Surveiller le port : le cas de Naples au xviiie siècle
p. 69-85
Texte intégral
1Avant le développement du chemin de fer, le port représente l’interface privilégiée des phénomènes d’échanges de toute nature dans les villes côtières. Souvent, il est le premier espace de contact terrestre pour celui qui arrive, et le dernier pour celui qui part. En outre, le port implique un système d’infrastructures (douanes, fondouks, lazarets, entrepôts, etc.) en capacité d’influencer la toponymie de la ville elle-même : en effet, « Port » est fréquemment le nom d’un quartier. Le va-et-vient frénétique de bateaux, marchandises, hommes, animaux - et microbes - impose un contrôle systématique de l’espace portuaire, qui a lieu par le biais d’une série de structures, physiques et administratives, influant lourdement sur la ville et ses habitants.
2Cette étude analyse les institutions chargées de la sécurité du port de Naples au milieu du xviiie siècle1 . Loin de constituer un cas exceptionnel par rapport aux autres réalités portuaires de l’Europe d’Ancien Régime, Naples garde, toutefois, certains éléments originaux. Tout d’abord, sa dimension démographique : elle est la deuxième ville de la Méditerranée après Istanbul. Ensuite, la position du royaume dans la Méditerranée centrale, qui fait de la capitale, depuis l’Antiquité, un point de passage privilégié des navires sur la route pour l’Afrique du Nord et le Levant2.
3Au cours de leur longue histoire, les structures portuaires de la ville de Naples connaissent plusieurs transformations. Celles qui se produisent au milieu du xviiie siècle marquent un tournant important, à la fois matériel et dans la pratique administrative. En 1734, après plus de deux siècles de domination étrangère, les deux royaumes du sud de l’Italie retrouvent leur autonomie avec la montée sur le trône de Charles de Bourbon, unifiant les couronnes de Naples et Sicile. Pendant les années 1740 et 1750, le nouveau roi planifie une vaste série de réformes institutionnelles et de nouveaux rapports diplomatiques et commerciaux afin d’accroître la richesse de ses domaines3. Dans ce contexte politique, les ports (commerciaux et militaires) ont un rôle central ; ils sont donc l’objet d’un plan de requalification, structurelle et administrative, répondant à la politique mercantiliste du nouveau gouvernement.
4Les problèmes concernant la sécurité des ports sont au cœur de ce processus de réorganisation de l’espace portuaire. Évidemment, la capitale jouit d’une attention particulière : de vastes travaux sont conduits dans le port commercial, afin d’en développer les capacités, à partir d’avril 1739 et pendant les années 1740. Dans la partie orientale du littoral urbain, l’aménagement de la strada della Marina, entre 1740 et 1749, modifie considérablement le rapport entre la ville et l’espace maritime4. En effet, le nouveau gouvernement vise à concentrer les activités maritimes dans des espaces définis, pour empêcher le petit cabotage, notamment, d’échapper aux contrôles de sécurité.
5Le port commercial de Naples est divisé en deux parties : le molo grande et le molo piccolo. Le premier accueille les bateaux de gros tonnage et plus généralement tous les navires qui ne pratiquent pas le cabotage dans le golfe et ses alentours, qui sont reçus pour leur part dans le molo piccolo. Les institutions chargées de contrôler ces deux espaces reçoivent de nouvelles ressources et de nouveaux sièges, ainsi que de nouveaux règlements, qui reprennent les précédents mais en en précisant les domaines d’application. Si le but principal est d’augmenter l’efficacité des offices portuaires, les nouvelles prescriptions ont aussi pour objectif de prévenir les affrontements institutionnels. En effet, l’espace portuaire napolitain impose une stricte collaboration entre les offices de son pourtour. Certes, les antagonismes, les critiques et les disputes ne manquent pas parmi les fonctionnaires ; cependant, la tâche particulière de surveiller le port implique un tel ensemble de compétences que la coopération devient nécessaire.
La santé
6Au moment de son arrivée dans le golfe de Naples, un navire doit passer une série de contrôles exercés par différentes institutions. Tout d’abord, il convient de vérifier les conditions d’admissibilité du bateau, de son équipage et de ses marchandises à la libera pratica dans le port et donc dans la ville ; c’est-à-dire de déterminer s’il existe un risque sanitaire. Il s’agit de la question la plus importante pour les administrateurs, car une ville, voire un pays déclarés comme infectés par la peste se trouvent immédiatement placés dans un isolement strict par les partenaires commerciaux, avec des conséquences dramatiques pour l’économie5.
7À Naples, les contrôles sanitaires sont confiés au tribunal de la Santé générale (Tribunale della general salute)6. Il s’agit d’un organisme collégial, émanation du conseil municipal : le tribunal de S. Lorenzo. Ce dernier, dont l’appellation relève du couvent où ses membres se réunissaient, est composé par un élu du peuple et six élus de la noblesse patricienne, inscrite dans les piazze ou seggi (les quartiers traditionnels) de la ville7. Jusqu’à la fin du xviie siècle, la tâche de sauvegarder la santé publique est jalousement gardée par le tribunal de S. Lorenzo, dont les élus nomment une députation autonome à titre provisoire seulement à l’occasion d’une urgence épidémique. À la suite de la peste de Conversano, en 1691, la municipalité décide d’établir un organisme permanent sur l’exemple d’autres déjà existants8. Le tribunal de la Santé est doté d’un certain nombre de médecins et de deux « gardiens du port », sur lesquels nous reviendrons.
8Le gouvernement vice-royal crée à son tour un officier pour contrôler les actions des élus dans ce domaine : le surintendant général de la Santé9. Cet office est confié à un membre du Conseil collatéral, l’organisme qui administre le royaume avec le vice-roi. Le surintendant est aussi responsable de la coordination de toutes les magistratures de santé du pays, elles-mêmes nommées par les autorités municipales locales. En 1705, le surintendant de la Santé et régent du Conseil collatéral, Nicola Gascon, ordonne la publication d’un recueil de règlements concernant les contrôles sanitaires portuaires à l’usage de membres de la Santé10. Les instructions sont rédigées schématiquement : 20 articles, chacun faisant environ une quinzaine de lignes, de manière à être gardés à l’esprit facilement.
9En effet, la nature élective et non permanente des membres du tribunal est considérée comme un empêchement pour ses activités. Une dizaine d’années après l’arrivée de Charles de Bourbon, le surintendant de la Douane de Naples, le marquis de Squillace, écrit au roi et remarque que les difficultés liées à l’action de la Santé sont liées au fait que ses membres « changent chaque année, et personne parmi eux ne prend à cœur sa propre tâche, ou pour la brièveté du temps qu’ils restent en charge, ou car ils n’ont pas conscience de tous les ordres et les dispositions qui concernent leur office11 ».
10Concrètement, le contrôle sur les navires est effectué par les gardiens de santé du port. Il s’agit d’une figure institutionnelle dont les origines ne sont pas encore claires. Sur la base des statuts du tribunal, nous savons que les deux officiers doivent être nommés par la piazza nobiliaire de Porto et par celle du Peuple. Les gardiens sont dotés d’un certain nombre d’hommes armés, mis à disposition par le tribunal pour surveiller les navires suspects, et d’une felouque, dite « de la Santé », avec laquelle ils s’approchent de tous les bateaux à leur arrivée. En outre, ils peuvent compter sur un médecin et sur une équipe de « purgeurs » (purgatori) : porteurs engagés à l’occasion pour effectuer les opérations de transport et purgation (purification) de la marchandise potentiellement contaminée12.
11La fonction principale des gardiens de santé est de recevoir et de contrôler la patente de santé présentée par les capitaines. Les instructions de 1705 rappellent que les patentes doivent être imprimées avec l’indication du « patron, marins, et passagers, avec le prénom, nom, signes et patrie, ainsi que des affaires et des marchandises portées13 ». Il existe des exceptions pour les navires de guerre, pour lesquels on fait confiance à la parole du commandant, et pour les dizaines de petits bateaux qui circulent dans le golfe chaque jour. Les instructions en matière de santé maritime sont amendées en 1734, avec quelques variations, et encore en 1751. Cette dernière réédition, beaucoup plus détaillée que les précédentes, insiste sur la nécessité de recevoir les patentes imprimées « selon la pratique embrassée par presque tous les magistrats d’Italie14 ». Bien que l’habitude d’émettre des patentes de santé imprimées remonte au milieu du xvie siècle, pour la première fois, les autorités napolitaines ordonnent de ne plus considérer les documents manuscrits comme fiables. N’importe quelle irrégularité d’enregistrement doit susciter l’attention des officiers : par exemple, dans le cas où le passager n’est pas « décrit en détail » mais indiqué « en abaque », c’est-à-dire seulement avec un chiffre15. Les dommages physiques subis par le document sont eux aussi jugés comme une manière de tromper les institutions.
12Une fois la patente regardée, sans l’avoir touchée, les gardiens doivent interroger à distance l’équipage pour vérifier la correspondance avec le contenu des documents exhibés. Si tout est en règle, toute personne présente sur le navire est obligée de souscrire une déposition jurée (costituto) sur ce qu’elle vient de déclarer aux autorités. Tout mensonge est puni de la peine capitale. Finalement, la déposition est apportée à terre au bureau du tribunal de Santé qui autorise le bateau à entrer dans le port15. Le même office produit les nouvelles patentes, ou apporte les adjonctions nécessaires aux bâtiments en transit.
13Lorsque les gardiens du port ont quelque suspicion à l’égard d’un bateau, ils peuvent procéder à une inspection de l’équipage à l’aide d’un médecin de la Santé. Les instructions de 1751 fournissent plusieurs indications sur la manière de conduire les inspections. Entre autres, on conseille de faire dépouiller l’équipage, notamment ses membres les plus jeunes, « sur lesquels plus facilement la contagion se manifeste », en les examinant plus particulièrement « dans l’aine et sous les aisselles », tout en gardant une distance de sécurité. Dans les cas où le navire provient du Levant ou d’un autre lieu suspect, et s’il y a une femme malade, le médecin est obligé de la visiter de la même manière, « en prévalant dans ce cas le bien public à n’importe quelle réflexion personnelle16 ». Les rapports des gardiens et des médecins sont envoyés au tribunal qui, à son tour, dans les situations les plus controversées, est obligé d’informer le surintendant et d’attendre les ordres du gouvernement.
14Normalement, l’équipage est soumis à une période de quarantaine de durée variable dans le lazaret d’observation, bâti sur l’îlot de Chiuppino, situé entre la côte nord-ouest de la ville et la petite île de Nisida. Entre-temps, le navire est surveillé par les gardes du tribunal, naviguant sur une autre felouque louée à l’occasion. Pendant les quarantaines, les gardiens de santé doivent diriger la purification des marchandises susceptibles d’être affectées. Cette opération peut avoir lieu soit dans le lazaret, soit dans une partie isolée du quai dans le port, soit encore sur le bateau lui-même17. De toute façon, si le cas est jugé grave ou très dangereux, le bateau est expulsé, mais pas avant d’avoir inscrit la raison sur la patente, « afin que soit de lumière à toute autre députation18 ».
15Parmi les officiers de santé, les gardiens ont la majorité des responsabilités, mais aussi des pouvoirs. Au début des années 1750, Giannantonio della Spina, gardien de santé et député pour la piazza de Porto, adresse à la Chambre royale de S. Chiara, le tribunal compétent - entre autres - pour la résolution des conflits administratifs, un mémoire pour défendre le travail de son collègue du Peuple, Lorenzo Brunasso, face aux prétentions de la piazza du Peuple elle-même, qui veut se réapproprier l’office, vendu au père de Brunasso en 172119.
16Della Spina loue Brunasso pour sa sollicitude, malgré le fait que de « graves difficultés » se produisent autour de l’identification des personnes, « lesquelles bien souvent » manquent ou sont en nombre « majoré ou changé par rapport à ce qui [est] décrit dans les patentes des bâtiments20 ». De plus, il a dû rester plusieurs « heures chaque jour sur un petit bateau dans la mer ou pour donner la pratique ou pour suspendre les bâtiments, selon les différentes contingences qui se sont produites », et finalement « assister aux déchargements des marchandises non susceptibles [de contamination], exposées au soleil pendant l’été, et à l’inclémence des temps et à la rigueur de l’hiver, avec danger et au détriment de sa propre vie aussi21 ». Compte tenu de son caractère absorbant, il est probable que la charge de gardien de santé du port de Naples n’était pas très désirable par rapport à d’autres offices. Cependant, ces deux officiers ne sont pas les seuls à coordonner les opérations d’accès au port de Naples. Une deuxième figure accompagne leur activité de contrôle : le capitaine du port.
La Capitainerie
17Une fois la pratique accordée, les bateaux à l’entrée du port sont dirigés pour les opérations d’accostage par les officiers de la Capitainerie. Cette institution joue un rôle central dans l’espace portuaire napolitain, mais ses origines sont mal connues. Il s’agit d’une charge vénale qui en 1558 est mentionnée parmi les officiers de la Douane, avec l’appellation de « gardien du port22 ». Au début du xviie siècle, une Relacion del Reyno de Napoles, anonyme, produite pour le vice-roi, décrit synthétiquement les tâches de ce gardien, qui doit examiner les bateaux à l’arrivée et au départ, ainsi que « tenir compte » des felouques de garde chargées d’escorter les navires pendant les contrôles et de patrouiller le long du littoral pour prévenir la contrebande23.
18Un règlement de 1642 précise le rôle de l’« office du gardien royal du port24 ». Nous pouvons le résumer en trois tâches : la première concerne le contrôle sur les passagers, dont l’officier doit noter les noms, la provenance et le lieu où ils ont l’intention de loger à Naples. Finalement, un travail d’identification : le règlement insiste sur l’individuation des « suspects » en provenance du royaume ou de l’extérieur de celui-ci25. La deuxième tâche concerne l’entretien des structures et de l’espace portuaires. L’ensablement du port est un risque toujours présent ; par conséquent, il convient d’empêcher toute tentative de jeter dans la rade les déchets ou le lest des navires. En dernier lieu, le règlement mentionne très rapidement le fait que le gardien doit aussi identifier et enregistrer chaque bateau et son équipage, au départ et à l’arrivée, mais sans donner de plus amples précisions. En effet, c’est sur ce point que la réforme de l’office décidée par Charles de Bourbon insiste.
19Au moment de la mort du dernier titulaire, Agostino Pisano, en 1745, le souverain confère à la charge la dignité d’emploi, comme c’est déjà le cas à « Marseille, Toulon, Gênes, Livourne, Malte et [dans] les autres ports principaux de la Méditerranée26 ». En outre, le souverain décide de confier cette fonction à des officiers militaires, en raison de leur expertise en matière de pilotage des bateaux et d’entretien de l’espace portuaire. Mais l’attribution de la charge à un militaire détermine aussi l’implication directe du gouvernement. En effet, comme nous le verrons à propos de la Douane, la réduction des offices et la cessation de leur vente sont considérées comme un objectif premier pour les réformateurs de la cour de Charles.
20En 1739, la charge de gardien/capitaine du port est abolie dans tout le royaume, sauf à Naples27. Les tâches liées à cet office sont confiées aux responsables des douanes locales, tandis que dans la capitale le gouvernement s’assure un instrument de contrôle sur le port le plus important. Après dix ans, en 1750, le marquis de Squillace, surintendant de la Douane, se réjouit du fait que la Capitainerie soit devenue une « charge fixe28 ».
21À partir de 1745, le titre de capitaine du port est employé plus fréquemment que celui de gardien. L’office a été renouvelé et son titulaire est désormais secondé par un aide et une petite équipe pour conduire les opérations d’accostage et gérer la barque utilisée pour nettoyer la rade et remorquer les bateaux. Le 29 octobre 1745, le premier secrétaire du roi, José Joaquím de Montealegre, envoie à son collègue de l’Azienda (finances), Giovanni Brancaccio, des instructions pour le nouveau capitaine du port, spécifiant qu’elles s’ajoutent à celles promulguées dans le passé29. La fonction première du capitaine est d’organiser l’espace à l’intérieur du port, permettant aux navires qui ont obtenu la pratique « par la Députation de Santé » d’accoster au quai principal du molo grande. Il doit consacrer une attention particulière aux pavillons parce que, en cas de querelles impliquant les trois nations privilégiées (Grande-Bretagne, France, Provinces-Unies), le capitaine doit intervenir conjointement avec le consul de la nation, sauf si cette intervention ne cause « aucun grave inconvénient30 ».
22À côté du contrôle du trafic au sein de la rade, le capitaine doit garantir la sécurité des navires et des structures portuaires. Il peut infliger des amendes ou une période de réclusion, selon la gravité du fait, à ceux qui provoquent des dommages aux navires accostés. De la même manière, il a la faculté de punir les patrons des bateaux ou les « citoyens napolitains » qui déchargent n’importe quelle sorte de déchets dans le port sans une licence - payante - produite par le capitaine lui-même, dite « de la poubelle31 ». Tous les bateaux qui transportent une quantité excessive de poudre noire sont obligés de la déposer à la Capitainerie, qui la garde dans le fort du Carmine ou le castel dell’Ovo jusqu’au départ.
23Le capitaine exerce aussi une petite fonction judiciaire dans l’espace portuaire. En 1795, l’ingénieur militaire Errico Sanchez de Luna rapporte au commandant général de la Marine, Bartolomeo Forteguerri, l’existence de « bagarres qui arrivent dans le port ou dans ses alentours32 ». De Luna souligne la fréquence d’épisodes d’affrontement entre marins, patrons, porteurs et autres individus, que le capitaine essaie de résoudre de manière extrajudiciaire en punissant les « petits défauts » et en arrangeant les différends33. C’est seulement quand le crime est grave ou les divergences impossibles à recomposer que l’autorité recourt aux tribunaux compétents, en général celui de l’Amirauté.
24Concernant les navires, en 1751, le roi décrète la création d’une Giunta (Conseil) de la navigation marchande, pour effectuer des contrôles structurels des bateaux. La Giunta est présidée par un officier de marine et composée de « deux ou trois Patrons honnêtes et de Pilotes parmi les plus adroits […] dans l’art de la navigation34 ». Dans le cas où les membres de ce conseil jugent qu’un bateau est inapte à la navigation, ils en informent le capitaine du port et suggèrent les interventions nécessaires, à mener aux frais du patron du navire, sans lesquelles le départ n’est pas accordé. En 1757, le souverain étend les facultés de la Giunta en lui ordonnant de tenir un registre de tous les marins embarqués dans les navires du royaume afin d’aider les capitaines des ports à arrêter ceux qui n’ont pas respecté le contrat de travail ou qui ont été inculpés pour un crime35. Il faut remarquer, toutefois, que ni le capitaine, malgré son expertise extrajudiciaire, ni la Giunta de la navigation marchande ne constituent un tribunal : ils exercent plutôt une fonction exécutive.
25Finalement, l’identification des individus demeure une fonction première de la Capitainerie. En 1737, un conseil particulier de marchands et de magistrats est chargé par le souverain de proposer des réformes concernant le commerce et l’administration des ports du royaume. Plusieurs réformes des offices portuaires dont nous avons parlé naissent des propositions de ce conseil. À propos des capitaines des ports du royaume, les experts donnent un avis très intéressant :
« Seul le Gardien du Port de cette très fidèle Capitale a des tâches particulières […]. Il doit avoir une attention spéciale sur ce qui peut fréquemment se passer dans cette ville à cause de sa vaste population et de la navigation, et qui ne se passe pas ailleurs dans le Royaume. C’est-à-dire qu’en arrivant ici des bâtiments où il y ait des Maures, des Turcs, des Juifs, aussi libres comme déjà faits chrétiens, il doit se renseigner sur où ils ont quitté les Fustes ou les Vaisseaux corsaires et infidèles pour en rendre compte au Gouvernement et prendre les dispositions convenables. En outre, il doit vérifier qu’au départ des bâtiments ils ne s’embarquent de Maures, de Turques, de Juifs, ou d’autres Infidèles ni qu’on exporte Armes, Chevaux, Juments, Poulains, Monnaies, Or, Argent, […] ni poudre, salpêtre, et autres munitions de guerre, ni Chanvres, Lins, Blé, Légumes et autres choses sans permission36. »
26Le contrôle sur l’exportation des marchandises « stratégiques » fait partie de la logique mercantiliste dominante à l’époque. Dans ce cas, le capitaine travaille en collaboration avec la Douane, sur laquelle on reviendra dans le paragraphe suivant. En revanche, il est important de s’arrêter sur la référence spécifique aux « infidèles », faite par les conseillers du roi. La seule loi qui évoque le problème remonte à 1580, quand le vice-roi Juan de Zúñiga ordonne à tous les patrons de barques du royaume d’enlever les rames pendant la nuit pour empêcher « à n’importe quel esclave, Turc, ou Maure » de quitter « cette très fidèle Ville, et son district, ou un lieu quelconque de ce Royaume37 ». Aucune mention à l’égard des juifs, dont la présence dans le royaume avait été interdite par Charles V entre 1510 et 1541. Cependant, ce dispositif fait référence aux esclaves, tandis que l’avis de 1737 mentionne des individus « aussi libres comme déjà faits chrétiens ». Malgré la distance évidente entre les deux contextes, les logiques qui gouvernent les institutions chargées de contrôler la mobilité des personnes sont relativement proches.
27Le royaume de Naples est un état monoconfessionnel constamment en conflit avec les régences de l’Afrique du Nord38. Plusieurs études ont montré les dynamiques de la confrontation et de l’échange entre les deux rives de la Méditerranée pendant l’époque moderne39. La conversion joue un rôle fondamental dans ces dynamiques, mais il faut, en même temps, empêcher la diffusion de la doctrine adverse parmi ses propres fidèles. À Naples, pendant la période vice-royale, les institutions séculières et ecclésiastiques collaborent pour limiter la présence de ces étrangers dangereux. Aussi, ceux qui ont abandonné officiellement leur confession continuent-ils d’être l’objet d’une attention particulière. En effet, il convient d’empêcher les nouveaux convertis de rentrer dans leur terre d’origine, où ils risquent d’abjurer et de revenir vers leurs erreurs40.
28L’affirmation de la dynastie bourbonienne ne modifie pas le cadre confessionnel du royaume. Charles essaye plutôt d’établir des rapports cordiaux avec les régences, mais avec très peu de succès. La réadmission des juifs entre 1740 et 1746 est aussi un échec, à cause des fortes résistances de l’Église41. Par conséquent, l’exigence d’identifier toutes les personnes de probable origine « turque » et juive demeure importante jusqu’au début du xixe siècle. De ce point de vue, les ports, notamment celui de Naples, sont une véritable frontière. Nous avons déjà mentionné la tâche, évoquée par le règlement de 1642, de rédiger une liste des personnes arrivées et parties du port de Naples. La procédure est précisée, avec très peu de détails, à partir de 1635 dans les normes recueillies au xviie siècle sous le titre De Exteris Regnum Neapol. venientibus42.
29En 1708, un an après le début de la domination autrichienne du royaume, au milieu de la guerre de succession d’Espagne, le nouveau vice-roi, le cardinal Vincenzo Grimani, introduit la présentation obligatoire du « passeport » pour toutes les personnes qui arrivent et partent du royaume43. La nouvelle procédure reste en vigueur même après le conflit, et Charles de Bourbon la confirme au moment de son arrivée à Naples. Auparavant, le passeport était déjà utilisé en tant que document de voyage à côté d’autres dispositifs, comme les sauf-conduits, les attestations produites par certaines personnes dont la signature « faisait foi », ou encore les lettres patentes de navigation pour les capitaines. Ce que l’on constate à partir de la domination autrichienne, c’est que le passeport, imprimé et rédigé selon une manière codifiée, devient le document privilégié par les autorités pour traverser les frontières du royaume. C’est donc la manière de construire et de concevoir un type de document déjà existant qui change au début du siècle, suivant un parcours proche de celui de la patente sanitaire.
30Concernant les ports, les capitaines doivent vérifier l’authenticité des passeports et interroger les passagers pour connaître les raisons de leur séjour et leur lieu de résidence. De la même manière, les personnes au départ doivent déclarer à la Capitainerie la destination et la motivation du voyage, après avoir présenté un passeport valide44. En cas d’irrégularités, l’autorité portuaire doit informer le tribunal compétent. À Naples, jusqu’à la fin des années 1790, l’institution généralement saisie est la grande cour de la Vicaria, chargée du contrôle de l’ordre public et du jugement en première instance sur toute la matière criminelle.
31Le contrôle exercé par le capitaine sur les passagers est mené de la même manière sur le bateau et son équipage. L’identification de l’appartenance « nationale » des navires est problématique depuis le début de cette pratique au lendemain de la guerre de Trente Ans45. Si la règle générale impose de hisser le pavillon du pays d’origine, celui-ci n’est pas du tout une garantie - comme aujourd’hui - de l’effective appartenance juridique, et encore moins économique, du navire. En laissant de côté la contrebande, qui est la raison principale des contrôles, un capitaine peut décider de cacher l’identité de son bateau sous un faux pavillon pour éviter d’être fait prisonnier pendant une guerre, ou encore pour échapper à la piraterie corsaire. Par conséquent, parmi les institutions chargées du contrôle, se diffuse l’habitude d’interroger l’équipage pour établir son appartenance, sur la base de la langue parlée par au moins les deux tiers des marins ; mais il est évident aussi que cette pratique ne donne pas plus de certitudes que le pavillon46. Autre possibilité, celle d’examiner la lettre patente de navigation, qui exerce une fonction similaire à celle d’un passeport pour bateaux. Enfin, l’identification d’un navire est faite sur la base de l’analyse croisée des éléments ici brièvement résumés, mais souvent les erreurs découlent de la mauvaise foi des officiers47.
32À Naples, jusqu’à la fin de la domination autrichienne, les gardiens de la Santé du port sont chargés d’identifier les bateaux à leur arrivée en interrogeant l’équipage. Un rapport doit ensuite être envoyé à la Douane pour la confrontation au moment du déchargement. Compte tenu des règlements de santé, il est probable que ces interrogatoires soient menés à distance, avec les gardiens restant sur la felouque, au moment même du contrôle de la patente sanitaire. D’ailleurs, dans le cas d’un bateau battant le pavillon d’une nation privilégiée, les traités empêchent aux autorités locales de le visiter.
33Au cours de la première décennie bourbonienne, le tribunal de Santé continue à vérifier la nationalité des navires suscitant les plaintes du marquis de Squillace, qui juge les députés inaptes à ce travail48. Par conséquent, dès 1751, les règlements du port mentionnent le capitaine comme également responsable de la vérification de l’appartenance des navires. En effet, à partir de cette période, la Capitainerie et le siège de la Santé sont réunis dans un seul édifice nouveau, construit sur un quai particulier pour permettre aux felouques d’y être amarrées49. Cette activité conjointe de deux institutions s’ajoute à celle, plus ordinaire, de collaboration - parfois d’affrontement - avec la Douane.
La Douane
34Parmi les institutions que nous avons évoquées, la Douane a été sans aucun doute la plus étudiée, spécialement pour ce qui concerne la pratique administrative50. Pour cela, nous nous limiterons ici à résumer les éléments structurels de la Douane maritime pour comprendre de quelle manière elle interagit avec l’espace portuaire et l’activité de surveillance des deux autres offices. En effet, si les objets de l’intérêt des deux précédentes institutions sont les personnes, les navires et les maladies, dans ce cas l’attention est focalisée sur la marchandise.
35La compétence de la Douane royale de Naples est très vaste. Elle contrôle le recouvrement d’une partie importante des impôts indirects dans le port de la capitale et dans son district, ainsi que dans quatre provinces du royaume51. Comme ailleurs en Europe et dans le royaume de Naples, le système douanier n’est pas géré entièrement par l’État ; au contraire, l’intervention des particuliers est considérée de manière positive pour le bon fonctionnement de l’institution, notamment pendant la domination espagnole. Mais la pratique d’affermer la perception des impôts indirects (arrendamento, de l’espagnol arrendamiento, « location ») détermine la multiplication des « officiers » chargés d’administrer les intérêts de l’arrendatore (« fermier »). Dans le cas de la capitale, en particulier, la situation est encore plus compliquée, en raison de la coprésence de trois acteurs : les arrendatori, le Fisc royal, et le tribunal de S. Lorenzo, qui au fil du temps ont obtenu l’affermage de plusieurs gabelles52.
36Les conseilleurs de Charles de Bourbon s’opposent à la politique économique favorisée par les vice-rois au cours des siècles précédents. Cependant, la nouvelle monarchie n’est pas en condition de bouleverser complètement un système qui, de toute façon, garantit aussi le soutien financier de l’assistance publique. En effet, parmi les arrendatori les plus importants, il y a les hôpitaux et les plus riches institutions de charité de la ville. Par conséquent, en 1734, le souverain nomme un surintendant général de la Douane royale de Naples, subordonné au secrétaire de l’Azienda, à son tour responsable de toutes les douanes du royaume53. Le surintendant gère la Douane de la capitale et s’occupe de la perception des impôts qui n’ont pas été affermés, tandis que les officiers nommés par les arrendatori doivent collaborer pour pouvoir exercer leur droit de recouvrement.
37Concrètement, la perception a lieu dans une vaste série de postes de garde, les sbarre (« barrières »), situés dans des endroits stratégiques : les portes de la ville, certaines plages, le port, etc. Le siège central se trouve dans l’arrière-port, pas loin du molo piccolo, et il est appelé la « Douane royale » ou le « Fondouk majeur ». Au sein et autour de ce bâtiment travaillent la plupart des fonctionnaires, dont la politique de réformes de la monarchie bourbonienne n’a pas réussi à réduire le nombre.
38La lutte contre la contrebande a lieu notamment dans le port, qui est en même temps le site le plus difficile à contrôler. En effet, les impôts napolitains, déterminés par le pouvoir central, sont assez élevés par rapport à la moyenne de ceux des autres États italiens. Par conséquent, il est souvent plus convenable pour les arrendatori de négocier un prix inférieur au prix officiel, ou de cacher entièrement une partie de leurs revenus, pour obtenir ensuite une réduction de la somme due à la Douane pour l’affermage54. Parmi les nombreux officiers, les credenzieri jouent en rôle clé. Ils doivent vérifier la correspondance entre la marchandise déchargée et celle déclarée par le capitaine, selon ce qui est noté sur le manifeste, ou les livres de comptes, du navire55. Ensuite, il faut la transporter « à la Douane royale par les voies publiques qui amènent directement à elle56 ». Dans ce lieu seulement, et après avoir payé les impôts éventuels, le propriétaire, ou son agent, peut vaquer à ses affaires. Aucune opération ne peut avoir lieu pendant la nuit. L’ensemble des credenzieri du port sont supervisés par le regio credenziero del mare, qui est responsable face au surintendant pour toutes ces opérations.
39L’organisation de la surveillance douanière du milieu portuaire s’intègre dans celle de la ville. En effet, la Douane dispose d’un certain nombre d’hommes armés, dit « gardiens », chargés de contrôler les entrepôts et d’empêcher tout débarquement non autorisé le long de la plage. Une surveillance s’exerce aussi du côté de la mer par les felouques de garde, qui embarquent environ quatre ou cinq soldats chacune. Les arrendatori contribuent aussi à la surveillance, nommant deux ou trois hommes armés qui intègrent le personnel des felouques57.
40Plusieurs facteurs contribuent à rendre difficiles les contrôles douaniers. Nous avons déjà évoqué le problème des arrendatori, mais les gardiens sont également souvent protagonistes de prévarications et escroqueries58. En outre, la structuration de l’espace portuaire rend la surveillance plus difficile. À partir de la fin du xviie siècle, la Douane et les entrepôts de chaque arrendamento ne sont plus suffisants pour accueillir toutes les marchandises qui arrivent dans le port. Par conséquent, plusieurs bâtiments de l’aire portuaire sont utilisés comme dépôts, c’est-à-dire qu’il faut les fermer, apposer les sceaux, et - naturellement - les surveiller.
41Cependant, il est plus simple pour les contrebandiers d’utiliser de petits bateaux et de débarquer la marchandise sur les plages aux deux extrémités de la ville, en évitant de cette manière à la fois les gardiens du port et les soldats des barrières. Cela provoque plusieurs conflits de compétence entre les équipes mixtes Douane/arrendamenti et les autres groupes armés chargés de surveiller l’espace urbain ; compte tenu, en outre, que les prix offerts pour ceux qui contribuent à récupérer de la marchandise de contrebande peuvent être intéressants aussi pour ces autres officiers de la capitale59.
42Parfois, la conjoncture particulière vient compliquer la gestion ordinaire de l’espace portuaire. Un épisode de contrebande en 1744 peut nous aider à comprendre la complexité des interactions dans l’espace portuaire napolitain. Il s’agit d’un rapport du régent du tribunal de la Vicaria du 13 juin, selon lequel, le soir du 12, une heure après le coucher du soleil, deux « barques napolitaines » accostent à la plage de Porto Salvo, à côté du molo piccolo mais en tout cas hors de la juridiction de la Capitainerie, pour y décharger de la marchandise60. Les gardiens de la Douane et de l’arrendamento du tabac essayent d’empêcher le déchargement des barques mais, « comprenant qu’elles étaient chargés de sel, ils s’arrêtèrent ». Le sel est lui-même un bien sujet à une imposition particulière et constitue un arrendamento. Par conséquent, l’attitude montrée par les gardiens est insolite.
43Les contrebandiers doivent dépasser un deuxième obstacle : le cordon sanitaire. En effet, en 1744, le royaume est à la fois en guerre contre l’Empire et en alerte pour l’épidémie de peste qui a frappé Messine et Reggio en 1743. Alors que le roi est au front avec l’armée, la capitale a été placée sous administration militaire et la milice urbaine rétablie. Concernant le cordon sanitaire, la juridiction est confiée au tribunal de Santé, qui a fixé des postes de garde le long du littoral napolitain : celui de Porto Salvo est conduit par un « cavalier », donc un membre du patriciat61.
44Compte tenu de l’horaire, les miliciens essayent d’arrêter les contrebandiers qui sont en train de forcer le cordon sanitaire. Cependant, « certains marins provenant de terre » font irruption, en permettant le débarquement du sel, aidés par plus d’une centaine de personnes accourues pour profiter de la situation. Vu l’impossibilité, pour les forces exiguës du cordon, de procéder à l’arrestation des responsables directs, le cavalier commandant du poste arrête les gardiens de la Douane et de l’arrendamento du tabac qui ont permis le débarquement. En même temps, le tribunal de Santé demande l’intervention des militaires pour « entourer l’église de Porto Salvo, où on pensait que le sel avait été caché », mais sans succès62. La nuit suivante, le régent est informé d’un autre débarquement de sel dans le même lieu, tandis que le tribunal de S. Lorenzo procède en justice contre les gardiens arrêtés par le biais d’une députation particulière. Le dernier rapport sur l’épisode est du 14 juin : le régent informe que « certains paysans » ont tiré des pierres contre l’édifice de la Douane du sel mais que les soldats de la Marine ont procédé à leur arrestation63.
45La conjoncture difficile a certainement contribué à exaspérer les rapports entre la population et les autorités. De toute façon, cet épisode montre la difficulté de gérer l’espace autour de l’aire portuaire, qui, à cause de la moindre surveillance, est un endroit plus favorable pour pratiquer la contrebande. Il faut aussi tenir compte du fait qu’en 1744 les travaux d’aménagement de la strada della Marina sont en cours. Cela peut rendre encore plus difficile le contrôle sur les débarquements non autorisés ; en effet, le gouverneur de Naples, Michele Reggio, ordonne d’augmenter la surveillance du littoral en ajoutant deux bateaux de guerre aux felouques de garde ordinaires64.
46Le cas napolitain montre bien les interactions entre différentes institutions d’Ancien Régime dans l’espace portuaire, qui est un espace à la fois physique et juridique. La nouvelle monarchie bourbonienne, dans le cadre d’une politique absolutiste, s’engage dans un vaste plan d’aménagement et de réorganisation administrative du littoral de la capitale. L’enjeu n’est pas seulement symbolique, Charles de Bourbon veut accroître la part du royaume dans le commerce méditerranéen, en faisant de Naples un point de référence pour les nations marchandes, sur le modèle de Livourne. Cette politique se trouve confrontée à la fragmentation de juridictions issues de deux siècles de vice-royaume espagnol, qui a empêché fortement la centralisation souhaitée par le souverain et son entourage. Jusqu’à la fin du xviiie siècle, la monarchie est en tension permanente avec les autorités municipales et les pouvoirs économiques qui ont « acheté » une juridiction par le biais des arrendamenti. Après la révolution de 1799, le roi Ferdinand IV abolit le tribunal de S. Lorenzo. La domination napoléonienne (1806-1815) contribue à placer sous le contrôle du gouvernement tous les offices liés à la sécurité portuaire. Pourtant, le port ne devient pas un lieu plus sûr65.
Notes de bas de page
1 Le terme « sécurité » est ici conçu en sens large : ordre public, identification de personnes suspectes, surveillance sanitaire, lutte contre la contrebande et l’introduction de marchandises altérées.
2 Pendant la seconde moitié du xviiie siècle, le trafic de navires en transit par le port de Naples équivaut à 40 % environ de celui de Livourne, premier port de la péninsule : voir Luigi De Rosa, « Navi, merci, nazionalità, itinerari in un porto dell’età preindustriale : il porto di Napoli nel 1760 », dans Id., Saggi e ricerche sul Settecento, Naples, Istituto Italiano per gli Studi Storici, 1968 ; Jean-Pierre Filippini, Il porto di Livorno e la Toscana (1676-1814), Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 1998. Toutefois, il faut remarquer que les royaumes de Naples et Sicile sont dotés d’un vaste réseau de ports - en général pour le petit cabotage - disséminés le long de plus de 4 000 km de ligne côtière. En effet, la flotte marchande napolitaine est la première d’Italie en tonnage et la huitième en Europe : voir Ruggero Romano, « Per una valutazione della flotta mercantile europea alla fine del secolo XVIII », dans Studi in onore di Amintore Fanfani, Milan, Giuffré, V, 1962, p. 576-591.
3 Voir Anna Maria Rao, « Il riformismo borbonico a Napoli », dans Giovanni Cherubini, Franco Della Peruta, Ettore Lepore, Giorgio Mori, Giuliano Procacci, Rosario Villari (dir.), Storia della società italiana, XII, Il secolo dei lumi e delle riforme, Milan, Teti, 1989, p. 215-290. En ce qui concerne la politique commerciale de Charles de Bourbon, voir Roberto Zaugg, Stranieri di antico regime. Mercanti, giudici e consoli nella Napoli del Settecento, Rome, Viella, 2011, p. 80-95.
4 Voir Brigitte Marin, « Sur les traces de la via Marina. Embellissements urbains et aménagements portuaires à Naples au xviiie siècle », Rives méditerranéennes, 39, 2011, p. 33-44.
5 Depuis le xvie siècle, les États italiens ont développé un réseau de communications et un système de critères communs pour empêcher la diffusion de la peste dans la péninsule. Par conséquent, le contrôle sanitaire sur un bateau commence avant son arrivée, grâce aux informations parvenues des bureaux de santé des autres pays, qui permettent aux magistrats locaux d’augmenter le niveau de vigilance : voir Nelli-Elena Vanzan Marchini (dir.), Rotte mediterranee e baluardi di sanità : Venezia e i lazzaretti mediterranei, Milan, Skira, 2004.
6 L’appellation de « tribunal » est utilisée quand l’office est pourvu d’un pouvoir juridictionnel. Sur le bureau de santé napolitain, voir Brigitte Marin, « Magistrature de santé, médecins et politiques sanitaires à Naples au xviiie siècle : de la lutte contre les épidémies aux mesures d’hygiène publique », Siècles. Cahiers du centre d’histoire Espaces et Cultures, 14, 2001, p. 39-50.
7 Les piazze nobiliaires sont : Capuana, Nido, Porto, Portanova, Montagna, Forcella. Le reste des citoyens napolitains forment une seule piazza, appelée du « Peuple », qui a la ville entière comme cadre territorial de référence.
8 Il y a deux autres tribunaux municipaux et un nombre variable de députations particulières. La composition interne du tribunal de Santé a varié au cours du siècle, mais il y a au moins deux représentants pour chaque piazza nobiliaire et plusieurs représentants du peuple.
9 L’office est institué après la terrible épidémie de peste qui, en 1656, a tué la moitié de la population de Naples et ravagé tout le royaume, voir Brigitte Marin, « Magistrature de santé… », art. cité.
10 Voir Istruzioni da osservarsi dalli magnifici deputati della salute di questa fedelissima città, dans Lorenzo Giustiniani, Nuova collezione delle prammatiche del regno di Napoli, Naples, nella stamperia Simoniana, 15 vol., 9, 1803-1805, p. 189-192. Une autre version de ces instructions, très synthétique, a été promulguée en 1624 : voir Salvatore De Renzi, Napoli nell’anno 1656. Ovvero documenti della pestilenza che desolò Napoli nell’anno 1656, preceduti dalla storia di quella tremenda sventura, Naples, tipografia di Domenico de Pascale, 1867, p. 251-252.
11 Archivio di Stato di Napoli (dorénavant ASNa), Segreteria di Stato d’Azienda, espedienti, 1750, dossier intitulé Guardiano del porto, lettre de Leopoldo De Gregorio, marquis de Squillace, du 20 octobre 1745. Par ailleurs, encore à la fin du siècle, le réformateur Giuseppe Maria Galanti se plaint du même problème : voir Giuseppe Maria Galanti, Della descrizione geografica e politica delle Sicilie, Naples, presso i Socj del Gabinetto Letterario, 5 vol., I, 1793-1794, p. 136.
12 Lorenzo Giustiniani, Nuova collezione…, op. cit., p. 189-209. Toutes les traductions de l’italien sont de l’auteur.
13 Ibid., p. 191.
14 Ibid., p. 246-290. En 1743, Messine et Reggio sont frappées par une épidémie de peste, dont les autorités réussissent à bloquer l’expansion, non sans provoquer une famine dans les deux villes et dans leurs alentours respectifs. La nouvelle législation de 1751 en matière d’épidémies découle de cette expérience récente.
15 Jusqu’en 1734, cette opération finale peut seulement avoir lieu le matin entre 9 h et 11 h et l’après-midi entre 13 h et 16 h pendant l’hiver, et entre 6 h et 8 h et 14 h et 17 h en temps d’été : voir ibid., p. 191. À partir de 1751, les députés de la Santé doivent assurer l’ouverture du bureau « à chaque journée, même fériée, tant le matin qu’après le déjeuner » (ibid., p. 254). Cela peut être considéré comme un indice de l’augmentation du trafic dans l’escale napolitaine.
16 Ibid., p. 250-251. Dans les cas jugés moins dangereux, on demande la collaboration d’une sage-femme.
17 Le chapitre VII des instructions de 1751 indique soigneusement la manière de pratiquer les opérations de purgation selon les diverses marchandises : ibid., p. 279-281.
18 Ibid., p. 256.
19 Voir ASNa, Real Camera di S. Chiara, Processi, dossier 16, Atti per la Piazza del Fedelissimo Popolo di questa città e il Duca Brunasso, circa l’officio di Guardiano del Porto chiamato della Salute, Memoriale di Giannantonio della Spina, attuale deputato guardiano del porto, fol. 27-29. Ce mémoire n’est pas daté mais la cause se déroule entre 1748 et 1753, année de la mort de Brunasso. Les deux gardiens du port sont aussi en rapport de parentèle car la mère de Lorenzo Brunasso est Margherita della Spina.
20 Ibid., fol. 27. Parmi les autres mérites de Brunasso, continue della Spina, il y a celui d’avoir dû « observer si les lieux d’où ils [les navires] sont partis étaient ou non sujets au mal contagieux ; si au cours du voyage ils avaient pu pratiquer avec d’autres bâtiments infectés ou barbaresques ; si les marchandises transportées ont été réellement chargées dans les lieux où ils sont partis, ou au contraire prises au milieu du voyage sur d’autres bateaux ; et enquêter sur toutes les difficultés qui se sont passées et qui peuvent se produire à cause des vices dans les patentes ».
21 Ibid., fol. 28.
22 Lorenzo Giustiniani, Nuova collezione…, op. cit., 8, p. 210, 25 avril 1558. Évidemment, il ne faut pas confondre ce gardien avec les gardiens de santé. Les deux appellations (gardien et capitaine) pour identifier cet officier sont utilisées depuis le début du xviie siècle. Certaines informations sur l’origine de l’office du capitaine ont été recueillies par Concetta Damiani, Il movimento mercantile nel porto di Napoli nella seconda metà del xviii secolo, thèse de doctorat, histoire économique, Naples, Istituto Universitario Navale di Napoli, 1998.
23 Voir Bernardo José Garcia Garcia, Una relazione vicereale sul governo del Regno di Napoli agli inizi del 600, Napoli, Bibliopolis, 1993, p. 99, qui situe la relation entre 1601 et 1602.
24 ASNa, Segreteria di Stato d’Azienda, Espedienti, 1750, le règlement est daté du 11 septembre 1642.
25 De la même manière, le gardien est aussi la première étape du parcours administratif menant à l’obtention du passeport pour ceux qui doivent partir de Naples par voie de mer.
26 Id., Regia Camera della Sommaria, Dispacci, rég. 197, p. 293-295, ici p. 293, dépêche de Giovanni Brancaccio datée 23 octobre 1745.
27 Id., Segreteria di Stato d’Azienda, Inv., car. 7, dos. 55.
28 Ibid., Espedienti, art. cité.
29 Id., Instruccion que ha resuelto el Rey observe el Cap. del Puerto de Napoles en el esercizio de su empleo, 29 octobre 1745.
30 L’Espagne est jointe de facto à la liste de nations privilégiées ainsi que les autres pays avec lesquels Charles signe des traités de commerce : la Porte ottomane (1740), la Suède (1742), le Danemark (1748). Nous reviendrons sur le problème du pavillon à propos de la Douane.
31 Apparemment, la juridiction du capitaine s’exerce seulement sur le quai majeur du molo grande, à l’entrée duquel il y a le poste de garde, et sur l’espace « liquide » du port, mais des recherches ultérieures doivent confirmer cette hypothèse.
32 ASNa, Espedienti di Marina, dossier 284, fol. 188r-193v, cité aussi par Concetta Damiani, Il movimento mercantile…, op. cit.
33 Ibid.
34 Lorenzo Giustiniani, Nuova collezione…, op. cit., 8, p. 22.
35 Ibid., p. 33-35.
36 Biblioteca della Società Napoletana di Storia Patria, ms. 21 D 30, fol. 148-243, fol. 223rv, Rappresentazione della Regia Giunta del Commercio intorno allo stabilimento del giusto numero degli ufficiali destinati A’Caricamenti ed Immissioni delle Mercanzie e della riforma delle Tariffe e dei diritti ch’esiggono, 14 juin 1737.
37 Giustiniani, Nuova collezione…, op. cit., 8, p. 1.
38 Sur l’idéologie de la « croisade permanente », voir Benjamin Weber, Lutter contre les Turcs : les formes nouvelles de la croisade pontificale au xve siècle, Rome, École française de Rome, 2013.
39 Parmi les études plus récentes, voir Wolfgang Kaiser (dir.), Le commerce des captifs : les intermédiaires dans l’échange et le rachat des prisonniers en Méditerranée, xve-xviiie siècle, Rome, École française de Rome, 2008.
40 Pour le cas napolitain, voir Giuliana Boccadamo, Napoli e l’islam : storie di musulmani, schiavi e rinnegati in età moderna, Naples, D’Auria, 2010.
41 Voir Vincenzo Giura, Storie di minoranze : ebrei, greci, albanesi nel regno di Napoli, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 1984.
42 Voir Lorenzo Giustiniani, Nuova collezione…, op. cit., 10, p. 20-41.
43 Ibid., p. 39. Voir aussi Paola Avallone, « Il controllo dei “forestieri” a Napoli tra xvi e xviii secolo. Prime note », Mediterranea, III, 6, 2006, p. 169-175.
44 Voir Lorenzo Giustiniani, Nuova collezione…, op. cit., 13, p. 134.
45 Récemment l’historiographie sur le commerce dans la mer Tyrrhénienne a très bien montré les problèmes énormes posés par l’identification des navires : voir Biagio Salvemini (dir.), Lo spazio tirrenico nella « grande trasformazione ». Merci, uomini e istituzioni nel Settecento e nel primo Ottocento, Bari, Edipuglia, 2009.
46 En 1748, le vice-roi de Sicile demanda à la surintendance de la Douane si on pouvait disposer d’une « règle fixe » pour identifier les bateaux « battant pavillon français qui n’aient pas le capitaine ni les deux tiers de l’équipage de cette nation ». Le document est cité dans Alida Clemente, « Quando il reato non è “peccato”. Il contrabbando nel Regno di Napoli tra conflitti diplomatici, pluralismo istituzionale e quotidianità degli scambi (XVIII secolo) », Quaderni storici, 2, 2013, p. 359-394, ici p. 387, n° 29.
47 Voir, à ce propos, ibid., p. 364-366.
48 Voir ASNa, Segreteria di Stato d’Azienda, Espedienti, art. cité.
49 Voir Niccolò Carletti, Topografia universale della città di Napoli, Naples, stamperia Remondiana, 1776, p. 50.
50 Voir la bibliographie dans Alida Clemente, « Quando il reato… », art. cité.
51 Terra di Lavoro, les deux provinces des Abruzzes, et le Principato citeriore.
52 Voir Luigi De Rosa, Studi sugli arrendamenti del regno di Napoli : aspetti della distribuzione della ricchezza mobiliare nel Mezzogiorno continentale, 1649-1806, Naples, l’arte tipografica, 1958.
53 Jusqu’aux années 1760, les deux figures coïncidèrent dans la même personne, voir Alida Clemente, « Quando il reato… », art. cité., p. 390, n° 71.
54 Voir Luigi De Rosa, Studi sugli arrendamenti, op. cit., p. 95.
55 Sinon, il faut déclarer la quantité, la qualité, le nombre et le poids de toute marchandise non notée : voir Domenico Antonio Vario, Pragmaticae edicta decreta interdicta regiaeque sanctiones Regni Neapolitani, Neapoli, sumptibus Antonii Cervonii, 4 vol., IV, 1772, p. 262. La charge de credenziere est à vie, mais il est impossible de quantifier le nombre de credenzieri actifs car ils changent en fonction du nombre de gabelles, ou encore ils peuvent cumuler les offices.
56 Ibid., p. 262.
57 Il y a d’autres soldats des arrendamenti aux entrées de la ville (plus de 22 postes de garde au début du xviiie siècle), mais ils ne peuvent pas entrer armés en ville, voir ibid., p. 226.
58 Les pragmatiques mentionnent souvent les gardiens comme responsables de la contrebande.
59 Jusqu’aux réformes de police de la fin du siècle, les plages napolitaines ne sont pas comprises juridiquement dans l’espace urbain. Par conséquent, les soldats des arrendamenti peuvent intervenir dans cet espace sans risque d’être poursuivis en justice.
60 ASNa, Segreteria di Casa Reale, Diversi, car. 799.
61 Ibid.
62 Les suspicions sur cette église découlaient de l’immunité ecclésiastique, mais aussi du fait que Porto Salvo accueillait une confrérie de pêcheurs et marins parmi les plus importantes de la capitale.
63 Ibid.
64 Ibid., car. 800, rapport du 23 juin 1744.
65 Voir Alida Clemente, Il mestiere dell’incertezza : la pesca nel Golfo di Napoli tra xviii e xx secolo, Naples, Guida, 2005.
Auteur
Marie Curie fellow, Birkbeck, University of London
Docteur en histoire moderne des universités de Naples et d’Aix-Marseille. Depuis 2016, il est Marie Curie fellow à Birkbeck, University of London (Royaume-Uni). Ses recherche concernent les relations entre société et institutions dans les grandes villes européennes pendant l’Ancien Régime. Parmi ses travaux les plus récents : L’affare dei morti. Mercato funerario, politica e gestione della sepoltura a Napoli (secoli XVII-XIX), École française de Rome, 2014.
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