Le substrat territorial des mobilités locales
p. 21-22
Texte intégral
1Faut-il mettre l’urbanisme au service de la régulation de l’usage de l’automobile ? C’est déjà, dans de nombreux pays, un des objectifs principaux de la législation de l’urbanisme. En France, selon la loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000, les choix en matière d’urbanisme doivent viser « la maîtrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile ». À partir du milieu des années 2000, cette volonté est réactivée par les préoccupations liées au changement climatique. Le secteur des transports et des bâtiments, c’est-à-dire les deux volets d’une politique d’urbanisme qui s’intéresse aux lieux et à la manière de les relier, représente plus de 60 % des émissions de gaz à effet de serre dans les pays d’Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord. L’étalement urbain et la périurbanisation sont considérés comme une des causes majeures du recours croissant à l’automobile. Dans ces conditions, la maîtrise de ces processus apparaît comme le levier majeur de la lutte contre le changement climatique. En octobre 2008, un éditorial du New York Times titré « Cut the Sprawl, Cut the Warming » salue l’adoption par l’État de Californie d’une loi d’urbanisme qui vise à contenir l’extension spatiale des agglomérations. Cette loi invite les grandes métropoles à élaborer une Sustainable Community Strategy. La maîtrise à l’échelle régionale de l’urbanisation et le changement climatique sont clairement liés par le législateur (Calthorpe, 2013). En France également, le droit de l’urbanisme évolue pour prendre en compte les considérations énergétiques (Brouant, 2007). La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement précise, à l’article augural L.110 du Code de l’urbanisme, que les collectivités publiques se doivent, par leurs prévisions et leurs décisions d’utilisation de l’espace, « de réduire les consommations d’énergie, [et] d’économiser les ressources fossiles ».
2Le changement climatique pose de nouveau la question de la distance et des kilométrages automobiles dans la mesure où les émissions de gaz à effet de serre se calculent grosso modo par règle de trois, en fonction des distances parcourues et des caractéristiques des véhicules. L’intérêt des urbanistes pour l’enjeu énergétique cependant n’est pas tout à fait nouveau. On se rappelle qu’au cours des années 1970, beaucoup avaient milité pour sa prise en compte par l’urbanisme. Dans les rapports officiels, les préconisations d’hier (Cru, 1976) ressemblent fort à celles d’aujourd’hui (De Boissieu, 2006) : limitation de l’étalement urbain, promotion des transports collectifs et de la marche, ou encore meilleure répartition des activités et des logements dans l’espace. Or, entre les deux dates, si l’inquiétude a grandi, puisqu’il ne s’agit plus simplement de diminuer les consommations énergétiques, mais également de lutter contre un risque planétaire de changement climatique, on ne peut qu’être frappé par la constance des recommandations et par l’inconstance des politiques, la ville ayant évolué de manière assez éloignée de ces principes. Cette récurrence des injonctions et leur faible impact sur la réalité peuvent conduire à un certain scepticisme.
3Mais, au-delà de ce doute sur sa mise en œuvre, c’est l’utilité même de la planification territoriale en vue de l’atténuation du changement climatique qui est mise en débat. Trois éléments majeurs sont venus souligner les limites des démarches « urbanistiques » : la modicité de leurs effets, leur coût et la durée nécessaire à leur réalisation. Dans un article remarqué, Jean-Pierre Orfeuil et Marie-Hélène Massot (2007) soulignent qu’on réduit davantage les émissions de gaz à effet de serre en améliorant les moteurs qu’en menant une planification territoriale. Par ailleurs, en termes d’analyse coût-efficacité, viser une réduction des émissions de CO2 par une politique d’aménagement du territoire paraît peu efficace : on voit difficilement comment une politique territoriale, dont les effets sont nécessairement indirects sur les consommations effectives d’énergie, pourrait être financée par les économies d’équivalent carbone au cours actuel du carbone sur les marchés d’échange. Une simple estimation des coûts nécessaires en termes d’investissement pour les transports publics ou les politiques foncières, par rapport aux gains potentiels en émission de gaz à effet de serre, rend cette hypothèse irréaliste. Enfin, le temps long des politiques d’aménagement semble assez inadapté aux changements rapides que l’objectif d’une réduction forte des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 impose. Plus généralement, l’idée que l’urbanisme puisse apporter une condition décisive à la régulation des mobilités est très contestée. Dans ces conditions, l’aménagement du territoire est-il vraiment hors-jeu ?
4Pour faire un état de cette question et préciser notre position, nous présentons tout d’abord la situation de la mobilité locale en France pour rappeler les dynamiques à l’œuvre, situer les enjeux et donner quelques ordres de grandeur (1). Nous examinons ensuite la possibilité de réduire l’usage de l’automobile à « territoire constant » (2). Une présentation synthétique des très nombreux travaux sur le lien entre organisation territoriale et pratiques de mobilité (3) permet une critique de ces résultats et, surtout, de la manière dont ils peuvent être traduits en matière de politique publique (4). Enfin, nous proposons une exploration des scénarios de mobilité à l’horizon de 2050 (5). Cela conduit à s’interroger sur les attendus de l’urbanisme en matière de mobilité (6). Est-il possible de réduire par quatre les émissions de gaz à effet de serre sans modifier radicalement les politiques d’urbanisme ?
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