Chapitre 1. La vision dominante : distance et dépendance automobile
p. 65-67
Texte intégral
1Concernant les espaces périurbains et ruraux, l’idée dominante est qu’ils sont fortement dépendants de l’automobile et que les politiques qui visent à promouvoir les modes de déplacements alternatifs à son usage ne peuvent au mieux avoir qu’un rôle « social » en vue de faciliter les déplacements des plus pauvres. Depuis les années 1980, alors que les transports collectifs, notamment les tramways, font un retour remarqué dans le centre des plus grandes agglomérations, la limitation de l’usage de l’automobile dans les espaces périurbains ou ruraux, voire la seule promotion des alternatives à son usage ne sont que très rarement promues par les élus locaux. Comme le dit Hélène Reigner, « les politiques de transport et de déplacement affichant une volonté de diminuer le trafic automobile n’aboutissent finalement qu’à limiter les nuisances automobiles dans les centralités urbaines. Il ne s’agit en effet pas tant de freiner globalement les mobilités polluantes, mais d’en limiter les impacts négatifs dans les hauts lieux de la ville » (2012, p. 201). Cette politique ambivalente à l’égard de l’automobile est très visible dans le maintien de nombreux projets autoroutiers de contournement de villes importantes (Lyon, Strasbourg, Marseille, etc.), alors même que la reconfiguration des axes routiers en direction des centres des agglomérations est parfois entreprise pour limiter la fréquentation automobile. Les schémas de cohérence territoriale ne font souvent que traduire dans le droit des sols cette ambiguïté. Alors qu’un modèle urbain articulant la densité et la diversité est promu le long des axes de transports collectifs dans les agglomérations, pour leurs marges périurbaines et rurales, c’est un autre modèle d’articulation entre le réseau et le territoire qui est envisagé, à travers le développement du réseau routier et une urbanisation peu dense et souvent monofonctionnelle (Desjardins, 2007).
2De manière relativement concordante avec ces investissements publics, les enquêtes statistiques montrent des évolutions très contrastées des pratiques de déplacements quotidiens entre les centres des agglomérations et les autres espaces. Différentes enquêtes « ménages déplacements » réalisées depuis 2005 montrent une baisse de l’usage de l’automobile dans les agglomérations importantes. Dans la communauté urbaine de Lille par exemple, la part des déplacements automobiles est passée de 55 % en 1985 à 59 % en 1998. Elle a ensuite diminué pour retomber à 56 % en 2006. Dans le même temps, la part de l’automobile augmente ailleurs. Ainsi, entre 1994 et 2008, la part de l’automobile dans les déplacements effectués hors des aires urbaines de plus de 100000 habitants est passée de 71 à 75 % (Armoogum et al., 2010).
1.1. Chercher les alternatives
3Pour beaucoup de décideurs, comme pour la plupart des urbanistes, le résultat est clair : les espaces peu denses sont inadaptés aux transports collectifs, l’évolution récente des pratiques le confirme. L’objectif principal doit donc être de restreindre le développement résidentiel « périurbain » pour limiter, à la source, la demande de mobilité automobile, concentrer l’urbanisation périurbaine dans des quartiers denses autour des gares et pour le reste, favoriser l’utilisation la plus judicieuse possible de l’automobile, à travers une motorisation électrique ou son usage partagé. Telles sont, par exemple, les orientations principales du rapport réalisé par le groupe de travail présidé par Olivier Paul-Dubois-Taine pour le Conseil d’analyse stratégique en 2012 sur les « nouvelles mobilités dans les territoires périurbains et ruraux ».
4Afin d’alimenter notre réflexion sur les potentialités par l’agencement territorial des alternatives à l’automobile, nous nous poserons les questions suivantes : les espaces peu denses sont-ils tous soumis à une logique d’accroissement des distances parcourues, tant pour se rendre au travail que pour les autres motifs de déplacement ? Cette question est importante car elle conditionne l’intérêt de politiques visant à promouvoir les modes actifs qui ne peuvent, par nature, n’intéresser que les déplacements de faible portée. Quelles sont les conditions territoriales qui rendent réalistes les offres de transports publics dans les espaces peu denses ?
1.2. Un préalable : changer le regard
5La périurbanisation est souvent jugée comme un processus néfaste. Depuis une quarantaine d’années, les politiques de limitation de la périurbanisation ont été tenues en échec et rarement la périurbanisation a été pensée comme un « projet positif » (Vanier, 2011). Pour examiner ces territoires situés à la marge des grandes villes ou en dehors de celles-ci, nous proposons un déplacement du regard porté sur les territoires d’urbanisation dispersée. Il s’agit d’observer ces espaces situés « entre les villes », de voir comment ils « fonctionnent », comment leurs habitants « bougent », ou pourraient « bouger », avant de les analyser selon leur dépendance à une ou plusieurs villes ou pôles urbains.
6Cette méthode de recherche rejoint l’approche de la Zwischenstadt proposée par Thomas Sieverts (Sieverts, 2004) ou les analyses de la citta diffusa menées par Bernardo Secchi et Paola Vigano (Secchi, 2006). Par « Zwischenstadt » ou « entre-ville », Sieverts entend trois dimensions : une dimension spatiale par l’interpénétration de l’espace bâti et du paysage ouvert ; une dimension économique avec la coexistence d’une économie agissant localement et d’une économie opérant sur le plan mondial ; et une dimension historique au sens où ce territoire urbain jeune est dans un état transitoire vers une forme de ville encore inconnue. Par ville diffuse, Bernardo Secchi entend une ville marquée par « l’absence d’ordre, d’homogénéité, d’infrastructure, de projet ». Derrière les quelques nuances entre ces termes, on décèle chez ces auteurs la référence à des réalités différentes : c’est à la Ruhr, dense et multipolaire, que pense Thomas Sieverts, alors que c’est la Vénétie si anciennement marquée par la dispersion du peuplement qui sert de référence à Bernardo Secchi. Mais au-delà de ces différences, c’est à une même approche qu’invitent, avec d’autres (Bonerandi, Roth, 2007), ces auteurs : une méthode d’analyse des caractéristiques propres de ces territoires, non de détection des « manques » qui empêchent d’en faire de « vraies villes », ou des « ajouts » qui les éloignent irrémédiablement de la « vraie campagne ». C’est avec ce point de vue que nous souhaitons regarder ces territoires peu denses.
7Pour alimenter cette réflexion, nous nous appuierons sur différents exemples, piochés dans la littérature scientifique ou dans des recherches menées récemment, seul ou, le plus souvent, avec des collègues. Il s’agit moins ici de dresser un panorama des politiques de transport et d’urbanisme dans les territoires périurbains que d’inviter à un changement du regard sur ces territoires et leurs mobilités. En effet, révéler les potentialités est un préalable indispensable, tant sont ancrées les représentations d’une inutilité de la promotion des transports alternatifs à l’automobile hors des agglomérations.
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