Introduction
p. 9-18
Texte intégral
1Et si les marges métropolitaines étaient le lieu d’une construction contemporaine de l’urbanité, en étant devenues un lieu privilégié de l’intégration sociale en métropole ? La question prend le ton d’une provocation, alors que le paradigme de lecture dominant des espaces périphériques, suburbains ou périurbains fait la part belle à un discours parfois convenu des sciences sociales, de l’architecture et de l’urbanisme, qui leur dénie les qualités de l’urbain. Ou plutôt, les qualifie souvent d’espaces sans qualités, repoussoir de la ville insoutenable. Qu’il s’agisse des entrées de villes toujours laides, de l’étalement urbain qu’il faut maîtriser, des lotissements qui sont toujours « homogènes », des espaces alternant de manière peu lisible autoroutes, centres ludo-commerciaux et espaces agricoles ou naturels, l’ensemble est souvent considéré d’un bloc. Et chacun de ces objets est présumé toujours déjà connu : les catégories sont a priori simples, se résument aux fonctions bien établies par le zonage : espaces résidentiels, espaces commerciaux, zones logistiques… Et pourtant, ces espaces, ces lieux, ces territoires sont construits, habités, pratiqués ; ils sont en fait produits, et ce processus est en soi une question.
2Aborder la métropole par ses marges est délicat. Pris dans les logiques de la métropolisation, le périurbain est devenu depuis une quarantaine d’années un référentiel important de l’urbain. L’étalement, les modes de vie liés à l’automobile et un rapport discontinu à l’espace urbain et aux nouvelles centralités périphériques se traduisent par une double dynamique de fragmentation spatiale accrue, d’une part, et de densification des espaces intermédiaires, d’autre part1.
3Dans ce référentiel, les « lotissements à l’américaine » sont souvent perçus comme un modèle, un repoussoir, une mise en regard entre un urbain généralisé et fragmenté, et une ville européenne probablement idéalisée pour ses vertus de l’urbanité. Pour autant, les suburbs américaines sont-elles utiles aux débats français, de la politique de la ville à la question métropolitaine ? Et si nous regardions, experts ou académiques français, la suburb américaine et le modèle qu’elle représente (qu’il s’agisse de la suburb de Chicago ou de celle de Los Angeles) avec un regard déformé, biaisé ? Cette question n’est pas une provocation, mais une ligne directrice. Car il faut probablement nuancer certaines perceptions trop simplistes pour être constructives : les banlieues « à l’américaine » ne se réduisent pas à ce qualificatif (péjoratif ?). Il s’agit de contribuer à réviser au moins deux perceptions partiellement erronées des mutations internes associées aux processus de métropolisation. Il s’agit d’une part de rediscuter l’hypothèse de la ville à trois vitesse (Donzelot, 1999), qui distinguerait en gros un centre gentrifié (l’embourgeoisement), une première couronne paupérisée et ghettoïsée (la relégation), et une périphérie pavillonnaire résidentielle homogène de fuite des catégories moyennes (la périurbanisation). Une autre perception biaisée consiste à penser la ville sans la périphérie, à faire la métropole politique sans penser les marges (pourquoi le Grand Paris s’arrête-t-il aux portes de la grande couronne ?), à opposer la métropole (compétitive et gagnante) et des périphéries, nécessairement reléguées, parmi lesquelles les villes moyennes et le périurbain subi (Guilluy, 2014).
4Dans ce contexte d’échanges croisés et de références permanentes aux suburbs états-uniennes convoquées comme un modèle qui permettrait de comprendre aisément la dimension métropolitaine et l’étalement urbain en France, qu’attendre d’une analyse des périphéries suburbaines à Los Angeles ? Avant tout, le propos de cet ouvrage est de clarifier des perceptions biaisées de ce qui fait modèle en France quand on regarde les États-Unis : le suburbain est-il nécessairement homogène ? La construction des grandes périphéries urbaines repose-t-elle nécessairement sur des modèles d’exclusivisme social ? Le lotissement est-il si structurellement un lieu de mise à l’écart de la classe moyenne (blanche, aux États-Unis) des logiques de la ville dense ? Le lotissement et les périphéries peuvent-ils aussi fabriquer de l’urbain, de la densité, de la mixité, de l’interaction ? Cette contribution part donc des considérations qui ont placé les « banlieues à l’américaine » en modèle permettant de saisir certaines conditions de l’urbain en France (chapitre 1) et une synthèse de travaux menés sur le terrain de la région métropolitaine du Sud californien2. Très investie par la recherche urbaine, c’est une région qui fait modèle, en particulier parce que l’École de Los Angeles s’est attachée à analyser les lieux transformés par l’efficacité métropolitaine et les investissements privés (Soja, 1989) : districts industriels et technopoles (Scott et Soja, 1996a ; Scott, 1988), edge-cities (Garreau, 1991), boomburbs (Lang et Lefurgy, 2007), gated communities et espaces sécurisés des élites (Davis, 1990), parcs à thème et privatisation des espaces publics (Sorkin, 1992)3… Au-delà du mythe (Ghorra-Gobin, 1997) et de ces objets et types de lieux qui servent de grille de lecture à l’espace métropolitain polycentrique, ma contribution consiste à tenter un exercice plus transversal d’analyse, dans l’espace et dans le temps, et cherche à saisir les transformations, les gradients et les dynamiques qui jouent, rejouent dans l’ensemble de la métropole, y compris dans les espaces intermédiaires, plus ordinaires, de la vie suburbaine et post-suburbaine. Le terrain est vaste (figure 2), se déploie sur près de 300 km d’une région côtière composée de sept comtés (Los Angeles, Orange, Riverside, Ventura, San Bernardino, ainsi que San Diego et Santa Barbara sur les marges), comptant 22 millions d’habitants et dont la dynamique de croissance urbaine atteint encore 12 % entre 2000 et 2010, portée en particulier par la croissance des périphéries intérieures (Riverside-San Bernardino-Ontario).
5Les lieux des périphéries dominent, tant dans leur extension spatiale (le lotissement, l’habitat pavillonnaire groupé, le petit collectif) que dans les discours sur le polycentrisme métropolitain : les lieux d’activité et de chalandise sont éclatés entre le centre principal, les pôles secondaires dans l’orbite proche du centre, et les nouvelles centralités émergentes (edge-cities). De fait, la vie périphérique a imposé ses modalités, ses normes, ses pratiques. Les modes et lieux de consommation dépendent étroitement des centres commerciaux, lieux de consommation de masse qui rassemblent à la fois les espaces commerciaux franchisés et les espaces de loisirs (centres ludo-commerciaux, cinémas multiplex). Les contraintes de mobilité sont fortes entre la dépendance à l’automobile et la concentration des flux le long des quelques axes structurants de transport de masse, type RER (là où ils existent). Les référentiels sociaux et familiaux aussi comptent. Par exemple, les inégalités genrées d’accès à l’emploi comptent avec l’éloignement entre les lieux de travail et les lieux de résidence : les contraintes de la vie familiale et scolaire structurent le temps des ménages de manière parfois inégalitaire. D’autres référentiels s’imposent à la métropole : les modes d’habiter (la maison et le lotissement), ou les modalités de gouvernance, puisque les espaces périphériques sont d’une part des espaces pionniers de la coopération intercommunale (par exemple) et d’autre part des lieux d’adoption précoce des modalités de la gouvernance urbaine privée. Cette normativité du suburbain dans la perception de la vie métropolitaine est également le produit de l’expression culturelle et sociale, où le suburbain représente un espace majeur de la production contemporaine audiovisuelle, notamment dans les contextes anglo-américains.
6La fragmentation spatiale et la structure apparemment décousue de ces espaces (sub) urbains sont-elles contradictoires avec la diversité sociale, la coprésence et l’interaction sociales ? En d’autres termes, est-il possible que s’opèrent des processus d’intégration sociale sur le front d’urbanisation, qui puissent fabriquer de l’urbain, dans ce que l’on qualifie pourtant souvent d’entre-deux ou d’espace sans qualités ? Après tout, n’est-ce pas aussi pour du lien social – et pas seulement du cadre de vie, traduction marketing d’une stratégie de rente de site – que certains choisissent de prendre le large pour la grande périphérie, pour la vie de « quartier » ou de village, dans un lotissement d’une municipalité suburbaine, au prix de la distance ? Les processus sociaux d’appariement ou de division sociale de l’espace sont complexes et multiscalaires ; aussi faut-il partir de deux constats forgés sur mes terrains états-uniens et largement cadrés par la littérature en sociologie, sciences politiques, droit et géographie urbaine, dont je rendrai compte dans les états de la question introduisant les chapitres. D’une part, il existe une échelle à laquelle se construit l’homogénéité sociale du local sur les marges suburbaines. Et ce niveau – quelque part entre l’unité élémentaire du voisinage (la rue ?) et le quartier – contribue, dans un espace morphologiquement discontinu, à faire de la suburb un espace socio-économique divers et en voie de diversification, dans lequel la coprésence et la diversité se saisissent à relativement petite échelle. Et, après tout, dans la ville dense, qui fréquente vraiment ses voisins ? La coprésence se construit à une autre échelle, plus petite, que le seuil du domestique. D’autre part, cette diversité suburbaine et la tension qu’il y a entre diversité et logiques d’entre-soi s’articulent sur des effets de distanciation sociospatiale au niveau local. La construction de la proximité, ou de la distance sociale, ne s’opère pas de la même manière et selon les mêmes métriques s’il s’agit des processus de discrimination selon les origines ou l’appartenance ethnoraciale (dans les catégories américaines), des positions relatives dans le cycle de vie, de l’appariement entre membres d’une même catégorie sociale (qui se traduit par les revenus ou l’accumulation du capital dans la valeur immobilière).
7Le front d’urbanisation se traduit d’abord par une limite, une interface entre le processus d’urbanisation et le foncier non bâti, dont le statut peut être de devenir un jour urbain (utilisation du sol agricole mutable, ou espaces peu peuplés) ou de constituer des limites à l’urbanisation par son caractère pérenne (ceinture verte, espaces naturels protégés…). Comme tout espace d’interface, une analyse des processus à l’œuvre s’inscrit dans une certaine profondeur spatiale : celle des marges urbaines, sur lesquelles les temporalités du changement sont les plus rapides, en termes de construction, de mutation du foncier, d’évolutions démographiques. Mais ce front d’urbanisation ne peut plus être compris comme une limite continue séparant clairement l’urbain du non-urbain : les espaces d’entre-deux, intermédiaires (Sieverts, 2004) constituent désormais une grille de lecture nécessaire à la compréhension de l’urbanité qui se construit non pas au centre, mais en périphérie des métropoles. La dynamique d’urbanisation combine en fait des composantes d’étalement, de densification, de fragmentation spatiale, qui laissent une large place à des espaces urbanisés en discontinu, nécessitant une relecture des territoires (Vanier, 2000)
8Ainsi, contrairement au centre-ville ou à ses faubourgs, ou à la banlieue et aux espaces agglomérés en continu, dont les limites présentent une certaine permanence, le front d’urbanisation se caractérise par sa dynamique rapide. Il intègre des périphéries rurales, il progresse, s’arrête mais ne recule (presque) jamais – seuls quelques accidents, crise des subprimes ou incendies des forêts à Los Angeles, le font reculer quelque peu. Il modifie rapidement la structure des espaces : espaces résidentiels, commerciaux, zones industrielles, réserves foncières et espaces mutables (problématiques en termes d’effet de voisinage, car aux statut et devenir incertains), espaces non mutables (plus commodes à analyser) se succèdent, se construisent dans les contiguïtés ou les interstices. Ce qui était front devient vite espace bâti aggloméré ; le discret devient continu. Cette dynamique de changement se fait au rythme des grands projets (villes nouvelles), des initiatives locales, des stratégies des grands promoteurs et des acteurs du foncier, des contraintes réglementaires et fiscales, et des opportunités d’investissement, de la planification. C’est une dynamique conjointe de l’étalement, alternant des phases de fragmentation spatiale, avec des pleins et des vides, et des phases de remplissage et de densification d’espaces périphériques plus matures. Il s’agit également d’une dynamique qui a associé jusqu’à très récemment une production neuve massive, notamment dans le logement, tout en ayant des cycles de vieillissement et d’obsolescence du bâti plus marqués. La manière d’aborder cette dynamique, d’en construire une approche raisonnée par l’objet, les formes, les processus est au cœur du questionnement que je poursuis.
9La forme suburbaine est un élément remarquable dans l’étalement urbain. Mais, comme le précise Keil (2013), il ne s’agit pas seulement d’un produit résultant de la demande d’un agrégat de consommateurs suburbanites, mais d’un environnement produit par des acteurs et des stratégies. C’est la raison pour laquelle je justifie une approche par l’objet, le lotissement de promoteur, forme par excellence des marges métropolitaines aux États-Unis. D’un point de vue de la méthode, il s’agit de s’abstraire des nécessités de fixer les limites des marges métropolitaines, ou les limites du suburbain par rapport à l’exurbain ; ou bien encore les limites des périphéries résidentielles en agglomération par rapport au périurbain strict, au sens par exemple de l’Insee, qui suppose une rupture morphologique. En approchant la dynamique de suburbanisation/ exurbanisation par un objet issu de l’opérationnel et de la planification, on peut ainsi retomber sur une construction réticulaire de l’espace, associée à la mise en place de formes (le lotissement de promoteur) connectées aux réseaux d’infrastructures, notamment routières. L’analyse peut alors s’abstraire d’une définition statique, aréolaire et piégeante, d’un « front » ; elle peut se déployer malgré le caractère flou de l’extension spatiale du front, insaisissable tant sa dynamique peut être rapide et tant ce front intègre soit par le fragmentaire, soit par le continu.
10La question de recherche peut être formulée ainsi : Comment se structurent les voisinages sur les marges suburbaines, dont les caractéristiques morphologiques principales relèvent de la fragmentation spatiale et de la réticularité ? Secondairement, quel est le niveau géographique adéquat pour saisir et observer les voisinages, c’est-à-dire le niveau auquel se construit une certaine intégration sociospatiale, ou homogénéité : à quelle échelle s’opère la construction d’une logique de quartier ou de voisinage (neighborhood) – la rue, le lotissement, la localité ? Une troisième série de questionnements en découlent, qui dérivent des dynamiques puissantes de l’environnement bâti sur les marges suburbaines : il s’y opère conjointement des effets d’étalement, de densification et de fragmentation, au gré des opportunités et des contraintes foncières, au gré de la fixation du capital (investissement) ou de la dégradation, de l’obsolescence du quartier. La question relève donc de l’appréciation des trajectoires spatio-temporelles et des transformations qui affectent ces contextes locaux, ces voisinages, et des méthodes permettant de les saisir. En d’autres termes, la dernière phase de suburbanisation est un observatoire privilégié : les lotissements planifiés, maille de l’aménagement et maille qui construit l’homogénéité sociale par sa nature juridique et politique, constituent une unité territoriale privilégiée pour observer le changement social à l’œuvre dans la métropole contemporaine.
11Ma démarche est développée selon trois entrées thématiques principales. Une première partie, la maille, amorce une réflexion théorique sur la construction d’un objet de recherche (le lotissement ou subdivision) qui corresponde aux logiques observées sur les marges suburbaines et exurbaines, tout en évitant les pièges des catégories englobantes du post-suburbanisme et qui se recouvrent partiellement (boomburbs, exurbs, edgeless-cities, metropolitan suburbs, etc.). Ouvrant sur une mise en perspective critique du modèle du « lotissement à l’américaine », tel qu’il est abordé dans les regards français sur le périurbain, le chapitre 1 apporte les éléments de définition du front de suburbanisation, un état de la question centré sur les dynamiques contemporaines de la suburbanisation, et une analyse critique des catégories et critères utilisés pour analyser les franges. Cela permet de préciser cet espace discontinu, inégalement densifié, essentiellement structuré par la forme du lotissement planifié de promoteur, ou master planned community. Le chapitre 2 déplace l’analyse vers les logiques de production : les promoteurs, et notamment le rôle des grands groupes, et l’adoption de modes de régulation de la croissance sous l’influence des injonctions environnementales visant plus d’intégration spatiale (densité et connectivité) des projets de lotissements planifiés. Le corpus des entretiens y est mobilisé pour préciser les changements institutionnels locaux, les leviers dont disposent les juridictions locales et les modalités de discussion avec les promoteurs. Ainsi fixé sur les logiques de production, le chapitre 3 pose la question de la relation entre la morphologie résidentielle (l’enclavement du réseau viaire) et l’homogénéité sociale : des faisceaux convergents d’analyse de la gouvernance urbaine privée et du fonctionnement des copropriétés d’une part, des doctrines d’urbanisme, telles que l’espace défendable, d’autre part font l’hypothèse d’un niveau très local, correspondant à des unités morphologiques de base, qui serait celui de la construction du voisinage et de l’homogénéité sociale. Les intérêts particuliers et collectifs, la projection sur l’environnement proche du sentiment de propriété, l’homogénéité des prix immobiliers et l’homogénéité sociale convergent sur une unité de voisinage. Par des méthodes d’analyse spatiale des réseaux viaires, ces unités de voisinage qui correspondent aux lotissements sont définies en fonction de critères d’unité morphologique, comme briques de base d’une analyse des marges métropolitaines.
12Une seconde partie porte sur l’analyse des voisinages, afin de confronter cette unité de base, dont on fait l’hypothèse qu’elle est associée à l’homogénéité socio-économique, et la structuration multiscalaire des contextes locaux dans laquelle elle est inscrite. Les espaces d’appartenance sont multiples, puisque la subdivision (lotissement) est souvent un sous-ensemble d’un projet de planification en grand (master planned community), d’une structure de gouvernance qui relève à la fois de la copropriété et d’une appartenance à une juridiction locale (municipalité par exemple) et à divers districts spéciaux. La question relève de la construction des niveaux de voisinage, ou neighborhoods. Le chapitre 4 aborde ce questionnement d’un point de vue théorique et fait l’état de la question sur les rapports de voisinage, d’attachement et de relations sociales intergroupes susceptibles de se construire autour de la figure du lotissement. Il s’agit de remettre l’observation de l’inégalité entre les quartiers à sa juste place en interrogeant notamment le sens des proximités.
13La pertinence du lotissement comme échelle d’analyse est donc mise à l’épreuve, notamment par une analyse des prix, comme indicateurs du niveau d’homogénéité du voisinage et de l’efficacité collective d’appropriation et de gestion du local. Je développe l’argument selon lequel le prix du bien immobilier est au cœur d’un système de construction du local qui dépend d’une macrostructure financière reposant sur la circulation du capital, la captation de la rente foncière et l’investissement sur les marges suburbaines (chapitre 5). La crise des subprimes a en effet servi de révélateur de la puissance des logiques financières sur les évolutions sociales et économiques à court terme des quartiers. Le pari sur la valeur immobilière future des biens structure la gouvernance locale, avec des systèmes de relations contractuelles entre les promoteurs, les juridictions locales, les districts et les propriétaires, dont l’équilibre financier repose sur une hypothèse de croissance de la valeur immobilière du bien.
14Sur un front de suburbanisation par essence dynamique, une dernière série de questionnements porte sur les trajectoires. Le chapitre 6 analyse les dimensions du changement social en métropole, partant des principales analyses théoriques issues de la sociologie urbaine nord-américaine (assimilation et stratification). Ces approches théoriques explicitent les dynamiques de la ségrégation raciale aux États-Unis, en les articulant sur le rôle du contexte sociospatial suburbain. S’y joue le rôle des logiques d’assimilation spatiale, de stratification entre les groupes sociaux et des logiques individuelles de sélection, d’entre-soi et de stratégies résidentielles. Celles-ci sont particulièrement intéressantes à relier au fonctionnement institutionnel des associations de propriétaires et de la gouvernance urbaine privée. Saisir ces logiques suppose de disposer d’outils d’analyse des trajectoires spatio-temporelles locales, qui sont présentés dans leurs principes généraux.
15Une hypothèse est formulée, selon laquelle on peut analyser la dynamique de construction du voisinage dans le suburbain en analysant conjointement les dimensions de ses trajectoires socio-économiques (c’est-à-dire les formes successives de transition) et la définition de ses limites, ou composantes territoriales. Il s’agit de capturer la complexité des effets locaux du changement social, en croisant la maille lotissement et les résultats d’analyses multivariées du changement socio-économique effectuées sur des mailles fines de recensement. Ce questionnement fixe l’horizon du chapitre 7, qui propose une méthode d’analyse des trajectoires des prix immobiliers, tant les modèles théoriques de transition sociale, ethnique et raciale dans les suburbs des métropoles américaines font la part belle aux processus qui relèvent des marchés immobiliers et de la structure des prix. Le chapitre 8 associe les différents types de lotissements et le changement social qui s’opère à l’échelon local, analysant les recompositions socio-économiques locales, les processus de déclassement ou de surclassement qui s’opèrent. L’enjeu est de démontrer que la maille correspondant au lotissement de promoteur constitue un échelon approprié d’analyse des dynamiques locales sur les marges suburbaines.
Notes de bas de page
1 Voir « Formes et devenir des espaces périurbains », Renaud Le Goix, François Madoré, Rodolphe Dodier et Benjamin Motte, en ligne, consulté en juin 2013 : http://rehal.fr/?q=node/17,
2 Ces travaux ont notamment été menés dans le cadre du projet ANR IP4, Interactions public-privé dans la production du périurbain, fruit de la collaboration directe avec l’Insitut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU). Il s’agissait, en croisant les regards franciliens et angelenos, d’analyser la manière dont la périurbanisation contribue à inventer les modalités de production de l’espace, et les forces qui le structurent. Cet ouvrage, centré sur Los Angeles, est à mettre en perspective des travaux qui portaient par ailleurs sur la métropole francilienne. Pour référence, il faut mentionner la thèse de Delphine Callen (2011), le numéro des Cahiers de l’IAU consacré à « Habiter dans le périurbain » en février 2012 (Barreiro et Callen, 2012 ; Loudier-Malgouyres, 2012), et la diffusion des travaux sur l’enclavement résidentiel (Loudier-Malgouyres, 2007 ; 2010 ; Loudier-Malgouyres et Vallet, 2010). Le rapport final a également permis la valorisation des résultats de l’encadrement des mémoires de master et des stages réalisés dans le cadre de ce partenariat (Guilhain Averlant, Antonin Gosset, Alexandre Huet). Voir par exemple Loudier-Malgouyres, 2010.
3 Ces termes sont définis et discutés dans les chapitres 1 et 2. Voir l’index, en fin d’ouvrage.
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