Chapitre 1. L’entrée du chemin de fer dans les temps alimentaires
p. 19-47
Texte intégral
1Le chemin de fer n’a pas créé la restauration en voyage. Les modes de déplacement sur les routes et le long des rivières rendaient nécessaire l’établissement de lieux pour manger depuis plusieurs siècles. Ces gîtes étaient des étapes obligées par la longueur des trajets. Avant 1776, la route de Paris à Strasbourg imposait plus d’une vingtaine de repas en dix jours1. Le raccourcissement des distances par l’augmentation des vitesses modifia la fréquentation contrainte de ces tables. À la fin du xviiie siècle, les relais de poste constituaient environ 1400 haltes en France. Les gîtes d’étape contrôlés par l’administration militaire apparaissaient tous les 20 ou 30 kilomètres2. Le semis des auberges équipées d’écuries se superposait à ce maillage fonctionnel, lieux familiers et hantés dont la police surveillait les mouvements3.
2Quelques guides informaient le voyageur. Celui d’Ottokar Reichard consacrait six pages aux auberges en 17934. Bien qu’ils n’offrent pas tous des renseignements circonstanciés, les récits de voyages forment une autre source exceptionnelle pour apprécier la relation avec l’hôtelier, les servantes et la table. L’écrit sert une « métaphorisation épique du banal quotidien5 ». Nombre de témoignages paraissent affligeants. Saleté des cuisines que déplore Flora Tristan à Mâcon en 18446. Affreuse auberge à Barneville où Victor Hugo n’a trouvé que « du lait et des puces7 ». Stendhal est encore plus virulent, en arrêt à Tours. Il a « failli mourir de faim au maigre dîner de la table d’hôte », dû attendre « une heure et demie pour avoir demandé de l’eau chaude » pour se faire du thé dans sa chambre, et le lendemain… « dîner infâme s’il en fut jamais, plus mauvais encore que celui d’hier ; nous avions une alose et des poulets trop avancés8 » ! Les plaintes sont à nuancer. Elles expriment la rupture des habitudes alimentaires et la promiscuité détestée plus qu’elles ne permettent de mesurer exactement la qualité des mets proposés et l’attrait du lieu. D’autres témoignages inversent la critique et marquent la bonne surprise des convives. Dans les années 1860, Théophile Gautier se félicitait d’avoir pu souper dans une auberge normande où l’on servait « des viandes froides, du jambon, du cidre, du vin et du café » au point d’assurer sa réfection9.
3L’apparition du chemin de fer posa à nouveau la question de la restauration en voyage. Comment pourrait-on manger hors de chez soi si ce n’était dans la ville étape ? Puisque le chemin de fer enfermait le voyageur dans un parcours déterminé, les abords de la station ne pouvaient-ils pas devenir une place convoitée par des hôteliers entreprenants ? Que représentait la promesse d’un flux de clients mobiles ?
Le banquet ferroviaire
4Les premiers fastes d’inauguration des lignes donnèrent le ton. Le chemin de fer pouvait attirer des foules. Discours, cortèges, musiques mais aussi banquets voire offrande de nourritures dans une forme d’évergétisme moderne ont constitué la symbolique politique d’une mobilité attendue.
5La ligne de Paris à Saint-Germain-en-Laye en rend compte, ouverte le 26 août 1837 et conçue spécialement pour familiariser les voyageurs avec le train sous la forme du voyage d’agrément10. Deux jours auparavant, le duc d’Orléans, la reine Marie-Amélie, un cortège de jeunes princesses, de ducs, d’aides de camp, d’officiers d’ordonnance, de préfets, de ministres, d’administrateurs de la compagnie, d’ingénieurs, participèrent à l’inauguration du parcours. Arrivés au Pecq en contrebas de la terrasse de Saint-Germain, les membres du convoi eurent droit aux réjouissances de circonstances. Le Journal des débats amplifia le récit : « une collation des plus élégantes et du goût le plus délicat, offerte aux augustes voyageurs ; les vins les plus frais, les plus beaux fruits de l’automne, les porcelaines en vieux Sèvres, la vieille argenterie, tout le luxe fondé sur une grande affaire avait été déployé dans cette vaste galerie11 ».
6En revanche aucune mention n’est faite des pommes de terre soufflées du cuisinier Louis-François Collinet qui avait investi le Pavillon Henri IV. Elles étaient pourtant encore mythifiées selon la vulgate culinaire dans le Larousse gastronomique en 1938 : « Le train eut beaucoup de difficultés à gravir la rampe terminale ; le restaurateur chez lequel devait avoir lieu le déjeuner offert par la compagnie à ses invités avait préparé des pommes de terre frites pour l’heure convenue, les avait laissé refroidir ; puis, surpris par l’arrivée inopinée du cortège, il n’eut que le temps de les plonger rapidement dans la friture et c’est à sa grande surprise qu’il les vit se gonfler12. » Si la véracité du procédé importe peu, la pomme de terre anoblie rejoignait la vente nomade de cornets de frites des marchands ambulants dans les rues de Paris13.
7Après l’inauguration, un autre endroit attira les voyageurs : « L’établissement que M. Masson a élevé dans le local consacré à l’exploitation du chemin de fer mérite d’être remarqué. Ce café-restaurant est un point de rendez-vous qui ne saurait être replacé ailleurs. C’est un observatoire pour l’inquiétude, l’incertitude et la curiosité14. » Au spectacle nouveau correspondait déjà une forme de banalisation d’un lieu de restauration dans l’espace ferroviaire. En dix mois, presque 500000 voyageurs firent le déplacement de Paris à Saint-Germain, une manne potentielle pour vendre des rafraîchissements et des nourritures.
8La multiplication des inaugurations de lignes engendra la répétition d’un programme bien établi. Il fallait une parade, des coups de canon, des cloches, des discours, une foule curieuse, des hôtes prestigieux, le plus haut clergé, des représentations théâtrales ou des concerts et un banquet hors du commun. Le chemin de fer du Nord donna lieu à la fête « la plus splendide » en 28 stations du 12 au 15 juin 184615. Mais sous l’apparente fête, le sentiment local fut un peu désobligé par l’opulence importée de Paris. À moindre échelle, certains contemporains célébraient aussi ce moment, indice ostensible d’un changement d’époque saisi comme l’espérance d’un monde nouveau porté par la technologie et la liberté. Le 4 août 1849, la portion reliant Tours à Angers fut saluée comme un privilège. Même quatre kilomètres pouvaient être inaugurés, comme ce fut le cas d’Asnières à Argenteuil le dimanche 27 avril 1851.
9Quel que soit le régime politique, les inaugurations se succédèrent. Si les fils de Louis-Philippe furent le plus souvent sur la tribune, Louis-Napoléon Bonaparte ne manqua pas l’occasion d’associer son nom à ces fêtes de l’industrie. Elles servaient la chronique de l’unité territoriale. Elles offraient une opportunité discursive. Le président de la République inscrivit ainsi son action dans la mémoire nationale et celle de Napoléon à Épernay : « L’inauguration du chemin de fer de Paris à Strasbourg est à mes yeux un événement important à cause des lieux qu’il traverse. On se retrace les dernières et héroïques luttes de l’Empire contre l’Europe coalisée16. » L’inauguration ferroviaire matérialisait la communauté politique. Au point de faire débat. Sermon d’évêques contre profession de foi d’ingénieurs, toasts municipaux face aux discours gouvernementaux17. La presse ne manqua jamais de rapporter ces cérémonies hors de l’ordinaire, peu éloignées des entrées princières ou de la montée des cloches18. Tous les chemins de fer ne furent pas dans la veine saint-simonienne mais toutes les inaugurations furent bien des fêtes de l’industrie. Le moment attendu du banquet était crucial, à la fois table, tribune et vitrine du pouvoir par la somptuosité attendue du repas19.
Un théâtre éphémère
10Peu de restaurants étaient en mesure d’accueillir de tels rassemblements. À Mulhouse, la salle du banquet fut jugée « une féerie20 ». En fait, c’était un simple magasin, aux murs noircis et à charpente de bois qui avait servi d’entrepôt à la garance, à des balles de coton, puis à des rails, en bordure d’un canal. Les 760 mètres carrés du lieu, jusqu’aux banquettes et aux nappes, furent entièrement couverts par un calicot bleu sur fond blanc portant l’allégorie du chemin de fer (une hirondelle) et l’emblème de l’Alsace industrieuse (une abeille), sorti de la manufacture Koechlin-Ziegler, spécialisée dans les rouleaux d’impression textile. Lavé, le tissu pouvait être réemployé. Le manufacturier n’alla pas jusqu’à faire reproduire la spécialité des étoffes imprimées mulhousiennes, la somptueuse fleur naturaliste en vingt-quatre couleurs21. La compagnie d’Orléans avait prévu son banquet pour honorer le duc de Nemours dans une salle ornée d’écussons portant les attributs du travail, de la brouette au laminoir22. ÀLille, il s’agissait d’un palais de bois et de toile, mais « grand comme le Louvre23 ». La presse désigne plutôt une tente monumentale précédée d’une façade peinte dans le genre des décorations de théâtre pour faire grandiose. Le commerce précisa que la salle improvisée à l’extrémité de la gare était couverte de tentures rouges et blanches. Plus emphatiques, certains écrivains qualifièrent d’éblouissant un dispositif monumental dont la population lilloise put faire le tour pour admirer la munificence24. Admiration peut-être, curiosité et étonnement devant une parade quasiment royale, certainement.
La mise en scène du faste
11Pourvoyeuse des agapes, les compagnies ferroviaires étaient évaluées sur leurs largesses. L’industriel et concessionnaire de la ligne, Koechlin, sollicita 450 convives à Mulhouse. En 1854, 500 invités étaient attendus au Mans, 800 à Rouen. Les copies de presse donnaient 1700 personnes à Lille, dont 36 étaient à la table d’honneur et les autres réparties à des tables de plus de 60 places25.
12Très représentatifs de l’esprit du moment, les toasts multipliaient les adresses. En 1839, les convives se levèrent à Mulhouse pour le roi, le ministre des Travaux publics, le fondateur de la compagnie ferroviaire, deux ingénieurs, les invités, les autorités présentes, le prélat. Consignées par Michel Chevalier, les lettres sur l’inauguration du chemin de fer de Strasbourg à Bâle révèlent l’ambition d’unir les peuples pour tendre vers une Europe pacifiée26. Le ministre des Travaux publics déclara que « la grande voie de communication ouverte entre la capitale de l’Alsace et les frontières de l’Helvétie n’est qu’un anneau de la chaîne qui doit un jour unir la France aux nations voisines ». Le conseiller d’État Michel Chevalier répondit du vœu « de la prompte exécution du réseau européen27 ». L’écho vint six ans plus tard avec le chemin de fer du Nord. Le journal L’Époque assura que l’on parlait de l’inauguration depuis vingt jours car « il ne s’agissait pas cette fois d’un chemin de fer courant vers une province plus ou moins éloignée ; c’était une grande ligne se dirigeant tout droit vers l’Europe28 ». James de Rothschild souligna « l’ouverture de cette grande voie de communication qui va resserrer les liens de la France, de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Angleterre et assurer l’échange mutuel de leurs pensées et des produits de leur sol29 ». Les Rothschild promouvaient la monarchie de Juillet.
13D’autres faits avaient valeur de symboles politiques, adhésion ou contestation. À Mulhouse chacun reçut une médaille commémorative. Le chemin de fer du Nord en fit frapper deux, portant coq (France) et lion (Belgique) unis par une locomotive. Quelques contempteurs élevèrent la voix. Le courrier français évoqua l’indécente cohue et les absurdes extases de la presse ministérielle, l’inhospitalité des wagons, les retards du banquet d’Amiens. La mode dénonça une inauguration faite un dimanche, jour de la grande Fête-Dieu. Le Progrès du Pas-de-Calais souligna que des places étaient restées inoccupées au banquet d’Arras et que les princes partirent au bout d’une heure trente dans le silence30.
La réalité des festins
14Eugène Briffault avertit en 1846 que les banquets ne sont que « des dîners détestables, dans lesquels les mets communs, froids ou tièdes, déchiquetés en mille pièces pour la distribution générale, et les vins, que l’enthousiasme ne permet pas de déguster, forment l’ensemble le moins attrayant que l’on puisse imaginer31 ». La commensalité ferroviaire y dérogeait-elle ? Les sources sont principalement les commentaires de presse, les opuscules édités à l’occasion et très rarement des comptes du traiteur. La matière est très lacunaire ou vernie par l’emphase.
15Certains banquets étaient offerts à l’arrivée du convoi, voire en cours de route. La ville de Thann présenta le déjeuner aux autorités à 9 heures, Mulhouse le dîner à 4 heures de l’après-midi. L’industriel alsacien annonça les préparatifs dès 11 heures sans détailler le menu32. On déjeuna à Arras le 14 juin 1846 à 10 heures et demie, plutôt bien. ÀAmiens ce fut beaucoup moins bien sans les pâtés de canard attendus. À Tours, 1200 convives se précipitèrent sous les tentes lorsque la pluie arrosa l’inauguration. Les tables étaient garnies de « mets succulents » et de « vins fins »33. Le journaliste relève 16 tables de 60 couverts. Où mangèrent les 240 autres non attablés ? En Touraine, le cercle des pourvus est exclusif.
16L’inauguration lilloise sollicita la maison Potel et Chabot, fondée en 1820, dont les 60 cuisiniers et 100 marmitons furent accueillis sous les huées des professionnels locaux peu honorés par cette concurrence. Les moyens étaient hors du commun, à la mesure des 28300 assiettes. L’orfèvre Christofle fabriqua spécialement une série de petites cuillers34. Une tonne de glace était prévue. Des fours de boulanger sortirent 3000 petits pains viennois et 180 kilos de pain de mie. Les journaux anglais reprirent le menu, que Le commerce rapporte également par une longue liste des mets servis à la table des princes35. Réglé selon les principes d’une table classique à la française en plusieurs services et conforme aux attentes gastronomiques du goût le plus officiel, le banquet d’inauguration du chemin de fer du Nord impressionna par sa similarité avec les dîners diplomatiques. De l’autre côté de la frontière, un banquet rassembla à Bruxelles 350 couverts avec un menu proche du festin lillois bien que moins prétentieux. Bruxelles mangeait sous l’influence française, mais plus simplement36.
17Le choix entre un restaurateur établi et un service de traiteur fut souvent arbitré par le nombre de convives. En 1840, Colmar préféra donner un banquet à l’hôtel des Deux-Clefs, servi à 200 personnes lors de l’inauguration du Strasbourg-Bâle37. Sept ans plus tard, la ligne du Havre à Rouen justifia seulement un lunch de 200 couverts dans les salons de l’hôtel Frascati, un établissement luxueux de 200 chambres ouvert en 1839. À Angers en 1849 comme au Mans en 1854, un traiteur réputé fut employé38. En Anjou, le banquet avait été prévu pour 500 couverts à 11 francs par tête, avec 10 maîtres d’hôtel. La maison Potel et Chabot compta : un potage à la Crécy, deux poissons (saumons et turbots), deux bouts de table (un Bayonne au malaga et un filet de bœuf garni), six entrées doubles (poulets à la Victoria, pains de foie gras, chauds froids en perdreaux), deux rôts (coquillages et cailles rôties), quatre melons, six entremets (diplomates, gelées d’ananas, artichaut à l’italienne, pois à la française), des desserts composés (fromages glacés, ananas frais, corbeilles de fruits, assiettes assorties de compotes, bonbons, fours, biscuits, fromages secs)39. La maison Chevet, une épicerie parisienne de grande notoriété en vogue sous l’Empire et la Restauration qui fournissait venaisons, pâtés, foies gras et denrées exotiques, officia dans la Sarthe. À l’inverse, en 1860 à Brive, c’est le restaurateur local Cotton qui prépara le banquet de 60 couverts, selon un service beaucoup plus simple, signe des évolutions culinaires comme de la notoriété moins importante de l’événement40. Trois ans plus tard à Quimper, une table de 50 convives avait droit à des quantités modestes et moins variées mais les vins servis assuraient tout de même une bouteille par personne41.
18Bien loin de ce registre protocolaire, le chemin de fer réunissait d’autres plans sociaux. L’offrande s’inscrivait dans une pratique coutumière. Ainsi 8000 kilos de pain blanc furent distribués aux indigents du Mans pendant les fêtes42. Le banquet offert aux ouvriers anglais qui achevaient le pont de Maisons sur la ligne de Paris à Rouen en avril 1843 incarne une autre commensalité43. Le repas de chantier manifesta l’appartenance à la communauté ferroviaire nouvelle sous la forme d’un bœuf rôti partagé entre 600 ouvriers, donné dans le parc du banquier Laffitte par l’entrepreneur anglais Jones, responsable de la première section de la ligne. L’illustration reproduisit un dessin lithographié présentant trois cuisiniers supposés connus - Gion de Paris, Poua de Belleville, Fiault de Poissy - arrosant la pièce de viande en marge du rôtisseur anglais qui tourne la broche, bouteille de vin en main. Image ambiguë entre maîtrise culinaire du rôtissage et caricature des perceptions nationales, l’année même durant laquelle Victoria rencontra Louis-Philippe à Eu pour établir une brève entente cordiale.
19Même si la majorité des inaugurations donna lieu à des festivités gastronomiques, de rares cas dévoilent un aspect différent. Des festivités réduites ont parfois remplacé le grandiose. Le chemin de fer de Troyes, la première ligne inaugurée après l’avènement de la Deuxième République, ne connut pas de solennités comparables aux manifestations précédentes. Le capital de la compagnie comme la situation politique ne s’y prêtaient pas. Le rédacteur d’un guide de cette ligne écrit en 1848 : « Il n’y eut ni banquet ni grande chère : on n’a pas voulu qu’un contraste pénible s’établît entre les besoins du pauvre et les satisfactions culinaires qui s’affichent en semblable occurrence44. » L’inauguration fut démocratique, sous forme d’un banquet populaire organisé en plein air au bord de l’Yonne.
L’envers du décor en voyage
20Différemment des banquets prévus lors des inaugurations, le quotidien des voyageurs posa bientôt d’autres problèmes. À la mise en place théâtrale d’un jour devait succéder la prise en compte d’un besoin permanent. Tandis que les habitués de la diligence pouvaient compter sur les itinéraires du postillon et la nécessité de ménager les chevaux aux relais routiers, les voyageurs du rail subissaient un parcours fixe sans interruption. Les commerces nourriciers, réglés sur le nombre réduit de mangeurs en déplacement, avaient à considérer les voyageurs ferroviaires d’une manière nouvelle. Il fallait les ravitailler aux bornes du parcours et éventuellement aux stations intermédiaires si l’arrêt du train le permettait.
21La question n’était pas secondaire. Les inaugurations officielles de lignes avaient mis en lumière la désorganisation en marge des cortèges dès lors qu’une foule importante réclamait à manger. Le premier transport officiel de Paris à Tours avait laissé pantois le restaurateur établi à Étampes, dévalisé par des notables et des pairs de France qui emportèrent, dans le quart d’heure, jambon, chocolat et vins de Bordeaux sans payer45. Deux mois plus tard, Le charivari notait que les suiveurs du chemin de fer du Nord comptèrent en vain sur les brioches et le punch, contraints de se rabattre sur le service d’un « estaminet borgne46 ». Quand le convoi revint de l’inauguration, des scènes inhabituelles frappèrent l’attention. À chaque station, écrit un journaliste, « on prenait d’assaut les cabarets, on s’emparait de vive force des provisions ». Mesure apparente du désordre, le beau-père de Thiers, le receveur général Dosne, fut aperçu « pain de maçon sous le bras47 ». Théophile Gautier vit juste : « Les villes ne sont pas encore prêtes à ces irruptions soudaines de hordes immenses jetées par un convoi, altérées, affamées, et n’ayant que dix minutes pour satisfaire à tous ces besoins48. » Celui qui passa d’une raillerie romantique à l’acceptation du chemin de fer49 posait clairement l’équation nouvelle : « L’art du restaurateur et de l’hôtelier devra subir de radicales modifications […]. Il faudra élever à deux pas des gares des réfectoires gigantesques desservis par une multitude de pages agiles50. »
22Le problème que l’on pourrait restreindre au caractère exceptionnel de l’ouverture de la ligne du Nord apparut autant avec les inaugurations plus modestes. Sur le Versailles rive droite, des remarques incisives du Commerce traduisaient en 1842 les bouleversements perçus : « Il ne nous reste plus à désirer qu’une chose, c’est que les restaurants de Versailles se mettent en mesure de recevoir la compagnie nombreuse qui va les visiter désormais ; c’est qu’ils aient des huîtres fraîches, du bon vin et d’abondantes provisions ; c’est, au moins, qu’ils ne laissent pas manquer les visiteurs du pain et qu’ils ne leur fassent pas payer un poulet étique au poids de l’or51. » Des innovations étaient explicitement demandées, comme le résuma le même journaliste : « Nous engageons l’administration du chemin de fer à accorder quelque attention au point de vue culinaire52. » L’arrivée du chemin de fer dans une ville changeait l’approvisionnement des commerces de bouche et le service des restaurants. Il affectait aussi les dispositions individuelles que chacun pouvait prendre. Les faims inassouvies justifiaient des adaptations décrites à l’égard d’un public de bourgeois voyageurs dans La mode : « Eh ! Mon Dieu, la veille de votre départ, dites dorénavant à votre maître d’hôtel, à votre valet de chambre, à votre bonne ou à votre portière, de vous tenir prêtes pour l’heure du départ, ou une croûte au pot, ou une tasse de chocolat, ou une soupe au café glacé53. »
Les contraintes nouvelles du voyage ferroviaire
23Les relais qui restauraient les passagers des routes s’intégraient dans le cœur des villes, aux carrefours et aux abords des ponts près des voies fluviales. Cette commodité assurait aux voyageurs une rupture limitée entre le temps du parcours et l’opportunité d’un gîte provisoire et d’un couvert54. À l’inverse, l’emplacement des premières gares imposa aux voyageurs une césure spatiale inhabituelle. Les débarcadères originels séparaient lieu de départ ou d’arrivée et centralité citadine.
24Une enquête systématisée à l’échelle européenne pourrait le démontrer, à l’instar des stations belges, les premières sur le continent. Celle d’Anvers était au-delà des fortifications et l’on ne pénétrait en ville qu’après avoir franchi une « poterne de la station » au bout de plusieurs centaines de mètres55. À Malines, chacun déplorait en 1835 de devoir traverser la ville pour trouver un hôtel ou un restaurant56. En France, le seul exemple de Paris indique la diversité des projets qui ont préfiguré la construction des gares, dans des quartiers en création, des friches, des réserves foncières, près de l’octroi. Bâties sur des terrains à moindre coût, les gares éloignaient les voyageurs des repères urbains anciens57. La situation n’était pas différente en province. À Arras, les deux emplacements prévus par la municipalité situent les projets hors de la ville à un kilomètre de la place principale58. Un rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du Loiret évoque en 1843 la situation de l’embarcadère d’Orléans à 300 mètres de la porte Bannier et remarque « cette issue de la ville ne présente pas de construction importante […] c’est pour les piétons surtout qu’il y a un grand avantage à raccourcir de 400 mètres l’espace à parcourir59 ».
25Charles Dickens a décrit ces quartiers de gare pas encore lotis. Le décor campé à Staggs Gardens laisse voir des lieux en mal de clients :
Une taverne toute neuve, dont les murs étaient encore humides et la peinture toute fraîche et qui n’avait pas le moindre vis-à-vis, avait pris pour enseigne « Aux armes du chemin de fer » […]. Le propriétaire espérait vendre à boire aux ouvriers. Le vieil établissement du « Jambon et du Bœuf » s’était transformé en « restaurant du Chemin de fer » et offrait chaque jour à ses habitués un rôti de porc frais60.
26Les règlements édictés pour accéder à la gare ou en sortir allongeaient également le temps du voyage. L’enregistrement des bagages et l’accès minuté aux quais augmentaient la présence à la station. Une fois le voyageur parvenu au bout du voyage, récupérer ses effets prenait encore du temps. Dès la mise en service du chemin de fer de Paris à Saint-Germain en 1837, il avait été précisé que les voyageurs « ne ser[aient] admis sur les quais qu’au moment des départs61 ». L’ordonnance royale du 15 novembre 1846 sur l’administration publique de police, de sûreté et d’exploitation des chemins de fer renforça l’encadrement des voyageurs et la surveillance des gares. Dans leur enceinte, le colportage fut interdit, sauf à disposer d’une autorisation expresse de la compagnie. Par souci de sécurité, d’économie de l’espace, de contrôle des mouvements de population ou d’ordre social, le voyageur ferroviaire devait accepter une moindre liberté qui enchâssait son voyage dans une mobilité fixée. Les instants dévolus à une restauration quelconque requéraient donc des dispositions nouvelles. À la régulation disciplinaire de cet espace interlope par l’État et ses représentants62, les compagnies devaient adjoindre leurs intérêts commerciaux et les voyageurs adapter des modes de vie à de nouvelles échelles spatiales.
Emporter ses provisions
27La pratique prudentielle du port de nourritures fut le premier des moyens pour se prémunir des incertitudes alimentaires. L’idée n’était pas originale. Depuis des siècles les provisions de bouche s’agrègent aux itinérances nomades63. La nécessité de préserver, de conditionner ou d’emballer son ravitaillement a d’ailleurs contribué à des innovations techniques qui sont un sujet en soi.
28Peu de sources renseignent les pratiques des premiers voyageurs en chemin de fer. Déjà prescrite dans le règlement des chemins de fer d’Alsace en 184164, reprise dans le règlement général des chemins de fer de 1846, l’entrée était interdite dans les voitures à toute personne en état d’ivresse ou chargée d’objets qui par leur nature, leur volume ou leur odeur, pourraient gêner ou incommoder les voyageurs. Autrement dit, ce sont des formes de dérangement sensoriel qui étaient redoutées, notamment par la confrontation d’usages sociaux trop différents. Plusieurs témoignages littéraires laissent penser pourtant que le voyageur s’affranchissait de cette règle pour emporter son repas. La prédilection gustative, la méfiance à l’égard de nourritures à acheter, le temps de halte trop court ou le prix des denrées l’expliquent. Des pratiques coutumières persistèrent. Pressé de rejoindre Ewelina Hanska en Ukraine, Balzac l’évoque pour son compte en 1847 :
L’affiche du chemin de fer du Nord disait vrai. On va comme une flèche de Paris à Cologne. J’avais emporté dans un petit panier très portatif du biscuit de mer, du café concentré, du sucre, une langue fourrée, et une petite bouteille clissée pleine d’anisette. Ceci constituait des provisions pour huit jours, sans autre besoin que de demander du lait65.
29Cette précaution était même conseillée dans des ouvrages consacrés à la pathologie des chemins de fer. Dans un guide publié en 1864, le docteur Decaisne invite les voyageurs à s’approvisionner d’aliments pour toute la durée du parcours, par exemple « emporter de sa cuisine des viandes mieux préparées que celles qu’on trouverait aux étalages des buffets66 ». Des conseils médicaux donnés dans les Physiologies des chemins de fer, dont l’usage devait rassurer le voyageur et inciter sa mobilité, marquent les réticences aux modifications comportementales que le chemin de fer introduisait dans les temps alimentaires67. Le même auteur écrit :
Il est prudent de se tenir en garde contre ces désirs immodérés de manger, et d’éviter le moindre excès, parce que la trépidation produit des effets désastreux chez les voyageurs novices […]. L’immobilité qu’on est contraint de garder dans les wagons, contrarie très souvent la digestion. Mieux vaut, dans ces circonstances exceptionnelles, ne pas satisfaire son appétit, que s’exposer à des perturbations qui peuvent engendrer des gastralgies68.
30En suivant ces préconisations, le voyageur serait rassuré.
31La nécessité d’une restauration en voyage s’avérait malgré tout indispensable. Les durées de parcours pouvaient recouvrir des heures consacrées d’ordinaire au déjeuner ou au dîner. Le service d’été du chemin de fer d’Orléans en donne l’idée en 185169. Le voyageur qui souhaitait rallier Poitiers au départ de Paris, partait de la capitale à 7 h 35, arrivait à Orléans trois heures plus tard et en repartait vingt-cinq minutes après ; ce n’est qu’au milieu de l’après-midi qu’il pouvait atteindre Tours, à 15 h 40, et après un court arrêt de dix minutes était rendu à Poitiers à 19 h 12. Au total, durant plus de onze heures, il n’aurait pu se nourrir qu’en expédiant un déjeuner de fortune à Orléans ou en saisissant un mauvais en-cas à Tours70. S’alimenter en voyage sur les parcours internationaux accroissait les complications. Un itinéraire de Paris à Berlin demandait 49 heures en 1849, une longue course jusqu’à Cracovie, 85 heures71. Rupture de charge, attentes répétées, livraison des malles, correspondances incertaines, la mobilité fluide n’était pas garantie. Le naturaliste Charles Darwin l’écrivait déjà à sa femme, Emma Wedgwood, en janvier 1839 : sans les sandwiches qu’elle lui avait préparés, il serait mort de faim entre Birmingham et Londres72.
La rupture des convenances alimentaires
32Si les provisions personnelles remplaçaient un service commercial, elles n’étaient qu’un pis-aller pour la majorité des voyageurs. Ce n’est pas tant la déploration de goûts affadis qui était visée que l’absence de moyens et plus encore l’inconfort des prises alimentaires en route. La fatigue spécifique associée au cahot mécanique du chemin de fer était perçue comme un trouble du voyageur73. Même les ingénieurs le disaient : « La fatigue qu’éprouvent les voyageurs lorsque la vitesse des trains devient trop grande est exacte et les cahots se font surtout sentir au passage des stations où il y a des aiguilles et des croisements74. »
33Comment n’aurait-il pas perturbé l’ingestion de quelques nourritures mal mâchées, englouties plutôt que digérées ? Il n’était pourtant pas rare auparavant que les voyageurs des diligences se chargent d’amples provisions d’aliments, transformant l’habitacle en restaurant ambulant. Mais l’inconfort pour manger se doubla d’une réticence comportementale. La nouvelle mobilité perturbait les habitudes bourgeoises formalisées au xixe siècle. La norme était la table bien mise et servie. Elle l’était d’ailleurs dans certaines auberges et hôtels où des postillons de diligences bien renseignés s’arrêtaient pour garantir des repas habilement composés des produits du lieu. Le chemin de fer modifia les habitudes dès lors qu’une combinaison de voyage réglée sur les heures intermédiaires d’un repas à l’autre était impossible, du fait de la distance ou de la vitesse réduite du convoi. Le temps de manger était articulé sur un mode de voyage qui ne permettait plus l’arrêt inopiné. Or, se munir de denrées ne prenait pas la même signification en fonction de la catégorie sociale du voyageur.
34Les gens modestes qui bénéficièrent de la démocratisation des tarifs ferroviaires au cours du siècle ne s’offusquaient pas d’une consommation hors du foyer qu’ils pratiquaient au travail, sur le champ ou dans une gargote. Mais pour un public bourgeois, la caricature du mangeur emportant ses mets dans le train devint un stéréotype. Transmis par la mémoire orale ou la diversité des représentations imagées, l’attitude trahissait le comportement populaire. Nombre de commentaires acerbes tracent la frontière des convenances et traitent l’autre avec condescendance. Le comportement du « Monsieur qui déjeune en wagon » suscitait en 1888 le propos ferme du journaliste Pierre Giffard, pionnier de la presse sportive, admirateur de la course cycliste et membre fondateur de l’Automobile club de France :
Pouah ! le sale !… Je l’ai en horreur ! C’est pour moi l’un des êtres les plus désagréables qui traversent la vie en chemin de fer. Par économie, il a emporté de quoi manger en route, soit un demi-poulet, soit un fragment de jambon enveloppé dans un papier blanc auquel la graisse a donné une huileuse transparence. Il a sa petite bouteille de vin, son verre, son pain de deux sous, son sel dans un cornet de papier, son poivre dans un autre cornet, le tout roulé par précaution dans une serviette qu’il va étaler sur ses genoux […]. Si vous croyez que votre présence le gêne, détrompez-vous. Il ne se doute pas qu’il est vilain à voir75.
35Manger dans le train équivalait à trahir sa condition sociale. Le voyageur aisé et éduqué n’emportait plus ses nourritures. Les manières du mangeur solitaire étaient réprouvées comme la rupture d’une norme collective et une offense sensorielle. Elles caractérisaient l’impolitesse de celui qui « va empuantir votre compartiment d’une odeur fadasse de boustifaille », souligne encore Giffard qui concluait sur l’incivilité de mœurs dépassées : « Déjeuner en wagon n’est plus de notre temps. » Le gros mangeur de saucisson à l’ail face aux autres voyageurs figura désormais le vulgaire comme un topos des narrations de voyage.
L’invention d’un service
36Dès 1837, le train de plaisir créa une opportunité commerciale. Le dimanche devint le jour par excellence du voyage d’agrément au point de représenter 25 % des déplacements76. Entre 1837 et 1843, six millions de voyageurs seraient partis de la gare Saint-Lazare pour satisfaire leur curiosité un jour ou l’autre77. Ce flux de voyageurs ouvrait un marché qui pouvait intéresser la profession des restaurateurs dont l’effectif s’accroissait78. L’ouverture des buffets s’est insérée dans cette dynamique économique.
37Plusieurs témoignages étrangers présentent la forme sommaire des débuts. La ligne ouverte en 1831 entre Garnkirk et Glasgow pour convoyer le charbon mobilisa aussi des voyageurs. Un aubergiste proposa un large choix de vins et de bières aux visiteurs pour attendre le train de retour79. Un peu plus tard, Wolverton, près de Birmingham, est cité comme l’un des premiers buffets anglais au débit extraordinaire :
Une personne entreprenante qui possédait une petite parcelle de terre attenante à la station, avait construit dessus une petite cabane en bois, où, en hiver, le propriétaire distribuait du vin de sureau chaud et des morceaux de pain grillé aux voyageurs frissonnants, et en été, du thé, du café, et des bières fermentées au gingembre à l’authentique mode ancienne. C’était la seule salle de rafraîchissements ouverte sur la ligne et les gens qui fréquentait la cabane réclamaient bruyamment des denrées80.
38En 1841, un voyageur américain mentionne au même lieu les Banbury cakes81, les verres de Sherry et les parts de pork pies82. Quelques années plus tard, l’établissement a changé d’échelle, il compte vingt employés et il s’y vend à l’année 182500 Banbury cakes, 29000 pâtés, 16000 quarts de lait, plus de 3000 flacons de rhum, gin ou brandy83… Les buffets innovèrent pour répondre aux demandes croissantes. À Swindon, le Great Western Railway utilisa un percolateur à café dès 184184. Wolverton fut le premier en Europe à proposer un bar et un comptoir. En Belgique, le buffet de Malines illustre d’une autre manière l’intérêt commercial qui se fit jour. La Chambre des représentants fut saisie en 1844 d’une plainte des restaurateurs de la ville opposés à l’extension du restaurant de la station selon cet argument : « Permettre qu’on y serve des mets chauds : si on le tolérait, le gouvernement viendrait faire une concurrence redoutable aux pétitionnaires qui n’ont déjà que trop perdu par l’établissement du chemin de fer85. » Aux États-Unis, Fred Harvey lança une affaire de première importance en 185586. Sur le chemin de fer de New York à Buffalo, une carte d’objets de consommation était délivrée aux passagers, les renseignant sur les différents mets préparés aux stations intermédiaires. Le client trouvait ses choix servis à son arrivée au buffet averti par le télégraphe pour le déjeuner87. Les racines des buffets de gare sont internationales.
Le modèle d’affermage
39L’étymologie du terme « buffet » rappelle ce qu’étaient les établissements ferroviaires à leurs débuts. Un présentoir, couvert de plats et de contenants appropriés, où l’on disposait des denrées froides plutôt rustiques, installé dans une salle de dimensions variables, apparenté à un office. Différente du buffet de cérémonie où les mets sont offerts, la table présentait les plats proposés et leur prix sans besoin de renseigner longuement des voyageurs pressés. Prolongation linguistique du meuble, crédence ou bahut, à la fois entrepôt ostentatoire de la vaisselle et garde-manger, le buffet de gare entra dans le langage des voyageurs dès le milieu du siècle par une filiation séculaire88.
40Le premier établissement signalé en France fut le Grand Courrier d’Étampes. Le buffet devint une étape gastronomique selon les premiers guides destinés aux voyageurs de Paris à Orléans89. Une lithographie en reproduit l’attrait séparant la dizaine de voyageurs qui organisaient leur pique-nique des autres, plus nombreux, qui se dirigeaient vers le buffet90. Le Journal des chemins de fer releva son ouverture en septembre 1843 :
Toujours prêt, toujours garni, sur lequel un ancien artiste culinaire du café de Paris, offre aux voyageurs des pâtisseries délicieuses, et surtout des petits babas glacés. On dira bien certainement les babas glacés d’Étampes, comme on dit les babas de Sturmer [sic]91, les gâteaux de Pithiviers, les biscuits de Mennecy. Le public a goûté cette importation anglaise, ce court temps d’arrêt était nécessaire ; il permet de compléter un déjeuner pris à la hâte ; il coupe agréablement le voyage92.
41Le texte souligne tous les vecteurs de réussite des buffets qui allaient s’affirmer : assurance alimentaire, vente de spécialités locales, commodités du voyage. Les cantiniers ont vite compris le profit à tirer d’établissements qui ne seraient pas hors de la station mais dans la gare, donnant sur les quais, à même le flux des passagers.
42Les compagnies entrèrent dans cette relation par le système des concessions. Elles livraient les buffets à des entrepreneurs par un fermage qui devait garantir un versement annuel à l’exploitation ferroviaire. D’entrée, elles usèrent de cette faculté de déléguer un service qui n’était pas leur métier mais sur lequel elles souhaitaient garder une emprise. Celle-ci était autant foncière, par l’inclusion des buffets dans le domaine de la gare les soumettant de fait aux règlements et lois concernant cet espace, que commerciale, par une surveillance contractuelle des prestations servies aux voyageurs. Si des modalités spécifiques pouvaient être incluses par chaque compagnie, l’esprit général des concessions indique la dépendance du buffetier vis-à-vis de la compagnie ferroviaire.
43Son service était d’abord déterminé par des horaires qu’il ne choisissait pas. Le preneur du bail s’engageait à tenir le local garni et pourvu du mobilier nécessaire. Il devait entretenir les lieux et les améliorer sans indemnités puisqu’ils restaient propriété de la compagnie en fin de bail. Il était stipulé que le buffet n’était accessible qu’aux voyageurs, sans accès depuis l’extérieur. Le buffetier devait garantir « des aliments frais de première qualité93 » et se conformer aux prescriptions d’affichage des prix sous forme d’un tableau imprimé. La durée des baux variait de plusieurs années à une seule lorsqu’il s’agissait d’un renouvellement. Les chemins de fer de l’Est stipulèrent que les comestibles non conformes aux échantillons cachetés déposés auprès du chef de gare pourraient être retirés de la vente94. Dans certaines concessions, la liberté d’entreprendre paraît très contrainte. À Tours, l’ingénieur des Mines en charge du contrôle du chemin de fer d’Orléans souhaitait interdire au buffetier de placer tables, chaises, étalages sur les trottoirs de la gare et il ne devait porter aucune boisson aux voyageurs dans les wagons ou sur les quais. L’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées tempéra cet excès de prudence en soulignant qu’il pouvait se présenter des cas où le voyageur ne pourrait descendre de voiture, trouvant avantage à ce que des rafraîchissements lui soient livrés95. Cela n’autorisait pas pour autant le buffetier à dilater son espace commercial. La Compagnie du Midi opta pour une réglementation semblable en 186096. Il fallut attendre 1874 pour qu’une décision du ministre des Travaux publics autorise enfin les buffetiers à opérer sur l’ensemble du périmètre de la gare. Tout le personnel restait sous la surveillance et l’autorité des agents de la compagnie97.
44Un registre de réclamations était normalement à disposition des voyageurs auprès de chaque chef de gare. Cette source majeure pour approcher les comportements, a hélas quasiment disparu. Il était stipulé sur le chemin de fer du Nord que « les Voyageurs qui ont des plaintes ou des réclamations à faire contre le service du buffet sont invités à les adresser immédiatement au Chef de gare98 ». La création d’un environnement marquant les distinctions sociales devait y parer en partie. L’organisation du buffet de Lille prévoyait dès 1846 que le buffet serait double, partagé entre premières et deuxièmes classes d’un côté et troisièmes classes de l’autre. Plus généralement, il y avait un buffet réservé aux hôtes de marque ou aux premières classes et une autre salle ou une buvette destinées aux autres voyageurs. À la station de Spa, les chemins de fer de l’Est exigeaient en 1870 que la salle d’attente de première classe attenante au buffet soit pourvue de glaces et de tapisseries de premier choix.
45Les premiers baux engagés par la Compagnie du chemin de fer du Nord furent signés à Pontoise en août 1847 puis à Amiens deux mois plus tard. En 1848, ceux de Creil, Albert, Arras, Valenciennes et Lille avaient ouvert. La tête du réseau pour accueillir les voyageurs britanniques eut son buffet à Calais en 1850. L’accord n’était pas systématique. À la demande d’un ancien employé de la compagnie devenu marchand de vins en gros, le directeur Jules Petiet répond sans détour en 1860 : « Un buffet serait tout à fait inutile à Lens99. » La même année d’autres considérations avaient prévalu pour accepter l’ouverture d’une buvette dans une autre gare. L’ingénieur estima :
depuis que Maubeuge est devenue gare de bifurcation et surtout depuis l’installation du service de Bruxelles par la ligne de Mons, on a pu reconnaître l’utilité d’y établir une buvette. Il arrive souvent que les voyageurs après un long trajet y séjournent plus d’un quart d’heure et il faut parcourir 1500 mètres pour trouver à se rafraîchir100.
46La rentabilité de l’établissement l’emportait sur tout. Elle déterminait le montant des loyers affermés et elle suscitait des ajustements lors des révisions. Ce fut le cas aussi bien pour les concessionnaires qui pouvaient surestimer le chiffre d’affaires attendu afin de garantir le bail que pour la compagnie qui exerçait un droit de regard sur les prestations et voulait accroître son fermage ou infléchir le service. Dès 1850, les profits envisagés par plusieurs buffetiers furent inférieurs aux estimations. Il fallut réduire les baux dans des proportions variables allant jusqu’à 25 % de baisse, au cours d’une période marquée il est vrai par une crise économique. Sur les 15 buffets du Nord, les fermages variaient en 1860 de 150 francs par an au buffet d’Albert à 12000 francs à Creil et Amiens101. Le niveau de ces fermages plaçait les buffets de gare dans les moyennes que l’on observait vingt ans auparavant dans les baux de restaurants à Paris102. Les compagnies trouvaient leur intérêt financier dans l’ouverture de nouveaux buffets. Mais le rapport moyen n’était pas toujours croissant. Avec 10 buffets en 1850 et 24 en 1880, le Chemin de fer du Nord obtenait 4357 francs en moyenne en 1850 et 3692 francs en 1880103.
Devenir buffetier : une opportunité liée aux mobilités
47Le buffetier s’assimilait au vendeur de boissons. La corporation des vinaigriers avait porté le titre de buffetiers ou beuvetiers, autorisés à donner à boire l’eau-de-vie distillée pour la fabrication du vinaigre dans leur boutique104. La typologie qui se dégage des contrats de concession des buffets ouverts dans les trente premières années du chemin de fer confirme que la majorité des concessionnaires étaient déjà familiers des métiers de bouche. Lorsque le premier buffet de Dijon ouvre en 1851, il donne à manger aux ouvriers italiens chargés du chantier de la voie et distribue du chassagne105 ! Les administrateurs de la Compagnie du Lyon-Méditerranée reçoivent en 1854 la proposition du restaurateur Campé déjà établi à Avignon pour prendre le buffet en charge106. Sur ses lignes au-delà de la frontière française, la Compagnie des chemins de fer de l’Est signe avec un pâtissier-confiseur à Spa en 1870 et un aubergiste à Bettembourg en 1865. Plus rarement, le preneur exerçait une autre profession et endossait le contrat comme commanditaire. C’est le cas en 1866, lorsque le directeur de la société d’assurances parisienne La Paternelle obtient le buffet d’Ettelbrück comme un négociant celui de Wasserbillig107. Les femmes détentrices d’un bail ne sont pas rares, ainsi que l’atteste la liste des affermages du Chemin de fer du Nord où l’on en compte six, représentant 60 % du montant des loyers affermés108. Une autre caractéristique indique la position avantageuse qui découla peu à peu des fermages négociables. À l’occasion d’un renouvellement, la transmission de l’affaire à un membre de la famille entra dans les pratiques. Les buffets ont ainsi engendré un double phénomène d’endogamie professionnelle et de dynamiques sociales. En 1860, quatre buffets étaient déjà aux mains de la même famille parmi les quinze du réseau du Nord109. Certains buffetiers développèrent une carrière de restaurateur en passant d’une gare à une autre, au rythme des baux à reprendre ou d’un volume d’affaires escompté. La rotation rapide des concessionnaires apparaît plus d’une fois.
48La clientèle potentielle ne cessa de croître. En 1841, 6 millions de voyageurs étaient transportés ; ils furent 94 millions en 1871. Lors de l’Exposition universelle de 1855, 4 millions de voyageurs empruntèrent le chemin de fer pour arriver à Paris110. Le rapport financier des buffets était cependant très inégal. La réussite de certains établissements masquait les difficultés d’autres haltes alimentaires. Le buffet d’Arras connut par exemple une situation très instable dans les difficiles années 1848-1850111. En deux ans et demi d’exploitation le rapport s’éleva à 24000 francs, soit une moyenne théorique de 775 francs par mois, et au plus haut à 1608 francs en juillet 1849. La comparaison montre à Valenciennes un chiffre d’affaires double. Les charges pouvaient faire l’objet d’aménagements circonstanciels mais pas toujours en faveur du buffetier. Lorsque celui de Tergnier demande la fourniture de 70 chaises, le chef du service du Domaine hésite entre une obligation qui semble incomber au locataire pour meubler le buffet et une règle à établir sur l’entretien de ces mobiliers112. Quand la locataire du buffet de Beauvais demande à titre exceptionnel des livraisons de charbon gratuites à l’automne 1876, la compagnie concède le combustible pour le chauffage des lieux mais laisse à sa charge le charbon nécessaire aux fourneaux de cuisine113.
49Plusieurs risques pesaient sur l’exploitation des buffets. Des aménagements ou des rénovations imposaient des dépenses régulières qui n’étaient pas toujours prises en compte lors d’un renouvellement de bail. La qualité des mets fut reconnue au fil des inspections comme un facteur déterminant du maintien d’un buffetier. Les plaintes émises à l’encontre de certains rendaient la reconduction du bail plus difficile. En 1869, le directeur du Chemin de fer du Nord rappela que les voyageurs devaient disposer de produits de première qualité après que des buffets eurent subi des plaintes sur la qualité des denrées114. Mais le succès était surtout lié au flux de voyageurs. Les changements de circulation ou d’horaires apparaissent donc très tôt comme des éléments à considérer par les buffetiers. Ils justifiaient des négociations qui furent rarement au désavantage des compagnies. Voici le cas de Creil. Les locataires du buffet réclament contre le préjudice que causent les modifications de circulation des trains. Sur neuf trains qui marquaient l’arrêt à Creil en 1859, un seul - l’omnibus Amiens-Paris - restait vingt minutes en gare, trois trains restaient dix minutes, un sept minutes et trois autres moins de quatre minutes. Les changements de 1860 portent tous les trains sous les quatre minutes de stationnement. Le directeur estimait que pour une station située à moins d’une heure de Paris « il n’y a pas lieu de faire stationner 10 minutes à Creil les trains express dont la durée du trajet doit être abrégée autant que possible115 ». L’optimum recherché de vitesse qui était une caractéristique du réseau du Nord, interdisait de privilégier un buffet marginal pour un voyageur en route vers Calais ou Cologne. Vu du buffet, c’était pourtant cette clientèle de voyageurs internationaux qui était la plus rentable. Elle parcourait plus de kilomètres que les autres voyageurs, sollicitant plus de prestations116. À la fin du Second Empire, le buffet d’Arras perdit aussi de la clientèle lorsque le stationnement des trains express cessa du fait d’un itinéraire nouveau vers Boulogne et Calais.
S’approvisionner ou s’attabler ?
50Grâce aux tarifs de vente, il est possible de se faire une idée assez fidèle des denrées proposées au milieu du siècle117. Les mets se divisaient en sept catégories sur le réseau d’Orléans en 1854 et en dix sur le Nord en 1857, présentées sous forme de carte, semblable à celle que les restaurants adoptaient pour annoncer les prix fixes distincts des menus118 : pains, potages, hors-d’œuvre, charcuteries, pâtés, rôts, grillés, légumes, pâtisserie, fromages et fruits. La variété était limitée mais proche de celle proposée par les buffets référencés dans les ouvrages culinaires119. Les portions tarifées étaient précisément différenciées : quatre tranches de saucisson, deux sardines, un demi-pied de cochon, deux biscuits de Reims. On débitait la volaille à l’aile ou à la cuisse, en quart ou en demi. En fin de compte, l’offre était familière à un public bourgeois qui retrouvait les éléments de sa table dans une forme simplifiée au buffet.
51L’ampleur de la carte valorisait la variété d’un choix de circonstances. Ainsi sur le Nord des formes de sandwiches sous l’appellation de pain fourré de jambon, de hure, de galantine se rangeaient à côté de plus simples pain beurré, pain viennois, petit pain ou petit pain de luxe. De même les options charcutières pouvaient être prises entre le cervelas, la hure de sanglier, la galantine de volaille, la langue fumée, la langue de bœuf, le jambon fumé. Des préparations connues comme les hures faites à la façon de Mayence, Troyes ou Reims côtoyaient des compositions culinaires plus compliquées comme les galantines de volaille et les plats de viande froide parée de gelée. L’approvisionnement du buffet ne mettait pas encore en avant des denrées locales mais d’évidence, une part des nourritures venait des commerces et artisanats de bouche de la ville lorsqu’ils n’étaient pas préparés dans l’établissement. Les volailles grasses vendues sur l’Orléans ou les bondons du pays de Bray vendus sur le Nord comme les rognons en brochette, l’andouillette, le genièvre, le pâté de lièvre entraient facilement dans un ravitaillement proche120. La restauration à la part s’approchait plus du lunch ou d’un thé à l’anglaise, tel que le présente Briffaut dans Paris à table. L’avantage était leur portabilité. Aux stations du Chemin de fer du Nord, très lié par une partie de sa clientèle aux usages britanniques, la formule pouvait plaire. La forme du lunch était entrée dans les usages alimentaires en Grande-Bretagne. Mais lorsqu’il évoque « ces repas intermédiaires », Briffault souligne que la collation sied surtout aux « femmes de trente ans et aux vieux dandys… pour se donner un air d’estomac adolescent »121.
52L’offre de boissons se répartissait entre une sélection de vins (13 sur le Nord et 20 sur le Paris-Orléans dans les années 1850), les cafés, les thés, le chocolat, servis avec ou sans pain et beurre, les liqueurs. Des rafraîchissements différents étaient composés de sirops, de vin chaud, de grog, de punch, de limonade gazeuse, d’eau de Seltz et de plusieurs types de bières. Le buffet de Saint-Quentin proposait en 1857 dix vins de Bordeaux et douze vins de Bourgogne. Les prix pouvaient atteindre 8 francs la bouteille pour les châteaux bordelais et les clos-vougeot122.
53La recherche de l’optimum économique incita les différents réseaux à développer leurs propres formules de restauration. Néanmoins, après quelques années, une convergence des pratiques s’imposa, associant la formule des denrées à quérir rapidement et la mise en scène d’une table plus conforme aux pratiques bourgeoises. Un rapport du Chemin de fer du Nord suggère ainsi en 1856 que
sur la plupart des grandes lignes et notamment sur celles de l’Est et de Lyon, les buffets des principales gares ont des tables d’hôte servies, soit pour déjeuner, soit pour dîner, au moment de l’arrivée des trains dont la durée de stationnement a été réglée en conséquence. Les voyageurs sont généralement très satisfaits de cette innovation et les buffetiers y trouvent également leur profit […] Il serait utile d’introduire la même amélioration sur la ligne du Nord et d’engager les buffetiers à en faire l’essai pour les trains dont l’arrêt est de 20 minutes au moins123.
54Sur le réseau d’Orléans, la table d’hôte apparaissait également. Le modèle anglais du buffet que le Chemin de fer du Nord avait copié sous forme de provisions légères, proche de nos formules actuelles de « prêt-à-emporter », ne correspondait pas assez aux désirs des voyageurs. La pratique coutumière de la table d’hôte semblait plus conforme. Non que celle-ci eût été classée au sommet de la hiérarchie dînatoire. Ses nourritures étaient en général perçues par la représentation d’un bœuf bouilli de trois jours et la profusion d’arlequins. Mais sa disposition n’était pas toujours déplorée. Certains redoutaient la promiscuité imposée et les conversations obligées. D’autres voyaient surtout l’occasion de rencontres, d’informations, d’une faculté de manger assis avec un couvert mis.
55Au milieu du siècle, un ouvrage destiné à promouvoir les trains de plaisir relevait que les buffets de la ligne de Lyon étaient « mieux garnis […] et les pavillons plus gracieux124 ». Mark Twain le nota également dans un de ses récits, publié en 1869. Il compare ironique, les cinq minutes offertes au buffet en Amérique et plein de considération, les trente minutes pour dîner à table d’hôte au buffet de Dijon125. Plus qu’une simple émotion de touriste, la mention relevait une vraie différence d’habitudes alimentaires nationales. L’homogénéisation des services pour faire des buffets des tables et non seulement des comptoirs portait des conséquences multiples. Cela supposait des horaires compatibles avec les habitudes prandiales, l’alignement des prestations alimentaires des buffets sur les pratiques urbaines, l’évolution des stratégies commerciales qui combinent le voyage et les services associés pour en faire un atout de l’exploitation ferroviaire. Voyageant en chemin de fer en lisière des coteaux d’Ay en Champagne, Victor Duruy suggérait dans un de ses récits l’attraction des réputations alimentaires :
Je me rappelle avoir vu quantité de petites bouteilles au bouchon d’argent qui, à certaine table, se vidaient lentement. Des Anglais étaient là. Le Guide leur avait dit ce qu’il fallait faire à cette station et ils le faisaient ! […] Je suis sûr qu’à Strasbourg, à cette heure, leur table est servie de jambon, de pâté de foie gras et de vin du Rhin126.
56Progressivement, une nouvelle distinction s’est établie entre la halte rapide relevant d’une buvette et la vraie pause alimentaire, dédiée au buffet. Le guide Chaix de 1854 dénombrait treize buffets sur la ligne d’Orléans, neuf sur le Nord, deux sur le Paris-Rouen, cinq sur la ligne de Lyon, neuf sur le réseau de l’Est, un sur la ligne de l’Ouest127. Seules les compagnies de Lyon et de l’Est avaient ouvert un buffet à Paris. Au total, 39 buffets ponctuaient les 4348 kilomètres du réseau ferroviaire, soit un buffet pour 111 kilomètres. Mais d’une ligne à l’autre la densité était inégale, allant d’un pour 69 kilomètres sur le Paris-Rouen à un pour 151 kilomètres sur l’Ouest. En marge des buffets, des formes de restaurations plus légères formaient une alternative. La buvette apparaissait comme « le buffet des habitants des troisièmes classes : elle ressemble assez à la boutique d’un marchand de vins128 ». À la fin du Second Empire, le voyageur pouvait aussi se ravitailler auprès de la Société des bazars des chemins de fer que plusieurs compagnies avaient autorisées à placer des vitrines dans certaines stations. Il y achetait des journaux, des gâteaux, des fruits et quelques rafraîchissements, servis par des vendeuses129.
57Quel que soit le choix, la restauration ferroviaire souleva pourtant d’emblée des critiques ciblées. Les tarifs pratiqués parurent exorbitants. Sur le réseau d’Orléans, le déjeuner coûtait 2,50 francs et le dîner, 3 francs en 1854. Ce n’était pas très différent des repas de ville. En revanche, le prix des produits à l’unité pouvait sembler cher. Le ministre Rouher considéra que « les objets de consommation sont tarifés à des prix tellement élevés que ces objets sont par leur cherté excessive, interdits à la plus grande partie des voyageurs130 ». Pourtant, sur le Nord, le prix des pains allait de 10 à 60 centimes, les potages coûtaient 50 centimes, la plus chère des charcuteries était vendue 75 centimes, la choppe de bière de Strasbourg valait 30 centimes131. Mais entre buffets, les écarts étaient parfois importants : plus du triple pour un poulet rôti entre l’Orléans et le Nord.
58Les différences se réduisirent par un alignement des réseaux les uns sur les autres ou par la prise en compte des variables économiques locales. Le Chemin de fer du Midi prévoyait un tarif du pain et du vin vendus dans les buvettes au prix de la localité majoré de 25 %. Des mesures de vin et des balances à pain devaient garantir l’honnêteté marchande132. Pour contrer les doléances, les compagnies adoptèrent des réglementations destinées à informer le client de manière claire. Dès 1857 sur le réseau du Nord, la décision fut prise de faire afficher dans les buffets un système de carte imprimée et timbrée recensant les produits et les prix sous le contrôle du chef de gare133. L’idée ne fut guère suivie spontanément par les buffetiers. Deux ans plus tard, une inspection révélait qu’aucun des buffets n’avait disposé ces tarifs sur les tables et que quelques-uns seulement avaient placardé les prix dans la salle134. Les buffetiers des premières décennies avaient un avantage. L’absence de concurrence, liée à la position géographique éloignée du centre de la ville, rendait l’offre maîtresse de la demande.
59Une représentation surtout stigmatisa le service des buffets : le temps trop court pour manger. Dès 1843, le Journal des chemins de fer relevait un paradoxe :
si nous devons mettre trois fois moins de temps en route, raison de plus pour nous laisser respirer trois fois plus longtemps. Il est souverainement injuste de traiter de la même manière l’homme qui n’est pas pressé et l’homme qui consent à escompter son existence135.
60L’idée fut reprise au point d’en devenir une caricature sinon un stéréotype. Daumier, l’un des premiers, en livra le dessin pinçant au Charivari, avec un très ironique instantané de Voyageurs affamés se précipitant vers le buffet d’une station136 où le compotier posé sur le présentoir devient la cible d’une foule gesticulante. Déclarée gagnante, la voyageuse acariâtre qui s’empare d’une pomme tout en marchant sur un marmot aplati, écartant magistrat et bourgeois à haut-de-forme, tourneboulés par la bousculade affolante. Cham saisit l’instant avec la même pointe. Le voyageur qui emporte son couvert répond au garçon de restaurant qui le hèle : « Je n’ai pas eu le temps de manger mon dîner, je vais l’achever dans la voiture, je vous rendrai votre assiette et votre fourchette à mon retour137. » Sur le mode de la chansonnette populaire, un couplet traduit la même précipitation et les vingt minutes trop courtes, une scène mémorisée tard dans le siècle :
Je descends du fourgon et je vas demander une soupe au fromage. On me fait attendre un grand moment, pis on m’apporte une soupe bouillante, je tâte all’me brûle la langue, je souffle dessus !… Tout le monde y z’avalaient comme des ogres ! pan ! on crie que le train va partir ! Les voyageurs fourrent dans leurs poches leur pain, leurs saucisses, leurs pâtés !… Dam, j’aurais ben voulu y fourrer ma soupe138 !
61Cette litanie de critiques s’est instaurée dès les premières décennies des buffets. En 1858, Eugène Delattre déplore que le temps déjà court soit bien souvent réduit, trois minutes avant d’avoir son plat, cinq minutes pour repartir dans la voiture. Le docteur Decaisne rappelle que « peu de personnes s’habituent ainsi à manger à la hâte139 ». Édouard Siebecker, auteur d’une Physiologie des chemins de fer, note de son côté à la fin du Second Empire : « N’essayez jamais de faire ce qu’on est convenu d’appeler un bon dîner dans un buffet […] vous courez le risque, non seulement de ne pas finir de dîner, mais encore de payer fort cher140. » Un guide réputé comme le Baedeker n’annonce rien de différent en informant ainsi ses lecteurs :
Il n’y a de buffets qu’aux stations principales, et l’on n’a pas toujours le temps de s’y restaurer ou de s’y rafraîchir tranquillement. Pour cette raison, et aussi parce qu’ils sont habituellement chers et souvent médiocres, on fera bien de se munir de provisions ou du moins de s’arranger de façon à ne pas être obligé d’y prendre ses principaux repas141.
62L’arrêt court des trains se justifiait en fonction de considérations techniques et commerciales précises. Selon la catégorie du train de voyageurs - express, direct, omnibus, semi-direct -, les vitesses de marche variaient sur les différents réseaux en fonction du profil des lignes, de l’existence de rampes plus ou moins fortes, de courbes plus ou moins accentuées. Les vitesses variaient également par le choix des locomotives et la quantité de charbon emportée déterminant les arrêts nécessaires à la recharge en eau ou en charbon. En 1863, les trains de voyageurs express pouvaient atteindre au mieux 73 kilomètres par heure (sur le Nord) mais la moyenne des réseaux s’établissait plutôt entre 59 et 65 kilomètres142. Le cas des trains omnibus donne une autre mesure, celle de l’écart entre la vitesse à pleine marche - identifiée comme la vitesse commerciale - jusqu’à 50 kilomètres par heure et la vitesse effective en tenant compte des différentes causes susceptibles d’allonger la durée du parcours, beaucoup plus proche de 30 kilomètres par heure143. Les arrêts aux stations comprenaient le service de la machine, la visite du train, le service des voyageurs et leurs bagages, le contrôle de billets. Au total, le temps à l’arrêt ajoutait plusieurs dizaines de minutes sur un parcours. Le train express de Paris à Strasbourg consacrait ainsi 2 heures et 52 minutes à ces arrêts sur un trajet qui durait 11 heures et 40 minutes en 1863. Les arrêts à 19 stations représentaient 56 % des interruptions de la mobilité contre 34 % liés aux pertes et reprises de vitesse et 10 % en ralentissements ; de Bordeaux à Sète, le temps perdu comptait pour 29 % du voyage, de Paris à Calais, 21 %. Les retards s’ajoutaient à ces entraves. Sur le Paris-Orléans, 16 % des trains dépassaient l’heure prévue en 1861 ; sur le PLM, 3 % des trains accusaient des retards supérieurs à la demi-heure. Toutes ces mesures ne concernaient que les trains express. Sur les omnibus, le cumul des pertes de temps hachait la fluidité du voyage. De Paris à Orléans, le temps de parcours accusait 36 % de pertes quand de Paris à Boulogne, le voyageur n’abandonnait que 25 % de son temps malgré un nombre d’arrêts identique à 22 stations. On perdait moins son temps en allant vers le Nord qu’en partant vers les bords de Loire. Les buffets pouvaient paraître une gêne supplémentaire. Sur les omnibus de l’Ouest, ils participaient à 69 % des minutes perdues.
63La différence était tout de même considérable avec les diligences. Un trajet de Paris à Strasbourg par la route supposait encore en 1833 23 relais et cinq repas144. Pourtant, une courte restauration en voyage existait aussi avec les diligences routières, parfois immobilisées au cri de « Twenty minutes here, gentlemen145 ». Le repas pris rapidement était un facteur d’amélioration des performances des messageries. Quand il fallait se plier aux exigences d’un cocher pour avaler un repas incomplet très cher, les habitués savaient manger vite et emporter le dessert dans la poche146. La vitesse - et donc la concurrence - invitait déjà à limiter les itinéraires trop gyrovagues et ralentis par la table147.
64La pause semblait finalement une contrainte dans une mobilité fondée sur la vitesse de déplacement. Mais à la diversité des voyageurs répondait la diversité des habitudes alimentaires. La durée d’un repas n’était beaucoup plus longue qu’à la table de la bourgeoisie ou dans un moment gastronomique. Elle ne l’était pas dans la césure alimentaire des catégories populaires au travail148. La corrélation du temps de manger inversement proportionnelle aux revenus et à la position sociale laisse penser que les vingt minutes d’arrêt au buffet décriées par les témoignages littéraires signifiaient la perception d’un déclassement social plutôt qu’une crainte nutritionnelle. Cette sensibilité n’était pas nouvelle. Louis-Sébastien Mercier évoque à la fin du xviiie siècle les cuisines publiques qui rassemblent les pauvres sur le pont au Change : « l’un boit ses lentilles sans les mâcher, l’autre avale chaque hareng d’une bouchée, sans s’inquiéter des arêtes149 ».
65Si le temps paraissait trop court aux voyageurs du rail, c’est également parce qu’il n’annonçait pas la fin du voyage et ses inconforts. L’arrêt n’était qu’une liberté provisoire. Le voyageur avait à craindre que le train ne reparte sans lui. Une réglementation fut d’ailleurs introduite pour annoncer aux buffets l’imminence du départ par deux sons de cloche et un appel à haute voix, cinq minutes avant la mise en mouvement150. Certains buffetiers expérimentés innovèrent pour assurer les mobilités. Sur le réseau de l’Est, un employé s’informait au départ de Paris de ceux qui comptaient déjeuner à Épernay et en télégraphiait le nombre au restaurateur. À l’arrivée, les voyageurs devaient trouver leur repas prêt et chaud151. Mangeons vite.
Notes de bas de page
1 L.-M. Jouffroy, La ligne de Paris à la frontière d’Allemagne (1825-1852), Paris, J. Barreau, 1932, t. 1, p. 29.
2 G. Arbelot, B. Lepetit, J. Bertrand, Atlas de la Révolution française, Paris, EHESS, 1987, t. 1, p. 17.
3 V. Denis, « Comment la Révolution française a inventé la mobilité », dans M. Flonneau, L. Laborie, A. Passalacqua (dir.), Les transports de la démocratie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 36.
4 O. Reichard, Le guide des voyageurs en Europe, 1793, t. 1, p. 72-78.
5 L’expression est utilisée par Daniel Roche dans Les circulations dans l’Europe moderne, xviiie-xxe siècle, Paris, Pluriel, 2011.
6 J.-M. Goulemot, P. Lidsky, D. Masseau, Le voyage en France, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 519.
7 Ibid., p. 326.
8 Stendhal, Mémoires d’un touriste, Imprimerie F. Locquin, 1838, t. 1, p. 386.
9 J.-M. Goulemot, P. Lidsky, D. Masseau, Le voyage en France, op. cit., p. 427.
10 M.-S. Vergeade, « Un aspect du voyage en chemin de fer : le voyage d’agrément sur le réseau de l’Ouest des années 1830 aux années 1880 », Histoire, économie et société, 9, 1990/1, p. 113-134.
11 Le Journal des débats, 25 août 1837, p. 2.
12 Larousse gastronomique, Paris, 1938, p. 834.
13 J.-P. Aron, Essai sur la sensibilité alimentaire à Paris au xixe siècle, Paris, Armand Colin, 1967 ; M. de Ferrière le Vayer, J.-P. Williot (dir.), La pomme de terre de la Renaissance au xxie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
14 J. Rebière, Notice historique, statistique et biographique sur Saint-Germain-en-Laye, précédée de l’itinéraire par le chemin de fer, Paris, s. n., 1838, p. 83.
15 F. Caron, Histoire des chemins de fer en France, t. 1, 1740-1883, Paris, Fayard, 1997, p. 621.
16 Discours de Louis-Napoléon Bonaparte en réponse au toast de la ville lors de l’inauguration du chemin de fer d’Épernay, 3 septembre 1849.
17 F. Caron, Histoire des chemins de fer en France, op. cit., t. 1, p. 620-622 ; P. Droulers, « Christianisme et innovation technologique. Les premiers chemins de fer », Histoire, économie, société, 1, 1983, p. 119-132 ; F. Jarrige, Techno-critiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2014.
18 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer. Index chronologique (1771-1846), Paris, Librairie générale, 1906.
19 O. Ihl, « De bouche à oreille. Sur les pratiques de commensalité dans la tradition républicaine du cérémonial de table », Revue française de science politique, 3, 1998, p. 387-408 ; V. Robert, Le temps des banquets. Politique et symbolique d’une génération, 1818-1848, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.
20 M. W. Gosseteste, Chemin de fer de Mulhouse à Thann inauguré le 1er septembre 1839. Notes et documents présentés à la Société industrielle, le 25 septembre 1889, Mulhouse, Veuve Bader, p. 54.
21 B. Jacqué, « Créer des motifs pour l’impression à Mulhouse au xixe siècle : la formation et ses limites », dans P. Lamard et al., Art et industrie, Paris, Picard, 2013, p. 137.
22 L’illustration, 2 mai 1843.
23 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer, op. cit., p. 780.
24 S.-F. Blocquel, Guide des étrangers dans Lille, Lille, s.n., 1846, p. 129.
25 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer, op. cit., p. 794.
26 M. Chevalier, Lettres sur l’inauguration du chemin de fer de Strasbourg à Bâle, Paris, Gosselin, 1841.
27 Ibid., p. 93, 105.
28 A. Asseline, Les fêtes de l’inauguration du chemin de fer du Nord, Paris, Leclère, repris dans Œuvres d’Émile et Isaac Pereire, rassemblées et commentées par Pierre-Charles Laurent de Villedeuil, série G documents sur l’origine et le développement des chemins de fer (1832-1870), Paris, Félix Alcan, 1920, t. 2, p. 1769.
29 A. Asseline, Les fêtes de l’inauguration du chemin de fer du Nord, op. cit., p. 1726.
30 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer, op. cit., p. 790.
31 E. Briffault, Paris à table, réimpr. Paris/Genève, Slatkine, 1980, p. 74.
32 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer, op. cit., p. 434.
33 Ibid., p. 810.
34 Ibid., p. 778.
35 Ibid., p. 788.
36 P. Scholliers, A. Geyzen, « Upgrading the Local. Belgian Cuisine in Global Waves », Gastronomica. The Journal of Food and Culture, 10/2, 2010, p. 49-54.
37 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer, op. cit., p. 481.
38 Inauguration du chemin de fer du Mans à Paris. Fêtes du Mans 28, 29 et 30 mai 1854. Programme détaillé des fêtes, Le Mans, Julien, 1854, p. 5.
39 AM Angers, devis du banquet préparé par Potel et Chabot, 29 juillet 1849.
40 E. Massoudre, Une excursion à Brive à l’occasion de la fête d’inauguration du chemin de fer, 30 septembre 1860, Périgueux, Dupont, 1860, p. 24.
41 AM Quimper, devis du banquet donné par la ville à l’occasion de l’inauguration du chemin de fer, 7 septembre 1863, menu d’une table de 50 couverts.
42 Inauguration du chemin de fer du Mans à Paris, op. cit., p. 5.
43 De Paris à la Mer. La ligne de chemin de fer Paris-Rouen-Le Havre, Paris, Inventaire général du patrimoine culturel (Images du Patrimoine, 239), 2005, p. 19.
44 A. Aufauvre, Guide du voyageur sur le chemin de fer de Paris à Montereau et à Troyes, Troyes, s.n., 1848, p. 6.
45 L’Illustration, 4 avril 1846, p. 65.
46 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer, op. cit., p. 795.
47 Ibid.
48 Th. Gautier, « Inauguration du chemin de fer du Nord », La Presse, 16 juin 1846, reproduit dans Le Courrier du Pas-de-Calais, 22976, 31 octobre 1898.
49 M. Lavaud, Théophile Gautier. Militant du romantisme, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 306 ; « Contradictions et ambiguïtés ferroviaires chez Théophile Gautier », dans G. Chamarat, C. Leroy (dir.), Feuilles de rail. Les littératures du chemin de fer, Paris, Paris-Méditerranée, 2006, p. 45-56.
50 Th. Gautier, « Inauguration du chemin de fer du Nord », art. cité, p. 1.
51 P.-C. Laurent de Villedeuil, Bibliographie des chemins de fer, op. cit., p. 426.
52 Ibid.
53 Ibid., p. 792.
54 M. Boyer, Histoire de l’invention du tourisme. xvie-xixe siècle, Paris, L’Aube, 2000, p. 100.
55 J. Van de Kerckhove, Plan van de Stad Antwerpen, 1865.
56 P. Van Heesvelde, « La restauration ferroviaire en Belgique. Gares et train », dans J.-P. Williot (dir.), La restauration ferroviaire entre représentations et consommations, op. cit., p. 217.
57 S. Sauget, « Où construire des gares de chemins de fer à Paris ? », Revue d’histoire urbaine, 22/2, 2008, p. 97-114 ; K. Bowie, Les gares parisiennes au xixe siècle, Paris, Délégation artistique de la ville de Paris, 1987.
58 E. Berger, « Arras : la gare au centre du développement urbain, 1846-2001 », Histoire urbaine, 11/3, 2004, p. 34.
59 AM Orléans, 2 O 12, rapport du 8 mars 1843.
60 C. Dickens, Dombey et fils, Paris, Hachette, 1881, p. 70.
61 Arrêté pour le service du Chemin de fer de Paris à Saint-Germain, 25 août 1837.
62 S. Sauget, « Surveiller les gares parisiennes au xixe siècle : police et modernité », Revue d’histoire du xixe siècle, 29, 2004, p. 71-87.
63 I. Bianquis, J.-P. Williot (dir.), Nomadic Food, Anthropological and Historical Studies around the World, Lanham, Rowman & Littlefield, 2019.
64 J. Duplessy, Le guide indispensable des voyageurs sur les chemins de fer de l’Alsace, Strasbourg, Veuve Levrault, 1842, p. 31.
65 H. de Balzac, Russie-express, présentation par F. Graveline, Paris, Chaudun, 2010, p. 50.
66 E. Decaisne, Guide médical et hygiénique du voyageur, Paris, Albessard, 1864, p. 69.
67 S. Venayre, Panorama du voyage, op. cit.
68 E. Decaisne, Guide médical et hygiénique du voyageur, op. cit., p. 68.
69 AD Indre-et-Loire, S 2204, Chemin de fer d’Orléans à Bordeaux, note des administrateurs directeurs adoptée à Paris le 10 avril 1851 : train spécial de foires et marchés.
70 Livret Chaix. Guide officiel des voyageurs de tous les chemins de fer français et les principaux chemins de fer étrangers, Paris, Napoléon Chaix, juillet 1853, p. 50.
71 Ibid., 1849, p. 25.
72 C. de Winter Hebron, Dining at Speed, op. cit., p. 31.
73 W. Schivelbusch, The Railway Journey, op. cit., p. 124.
74 Mémoires de la Société des ingénieurs civils, 3 juin 1864, p. 207.
75 P. Giffard, La vie en chemin de fer, Paris, Librairie illustrée, 1888, p. 174 et suiv.
76 M.-S. Vergeade, « Un aspect du voyage en chemin de fer », art. cité, p. 117.
77 S. Sauget, « La place des mobilités de banlieue dans les gares parisiennes : le cas de la gare Saint-Lazare de 1837 à 1914 », Paris et Île-de-France. Mémoires, 64, Paris, Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, 2013, p. 257.
78 L. R. Spang, The Invention of the Restaurant, Harvard, Harvard University Press (Harvard Historical Studies), 2001.
79 N. Wooler, Dinner in the Diner, op. cit., p. 13.
80 E. Eliezer, Recollections of Birmingham, 1877, témoignage daté du 14 juillet 1839, cité dans : http://gerald-massey.org.uk/Railway/c15_addenda.htm#Refreshments
81 Fabriqués depuis le xvie siècle dans la région de Banbury, à l’ouest de Northampton, et cités dans des ouvrages de cuisine domestique au xviie siècle, ils firent la notoriété de plusieurs stations, dont celle de Swindon.
82 Fraser’s Magazine, 24, septembre 1841.
83 F. Bond Head, Stokers and Pokers : London and North Western Railway, Londres, John Murray, 1849, p. 88.
84 N. Wooler, Dinner in the Diner, op. cit., p. 561.
85 https://unionisme.be/index.htm. Chambre des représentants, séance du 21 juin 1844.
86 G. Fronval, « Fred H. Harvey, restaurateur ferroviaire », La vie du rail, 563, 1956, p. 18-19.
87 CAMT, 48 AQ 3587, comité de direction du chemin de fer du Nord, 24 septembre 1855.
88 http://www.cnrtl.fr/definition/buffet. Le terme prend le sens d’escabeau au xiie siècle, puis de dressoir ou comptoir au siècle suivant. Il garde le sens de table au xviie siècle. Littré le consigne en 1863 pour désigner le buffet de gare.
89 Voyage de Paris à Orléans, Paris, Bourdin, 1845, p. 97.
90 Reproduit dans M. Angelier, Voyage en train au temps des compagnies (1832-1937), Paris, La Vie du rail, 1998, p. 223.
91 Il s’agit en fait des babas de Stohrer, pâtissier du roi Stanislas Ier, qui ouvrit une pâtisserie à Paris en 1730, rue Montorgueil.
92 Journal des chemins de fer, 2 septembre 1843, p. 671.
93 CAMT, 48 AQ 3587, contrat d’affermage des buffets de la Compagnie du chemin de fer du Nord, 1850.
94 CAMT, 13 AQ 2537, contrat signé avec Pierre Nicolas, 15 septembre 1865, station de Bettembourg.
95 AD Indre-et-Loire, 5 S 2202, lettre, 2 février 1854.
96 C. Lamming, « Les industries dans les gares ? », Revue générale des chemins de fer, juillet-août 2006, p. 66.
97 CAMT, 48 AQ 3587, contrat d’affermage des buffets de la Compagnie du chemin de fer du Nord, 1850.
98 Ibid., affiche [s.d.], imprimerie Danel à Lille.
99 CAMT, 48 AQ 3798, Bureau central de l’exploitation, lettre du 22 novembre 1860.
100 Ibid., 19 juin 1860.
101 Ibid., 9 avril 1860.
102 Les baux moyens des restaurateurs à Paris s’élèvent pour les trois premières décennies du siècle à 4718 francs (de 1550 à 12000 francs) pour le restaurateur, à 925 francs pour le traiteur marchand de vins (de 350 à 1500 francs). Données dans : C. Briche, De la gargote au restaurant. Les professions de bouche à Paris entre 1800 et 1830, mémoire de maîtrise sous la direction de F. Démier, Paris 10 Nanterre, 2002, p. 57.
103 Comparaison établie sur la base des baux des contrats : CAMT 48 AQ 3587 (baux établis le 17 octobre 1850) et CAMT 48 AQ 4116 (renouvellement des baux, 24 mars 1880).
104 A. Franklin, s.v. « Buffetiers », dans Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercées dans Paris depuis le treizième siècle, Paris, 1906, p. 112.
105 Le Sommelier, 15 janvier 1924, p. 19.
106 M. Chlastacz, « Les buffets de gare. Cent quarante ans de gastronomie ferroviaire », La vie du rail, 1942, 3 mai 1984, p. 6.
107 CAMT, 13 AQ 2537, contrats de concessions de buffets de la Compagnie des chemins de fer de l’Est.
108 CAMT, 48 AQ 3587, contrats d’affermage des buffets de la Compagnie du chemin de fer du Nord, 1850.
109 CAMT 48 AQ 3588, liste de renouvellement des baux, 9 avril 1860. Les buffets d’Amiens, Longueau, Boulogne et Calais représentent un loyer total de 20000 francs. La famille Bâtonnier détient seule 33 % du montant des loyers du Chemin de fer du Nord.
110 Rapport sur l’Exposition universelle de 1855, Paris, Imprimerie impériale, 1857, p. 484.
111 CAMT, 48 AQ 3587, rapport du bureau du secrétariat de la Compagnie du chemin de fer du Nord, 17 octobre 1850.
112 CAMT 48 AQ 3587, lettre du chef du service du domaine, 12 juin 1862.
113 Ibid., 12 octobre 1876.
114 Ibid., 1er avril 1869.
115 CAMT, 48 AQ 3588, lettre de Jules Petiet au comité de direction, 6 janvier 1860.
116 Documents statistiques sur les chemins de fer, Paris, Imprimerie impériale, 1856, tableau S. Le parcours moyen d’un voyageur de première classe variait selon les réseaux : 116 kilomètres sur Paris-Strasbourg, 122 sur le Nord, 168 sur l’Orléans, 190 sur le Paris-Lyon, 85 sur le Paris Rouen.
117 CAMT 48 AQ 3587, tarifs des buffets sur le réseau du Nord, 1857 ; Conseils aux voyageurs en chemins de fer, en bateaux à vapeur et en diligence, Paris, Napoléon Chaix et Cie, 1854, p. 320.
118 P. Rambourg, « Le menu du Moyen Âge au xxe siècle : témoin de l’histoire et de la gastronomie », http://patrimoine.bm-dijon.fr/pleade, janvier 2012, p. 16.
119 Dictionnaire général de la cuisine française ancienne et moderne ainsi que de l’office et de la pharmacie domestique, 2e éd., Paris, Plon, 1853, p. 278.
120 CAMT, 48 AQ 3587, tarif des buffets du Chemin de fer du Nord [s. d.].
121 E. Briffault, Paris à table, op. cit., p. 120.
122 CAMT, 48 AQ 3587, tarif de Saint-Quentin, 2 octobre 1857.
123 Ibid., lettre du chef du secrétariat, 20 mars 1856.
124 J. Bard, Trains de plaisir de Paris à Lyon avec le repas au Clos de Vougeot, Chalon-sur-Saône, Ferran, 1851, p. 39.
125 M. Twain, The Innocents Abroad, https://ebooks.adelaide.edu.au/t/twain/mark/innocents/chapter12.html
126 V. Duruy, « De Paris à Bucarest. Causeries géographiques », Le tour du monde. Nouveau journal des voyages, fondé par Édouard Charton, 3, 1861, p. 340. Le récit est daté du 2 août 1860.
127 Conseils aux voyageurs en chemins de fer, en bateaux à vapeur et en diligence, op. cit., p. 319.
128 E. Delattre, Tribulations des voyageurs et des expéditeurs en chemin de fer, Paris, Taride, 1858, p. 137.
129 F. Jacqmin, De l’exploitation des chemins de fer. Leçons faites en 1867 à l’École impériale des ponts et chaussées, t. 1, p. 92.
130 CAMT, 48 AQ 3587, lettre d’Eugène Rouher au Chemin de fer du Nord, 1er octobre 1857.
131 Ibid., tarifs des buffets du Chemin de fer du Nord, 1857.
132 Ibid., ordre de service no 226 de la Compagnie du chemin de fer du Midi, 27 avril 1862.
133 Ibid., lettre du chef du secrétariat du Chemin de fer du Nord aux administrateurs, 2 octobre 1857.
134 Ibid., 18 janvier 1859.
135 Journal des chemins de fer, 2 septembre 1843, p. 671.
136 Daumier, Le charivari, 21e année, 90, 30 mars 1852.
137 Cham, Ah quel plaisir de voyager !, Paris, Hautecœur frères [s.d.].
138 M. Vernet, Suzon en chemin de fer, Chansonnette comique avec parlé, paroles de Marie Vernet, musique de Charles Pourny, Paris, Cartereau, 1887.
139 E. Decaisne, Guide médical et hygiénique du voyageur, Paris, Albessard, 1864, p. 68.
140 E. Siebecker, Physiologie des chemins de fer, Paris, Hetzel, 1867, p. 132.
141 K. Baedeker, Le Midi de la France depuis la Loire. Manuel du voyageur, Paris, Ollendorff, 1885, p. xv.
142 Ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, Enquête sur l’exploitation et la construction des chemins de fer, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 3-20.
143 Revue d’histoire des chemins de fer, 46-47, Le rail à toute(s) vitesse(s). Deux siècles de vitesse sur rail, trente ans de grandes vitesses, 2012.
144 L.-M. Jouffroy, La ligne de Paris à la frontière d’Allemagne (1825-1852), op. cit., t. 1, p. 28.
145 T. Hughes, Tom Brown’s Schooldays, Cambridge, Mac Millan, 1857.
146 L. Fontaine-Bayer, « Les auberges », dans Le voyage en France. Du maître de poste au chef de gare. 1740-1914, Paris, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 51.
147 C. Studeny, « La révolution des transports et l’accélération de la France (1770-1870) », dans M. Flonneau, V. Guigueno (dir.), De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité, op. cit., p. 123-124.
148 M. Aymard, C. Grignon, F. Sabban, Le temps de manger, Paris, Quae, 1993.
149 L.-S. Mercier, Le nouveau tableau de Paris, Paris, Mercure de France, 1908, p. 602.
150 C. de Freycinet, Ordre de service de l’exploitation, 29 décembre 1859.
151 E. Delattre, Tribulations des voyageurs et des expéditeurs en chemin de fer, op. cit., p. 134.
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Jean-Baptiste Frétigny, Caroline Bouloc, Pierre Bocquillon et al.
2024