Chapitre 4. Des résultats aux pratiques d’aménagement
p. 43-51
Texte intégral
1Le savoir est relativement stabilisé sur les liaisons actuelles dans les pays développés entre organisation urbaine et déplacements. Toutefois, ces travaux ont fait l’objet de critiques nombreuses qu’il nous faut discuter. Un premier champ de critiques porte sur les limites méthodologiques de ces études (4.1). Un second champ de critiques porte sur les traductions opérationnelles de ces travaux. Ces travaux conduisent à une focalisation excessive sur la notion de densité (4.2) et à une vision trop mécanique du lien entre urbanisme et déplacement (4.3). Dans ces conditions, les attentes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont souvent excessives (4.4).
4.1. Étudier les corrélations entre territoire et mobilité : une approche partielle
2Les recherches sur le lien entre formes urbaines et déplacements appréhendés par leurs relations statistiques ont fait l’objet de deux types de critiques d’ordre méthodologique.
3Certaines critiques portent sur le caractère relativement restreint des données mises en relation pour mesurer le lien entre formes urbaines et déplacements. En effet, les recherches citées ne prennent que peu en compte les consommations liées au transport de marchandises ainsi qu’au trafic de transit. Elles ne tiennent pas compte des déplacements à longue distance. Or, ce type de déplacement, notamment par avion, est en plein développement. Il a ainsi été montré que les habitants des zones denses des grandes villes pouvaient avoir un budget énergétique élevé pour les déplacements saisonniers ou de fin de semaine, ce qui annihilerait le gain énergétique constaté pour les déplacements quotidiens. Des travaux norvégiens renforcent cette thèse (Holden, Norland, 2005) en démontrant que les morphologies urbaines ont des incidences sur la consommation directe d’énergie. Hélène Nessi (2013) a montré qu’il y avait une très forte influence du niveau de revenu sur les pratiques de mobilité de loisir, mais qu’en neutralisant l’effet de revenu, les habitants des quartiers centraux, notamment s’ils disposent de peu de parcs, ont une mobilité de loisir « de compensation » plus importante2.
4Le second type de critiques repose sur la méthode elle-même. Comparer à un instant t le lien entre mobilité et formes urbaines sans replacer les résultats dans le temps long des politiques d’urbanisme et de transport, ni les mettre en perspective avec les autres dimensions des politiques de régulation du système de transport (politique de stationnement, prix du stationnement, etc.), conduit à des impasses. Pour prendre un exemple « canonique » des études sur le lien entre transport et urbanisme, que dire des pratiques de déplacements des habitants des périphéries de Stockholm au regard des densités globales ? Rien, si l’on ne mentionne pas une politique menée depuis le plan Sven Markelius de 1945-1952 d’organisation de la croissance urbaine de la ville en différentes villes nouvelles situées le long d’un métro régional de 108 kilomètres et 100 stations, qui permet aujourd’hui à près d’un actif sur deux de se rendre à son travail par les transports collectifs. Or, les articles sont bien plus nombreux à se pencher sur des éléments mesurables, tels que l’effet du péage sur le trafic automobile, dont le caractère est bien moins structurant pour expliquer la configuration des mobilités. Bien que l’on sache depuis Mark Twain qu’il existe trois types de mensonges « les petits, les gros et les statistiques », les approches uniquement statistiques sont très développées, notamment aux États-Unis. Pourquoi ? Parce qu’il est plus facile de publier avec de telles approches qui semblent plus scientifiques. Entendons-nous bien : les approches statistiques sont bien sûr très utiles et nous y avons également recours. Mais le systématisme conduit parfois à des recherches oiseuses. La mise en relation de différentes bases de données et l’analyse parfois hors contexte, sans attention à la dynamique territoriale globale, peuvent conduire à des interprétations erronées.
4.2. Une focalisation excessive sur la notion de densité
5À partir des résultats cités précédemment, notamment ceux de Newman et Kenworthy, la densité est apparue comme une solution pour de multiples organismes (Banque mondiale, Commission européenne…), au point qu’on a pu parler d’une forme d’« obsession de la densité » (Theys, 2009). Mais n’est-on pas passé un peu hâtivement d’une lecture des constats à la préconisation d’une solution qui a le mérite d’être simple et universelle ? En effet, il paraît hasardeux de passer de la mise en évidence d’un lien, considéré comme un lien de causalité, à l’affirmation que la rétroaction serait nécessairement positive : puisque les habitants des espaces denses consomment peu de carburant, densifions les villes pour diminuer la consommation d’énergie. Comme les déterminants de la mobilité sont bien plus nombreux que la seule densité, rien n’indique que cette assertion soit pertinente. De nombreux travaux ont donc cherché à montrer l’intérêt et les limites des politiques de densification, avec des résultats concrets inégalement favorables à une réduction de la mobilité automobile (par exemple, parmi beaucoup d’autres, Williams et al., 2000).
6Une autre critique adressée à cette préconisation de la densification pour réduire l’usage de l’automobile porte sur le rôle que Newman et ses collègues attribuent à la dépendance automobile. La précision et la pertinence insuffisantes avec lesquelles ils définissent la dépendance automobile conduisent certains à critiquer la thèse selon laquelle densifier les villes réduirait l’usage de l’automobile. Ils mesurent cette dépendance selon les cas par l’équipement automobile, le kilométrage parcouru ou la consommation de carburant. Or le taux de motorisation par exemple ne peut définir à lui seul la dépendance automobile. Celle-ci résulte de l’évolution du système automobile dans son ensemble, système dont les composantes sont la production de masse de l’automobile, les centres de service qui rendent possible le maintien du parc à un bon niveau de performance, les codes sociaux pour la régulation du trafic, les réseaux routiers, l’ensemble d’équipements dédiés à l’usage des automobilistes, etc. Partant de cette observation, Gabriel Dupuy définit la dépendance à partir de la différence entre l’accessibilité offerte à l’automobiliste et l’accessibilité offerte au non-automobiliste (Dupuy, 2002). La dépendance concerne le non-automobiliste en ce qu’il cherche à atteindre le niveau d’accessibilité supérieur qui s’offre à l’automobiliste. Elle concerne l’automobiliste dans le cas où il est privé de son véhicule (handicap personnel, catastrophe écologique plus ou moins durable) et perd l’accessibilité pour se retrouver au niveau inférieur du non-automobiliste. Il résulte de cette définition que l’accessibilité est facilitée par la densité et cela, quel que soit le moyen de locomotion considéré. Ainsi, contrairement à ce que laissent entendre Newman et Kenworthy, l’écart d’accessibilité entre automobilistes et non-automobilistes est amplifié par la densité. Pourquoi ? L’augmentation de la densité n’implique pas seulement une meilleure accessibilité pour les non-automobilistes. Les automobilistes aussi gagnent en accessibilité et, partant, la dépendance à ce mode de transport augmente également. Gabriel Dupuy conclut : « Le message de Newman aux aménageurs n’a donc aucune évidence. Contrairement à l’intuition, la densité urbaine n’est probablement pas la meilleure arme pour vaincre la dépendance automobile. »
4.3. Entre urbanisme et transport : des liens plus distendus ?
7Au-delà de la seule densité, c’est l’utilité même de l’urbanisme pour réguler les transports qui est mise en doute par certains. Ce point de vue a été notamment développé par Genevieve Giuliano (1989) de l’université de Los Angeles. Selon cet auteur, dans les métropoles des pays avancés, les conditions d’accessibilité intra-urbaine sont aujourd’hui relativement convenables. Dans ce contexte, toute amélioration des infrastructures n’a qu’un impact réduit sur la dynamique urbaine et le prix du sol. Elle prend l’exemple de l’effet des autoroutes urbaines. Les études montrent que si la première génération d’autoroutes intra-urbaines dans les années 1950 et 1960 a eu un impact puissant sur les prix, la seconde, au cours des années 1970, n’a eu qu’un impact modeste. Les prix à proximité des échangeurs ont principalement évolué en fonction des stratégies des autorités locales en charge du droit des sols, des stratégies des entreprises ou des promoteurs, non par le seul effet de l’amélioration de l’accessibilité automobile. L’égalisation progressive des conditions d’accessibilité est non seulement favorisée par l’accumulation des infrastructures, mais elle est aussi un résultat de la décentralisation puis de la multipolarisation des emplois au sein des grandes aires urbaines. Du côté des ménages et des entreprises, le coût des déplacements s’est considérablement réduit. Les transports ne représentent que 7 % du budget d’un ménage américain des années 1980. En 1880, les ménages ouvriers de Philadelphie consacrent jusqu’à 20 % de leur budget au transport ! Aussi la recherche d’une diminution du coût monétaire des déplacements par un déménagement est-elle moins urgente. Par ailleurs, un déménagement a des coûts non monétaires. Il entraîne la perte des réseaux amicaux et familiaux et des habitudes de voisinage. Grâce à une meilleure accessibilité aux emplois et à un coût plus faible des transports, les choix de localisation résidentielle obéissent de plus en plus à des intérêts liés aux voisinages, aux écoles ou aux équipements publics. Dans ces conditions, l’effet sur le développement urbain des transports est davantage le résultat des stratégies d’urbanisme des collectivités locales qui peuvent contrecarrer ou non les faibles effets spontanés des transports.
8Cette analyse du lien plus faible entre transport et urbanisation conduit l’auteur à douter de l’efficacité des politiques d’équilibre entre habitat et emploi. Un plan d’aménagement du sud de la Californie met en évidence que les déséquilibres entre habitat et emploi contribuent à la congestion, notamment sur les autoroutes. Pour les auteurs du plan, une action consistant à « diriger » 9 % de l’emploi régional créé entre 1984 et 2010 vers des régions pauvres en emploi et 4 % de la construction neuve de logements à ce même horizon vers des zones pauvres en logements conduirait à réduire de 35 % le trafic automobile. Ces chiffres sont fortement contestés (Giuliano, 1991) : les ménages sont souvent constitués de plusieurs actifs et en raison de conditions de transport relativement convenables en termes de durée et de coût, les déménagements ne seront que peu fréquents. De plus, la focalisation exclusive sur la question du travail fait perdre de vue qu’une localisation résidentielle optimale s’estime également au regard de l’accès aux loisirs, aux commerces, bref, aux autres dimensions de la vie sociale. Concernant l’effet d’une amélioration des transports publics, il sera faible car les conditions d’accessibilité par l’automobile sont déjà convenables.
9Une thèse québécoise (Charron, 2008) souligne ce lien distendu entre urbanisme et transport et le fait que les ménages ne recherchent pas des conditions optimales au regard des distances domicile-travail. Tout d’abord, il étudie pour chaque lieu les possibilités de « navettage » (c’est-à-dire de relations entre le domicile et le travail) selon les configurations urbaines. Une possibilité de navettage représente une situation selon laquelle tous les travailleurs d’une région donnée sont assignés à un (et un seul) lieu de résidence et à un (et un seul) lieu d’emploi. La possibilité de navettage est donc le reflet de la configuration urbaine (qui positionne les lieux de résidence et d’emploi) et, du même coup, de celui de distance de navettage (qui relie ces lieux). Des formes urbaines différentes offrent des potentiels de navettage différentes : une mixité fonctionnelle forte offre les possibilités les plus faibles (un emploi partout près de chez soi), une centralisation des emplois les possibilités les plus élevées (puisque tout le monde doit aller au centre). S’il y avait indifférence entre habitat et emploi, les travailleurs choisiraient leurs lieux de résidence et d’emploi au hasard (en regard de la distance) et la distance de navettage observée tendrait vers la possibilité de navettage moyenne. Dans la réalité, les comportements de navettage se situent entre ces cas de figure. Les travailleurs « choisissent » des options de navettage associées à des distances tolérables mais non nécessairement minimales. S’ils choisissaient systématiquement l’option de la plus courte navette, ils subiraient des inconvénients dans d’autres domaines. Ainsi, les comportements de navettage sont calibrés, d’une part, par le désir d’étendre son rayon de navettage et, d’autre part, par le désir de maintenir la distance de navettage sous un niveau acceptable. Pour le dire autrement, ce travail montre qu’il y a bien une enveloppe temporelle et monétaire de déplacements jugée « tolérable » par les ménages. Dans le cadre de cette enveloppe, les ménages ne recherchent pas systématiquement la minimisation des distances et des coûts.
10Robert Cervero critique fortement ce point de vue selon lequel dans les métropoles développées, il y a une telle mobilité (n’importe qui peut aller n’importe où n’importe quand) que l’effet des investissements des transports devient nul. « Bien sûr que le lien entre transport et urbanisme reste important ! Il compte si l’on veut bien qu’il compte ! » (Cervero, 1999, p. 413-414). L’absence de lien entre l’urbanisation et les réseaux ferroviaires n’est pas une fatalité, mais repose bien souvent sur une absence de régulation forte de l’automobile que ce soit par le prix ou le stationnement. On peut ajouter que loin de prouver l’absence de lien entre transport et urbanisme, Genevieve Giuliano ne fait que montrer l’effet sur l’urbanisme de la politique très favorable aux investissements routiers menée auxÉtats-Unis. Des choix collectifs en faveur de transports peu coûteux pour les ménages – parce que les externalités négatives telles que les dégâts environnementaux de l’usage de l’automobile ne sont pas payées par l’automobiliste – et d’un réseau routier rapide conduisent les ménages à une relative indifférence entre lieu d’emploi et lieu de résidence dans la mesure où, depuis n’importe quelle résidence, tous les emplois sont accessibles relativement rapidement à un coût faible. Une hausse des prix de l’usage de l’automobile ou une réduction des vitesses sur les autoroutes tendraient rapidement à donner plus d’importance à l’ajustement entre emploi et résidence !
4.4. Qu’attendre de l’urbanisme pour atténuer le changement climatique ?
11Parce qu’il a pu être démontré un lien entre organisation territoriale et déplacements, donc émissions de gaz à effet de serre, l’urbanisme est apparu comme un instrument important des politiques de limitation du changement climatique. Or, dans le cadre d’une politique urgente de réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec, dans le cas français, l’engagement de diminuer les émissions par quatre, d’ici à 2050, les principaux moyens d’action ne se trouvent pas dans l’aménagement et l’urbanisme.
12Première limite importante des actions en matière d’aménagement : elles n’ont sur les consommations énergétiques que des effets indirects. Elles peuvent jouer sur l’offre, en matière de transports, et la demande, par la localisation des différentes fonctions urbaines, non sur les pratiques. Aussi, comme le disait Hervé Mathieu, l’urbanisme et l’aménagement du territoire ne peuvent pas réduire les émissions de gaz à effet de serre (alors que le législateur a aujourd’hui peut-être imprudemment exigé de tels résultats des documents d’urbanisme), mais peuvent jouer sur « l’élasticité potentielle de la demande en énergie » (Mathieu, Tilmont, 1978).
13De plus, rappelons que les politiques d’aménagement du territoire au sens strict jouent sur l’agencement des formes bâties et des flux et n’ont que peu d’impact sur les principaux postes émetteurs de gaz à effet de serre que sont l’industrie, l’agriculture, et pour une large part le bâtiment. Dans ces différents secteurs, les progrès dépendent principalement de l’amélioration des processus de fabrication industrielle ou agricole, d’une meilleure isolation des bâtiments, de l’amélioration des moteurs, etc. L’efficacité des actions dans ces domaines est, indiscutablement, beaucoup plus sûre et rapide que celle de l’aménagement du territoire. Par ailleurs, les « effets de stock » en matière territoriale sont extrêmement puissants, notamment dans les pays à croissance démographique lente : les formes urbaines sont le résultat de l’histoire longue et la capacité d’action sur les tissus urbains est limitée. Si la densification des espaces périurbains est souhaitable en certains lieux, celle-ci ne pourra être qu’un processus de très longue durée…
14Les raisonnements en matière d’aménagement du territoire ne peuvent pas oublier les évolutions technologiques (Ascher, 2008). En matière de mobilité des personnes, la diminution des émissions de gaz à effet de serre par un « transfert modal » en direction des transports collectifs ou la marche ou par la diminution des distances parcourues en automobile grâce à un meilleur agencement urbain ne peut être obtenue qu’à long terme et restera marginale. Pour les années passées, comme le rappelle Jean-Pierre Orfeuil (2008), en 1973, les Français parcouraient en moyenne 6300 kilomètres par an en voiture. En 2008, ce sont 12200 kilomètres qui sont parcourus. Alors que les véhicules sont beaucoup plus puissants, la consommation kilométrique a baissé de 25 % entre 1973 et 2005. Si cette baisse n’avait pas eu lieu, nous consommerions 140 litres d’essence de plus par personne et par an. Le trafic de tous les types de transport ferroviaire est passé de 51 à 90 milliards de voyageurs-kilomètres, soit, à peu près, de 1000 à 1500 kilomètres par personne et par an entre 1970 et 2005. Si ces 500 kilomètres supplémentaires avaient été effectués en automobile, la consommation supplémentaire de carburant n’aurait été que de 18 litres par personne et par an. On conçoit bien, par ce simple rappel, que le principal gisement de réduction des émissions de gaz de serre (et ceci à un coût nettement moindre) relève plus de l’amélioration des véhicules que de la planification des villes.
15Pour l’avenir, en matière de mobilité automobile, beaucoup pensent pouvoir trouver dans l’électricité un substitut efficace au pétrole. La production électrique émet peu de gaz à effet de serre en France, principalement en raison de l’importance du parc nucléaire. Les moteurs électriques sont aujourd’hui adaptés aux véhicules automobiles. De plus, le prix de l’électricité pourrait devenir compétitif par rapport à l’essence traditionnelle. Toutefois, les véhicules électriques ou hybrides sont encore très chers, notamment les véhicules hybrides qui ont des équipements coûteux pour fonctionner aussi bien à l’essence qu’à l’électricité. De plus, leur fabrication ne concerne encore que des séries limitées. Si les véhicules hybrides dans les années qui viennent, les véhicules électriques à plus long terme, deviennent d’usage courant, les économies d’échelle apparaîtront. Enfin, il faudrait implanter des points de recharge, d’autant plus nombreux que l’autonomie des moteurs est limitée. Les garages privés peuvent aisément être équipés mais, pour les véhicules qui n’y ont pas accès, il faut imaginer un investissement massif, financé ou encouragé par les pouvoirs publics, en bornes de recharge sur la voie publique. Le problème important pour le développement des véhicules électriques est celui de leur autonomie. Avec les batteries traditionnelles au plomb, elle est seulement de l’ordre de 100 kilomètres. Cela paraît suffisant pour les véhicules qui effectuent des trajets quotidiens peu importants, comme les véhicules internes à une entreprise, les voitures postales, les bennes à ordures, etc. mais, pour les particuliers, cela constitue une contrainte forte.
16Pour améliorer l’autonomie offerte, on expérimente des accumulateurs plus performants, tels que les accumulateurs au cadmium-nickel. La réponse à ce problème pourrait venir du développement de la pile à combustible. Celle-ci devrait assurer légèreté, réactivité et autonomie. Mais elle fonctionne à l’hydrogène et il faut beaucoup d’énergie pour le fabriquer. Au total, un véhicule électrique offrant des performances et un coût comparables à celui d’un véhicule à essence ne semble pas pouvoir se banaliser avant plusieurs décennies. Néanmoins, pourront d’ici là se développer des véhicules à accumulation, et, surtout, des véhicules hybrides qui économisent actuellement 20 % de carburant, et réduisent d’autant les émissions de polluants et de gaz à effet de serre. Bref, si cette voie est possible, elle n’est sérieusement envisageable qu’à long terme et, pour Pierre Merlin (2008), elle repose nécessairement sur un renforcement du parc nucléaire. La consommation actuelle du secteur des transports représente près de 50 millions de tonnes d’équivalent pétroles (tep) par an en France. La production d’énergie nucléaire actuelle est de près de 120 millions de tep et celle des énergies renouvelables de près de 3. La consommation d’énergie électrique issue de la filière nucléaire pourrait donc progresser très fortement si l’on imagine un passage à l’énergie électrique de l’ensemble du parc automobile. Par ailleurs, si l’automobile électrique peut apporter des réponses intéressantes dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, rappelons qu’elle ne résout en rien les différents problèmes posés par la généralisation de l’automobile en milieu urbain, à savoir sa consommation importante d’espace pour le stationnement, la sécurité des personnes, les problèmes d’accessibilité à son usage pour des raisons de coût, de santé ou encore d’âge.
17L’urbanisme et l’aménagement ne semblent pas des leviers majeurs pour une réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, même si l’on a montré les limites d’une intervention des urbanistes et aménageurs et même si leur action ne peut produire que des résultats modestes, cela ne signifie pas qu’ils n’aient aucun rôle à jouer. En effet, l’urbanisme joue un rôle majeur comme « amortisseur social » de la transition énergétique. Dans les espaces périurbains à faible densité, les ménages pauvres apparaissent parmi les plus vulnérables face à une élévation du coût de l’énergie en raison de leur consommation importante de carburant (Orfeuil, Polacchini, 1999). Des chercheurs australiens ont élaboré un indice de vulnérabilité énergétique à partir des caractéristiques socio-économiques des ménages et de l’usage qu’ils font de l’automobile, estimé à partir d’un certain nombre de résultats obtenus grâce au recensement (principalement le taux de motorisation des ménages ainsi que le mode de transport utilisé pour les déplacements domicile-travail). Cet indice permet d’identifier des zones à risque. Sans grande surprise, les chercheurs montrent que les ménages les plus vulnérables sont situés dans les franges des agglomérations, et ceci, dans les trois villes étudiées de Brisbane, Melbourne et Sydney (Dodson, Sipe, 2007). Dans ces conditions, une montée régulière ou brutale des coûts de l’énergie, par décision politique ou non, conduirait, pour de nombreux ménages pauvres ou modestes, à rendre très difficile l’accès aux ressources territoriales (emploi, équipements publics, etc.). En effet, autant les déplacements longue distance pourraient être limités pour des raisons environnementales, autant il apparaît socialement assez risqué, pour ne pas dire injuste, de ne pas prévoir un aménagement du territoire qui rendrait possible, au plus grand nombre, l’ensemble des déplacements quotidiens, indispensables à la vie économique, sociale et culturelle d’une ville.
18Autrement dit, si aucune forme d’aménagement ne peut empêcher les plus riches des centres urbains de consommer beaucoup d’énergie, l’aménagement du territoire ne doit-il pas d’abord contribuer à prémunir les plus modestes contre l’impossibilité de réaliser leurs programmes d’activités au sein des villes et régions urbaines ? Si l’on suit ce raisonnement, il apparaît que l’aménagement du territoire participe moins à une réduction directe des émissions de gaz à effet de serre, parce que ses effets seront modestes et ne se manifesteront qu’à long terme, qu’à l’acceptabilité sociale de la transition énergétique. En ce sens, l’articulation entre urbanisme et transport a surtout un rôle « assurantiel » : il ne garantit pas un changement des pratiques, mais la possibilité d’un changement. D’ailleurs, les ménages ne s’y trompent pas : ceux qui habitent près d’une gare n’utilisent pas toujours davantage le train (Nguyen-Luong, Courel, Pretari, 2007), les investisseurs immobiliers qui privilégient les quartiers de gares savent que les utilisateurs des bureaux utilisent peu le train dans les villes moyennes (Delage, 2013). Mais tous savent que la gare est une assurance en cas d’impossibilité d’utiliser une voiture…
Notes de bas de page
2 Cette idée est néanmoins vigoureusement discutée par Sébastien Munafò dans sa thèse (Munafò, 2015). Il montre que les mobilités de loisirs ne se résument pas à la recherche de nature et de plein air. De nombreux loisirs « compactophiles », selon les termes de l’auteur, comme les rencontres et promenades urbaines, la fréquentation des musées et autres lieux culturels, existent également. De plus, pour Sébastien Munafò, l’idée de « compensation » part de l’a priori que les citadins sont des victimes de leur localisation et oublie de considérer les aspirations et préférences propres à leur mode de vie, notamment en termes de loisir.
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