Chapitre 5. L’idéal mobilitaire
p. 67-81
Texte intégral
1Le lecteur l’aura compris, nous soutenons que nous sommes baignés de nouvelles expériences et de nouvelles représentations spatio-temporelles fondées sur et fondant, d’une part, un renoncement aux frontières et à l’homogénéité spatiale qu’elles assurent et, d’autre part, un refus des alternances de stases temporelles et de ruptures. Dit de façon plus générale, nous sommes confrontés à une négation des limites. Non qu’elles aient disparu dans les faits ; elles se sont sans doute estompées, mais, surtout, un discours se développe qui prétend en faire l’économie, les masque au besoin et, si ce n’est pas possible, les présente comme injustifiables. Affirmer l’inutilité, nier l’existence et refuser la survivance sont trois aspects d’une délégitimation de l’idée même de limite. Elle a déjà transparu dans nos propos, c’est sur elle que nous voudrions maintenant nous pencher plus en détail.
2Il s’agit donc bien de passer de la question de la description du monde à celle de sa prescription. Car il est un fait que l’homme ne se contente pas de chercher à dire à quoi ressemble le monde, il le pare également de valeurs et indique comment il pense qu’il doit être. Nous partons ici du principe que, toute représentation du monde est susceptible de constituer le fondement de normativités. À l’inverse, toute normativité repose nécessairement sur une vision particulière du monde. De ce fait, lorsque cette dernière vient à muter – ce qui est le cas des représentations de l’espace-temps – elle entraîne avec elle les constructions normatives qui la prenaient pour assise. En toute logique, aux deux morphologies spatio-temporelles que nous avons décrites et aux relations à la mobilité et à l’ancrage qui en procèdent, correspondent deux normativités spécifiques.
Des normativités spatio-temporelles
3Que sont donc les normativités ? En premier lieu, elles se différencient des discours descriptifs en ce qu’elles fixent un devoir être et non pas seulement une description de ce qui est. Elles ont donc vocation à s’imposer, plutôt qu’à constituer des choix possibles. En cela, elles sont essentielles à l’instauration de rapports d’autorité. L’autorité est en effet une interaction avec autrui visant à lui faire adopter des comportements déterminés et qui se fonde sur une entreprise visant à le convaincre que l’attitude requise est conforme à ses intérêts ou désirable de son point de vue1. Les systèmes normatifs, en ce qu’ils définissent le souhaitable, sont propres à fonder ce type d’interaction. Le processus de légitimation n’est pas limité aux relations d’autorité. On le retrouve dans d’autres circonstances, par exemple pour justifier un état de fait, une action contraignante directe (relation de pouvoir), une absence d’action, etc. Ainsi, l’organisation d’une entreprise sera-t-elle soutenue par des discours affirmant, par exemple, la prééminence du regard objectif des ingénieurs, la fécondité d’un management participatif, la nécessité de se dévouer à l’intérêt collectif en poursuivant les objectifs du plan quinquennal ou la nécessité de placer toute production sous la supervision d’un ancien rompu aux techniques appliquées. De même, la relation de pouvoir entre l’agent pénitentiaire et le détenu sera légitimée par le fait qu’il n’est que le rouage de l’exécution d’une décision de justice rendue par un magistrat indépendant et impartial, faisant application d’une loi pénale préalablement et démocratiquement votée par les représentants de la nation. Ou encore, l’abandon à leur sort de populations défavorisées sera justifiée par la nécessité de maintenir une méritocratie dans laquelle tout acquis individuel procède d’efforts personnels. Il est bien entendu qu’une normativité peut être utilisée à la légitimation de pratiques préexistantes, comme elle peut en susciter de nouvelles, comme l’instauration d’un management participatif, la mise en place d’un appareil répressif ou le démantèlement de la sécurité sociale.
4On le voit, l’entrée dans la normativité marque un saut qualitatif essentiel quant à la nature du discours observé. Dans les pratiques, ce saut qualitatif s’accompagnera souvent par le développement de pratiques de contrainte et de rétorsion. Celui qui prétendra ne pas respecter le prescrit et refuser la légitimité du devoir-être qui le sous-tend sera, dans bien des cas, en butte à des pratiques sanctionnatrices, institutionnalisées ou non. Emprisonnement, licenciement, refus d’embauche, refus d’une aide sociale ou rupture de relations sociales ne sont que quelques exemples de ces rétorsions.
5Par ailleurs, les discours normatifs se présentent le plus souvent comme fondés en vérité. Qu’il s’agisse d’invoquer une naturalité, la conformité à une prescription divine ou le respect de formes de constitution de savoirs particuliers, ils prétendent fréquemment à un fondement ultime et combattent ainsi leur possible relativisation. On retrouve ici le lien entretenu par ce type de discours avec des représentations sociales particulières. Puisqu’il est question de les imposer à qui ne les reconnaît pas (encore), il est logique que soit développée une argumentation visant à leur conférer une assise incontestable. Il en découle que les normes s’accompagnent, en règle générale, d’affirmations qu’elles sont les seules valides (dans leur domaine). Ainsi, l’homoparentalité pourra être rejetée en s’appuyant sur la parole de Dieu, sur l’invocation de la naturalité de la procréation sexuée, sur le recours à des psychologues judicieusement choisis ou à l’évidence des traditions prétendument millénaires.
6De plus, un discours normatif, en ce qu’il se fonde sur une vision du monde, est susceptible de s’appliquer à un large éventail de phénomènes, à un point tel que tout pan du réel qui s’en affranchirait lui ferait courir le risque du dévoilement de la relativité de ses présupposés. C’est ainsi que, sous l’Ancien Régime, la contestation de la religion sapait les fondements du pouvoir royal, de la moralité publique, des règles juridiques relatives aux personnes (statut, filiation, successions), de la famille, etc. Le système normatif catholique était, en France par exemple, le support d’une myriade de pratiques et d’institutions.
7Enfin, les normativités posent immanquablement la question de leur rapport aux pratiques. Si le discours lui-même affirmera le plus souvent la nécessité d’une application scrupuleuse, voire servile, de son prescrit, la réalité peut être extrêmement variable. En effet, si des personnes peuvent adhérer littéralement au discours et tenter de vivre en conformité avec lui, d’autres peuvent développer une distance aux représentations leur permettant d’en faire un usage instrumental. À cet égard, le manager qui invoque la nécessité de faire de multiples expériences de vie indique-t-il le moteur de sa mobilité professionnelle ou tente-t-il de justifier une carrière erratique ? De la même manière, le politique invoquant la nécessité de négocier sans tabous ni préalables, loin des positions idéologiques figées, rend-il compte de sa conviction profonde de la nécessité de développer une politique affranchie des frontières idéologiques ou tente-t-il de convaincre du bien-fondé d’un revirement purement stratégique ? On l’aura compris, les liens entre discours normatifs et pratiques sociales sont complexes et largement dominés par la figure de la légitimation, un processus de justification entretenant des rapports ambigus avec la définition de l’orientation de l’agir. De ce point de vue, la prétention à la conformité, la tentative sincère de conformité et la conformité effective entre discours et pratique sont toutes liées à des processus de légitimation. C’est donc à ce titre que nous les aborderons ici, car il nous semble bien impossible de les distinguer précisément dans un si modeste ouvrage abordant tant de domaines.
Le discours de l’ancrage
8Quel est le discours normatif qui correspond à la forme-limite et à sa mobilité-franchissement ou mobilité sédentaire ?
9La forme-limite repose sur l’idée du cloisonnement. Celui-ci est notamment à la base d’un ordonnancement spatio-temporel du chaos naturel volontariste en un espace-temps culturel catégorisé et maîtrisable. Une segmentation est instituée par l’homme, qui garantit un ordre (social) fondé sur l’intégration de l’hétérogénéité du monde inorganisé à un système de réduction de la complexité fondé sur la définition d’espaces et de temps clos sur eux-mêmes. Chaque caractère pris en considération fait l’objet de catégorisations dont chacune des valeurs possibles fonde un territoire propre. Ainsi le sexe peut-il présenter deux valeurs : masculin ou féminin et toute entité qui relève de la classification doit-il entrer dans une et une seule des subdivisions ainsi créées. On est ainsi homme ou femme. Il n’est pas question d’être homme et femme ou de n’être ni homme ni femme. Les catégories ont vocation à recouvrir l’ensemble des cas de figure, ceux qui prétendraient y échapper seraient, par exemple dans le cas du sexe, soit taxés d’anormalité : monstres au physique mal formé, pervers à la sexualité non conforme ou malades à l’identité sexuée mal affirmée, soit accusés d’atteinte volontaire à l’ordre social, dépravés faisant fi des convenances, révolutionnaires transgressant les normes pour les jeter à bas. Si la catégorisation en sexes est purement binaire, d’autres sont plus complexes, comme la classification du vivant reposant sur des arbres phylogénétiques définissant chaque espèce selon son ordre, genre, espèce, etc. Le principe reste cependant toujours le même.
10Est-ce à dire que la mobilité est impossible ? Certes non, mais, comme nous l’avons vu, elle prend la forme d’une mobilité-franchissement. Pour se mouvoir, il faut franchir les limites de l’espace auquel on a été assigné. Il n’est bien entendu pas question de sortir de tout espace, mais bien de passer de l’un à l’autre puisqu’il n’existe pas de position échappant à la catégorisation. Lorsqu’un changement de catégorie est possible, ce qui n’est pas toujours le cas2, il se fait par le départ d’un lieu pour un autre ; ainsi en va-t-il au cours de la carrière professionnelle qui voyait, par exemple, le fonctionnaire gravir tous les échelons de la hiérarchie, à force d’examens et de promotions à l’ancienneté. Les conditions pour qu’un expéditionnaire puisse devenir commis, puis commis-chef, puis dactylo, puis dactylo-chef, puis dactylo-principal, et ainsi de suite, sont prédéfinies, tout étant affaire de droit à franchir une frontière pour accéder à un nouvel espace au sein de l’organigramme.
11À un tel système de pensée décrivant l’espace et la mobilité, correspond un discours normatif attribuant une valeur axiologique à une façon d’articuler ancrage et mobilité.
12Un premier signe en est l’opposition entre le chaos indifférencié de l’état de nature et l’ordre cloisonné de l’état de culture. Elle indique que le processus d’ordonnancement n’est pas axiologiquement neutre : il fonde clairement un système d’attribution des valeurs, la catégorisation représentant, sans nul doute, le pôle positif. Le bien est donc l’ancrage, l’attribution stable à une catégorie, à un territoire3. C’est la base de ce que Cresswell4 appelle la métaphysique sédentaire.
13La dignité de l’homme découle de sa capacité à (se) fixer des limites, à catégoriser et à définir. Ces activités sont l’expression de sa nature humaine5, mais elles ont une valeur éthique. L’ancrage étant nécessaire à sa dignité, celui qui se révélerait incapable ou insoucieux de s’en constituer ne pourrait qu’être condamné pour ce fait6. Celui qui n’ordonnerait pas le monde en espaces ne pourrait être qu’un inculte, un anarchiste ou encore un primitif, plus proche de la bête que de l’homme. Il conviendrait alors à la fois de s’en protéger – notamment par des mesures de mises à l’écart et d’ancrage forcé, voire d’élimination pure et simple – et de tenter de le ramener dans le droit chemin si cela se peut, par la civilisation, la rééducation ou la coercition. De la colonisation des peuples incapables de s’approprier une terra restée nullius7 malgré leur présence, au maintien dans une position subalterne de la femme, accusée d’être trop proche de ses fonctions naturelles et donc incapable de civilisation, en passant par la condamnation pénale des mœurs dissolues de ceux qui cèdent à leurs passions sans les freins de la civilisation (homosexualité, adultère, libertinage), les exemples sont légion de la nécessité de structurer malgré eux ceux qui s’avèrent incapables de se constituer leurs propres bornes. L’idéal de l’ancrage n’est donc pas une vue de l’esprit, mais un système débouchant sur des actions répressives et de contrainte. Tim Cresswell8 décrit ainsi la manière dont l’Italie fasciste lutta contre les Touaregs en les enfermant dans des camps et en maillant le désert à l’aide de barbelés ; ou comment, dans les années 1930, les États-Unis usèrent des mêmes schémas spatiaux pour fixer les fermiers migrant de l’Arkansas et de l’Oklahoma vers la Californie. Dans tous les cas, il s’agissait de réduire à néant une mobilité incontrôlée perçue comme inacceptable et dangereuse et de la remplacer par une bénéfique sédentarité.
14Bien entendu, si l’ancrage est la normalité, la mobilité doit être l’exception – même si elle peut être régulière – du fait qu’elle n’est pas ce qui fait sens, mais bien ce qui sépare deux ancrages. C’est ainsi que, sous l’emprise de la métaphysique sédentaire, même les scientifiques qui se penchent sur la mobilité se fondent sur l’axiome selon lequel les hommes ne bougent que s’ils le doivent, leur état naturel étant la fixité9. Ainsi, le navetteur se déplace-t-il quotidiennement ou le travailleur peut-il changer d’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’il doit se définir par ses ancrages successifs et non par sa mobilité elle-même. Il est admis que l’on se déplace, mais en respectant l’ordre établi, c’est-à-dire en satisfaisant aux conditions de franchissement des frontières et en visant toujours un nouvel établissement, fût-ce le temps d’une journée de travail.
15La téléologie de la mobilité est donc ce qui justifie la mobilité : le passage d’un lieu à un autre, ouvrant une ère nouvelle pour les entités en mouvement, se légitime par le changement d’appartenance qu’il induit. Il est en effet légitime de bouger à condition de le faire à la poursuite d’un objectif, de céder à un mal nécessaire. L’errance, elle, est une mobilité condamnable, ce qui est parfaitement illustré par la peur des vagabonds, déracinés de l’industrialisation et de l’exode rural. S’il est bon de se déplacer, c’est pour, tel un travailleur exemplaire, quitter sa campagne pour venir chercher du travail dans l’industrie, se fixer dans une cité ouvrière quasi autarcique, se soumettre à une discipline spatio-temporelle stricte et ne quitter un employeur que pour être embauché par un autre. Le livret ouvrier attestant de l’entreprise à laquelle le prolétaire est attaché est l’un des signes de cette attention pour une mobilité consistant dans le passage d’un ancrage à l’autre, d’un territoire à l’autre. Les vagabonds, du fait de leur mobilité erratique sont considérés comme dangereux10 et, à ce titre, fixés de force dans l’espace clos par excellence qu’est la prison11. Est-il dès lors surprenant que « voyou », apparu au xixe siècle, dérive du mot « voie » et signifie un mauvais garçon, de ceux qui courent les chemins12 ? L’impérativité de l’ancrage en tant que statut normal de l’homme policé, ainsi que la mise en place de systèmes sociaux de contrôle et le développement de pratiques sanctionnatrices indiquent le poids de ce qu’on peut appeler l’idéal de l’ancrage.
16Dans le même ordre d’idée, on peut rappeler le sort qu’ont connu les nomades et les Juifs sous les régimes d’extrême-droite au xxe siècle13. Les Juifs étaient notamment stigmatisés pour leur cosmopolitisme14, pour leur supposée capacité à échapper aux frontières et aux appartenances nationales, et pour leurs liens avec l’internationalisme ouvrier, lui aussi opposé aux nations ; sans oublier la figure du « juif errant ». La question de l’appartenance du Juif au corps national fut un des éléments promoteurs du développement d’antisémitismes nationaux et d’État. Elle transparaît notamment dans l’affaire Dreyfus, lorsqu’un militaire, censé être au service de la patrie est accusé d’avoir livré des documents à l’ennemi allemand. Juif et d’origine alsacienne, il entre difficilement dans les catégories binaires d’un nationalisme fondé sur la forme-limite. Parmi les innombrables conséquences de l’affaire Dreyfus, on comptera la naissance du sionisme, projet national juif répondant à la question de l’ancrage par une proposition de foyer national juif.
17On le voit, on peut soutenir l’idée de la correspondance d’un idéal de l’ancrage à une représentation particulière de l’espace-temps (la forme-limite) et de la mobilité (mobilité sédentaire et mobilité-franchissement).
La haine de la limite
18L’obligation d’ancrage et la conditionnalité de la mobilité nous paraissent aujourd’hui particulièrement lointaines, même si de nombreuses traces en subsistent dans les discours et les pratiques. Dans le contexte actuel de la métaphysique nomade15, il n’est en effet plus légitime – nonobstant d’importantes limites que nous détaillerons ci-dessous – de se réclamer de l’immobilité. Imagine-t-on aujourd’hui un travailleur se réclamer de l’attachement à un employeur unique et réclamer un emploi à vie ? Une épouse affirmer sa fidélité éternelle à son conjoint, pour le pire et le meilleur, fût-ce au prix de son bonheur, de son épanouissement, voire de sa santé ? Un État proclamer la clôture de ses frontières aux marchandises étrangères ? Un politique clamer la nécessité de préserver la pureté de la race ou de la culture auxquelles il appartient ? Oui, on l’imagine sans peine puisque ces discours existent encore, mais on perçoit également, en observant les réactions qu’ils suscitent qu’ils sont loin de remporter une adhésion inconditionnelle. Leur délégitimation est patente et il faut à ceux qui veulent les tenir, soit assumer leur mise au ban de la société respectable, soit faire preuve d’un talent de contorsionniste peu commun pour faire passer leurs positions pour compatibles avec le discours dominant. Prenons pour exemple les mouvements néonationaux contemporains (Flandre, Catalogne, etc.) qui tout en appelant implicitement au registre de la forme-limite nationale pour circonscrire leur territoire et leur « âme », veillent d’abord à les constituer comme nœud incontournable de la globalisation16 économique ou comme partenaires essentiels d’une Europe des régions. Le recours à la forme-limite pour définir la nation est alors masqué par l’argument du réseau et de l’ouverture au-delà de l’État-nation. On a pu assister, ces dernières années, à une résurgence des thématiques de la famille traditionnelle, des rôles sociaux sexués, de l’identité nationale, de la souveraineté, etc., qui, portés par une certaine droite, remettent la forme-limite à l’ordre du jour. Mais on notera qu’en matière socio-économique, les mêmes forces politiques prônent souvent la dérégulation et le décloisonnement, même si c’est sous des discours de préférence nationale.
« Une laïcité raisonnée qui reconnaisse la part de l’appartenance ethnique, culturelle, religieuse, linguistique, une République équilibrée en harmonie avec la mixité réelle, tels peuvent être les moteurs d’une société active et créative. Derrière un tel programme, pas d’islamisation en vue, point de “conquête”, point d’“invasion” ; l’islam restera minoritaire. De surcroît, aujourd’hui plus encore qu’hier, il est difficile de concevoir des identités uniques et figées. Toutes sont et seront composites, évolutives, paradoxales, personne n’étant en mesure de les définir de force, sauf au risque de reproduire les modèles totalitaires. Le refus de l’altérité et l’aspiration à l’“authenticité nationale” asphyxient la nation elle-même, comme certains produits toxiques notre atmosphère et nos sols17. »
19Il nous paraît a contrario que se développe aujourd’hui un discours normatif « mobilitaire » fondé sur la forme-flux et proclamant l’illégitimité des frontières, ainsi que la nécessité de la mobilité. C’est contre lui que se dressent les tenants de la réaction, qui s’arc-boutent tant bien que mal à l’idéal de l’ancrage.
20Les limites disparaissent, les espaces et les temps s’interpénètrent et c’en est fini de l’homogénéité et de la constance. Les espaces font place à l’étendue, les ères au flux, la forme-limite à la forme-flux. Dès lors, les mobilités ne sont plus des déplacements téléologiques visant à substituer un ancrage à un autre mais des mouvements constants et irrépressibles. La mobilité-franchissement a cédé face à une mobilité-kinétique18 ou mobilité-dérive. L’assignation d’une position spatio-temporelle devient impossible dans un monde synchroniquement et diachroniquement inhomogène. La question de la position, devenue insoluble, fait alors place à la problématique de la relation ou, plus exactement, des relations. Il ne s’agit plus de gagner puis de tenir sa place au sein d’un espace circonscrit, mais bien de participer à un réseau en entrant en communication avec d’autres de ses participants.
21Restaurer une maîtrise par l’entretien de cloisonnements apparaît illusoire. L’entreprise est vouée à l’échec tant elle apparaît contraire à l’ordre même des choses. L’institution d’une limite dans un espace décloisonné est, au mieux une illusion, au pire une dangereuse folie. Mais renoncer à tout ancrage se paie du prix d’une dérive incontrôlée et permanente19 ; la seule voie de maîtrise qui apparaisse encore aux yeux des individus est celle d’un effort constant pour tenter de rester synchrone avec un réel en mutation permanente, d’une participation à des projets successifs et renégociés en permanence afin de rester en prise avec un réel qui, avec ou sans nous, continuera de bouger. Le danger n’est plus de ne pas être à sa place, mais d’être « largué », d’être « déconnecté ». Le contexte est un donné sur lequel nous n’avons que peu de prise20 – nous ne l’instituons plus – et qui s’impose à nous, à nous d’entretenir avec lui des relations adéquates.
22En découle une accentuation de la tendance au changement, sous l’impulsion d’individus qui, plutôt que de tenter d’instaurer des stabilités, adaptent constamment leur comportement aux variations de leur environnement, donnent dès lors tête baissée dans le changement et accroissent d’autant l’entropie sociale. La mobilité est devenue un mot d’ordre et un cercle, vicieux ou vertueux selon le jugement que l’on portera sur son propos.
« Consultant en gestion du changement depuis quelques années, j’ai eu la chance de gérer différents projets dans le secteur des télécoms, de l’automobile et du bancaire. Les sujets abordés ont été variés, passionnants et m’amènent à réfléchir au futur de la société dans toutes ses composantes. Le changement est inévitable, la stabilité et la sécurité un mythe… Il faut être prêt au changement, l’anticiper, le provoquer, y participer… mais surtout éviter de le subir21. »
23Ce qui, jusqu’ici, pouvait être considéré comme un nouveau regard porté sur le réel ou comme la description d’une nouvelle réalité prend maintenant une nouvelle dimension. Les représentations sociales de l’espace-temps et de la mobilité ont en effet donné naissance à des lectures prescriptives du monde.
24Les cloisonnements spatio-temporels ne sont ainsi pas seulement impossibles ou contrefactuels, ils sont aussi nuisibles et condamnables. Il ne peut plus être question d’imposer au réel un canevas moral ou rationnel élaboré par l’homme, être de raison se prétendant en rupture avec le reste de la création ; il convient au contraire de rendre compte d’une réalité qui nous dépasse et dont nous faisons irréductiblement partie. Nous sommes donc à la fois immergés dans le réel, incapables de nous en abstraire par le tracé d’une frontière et impuissants à ordonner ce même réel par le biais de catégories raisonnées. Nous perdons ainsi non seulement la position extérieure que nous octroyait notre statut d’êtres de raison, mais aussi la capacité d’agir sur le monde en l’ordonnançant. C’est donc une expérience qui change et, à sa suite, une éthique humaine. Il ne convient plus de raisonner et d’organiser, mais bien de faire partie, de rester en prise avec le réel. Vouloir imposer une limite apparaît alors négatif. C’est non seulement stupide, mais c’est également une faiblesse morale : une incapacité à la souplesse d’esprit indispensable dans une réalité changeante. Toute limite est considérée comme porteuse d’inacceptables contraintes sur les entités qui y sont confrontées. Il importe donc de s’en libérer.
« Dans de nombreuses écoles maternelles, toutes les références au sexe des écoliers ont été supprimées et le personnel choisit désormais de s’adresser aux enfants par leurs prénoms ou en utilisant le terme de “copains”.
Ainsi, un enseignant va plutôt dire “bonjour les copains” ou “bonjour Lisa, Tom et Jack” que “bonjour les filles et les garçons”. Ce qui répondrait aux directives du ministère de l’Éducation nationale [suédoise] incitant les écoles maternelles à “contrer les schémas et les rôles sexuels traditionnels” et à offrir aux enfants “des opportunités identiques de tester et de développer des aptitudes et des intérêts sans être limités par des stéréotypes sexuels”22. »
25On le voit, de la modification des représentations spatiales à la disqualification – voire à la haine – de la limite, il n’y a qu’un pas. Nous faisons l’hypothèse que nous sommes occupés à l’accomplir. Jérôme ne peut se réclamer de l’inviolabilité de son espace privé pour refuser la proposition de Josuah parce que ce cloisonnement est contrefactuel (les courriers électroniques arrivent chez lui aussi, il travaille à son domicile, son téléphone portable est connu de tous), mais aussi parce qu’il est illégitime de vouloir se retrancher de son emploi. Notons que sa femme ne comprendrait pas davantage qu’il refuse de décrocher son portable pour répondre à l’institutrice d’un de ses enfants souhaitant lui signaler que celui-ci est malade. Les frontières étatiques franchies par Liliane sont des passoires, allègrement transgressées par les mouvements de biens et de capitaux, quotidiennement franchies par des individus plus ou moins désirables, et parfaitement perméables aux échanges culturels ; mais elles deviennent aussi illégitimes dans un espace discursif rejetant les nationalismes étroits23, faisant de l’ouverture un bien fondamental (notamment sur le plan économique), prônant l’échange (culturel et économique) comme facteur de développement et comme signe de vitalité de la population et de bienveillance des dirigeants. Nous sommes donc confrontés, au-delà de la modification des représentations spatio-temporelles, à de nouveaux discours porteurs de nouveaux modes de légitimation24.
La mobilité « naturelle »
26On notera que l’idéal mobilitaire renverse la conception de la naturalité spatio-temporelle. Il n’est plus question d’un homme dont le propre est une activité catégorisante d’ordonnancement du réel et d’imposition de normes et dont la dignité se fonde dans l’ancrage. Dans le monde de la forme-limite, l’homme est avant tout un être parlant, c’est-à-dire catégorisant et ordonnant. Par son langage, il soumet le réel à l’exercice de sa raison. Il est membre d’un genre particulier, dont le destin est d’instituer une société politique qui le dotera de règles collectives, seules à même de le prémunir contre les passions individuelles et la dérive de l’amoralité propre à l’état de nature. Le socle normatif collectif est alors ce sur quoi l’homme s’appuie pour se créer lui-même, pour accomplir sa nature et s’extraire de la Nature. Dans ce que nous appelons le discours de l’ancrage, l’homme est un individu, défini par son appartenance à des collectifs (classe, sexe, état civil, statut politique, statut national, etc.) et à des lieux.
27La délégitimation de la limite a pour conséquence que l’homme est désormais confronté à une réalité spatio-temporelle qui lui paraît résister à toute délimitation, en sorte qu’il lui semble vain de tenter de la soumettre à des catégorisations. Ni l’espace ni le temps ne se laissent plus circonscrire. Il convient dès lors de s’adapter à un contexte vu à travers des catégories de l’étendue et du flux. L’homme, partie intégrante de ce contexte, n’a plus à s’en distinguer, mais à assumer son appartenance à un réel indélimitable. Le propre de l’homme est désormais d’être capable d’adaptation et d’innovation. Sa dignité est de préserver une autonomie dont il fait usage pour s’adapter aux circonstances et en tirer le meilleur parti. Le rapport au contexte s’inverse, en quelque sorte : l’homme n’a plus à s’en extraire pour le maîtriser et l’ordonner, mais à s’y adapter pour ne pas se laisser distancer par lui.
28La naturalité de cette mobilité inévitable est donc au fondement d’une anthropologie mobilitaire, laquelle fait de chaque homme un sujet sui generis25 et avant tout relationnel, voué à l’évolution et à l’adaptation, fondamentalement maître de la définition et de l’accomplissement de son destin et ne pouvant qu’être brimé par les contraintes. Il est une personne-sujet qui se définit par le rejet de toute appartenance catégorielle : il est lui-même26 et n’est pas réductible à la contrefactualité de quelque catégorie que ce soit. Il sera donc ici question de personnes-sujets et non d’individus.
29Les évolutions récentes des procédures répressives illustrent cette évolution anthropologique. En effet, ces trente dernières années, nous avons assisté à l’émergence de nouvelles pratiques de résolution des conflits pénaux reposant sur la médiation et s’opposant clairement au modèle précédemment admis comme légitime : le procès pénal27. Le modèle pénal de l’ancrage repose sur l’idée que les individus – libres et responsables – sont soumis à des règles collectives prédéfinies dans la loi. Celles-ci encadrent les comportements en leur appliquant la règle binaire légal/illégal. L’illégalité doit mener de manière systématique à un procès pénal au cours duquel le comportement individuel sera rapporté à la règle générale et au terme duquel, si la culpabilité est reconnue, la peine prédéfinie sera appliquée. Ce système est entièrement fondé sur un jeu rigide de limites, de frontières (de compétences entre institutions, de champ d’application des diverses normes, de qualification des faits potentiellement infractionnels, etc.) et de temps (procédure, délais, durée des peines, etc.) qui constitue le propre du discours de l’ancrage.
30Il est actuellement concurrencé par un discours proposant une alternative, celle des modes consensuels de résolution des conflits, au premier rang desquels, la médiation. L’infraction pénale est ramenée au conflit qui l’aurait provoquée, lequel est vu comme procédant d’une rupture communicationnelle entre ses protagonistes. Sont alors proposés des modes de résolution des conflits reposant sur l’établissement d’un dialogue ouvert au cours duquel les parties sont invitées à définir le conflit, les normes qu’il faut y appliquer et les solutions que l’on peut en tirer. Il n’est plus question de réagir à une infraction par un processus de catégorisation, mais bien d’ouvrir des possibles, sans préjugés ni prérequis. Ce qui sous-tend ce changement est, notamment, le passage de l’idée d’un individu responsable, acteur rationnel soumis aux normes collectives à celle d’une personne impliquée dans un litige sui generis et dont il faut respecter les particularités. Cette personne ne peut être appréhendée par le biais de logiques de délimitations, mais par une adaptation constante au vécu et aux spécificités de chaque cas28.
« Ce souci d’adéquation d’une appellation au champ réel d’intervention conduirait même à éviter le terme de “médiation” et à parler plutôt de “gestion de la relation entre auteurs et victimes à toutes fins utiles pour les intéressés… ”29. »
31Il ne s’agit par ailleurs plus de reconduire le « hors-la-loi » à la limite de la légalité ni de sanctionner le franchissement de la « ligne rouge ». Ces procédures demandent aux justiciables – auteurs et victimes – une capacité de remise en question, d’adaptation de leurs attentes, de modification de leurs positions, en bref, une mobilité.
Un sujet libre, enfin !
32Comment ce sujet autonome, dont l’agir n’est borné de nulle limite claire et dont la position est en perpétuel mouvement parvient-il à s’orienter ? Il ne s’agit évidemment plus de se construire une trajectoire de vie au sens de Sorokin30 ou de Bourdieu31, trajectoire que nous rebaptiserons ici « trajet » afin que soit claire une de ses caractéristiques principales : le trajet rejoint un point à un autre, permettant ainsi d’assurer une mobilité sociale, ascendante si possible, entre des ancrages sociaux clairement identifiés. Dans le cadre de l’idéal mobilitaire, les sujets ne sont plus invités à s’orienter sur la base de la planification d’un trajet joignant des espaces clairement identifiés. Il ne s’agit plus d’accumuler, année après année, dans le cadre d’une vie prévisible, mais bien de tenter de s’orienter tant bien que mal dans un environnement changeant et difficilement prévisible. Ce n’est pas que les « repères » disparaissent totalement, mais bien qu’ils sont eux-mêmes mouvants, en sorte que les notions de point de départ et de point d’arrivée perdent leur sens tant il est difficile de définir leur localisation pendant toute la durée d’un trajet envisagé. La mobilité qui s’ensuit présente immanquablement un caractère erratique.
33Cette caractéristique est propre à désorienter – au sens propre – ce qui est potentiellement générateur d’un sentiment d’insécurité32. D’un autre côté, la valorisation absolue de la mobilité peut être parée des atours de la liberté, reprenant en cela une longue tradition d’identification de la mobilité à la liberté, en tant que la première serait l’affranchissement des contraintes et oppositions33. Elle peut en effet prétendre ouvrir à chacun la possibilité de déployer sa trajectoire34 individuelle sans contrainte aucune, jusqu’à pleine réalisation de soi, sans prédétermination de la direction à prendre, sans jugement de valeur sur le sens de la mobilité, pourvu que mobilité il y ait.
34La situation actuelle est donc faite de la rencontre d’une mobilité nouvellement omniprésente et d’une tradition présentant celle-ci comme la liberté même, celle qui consistait à s’arracher aux étouffants ancrages des sociétés dominées par la forme-limite pour se rendre maître de son destin.
« [B : ] Avec La femme et l’ours, vous livrez une véritable anthologie de la chute et des destins brisés. Pourquoi cette thématique vous séduit-elle ?
[Philippe Jaenada : ] Parce que, comme je le dis dans le roman à certains moments de la vie, c’est la seule issue possible et intéressante : on sent qu’on n’ira pas beaucoup plus haut. On n’a pas envie d’aller trop vite de l’avant, vers l’avenir, car le temps s’en charge un peu trop bien. On sait qu’on ne peut pas revenir en arrière. Donc aller vers le bas, explorer le fond, est parfois une voie tentante. C’est toujours du mouvement, et le mouvement est une bonne chose. Bien sûr, ensuite, il faut remonter, ce qui demande un peu de force35. »
35Plusieurs conséquences en découlent. Dans ce cadre, tout ancrage, toute contrainte peut être présenté non comme un refuge, mais comme un obstacle au libre mouvement de l’individu vers lui-même et, donc, comme une atteinte à sa liberté, voire à sa dignité. Il en va ainsi des structures sociales et des contraintes qui leur sont inhérentes. « L’individu-objet » abstrait et anonyme, défini par un statut et le rôle correspondant, qui allait de pair avec de puissants mécanismes d’incorporation à des ensembles sociaux et d’uniformisation des comportements36, cet individu abstrait n’est plus de mise. Il doit s’effacer devant la « personne-sujet » qui déploie son vécu en action, par le développement d’une trajectoire nécessairement unique. Les orientations de masse, strictement disciplinées, deviennent, non seulement impossibles et impensables, mais également illégitimes en tant qu’elles foulent au pied la personne. La désaffiliation devient alors une obligation, ce qui affaiblit d’autant les structures sociales qui en dépendent. Il importe que chacun s’émancipe de ses ancrages personnels devenus illégitimes37 ; les aimer reviendrait à défendre ses chaînes, ce qui ne peut se concevoir. L’idée des limites comme protections des individus a fait long feu. Elles ne sont plus des remparts, des abris, mais des boulets. On ne compte ainsi plus les discours indiquant combien la soumission des allocataires sociaux à des impératifs d’activation, d’incessante quête d’un emploi inexistant, a pour objectif la défense de la dignité de la personne concernée, quand bien même elle n’en serait pas consciente.
36Il ne faudrait pas en déduire que toute relation suivie et toute constance sont bannies. Celles-ci restent possibles en tant que des appuis sont nécessaires au déploiement d’une trajectoire. Simplement, il n’est plus question d’en faire des ancrages, c’est-à-dire des socles permanents. Tout au plus s’agit-il de relations qui ont une utilité sur un plus long terme. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont sécables dès que prend fin leur utilité et qu’elles restreignent les potentialités de mobilité. Les investissements doivent donc être temporaires et il convient de leur préférer, dès que possible, les mobilités qui seules permettent de « rebondir », de voguer vers de nouveaux projets, de faire de nouvelles rencontres38. L’individu est son propre projet et l’existence implique de toujours bouger pour s’approcher de soi-même. Il est à lui-même son unique point fixe, encore qu’il soit appelé à se redéfinir chaque fois que nécessaire. Ah, que ne peut-il, cet individu à la recherche de lui-même, s’affranchir de l’espace et de sa propre inclusion spatiale, ce corps si étroit et inerte, pour être où il veut, quand il le veut et donc ne plus devoir être nulle part ? Il n’est plus question de s’enraciner, seulement de prendre appui pour (re)bondir.
37Il ne faudrait pas déduire de ce qui précède que les seuls sujets de l’idéal mobilitaire sont les « personnes-sujets » auxquelles il a été fait référence ci-dessus. L’une des conséquences du rejet des limites est la mise en cause de celle qui distingue les « personnes physiques » des « personnes morales », pour reprendre des termes juridiques renvoyant aux entités qui se voient reconnaître une faculté d’agir juridiquement. Il n’est pas ici question d’introduire cette distinction juridique, mais bien de pointer le fait que, dans le cadre de pensée qui nous occupe : la forme-flux, la distinction entre les différents types d’acteurs s’estompe. Du point de vue du réseau qui structure désormais l’espace, l’essentiel n’est pas la nature des nœuds, mais bien les relations qu’ils entretiennent et, par conséquent, qu’ils sont capables de communiquer. C’est donc la capacité à interagir qui prévaut et l’on peut considérer assez largement que les impératifs pesant sur les individus, et que nous détaillerons ci-dessous, sont, mutatis mutandi, transposables aux acteurs collectifs, voire aux objets. L’émergence de l’Internet des objets ou de machines interagissant de manière chaque jour plus performante avec leur environnement – en ce compris des êtres humains – tend à conforter cette vision d’un immense réseau regroupant des entités diverses.
Notes de bas de page
1 Mincke C., La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, op. cit., p. 63 et suiv. ; Bourgeois É. et J. Nizet, Pression et légitimation. Une approche constructiviste du pouvoir, Paris, PUF, 1995.
2 Longtemps, le sexe en fut un bon exemple. La transsexualité a cependant été reconnue, non comme un affranchissement de la binarité des sexes, mais comme un pur passage de l’un à l’autre.
3 On notera que ce processus correspond à l’intégration dans des populations, caractéristique du biopouvoir de Foucault. Blanchette L.-P., « Michel Foucault : Genèse du biopouvoir et dispositifs de sécurite », Lex Electronica, 11/2, 2006, p. 1-11 ; Genel K., « Le biopouvoir chez Foucault et Agamben », Methodos, 4, 2004, http://methodos.revues.org/131, consulté le 21 septembre 2018.
4 Cresswell T., On the Move, op. cit., p. 26 et suiv.
5 Urry J., Mobilities, op. cit., p. 31.
6 Cresswell T., On the Move, op. cit., p. 30.
7 Terra nullius est la mention que portaient, sur les cartes, les zones non explorées par l’homme blanc et considérées comme n’appartenant à personne, malgré les populations qui y vivaient.
8 Cresswell T., On the Move, op. cit., p. 39-40.
9 Ibid., p. 29.
10 Ibid., p. 17.
11 La Belgique, à cet égard, fut particulièrement exemplaire du fait de sa législation stricte en la matière, avec la loi du 27 novembre 1891 pour la répression du vagabondage et de la mendicité, qui prévoyait des mesures d’emprisonnement (abrogée en 1993 seulement).
12 CNRTL, « Vo voyou », Trésor de la langue française informatisé, Centre national de ressources textuelles et lexicales ; Kaminski D., « France : démantèlement de camps, expulsion et déchéance de nationalité », Revue nouvelle, 10, octobre 2010.
13 Et ce y compris en France où le régime du Maréchal Pétain fit enfermer les Roms (pour reprendre l’appellation actuelle) dans des camps.
14 Cresswell T., On the Move, op. cit., p. 42 ; Endres M., « Passengers without havens ? », dans M. Endres, K. Manderscheid et C. Mincke (dir.), The Mobilities Paradigm : Discourses and Ideologies, Londres, Routledge, Taylor & Francis Group, 2016, p. 114-143.
15 Cresswell T., On the Move, op. cit., p. 26 et suiv.
16 Montulet B., « L’ère du Temps : la ville globalisée », dans J. Delcourt et P. Woot (dir.), Les défis de la globalisation. Babel ou Pentecôte ?, Louvain-la-Neuve (Belgique), Presses universitaires de Louvain, 2001, p. 309-330.
17 Benbassa E., N. Mamère, et E. Joly, « Manifeste pour une écologie de la diversité », Libération.fr, 27 janvier 2011, http://www.liberation.fr/politiques/2011/01/27/manifeste-pour-une-ecologie-de-la-diversite_710181, consulté le 26 février 2015.
18 Montulet B., Les enjeux spatio-temporels du social : mobilités, op. cit., p. 177 et suiv.
19 Cresswell T., On the Move, op. cit., p. 49.
20 Est-ce là une des sources du désengagement politique contemporain relevé par bon nombre d’observateurs ?
21 Chaos Theory, Chaos Theory, http://www.blogger.com/profile/13622542960667444531, consulté le 11 janvier 2011.
22 Rothschild N., « Hen : le nouveau pronom neutre qui fait polémique en Suède », art. cité.
23 On notera à ce propos que cet espace est loin d’être sans concurrence, les nationalismes les plus étroits continuant d’exister, supportés par d’autres registres de discours.
24 Jean est bien sûr confronté à des frontières étatiques et Frédéric à des frontières académiques. Nous envisagerons la relation aux institutions ci-dessous. Constatons pour l’instant que, tant pour Frédéric que pour Jean, ces frontières ne sont plus légitimes.
25 Nous reprenons ici un terme juridique désignant des constructions normatives uniques : n’appartenant à aucune catégorie plus générale, elles sont « leur propre genre » ; de même que la personne n’est pas un individu membre de groupes divers, mais bien un être unique qui ne peut fondamentalement être rapporté à aucune catégorie. Le propre de l’homme serait, dans ce cadre, de n’avoir rien de propre, d’être potentiellement tout, les diversités de l’humanité obérant toute tentative d’en tracer des contours un tant soit peu réalistes.
26 À propos de l’injonction d’être soi, nous renvoyons aux travaux d’Alain Ehrenberg, L’individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, 1995 ; La fatigue d’être soi : dépression et société, op. cit.
27 Mincke C., « Mobilité et justice pénale. Nouvelle idéologie, nouvelles pratiques ? », dans Dix ans de maisons de Justice, bilan et perspectives. Actes du colloque des 2 et 3 décembre 2009, Bruxelles, SPF Justice, 2011, p. 281-298 ; Mincke C., « La médiation pénale, contre-culture ou nouveau lieu commun ? Médiation et idéologie mobilitaire », art. cité.
28 Mincke C., « La médiation pénale, contre-culture ou nouveau lieu commun ? Médiation et idéologie mobilitaire », art. cité.
29 Kellens G. et A. Buonatesta, « Instiller dans la procédure pénale une culture de médiation », Liber amicorum Henri-D. Bosly, Bruxelles, La Charte, 2009, p. 211-218.
30 Sorokin P.A., Social and Cultural Mobility, New York, Free Press, 1964.
31 Bourdieu P., La distinction, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
32 Nous avons défendu par ailleurs l’idée selon laquelle l’idéal mobilitaire promouvrait et légitimerait l’insécurité, Mincke C., « Discours mobilitaire, désirs d’insécurités et rhétorique sécuritaire », dans L’ (in) sécurité en question. Définition, enjeux et perspectives, Liège, Presses universitaires de Liège, 2015, p. 133-157.
33 Cresswell T., On the Move, op. cit., p. 14 et 47.
34 Pour nous, la notion de trajectoire implique l’idée d’un parcours, sans spécification ni d’un point de départ ni d’un point d’arrivée, contrairement à celle de trajet.
35 B. J., « Trois questions à Philippe Jaenada », Lire, septembre 2011, Supplément rentrée littéraire, p. 17.
36 Bauman Z., Liquid Modernity, op. cit., p. 7, 33 ; Deleuze G., « Postscript on the Societies of Control », art. cité, p. 5.
37 Bauman Z., Liquid Modernity, op. cit., p. 16-17.
38 Boltanski L. et È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit., p. 142.
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La société sans répit
Ce livre est cité par
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- Haldimann, Lucas. Heers, Marieke. Rérat, Patrick. (2021) Between stuckness and stillness: Why do young adults not undertake temporary mobility?. Population, Space and Place, 27. DOI: 10.1002/psp.2461
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La société sans répit
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