Chapitre 6. Un contrôle et un partage des territoires au profit de groupes d’intérêt locaux
p. 199-241
Texte intégral
1La conquête des espaces périphériques par de nouveaux habitants et la transformation des habitats préexistants s’inscrivent dans l’évolution contemporaine des modes de gestion des territoires par les autorités locales, en même temps que la réorganisation des pratiques immobilière et le processus de périurbanisation transforment les rapports entre les habitants, les autorités locales et les acteurs privés. La libéralisation de l’économie cambodgienne s’accompagne dès le début des années 1990 d’une politique de réorganisation des pouvoirs territoriaux. La mise en place d’une bonne ou d’une meilleure gouvernance devient très vite une priorité des institutions internationales (voir la première partie du chapitre 4). Principalement portées par l’ONU et la Banque asiatique de développement, ces réformes doivent permettre une meilleure gestion institutionnelle des territoires et une démocratisation du rapport entre les autorités locales, la société civile et les acteurs privés1.
2En confrontant la formulation théorique des nouveaux modes de gouvernance à Phnom Penh avec l’évolution des modes de production de la ville, une nouvelle lecture des jeux de domination et des relations de pouvoir est permise, nous offrant ainsi la possibilité de repenser les relations entre les acteurs de la production urbaine d’une part et l’évolution des modes de gouvernement par la privatisation de la production urbaine d’autre part, pour finalement souligner le rôle de l’activité immobilière dans l’émergence de groupes d’intérêt au niveau local. Au cours de ce chapitre, nous verrons notamment comment les territoires urbains sont devenus de véritables ressources que de nombreux acteurs économiques et institutionnels cherchent à contrôler. L’activité immobilière et les espaces qu’elle contribue à produire participent de l’émergence de nouvelles réalités sociospatiales au niveau local. Le jeu des rapports de pouvoir s’en trouve tantôt exarcerbé, tantôt renouvelé. Derrière ces processus se dessinent finalement de nouvelles figures de l’autorité, qui démontrent le caractère réellement stratégique de l’activité immobilière.
Entre pouvoir d’en haut et contrôle d’en bas : une décentralisation symbolique
Une décentralisation symbolique des pouvoirs territoriaux
3La gestion des territoires à Phnom Penh est tributaire d’une double centralisation. Les compétences techniques et une partie des pouvoirs décisionnels sont détenues par la municipalité, tandis que les capacités financières et politiques de cette dernière sont principalement conditionnées par les décisions des ministères, directement sous contrôle du pouvoir central.
4Rappelons que la capitale comprend quatre échelons administratifs : en 2012, la municipalité de Phnom Penh est divisée en 9 districts, qui regroupent 96 communes urbaines, découpées à leur tour en 897 villages urbains2 (fig. 41). La gestion du territoire municipal est à la fois centralisée autour de la municipalité de Phnom Penh, et supposément décentralisée vers les échelons inférieurs de la hiérarchie territoriale. Par exemple, les grands projets d’aménagement, de construction d’infrastructures ou d’investissement sont directement gérés par la municipalité, mais avec l’aide et l’appui sur le terrain des districts et des communes. Cependant, le district dispose d’une certaine autonomie pour la mise en place de projets de plus petite envergure (entretiens des routes, petites infrastructures de drainage et d’assainissement par exemple), tout comme la commune, même si leurs projets nécessitent l’aval de la municipalité et bien souvent l’implication de ses services techniques.
5La municipalité dispose de plusieurs services chargés de gérer son fonctionnement et ceux des territoires administratifs, et d’assurer la coordination entre les différents échelons territoriaux et techniques (fig. 42, p. 202). Le gouverneur de la municipalité est principalement secondé par des vice-gouverneurs. Au nombre de six en 2014, ils appliquent les décisions prises au conseil des gouverneurs, tout en représentant les interlocuteurs privilégiés dans leurs domaines respectifs. Ils assurent bien souvent un rôle de coordination et de contrôle de toutes les opérations stratégiques. Ce système centralisé dépasse cependant de loin le niveau municipal. En effet, la mairie reste en partie sous le contrôle de certains ministères, c’est-à-dire de l’État central3.
6Le Datucc de la municipalité est partiellement soumis à la tutelle de son homologue ministériel, le Matuc. Principalement chargé du contrôle, de l’autorisation et de l’enregistrement des opérations de construction, le Datucc est un département clé de la municipalité, car il se situe au cœur des transactions immobilières. Tandis que le Datucc gère l’enregistrement cadastral et, le cas échéant, la délivrance de permis de construire pour les biens fonciers et immobiliers inférieurs à 3000 m2, le Matuc prend en charge ces procédures pour les projets de dimension supérieure, mais aussi pour certains édifices spécifiques, comme les infrastructures et usines de plus de 500 m2 de surface par exemple. À l’échelle municipale donc, les gains générés par l’octroi de permis de construire et de certificats de propriété sont partagés entre le Datucc et son homologue ministériel. Ce fait témoigne notamment d’une importante tutelle de l’autorité ministérielle sur celle municipale. Néanmoins, le Matuc intervient rarement directement auprès de la municipalité pour bloquer tel ou tel projet d’aménagement et de construction. Il a en ce sens beaucoup moins de pouvoir que le ministère de l’Intérieur, véritable représentant de l’État central à tous les niveaux de la hiérarchie territoriale municipale4.
7Les modes de gestion et de contrôle des districts et des communes signalent, là aussi, le fort contrôle de l’État central, comme nous le raconte un chef de commune :
Les ministères assurent une part importante de nos financements institutionnels. Pour l’éducation et la santé par exemple, nous dépendons presque exclusivement des ministères respectifs. Les districts supervisent aussi un nombre important de projets : ils fournissent un appui technique et institutionnel, même lorsque nous ne le demandons pas ! Nous sommes ceux qui exécutent. […] Nous n’avons pas vraiment de plans de développement sur un an, avec des objectifs, etc. Les rapports que nous envoyons à la municipalité concernent plus les questions démographiques […]. Il n’y a jamais de litiges entre la municipalité et nous, ou entre nous et les ministères. Nous demandons ce que l’on nous demande de demander, c’est tout. […] Par exemple, lorsque le ministère du Transport dit qu’il ne faut pas laisser rentrer les camions surchargés dans Phnom Penh, il envoie une lettre à la municipalité, qui envoie une lettre au district, qui nous envoie une lettre. Nous appliquons, c’est tout5.
8Généralement, le ministère de l’Intérieur nomme directement les chefs de districts (mé khan)6 et la municipalité s’oppose rarement à ses décisions. Par ailleurs, les ministères court-circuitent souvent la municipalité en s’adressant aux districts, tout comme ces derniers cherchent souvent leur appui dans la mise en œuvre de projets d’aménagement.
9La forte centralisation des décisions en matière d’aménagement, d’investissement et de construction aux échelons supérieurs de la hiérarchie institutionnelle, tout comme la forte tutelle du gouvernement central tendent cependant à évoluer sous l’effet d’une politique de décentralisation/déconcentration7 des institutions territoriales entamée il y a près de vingt ans. Largement tributaire de la réorganisation de l’administration cambodgienne par les autorités vietnamiennes entre 1979 et 1989, la centralisation de l’organisation territoriale nationale est souvent montrée du doigt par les grandes institutions internationales, qui y voient un obstacle à une gestion plus efficace, transparente, juste et démocratique des territoires. Dès la première moitié des années 1990, un processus de décentralisation – comme condition sine qua non de l’attribution d’une partie de l’aide au développement – est donc enclenché.
10En 1994, l’ONU lance le programme Carere (Cambodian Reintegration and Rehabilitation), puis le programme Seila en 1996. Ils ont pour objectif de donner plus de pouvoir aux échelons déconcentrés de l’État, principalement les provinces, les municipalités et les communes, tout en favorisant l’implication des citoyens, que ce soit par les urnes ou leur participation aux affaires politiques, institutionnelles et sociales locales. À partir des années 2000, le gouvernement du Cambodge met en place, avec l’aide de l’ONU, une série de réformes, qui aboutit à la promulgation de lois donnant plus d’autonomie aux échelons inférieurs de la hiérarchie territoriale. Les communes rurales et urbaines sont ainsi les premières bénéficiaires de la loi sur l’administration et la gestion des communes/communes urbaines (loi no 0301/05), ou « loi organique8 » votée le 12 janvier 2001 par l’Assemblée nationale9. La même année, la loi sur l’élection des conseils municipaux (loi no 0301/04) est adoptée. Les élections municipales se tiennent tous les cinq ans, la première depuis la signature des accords de Paris en 1991 ayant eu lieu en février 2002. Le 2 avril 2002 est finalement établi le nouveau « système de gestion des finances des communes/ communes urbaines » (sous-décret no 26/MEF), qui prépare l’autonomie financière des communes dans la gestion et le développement de leur territoire. En juin 2012, le PPC remporte largement les élections municipales, en gagnant 72 % des sièges de conseillers municipaux et 97 % des sièges de chefs de communes et de communes urbaines au Cambodge10.
11Les premières élections municipales et les lois votées au début des années 2000 posent les bases du processus de décentralisation/déconcentration des pouvoirs municipaux, qui s’appuie sur trois grands objectifs : permettre une autonomie financière aux échelons territoriaux inférieurs, leur assurer une autonomie administrative et améliorer la participation citoyenne.
12À Phnom Penh, le financement des communes est permis par trois principaux fonds : un fonds de financement qui leur est réservé, supervisé par l’État central et qui a pour objectif d’assurer un transfert des revenus fiscaux générés à l’échelle nationale11 ; les revenus fiscaux et non fiscaux collectés par les autorités de la commune à l’échelle de leur territoire ; la possibilité pour la commune de percevoir des rémunérations en tant que représentant de l’État, de la part de l’État central ou d’un tiers. Dans le cadre du fonds de financement des communes, ces dernières envoient leurs demandes à la municipalité, qui les remet au ministère de l’Intérieur afin d’organiser le transfert du Trésor national vers le fonds de financement des communes. Théoriquement, le ministère de l’Intérieur est appelé à arbitrer les conflits entre la municipalité et les communes liés aux demandes de financement. En réalité, les conflits sont rarissimes et se résolvent à l’amiable.
13Le budget annuel de chaque commune est contrôlé par la municipalité, qui émet un avis sur les bilans annuels fournis par celles-ci. Un système d’audit institutionnel est mis en place avec l’aide de la Banque asiatique de développement en 200012. Afin de favoriser le processus de décentralisation/déconcentration, le National Committee for Sub-National Democratic Development (NCDD) est créé en 2008. Ce dispositif interministériel, chapeauté par le ministère de l’Intérieur, est chargé d’organiser le processus de décentralisation/déconcentration. Depuis 2002, le système de gestion des territoires s’est donc largement complexifié13 sous l’égide d’organisations de développement régionales et internationales et avec l’aide de bailleurs nationaux et bilatéraux, qui ont financé à la fois la construction du nouveau cadre législatif, exécutif et financier de la décentralisation/déconcentration, et la formation des fonctionnaires pour la mise en œuvre des projets. L’émergence de ces nouvelles structures favorise l’intégration horizontale des échelons déconcentrés de la hiérarchie territoriale. Les acteurs du développement local, cambodgiens et étrangers, doivent dorénavant inscrire leurs projets au sein de ce nouveau cadre institutionnel. Cependant, ce processus de municipalisation rencontre un grand nombre de problèmes.
14Dès les premières élections municipales, en effet, le manque de moyens des échelons inférieurs de la hiérarchie territoriale est souligné, ce qui favorise le contournement des règles imposées par les contraintes budgétaires14. Malgré une redéfinition et une redistribution des compétences vers les niveaux inférieurs de la hiérarchie territoriale, l’autorité municipale reste largement sous la tutelle des autorités centrales. En effet, le contrôle des ministères de l’Intérieur et des Finances reste prégnant15, ce qui démontre que la déconcentration ne s’accompagne pas d’une véritable décentralisation. Les fonds propres de la municipalité16 servent principalement à financer ses coûts de fonctionnement. Les besoins de financement pour des projets d’infrastructures importants sont adressés directement au ministère de l’Intérieur, qui présente une demande de financement au Trésor17. Les conseils de commune18 restent sont ainsi sous contrôle du ministère de l’Intérieur19. Cette situation met à mal les volontés de l’implantation d’une meilleure gouvernance voulue par les grandes institutions internationales.
15Cependant, le processus de décentralisation/déconcentration ne consiste pas seulement en une réorganisation des institutions locales, mais s’apparente bien à un projet économico-politique plus global, liant définitivement le processus de démocratisation au Cambodge à la libéralisation de son économie. Il n’est donc pas étonnant que la notion de gouvernance occupe une importante place au sein des textes de la loi organique, tout comme les notions d’« intérêt commun », de « démocratisation », ou encore de « société civile ». Cependant, elle reste une notion floue, les concepts de « participation » et de « citoyen » étant finalement peu précisés. De même, la participation des habitants aux affaires locales, leurs modes de contrôle et d’intervention, ainsi que les moyens de la plus grande « transparence » ne sont pas clairement spécifiés. Finalement, selon la loi organique, la participation citoyenne semble intrinsèquement liée au processus de décentralisation/déconcentration : en donnant plus d’autonomie aux échelons inférieurs de la hiérarchie territoriale, le processus de démocratisation conduira automatiquement à une meilleure gouvernance territoriale, conséquence directe de la légitimation de l’autorité locale par le processus électoral et l’implication des habitants, ou plutôt du citoyen, dans leurs affaires locales. Ce texte s’inscrit en ce sens dans le cadre de la planification économique stratégique du pays, c’est-à-dire la stratégie rectangulaire de croissance (voir le chapitre 4). Ces enjeux sont cependant loin d’être propres au Cambodge20 :
La gouvernance s’appuie sur une recomposition des liens entre les sphères publiques et privées, ainsi qu’entre État, marché et société civile. Comme dans un système de vases communicants, son essor appelle le dépérissement de la souveraineté étatique et du gouvernement traditionnel, et ce tant sous l’impact de la mondialisation que de sa nature propre21.
16À une échelle plus globale, la gouvernance est aujourd’hui intégrée à la plupart des grandes doctrines développementalistes mises en place par les institutions internationales pour une libéralisation accrue des économies nationales des pays en développement, au point de devenir « une véritable méthode de traitement des problèmes sociaux, économiques et politiques et de réforme de l’État, destinée à créer les conditions favorables aux mécanismes de marché22 ». À Phnom Penh, l’échelon des communes urbaines est l’un des principaux bénéficiaires de ces politiques.
La commune : un échelon clé de la gestion et du contrôle des territoires urbains
17La centralisation des décisions en matière d’aménagement et d’investissement tout comme la prégnance de l’État central dans le contrôle territorial masquent parfois l’autonomie dont disposent les institutions locales en matière de gestion des territoires urbains. D’un côté, le processus de décentralisation/ déconcentration a, en apparence, donné plus de pouvoir et d’autonomie aux communes urbaines. D’un autre côté, ce transfert de responsabilité a complètement sous-estimé tout un pan du travail et du rôle des institutions communales à l’échelle locale.
18La gestion administrative et le contrôle social des populations locales sont ainsi concernés par un second dispositif territorial, qui se lit à l’échelle locale. Les communes centralisent en effet des informations relatives à la composition socio-économique de leurs quartiers23, aux infrastructures24, aux incidents de sécurité25, aux problèmes de santé publique26, aux finances et à l’investissement. Toutes ces informations sont enregistrées par la commune ; une partie est retranscrite au sein des rapports de commune produits annuellement et présentés directement à la municipalité, le district en recevant aussi une copie. Les rapports de commune comportent notamment un volet « prospective », qui établit les objectifs d’amélioration des conditions économiques, sociales et matérielles des quartiers urbains gérés par les communes. Ces rapports rappellent le bilan de l’année précédente et estiment le budget nécessaire aux objectifs qui y sont inscrits.
19En comparant les rapports des années 2008 et 2009 des communes de Tuol Sangke, Teuk Tla et Chbar Ampeul 227, nous pouvons noter que les habitants supportent une part importante du financement de l’aménagement de leur territoire28. La municipalité participe au budget de fonctionnement et d’investissement au sein des communes étudiées à hauteur de 0,5 % à 20 %. Ces taux changent d’une année sur l’autre, en fonction des infrastructures réalisées. La population, quant à elle, assure généralement plus de 80 % du total du financement de la construction et de l’entretien des infrastructures et du réseau. La commune mobilise alors chaque village pour participer à la récolte des fonds auprès de la population. En effet, les principes du financement de l’entretien des trottoirs et de la voirie, de l’amélioration du réseau viaire, de la construction ou l’entretien des pagodes par exemple s’appuient sur la base d’un partage des coûts de construction et d’entretien des infrastructures entre la population et les autorités territoriales, chaque partie devant prendre théoriquement en charge 50 % du budget.
20Par exemple, dans le cadre de la réfection des voiries, les sommes sont demandées par logement, en fonction de l’emprise sur les trottoirs de ces derniers. La commune, après avoir déterminé la localisation de l’intervention et estimé les coûts des travaux, lance un appel d’offres par l’intermédiaire de la municipalité. Une fois l’entreprise sélectionnée, la répartition de la prise en charge entre la municipalité et les habitants et entre les habitants eux-mêmes est arbitrée par la commune. Les ménages les plus riches sont invités à donner davantage que les ménages moins aisés, ce qui favorise les effets de corruption et de collusion entre les notables locaux, les communes et les villages. Les dons d’argent se font directement du ménage au chef de commune, qui remet alors un reçu officiel. Les noms des donateurs et les sommes versées figurent notamment en annexe des rapports de commune, et ces renseignements sont affichés sur des panneaux d’informations et devant les maisons des donateurs.
21Cette forme de partenariat public-privé a été instaurée en 2000, sous l’autorité du gouverneur d’alors, Sophara Chea29. Elle permet à la municipalité de pallier son manque de moyens et de reporter une partie du financement des infrastructures sur les habitants, le système de contribution par l’impôt faisant grandement défaut30. Ce système est souvent vanté au cours de conférences internationales et fait parfois figure de modèle auprès d’autres pays en développement31 ; il s’inscrit tout à fait dans le processus de décentralisation/déconcentration, car il permet aux communes de prendre en charge le développement de leur territoire en impliquant, du moins financièrement, les habitants.
22Le système d’appel d’offres et la sollicitation des acteurs privés participent par ailleurs de la généralisation des partenariats public-privé, outil primordial des politiques de décentralisation/déconcentration des institutions territoriales. Nous verrons par la suite que ce système favorise cependant une emprise plus importante des acteurs privés sur les territoires locaux et la formation de groupes d’intérêt, qui se partagent les ressources territoriales locales.
23Le rôle des communes ne se limite pas à la gestion de l’aménagement du territoire. Une partie importante de leur travail consiste à maintenir la sécurité publique en assurant un contrôle social des habitants. Face à la présupposée centralisation des décisions en matière de développement urbain autour des échelons supérieurs de la hiérarchie territoriale et de l’État central, d’autres processus sociopolitiques sont à l’œuvre au niveau local. À l’opposé du mouvement descendant du pouvoir institutionnel, nous notons un mouvement ascendant des informations sociospatiales (fig. 51, p. 233).
24Les communes sont notamment chargées, avec la police, d’assurer un encadrement social et un contrôle policier sur la population de leurs territoires. Pour ce faire, les conseils communaux sont assistés sur le terrain par des chefs de village (mé phum), qui disposent de plusieurs chefs de groupe (mé krom), eux-mêmes appuyés par des chefs de familles (mé krousar), qui ont la responsabilité d’un certain nombre de ménages. Le nombre de chefs de groupes et de chefs de familles, tout comme le nombre de ménages gérés par les chefs de familles, varient en fonction de la taille des territoires administratifs et des densités de population. Le chef de familles d’un village du centre-ville peut ainsi gérer plusieurs centaines de familles, lorsqu’un chef de familles d’un village périphérique en gère quelques dizaines.
25À la différence des chefs de village, les chefs de groupes et les chefs de familles ne sont pas rémunérés (même s’ils sont parfois dédommagés). Les villages ne disposent pas de fonds propres et n’engagent jamais aucune dépense. Ils ne font qu’appliquer les directives de la commune. Les chefs de village sont généralement nommés par les chefs de commune et gagnent en moyenne autour de 10 dollars par mois. Ce travail s’effectue donc en complément d’une autre activité, ou au moment de la retraite. Les chefs de village ont généralement occupé une fonction dans l’administration territoriale, à la commune, au district ou à la municipalité. Ils peuvent être en place depuis très longtemps. Certains chefs de village rencontrés ont été nommés par l’administration vietnamienne au cours des années 1980. L’assise sociale et politique qu’ils ont su forger au fil des ans dans leur voisinage leur permet d’être encore en place aujourd’hui.
26En tant que représentant de l’État au niveau local, la commune fournit aux habitants des certificats attestant leur état civil et leur domiciliation. Ces papiers leur permettent de demander des prêts bancaires, le versement de leur retraite ou encore des livrets de famille à la police. La commune est aussi chargée de contrôler les emménagements et les déménagements. Lorsqu’un ménage ou un individu souhaite déménager (roeu ptéah), il s’adresse à la commune pour demander un justificatif de résidence, qu’il devra présenter aux autorités territoriales de son lieu d’emménagement, afin de faire enregistrer sa nouvelle résidence. Enfin, la commune enregistre et fournit les justificatifs lors des mariages, décès et naissances. L’organisation administrative des bureaux de communes diffère en fonction des particularités de chacun des territoires :
Il y a neuf personnes qui travaillent dans ma commune. Deux sont mes assistants, trois travaillent au département des femmes, un est comptable et deux sont chargés de la planification et de la construction. Nous avons aussi un employé du ministère de l’Intérieur chargé de nous assister dans les affaires administratives32.
Nous avons onze personnes qui travaillent pour la commune ici. J’ai trois assistants, qui s’occupent de l’administration et des relations avec les chefs de village. Nous avons deux comptables, deux personnes travaillent aux affaires sociales, trois personnes sont au bureau de la planification et de la construction et une personne s’occupe des investissements. […] Dans d’autres communes, c’est différent. Les communes dans le centre de Phnom Penh ont plus d’employés. La commune du wat Phnom, par exemple, a un service qui s’occupe du patrimoine. Ils ont un service juste pour cela33.
27Les communes veillent à la diffusion d’informations émanant des services de la municipalité, des ministères et de différentes organisations de la société civile. Avec l’évolution de la gouvernance territoriale, la commune accueille plus fréquemment des réunions de sensibilisation animées par des associations locales. Les relations entre la commune et le haut de la hiérarchie territoriale varient par ailleurs en fonction des territoires. Plus ces derniers représentent un enjeu économique important, plus les chefs de communes sont amenés à avoir des liens directs avec la municipalité ou les ministères. La plupart des communes s’adressent néanmoins principalement au district :
Nous faisons des rapports au district et nous le sollicitons parfois pour de l’assistance technique et de l’appui institutionnel pour certaines demandes à la municipalité. Nous travaillons très peu directement avec la municipalité. Quand nous avons des demandes à faire, nous nous adressons au district34.
28D’autres chefs de communes, tout en insistant fortement sur le nécessaire respect de la hiérarchie, indiquent certaines relations privilégiées avec le haut de la hiérarchie territoriale :
Le district nous sert principalement à renforcer notre autorité politique auprès de la municipalité. Nous nous adressons à lui pour avoir du soutien. […] Il faut respecter la hiérarchie. Pour certains projets importants, nous nous adressons parfois directement à la municipalité. Il faut passer par le district pour avoir le soutien technique de certains départements de la Municipalité. Notre relation avec les ministères passe aussi par le district. Nous ne pouvons pas contourner la hiérarchie35.
Notre commune se trouve près d’un axe important. Il y a beaucoup d’enjeux économiques. Parfois, nous traitons directement avec la municipalité, lorsqu’il y a des investissements immobiliers ou des projets d’infrastructure importants36.
29Les communes, qui assurent des fonctions administratives diverses, sont ainsi chargées de gérer l’aménagement de leur territoire et d’appliquer les directives des ministères et de la municipalité par l’intermédiaire du district. Le village, quant à lui, sert de relais administratif et social entre la commune et les quartiers urbains. Le village fournit tout d’abord les attestations nécessaires à la population lors de demande de papiers officiels à la commune. Il est le référent au niveau local de la situation matrimoniale et résidentielle des habitants, et c’est notamment à partir de son travail que sont rédigés les rapports de commune. Celle-ci fournit régulièrement aux villages certaines directives émanant de la municipalité, de ministères et du district. Les villages servent donc avant tout de relais communicationnels pour les communes tout en étant leurs référents sur le terrain :
Mon travail consiste à : compter la population, les arrivées et les départs ; faire attention aux habitants (violences domestiques, vols, bagarres) ; être le témoin des transactions foncières, des arrangements entre les habitants, de leur état civil ; accompagner la construction de différentes infrastructures37.
La commune nous transmet des informations sur différents sujets. Elle nous donne des notes sur la santé, l’éducation, les incendies, la loi. Par exemple, le ministère de la Santé a organisé une campagne pour les vaccinations. Il va y avoir ce mois-ci des vaccinations gratuites pour les enfants de moins de 6 ans. Nous sommes chargés de donner l’information aux chefs de familles, qui vont le dire aux gens38.
30Le village joue aussi un rôle très important dans le contrôle, la surveillance et la résolution des conflits au niveau des quartiers. Il est chargé d’assurer la sécurité publique sur son territoire. Le chef de village est un interlocuteur privilégié lors de conflits de voisinage ou matrimoniaux. S’il n’arrive pas à les régler, il s’adresse à la commune, qui gère alors le problème elle-même, ou convoque la police lorsque le conflit apparaît insoluble ou quand l’infraction à la loi est considérée comme devant relever de la justice. Pour les habitants et la commune, le chef de village doit être un référent de confiance :
J’ai été nommé par la commune, parce que je connais bien le quartier et les habitants. Les gens ont confiance en moi et c’est le rôle d’un chef de village39.
Ici, je fais très attention à la sécurité. Je fais des copies des pièces d’identité pour contrôler les gens et repérer les voleurs. Lorsque les salaires des usines arrivent, il y a beaucoup de vols et de violence. […] Avec les ouvrières, il y a aussi des problèmes domestiques. Il faut faire attention. […] Tout le monde me connaît ici. La plupart du temps, la police ne se mêle pas des problèmes. C’est moi qui les règle40.
31Le binôme village/commune représente le dispositif clé de la gestion des espaces locaux, ce qui explique que le processus de décentralisation/déconcentration entamé depuis la municipalisation s’appuie principalement sur un transfert des pouvoirs vers ces échelons. Cette réorganisation de la gestion territoriale a notamment eu pour résultat une transformation des prérogatives administratives des villages :
Depuis 2008, les villages ont moins d’importance dans la régulation des transactions foncières. Nous ne pouvons plus gérer les transactions foncières comme avant. Nous devons toujours certifier que les habitants sont bien les propriétaires ou qu’ils habitent ici par exemple, mais nous avons juste un tampon, pas de certificat. […] Ce sont maintenant les districts et les communes qui gèrent le plus ce genre de choses. Certaines personnes ne passent même plus par nous pour avoir un certificat foncier, ils vont directement à la commune41.
Avant 2002 dans notre commune, tous les chefs de groupes et de familles recevaient de l’argent, donc tout le monde travaillait. Après 2002, les chefs de groupes et de familles ne reçoivent plus d’argent. Aujourd’hui, sur mes 58 chefs de groupes, tous sont bénévoles. Du coup, seulement 10 travaillent réellement42.
32L’autorité de la commune, secondée par le village, se trouve donc au cœur des mouvements descendants des décisions en matière de développement des territoires et des mouvements ascendants des informations ayant trait aux profils socio-économiques des habitants. Nous pouvons voir ici les traces de l’héritage coutumier des modes de gestion du village au Cambodge, mais transposés à un contexte urbain. Cet échelon territorial joue donc le rôle d’interface socio-institutionnelle et représente en ce sens un échelon stratégique du dispositif sociopolitique de contrôle des territoires par les autorités locales (fig. 51, p. 233). Il est tout aussi intéressant de noter que ces modes de gestion sociopolitiques s’accommodent des préceptes de la bonne gouvernance, ne serait-ce que dans les discours.
33À un autre niveau d’analyse, l’importance de la commune dans le maillage territorial de Phnom Penh n’est pas sans rappeler le transfert croissant de compétences aux arrondissements/districts des territoires vietnamiens, pris eux aussi dans une dynamique de décentralisation/déconcentration43. L’organisation de la hiérarchie territoriale actuelle à Phnom Penh fut justement mise en place pendant la République populaire de Kampuchéa (1979-1989), largement sous tutelle de l’autorité vietnamienne44. La centralisation des pouvoirs territoriaux en haut de la hiérarchie administrative et la présence de représentants de l’autorité administrative au plus près de la population évoquent directement le contrôle socio-territorial tel qu’il est mis en place dans les pays socialistes en Asie comme la Chine, le Laos et le Vietnam. Cependant, la gestion tricéphale de l’administration territoriale vietnamienne entre le parti, les conseils populaires (législatif) et les comités populaires (exécutif) – présents conjointement à tous les niveaux de la pyramide territoriale – n’a pas cours au Cambodge. S’il n’existe pas non plus, à la différence du Vietnam, de parti unique, on peut interroger le rôle des communes dans l’encadrement et l’embrigadement politique de leurs administrés. La surveillance des partis d’opposition et de leurs membres ainsi que la diffusion d’informations en faveur du PPC révèlent le rôle politique de premier plan des échelons inférieurs de la hiérarchie territoriale. Un nombre important de ménages nous déclarait recevoir des informations politiques ou assister à des réunions organisées par le PPC au sein du village et de la commune. Ces faits illustrent l’ambivalence de la décentralisation dans le contexte politique cambodgien, caractérisé par la domination du PPC, qui s’appuie sur un contrôle assidu de l’ensemble des échelons de la hiérarchie institutionnelle, administrative, mais aussi territoriale.
34Les évolutions de la gouvernance territoriale que nous venons de présenter ne sont pas homogènes. La transformation des espaces urbains périphériques a notamment pour conséquence la mise en place d’une gouvernance à plusieurs vitesses. L’évolution des secteurs d’habitations et l’apparition de nouveaux projets immobiliers doivent être comprises à la lumière des modes effectifs de gouvernement des territoires locaux, qui remettent en question la supposée centralisation des pouvoirs : il semble bien y avoir confusion, pour une partie des acteurs du développement, entre centralisation territoriale et centralisation politique, qui se recoupent sans être synonymes.
Une remise en question de la supposée centralisation des pouvoirs
35Si la centralisation des pouvoirs décisionnels en matière d’aménagement et d’investissement autour de la municipalité et de l’État central est avérée, les communes conservent une forte marge de manœuvre dans l’organisation de leur territoire :
C’est compliqué. D’un côté, les communes doivent tout rapporter à leur hiérarchie et rendre des comptes. D’un autre côté, la municipalité n’a pas vraiment de contrôle direct sur les communes, elles peuvent faire ce qu’elles veulent. […] Par exemple, pour la corruption, il n’y a pas de système centralisé entre la municipalité et les villages, communes et districts. Les négociations se font au cas par cas et les communes peuvent garder l’argent pour elles45.
36La commune dispose ainsi d’une certaine liberté pour aménager son territoire. La captation de ressources urbaines locales lui permet de préréserver une marge de manœuvre dans les décisions en matière d’aménagement et d’investissement. Les chefs de commune font néanmoins attention à ne pas empiéter sur les prérogatives des niveaux hiérarchiques supérieurs. Ils se situent toujours entre le respect de la hiérarchie, le maintien de la paix sociale, la cohérence du fonctionnement administratif de leurs territoires et la gestion de leurs intérêts privés.
37Les sphères publique et privée sont elles aussi fluctuantes. Les tenants de l’autorité territoriale n’appartiennent pas seulement à la sphère publique : ils ont bien souvent des intérêts privés à l’intérieur de leur territoire administratif. La frontière entre sphères publique et privée devient autant floue que ténue et les relations interpersonnelles dépendent de positions de pouvoir qui dépassent bien souvent le simple cadre de l’administration territoriale.
38Par exemple, les chefs des communes de Tuol Sangke et de Chbar Ampeul 2 sont des multipropriétaires fonciers dans leurs territoires respectifs. Le chef du village de Chongthnal Khangleach dans la commune de Teuk Tla a fait construire autour de sa maison un nombre important de logements ouvriers, qu’il met en location. Son terrain accueille par ailleurs une antenne relais d’un opérateur téléphonique, qui paye la location de l’emplacement. Les fonctionnaires territoriaux tirent donc parti de leur position institutionnelle dans la sphère économique au niveau local. Cette situation conduit à une imbrication des intérêts privés et publics et favorise la mise en place de rapports privilégiés entre les notables locaux et les institutions territoriales. De même, certains investisseurs locaux entretiennent des relations puissantes au sein de l’administration civile ou militaire, lorsqu’eux-mêmes ou un membre de leur famille n’occupent pas un poste étatique important. Les chefs de commune ou de district font donc bien attention à ne pas se trouver dans un conflit de pouvoir avec des personnes mieux placées qu’eux, ou ayant de puissantes relations sociopolitiques. La gestion des territoires urbains s’effectue aussi en fonction de ces hiérarchies socio-institutionnelles.
39La position de domination des individus en charge de la gestion des territoires urbains met ainsi à mal la démarche de décentralisation/déconcentration telle qu’entreprise depuis près de vingt ans, car elle part d’un constat incomplet et partiellement erroné. En effet, la présumée centralisation des décisions en matière d’aménagement est remise en cause par les rapports claniques, clientélistes et de patronage, qui caractérisent les relations entre les tenants de l’autorité politique et économique et ceux sur qui l’autorité s’exerce. Ces situations s’expriment aussi bien dans les relations de travail46, celles politiques47, que dans les relations sociales en général48. En d’autres termes, le processus de décentralisation s’exerce sur des structures politiques, sociales et économiques à la fois centralisées techniquement, mais fragmentées sociopolitiquement.
40Dans cette optique, les pouvoirs sont redistribués aux différents échelons de la pyramide territoriale et entre les représentants de l’autorité centrale à l’échelle locale en fonction de relations privilégiées entre différents clans politiques et selon l’entente entre un fonctionnaire et ses obligés. Si les décisions en matière d’aménagement et d’investissement au sein des espaces urbains paraissent centralisées autour de la municipalité, des ministères, de l’État central et du PPC, leurs applications dépendent fortement de relations complexes entre différents individus et groupes d’individus, qui s’organisent en fonction de rapports de force, de domination et de pouvoir. Il paraît donc nécessaire d’éviter une approche simplificatrice des stratégies d’acteurs, où un nombre très limité de clans se partagerait les ressources nationales et locales :
La haute fonction [institutionnelle et politique] s’est muée en détentrice des monopoles du droit de vente et du droit de taxe, défendus par celui de la violence, détenu par les milices factieuses49.
Ces factions sont en effet moins des clans politiquement organisés que la partie politiquement visible d’une nébuleuse de relations informelles et interpersonnelles fondées sur un enchevêtrement de solidarités familiales, régionales, religieuses, éducatives, économiques, etc., qui débordent les simples clivages politiques, ne serait-ce que parce qu’elles existent en dehors et avant eux50.
41Certaines organisations internationales, au premier rang desquelles l’ONU, cherchent à diminuer la capacité de contrôle des hauts dirigeants et de certaines administrations centrales en favorisant une décentralisation et une déconcentration des pouvoirs territoriaux. De l’extérieur, tout semble organisé autour du Premier ministre Hun Sen, souvent assimilé par certains observateurs étrangers à un dictateur régnant sans partage51. Cependant, l’organisation clanique du pouvoir ne permet justement pas un contrôle total de l’un des clans sur tous les autres. Si Hun Sen a su tirer parti de ses alliances en intégrant des réseaux élitistes clés au sein de sa sphère d’influence52, le Premier ministre et son clan doivent partager en partie les ressources octroyées par leur position de domination au sein du champ institutionnel, politique et économique. La relative liberté dont jouissent certains hauts responsables provinciaux et locaux illustre cette faiblesse du contrôle centralisé, qui aboutit souvent à des menaces publiques, mais sans effets de la part du Premier ministre. Les relations complexes entre ceux qui exercent le pouvoir aux plus hauts niveaux du gouvernement et les fonctionnaires des niveaux inférieurs de la hiérarchie territoriale s’assimilent ainsi à des enchevêtrements de multiples réseaux fragmentés. Ce sont par les chefs de réseaux ou les chefs de clans que se réalisent les connexions entre des réseaux inférieurs et supérieurs53, par l’intermédiaire de relations de parenté et de patronage et par le truchement de positions institutionnelles, familiales et affairistes54. Cette situation ne doit cependant pas conduire à une interprétation rapide des relations de pouvoirs entre les institutions locales et les habitants, comme c’est le cas dans certains témoignages :
Nos propos consistent […] à mettre en relief un des points sur lesquels achoppe le projet collectif khmer, celui qui empêche le pouvoir local de « penser » en fonction de l’intérêt général. Le « chef » khmer apparaît ici comme une figure centrale du problème. Pour commencer, il nous apparaît que le chef au Cambodge présente deux visages assez contrastés, selon sa légitimité à occuper le poste en question : inopérant ou autoritaire55.
42Les entretiens menés au niveau local révèlent une situation plus complexe où les tenants de l’autorité institutionnelle sont partagés entre la volonté d’assurer une certaine cohésion sociale entre différents groupes d’individus aux niveaux sociaux hétérogènes – car la désorganisation sociale nuirait à leurs intérêts personnels et à ceux de leurs supérieurs –, celles de ne pas faillir aux attentes de leurs supérieurs hiérarchiques, de favoriser leurs intérêts personnels et ceux de leur réseau de parenté, mais aussi, pour certains, de faire le travail pour lequel ils ont été désignés ou élus. La notion d’« intérêt général » a ici aussi peu de pertinence que celle d’« intérêt particulier ». Il s’agit plutôt de comprendre comment les différentes parties en présence jouent avec divers intérêts individuels, de groupe, familiaux, claniques et de patronage pour assurer la pérennité de leur position politique, économique et sociale. Il ne faut par ailleurs pas sous-estimer la force de l’organisation hiérarchique du champ institutionnel, qui empêche bien souvent les fonctionnaires de faire leur travail comme ils l’entendent.
43Si plusieurs recherches et rapports vantent les mérites du processus de décentralisation/déconcentration et de l’instauration d’une meilleure gouvernance au Cambodge56, d’autres interprétations sont donc possibles. En donnant une plus grande autonomie aux communes et en favorisant les partenariats public-privé, les politiques de développement renforcent le pouvoir des élites institutionnelles et affairistes à l’échelle locale. Dans ce contexte, le rôle des acteurs privés dans le contrôle et l’aménagement des territoires tout comme dans la captation des ressources urbaines – notamment foncières et immobilières – se trouverait renforcé en même temps que le brouillage des sphères publique et privée serait accentué. Au sein des périphéries urbaines, cette réorganisation des rapports sociopolitiques se réalise par ailleurs, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, dans un contexte d’exacerbation des divisions sociales de l’espace. La production contemporaine d’espaces urbains à Phnom Penh se doit donc d’être reconsidérée au prisme de ces relations de pouvoir particulières.
Les effets du transfert de la gestion des espaces locaux aux habitants et acteurs privés
Une marginalisation accrue de certains secteurs d’habitations
44À l’échelle locale, les relations entre les habitants et les tenants de l’autorité politico-institutionnelle sont loin d’être homogènes. De même, l’implication des autorités dans la construction et l’entretien d’infrastructures dépend des profils socio-économiques des habitants du territoire.
45Les habitants des espaces périphériques déclarent être en contact avec les autorités municipales (de la municipalité aux chefs de familles) pour six raisons principales : l’aménagement de leur espace de vie (construction d’infrastructures, entretien du réseau, etc.), la gestion des biens immobiliers (dimension des parcelles, vérification des constructions, etc.), la transmission d’informations générales ayant trait à la gestion des espaces de vie (la sécurité par exemple), la gestion administrative (mariage, décès, naissance, certificats divers, etc.) et la diffusion d’informations relatives à certaines pratiques quotidiennes (santé publique, gestion budgétaire, alcoolisme, jeu d’argent, etc.)57. Les rapports entre les habitants et les institutions de la commune et du village sont marqués de fortes disparités entre les différents secteurs d’habitations étudiés. Par exemple, la manière dont s’établissent les contacts entre ces autorités territoriales et les habitants n’est pas la même dans les secteurs d’habitations récents que dans ceux précaires.
46L’attention que portent les autorités locales à ces derniers correspond d’une part aux impératifs de la gestion de problèmes sociaux, plus nombreux dans ces espaces, et d’autre part à la volonté d’assurer un contrôle social et sécuritaire plus important auprès de groupes souvent considérés comme dangereux, voire nuisibles :
Je suis le seul chef de groupe de ce quartier. […] Je communique presque tous les jours par talkie-walkie avec le village, la commune et la police. Je les appelle dès qu’il y a un problème. Pour les vols, je préviens la police. Pour les problèmes domestiques, je préviens le village. Lorsqu’il y a de grosses bagarres, je préviens la commune, qui s’occupe immédiatement du problème. Il y avait beaucoup de bagarres avant, mais nous contrôlons mieux le quartier maintenant58.
47Au sein des secteurs d’habitations précaires, les contacts entre les chefs de village et les habitants sont quotidiens. Les chefs de groupes assurent une vigilance permanente et tiennent régulièrement au courant les chefs de village. ÀChbar Ampeul, Teuk Tla et Tuol Sangke, tous les habitants des secteurs d’habitations précaires connaissent le nom du chef de village et son lieu de travail. En retour, le chef de village connaît pratiquement tous les habitants, ainsi que leurs situations matrimoniales et matérielles59. Cet encadrement social et sécuritaire des populations les plus précaires contraste avec la quasi-absence de contact entre les habitants des quartiers de compartiments récents et les autorités locales.
48En effet, plus de 50 % des ménages interrogés au sein des espaces de compartiments récents déclarent ne jamais être en contact avec les autorités de leur commune et de leur village :
On ne voit jamais le chef de village ou le chef de commune. Il ne vient jamais ici. Je ne sais pas où il habite et où est le bureau du village. […] Non, je ne connais pas le chef de groupe. Je pense qu’il n’y en a même pas ici60.
49Cette rareté des relations entre les autorités locales et les habitants au sein des secteurs de nouveaux lotissements témoigne d’une certaine forme de déterritorialisation de ces projets immobiliers. Ce processus est par ailleurs renforcée par un transfert des responsabilités en matière d’aménagement et de gestion sociale des territoires vers les habitants et les opérateurs privés. Ainsi la fragmentation des espaces urbains autorise-t-elle de nouvelles formes de relations sociopolitiques et de nouveaux modes d’exercice du pouvoir, qui révèlent les ambiguïtés de la participation citoyenne au niveau local – du moins telle qu’elle est définie dans les textes encadrant le processus de décentralisation/ déconcentration –, qui se heurte bien souvent aux intérêts des acteurs privés et publics locaux.
50Le mode de financement de la construction et de l’entretien des infrastructures locales qui, comme nous l’avons précédemment expliqué, implique une participation monétaire des ménages bénéficiaires génère de fortes disparités dans le développement des espaces périphériques. Si les autorités locales déclarent financer davantage l’aménagement d’espaces habités par des ménages précaires61, ces territoires restent les moins bien équipés. Les figures 43 et 44 montrent la différence d’aménagement des voiries entre deux quartiers résidentiels situés à quelques centaines de mètres l’un de l’autre. Le premier est principalement composé de ménages aux revenus moyens. La présence dans le quartier du chef de village a sûrement joué un rôle dans l’attribution de financements pour la réfection de la voirie : il est, selon lui, à l’initiative de la rénovation de la route, financée par les ménages du quartier62. Le deuxième espace est surtout habité par des ménages aux revenus modestes, qui ne peuvent supporter de tels investissements de rénovation.
51Lorsque les ménages ne peuvent participer à l’aménagement de leur quartier, certaines associations viennent pallier, parfois avec les moyens du bord, le manque de moyens financiers. Au sein de la commune de Chbar Ampeul 2, l’association Urban Poor Women Development (UPWD63) développe des projets communautaires dans le but d’aider les habitants à se mobiliser pour construire leurs propres infrastructures pour se protéger des inondations64 (fig. 45, p. 223). Le chef de village accompagne les démarches et représente les autorités lors des réunions publiques. La commune accueille également certaines réunions et favorise la diffusion de l’information. Ce type de relation tripartite entre les habitants, une association civile et les autorités locales entre tout à fait dans les objectifs de gouvernance portés par les organisations internationales, les organisations non gouvernementales et les institutions cambodgiennes, tout en accentuant parfois le désengagement de l’État dans le financement du développement des habitats les plus vétustes. Mais, plus largement, ces projets peuvent exacerber les conflits entre habitants au niveau local.
52À Teuk Tla, l’organisation Urban Poor Development Fund (UPDF) aide quarante-cinq ménages propriétaires dans la constitution d’une tontine gérée par les habitants. Ce fonds permet principalement aux habitants de financer l’entretien de leur logement. L’un d’eux, nommé par les autres ménages « chef de communauté », se charge de collecter l’argent auprès des propriétaires qui souhaitent participer à la tontine. UPDF demande la récolte de 2 millions de riels (environ 400 euros) au total et propose une capacité d’emprunt de 20 millions de riels (environ 4000 euros) répartis entre les ménages qui ont participé. Le remboursement de l’emprunt est ensuite échelonné. Cette forme de micro-crédit, qui s’appuie sur une organisation communautaire d’un groupe de personnes et dont l’encadrement est assuré par une organisation non gouvernementale, n’est pas rare au Cambodge. Le chef de communauté rend régulièrement des comptes à UPDF, au village et à la commune. Plusieurs habitants nous rapportaient les problèmes posés par la gestion de la tontine. Le chef de communauté serait proche des autorités locales et de certains employés de UPDF, avec lesquels il se serait entendu pour faire bénéficier certains ménages du prêt, au détriment des autres. Si ces faits sont difficiles à vérifier, l’identification d’un chef de communauté génère souvent des tensions, qui révèlent les luttes de pouvoir entre les habitants à l’échelle locale.
53La proximité de UPDF avec des hauts fonctionnaires de la municipalité et les nombreuses suspicions de détournements de fonds dont elle fait l’objet65 illustrent les problèmes que peut poser la délégation de la gestion des territoires à certains acteurs privés, fussent-ils assimilés à la société civile. Par ailleurs, l’identification et la constitution de « communautés » et bien souvent d’un « chef de communauté » sont parfois peu pertinentes au regard de la réalité des relations sociales à l’intérieur des lieux de vie, ce qui génère bien souvent des tensions entre des familles qui souhaitent prendre le contrôle de telle ou telle ressource. La participation des citoyens aux affaires locales, qui correspond tout à fait aux objectifs d’une meilleure gouvernance territoriale, ne signifie ainsi pas obligatoirement une gestion plus transparente et efficace des ressources urbaines locales. Mais plus largement, ce système de gestion des territoires à plusieurs vitesses, en fonction des profils socio-économiques des ménages, marginalise de surcroît les populations les plus vulnérables, qui subissent à la fois le manque d’aménagement des espaces les plus fragiles, la transformation rapide de leurs espaces de vie sous l’effet d’une production immobilière exclusive et la privatisation de la gestion des territoires par des élites locales.
La marginalisation de populations prises entre des contraintes naturelles et anthropiques
54Le quartier de Chbar Ampeul est révélateur des problématiques environnementales soulevées par l’accélération de l’urbanisation en périphérie. Le nord de cet espace, constitué des communes de Chbar Ampeul 2 et Nirouth (fig. 16, p. 94), est concerné par l’érosion des berges et les inondations. L’urbanisation s’est développée sur le remblaiement des zones marécageuses. Une partie importante des habitants, revenus dès la chute du régime khmer rouge, s’est installée de manière spontanée le long des berges du Tonlé Bassac et au sein des zones inondables. L’accélération de l’érosion et l’élévation croissante des habitats environnants par remblaiements successifs augmentent progressivement la précarité des habitats les plus enclavés et des ménages les plus pauvres.
55Les habitants revenus après 1979 dans leur secteur d’habitations d’origine le long du Tonlé Bassac (fig. 46) évoquent l’accélération de l’écroulement des berges :
Là où j’habitais avant se trouve maintenant au milieu du Tonlé Bassac. Lorsque nous sommes revenus en 1980, nous nous sommes installés là où nous habitions avant de partir en province [sous les Khmers rouges]. Nous sommes restés là pendant longtemps, mais, vers le début des années 1990, nous avons dû bouger notre maison, car les berges s’écroulaient. […] Depuis, nous avons déménagé cinq fois. Les berges se sont écroulées plus rapidement, depuis que les bateaux ont commencé à pomper le sable du Tonlé Bassac. […] Certaines années, c’est plus de dix mètres de berge qui tombent dans l’eau66.
56L’écroulement des berges a poussé tout un groupe de ménages à déplacer leurs maisons au fur et à mesure de l’avancée de l’eau. Le démontage et le remontage des logements sont pratiqués par tous les ménages de ce secteur d’habitations depuis un peu plus d’une vingtaine d’années. Si les causes de l’écroulement des berges ne sont pas certaines, les habitants évoquent l’accélération de l’érosion naturelle, qu’ils imputent aux opérations de pompage des sables des fleuves. À partir du début des années 2000, en effet, celles-ci se multiplient dans le Tonlé Bassac, le commerce de sable pour les remblais de Phnom Penh devenant florissant. Le remblaiement de l’île des Diamants, qui commence en 2007, renforce encore le processus. Constatant une accélération de l’érosion, principalement relevée par les propriétaires des terrains, l’État décide de limiter le pompage à cet endroit.
57L’association Krousar Thmey67, qui possède un terrain dans cette zone – maintenant partiellement écroulé dans le fleuve –, a entrepris une étude sur l’accélération de l’érosion, qu’elle impute notamment à l’augmentation des opérations de pompage du sable en amont du Tonlé Bassac, du Tonlé Sap et du Mékong68. Une étude comparative des photographies de Google Maps datant de 2003 et de 2010 montre qu’en fonction des endroits, entre 45 et 70 mètres de berges se sont effondrés dans le fleuve au cours de cette période69. Les autorités de la commune et du district ainsi que la municipalité ont été sollicitées à maintes reprises par les habitants, sans que ces derniers obtiennent la réalisation des travaux nécessaires à la stabilisation du terrain. Le chef de village visite régulièrement les habitants pour constater les dégâts, tout comme le chef de commune, qui se rend dans la zone une à deux fois par an. Face à l’avancée de l’érosion, la plupart des habitants ont perdu leur terrain sans être en mesure d’en acquérir un autre. Les faibles densités à cet endroit ont permis aux habitants de se déplacer au rythme des écroulements et d’occuper des terrains en friche appartenant à d’autres propriétaires. La plupart ont perdu, au fil des déplacements, leur statut de propriétaire. Sur les trente-neuf ménages habitant cet espace, seuls quatre sont propriétaires de leur terrain. Trois autres propriétaires, qui n’y vivent pas, se partagent actuellement les terrains et tolèrent la présence des habitants déplacés, ou leur louent des parcelles en échange d’un loyer modique (entre 5 et 10 dollars selon les cas).
58Depuis fin 2010, le propriétaire d’un terrain situé en retrait de ce secteur d’habitations a construit un mur, empêchant ainsi la progression des déplacements des habitants sur son terrain. Les familles se trouvent enclavées entre les contraintes du milieu naturel et la propriété foncière d’un investisseur privé. La perte de leur bien immobilier et la croissance des prix fonciers empêchent leur mobilité et les contraignent à attendre une réaction des autorités locales. Ces dernières se disent bloquées par le manque de moyens techniques et financiers à leur disposition. Les trois propriétaires extérieurs, quant à eux, ont déjà tiré une croix sur la sauvegarde de leur propriété foncière qu’ils n’arrivent de toute façon pas à revendre.
59Certains propriétaires, ceux qui en ont les moyens, mettent en œuvre des travaux de consolidation. Non loin du secteur d’habitations précaires évoqué plus haut, un propriétaire possédant un terrain en bord de fleuve a racheté à la commune des débris générés par la réfection de la principale route nationale traversant Chbar Ampeul. Cette protection sommaire assure un ralentissement de l’érosion et permet de limiter, du moins pour le moment, la perte de son terrain. Il existe donc bien un développement des espaces périurbains à plusieurs vitesses, qui révèle la fragmentation des territoires entre les propriétaires ayant les moyens et les relations nécessaires pour aménager et protéger leur espace, et ceux qui subissent les contraintes naturelles et anthropiques exacerbées par l’urbanisation. Le chef de la commune aurait pu tout aussi bien acheminer les matériaux dont il disposait pour consolider les berges au niveau du secteur d’habitations précaires. Le manque de moyens techniques et financiers initialement affiché apparaît finalement plutôt être une absence de volonté politique, et surtout une stratégie d’enrichissement.
60De même, l’apport en eau et en électricité au sein d’espaces où les infrastructures font défaut montre le rôle de certains notables locaux, qui s’enrichissent parfois au détriment des autres habitants. Dans les secteurs d’habitations précaires et les espaces périurbains en voie d’intégration, la distribution de l’eau et de l’électricité est généralement assurée par certaines familles, qui commercialisent la connexion entre le secteur d’habitations et le réseau public, ou qui organisent leur propre réseau de distribution. Selon nos observations, les habitants payent leur électricité et leur eau entre 2 et 4 fois plus cher que le prix pratiqué par les compagnies publiques.
61À Chbar Ampeul 2, par exemple, dans un secteur d’habitations périurbain en voie d’intégration, une famille a acheté une pompe à moteur, qui lui permet de puiser l’eau du Tonlé Bassac et de l’acheminer vers un petit château d’eau qu’elle a bâti. Selon les habitants, cette famille est la plus riche du quartier :
Ils ont construit cela il y a quelques années. Cela nous a permis d’avoir de l’eau à disposition, même s’ils la vendent très cher. […] Ils ont pu installer la pompe à cet endroit, car le propriétaire connaît bien le chef de la commune.
Le propriétaire possède deux autres maisons dans le quartier, il est riche. Certaines personnes ont essayé de lui dire que l’eau était trop chère, mais il ne veut pas écouter. […] Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas construire notre propre système d’eau. Ce propriétaire nous ferait des problèmes70.
62Le contrôle de l’accès aux ressources locales devient un enjeu de domination à partir du moment où sa mise en place nécessite des connexions avec les institutions locales et que son maintien implique une relation fondée sur la peur entre l’entrepreneur et ses clients. Au sein d’un secteur d’habitations précaires situé non loin de là, l’apport en électricité est cette fois assuré par un Sino-Khmer, qui possède une grande propriété en bordure de la zone d’habitations71. Selon certains habitants, ses liens avec l’entreprise EDC et avec la PPWSA lui ont permis de négocier un aménagement particulier du réseau dans la zone, dont il assure le contrôle. Il redistribue ainsi l’électricité, à un prix bien supérieur à celui du marché, aux ménages ayant peu de ressources, tandis que les habitants localisés aux marges du secteur d’habitations précaires bénéficient d’un raccord légal au réseau public et payent le prix normal.
63De même, dans le secteur d’habitations précaires situé le long des berges du Tonlé Bassac, la distribution de l’eau et de l’électricité aux ménages locataires, ou en « installation tolérée », est organisée par seulement quatre ménages propriétaires sur les trente-neuf habitant ce secteur. Ils se sont mis d’accord pour construire les infrastructures ensemble et se partager les clients. Là encore, les prix pratiqués sont bien supérieurs à ceux du marché. Les institutions locales participent souvent à cette situation en captant une partie de la rente générée par la privatisation de la production ou de l’acheminement des ressources en eau et en électricité.
64La gestion du drainage est tout aussi symptomatique des disparités d’aménagement qu’accusent les différents secteurs d’habitations périurbains et péricentraux. Dans certains espaces, la construction des infrastructures est essentiellement déléguée aux résidents. Les figures 47 (p. 228) et 48 (p. 229) montrent un secteur d’habitations précaires situé à Chbar Ampeul 2, soumis aux inondations pendant la saison des pluies. Cet espace s’est peu à peu retrouvé encerclé par des logements et des projets immobiliers plus récents construits sur remblais, et donc surélevés vis-à-vis du bâti plus ancien. Situé aujourd’hui dans une véritable cuvette, qui favorise les ruissellements et bloque les possibles exutoires, ce quartier sous-équipé reste inondé plusieurs mois dans l’année, obligeant les habitants à se déplacer en barque et à payer parfois le parking de leur véhicule en dehors de leur secteur d’habitations. Les insuffisances de la planification urbaine de portée légale et le faible contrôle de l’étalement urbain favorisent un système où les projets récents précarisent l’urbain plus ancien. Mais plus généralement, la privatisation de la production urbaine et l’enclavement volontaire des groupes intermédiaires et aisés se transforment en une ségrégation sociospatiale subie de la part des populations les plus pauvres, souvent marginalisées et stigmatisées.
65À Teuk Tla, la multiplication des projets urbains de type borey favorise l’enclavement des espaces urbains interstitiels. La figure 49 montre un secteur d’habitations principalement constitué de logements ouvriers enclavés entre un borey en construction (sur la droite) et un autre récemment construit (sur la gauche). La multiplication des projets urbains dans cet espace découle de la vente progressive de terrains qui appartenaient au ministère de la Défense cambodgien. L’enclavement croissant des secteurs d’habitations interstitiels entraîne un repli de certaines pratiques habitantes vers l’intérieur des logements, favorisé par le rétrécissement ou l’effacement des espaces extérieurs. En conséquence, nous notons la disparition de certaines activités quotidiennes qui s’effectuaient auparavant dans la rue et au sein des cours, comme la cuisine (fig. 50), ou les rencontres entre habitants, qui se cantonnent maintenant, faute d’espaces extérieurs, au sein des logements.
66Les discours des habitants les plus riches indiquent également un repli social important. En désignant un secteur d’habitations précaires près du borey dans lequel il habite, un habitant de Chbar Ampeul 2 déclarait ainsi :
Il y a beaucoup de problèmes dans le quartier à côté, surtout avec les jeunes. Ils se droguent, ils boivent et il y a des problèmes de vol. Heureusement, le propriétaire paye un garde pour la nuit, mais ils arrivent parfois à rentrer. Nous ne pouvons rien laisser dehors72.
67Comme à Chbar Ampeul 2, les habitants du quartier ouvrier de Teuk Tla ne sont pas bien perçus par les habitants des nombreux borey à proximité :
Non, il n’y a pas tellement de problèmes de sécurité ici. […] Parfois, il y a des problèmes avec les personnes qui vivent dans les maisons à côté. Il y a beaucoup de motos-taxis [moto-dop] et de jeunes femmes, et cela arrive qu’il y ait des vols. Les problèmes conjugaux sont aussi nombreux73.
68Malgré ces discours, on ne peut pas parler d’une rupture des relations sociospatiales entre les habitants des différents secteurs d’habitations. Un nombre important d’hommes habitant un secteur d’habitations précaires à Chbar Ampeul travaille pour le propriétaire du borey qui le jouxte. Ces ouvriers et les habitants du borey se côtoient régulièrement, ce qui ne génère aucune tension, malgré les discours dévalorisants prononcés par les habitants du borey à l’encontre des ménages précaires. De même, à Teuk Tla, de nombreuses interactions existent entre les différents secteurs d’habitations :
Ma fille travaille dans une usine de confection à côté. Elle m’a dit que des gens cherchaient quelqu’un pour préparer les repas et faire le ménage dans un compartiment chinois. Je suis venue habiter avec ma fille ici et je travaille à côté. J’ai même mis une échelle pour passer directement de ma maison au borey74 !
69Les habitants ayant de faibles revenus assurent le transport par motos-taxis des ménages plus aisés, ou leur vendent des biens de consommation courante à domicile, tels que du bois, du charbon, des fruits, des légumes et divers ustensiles. Ces échanges marchands ne génèrent pas de tensions particulières, bien au contraire. Il est ainsi nécessaire de faire ici la différence entre perceptions, discours et pratiques.
70La multiplication de projets urbains et l’installation de nouveaux habitants dans des secteurs d’habitations plus anciens engendrent cependant une réorganisation générale des rapports de production des espaces urbains, principalement au profit des populations les plus aisées. Cependant, ce processus participe de manière plus globale à une reconfiguration sociospatiale des territoires périphériques. L’enclavement et la ségrégation n’empêchent en effet pas les différents groupes socio-économiques de se côtoyer, d’entrer en relation, et même de coproduire les territoires par leurs actions communes. Mais encore une fois, ces rapports sociospatiaux ne se réalisent pas sur un principe d’égalité, mais plutôt par l’établissement de relations d’intérêt qui profitent aux groupes dominants.
Vers une redéfinition des dynamiques sociopolitiques de la production urbaine
71La privatisation de la production d’espaces urbains s’appuie sur des relations d’intérêt entre les élites économiques, les institutions locales et une partie des habitants, ceux les plus aisés. Les ménages les plus riches des nouveaux lotissements et des secteurs d’habitations principalement constitués de maisons individuelles déclarent se rendre régulièrement à la commune pour parler affaires75. Ils entretiennent un lien direct avec le chef de commune et les chefs de district, alors que les autres habitants n’ont pas d’accès immédiat à ces échelons territoriaux. Les communes sont ainsi des interlocuteurs et des partenaires privilégiés des notables locaux et de la nouvelle bourgeoisie des espaces périphériques :
Il est toujours normal d’aller voir le chef de commune lorsque l’on arrive dans un nouveau quartier. Il est bien de le rencontrer, car, si nous faisons des affaires, il faudra nécessairement passer par lui. […] Toutes les personnes riches connaissent les autorités locales, même s’ils n’ont pas toujours affaire à eux76.
72Au sein des quartiers, ces relations privilégiées entre des acteurs privés et les autorités locales permettent à ces dernières de toucher d’autres types de revenus, sous forme de rétribution pour services rendus :
Lorsque les gens ont un plan de construction, ils nous le montrent et nous n’avons pas besoin de traiter avec eux. Lorsque les gens n’ont pas de plan de construction, ils sont obligés de passer par nous. Nous vérifions la construction, que cela se passe bien et qu’il n’y ait pas de problèmes77.
73Les dépôts de permis de construire au cadastre étant minoritaires, les autorités de la commune traitent directement avec la plupart des individus et des promoteurs qui construisent de nouveaux logements au sein de leur territoire administratif. La vérification de la construction est généralement associée à une rétribution donnée au village et à la commune, qui en reverse une partie au district, lorsque ce dernier n’est pas associé aux négociations. De même, les investisseurs plus importants participent de ces négociations tout à fait formelles :
Ce n’est pas la commune qui investit dans les infrastructures, mais les investisseurs eux-mêmes. Il y a sept importants investisseurs à Tuol Sangke, mais aucun n’habite ici. […] Nous vérifions tous les plans de construction avant que les investisseurs ne construisent. Nous sommes en relation constante avec ces investisseurs et nous vérifions qu’ils font bien les travaux de route, de drainage et d’assainissement qu’ils avaient promis. […] Pour les familles, c’est différent. Nous leur disons qu’il faut qu’ils se connectent aux réseaux, mais nous ne l’imposons pas. Nous faisons de la prévention sur la propreté et la salubrité, mais c’est eux qui décident. Par contre, nous disons à l’investisseur de vérifier78.
74Ces relations donnent lieu à des transferts financiers, qui alimentent les caisses des communes et des districts. Ce système de corruption est notamment induit par le remboursement des coûts occasionnés par l’achat de la charge de fonctionnaire, que ce soit au sein des communes ou de la police79. Une partie des fonds récoltés est partagée entre les fonctionnaires, tandis qu’une autre est réinvestie dans le développement du territoire :
Les communes et les districts récoltent de l’argent surtout auprès des investisseurs et des grands propriétaires. Tout le monde le sait et c’est normal. Eux, ils n’ont pas d’argent du ministère de l’Intérieur [à la différence des fonctionnaires travaillant à la municipalité]. […] Nous ne pouvons pas réellement appeler cela une « caisse noire », mais plutôt une « caisse blanche », car tout le monde le sait ! […] Les communes ont une bonne position, car elles traitent souvent directement avec les investisseurs, qui ne passent ni par le village ni par le district80.
75La construction de nouveaux secteurs d’habitations permet concomitamment un désengagement des institutions locales dans la gestion du développement urbain. À Teuk Tla, certains habitants d’un borey s’organisent par exemple eux-mêmes pour assurer leur sécurité :
Il y a eu des vols dans le borey il y a deux ans. Ils ont volé des générateurs d’air conditionné. Du coup, nous sommes allés voir la police et ils nous ont demandé de payer pour la surveillance du quartier. Nous donnons 200 dollars à la police tous les mois pour qu’ils patrouillent dans le secteur. Parfois, un policier dort dans le borey. Les familles payent environ 5 dollars chacune, ça dépend des mois. La police ne patrouille que dans le secteur où les gens ont payé. Plus loin dans le borey, la police n’y va pas81.
76Dans les quartiers fermés ou semi-fermés comme les borey, les autorités locales et la police sont peu présentes. En cas de conflit entre habitants, le village et la commune interviennent très rarement :
Nous nous occupons très peu des borey et des endroits comme ça. Il y a beaucoup de travail déjà avec certains quartiers. Les habitants [des borey] arrivent généralement à trouver une solution, ils n’ont pas besoin de nous. Nous y allons lorsqu’il y a d’importants problèmes, c’est tout82.
77Alors que la police surveille les secteurs d’habitations précaires de près, elle vend ses services aux habitants plus aisés. Il n’est pas rare de voir des gardes employés par des sociétés privées surveiller certains quartiers centraux et péricentraux. Les espaces de marché, par exemple, font souvent l’objet de tels dispositifs sécuritaires, les commerçants craignant le vol pendant la nuit de leur matériel servant à la vente et au stockage des marchandises83.
78Au sein des projets immobiliers récents, la privatisation de la gestion des espaces de vie se traduit par un transfert des prérogatives politico-administratives des autorités locales vers les promoteurs privés lorsque ces derniers continuent de gérer les espaces résidentiels qu’ils ont construits :
Le propriétaire organise des réunions pour le financement de la construction ou de l’entretien des routes à l’intérieur du borey. Tout le monde ne vient pas, mais si l’on ne vient pas, quelqu’un qui était à la réunion nous dit ce qui a été décidé. Lorsqu’il faut faire des travaux, nous payons une partie des coûts directement au promoteur. […] Parfois, le chef de village assiste aux réunions, mais il n’y a jamais quelqu’un de la commune84.
79Ici, le propriétaire du borey gère le développement des infrastructures locales selon le même principe du partage des coûts entre les autorités locales et les habitants, le propriétaire se substituant à l’autorité territoriale. L’éventuelle présence du chef de village indique que les autorités locales ne contrôlent que partiellement, ou de loin, le processus. Mais ce fait montre surtout que les promoteurs sont devenus des référents sociopolitiques majeurs au sein des nouveaux espaces urbains. La multiplication des projets immobiliers privés, et avec elle la privatisation des espaces de vie, permet notamment aux institutions municipales de transférer une partie de leurs tâches administratives et gestionnaires aux promoteurs privés :
S’il y a des problèmes dans mon borey, je vais directement au bureau de la commune pour expliquer le problème et voir comment on peut le résoudre. Je connais bien le chef de la commune, je vais souvent le voir. Certains problèmes ne peuvent se résoudre comme ça, mais c’est très rare. La plupart du temps, je peux régler les problèmes moi-même, tout en informant la commune85.
80Le rôle de nouveau référent sociopolitique des promoteurs à Phnom Penh accompagne la généralisation des espaces résidentiels de type borey, qui deviennent les véritables territoires des promoteurs, c’est-à-dire des marqueurs symboliques et spatiaux de leur nouvelle place dans la cité.
81En effet, la dénomination populaire des borey est souvent associée au propriétaire du projet : on habite ou l’on se rend dans le borey de tel ou tel promoteur. Leur identité semble bien participer à un certain prestige, en même temps qu’elle devient un marqueur spatial important. Ce processus est renforcé par la présence des propriétaires des borey au sein de leurs projets, où ils peuvent se construire une maison (fig. 52), voire les bureaux de leur entreprise comme c’est le cas pour le promoteur Peng Huoth86. Le prestige social que dégagent les grands investisseurs immobiliers peut donc être consacré par une grande maison ou un grand édifice sur lequel est bien souvent inscrit le nom de la famille ou de la compagnie du promoteur. La présence du propriétaire, ou d’une partie de sa famille, accroît par ailleurs la personnification de ces espaces de vie.
82Le promoteur Peng Huoth, par exemple, a usé de cette stratégie pour s’imposer sur le marché résidentiel de la capitale cambodgienne. Aux dires de certains habitants, elle semble fonctionner :
Nous voulions acheter dans un borey, mais nous hésitions entre plusieurs localisations. Nous avions déjà entendu parler de Peng Huoth, son nom est assez connu dans Phnom Penh. Lorsque nous sommes venus visiter ce borey, nous avons été impressionnés par l’immeuble. Nous nous sommes dit qu’il devait être bon en affaires, et cela nous a donné confiance87.
83La présence de l’immeuble accueillant les activités de la compagnie Peng Huoth à l’entrée du borey semble bien être un facteur déterminant le processus d’achat pour certains habitants. Au sein d’un marché immobilier fluctuant, dans un contexte économique largement marqué par l’incertitude, l’identité du promoteur semble en effet rassurer les futurs propriétaires. Par exemple, en cas de réclamation de la propriété du bien immobilier par un tiers – ce qui n’est pas chose rare –, le vendeur est un témoin de première importance pour certifier la validité de l’échange. Les promoteurs appartenant à une famille reconnue, ou les notables locaux ayant des relations privilégiées, voire des liens de parenté, avec les autorités locales, renforcent la validité de l’acte de vente et confèrent une plus grande sécurité pour l’acheteur (chapitre 3). Cependant, le rôle majeur joué par les promoteurs dans la gestion des espaces de vie qu’ils ont produits n’est pas sans poser problème.
84En effet, de nombreux borey sont soumis à la loi des promoteurs, qui profitent de cette situation pour accaparer plus de ressources économiques. Par exemple, la viabilisation des nouveaux espaces résidentiels est généralement réalisée par le promoteur, qui assure la connexion des logements aux services d’eau potable et d’électricité. Si certains d’entre eux installent des compteurs dans chaque logement afin que chacun paye directement au fournisseur sa consommation, il est courant que le règlement des factures se fasse directement auprès d’eux, en fonction d’une tarification établie par ce dernier. Les situations conflictuelles sont alors courantes :
Nous payons l’eau et l’électricité deux fois plus cher que ce qu’elles coûtent réellement. Le propriétaire du borey a augmenté les prix en nous disant qu’il fallait entretenir le réseau et que nous devions participer. Mais, en réalité, il veut juste nous prendre plus d’argent et, si nous ne payons pas, il refuse que nous réalisions des aménagements dans notre maison ou sur les trottoirs. […] Nous sommes allés voir la commune et le village plusieurs fois, mais ils nous disent qu’ils ne peuvent rien faire88.
85Les contrats de vente des logements au sein des borey, lorsqu’ils existent, n’indiquent souvent pas les coûts inhérents à l’entretien du projet ou au raccord aux infrastructures d’eau et d’électricité. Les indications sont habituellement données oralement lors de l’achat du lot ou du logement, sans cahier des charges qui réglemente la construction des habitations. Les directives techniques – hauteur de la construction, dimension de l’emprise sur le trottoir, construction d’une fosse septique par exemple – sont aussi transmises oralement entre le promoteur et l’acheteur. Ici encore, cette situation peut générer des conflits :
La propriétaire de ce compartiment a pu construire un agrandissement fermé de son logement sur le trottoir sans rien demander à personne. Nous, nous n’avons pas eu le droit, sous prétexte que le promoteur ne pouvait permettre cela à tous les habitants. Nous lui avons dit que cela n’était pas juste, mais il ne nous a pas écoutés. Depuis, nous ne lui parlons plus89.
86Les projets de type borey représentent en ce sens des espaces symboliques des relations qui se tissent entre les nouvelles élites urbaines et les populations aux revenus intermédiaires. Ces nouveaux rapports sociopolitiques dépassent parfois de loin les projets immobiliers en tant que tels, car certains promoteurs sont des figures publiques reconnues. Du projet résidentiel à la cité, l’activité immobilière permet ainsi le déploiement de nouvelles dynamiques relationnelles entre pouvoirs et territoires par la mutation du promoteur en nouvelle figure de l’autorité politique, ne serait-ce que localement. En se substituant aux autorités locales, les promoteurs font évoluer le rapport entre les habitants et la propriété immobilière ou, en d’autres termes, entre les citadins et leurs territoires, notamment par l’intégration symbolique, sociale et spatiale des acheteurs à la sphère d’influence du promoteur. En ce sens, nous pouvons ainsi nous demander si certains projets immobiliers, particulièrement associés à l’identité du promoteur, ne représentent pas une extension des frontières de l’unité d’habitation (chapitre 5) – considérée à la fois dans son univers physique et symbolique – à un secteur d’habitations tout entier, un ensemble de logements, voire à l’ensemble de la cité.
87L’importance du secteur immobilier dans le déploiement de relations privilégiées entre les acteurs privés, les élites et les institutions territoriales à l’échelle locale rappelle les « coalitions de croissance » théorisées par Harvey Luskin Molotch et John R. Logan, qui rendent compte du rôle structurant de certains entrepreneurs et promoteurs qui, alliés aux gouvernements locaux (urbains), s’approprient et modifient les règles institutionnelles et la structure même des marchés fonciers à leur profit, ainsi qu’au bénéfice des institutions urbaines locales90. De même, ces coalitions d’acteurs rappellent le cadre théorique des « régimes urbains », qui s’intéressent aux multiples alliances entre groupes communautaires, sociaux, politiques et économiques hétérogènes pour la défense de tel ou tel intérêt91. Ces approches trouvent un regain d’intérêt croissant pour l’étude du phénomène urbain en Asie (principalement sur la Chine), notamment suite à la mutation des économies socialistes, qui s’appuient largement sur la ressource foncière et la formation de groupes de coalition métropolitains qui tissent de nouvelles relations d’intérêt avec le pouvoir central92.
88Au Cambodge, ce type de coalitions s’identifient très clairement en haut de la hiérarchie institutionnelle. Comme nous l’avons vu, la construction et la localisation des grands projets urbains (voir le chapitre 2), les types d’ententes et de négociations politico-économiques auxquels ils renvoient, les nombreuses infractions aux lois qu’ils supposent (notamment la vente des espaces lacustres), la relégation souvent violente des populations indésirables en périphérie de la ville (voir le chapitre 4), ou encore la capacité des acteurs privés et institutionnels de s’approprier à leur avantage les nouveaux cadres de la planification économique, institutionnelle et urbaine stratégique correspondent à la formation de nouvelles coalitions d’intérêt entre acteurs publics et privés dans le Cambodge contemporain. Le cadre néolibéral de la planification économique et institutionnelle renforce par ailleurs la promotion de ce type de regroupements d’acteurs au détriment d’un État centralisé et d’une bureaucratie qui limiterait l’initiative privée. Les coalitions de croissance deviennent alors un cadre d’analyse pertinent, qu’il s’agit d’adapter au contexte plus général d’un pays en développement et d’une métropole sud-est asiatique en émergence.
89Cependant, une telle analyse ne peut rendre compte de manière pertinente des alliances entre acteurs qui se nouent à l’échelle locale. Une approche par les coalitions de croissance supposerait que les échelons inférieurs de la hiérarchie territoriale disposent d’une autonomie politique et financière ce qui, comme nous l’avons évoqué, n’est pas encore le cas. De même, il faudrait prouver que les stratégies économiques portées par l’État central et les grandes institutions internationales trouvent leurs corollaires aux échelons déconcentrés de la hiérarchie territoriale, ce que nous n’avons pas relevé. Enfin, les coalitions de croissance, qu’elles soient analysées aux États-Unis ou au sein des économies émergentes asiatiques, se présentent comme des réponses aux contraintes structurelles et institutionnelles que les acteurs économiques et politiques locaux cherchent, en s’alliant, à contourner. Étant donné l’ampleur des négociations et ententes informelles entre acteurs politiques, institutionnels et économiques à tous les niveaux de l’État cambodgien, il nous apparaît préférable de parler de « groupes d’intérêt », qui se font et se défont au rythme des situations, des rapports de force, des enjeux économiques, des ressources disponibles et des objectifs visés.
90Que ce soit dans les secteurs d’habitations précaires, les espaces de nouveaux lotissements, les secteurs d’habitations mixtes ou des espaces périurbains, la gestion des territoires périphériques est partiellement prise en charge par des ménages aisés – issus des élites économiques et du fonctionnariat –, qui accaparent les ressources locales, malgré une décentralisation illusoire censée inventer un citoyen nouveau prompt à s’opposer aux effets de clans et aux rapports de patronage, et prêt à œuvrer pour l’intérêt général. Dans ce contexte, la production immobilière génère de nouvelles dynamiques sociopolitiques, qu’il est indispensable de resituer dans les rapports de force inédits qui se jouent à Phnom Penh.
91Des grands projets immobiliers à ceux de plus petite envergure, de la métropolisation forcée à la production urbaine plus diffuse, l’activité immobilière se déploie dans un contexte d’opacité des marchés immobiliers. Il faut alors observer plus précisément comment la relation entre les acteurs immobiliers, les ressources immobilières et les territoires constituent les fondements de l’exercice de l’activité immobilière, c’est-à-dire de la production de la ville. En ce sens, une question centrale reste à aborder : comment les acteurs de la production urbaine jouent-ils avec ce marché mouvant, en pleine reconstruction, caractérisé par l’incertitude et d’importants rapports de force ? De l’habitant au promoteur, du courtier à l’élu local, les acteurs immobiliers inventent différentes stratégies pour arriver à leurs fins. La relation tridimensionnelle entre le pouvoir, les territoires et les ressources immobilières revêt ici une importance centrale, puisqu’elle détermine finalement la manière dont les acteurs « produisent Phnom Penh ».
Notes de bas de page
1 T. Kato et al., Cambodia : Enhancing Governance for Sustainable Development, Phnom Penh, Cambodia Development Resource Institute, Working Paper 14, 2000.
2 En 2010, vingt communes appartenant à la province de Kandal sont intégrées à Phnom Penh, ce qui représente près de 200 000 habitants supplémentaires (National Institut of Statistics, Ministry of Planning [éd.], General Population Census of Cambodia 2008…, op. cit.). En 2011, deux nouveaux districts sont créés : le district Sen Sok, qui comprend trois anciennes communes appartenant au district Russey Keo, et trois nouvelles communes récemment intégrées à Russey Keo ; le district Por Sen Chey, qui comprend treize communes appartenant précédemment au district Dangkor. Avec l’agrandissement des limites administratives, la surface de Phnom Penh double pratiquement, passant de 376,17 à 678,47 km2 (Japan International Cooperation Agency, Municipalité de Phnom Penh, Overview of Urban Development in Phnom Penh Capital City, Phnom Penh, Municipalité de Phnom Penh, 2011).
3 Fait révélateur, les fonctionnaires titulaires de la municipalité, à la différence des fonctionnaires et des élus territoriaux, perçoivent un double traitement à la fois de la municipalité et du ministère de l’Intérieur, au titre d’« employés de l’État ».
4 Entretien le 27 mai 2012 avec un fonctionnaire de la municipalité.
5 Entretien le 8 décembre 2010 avec le chef de la commune de Chbar Ampeul 2.
6 Les affectations représentent souvent des récompenses du PPC à des membres du parti ayant « rendu service », soit par leur implication dans les activités du parti, soit à la suite de donations financières (ou les deux). « Chef de district » est une charge qui s’achète généralement auprès de la municipalité et du gouvernement central, par le versement de pots de vin aux membres haut placés du gouvernement. Les chefs de districts appartiennent souvent à l’élite économique ou bureaucratique citadine (entretiens informels à la municipalité de Phnom Penh entre 2010 et 2012).
7 La déconcentration et la décentralisation évoquent des processus proches, mais non synonymes. « La décentralisation dans ses expressions les plus classiques signifie littéralement “auto-administration”. Elle renvoie à un transfert d’attribution du pouvoir central au profit d’entités locales, juridiquement distinctes de l’État et dotées d’organes élus par les citoyens concernés » (M. Tidjani Alou, « La dimension territoriale de la décentralisation », dans S. Bellina, H. Magro, V. De Villemeur [dir.], La gouvernance démocratique, Paris, Karthala, 2008, p. 281). La déconcentration complète la décentralisation en multipliant les représentants de l’État aux échelons décentralisés de l’administration territoriale : la déconcentration peut ainsi être désignée comme « […] l’action qui vise à diminuer la concentration des activités, des pouvoirs et des compétences dans un lieu central physique (la région capitale le plus souvent) et (ou) un centre de pouvoir (l’État) » (P. Merlin, Y. Prats, « Décentralisation administrative », dans P. Merlin, F. Choay [dir.], Dictionnaire de l’urbanisme…, op. cit., p. 224).
8 Une loi organique se situe au même niveau législatif qu’une constitution et vient souvent la compléter. Elle précise ou transforme généralement l’organisation des pouvoirs au niveau national.
9 M. Turner, « Deconcentration in Cambodia », Public Administration and Development, 22/4, 2002, p. 353-364.
10 Committee for Free and Fair Elections in Cambodia, Final Assessment and Report on 2012 Commune Council Elections, Phnom Penh, 2012. Dix partis politiques participent aux élections communales de 2012, qui concernent un peu plus de 9 millions de votants inscris sur les listes électorales. 11459 sièges sont à pourvoir au sein de 1633 communes rurales et urbaines. Si les observateurs locaux et internationaux n’ont pas relevé de cas de fraude massive, ces élections sont qualifiées de « modérément libres ». Eneffet, l’ancrage du PPC au sein des plus importants médias nationaux, son contrôle de tous les niveaux de la hiérarchie territoriale et ses capacités de financement largement supérieures à celles des autres partis le favorisent largement lorsque les Cambodgiens sont appelés aux urnes.
11 En 2012, l’État central a versé en moyenne une somme de 10000 dollars aux communes. Le montant varie en fonction du nombre d’habitants sur le territoire administratif et du niveau de pauvreté estimé, déterminé par le ministère du Plan grâce à une base de données communale permettant d’élaborer annuellement, notamment sur la base des rapports de commune, un profil de chaque commune (entretien le 2 juin 2012 avec un fonctionnaire de la municipalité de Phnom Penh).
12 Les audits financiers sont gérés par l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (Intosai), qui dispose d’un mandat spécial auprès du Conseil économique et social de l’ONU (Ecosoc).
13 Comme l’illustre la création d’une multitude d’institutions intermédiaires, comme la National League of Communes/Sangkat in Cambodia, notamment appuyée par le Commune Council Development Project (principalement financé par la Banque asiatique de développement et l’ONU).
14 D. P. S. Gaude, L’administration de l’aménagement du territoire au Cambodge, thèse de doctorat en droit public dirigée par Y. Jégouzo., université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2002, p. 8.
15 A. Guillaume, « Déconcentration-décentralisation et services urbains », dans Étude préalable à l’élaboration du schéma directeur d’urbanisme de Phnom Penh à l’horizon 2020, Phnom Penh, Institut d’étude politique de Rennes, 2004, p. 17.
16 La municipalité récolte de l’argent des taxes sur l’alcool et le tabac, sur le stationnement, sur les droits de passage des véhicules de transport de personnes (bus) et de marchandises (camions), sur les enregistrements des biens immobiliers et des véhicules, sur les emplacements de marché et les patentes en général, sur les taxes d’éclairage public et d’assainissement. La mise en place d’une taxe foncière en 2011 a permis à la municipalité de toucher 10 millions de dollars supplémentaires environ pour cette seule année, ce qui représente près d’un quart du total du budget propre de la municipalité (entretien le 2 juin 2012 avec un fonctionnaire en charge de la division de l’investissement et de la planification de la municipalité de Phnom Penh). Cette nouvelle ressource fiscale fournit peut-être à la municipalité l’occasion de gagner une plus grande indépendance financière vis-à-vis de l’État central, bien que celui-ci ponctionne une partie importance de ces ressources par l’intermédiaire du Trésor national. De manière certaine, la taxe foncière va largement participer à réorganiser les pratiques et stratégies immobilières, mais son application est encore trop récente pour pouvoir en juger. Le montant de la taxe étant un pourcentage de la valeur estimée de la propriété (prix au m2 du foncier et de l’habitation), elle accentuera très certainement le processus de périurbanisation.
17 Entretien avec un fonctionnaire de la municipalité le 27 mai 2012.
18 Si les conseils de communes sont élus depuis 2002, la logique de nomination des chefs de commune correspond à celle des chefs de districts. Elle dépend cependant de la municipalité (à la différence des chefs de districts, principalement nommés au niveau ministériel). Les chefs de communes ne sont pas nécessairement issus des élites économiques, mais ils obéissent définitivement au parti dominant, c’est-à-dire le PPC.
19 Une évolution récente du système de financement des projets de développement urbain permet à la municipalité d’adresser directement ses demandes de financement au Trésor national, sans passer par le ministère de l’Intérieur. Il est encore difficile d’évaluer l’impact d’une telle réforme aujourd’hui, mais ce nouveau système s’inscrit dans les objectifs de décentralisation fixés par le gouvernement cambodgien.
20 Charles Goldblum et Annick Osmont notent à ce titre : « Dans le contexte du monde en développement qui nous intéresse ici, il reviendrait à la gouvernance urbaine de construire une “citadinité” en même temps qu’une citoyenneté “locale”, au sein d’instances de gestion territoriale et de mise en œuvre de projets urbains, cadres d’une concertation démocratique » (C. Goldblum, A. Osmont, « Gouvernance urbaine et coopération internationale », dans S. Bellina, H. Magro, V. De Villemeur [dir.], La gouvernance démocratique, op. cit., p. 298).
21 G. Hemet, A. Kazancigil, J.-F. Prud’homme (dir.), La gouvernance. Un concept et ses applications, Paris, Karthala, 2005, p. 219.
22 S. Bellina, « Introduction », dans S. Bellina, H. Magro, V. De Villemeur (dir.), La gouvernance démocratique, op. cit., p. 10.
23 Nombre d’habitants, nombre de familles, nombre de femmes et d’hommes, nombre de femmes chefs de famille, nombre moyen d’enfants par famille, etc.
24 Dimension totale des voiries, dimension totale des voiries bétonnées, nombre d’écoles, d’hôpitaux et de dispensaires, de pagodes, etc.
25 Types de conflits (familiaux, jeux, alcool, etc.) et d’interventions de la police.
26 Nombre de malades du sida, problèmes liés aux accouchements et à l’insalubrité, etc.
27 Bureau de commune de Chbar Ampeul 2, Rapport de commune de Chbar Ampeul 2, Phnom Penh, Bureau de commune de Chbar Ampeul 2, 2008 [en khmer] ; Id., Rapport de commune de Chbar Ampeul 2, Phnom Penh, Bureau de commune de Chbar Ampeul 2, 2009 [en khmer] ; Bureau de commune de Tuol Sangke, Rapport de commune de Tuol Sangke, Phnom Penh, Bureau de la commune de Tuol Sangke, 2008 [en khmer] ; Id., Rapport de commune de Tuol Sangke, Phnom Penh, Bureau de la commune de Tuol Sangke, 2009 [en khmer] ; Bureau de commune de Teuk Tla, Rapport de commune de Teuk Tla, Phnom Penh, Bureau de commune de Teuk Tla, 2008 [en khmer] ; Id., Rapport de commune de Teuk Tla, Phnom Penh, Bureau de commune de Teuk Tla, 2009 [en khmer].
28 La fiabilité de tels documents est à mettre en question. Une analyse diachronique de plusieurs de ces rapports montre que certains sont une copie conforme de ceux publiés l’année précédente. Les dates et les chiffres ont été barrés et remplacés par de nouveaux, en fonction de l’année concernée. Certains chiffres paraissent par ailleurs peu plausibles. En effet, dans certaines colonnes, les chiffres sont identiques, seule la virgule change de place. Ces rapports permettent cependant de dégager quelques grandes tendances liées au rôle des institutions locales dans l’administration et l’aménagement de leurs territoires.
29 Sophara Chea gouverne Phnom Penh de 1998 à 2003, avant d’être remplacé par Chuktema Kep, qui assure la fonction de maire jusqu’en 2013. Ce dernier laisse alors sa place à Socheatevong Pa, le gouverneur actuel de la capitale.
30 V. Renard, « Outils financiers du développement urbain », dans Étude préalable à l’élaboration du schéma directeur d’urbanisme de Phnom Penh à l’horizon 2020, Paris, CNRS, 2005.
31 Entretiens informels au sein de la municipalité entre octobre et décembre 2010.
32 Entretien le 31 juillet 2009 avec le chef de commune de Chbar Ampeul 1.
33 Entretien le 28 juillet 2009 avec le chef de commune de Chbar Ampeul 2.
34 Entretien le 28 juillet 2009 avec le chef de commune de Chbar Ampeul 1.
35 Entretien le 4 août 2009 avec le chef de commune de Tuol Sangke.
36 Entretien le 13 décembre 2010 avec le chef de commune de Teuk Tla.
37 Entretien le 1er juin 2009 avec le chef de village de Daum Sleng 2, commune de Chbar Ampeul 2.
38 Entretien le 16 décembre 2010 avec le chef de village de Daum Sleng 1, commune de Chbar Ampeul 2.
39 Ibid.
40 Entretien le 24 septembre 2009 avec le chef de village de Chongthnal Khangleach, commune de Teuk Tla.
41 Entretien le 16 juillet 2009 avec le chef de village de Daum Sleng 1, commune de Chbar Ampeul 2.
42 Entretien le 31 juillet 2009 avec le chef de commune de Chbar Ampeul 1.
43 D. Albrecht, H. Hocquard, P. Papin, Les acteurs publics locaux au cœur du développement urbain vietnamien. Moyens, limites et évolution de l’action publique locale, Paris, Agence française de développement, 2010.
44 La nouvelle organisation territoriale cambodgienne est inscrite dans la constitution de la République populaire du Kampuchéa adoptée en 1981. Cette nouvelle administration officialise le passage d’une division territoriale à cinq niveaux (région administrative, province, district, commune, hameau), héritée de la période coloniale, à une division territoriale à trois niveaux (province/ville, district, commune) (V. Prum, « Reforming Cambodian Local Administration : Is Institutional History Unreceptive for Decentralization ? », Forum of International Development Studies, 30, 2005, p. 113-114).
45 Entretien informel à la municipalité entre octobre et décembre 2010.
46 F.-X. Huard, « Un regard critique sur la notion de “chef” dans le jeu social khmer », Bulletin de l’AEFEK, 16, 2010, http://aefek.free.fr/pageLibre00010a72.html.
47 J. Népote, M.-S. de Vienne, Cambodge, laboratoire d’une crise. Bilan économique et prospective, Paris, CHEAM, 1993 ; K. Ninh, R. Henke, Commune Councils in Cambodia : A National Survey on their Functions and Performance, with a Special Focus on Conflict Resolution, Phnom Penh, The Asian Foundation, 2005 ; R. Bertrand, Cambodge : le carnaval démocratique, rapport du Fasopo, Paris, 2004 ; J.-F. Bayart, Libéralisation économique et violence politique au Cambodge, rapport du Fonds d’analyse des sociétés politiques (Fasopo), Paris, 2004 ; K. Un, « State, Society and Democratic Consolidation : The Case of Cambodia », Pacific Affairs, 79/2, 2006, p. 225-245 ; C. Cheval, « Les législatives de 2003 au Cambodge. Impasses et métamorphoses », Péninsule, 52, 2006, p. 135-154 ; G. Mikaelian, « Pour une relecture du jeu politique cambodgien : le cas du Cambodge de la reconstruction (1993-2005) », dans A. Forest (dir.), Cambodge contemporain, Bangkok, Irasec, 2008, p. 141-188.
48 J. Népote, « Filiation et psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent », Lieux de l’enfance, 11, 1987, p. 59-75 ; Id., Parenté et organisation sociale dans le Cambodge moderne et contemporain. Quelques aspects et quelques applications du modèle les régissant, Genève, Olizane, 1992 ; N. Abdoul-Carime, « Note sur l’identité communautaire khmère : une approche historique et une relecture socio-politique », Péninsule, 50/1, 2005, p. 41-57.
49 G. Mikaelian, « Pour une relecture du jeu politique cambodgien… », art. cité, p. 160.
50 J. Népote, M.-S. de Vienne, Cambodge, laboratoire d’une crise…, op. cit., p. 67.
51 Voir notamment « 10,000 Days of Hun Sen », New York Times, 31 mai 2012 ; R. Bertrand, Cambodge : le carnaval démocratique, op. cit.
52 G. Mikaelian, « Pour une relecture du jeu politique cambodgien… », art. cité.
53 K. Un, « State, Society and Democratic Consolidation… », art. cité.
54 J.-F. Bayart, Le concept de situation thermidorienne : régimes néo-révolutionnaires et libéralisation économique, rapport du Fasopo, Paris, 2008, p. 11.
55 F.-X. Huard, « Un regard critique sur la notion de“chef”… », art. cité. Lespropos de François-Xavier Huard – chef de projet de développement pour l’organisation non gouvernementale Enfants du Mékong à Banteay Chmar, village situé à l’extrême nord-ouest du Cambodge – révèlent une certaine forme de fatalisme partagée par bon nombre de travailleurs étrangers exerçant dans le développement lorsqu’ils collaborent ou travaillent avec des institutions cambodgiennes.
56 Pour n’en citer que quelques-uns : L. N. Pagaran, Making Decentralization Work : Building Local Institutions in Cambodia, thèse de doctorat en études urbaines dirigée par P. Smoke, Massachusetts Institute of Technology, 2000 ; Association internationale des maires francophones, Décentralisation et aménagement de l’espace urbain, Phnom Penh, colloque international, 12-13 mars 2003 ; H. Andersen, « Cambodia’s Seila Program : ADecentralized Approach to Rural Development and Poverty Reduction », communication à la conférence « Scaling Up Poverty Reduction : A Global Learning Process », Shanghai, 25-27 mai 2004 ; S. Te, « Good Governance in Cambodia : Exploring the Link Between Governance and Poverty Reduction », Yokohama Journal of Social Sciences, 11, 2007, p. 65-76 ; Ministère de l’Intérieur du Cambodge, Situational Analysis of Provincial/Municipal and District/Khan Administration in Cambodia, Phnom Penh, General Department of Local Administration, 2008 ; Gouvernement royal du Cambodge, Strategic Framework for Decentralisation and De-concentration Reforms, Phnom Penh, Gouvernement royal du Cambodge, 2005 ; Id., National Program for Sub-National Democratic Development (NP-SNDD) 2010-2019, Phnom Penh, Gouvernement royal du Cambodge, 2010 ; A. K. Biswas, C. Tortajada, « Water Supply of Phnom Penh : An Example of Good Governance », Water Resources Development, 26/2, 2010, p. 157-172.
57 Entretiens avec des ménages périurbains entre 2008 et 2009.
58 Entretien le 23 septembre 2009 avec un chef de groupe d’un secteur d’habitations principalement composé de logements ouvriers dans le village de Chongthnal Khangleach, commune de Teuk Tla.
59 Nous notons là une différence majeure entre les espaces périphériques et les espaces centraux, où la nombreuse population et l’intensité des mobilités empêchent bien souvent le chef de village de connaître directement chacun de ses administrés.
60 Entretien le 16 septembre 2009 avec une habitante d’un borey situé dans le village de Teuk Tla, commune de Teuk Tla.
61 Selon les autorités locales, la participation des ménages les plus précaires au développement des infrastructures peut se limiter, par exemple, à 20 % du coût des travaux.
62 Entretien avec le chef de village de Teuk Tla, commune de Teuk Tla le 13 décembre 2010.
63 Selon les dires de l’association, UPWD a été créée en 1997. Elle travaille principalement à l’amélioration des conditions de vie de familles urbaines précaires et particulièrement auprès d’enfants et de femmes séropositifs. Cette organisation travaille au sein de quartiers informels menacés par les évictions forcées. Elle pratique notamment le community building, c’est-à-dire la mobilisation de plusieurs familles auto-organisées autour d’un projet et d’objectifs communs. Elle travaille en partenariat avec des organisations confessionnelles comme Worldvision et Misereor, de grandes organisations internationales comme UN-Habitat, ou encore des organismes de coopération internationale comme la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) (http://upwd.org).
64 Entretien le 22 novembre 2009 avec un administrateur de l’association Urban Poor Women Development.
65 Entretiens informels à la municipalité entre avril et septembre 2008.
66 Entretien le 6 juillet 2009 avec un habitant d’un secteur d’habitations précaires de Chbar Ampeul 2.
67 L’association Krousar Thmey, qui signifie littéralement « Nouvelle famille », possède un nombre important d’écoles à Phnom Penh et dans le reste du Cambodge pour les enfants défavorisés.
68 Entretien le 7 décembre 2010 avec le directeur de l’école anciennement localisée sur les berges du Tonlé Bassac.
69 Voir G. Fauveaud, Produire la ville en Asie du Sud-Est. Les stratégies sociospatiales des acteurs immobiliers à Phnom Penh, Cambodge, thèse de doctorat en géographie dirigée par T. Sanjuan, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2013, p. 290.
70 Entretien le 2 juillet 2009 avec un habitant de la commune de Chbar Ampeul 2.
71 La propriété est visible en haut à gauche de la figure 11, p. 72.
72 Entretien le 22 juin 2009 avec une habitante de Chbar Ampeul 2.
73 Entretien le 23 septembre 2009 avec un habitant de Teuk Tla.
74 Entretien le 19 septembre 2009 avec une habitante de Teuk Tla.
75 Enquête menées auprès de ménages entre 2008 et 2009.
76 Entretien le 9 novembre 2010 avec un investisseur immobilier habitant le village de Teuk Tla, commune de Teuk Tla.
77 Entretien le 13 décembre 2010 avec le chef de la commune de Teuk Tla.
78 Entretien le 4 août 2009 avec le chef de la commune de Tuol Sangke.
79 G. Fauveaud, « Phnom Penh ou l’ordre métropolitain. Polices, pouvoirs et territoires », EchoGéo, 28, 2014, DOI : 10.4000/echogeo.13807.
80 Entretien le 27 mai 2012 avec un fonctionnaire de la municipalité.
81 Entretien le 14 septembre 2009 avec un habitant d’un borey du village de Teuk Tla, commune de Teuk Tla.
82 Entretien le 13 décembre 2010 avec le chef du village de Teuk Tla, commune de Teuk Tla.
83 Par exemple, l’espace environnant le marché Lek Boun dans la commune de Teuk Lak 1 est quadrillé et surveillé la nuit par une société de gardiennage privée, payée par les commerçants et les habitants du quartier.
84 Entretien le 17 août 2009 avec une habitante d’un borey situé dans le village de Chruy Bassac, commune de Prek Pra.
85 Entretien le 9 août 2009 avec le propriétaire d’un borey situé dans le village de Teuk Tla, commune de Teuk Tla.
86 G. Fauveaud, Produire la ville en Asie du Sud-Est…, op. cit., p. 178. Peng Huoth est un Sino-Khmer originaire de Kampong Cham, spécialisé depuis le milieu des années 2000 dans la construction de projets immobiliers. Depuis 2005, sa compagnie a construit une dizaine de borey à Phnom Penh (http://www.boreypenghuoth.com).
87 Entretien le 3 juin 2012 avec un habitant du borey Peng Huoth situé dans la commune de Phnom Penh Thmey.
88 Entretien le 5 mai 2009 avec un habitant d’un borey situé dans la commune de Chbar Ampeul 2.
89 Entretien le 28 mai 2009 avec un habitant d’un borey situé dans la commune de Chbar Ampeul 2.
90 H. L. Molotch, J. R. Logan, Urban Fortunes. The Political Economy of Place, Berkeley, University of California Press, 1987 ; P. Le Gales, « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine », Revue française de science politique, 1, 1995, p. 57-95 ; V. Lemieux, Les coalitions, liens, transactions et contrôles, Paris, PUF, 1998.
91 C. N. Stone, Regime Politics : Governing Atlanta : 1946-1988, Lawrence, University Press of Kansas, 1989 ; G. Stoker, « Theory and Urban Politics », International Political Science Review, 19, 1998, p. 119-129 ; R. Dormois, « Les coalitions dans l’analyse des politiques urbaines post-keynésiennes », Métropoles, 4, mis en ligne le 12 décembre 2008.
92 S. Zhang, « Land-Centered Urban Politics in Transitional China – Can they be explained by Growth Machine Theory ? », Cities, 41, 2014, p. 179-186 ; G. C. S. Lin, « China’s landed Urbanization : Neoliberalizing Politics, Land Commodification, and Municipal Finance in the Growth of Metropolises », Environment and Planning A, 46, 2014, p. 1814-1835.
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