent vouloir vendre leur logement, disent attendre qu’un acheteur se présente à leur porte. Lorsqu’on les questionne sur le prix de vente estimé du bien, ils se réfèrent aux récentes transactions réalisées par d’autres ménages dans leur quartier. D’autres évaluent la valeur de leur bien en fonction de la plus-value qu’ils espèrent obtenir de la vente. Le désir de tirer des bénéfices du commerce immobilier peut ainsi rester dans l’univers du symbolique et ne pas faire l’objet d’une réelle stratégie économique. La véritable frénésie immobilière des années 2000 a justement permis, par l’accélération de la circulation des informations ayant trait à l’évolution des prix, à la vente des logements et à la construction de nouveaux projets urbains, de rendre cette activité collective. Elle concerne en ce sens, à la fois concrètement et symboliquement, ou indirectement, les protagonistes comme les exclus de la production immobilière.
24Pour de nombreux ménages interrogés, le commerce de biens immobiliers se situe au croisement de stratégies résidentielles et économiques. Ces « investisseurs-habitants » associent à l’échange de biens immobiliers un changement de lieu d’habitation. La vente de leur précédent logement leur permet de tirer une plus-value immobilière, tandis que le choix du nouveau lieu d’emménagement correspond à la fois à la volonté d’acheter un bien immobilier à un « bon » prix, tout en investissant un espace qu’ils considèrent comme meilleur (voir le chapitre 5).
25Ces investisseurs-habitants peuvent avoir réalisé une seule transaction immobilière au cours de leur vie, ou de multiples transactions, en fonction des capitaux dont ils disposaient et des occasions qui se sont présentées. Certains ont ainsi changé de logement de nombreuses fois et présentent une expérience résidentielle très riche :
Je suis né à Kandal. En 1975, je suis envoyé ailleurs par les Khmers rouges, mais je retrouve ma terre à Kandal en 1979, lorsque je reviens. En 1982, je pars habiter pour la première fois à Phnom Penh. Je ne connaissais personne, mais j’ai entendu dire que l’on pouvait prendre des propriétés comme ça, gratuitement. J’ai chargé quelqu’un de s’occuper de ma terre à Kandal et je suis parti à Phnom Penh. Je suis arrivé par la grande route de Teuk Tla, et j’ai vu qu’il y avait des propriétés disponibles, alors j’en ai pris une. Au début des années 2000, j’ai acheté une terre à Phnom Penh Thmey et j’attends pour la vendre que quelqu’un vienne l’acheter. En 2005, j’ai revendu ma première terre de Teuk Tla, et j’ai acheté celle sur laquelle j’habite aujourd’hui42.
26Parallèlement à ces investisseurs-habitants, qui associent investissement et changement de logement, il existe des « investisseurs-opportunistes », qui tirent parti de l’achat et de la vente de biens immobiliers en se spécialisant peu à peu dans cette activité :
Je suis né à Kampong Speu. En 1960, je finis le lycée à Kampong Speu, et je vais habiter avec de la famille à Phnom Penh pour continuer mes études. En 1967- 1968, je déménage vers l’aéroport, car j’achète une terre et je construis une maison là-bas. En 1975, les Khmers rouges m’envoient à Battambang. En 1979, je reviens à Kampong Speu, dans ma terre natale. À la fin de l’année 1979, je repars à Phnom Penh, car j’avais entendu que les Vietnamiens cherchaient des gens qualifiés. Lorsque j’arrive, le gouvernement me permet d’habiter près du marché Chah, près de là où je travaille pour l’administration. Je ne suis même pas retourné voir mon ancienne maison près de l’aéroport, je ne sais toujours pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui. En 1982-1983, je pars habiter une villa dans le sud de la ville, vers Tuol Tumpong. En 1992, je revends ma précédente villa et j’en rachète une dans le centre, vers Boeung Keng Kang. Vers fin 1992, j’achète une autre villa à Boeung Keng Kang et je la loue à des personnels de l’Apronuc. En 1993, je vends la villa où j’habite à Boeung Keng Kang et j’achète une villa à Tuol Kork, où je pars habiter. En 2006, je mets ma maison de Tuol Kork en location et je pars habiter ici. Avec l’argent des différentes locations, j’ai pu acheter trois maisons pour mes enfants dans ce quartier. J’aimerais bien continuer à acheter et vendre, j’aime bien cela, mais le marché n’est plus pareil qu’avant43.
Je suis née à Kampot. Je suis arrivée à Phnom Penh pour la première fois en 2006. Mon fils était parti il y a quelques années à Phnom Penh pour étudier et j’ai décidé de le rejoindre. Mon mari travaille à la banque Acleda44 de Prey Veng. À Phnom Penh, j’habite entre Prey Veng et Kampot, alors c’est plus pratique. […] Ma terre de Kampot est à louer, et des membres de ma famille s’occupent de la ferme de cochons que j’ai là-bas. Je préfère Phnom Penh à Kampot, car il y a plus d’activités. Aujourd’hui, je m’occupe principalement d’acheter et de vendre des terrains. Le premier terrain que j’ai acheté à Phnom Penh, c’était en 2004. Il se trouve à Choam Chao. Le frère de mon mari travaillait à cette époque dans une entreprise de bâtiment et il a dit à mon mari qu’il y avait des terrains disponibles pas chers près de là où il travaillait à Chom Chao. Le dernier terrain que j’ai acheté, c’est en 2008, à 7 km de Phnom Penh. […] Entre 2004 et 2008, j’ai dû acheter et vendre près de 10 terrains. […] Je n’ai jamais emprunté d’argent à la banque. La ferme à Kampot m’a toujours permis d’avoir de l’argent pour acheter les terrains et la vente d’un terrain me permettait toujours d’en acheter un autre. […] Je préfère acheter en dehors de Phnom Penh. Les chefs de commune demandent beaucoup trop d’argent à Phnom Penh, et puis il faut être connecté, connaître des gens… C’est plus difficile d’investir45.
27Le premier de ces deux récits montre que certains individus ont réussi à tirer parti de la réorganisation du marché immobilier après 1979. Le deuxième illustre le rôle d’une « bourgeoisie » provinciale qui vient habiter à Phnom Penh principalement dans le but de participer au commerce de biens immobiliers, que ce soit des logements ou des terres. Par ailleurs, l’entretien souligne l’attractivité du marché du logement de la capitale et le rôle du maintien d’activités économiques en province dans le but de réinvestir les fonds sur des marchés spéculatifs de Phnom Penh.
28De l’investisseur-habitant à l’investisseur-opportuniste, les profils des ménages qui contribuent à faire du commerce de biens immobiliers une pratique collective sont multiples. Ces petits investisseurs individuels et familiaux sont pour la plupart exclus, ou se situent en périphérie, des réseaux de parenté reconnus et n’exercent pas d’emplois dans les hautes sphères de l’administration ou de la politique. Les stratégies déployées s’appuient principalement sur leur capacité à tirer parti de l’évolution du marché et des occasions qui se présentent.
29En parallèle à l’activité des investisseurs-habitants et des investisseurs-opportunistes, le commerce de biens immobiliers est réalisé par des entrepreneurs émergents possédant un capital financier parfois important et qui ont su développer un capital social et symbolique conséquent. Souvent bien connectés avec les réseaux institutionnels, ces investisseurs, qui ne sont pas forcément spécialisés dans l’activité immobilière, sont particulièrement actifs sur le marché.
Le commerce de biens immobiliers : une ressource pour les entrepreneurs locaux
30Le commerce de biens immobiliers permet à une classe d’entrepreneurs locaux de dégager des capitaux pour développer d’autres activités, et de s’enrichir personnellement :
Je suis né en 1974. Aujourd’hui, j’ai 38 ans. […] À 18 ans, je suis parti chez le cousin d’un de mes cousins [qu’il appelle « son oncle »], qui était professeur de mathématiques dans une école de Phnom Penh. Il n’était pas riche, mais mes parents voulaient que j’aille dans une école à Phnom Penh. Je suis arrivé à Phnom Penh vers 1991-1992. Je me suis inscrit à l’Université nationale d’économie et en même temps je suivais des cours à l’École de planification. C’était mieux si l’on voulait un poste au gouvernement. Lorsque je suis arrivé, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses à faire à Phnom Penh. Il y avait beaucoup d’étrangers. Je suis arrivé en premier chez mon oncle, mais, rapidement, j’ai compris qu’il fallait que j’apprenne l’anglais, cela allait être mieux. Je suis donc allé dans un temple bouddhiste, où une organisation non gouvernementale, Anananagara, proposait des cours d’anglais avec des étrangers. J’habitais là-bas et je suivais les cours d’anglais le soir, en plus des deux autres écoles. J’y suis resté deux ans, puis je suis retourné chez mon oncle.
[…] En 2000, je me suis marié. J’achète une terre pour y vivre avec ma femme à Phnom Penh Thmey, car j’y avais déjà été, et je trouvais l’endroit bien. Je l’ai payé 24000 dollars en comptant le prix du remblai, ce qui n’est rien ! Je me suis rendu compte que les avions passaient juste au-dessus de la maison. Je décide alors de la vendre, en 2002. J’en ai parlé avec la personne qui a remblayé le terrain pour moi, un ouvrier qui habitait Tuol Kork. Il me dit qu’il peut la revendre et je lui dis que s’il trouve quelqu’un, je lui donne une commission. J’ai réussi à la revendre en 2002 à 65000 dollars. En deux ans, le prix a presque triplé ! C’est vraiment là que je vois que l’on peut faire de l’argent avec la terre. Et puis tout le monde le faisait, alors pourquoi pas moi ! Je demande alors au même remblayeur, un homme sans éducation, mais honnête, de trouver un autre terrain. Je rachète une terre à 50000 dollars en 2002, là où j’habite aujourd’hui, puis une autre à 40000 dollars en 2005, que je revends un an après 160000 dollars. Il y a en a une que j’ai achetée à 150000 dollars en 2005, que j’ai revendue 1500000 dollars en 2007. Entre 2002 et 2009, j’ai fait environ entre 20 et 25 transactions immobilières. J’ai gardé une partie de l’argent pour moi-même et une autre pour développer des activités.
J’ai aussi pu acheter un immeuble pour mon entreprise dans le centre de Phnom Penh, que j’ai revendu après. Avec cet argent, je suis en train de construire une usine de production de produits cosmétiques. J’ai aussi acheté de la terre avec mes différentes sociétés et cela m’a permis de constituer du capital pour mener mes affaires. Certaines ne marchent pas fort, d’autres ont coulé, mais le foncier a permis d’avoir de l’argent disponible. J’ai toujours gardé le même intermédiaire pour m’aider à trouver les terres à Phnom Penh Thmey. Lorsque je l’ai rencontré, il était pauvre. Aujourd’hui, il a aussi acheté des terrains et il est devenu riche, grâce à moi ! Lorsque j’investis en dehors de Phnom Penh Thmey, je m’adresse à un autre courtier. Je possède aujourd’hui cinq propriétés à Phnom Penh et deux en province. Mes différentes entreprises possèdent plus de cinq biens immobiliers en tout. Depuis 2009, la terre dort un peu, ce n’est plus pareil. On ne fait plus le même commerce46.
31Ce récit de vie d’un entrepreneur montant de Phnom Penh montre à quel point, après la chute du régime khmer rouge, les parcours individuels et familiaux dépendent de la capacité des individus à tirer parti des occasions qui se présentent à eux. Cet entrepreneur a sûrement hérité un capital culturel d’une famille dans laquelle le père occupait la fonction de professeur puis de fonctionnaire auprès des autorités provinciales. Par ailleurs, c’est bien le capital social possédé par la famille qui a permis la migration de l’entrepreneur de la province vers Phnom Penh. Ce n’est cependant pas un capital économique important qui a entraîné une plus grande accumulation de capital financier, mais plutôt sa capacité à utiliser les nouvelles ressources à disposition dans son nouvel environnement urbain.
32Ce récit illustre également le possible « effet levier » du marché immobilier sur le développement des autres activités économiques des promoteurs et spéculateurs. Les capitaux dégagés peuvent être utilisés pour d’autres activités et enrichir les individus et les familles. Pour un entrepreneur qui monte une affaire, le commerce de biens immobiliers par l’entreprise permet de financer des investissements plus risqués. Dans le récit de l’entrepreneur, la participation au marché immobilier, telle qu’il la relate, se présente comme une « évidence », ce qui montre l’influence des pratiques collectives dans les décisions individuelles : « Et puis tout le monde le faisait, alors pourquoi pas moi ! » Par ailleurs, la relation qui s’instaure entre lui et le courtier47 est symptomatique. Investissant essentiellement à Phnom Penh Thmey, l’entrepreneur s’appuie sur les connaissances de l’espace local du courtier. Au-delà de la capacité de l’entrepreneur à saisir les occasions qui se présentent à lui, le développement de son capital social est un enjeu de première importance :
Je dis souvent deux choses : « Quand tu marches, tu dois regarder. » Ça, ça veut dire que tu dois toujours rester attentif à ce qui se passe, tu dois toujours bouger pour chercher des bonnes opportunités, des relations, etc. La deuxième phrase, elle, complète la première : « Les relations sociales et obtenir des informations sont plus importants que de rester dans un bureau. » Ça, ça veut dire que le réseau social est très important. Tu ne peux pas tout faire toi-même, il faut des gens de confiance. J’ai toujours gardé des contacts avec mes amis de l’Université nationale d’économie. Nous étions cinq bons amis, les meilleurs élèves de l’université. Des cinq, c’est moi et le directeur de la Norton University qui avons le mieux réussi. Ces contacts m’ont toujours aidé dans les affaires. Par contre, si je n’avais pas réussi, ces contacts n’auraient pas servi à grand-chose. Je te l’ai dit, il faut savoir se débrouiller soi-même tout en ayant un réseau social important !
[…] Par exemple, avant, je louais un immeuble pour une de mes sociétés. Je voulais faire des travaux assez importants et le propriétaire de l’immeuble faisait beaucoup de problèmes. Je ne comprenais pas trop pourquoi. Un jour, je lui ai fait comprendre que je connaissais du monde, qu’il fallait régler le problème, car j’en avais marre. Là, il m’a dit qu’en fait il était en conflit le directeur du Datucc. Lorsque j’ai su cela, j’ai contacté ce directeur, car je connaissais son père qui travaillait au Matuc. Lorsque ce directeur a su que c’était moi, il a débloqué l’affaire avec le propriétaire.
Dans la question du réseau, l’image est très importante. Si tu as un titre officiel, c’est beaucoup plus facile. Tu dois faire des dons au PPC et à la Croix-Rouge cambodgienne par exemple. J’ai eu le titre d’oknha il y a quelques années, c’est mieux pour les affaires. Ensuite, la personnalité joue aussi beaucoup. Tu dois être ouvert, tu dois être flexible. L’argent ne fait pas tout, loin de là ! Les réseaux, c’est avant tout la famille et les amis. Moi, dans ma famille, je fais attention à ne travailler qu’avec ceux en qui j’ai confiance. À part ma femme, je travaille maintenant très peu avec ma famille. J’ai déjà eu des problèmes avec des cousins éloignés. Nous avons fait des affaires ensemble et je me suis fait avoir. […] Je ne leur parle plus depuis. Aujourd’hui, je ne fais plus cela, je fais attention48.
33Développer son réseau social, entretenir ses contacts, savoir identifier des personnes ressources et les solliciter à bon escient permettent de multiplier les occasions d’investissement et de résoudre ou de contourner les problèmes rencontrés. Si le courtier apporte ses informations et connaissances immobilières, le rôle politique et social est assuré par l’entrepreneur. Pour les individus situés en périphérie des grands réseaux de parenté et qui n’ont pas un accès facile aux ressources urbaines et aux moyens de leur captation, leur capacité à construire leurs propres réseaux sociaux et à réussir dans les affaires dépend notamment de leur loyauté envers les personnes dont ils sont redevables, ainsi que de leur capacité à se « débrouiller ». L’obtention du titre d’oknha représente ici une reconnaissance sociale, politique et économique de la réussite de l’entrepreneur49, mais aussi l’obligation d’une redistribution d’une partie du capital acquis dans les affaires vers l’État central et le PPC.
34Aux côtés de ces entrepreneurs montants, qui utilisent le marché immobilier comme levier plus que comme activité principale, les grandes familles, qui bénéficient de capitaux sociaux, économiques et symboliques importants, organisent, elles aussi, ce marché à Phnom Penh. Pour certaines d’entre elles, l’activité immobilière représente leur principale occupation, qui leur assure des revenus très élevés. Ces acteurs ne sont pas seulement de riches entrepreneurs qui réalisent quelques transactions immobilières, mais de vrais promoteurs professionnels.
Le processus de vente et d’achat : un rapport de pouvoir
35Les promoteurs immobiliers locaux peuvent se diviser en deux grands groupes : les acteurs « amateurs », qui s’appuient principalement sur leur capital symbolique pour l’échange de biens immobiliers, et les acteurs « professionnalisés », qui s’appuient à la fois sur leur capital symbolique et sur l’utilisation, par réappropriation, de modes de production allochtones de biens-logements (chapitre 3).
36Dans ce contexte, les lieux privilégiés de contact entre les acheteurs et les vendeurs donnent des indications intéressantes quant aux ressources utilisées par ces derniers dans la réalisation de leurs stratégies économiques. L’échange de biens immobiliers organisé par des acteurs locaux importants s’effectue principalement dans quatre types de lieu : le promoteur peut recevoir les acheteurs chez lui ; parfois les biens se vendent sur site, dans un bureau de vente installé dans le projet immobilier en construction ; le promoteur peut également recevoir l’acheteur dans un bureau accueillant une autre de ses activités ; la vente peut se faire dans les locaux d’un intermédiaire (agence immobilière, banque, courtier par exemple). Lorsque l’activité immobilière est familiale et « artisanale », la prise de contact entre investisseurs et acheteurs peut se faire de multiples façons. Bien souvent, le contact entre promoteur et acheteur s’établit par l’intermédiaire d’une autre personne (un membre de la famille ou du réseau de parenté du promoteur, ou quelqu’un ayant déjà réalisé des affaires avec le promoteur par exemple). Dans ce cas, l’acheteur entre directement en contact avec le promoteur.
37À l’inverse, lorsque l’investisseur inscrit son numéro de téléphone sur des panneaux publicitaires au bord de la route, c’est généralement lui qui s’occupe de la transaction. Au moment de l’appel, cependant, il peut arriver que ce soit un membre de la famille ou un proche collaborateur qui arrange la prise de rendez-vous. La fiabilité de l’acheteur est alors jugée après quelques questions sur les raisons de son appel, les produits recherchés et, parfois, son identité.
38À partir du moment où la prise de rendez-vous est effectuée (dans le cas où l’acheteur et le promoteur ne se sont jamais rencontrés), l’entretien est planifié rapidement, dans la journée ou le lendemain. Cependant, la première rencontre est très rarement un succès : la visite chez le promoteur se solde souvent par un « Revenez le lendemain à la même heure, la personne n’est pas disponible », ou une phrase de type « Vous venez juste de le manquer, reprenez un rendez-vous ». Ces excuses ne sont pas données par un des gardes en charge de la sécurité, mais par un membre de la famille ou un employé, qui doit jauger le futur acheteur, lier les informations obtenues lors de la prise de contact téléphonique avec la réalité du contact physique. De même, lorsque le contact a finalement lieu, parfois après plusieurs rendez-vous manqués, le temps d’attente dans une pièce du lieu de rendez-vous, prévue à cet effet, peut durer un certain temps. Ce n’est ainsi pas l’acheteur qui semble avoir droit aux égards, mais bien le vendeur, qui démontre sa position de domination au travers de rituels bien ordonnés et auxquels les acheteurs doivent se plier.
39Notre expérience avec la compagnie Phan Imex50 illustre bien ces rapports de force. Si la prise de contact n’a pas été ardue, le rendez-vous a été reporté maintes fois (toujours au moment de notre venue au domicile du promoteur) et le temps d’attente dans la propriété du promoteur se comptent en heures. L’activité immobilière se fait dans une pièce de la maison réservée à cet effet, dont les murs sont tapissés de cartes de la ville, de plans cadastraux, de publicités de projets immobiliers, d’une photocopie du schéma directeur de la ville ou encore de plans de voiries estampillés par la municipalité ou par des ministères, ainsi que de nombreuses photographies encadrées montrant le promoteur avec le Premier ministre ou son épouse, ou avec le roi lors de cérémonies officielles51. Lors de l’entretien, des membres de la famille apportent différents plans de propriétés disponibles à Phnom Penh. La plupart du temps, ils présentent une division en lots de grandes parcelles situées en périphérie de Phnom Penh. Les noms des personnes déjà propriétaires sont inscrits sur les plans. Notre rendez-vous est souvent interrompu d’appels téléphoniques ou par l’entrée d’individus qui échangent des mots rapides avec Suy Sophan. Les sujets abordés concernent toujours l’immobilier. Il est par exemple question d’un conflit avec un habitant, de la signature d’un contrat de vente par le Matuc, de l’accord du cadastre pour un terrain, de la division en lots d’une parcelle ou du remblayage d’un nouveau terrain acheté par exemple. Les personnes qui se présentent sont très révérencieuses, alors que les réponses de Suy Sophan sont sèches et directes et les explications lapidaires : « Je m’en occupe », « Je contacte la personne qui s’occupe de cela », « Cela suit son cours ». En tant qu’étranger, la question de la nationalité est abordée rapidement : « Es-tu marié avec une Cambodgienne ? », « Souhaites-tu obtenir la nationalité khmère ? », « Veux-tu que l’on s’occupe des papiers ? ». Les détails du processus d’achat du bien immobilier, de la construction du logement ou de l’enregistrement de la propriété sont indiqués oralement. Seuls les contrats de vente sont écrits.
40À l’instar de Suy Sophan, Mom Morakot52, investisseur et promoteur immobilier, a, elle aussi, développé une activité immobilière que l’on pourrait qualifier d’« artisanale ». Forte de sa réputation dans diverses activités commerciales, Mom Morakot s’est peu à peu spécialisée dans le commerce de biens immobiliers. Active principalement dans le domaine foncier, elle vend aussi des logements déjà construits au sein de terrains qu’elle possède en périphérie de la ville. Comme Suy Sophan, Mom Morakot peut proposer les services d’une entreprise pour la construction du logement ou de s’occuper des papiers de propriété, si on le souhaite. Mom Morakot reçoit les clients qu’elle ne connaît pas dans son magasin de bijoux situé dans le centre, cette boutique n’affichant absolument pas son activité immobilière sur l’extérieur :
Tout le monde sait que nous vendons des propriétés. Nous n’avons pas besoin de faire de la publicité. Nous mettons des panneaux sur le bord de la route avec le numéro de téléphone de personnes qui travaillent pour moi, surtout des gens de ma famille. […] Les gens ont confiance en moi, car tout le monde me connaît. Ils savent qu’ils ne vont pas avoir de problèmes de propriété avec moi. Il y a beaucoup d’oknha et de personnes importantes qui achètent des propriétés dans mes borey, et des étrangers aussi. […] Parfois, je confie la vente de mes propriétés à des agences immobilières, car je n’ai pas le temps de m’occuper de tout53.
41Lors de la rencontre, les plans de différentes propriétés s’étalent peu à peu sur le comptoir en verre où se trouvent les bijoux. Les plans vont du simple schéma de parcelles certifié par le Datucc ou le Matuc, au prospectus plastifié représentant les plans d’architecture de logements au sein de borey. Là encore, les propriétés sont localisées en périphérie, jamais dans le centre de la ville.
42Suy Sophan et Mom Morakot sont des promoteurs reconnus publiquement. Ils appartiennent à un réseau de parenté important, implanté dans les plus hautes sphères politiques et administratives. Ils possèdent ainsi un capital symbolique de premier ordre, qui demande peu de publicité. Le capital social est avant tout alimenté par le réseau de parenté, tout comme les informations immobilières (sur les occasions d’investissement ou le foncier par exemple) sont constituées grâce aux relations sociales entretenues avec les institutions, et par l’intermédiaire des courtiers qu’ils sollicitent ou qu’ils emploient. Les lieux où se réalisent les transactions reflètent l’appartenance socio-économique du vendeur, qui dirige du début à la fin l’acte de vente. Ils représentent en ce sens une ressource clé du capital symbolique du promoteur. Le magasin ou l’habitat sont ainsi des signifiants qui déterminent en partie les termes de l’échange.
43Aux côtés de ces grands promoteurs « artisanaux », certains promoteurs locaux « professionnalisés » cherchent à établir une relation plus formalisée avec les futurs acheteurs. Pour des promoteurs comme Ly Hour ou Peng Huoth par exemple, la relation entre le vendeur et l’acheteur se fait dans des bureaux de promotion situés au sein de projets immobiliers, bien que ces promoteurs ne rencontrent que rarement les acheteurs individuels. Dans le cadre de ces pratiques professionnalisées de la production immobilière, la confiance des acheteurs est favorisée par une stratégie publicitaire importante et par la réputation du promoteur qui repose sur la réussite de ses précédents projets. La concurrence accrue entre promoteurs, la contraction du marché du logement et la diffusion de nouvelles pratiques immobilières favorisent cette mise en retrait du promoteur, au profit d’une mise en scène de l’acte de vente, qui se réalise dorénavant dans des bureaux de vente luxueux, où l’accent est mis sur l’accueil du client et la normalisation du processus de transaction.
44Entre les petits investisseurs et les grands promoteurs évoluent une multitude d’acteurs intermédiaires, qui organisent la circulation des flux d’information et permettent l’accélération des processus d’échange des biens immobiliers. Le travail de courtier est autant assuré par des individus appartenant à de grandes familles reconnues que par des acteurs individuels, qui ont su tirer parti de l’organisation locale du marché du logement. De manière générale, le travail des courtiers résume bien les enjeux sociospatiaux qui structurent le marché du logement.
L’importance des intermédiaires : le courtier, un personnage clé de la relation acteurs-ressources-territoires
45Les courtiers immobiliers peuvent être divisés en deux types : les « courtiers d’entreprise », qui travaillent pour une compagnie immobilière, et les « courtiers indépendants », qui agissent pour leur propre compte. Selon nos observations, les seconds semblent plus nombreux que les premiers. L’activité de courtier ne demande pas a priori un capital économique important, ce dernier jouant peu dans la capacité de ces acteurs à mener à bien leurs stratégies. Le rôle des courtiers consiste à mettre un vendeur et un acheteur en relation pour capter un pourcentage au terme de la vente (généralement autour de 3 %). Ils peuvent être mandatés par un vendeur ou solliciter eux-mêmes un propriétaire qui souhaite vendre son bien.
46Les courtiers indépendants ont un rôle central, car ils font circuler les informations, accélèrent les échanges de biens et permettent ainsi de pallier la faible formalisation de l’activité immobilière. Le courtage constitue souvent le point de départ pour entrer dans le marché immobilier :
Je connaissais beaucoup de gens à Phnom Penh et, un jour, j’ai présenté à un ami qui cherchait à acheter de la terre un ami à moi qui voulait vendre sa propriété. C’est comme cela que ça s’est fait la première fois. […] Je travaille comme une agence immobilière, sauf que moi, et la plupart des autres courtiers, on travaille directement de personne à personne et on traite surtout des propriétés de petite taille.
Le travail d’un courtier, c’est avant tout de l’« arrangement ». Il faut posséder des informations sur l’offre, pour deux raisons. Tout d’abord, il faut connaître les terrains où il faut investir, etc. Ensuite, lorsque l’on a identifié un terrain, il faut constituer un dossier. Les informations sur la terre sont capitales : il faut avoir accès au cadastre pour vérifier à qui appartient la terre.
Les dossiers que l’on constitue comportent globalement deux volets : un sur la propriété, l’autre sur le propriétaire. Pour les papiers de propriété, lorsque l’on ne trouve pas l’information au cadastre, ce qui arrive souvent, il faut se rendre à la commune et au village. Lorsque les gens n’ont pas de papiers de propriété, ce qui est le cas le plus fréquent, je me rends avant tout à la commune. De toute manière, il faut se rendre à la commune pour indiquer le changement de propriétaire. Pour les courtiers, les communes, ce sont les professionnels des papiers de propriété ! De toute manière, il faut passer par toutes les étapes. Je vais à la commune, au district, au Datuc et à la municipalité. Le plus difficile, c’est le passage du Datuc à la municipalité. Plus on grimpe dans les échelons administratifs, plus les processus sont longs. Mais tout cela est obligatoire, si on ne veut pas avoir de problèmes. Il faut ensuite vérifier les dimensions. En général, elles n’ont pas fait l’objet d’une étude sérieuse. Il faut alors les évaluer soi-même pour vérifier, ou mandater un intermédiaire pour réaliser les mesures et les officialiser. Là, je vais voir des amis que je connais, qui travaillent pour des agences immobilières principalement54.
47Les courtiers s’appuient sur leur capital social pour constituer petit à petit des informations et connaissances indispensables à l’activité immobilière. Les compétences administratives s’acquièrent peu à peu, par l’expérience de la pratique. Dans ce dernier récit, le courtier dispose d’entrées privilégiées au sein de l’administration, qui n’empêchent pas ce dernier de relever les difficultés d’accès aux échelons supérieurs de la hiérarchie territoriale. Les courtiers doivent aussi développer des compétences techniques pour compléter les informations lacunaires sur les propriétés (leur taille par exemple) :
Une fois que le dossier est constitué et que tout est en règle, il faut chercher l’acheteur, s’il n’est pas déjà trouvé. Là, c’est le réseau qui est important. Je téléphone à tous les gens que je connais, à ma famille, et je leur demande de transmettre l’information. J’ai cinq téléphones et je passe mon temps à téléphoner, ma femme n’est pas contente ! C’est aussi pour cela que les courtiers travaillent en réseau. On ne peut pas travailler seul. On s’échange des clients et des services, on partage des informations. Le plus important, c’est le travail de communication. Les conflits entre les courtiers sont inévitables, mais ils ne sont jamais violents. Ce qui est essentiel, c’est de coopérer, mais cela doit rester secret et confidentiel : c’est la clé55 !
48Le capital social des courtiers est important en amont (accéder à des informations par l’intermédiaire d’autres personnes) comme en aval (trouver des acheteurs potentiels) de leur activité. Surtout, les courtiers indépendants, qui disposent d’une certaine renommée, travaillent en réseau. L’échange informationnel permet à chacun de mieux tirer profit des occasions économiques, tout en faisant bien attention de ne pas dépasser certaines limites dans le partage des informations. Ces phénomènes d’entraide témoignent de l’existence de groupes d’intérêt socio-économiques, qui se forment lors de l’exercice d’activités spécifiques et dans le cadre de l’appartenance des individus à un certain niveau social de la société cambodgienne.
Vu que le relationnel est très important, l’apparence joue beaucoup. Les gens me demandent rarement directement qui je suis ou ce que je fais, ils le savent déjà, car ils me connaissent par d’autres personnes. L’apparence joue beaucoup, la voiture, les habits, etc. Si j’ai l’air pauvre, comment les gens peuvent penser que je suis un bon homme d’affaires ? Il faut paraître fiable, crédible, qu’il y ait de la confiance, cela ne se dit pas, mais ça se comprend. Le fait que j’ai de la famille au gouvernement joue beaucoup. Les gens le savent, mais il ne faut pas hésiter à se vanter, et je le fais ! C’est un gage de confiance. Les gens qui font des affaires immobilières sont bien vus. Les gens cherchent toujours à savoir les transactions que le courtier a passées avant. Ils ont plus confiance, et ils voient le sérieux du courtier.
[…] Dans le centre de Phnom Penh, les prix sont bien trop élevés. C’est très compliqué de se faire de l’argent. Il faut chercher très longtemps les vendeurs et les acheteurs, et la concurrence avec certaines agences immobilières est très difficile. Au-delà du million de dollars, c’est très difficile de trouver un acheteur. En périphérie en revanche, c’est beaucoup mieux. À Phnom Penh, c’est là que je fais mes affaires. On achète en hectares, on revend en mètres carrés. Dans la périphérie, les propriétaires ne savent pas vraiment quoi faire avec leur terrain, c’est plus facile de les convaincre et ils sont contents, lorsqu’on leur trouve un acheteur56.
49Le capital symbolique apparaît essentiel dans la pratique des activités de courtage. Il s’exprime par l’importance de l’apparence des individus qui, loin de concerner seulement l’activité immobilière, s’inscrit dans l’évolution des modes d’expression contemporains de la richesse et de la réussite à Phnom Penh57. Surtout, l’appartenance familiale joue un rôle central dans l’instauration de rapports de confiance entre l’acheteur, le vendeur et l’intermédiaire. Cette dernière s’avère encore plus déterminante dans le contexte d’une concurrence exponentielle au sein d’un marché de plus en plus saturé. L’intérêt « d’acheter à l’hectare et de vendre au mètre carré » montre bien un des principaux mécanismes de marchandisation du foncier, qui consiste à augmenter virtuellement la valeur des terrains par le morcellement du foncier.
50Selon nos observations, les courtiers indépendants utilisent deux principales pratiques économiques qu’ils combinent bien souvent : le fait de toucher des commissions lors de la vente d’un bien immobilier, et l’achat d’un bien et sa revente immédiate, mais un peu plus cher – la rapidité de la transaction permettant au courtier de ne pas engager ses fonds propres –, s’assurant ainsi une plus-value. Trouver des biens immobiliers à vendre, identifier des produits fonciers prometteurs et être attentif à l’évolution du marché du logement nécessitent l’accès à différentes sources d’informations58. Par ailleurs, le commerce de biens immobiliers demande aux courtiers de posséder un capital social important, c’est-à-dire un réseau de relations conséquent permettant à la fois d’alimenter leur connaissance des marchés immobiliers – lorsque le réseau social permet un accès à d’autres informations nécessaires à l’intermédiation immobilière – et de multiplier les occasions de gains financiers. Avant de s’entourer d’associés, on sollicite sa famille ou son réseau de parenté pour réaliser les tâches que l’on ne peut assurer soi-même.
51La mise en place et l’entretien du réseau, les capacités d’organisation et de gestion, tout comme l’art de convaincre et de négocier sont notamment conditionnés par le capital culturel dont les individus et les familles disposent. Un certain nombre de courtiers rencontrés ont forgé ce capital eux-mêmes. L’aisance communicationnelle et l’intelligence des affaires ne demandent pas forcément une formation scolaire importante : il faut avoir le sens de l’« arrangement », pour reprendre le discours précédemment cité du courtier. Enfin, le capital symbolique apporte aux courtiers une reconnaissance qui leur permet d’exercer leur activité avec plus de facilité, tout en permettant l’acquisition de capital social et d’informations immobilières.
52Le travail des courtiers d’entreprise s’apparente à celui des indépendants, mais il ne nécessite pas le même capital symbolique. Les courtiers d’entreprise bénéficient du capital social et des informations possédées par la structure à laquelle ils sont affiliés :
Notre travail consiste principalement à trouver des biens immobiliers à vendre. Ensuite, les clients viennent directement nous voir, car nous diffusons sur Internet ou dans des brochures les propriétés que nous avons à vendre.
On fait aussi de l’expertise. On peut mesurer les propriétés, et produire un papier officiel que les propriétaires présentent à la banque par exemple, pour emprunter. On conseille les clients sur les banques aussi. On peut recommander des constructeurs, des architectes, avec qui l’on a travaillé. Nous ne faisons pas nous-mêmes ce genre de travaux. Nous sommes seulement des intermédiaires dans l’échange de biens.
Notre marché à PhnomPenh se situe principalement dans le centre, qui représente 80 % des propriétés que nous vendons dans la capitale. Les clients viennent avant tout acheter des villas. Nous avons donc souvent affaire à des clients riches. […] Nous vendons aussi des propriétés en province. Cela représente 50 % du total des propriétés que nous vendons.
Pour les agences immobilières, les grands projets périphériques et les grands borey représentent de très bonnes affaires. L’enjeu est de passer un contrat avec ces propriétaires et ces compagnies pour avoir une exclusivité de distribution des produits. Notre compagnie a passé des contrats avec Grand Phnom Penh International City, Camko City et l’OCIC, mais maintenant c’est fini. Les accords de distribution que l’on passe avec ces compagnies sont généralement assez courts : entre trois et six mois. Ensuite, il faut renégocier et la compétition est dure. Plus les projets sont importants, mieux c’est pour la compagnie immobilière. S’il y a beaucoup de maisons à vendre, cela nous assure un revenu facile, car cela nous évite de chercher des clients et des propriétés. Pour les promoteurs, plus la compagnie immobilière est connue, plus la publicité est grande et plus les acheteurs ont confiance. Il y a peu de compagnies à Phnom Penh capables de signer un contrat avec les grands promoteurs locaux et étrangers. Les grandes compagnies étrangères viennent aussi nous voir pour nous demander des avis sur l’état du marché, le type de construction qui se vend, les prix, les acheteurs, etc. Nous jouons le rôle d’expert auprès des investisseurs étrangers. […] Je ne peux pas vous dire la teneur des négociations avec les compagnies, c’est un secret, mais comme toute compagnie immobilière, nous touchons environ 3 % du prix de vente de chaque logement.
Parfois, la compagnie achète et revend des biens. Nous avons un accès facile au prêt bancaire. Généralement, lorsque nous faisons cela, nous empruntons 50 % de la somme à la banque et nous payons le reste directement lors de l’achat. Ce ne sont pas les agents qui s’occupent de cela, c’est notre patron qui s’en occupe59.
53Les agences immobilières s’occupent avant tout de vendre les biens immobiliers chers du centre-ville à de riches clients locaux et étrangers. Ils sont aussi les intermédiaires privilégiés des grands promoteurs immobiliers. Pour eux, le marché du logement des espaces péricentraux et périphériques est trop volatil, pas assez formalisé et demande un travail d’expertise plus complexe et chronophage : ils hésitent souvent à s’y engager.
54Néanmoins, le travail de ces grandes compagnies immobilières appartient aussi à la sphère informelle des pratiques immobilières. Comme pour les courtiers indépendants, la recherche d’informations immobilières est un enjeu de première importance et le travail des courtiers sur le terrain consiste aussi à constituer des réseaux sociaux au niveau local :
Pour avoir des informations sur les prix et sur les vendeurs, il faut savoir se débrouiller. Dans notre compagnie, chaque courtier est en charge de plusieurs secteurs géographiques. Le plus important, c’est de se constituer un réseau. Lorsque je cherche une propriété pour la compagnie ou pour quelqu’un en particulier, je parcours la ville et je demande à tout le monde. Dans les quartiers dont je m’occupe, je connais des gens avec lesquels je travaille régulièrement. Je connais les propriétaires des borey, les chefs de village aussi, qui m’aident beaucoup. Des fois, je parle juste avec les gens. D’autres fois, il faut payer pour avoir des informations ou juste offrir une bière. De toute manière, les gens parlent facilement de cela. Il faut avoir le sens du contact60 !
55Que ce soit pour les courtiers indépendants ou les courtiers d’entreprise, le capital symbolique – par l’appartenance à un réseau de parenté ou une entreprise reconnus, la réussite des transactions antérieures et la capacité de pouvoir refléter une certaine réussite dans les affaires – renforce la capacité des agents à réaliser leurs stratégies. Dans le cas des courtiers d’entreprise cependant, ce capital lié à la réputation de la compagnie et de son directeur précède le capital symbolique propre au courtier :
Lorsque je donne ou que je montre ma carte de visite, tout le monde connaît Bonna Realty. Ils savent que nous sommes sérieux, que nous avons de l’expérience, car ils entendent parler tout le temps Sung Bonna ou le voient à la télévision61.
56Le travail des compagnies immobilières, à l’instar des courtiers indépendants, se situe au croisement des sphères formelle et informelle des marchés immobiliers. En effet, les services proposés par ces compagnies peuvent s’apparenter à un contournement des lois régissant le marché formel :
Il existe plein de manières pour un étranger d’être propriétaire. Tu peux te marier avec une Cambodgienne et acheter une propriété à son nom, mais il y a souvent des problèmes ! Tu peux prendre un partenaire cambodgien et acheter une propriété à son nom, mais là aussi c’est risqué. Tu peux fonder une compagnie avec un Cambodgien et détenir moins de 50 % des parts, et acheter une propriété au nom de la compagnie. Tu peux désigner un mandant de nationalité khmère, qui peut gérer le bien immobilier à ta place et en son nom. Tu peux aussi, et c’est la meilleure manière, acheter la nationalité khmère. Tu es obligé d’avoir un intermédiaire. Ma compagnie peut te le faire pour 60000 dollars. Toutes les compagnies immobilières proposent de faire ça, et même certains promoteurs, mais c’est souvent plus cher62.
Si tu souhaites acheter, CPL peut te servir de prête-nom, car les étrangers ne peuvent pas acheter à leur nom au Cambodge. Si tu veux faire une entreprise, CPL peut aussi s’occuper des biens immobiliers de l’entreprise, en prenant une commission. Officiellement, c’est CPL, mais en réalité, c’est toi le propriétaire63.
57Le travail des courtiers donne un aperçu des enjeux liés à la recherche d’informations immobilières face à l’opacité du marché du logement ; il montre également l’imbrication des sphères formelle et informelle dans le déploiement des stratégies d’acteurs. Au regard des entretiens réalisés, l’importance du capital social ne joue pas seulement dans la capacité des acteurs à capter des informations ou à multiplier leurs occasions d’investissement : il permet un accès aux ressources spatiales par le truchement des positions politiques et sociales des acteurs, qui en tirent autant de capital symbolique qu’un meilleur accès aux ressources immobilières. La capitalisation de connaissances et savoirs indispensables à la pratique de l’activité immobilière s’apparente donc à la constitution d’un « capital spatial ». Ce concept nous permet de considérer d’une part l’espace comme une ressource mobilisable par des individus et des groupes et, d’autre part, d’envisager le système de production d’espaces urbains à partir du rapport entre les acteurs immobiliers, les territoires et les ressources qu’ils contiennent.
Le capital spatial comme enjeu central des stratégies immobilières individuelles et collectives
58La notion de capital spatial fait directement référence aux travaux de Pierre Bourdieu et se situe au même niveau que les concepts de capital social, économique, culturel et symbolique développés par ce dernier. Particulièrement mobilisé dans l’étude des mobilités et des migrations en géographie, le capital spatial souligne la capacité des individus à tirer parti de leurs pratiques spatiales dans l’élaboration de leurs stratégies socio-économiques. Cette notion peut faire le lien entre « mobilité géographique » et « mobilité sociale64 » ou, plus largement, évoquer « [l’]ensemble des ressources accumulées par un acteur, lui permettant de tirer avantage, en fonction de sa stratégie, de l’usage de la dimension spatiale de la société65 ». Le capital spatial est ainsi composé de « savoirs » et de « compétences66 » qui, accumulés, permettent l’élaboration de stratégies précises67. Le capital spatial est définitivement lié aux « savoirs géographiques », qui constituent un « patrimoine » particulier pour les individus68. Laurent Cailly, qui précise cette notion, la décrit comme telle :
Le capital spatial constitue précisément un ensemble de valeurs (spatiales) accumulées et mobilisées en vue de produire d’autres valeurs. […] Le concept de capital spatial conduit, de manière intrinsèque, à considérer l’espace – et sa pratique – comme une forme à part entière de capitalisation (ou de richesse)69.
59Pour cet auteur, considérer l’espace comme une forme de capital nous force à considérer le capital spatial comme intrinsèquement lié aux autres formes de capitaux70, lorsque Fabrice Ripoll et Vincent Veschambre, qui présentent une certaine méfiance vis-à-vis de la notion, préfèrent parler de « dimension spatiale du capital71 ».
60Dans un contexte d’opacité des marchés immobiliers, de manque d’informations concernant l’immobilier et l’évolution des espaces urbains en général, et au regard de la perte importante des savoirs urbains au cours des années 1970, le capital spatial ne constitue pas ici une simple dimension du capital, mais bien un capital propre. Comme nous venons de le voir, certaines informations relatives à l’espace (prix du foncier, localisation des terrains, futurs aménagements urbains, etc.) sont des ressources stratégiques pour tous les acteurs impliqués, ou qui souhaitent l’être, dans l’exercice de l’activité immobilière à Phnom Penh. Ces informations peuvent constituer des connaissances et des savoirs72, qui alimentent le capital spatial nécessaire à la pratique de l’activité immobilière et à la production d’espaces urbains. Le concept de capital spatial permet par ailleurs de rendre compte de situations de domination à l’intérieur du champ immobilier. Les individus n’ont pas tous le même accès aux informations et ils ne possèdent pas les mêmes compétences permettant de les capitaliser en savoir-faire ou pour l’élaboration de stratégies. La rétention des informations et le contrôle de leur diffusion participent de la structure hiérarchique du champ de la production immobilière.
61Dans la présente recherche, le capital spatial est défini comme l’ensemble des ressources spatiales mobilisées par un individu ou un groupe d’individus dans le but de formaliser et de faire aboutir ses stratégies immobilières : le capital spatial s’apparente ainsi à des connaissances capitalisées en savoir-faire spatiaux. Il est constitué par la captation et le stockage d’informations et de connaissances d’un côté et par le développement de compétences de l’autre. Nous considérons que chaque individu ou groupe d’individus n’est pas doté d’un unique capital spatial, mais plutôt d’une multitude de ressources permettant de mobiliser, à un moment donné, un capital spatial adapté aux objectifs poursuivis. Ces ressources permettent aux individus d’élaborer des savoir-faire lorsqu’elles sont utilisées dans la mise en place de stratégies. Il est ainsi nécessaire de distinguer autant les types de ressource que les moyens de les acquérir.
62Les informations et connaissances nécessaires à la participation des individus et des groupes au marché du logement à Phnom Penh sont multiples. Connaître la localisation des biens échangeables et des terrains disponibles pour la construction de logements est le préalable nécessaire, mais pas unique. La situation des logements est elle aussi primordiale, car elle détermine l’accessibilité aux centres d’activité (centre-ville, marchés ou zones industrielles par exemple) et aux services (loisirs, santé, éducation, commerce), qui reste conditionnée par la présence d’infrastructures (réseau viaire, pont). Par ailleurs, la composition sociale des quartiers influence notablement les choix résidentiels. À ce titre, les informations et connaissances peuvent être de l’ordre du perçu et de la représentation (la qualité de vie dans un quartier ou son état de délabrement, sa composition sociale ou sa réputation). À Phnom Penh, les informations et connaissances, voire les savoirs, liés au milieu naturel sont parfois indispensables (zone inondable, stabilité du terrain) ; ceux concernant les futurs aménagements urbains sont stratégiques, ces derniers pouvant déterminer à terme l’évolution des prix et de l’accessibilité. Enfin, certaines informations et connaissances sont directement attachées à la profession immobilière (les types de logements et leur composition architecturale, la qualité du bâti et du terrain, l’identité du promoteur, etc.).
63Les vecteurs d’acquisition des informations et connaissances qui alimentent le capital spatial sont variés : l’expérience géographique et les pratiques de l’espace sont autant d’occasions d’apprentissage pour un individu ou un groupe. Les migrations et les mobilités permettent ainsi d’acquérir des informations et connaissances, tout comme les pratiques de l’espace de vie, du lieu de travail ou les déplacements divers, même exceptionnels. L’expérience résidentielle est donc un facteur central de construction de son capital spatial. De même, le capital spatial se construit au travers de multiples relations sociales. Les réseaux de filiation et de parenté permettent la transmission d’informations et de connaissances, qui s’apparentent ici à du patrimoine, tout comme ils autorisent leur partage. À ce titre, les pratiques spatiales sont autant d’occasions de transmission de ressources possédées par divers acteurs urbains.
64Les informations et connaissances peuvent par ailleurs s’acquérir par l’intermédiaire d’agents « producteurs », « accumulateurs » et « diffuseurs ». Dans le cadre du marché du logement à Phnom Penh, les producteurs appartiennent tant à la sphère formelle du marché immobilier (agences immobilières et banques par exemple) qu’à la sphère informelle (divers intermédiaires). Certains acteurs et certaines structures sont en ce sens des vecteurs stratégiques de diffusion de d’informations et de connaissances immobilières et d’organisation de ces dynamiques réticulaires.
65De multiples compétences alimentent le capital spatial des individus. La capacité des individus à être mobiles, par exemple, permet d’accroître leurs chances de réaliser des investissements immobiliers rentables et de multiplier les occasions d’enrichissement. La capacité des individus à interpréter l’évolution des espaces urbains, de la structure urbaine et de l’urbanisation en général leur permet de mieux capitaliser les connaissances immobilières acquises. Enfin, les pratiques immobilières demandent bien souvent aux individus une forte adaptabilité tant sociale que géographique.
66Le capital spatial entre en résonance avec les capitaux économiques, sociaux, culturels et symboliques détenus par les individus et les groupes. Ils multiplient les possibilités d’accès aux informations et connaissances, développent les savoir-faire des agents et permettent la mise en place de stratégies plus efficaces. Il n’existe cependant pas de relation systématique entre les différents types de capitaux : une fois encore, c’est l’organisation spécifique du champ considéré qui détermine les rapports entre les différentes formes de capitaux. Au sein du champ immobilier, les entrelacements de capitaux sont multiples. Le capital social permet un meilleur accès aux informations et connaissances immobilières en multipliant, comme nous l’avons vu, les occasions d’échange et de partage. Le capital économique conditionne lui aussi l’accès et l’utilisation du capital spatial : la capacité financière d’un agent ou d’un groupe permet à celui-ci de s’acquitter de certains « droits d’accès » aux informations et nécessaires à l’exercice de son activité et de les échanger en fonction des stratégies déployées. Il autorise par ailleurs une plus grande mobilité. Le capital culturel permet aux individus d’élaborer des stratégies adaptées aux situations, notamment pour alimenter leur capital spatial, ou capitaliser une information en capital spatial. Le capital symbolique permet enfin de s’assurer une meilleure position dans la hiérarchie socio-économique propre au champ immobilier et joue pleinement dans les relations d’échanges des biens.
67Face aux réalités et aux évolutions du marché du logement en périphérie de Phnom Penh, les acteurs immobiliers ont su développer un certain nombre de compétences adaptées aux ressources dont ils disposent. Le champ immobilier se développe donc sur la base d’une hiérarchie au sein de laquelle les individus ayant des accès privilégiés aux informations et connaissances immobilières se trouvent en position de supériorité par rapport à ceux qui n’y ont pas accès, ou de manière plus limitée (tableau 16 et fig. 53).
68Cependant, la structuration du champ semble loin d’être figée. En effet, les parcours de vie des individus interrogés montrent leurs capacités à « tirer leur épingle du jeu » en mobilisant certaines compétences au gré des occasions. Il paraît alors indispensable de regarder de plus près les pratiques sociospatiales des acteurs immobiliers. Pour les individus et les familles, la transformation des informations immobilières en connaissances, puis en savoir-faire immobiliers est au cœur du processus de production de territoires urbains.
Notes de bas de page
1 Entre 2003 et 2008, cependant, le taux d’emprunts bancaires a progressé de 60 % (CBRE, Building a New Cambodia : Opportunities in the Phnom Penh Real Estate Market, Phnom Penh, 2010).
2 Ces réponses sont à prendre avec précaution. Nous avons en effet rencontré des difficultés dans la récolte d’informations relatives à l’emprunt bancaire. Certains ménages déclarent par exemple ne pas avoir eu recours à l’emprunt, car les flux monétaires intrafamiliaux ne sont souvent pas perçus comme étant une dette. Cette remarque ne remet cependant pas en cause la modeste intermédiation bancaire au Cambodge et la faible financiarisation des marchés immobiliers.
3 Ces taux peuvent atteindre entre 20 et 30 % d’intérêts mensuels.
4 À titre d’exemple, près de 200 sociétés localisées à Phnom Penh sont enregistrées par les pages jaunes du Cambodge (http://www.yellowpages-cambodia.com) en tant que compagnies proposant des services immobiliers. Cependant, en 2008, seulement 69 compagnies ont une licence officielle délivrée par le ministère du Commerce et des Finances (Bonna Realty, Khmer Property News, Phnom Penh, 6, 2008, p. 5). Un peu moins de 50 compagnies possèdent cette licence en 2012.
5 L’agence Bonna Realty est fondée en 1999 par Sung Bonna, originaire de la province de Kampong Speu. Il a su s’imposer comme un interlocuteur clé dans le développement du marché immobilier au Cambodge, en témoignent ses nombreuses apparitions télévisées. Bonna Realty a participé à la professionnalisation de l’activité immobilière à Phnom Penh : ses régulières publications de rapports (et notamment le Khmer Property Guide, magazine mensuel publié depuis 2008) sur l’état du marché immobilier font référence (www.bonnarealty.com.kh).
6 Cheng Kheng, fondateur et gérant de cette compagnie fondée en 1997 (http://www.cplagent.com), intervient régulièrement dans la presse cambodgienne pour commenter l’évolution des marchés immobiliers.
7 Agréée par le gouvernement depuis 2002, elle est dirigée par le Sino-Khmer Ros Hay, qui s’est adjoint les services d’un Anglo-Saxon, David Coleman (http://www.angkorrealestate.com).
8 Nous pouvons notamment citer les sociétés Khmer Real Estate créée en 2007 (http://khmerrealestate.com.kh), Cambodia Estate Agent, créée en 2003 (http://www.cambodiaestate.com), ou encore Asia Real Estate Cambodia fondée en 2008 (http://www.arccambodia.com).
9 Voir http://www.cvea.org.kh/.
10 CBRE est une entreprise d’origine anglaise. Cotée en bourse et implantée dans 65 pays, c’est un acteur immobilier de premier plan à l’échelle mondiale. En Asie-Pacifique, elle s’est principalement implantée en Australie, en Inde, au Japon, en Nouvelle-Zélande, en Indonésie, au Vietnam, en Chine, en Corée, à Singapour et en Thaïlande. En 2010, une agence est ouverte à Phnom Penh (http://www.cbre.fr).
11 Knight Franck est une entreprise d’origine anglaise spécialisée dans l’immobilier d’entreprise. Au sein des pays en développement, elle intervient aussi sur le marché du logement. Présente dans 41 pays à travers le monde, elle a investi le marché asiatique en ouvrant des bureaux en Chine, à Hong Kong, en Inde, en Indonésie, au Japon, à Macao, en Malaisie, à Singapour et en Thaïlande. La compagnie a ouvert un bureau à Phnom Penh en 2008 (http://www.knightfrank.com.kh).
12 DFDL Mékong est une compagnie d’investissement immobilier fondée en 1994 au Laos. La compagnie s’est spécialisée sur les marchés immobiliers asiatiques. En 1995, elle a ouvert un bureau à Phnom Penh. Elle est aujourd’hui présente au Bangladesh, en Birmanie, à Singapour, en Thaïlande, au Vietnam, au Laos et au Cambodge.
13 Comme VPC Asia Pacific, une organisation regroupant des consultants dans le domaine immobilier, spécialistes de la région.
14 Entretiens informels entre 2008 et 2012 à la municipalité. Entretien réalisé le 12 mai 2008 avec un secrétaire d’État du Matuc.
15 Entretien le 16 novembre 2010 avec un agent immobilier.
16 Pour une cartographie des prix fonciers produits par les agences immobilières, voir G. Fauveaud, Produire la ville en Asie du Sud-Est…, op. cit., p. 349-351, et supra, fig. 17, p. 97.
17 Entretien le 16 novembre 2010 avec le coordinateur d’une agence immobilière.
18 Nous emploierons l’expression « information immobilière » pour désigner les informations qui permettent aux acteurs immobiliers, de l’habitant au professionnel, de pratiquer, d’une manière ou d’une autre, l’activité immobilière.
19 En 2002, à la suite de l’adoption de la nouvelle loi foncière de 2001, le Gouvernement royal du Cambodge lance un programme d’« enregistrement systématique des terres » grâce au soutien financier de la Banque mondiale et à l’appui technique des coopérations allemande et finnoise. La première phase du programme, intitulée L-Map (Land Management and Administration Project), qui se déroule de 2002 à 2009, a permis l’émission, d’après la Banque mondiale, de plus d’un million de titres de propriété. Le programme est aujourd’hui géré par le Matuc, qui poursuit le travail d’enregistrement systématique. Entre 2002 et 2015, plus de 2 millions de titres auraient ainsi été émis. L’enregistrement systématique est fait essentiellement par des agents itinérants, qui proposent aux propriétaires un coût d’enregistrement bien inférieur aux prix pratiqués par l’administration et l’exemption des diverses difficultés administratives qui accompagnent habituellement la démarche auprès des administrations cambodgiennes. Si le projet est une réussite, aux dires des agences de coopération internationale engagées dans ce travail, les enregistrements fonciers sont vite dépassés par les changements de propriétaire et la modification du parcellaire qui suit, parfois très rapidement, l’enregistrement par les agents.
20 Les documents produits suite à l’enregistrement au cadastre ne permettent pas de connaître avec exactitude les propriétés immobilières par famille. En effet, il est courant qu’une même famille enregistre plusieurs propriétés immobilières à des noms différents (celui de la tante, du cousin, etc.).
21 Entretiens informels à la municipalité entre 2008 et 2009.
22 Entretiens informels à la municipalité en 2008.
23 Nous faisons ici référence à une situation générale, en fonction de nos observations de terrain. Certaines communes cherchent cependant à diffuser le plus d’informations possible, en affichant les futurs aménagements et travaux prévus sur leur territoire et en organisant des réunions publiques, même si ces cas semblent faire exception.
24 Comme le notent Alain Durand-Lasserve et Jean-François Tribillion : « On peut dire, globalement, que l’immobilier redouble le foncier, que les rapports immobiliers prolongent et amplifient les rapports fonciers », A. Durand-Lasserve, J.-F. Tribillon, « La production foncière et immobilière dans les villes des pays en développement », Hérodote, 31, 1983, p. 13.
25 J.-J. Granelle, Économie et urbanisme : du foncier à l’immobilier, 1950-2008, Paris, L’Harmattan, 2009 ; Id., Économie immobilière. Analyses et applications, Paris, Economica, 1998.
26 V. Renard, « Les dynamiques économiques des villes du xxie siècle : dérive des marchés immobiliers et fragmentation urbaine », communication à l’Académie des sciences morales et politiques, Paris, 22 mars 2002.
27 M. Halbwachs, Les expropriations et le prix des terrains à Paris : 1860-1900, Paris, E. Cornély, 1909 ; voir aussi plus récemment le travail de Guilhem Boulay sur la formation des prix immobiliers dans la région de Marseille : G. Boulay, Le prix de la ville : le marché immobilier à usage résidentiel dans l’aire urbaine de Marseille-Aix-en-Provence (1990-2010), thèse de doctorat en géographie dirigée par Bernard Morel, université de Provence, 2011.
28 N. Aveline-Dubach, Les marchés fonciers à l’épreuve de la mondialisation. Nouveaux enjeux pour la théorie économique et pour les politiques publiques, mémoire d’habilitation à diriger des recherches en géographie, université Louis-Lumière Lyon 2, 2005.
29 J.-J. Granelle, Économie immobilière…, op. cit.
30 J.-L. Guigou, La rente foncière. Les théories et leur évolution depuis 1650, Paris, Economica, 1982.
31 A. Choplin, « Le foncier urbain en Afrique : entre informel et rationnel, l’exemple de Nouakchott (Mauritanie) », Annales de géographie, 647, 2006, p. 86.
32 R. Boudon, « Utilité ou rationalité ? Rationalité restreinte ou générale ? », Revue d’économie politique, 112, 2002, p. 755-772 ; J. Coenen-Huther, « Les sociologues et le postulat de rationalité », Revue européenne des sciences sociales, 145, 2010, p. 516.
33 P. Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Paris, Seuil, 2002, p. 240.
34 P. Vieille, Marché des terrains et société urbaine. Recherche sur la ville de Tehran, Paris, Anthropos, 1970, p. 3.
35 Ce qui rappelle, par ailleurs, les propos de Fabienne Luco au sujet des pratiques d’accès à la terre dans le Cambodge rural (F. Luco, « “Manger le royaume”. Pratiques anciennes et actuelles d’accès à la terre au Cambodge », dans A. Forest [dir.], Cambodge contemporain, Paris/Bangkok, Les Indes savantes/Irasec, 2008, p. 419-443).
36 L’emploi en khmer des expressions real estate et city house est en effet beaucoup plus rare pour les habitants provinciaux, qui ne comprennent généralement pas ces expressions (à la différence du terme borey).
37 F. Luco, Entre le tigre et le crocodile. Approche anthropologique sur les pratiques traditionnelles et nouvelles de traitement des conflits au Cambodge, Phnom Penh, Unesco, 2002.
38 P. Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, 2e éd., Paris, Seuil, 2000 [1972] ; Id., Questions de sociologie, 3e éd., Paris, Éditions de Minuit, 2000 [1980].
39 P. Rosanvallon, La nouvelle question sociale, Paris, Seuil, 1995 ; H. Gumuchian et al., Les acteurs, ces oubliés du territoire, Paris, Economica, 2003 ; D. Retaillé, « L’espace mobile », dans B. Antheaume, F. Giraut (éd.), Le territoire est mort. Vive les territoires ! Une (re)fabrication au nom du développement, Paris, IRD, 2005, p. 175- 202 ; L. Cailly, Pratiques spatiales, identités sociales et processus d’individualisation. Étude sur la constitution des identités spatiales individuelles au sein des classes moyennes salariées du secteur public hospitalier dans une ville intermédiaire : l’exemple de Tours, thèse de doctorat dirigée par M. Lussault, université de Tours, 2004.
40 M. de Certeau, L’invention du quotidien, 1, Arts de faire, 2e éd., Paris, Gallimard, 1990 [1980], p. XXXVI.
41 C. Pierdet, « Les investisseurs privés et la recomposition du rapport centre-périphérie à Phnom Penh (Cambodge) depuis les années 1990 », Annales de géographie, 681, 2011, p. 491-493.
42 Entretien le 20 octobre 2009 avec un homme de 51 ans habitant un borey de Teuk Tla.
43 Entretien le 13 octobre 2009 avec un homme de 68 ans habitant un borey de Teuk Tla.
44 La banque Acleda (acronyme signifiant Association of Cambodian Local Economic Development Agencies) est créée en 1993 sous la supervision du Bureau international du travail et de l’ONU. Elle devient une banque d’affaires privée en 2000 et représente aujourd’hui une des plus importantes institutions financières du pays (www.acledabank.com.kh).
45 Entretien le 14 septembre 2009 avec une femme de 38 ans habitant un borey de Teuk Tla.
46 Entretien le 1er juin 2012 avec un entrepreneur cambodgien de 38 ans habitant à Phnom Penh.
47 Le terme « courtier » (koutié en khmer, le terme étant tiré du français) est utilisé à Phnom Penh pour désigner, de manière générale, les intermédiaires qui touchent une commission lors du commerce d’un bien ou l’échange d’un service. Ce mot est donc employé dans de multiples secteurs d’activités et n’est pas propre au commerce de biens immobiliers. Cependant, l’importance des sommes engagées et donc des commissions perçues par ces intermédiaires fait de l’activité de « courtier immobilier » un travail bien spécifique.
48 Entretien le 1er juin 2012 avec un entrepreneur privé cambodgien.
49 Le titre d’oknha est un titre officiel créé au début des années 1990 et attribué par l’État aux personnes ayant rendu service de manière exceptionnelle à la nation cambodgienne. Ce titre paraît aujourd’hui quelque peu dénaturé, tant il représente une forme d’allégeance des grands hommes d’affaires et personnages politiques envers le PPC (J.-F. Bayart, Le concept de situation thermidorienne : régimes néo-révolutionnaires et libéralisation économique, rapport du Fasopo, Paris, 2008). Romain Bertrand évoque quant à lui une socialisation de la fortune et une formalisation des nouvelles élites politico-économiques (R. Bertrand, Cambodge : le carnaval démocratique, rapport du Fasopo, Paris, 2004). Être un oknha, s’est donc appartenir, d’une manière ou d’une autre, à une élite politique et affairiste cambodgienne très restreinte, ce qui apporte des passe-droits autant que des obligations.
50 La propriétaire de la compagnie Phan Imex, Suy Sophan, serait impliquée dans une multitude de conflits fonciers, dont le plus important et le plus médiatique est sans doute le projet de Borey Keila. En 2003, l’État décide de mettre en place un projet de land sharing sur une terre – Borey keila – de 14 ha appartenant au ministère de l’Éducation situé en bordure du centre-ville. La terre est occupée par près de 1800 familles, installées ici spontanément. Phan Imex est choisie pour construire dix tours d’habitation devant accueillir l’ensemble des familles présentes sur le site. En échange, l’État lui concède 2,6 hectares du terrain pour la réalisation d’une opération commerciale. Cependant, la compagnie n’a construit que huit tours sur les dix prévues, prétextant des difficultés financières l’empêchant d’honorer le contrat initialement signé. En accord avec les autorités et avec l’aide de la police, la compagnie expulse violemment les 387 familles non relogées du site le 3 janvier 2012, ce qui provoque une importante vague de contestation de la part d’organisations locales et internationales.
51 Afficher des photographies des membres de sa famille posant aux côtés de personnages importants et publics est courant au Cambodge, comme dans d’autres pays par ailleurs.
52 Mom Morakot est, selon ses déclarations, originaire de l’ouest du Cambodge. Elle s’est enrichie à travers le commerce de pierres précieuses et de bijoux.
53 Entretien le 31 juillet 2009 avec Mom Morakot.
54 Entretien le 11 décembre 2010 avec un courtier indépendant appartenant à un réseau de parenté très reconnu.
55 Entretien le 11 décembre 2010 avec un courtier indépendant appartenant à un réseau de parenté très reconnu.
56 Ibid.
57 L. Saphan, Renaissance des espaces publics à Phnom Penh : processus d’appropriations urbaines et dynamiques de la citadinité des nouveaux habitants de la capitale cambodgienne, thèse de doctorat en anthropologie dirigée par A. Raulin, université Paris Ouest Nanterre-La Défense, 2007.
58 Voir supra, la note 17 de ce chapitre.
59 Entretien le 16 novembre 2010 avec un courtier d’une importante agence immobilière de Phnom Penh.
60 Entretien le 16 novembre 2010 avec un courtier d’une importante agence immobilière de Phnom Penh.
61 Entretien le 16 novembre 2010 avec un courtier d’une importante agence immobilière de Phnom Penh.
62 Entretien le 17 novembre 2010 avec l’administrateur d’une importante agence immobilière de Phnom Penh.
63 Entretien le 16 novembre 2010 avec un courtier d’une importante agence immobilière de Phnom Penh.
64 J.-M. Fournier, « Nouvelles temporalités, changements spatiaux et inégalités sociales. L’exemple des villes pétrolières du Casanare (Colombie) », Cybergeo, 2003, DOI : 10.4000/cybergeo.4150 ; Id., « Le capital spatial : une forme de capital, un savoir être mobile socialement inégal. L’exemple de l’élite argentine de Punta del Este (Uruguay) », dans R. Séchet, I. Garat, D. Zeneidi (dir.), Espaces en transactions, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 67-91.
65 J. Levy, « Capital spatial », dans J. Levy, M. Lussault (dir), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 124.
66 M. Lussault, « Ce que la géographie fait au(x) monde(s) », Tracés, 3, 2010, p. 241-251.
67 V. Delignières, H. Regnauld, « Motards, capital spatial et construction identitaire hétérotopique : récits et pérégrinations des motards rennais », Norois, 204, 2007, p. 81-94.
68 O. Lazzarotti, L’habiter, la condition géographique, Paris, Belin, 2006, p. 94-95.
69 L. Cailly, « Capital spatial, stratégies résidentielles et processus d’individualisation », Annales de géographie, 2007, 654, p. 170.
70 Id., Pratiques spatiales…, op. cit.
71 F. Ripoll, V. Veschambre, « Sur la dimension spatiale des inégalités : contribution aux débats sur la “mobilité et le capital spatial” », dans S. Arlauld, Y. Jean, D. Royoux, Rural-urbain. Nouveaux liens, nouvelles frontières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 467-481.
72 Comme nous le verrons, les informations s’apparentent à des données sur l’espace (prix fonciers, terres disponibles, etc.), tandis que les connaissances renvoient à des informations que les individus capitalisent en compétences. Les individus et les groupes peuvent donc chercher à obtenir tant des informations que des connaissances sur l’espace leur permettant de prendre part, d’une manière ou d’une autre, aux activités immobilières. Les savoirs, enfin, se distinguent des connaissances, car ils renvoient, dans cet ouvrage, à un ensemble de connaissances mises en cohérence dans le cadre d’une pratique ou d’une action spécifique, ou dont la cohérence renvoie à un contexte culturel, social ou géographique particulier. Des individus qui ne pratiquent pas cette action spécifique, ou qui n’appartiennent pas au contexte particulier, ne pourraient alors posséder ce savoir, même s’ils détiennent certaines des connaissances qui le constituent.
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