Partie 3. Les trajectoires
p. 177-178
Texte intégral
1Les composantes sociales et les dynamiques des marges suburbaines renseignent sur les dynamiques métropolitaines, tant il apparaît que les évolutions les plus brutales, les plus tranchées y échappent à l’inertie structurelle qui opère plus fortement dans les zones plus centrales. La figure du ghetto (Massey et Denton, 1988a ; Wacquant, 2008) montre l’induration de la ségrégation ou l’inertie des transformations sociales, croisées avec le temps long des transformations de l’espace bâti. Les espaces périphériques donnent au contraire à voir des transformations qui s’inscrivent dans des temporalités plus courtes, qui peuvent être conjoncturelles (crise financière) ou le signe d’une transformation plus structurelle (la suburbanisation des minorités). Plusieurs dimensions du changement opèrent ici, sociale d’une part, spatiale de l’autre, et l’objectif est de les étudier conjointement.
2Il ne fait pas de doute que l’urbanité qui se construit en périphérie est une force de configuration du social, du fait d’un environnement spatial spécifique (la ville) et comme condition et mise en œuvre d’un mode d’habiter rendu possible par la ville (l’urbanité) (Lévy, 2013, p. 5). Cette formulation générale est compatible avec l’École de Chicago qui considère globalement que les mobilités des groupes sociaux constituent l’une des forces structurantes de la morphologie sociospatiale des espaces urbains (Grafmeyer et Joseph, 1984) ; mais aussi avec Lefebvre (1970), qui articule la division technique du travail et des fonctions (fonctions inégales, privilèges et hiérarchies) et la division sociale de l’espace. Il s’agit d’identifier les inégalités, les hiérarchies, les privilèges qui structurent l’espace urbain et changent avec lui. Ainsi, l’espace suburbain – comme l’espace urbain – n’est pas une simple projection de phénomènes de séparation sociale, mais il s’agit d’un système complexe de relations et d’interactions. Les principes de la division sociale de l’espace (Roncayolo, 1996) sont aussi de nature sociale, et pas exclusivement technique ou économique, comme par exemple l’explication économique par la rente foncière et la concurrence des usages du modèle d’Alonso. C’est à travers une complexe élaboration que les rapports de production de l’espace et les rapports sociaux s’exercent, qu’ils prennent des formes concrètes, spatiales, territoriales, selon des évolutions temporelles qui ont un sens :
3La division sociale de l’espace urbain s’exprime donc de trois manières, en allant, selon nous, des manifestations aux mécanismes : la répartition des hommes, des groupes, des activités dans l’espace, la qualification sociale des espaces, la construction et l’interprétation des formes spatiales (Roncayolo, 1996, p. 36).
4Les systèmes de relations entre le social et la forme, entre la production de l’espace et les dynamiques de la division sociale de l’espace s’inscrivent dans un réseau complexe de causalités et de relations qu’il s’agit ici d’illustrer. Les dynamiques relèvent donc, dans la formalisation, de deux questions. Dans quelle mesure des évolutions structurelles au niveau de l’aire métropolitaine se lisent-elles dans l’espace local ? La période récente est marquée par une dynamique de diminution globale de la ségrégation à Los Angeles qui a été soulignée par plusieurs analystes. Comment le changement s’opère-t-il localement, et quelles sont les configurations locales de stabilité des profils socio-économiques des unités de recensement analysées, qui révèlent certaines dynamiques métropolitaines qui ne se lisent que sur les marges ?
5Deux approches complémentaires sont donc développées dans les chapitres suivants. D’une part, une analyse des conditions et de l’évolution du marché immobilier (prix) permet de saisir l’évolution des contextes de prix qui contribuent à organiser la segmentation sociospatiale de l’aire métropolitaine. D’autre part, une analyse conjointe des données locales (à l’échelon des block groups) sur une période de trente années (de 1980 à 2010) est menée pour dégager une typologie des trajectoires socio-économiques locales. Ces évolutions socio-économiques des contextes sont ensuite croisées avec les formes de lotissement produites, afin d’analyser conjointement l’évolution des appariements socio-économiques de la population et l’évolution des formes urbaines en périphérie.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Une merveille de l’histoire
Le Japon vu par Élisée Reclus et Léon Metchnikoff
Philippe Pelletier
2021
Géographes français en Seconde Guerre mondiale
Nicolas Ginsburger, Marie-Claire Robic et Jean-Louis Tissier (dir.)
2021
Ressources mondialisées
Essais de géographie politique
Marie Redon, Géraud Magrin, Emmanuel Chauvin et al. (dir.)
2015
La carte avant les cartographes
L’avènement du régime cartographique en France au XVIIIe siècle
Nicolas Verdier
2015
La production des espaces urbains à Phnom Penh
Pour une géographie sociale de l’immobilier
Gabriel Fauveaud
2015
Dépoldériser en Europe occidentale
Pour une géographie et une gestion intégrées du littoral
Lydie Goeldner-Gianella
2013
Voyage en Afrique rentière
Une lecture géographique des trajectoires du développement
Géraud Magrin
2013
Wuhan, une grande ville chinoise de l’intérieur
Le local à l’épreuve de la métropolisation
Georgina André
2023