Transferts de terre en Éthiopie : contrôle foncier et contrôle politique
p. 225-247
Résumé
À travers l’analyse de transferts de terre massifs octroyés par l’État éthiopien à des investisseurs privés (Éthiopiens et étrangers), ce texte interroge l’existence d’une nouvelle économie politique du foncier en Éthiopie. Cette transformation de la gestion foncière est principalement légitimée par une promotion, sans précédent dans l’histoire du développement éthiopien, de l’extraversion économique. Nous l’analyserons pourtant dans sa dimension politique, tant nous considérons qu’en Éthiopie la régulation foncière vise des objectifs très politiques, parfois sans rapport avec la valorisation économique. Nous observerons ainsi combien l’accès au sol demeure sous un contrôle renforcé de la puissance publique, et plus particulièrement du gouvernement central. Mais nous observerons également, à travers une étude de cas en pays Afar, dans quelle mesure cette nouvelle donne foncière engage des transformations géopolitique et sociétale majeures.
Texte intégral
Introduction : un État fort, des terres et des populations sous contrôle
1Depuis peu, l’Éthiopie commence à organiser le développement de ses ressources. Son sous-sol, ses eaux, ou dans une moindre mesure son sol faisaient jusqu’alors l’objet d’une exploitation sporadique ou aux objectifs changeants. Sa puissance démographique était ainsi tantôt considérée comme une ressource de main-d’œuvre essentiellement rurale, et tantôt, le plus souvent depuis quelques décennies, comme une base politique à contrôler (Clapham, 2002 ; Lefort, 2010).
2Actuellement, le secteur minier connaît un timide essor du fait notamment de l’exploitation de l’or qui représente le deuxième poste des exportations. Les espoirs fondés sur l’exploitation des hydrocarbures ne se sont pas concrétisés et le gouvernement a fait le choix d’exploiter son eau et ses sols. Le projet du Great Renaissance Ethiopian Dam, grand barrage hydroélectrique sur le Nil bleu (l’Abay), constitue le symbole et la locomotive à la fois du développement économique éthiopien ; il devrait constituer le plus grand barrage d’Afrique. Si l’exploitation des eaux éthiopiennes représente un investissement lourd1 dont les retombées attendues sont importantes2, et si l’État éthiopien en garde le contrôle notamment en en assumant seul le financement et en ne recourant que très faiblement à des entreprises étrangères3, l’exploitation de la ressource foncière est tout autre.
3Elle consiste en une mise en exploitation de vastes superficies par des entreprises privées, para-publiques ou publiques, nationales, étrangères ou en consortium mixte le plus souvent. Dans les cas les plus emblématiques, l’investissement se fait dans l’agro-business et prend la forme d’un accaparement foncier aux marges du pays, ailleurs il s’agit de fermes mécanisées ou floricoles plus réduites en superficie. Les transferts fonciers à destination d’entreprises agricoles ne sont pas nouveaux en Éthiopie, l’accaparement foncier en constitue cependant une forme nouvelle. De vastes superficies de terre sont louées à des entreprises étrangères, principalement originaires d’Inde et de la péninsule Arabique, afin d’y produire une agriculture mécanisée entièrement destinée à l’exportation. Dans le cas éthiopien, la mesure a été planifiée par le gouvernement (De Waal, 2013 ; Lavers, 2012a ; 2012b) et ne résulte que partiellement de la sollicitation de la communauté internationale, elle suppose une forte intervention de l’État dans sa mise en œuvre. En dépit du vif soutien affiché par le gouvernement pour cette forme de mise en valeur foncière, il semblerait que la valorisation du sol soit assez faible aussi bien en termes d’emplois que de devises par hectare (Dessalegn Rahmato, 2011). Cet apparent paradoxe résulte, nous semble-t-il de la nature même du Developmental State éthiopien, de l’hybridation permanente qu’il orchestre entre des logiques de contrôle partisan et de valorisation d’un potentiel économique (Lefort, 2012). L’accès au sol en Éthiopie, comme ailleurs (Sikor, Lund, 2013), dépend bien d’un rapport de force, de la manière dont circule le pouvoir.
4Pensé comme une nouvelle option économique, l’accaparement foncier demeure dans sa mise en œuvre profondément marqué par les logiques politiques de l’État développementaliste éthiopien. D’une part, parce que la gestion du foncier constitue en Éthiopie un acte hautement politique4 (Gascon, 1995 ; Tekalign Wolde-Mariam, 1995), un fondement de l’autorité de l’État (Dessalegn Rahmato, 2009), d’autre part parce les campagnes sont marquées par un profond déséquilibre des pouvoirs et une défiance réciproque entre l’État et la paysannerie (Lefort, 2010 ; Aspen, 2002), et enfin parce que la mesure constitue un levier d’action sur l’échiquier politique interne : ses espaces et échelles de mise en œuvre légitiment l’ingérence de l’État central dans les affaires régionales d’un pays où la terre appartient à l’État et où la reconnaissance d’un droit d’usage pour les communautés locales est loin d’être évidente (Dessalegn Rahmato, 2011)5.
5Toutefois, l’accaparement foncier ne constitue pas selon nous un tournant significatif dans la gestion politique du foncier éthiopien. Si la majorité des auteurs considèrent que son ampleur constitue un changement de nature dans la gestion étatique du foncier, comme dans le traitement des populations locales (Dessalegn Rahmato, 2011 ; Lavers, 2012a ; Oakland Institute, 2011), nous pensons, à l’instar de René Lefort (2011), qu’il ne s’agit là que d’une question de degré, et que si les formes de l’accaparement foncier sont nouvelles, notamment par l’ampleur des superficies concédées, le phénomène reproduit assez fidèlement les logiques anciennes d’un remaniement foncier centralisé et autoritaire. De fait, nous ne nous inscrirons pas dans une opposition de principe entre acteurs internationaux et acteurs nationaux ou entre acteurs privés et publics dans la mesure où l’essentiel des investisseurs sont aujourd’hui éthiopiens (Lefort, 2011), et dans la mesure où la mise à disposition du sol, qui constitue aujourd’hui le seul impact tangible de ces transferts à petite échelle, est toujours opérée par le gouvernement.
6Si l’État transfère un temps son autorité sur le sol éthiopien par les transferts de terre à des investisseurs privés, il conserve la pleine étendue de ses attributions dans la gestion des populations. Bien qu’officiellement libres de toute occupation, les terres destinées à des entrepreneurs privés sont bien souvent des terres libérées de leurs habitants. Depuis le Derg6, la puissance publique tente de remanier à sa guise la géographie du peuplement éthiopien en organisant soit le déplacement de populations sur de longues distances (programmes dits de ressettlement, voir Pankhurst, Piguet, 2009), soit le regroupement en villages d’habitat groupé (programmes dits de villagisation), soit les deux à la fois (Pankhurst, Piguet, 2009). Ces dernières années, la libération des terres destinées à l’agro-business par des entreprises nationales ou étrangères s’accompagne régulièrement de programmes de villagisation et/ou de ressettlement (Labzaé, 2013).
7En distribuant ainsi des concessions à différents types d’investisseurs, l’État aliène le droit d’usufruit des communautés locales, et ce sans concertation directe avec les usufruitiers (Oakland Institute, 2012 ; enquêtes, 2012 ; Labzaé, 2013). Du point de vue des communautés locales, la nationalité de l’acquéreur importe peu. Le plus souvent d’ailleurs, les populations locales l’ignorent, n’étant en contact qu’avec les sous-traitants responsables de la réalisation technique du projet. Cette aliénation opérée par l’État intervient indifféremment pour des transferts fonciers à destination d’entreprises étrangères ou nationales.
8Mesure phare du Structural Change éthiopien (Lavers, 2012a ; Lefort, 2011), l’accaparement foncier est un sujet sensible qui expose particulièrement le gouvernement au regard de la communauté internationale. De fait, les données sur la question sont rares : les projets de recherche sont contrôlés et les statistiques officielles résultent d’une fabrique trop partiale (Enten, 2010 ; Dercon et al., 2009) pour être tout à fait crédibles. L’accès au terrain est difficile7 dans les petites entreprises de floriculture des environs d’Addis-Abeba (Mano et al., 2011) comme dans des plantations périphériques plus importantes (Meru Shete, 2011 ; Guillozet, Bliss, 2011 ; Dessalegn Rahmato, 2011). Limitée par les connaissances disponibles sur le sujet, nous ne prétendons pas produire une analyse critique du phénomène, nous tenterons simplement d’en soulever les enjeux politiques. À cette fin, nous présenterons les résultats d’une enquête réalisée autour d’une entreprise nationale, la Tendaho Sugar Factory, en région Afar, dans l’oasis de l’Awsa8. L’on y voit des paysans afar de l’oasis tenter de résister au programme de villagisation mis en œuvre par l’État – fédéral et régional – dans le cadre du lancement de l’usine sucrière.
Géopolitique de l’accaparement foncier en Éthiopie
Le boom du land grab
9Actuellement, l’accaparement foncier (land grab) prend en Éthiopie des proportions importantes. Avec le peu de recul dont nous disposons, il est difficile d’estimer dans quelle mesure ce mouvement relève plutôt de l’appropriation ou de l’acquisition foncière à grande échelle et dans quel mesure le gouvernement transférerait pleinement ses droits sur ce sol pendant la durée du bail. La rumeur courait il y a peu à Addis-Abeba que le gouvernement tenterait de contrôler davantage ces agro-entreprises étrangères du fait de la suspension de certaines demandes d’investisseurs par le ministère de l’Agriculture. Finalement, les dossiers furent repris – sans réelle modification des termes du contrat semblerait-il.
10En 2011, l’État avait alloué 3,5 millions d’hectares à des compagnies privées et il prévoit d’en allouer 7 millions d’ici à 2015. Les terres louées sont en position marginale, souvent proches des espaces frontaliers comme c’est le cas à l’ouest et au sud du pays, toujours en bordure de cours d’eau importants9. Ces terres font le plus souvent l’objet de baux emphytéotiques attribués à des prix dérisoires et sans obligations majeures de la part du loueur, qu’il s’agisse d’obligations sociales ou fiscales – desquelles ils sont souvent dispensés durant les premières années de l’investissement. Dans les grandes exploitations étrangères, Dessalegn Rahmato (2011) estime ainsi que les superficies attribuées varient entre 50 à 100 milliers d’hectares pour des loyers de 2 à 5 dollars américains par hectare. Ces estimations moyennes très basses masquent de fortes variations régionales, les loyers peuvent osciller entre 321 dollars américains par acre en Oromie contre 35 centimes en région Amhara. Via diverses incitations fiscales (Lavers, 2012a ; Dessalegn Rahmato, 2011), les exploitations sont incitées à produire pour l’exportation des produits agricoles peu transformés (riz, maïs, oléagineux, canne à sucre) ou des biocarburants à partir de canne à sucre, palmiers, jatropha…
11Ce transfert de terres obéit certes à une demande et pression grandissantes des investisseurs étrangers, mais également à la volonté du gouvernement de promouvoir l’extraversion de son modèle économique en capitalisant rapidement sur sa rente foncière. Il s’inscrit dans une pratique de contrôle des marges et de leur populations qui n’est pas nouvelle (Pankhurst, 1997) et ne se comprend pas selon nous comme une forme de recentralisation de l’État éthiopien (Lavers, 2012a), lequel n’a jamais effectué de réelle dévolution de pouvoir aux structures décentralisées (Planel, 2007). L’engouement pour les sols éthiopien apparaît dans la seconde partie des années 1990 mais il concerne alors de petites superficies (inférieures à 500 ha), essentiellement destinées à la floriculture et plutôt gérées par des entreprises européennes. Il s’inscrit dans une dynamique très ancienne datant des dernières années du régime impérial et plus encore de l’occupation italienne, caractérisée par l’octroi de domaines agricoles dans les basses terres du pays, principalement dans l’Awash et la vallée du Rift, afin d’y développer principalement la culture du coton et du tabac. L’octroi de superficies dépassant le millier d’hectares est un phénomène nouveau qui apparaît à partir de 2006 à la demande des investisseurs étrangers mais également sur promotion du gouvernement éthiopien. Ethiopian Investment Agency (EIA), estime ainsi que les investissements étrangers dans le secteur agricole sont passés de 508 millions de dollars américains en 2005 à 1,9 milliard en 2006. Si les petites superficies octroyées étaient jusque-là gérées par des consortiums éthio-étrangers, les grandes concessions semblent davantage échapper à une logique d’association avec des entreprises locales – laquelle devait faciliter leur insertion dans l’économie locale. Selon Ethiopian Investment Agency, depuis 1996 le gouvernement éthiopien a délivré 9200 licences à des fermes commerciales, dont 1300 à des entreprises étrangères10.
12L’appel aux investisseurs privés se fonde sur la reconnaissance de vastes superficies de terres potentiellement utilisables car actuellement sous-exploitées, il fait écho à un vieux fantasme de l’histoire politique éthiopienne, l’existence de réserves/ressources foncières inutilisées11. Au début de l’engouement pour l’accaparement foncier, le ministère de l’Agriculture12 affichait 54millions d’hectares de terres disponibles, alors que d’autres estimations officieuses plus réalistes faisaient état de superficies disponibles pouvant varier de 3 à 5 millions d’hectares (Dessalegn Rahmato, 2011 : 13). L’essentiel des concessions est attribué dans des zones considérées comme inutilisées : des zones de faible densité humaine sur des terres pastorales, forestières ou destinées à l’agriculture itinérante dans lesquelles le mode d’appropriation des communautés est non seulement flou, mais également très changeant en fonction des aléas climatiques ou des transformations de l’économie agricole13. Dans tous les cas, il s’agit de marges dont les usages et tenures coutumières se distinguent nettement de ceux des hautes terres centrales ou plus méridionales soumises aux systèmes du rist (ou équivalent) ou plus tardivement du gult (Gascon, 1995). Les terres ainsi accaparées représentent selon les statistiques officielles 42 % de la superficie du Gambela, 14 % de celle du Benishangul-Gumuz, des pâturages ou plus rarement des zones sèches en amont d’oasis dans la dépression orientale de l’Awash. Si la localisation de ces terres préemptées n’est pas systématiquement marginale, elle est en revanche toujours proche d’un cours d’eau important, Omo ou Gibe dans la Région des nations, nationalités et peuples du Sud (SNNPR), Baro dans le Gambela, Abay (Nil bleu) dans le Benishangul Gumuz et Awash dans l’Afar ; afin d’y permettre le développement d’une agriculture irriguée.
Une mesure phare de la transition économique éthiopienne
13L’accaparement foncier constitue la mesure phare et la seule réorientation vraiment significative des politiques de développement en Éthiopie : l’abandon de la stratégie Agricultural-Development-Led Industrialisation (ADLI) pour un modèle économique plus extraverti. D’après le nouveau plan de développement censé permettre la réalisation des objectifs du millénaire pour 2015, le Growth and Transformation Plan (GTP), la productivité du secteur agricole doit croître de 15 %14 par an et les revenus agricoles devraient avoir doublé d’ici à 2015. L’accaparement foncier constitue alors le seul levier capable de produire une telle augmentation en valeur de la productivité et de la production, loin devant la modernisation des petites exploitations agricoles. Il constitue donc une mesure largement privilégiée par le gouvernement, avec l’appui de nombreux bailleurs de fonds qui y voient le signe attendu d’une extraversion de l’économie éthiopienne.
14L’économie éthiopienne est doublement fondée sur son volet agricole, d’une part parce que l’agriculture représente 41 % du produit intérieur brut (PIB) et 75 % des rentrées en devises étrangères, et d’autre part parce que l’ensemble des choix économiques opérés par les gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1960 fonde systématiquement l’essor économique du pays sur l’augmentation de la productivité et de la production agricoles15. La modernisation agricole consistait principalement en une transformation technique des pratiques agricoles, mise en œuvre par la puissance publique, via le très puissant ministère de l’Agriculture, afin de permettre l’autosuffisance alimentaire et à terme l’enrichissement des petits paysans (Davis, 2010). Non seulement ces politiques étaient et demeurent sans considération véritable pour les contraintes structurelles auxquelles fait face la petite paysannerie éthiopienne : le manque de terre, une paupérisation grandissante et l’instabilité des pluies (Dercon, 2002 ; Dessalegn Rahmato et al., 2013), mais surtout, leur mise en œuvre autoritaire et descendante restreint la marge de manœuvre, déjà faible, des paysans les plus vulnérables (Planel, 2012 ; Dercon et al., 2009).
15Aujourd’hui donc, le niveau de développement des campagnes éthiopiennes n’a guère changé et les objectifs de satisfaction des besoins alimentaires promis par le gouvernement ne sont pas atteints, quels que soient les discours officiels sur la transformation des campagnes ou les statistiques nationales sur la productivité agricole (R. Lefort, 2012 ; Dercon et al., 2009). Les déséquilibres alimentaires continuent de toucher les campagnes éthiopiennes, la malnutrition est un phénomène récurrent et la précédente décennie a été marquée par deux épisodes de famine notoires, 2002-2003 et 2008-2010, dont le premier a concerné plus de 13 millions de personnes. L’Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA)16 estimait ainsi qu’en 2009, 22 % de la population rurale était dépendante de l’aide alimentaire, dispensée par le gouvernement mais financées par l’étranger.
16Devant l’échec de la modernisation agricole des campagnes mais du fait également de leur soutien à l’opposition dans les élections de 2005, le gouvernement a engagé une importante reprise en main du monde rural. Il s’est agi dans un premier temps d’opérer un renforcement du contrôle et de l’encadrement des paysans par diverses mesures, dont la structuration d’une nouvelle élite rurale affiliée au parti au pouvoir, les Model Farmers (Lefort, 2012). Dans un second temps, avec l’instauration en 2010/2011 du nouveau plan de développement (GTP) libéralisé dans ses attentes – nettement moins dans sa mise en œuvre –, le gouvernement a proposé une série de réorientations économiques rompant avec le modèle intraverti de jadis et devant permettre l’entrée de l’Éthiopie dans l’économie monde.
17L’esprit des transformations en cours témoigne de cette timide libéralisation des options retenues. La transformation de l’agriculture devient sélective : elle n’est plus portée par l’ensemble des campagnes et de la paysannerie éthiopienne mais par son élite et par certains espaces mieux qualifiés. Le marché, jusque-là honni par les dirigeants éthiopiens, est constamment convoqué dans les discours gouvernementaux et tout est fait pour que les paysans s’y connectent. Enfin, et non sans lien avec la précédente remarque, le développement agricole n’est plus pensé dans une économie intravertie, il souhaite participer pleinement de la globalisation des échanges. Ainsi, l’accaparement foncier qui n’a pas pour fonction première d’assurer l’autosuffisance alimentaire des paysans mais de contribuer à redresser la balance des paiements entre-t-il pleinement dans ce nouveau cadre idéologique.
18Il est peu probable que ces changements constituent de véritables réformes économiques, tant le dogme développemental éthiopien et surtout ses modalités de mise en application restent inchangés. Toutefois, l’ensemble de ces changements, au premier rang desquels les transferts de terre, promet des transformations sociétales majeures dont il est encore difficile de mesurer les effets. L’émergence d’un salariat agricole urbain ou villageois constitue ainsi l’un des attendus majeurs du phénomène. Pour l’instant, il concernerait préférentiellement les jeunes femmes des petits centres urbains (Mano et al., 2011) et ne constituerait donc pas à ce titre une réelle activité de substitution pour les agriculteurs dépossédés d’un accès au sol, masculins dans leur ensemble. De même, on observe un turn over important dans les fermes floricoles, partiellement dû à la pénibilité du travail, et partiellement organisé semble-t-il par les employeurs afin de restreindre l’expression du mécontentement collectif lié à l’expropriation foncière et d’étouffer ainsi l’émergence d’un prolétariat villageois.
Tenure et politique
19En Éthiopie, depuis la réforme agraire de 1975, le sol est la propriété éminente de l’État et les communautés n’en ont qu’un droit d’usage. L’administration du sol est dévolue aux Régions-État en charge de produire une législation foncière en conformité avec la législation fédérale exprimée dans la Constitution (Dessalegn Rahmato, 2009 ; 2011). Le droit d’usage est reconnu à chacun selon certaines conditions : résidence effective dans la commune (qebelé) où se situe la parcelle, pratique directe de l’agriculture, bonne gestion, et utilisation permanente du sol. Une terre abandonnée peut ainsi être reprise par la puissance publique, laquelle se réserve par ailleurs le droit de disposer du sol pour satisfaire à l’intérêt national. L’énoncé de ces conditions, loin de demeurer théorique, est constamment répété aux populations rurales par les autorités locales et fragilise la tenure de paysans sans cesse sous la menace de se voir privés de leur terre – les politiques de titrement foncier engagées au niveau des États régionaux dans les années 2000 n’y changeant rien (Chinigo, 2012). Disposant ainsi entièrement du sol, l’État doit néanmoins verser une compensation à l’usufruitier, à condition toutefois que ce dernier ne contrevienne pas aux termes de la loi.
20La gestion du foncier en Éthiopie constitue en pratique un phénomène très centralisé ; si les kellel (Régions-États) se voient reconnaître par la Constitution des compétences sur la gestion de leur sol, l’ingérence de l’État-Parti central dans l’ensemble des affaires régionales ne laisse guère de marge de manœuvre aux gouvernements décentralisés, et la planification centralisée qui régit le pays opère également sur les affaires foncières (Planel, 2007). Alors que la gestion quotidienne du sol engage tous les échelons de l’administration éthiopienne, et notamment les plus locaux qui trouvent dans cette précarisation de la tenure un formidable fondement de leur autorité, l’octroi des concessions de terre est réservé aux échelons du pouvoir les plus élevés. Sur décret ministériel, les concessions supérieures à 5000 ha sont entièrement gérées par le ministère fédéral de l’Agriculture ou le Premier ministre17. Le ministère sélectionne les investisseurs, délimite les concessions, négocie et signe les contrats, et dispose en retour d’un revenu foncier qui échoue normalement et légalement – par voie fiscale – aux États régionaux.
21Pour pouvoir gérer ces terres sous autorité des Régions-États, le gouvernement fédéral en a officiellement repris la tutelle à travers la constitution en 2009 d’une Banque foncière fédérale (Federal Land Bank) et d’une agence en charge de sa gestion au sein du ministère de l’Agriculture, l’Agricultural Investment Support Directorate (AISD). Les Régions-États alimentent directement la banque foncière en fonction des « réserves » foncières dont elles disposent, établies sur la base d’un inventaire effectué par le ministère fédéral de l’Agriculture. Les modalités du cadastrage soulèvent un double problème en Éthiopie. Le cadastrage/enregistrement des terres, sous responsabilité constitutionnelle des États régionaux, est très inégalement réalisé selon les régions. Les régions périphériques du pays sont particulièrement en retard dans le processus et plus fortement soumises aux prélèvements provoqués par l’accaparement foncier – d’autant plus qu’elles sont moins peuplées. En outre, les registres fonciers sont constitués à un double niveau (fédéral et régional), et les États régionaux ignorent parfois l’étendue et la destination exacte de leurs « ressources foncières », étant surtout responsables des procédures d’enregistrement du sol mises en œuvre au niveau local. La procédure de vérification/validation de la disponibilité foncière auprès des États régionaux témoigne particulièrement de cette situation : les projections foncières faites par AISD sont soumises aux États régionaux, mais dans la mesure où aucune des deux entités n’a la capacité d’opérer un état des lieux réaliste des réserves foncières, cette procédure sert plutôt à légitimer la préemption foncière opérée par l’État fédéral sur les espaces régionaux18 qu’à en opérer la vérification. Ce court-circuit scalaire produit bien une préemption du niveau fédéral sur le niveau régional dans la mesure où les instances fédérales s’arrogent non seulement les compétences légales des niveaux inférieurs, mais également les ressources fiscales qui leur sont destinés et les divers « avantages » associés à des transactions de cette ampleur.
22En 2009, sur les 3 millions d’hectares de terre distribués à des investisseurs étrangers, 1,9 était officiellement identifié par les États régionaux comme effectivement disponible, mais un million d’hectares restait en recensement par les autorités régionales. De nombreux observateurs19 s’interrogent sur la disponibilité réelle de ces terres, d’abord parce que le recensement est fondé sur une couverture satellitaire de 2006 et que l’écologie des zones basses a considérablement évolué depuis lors – notamment dans le sud du pays à la suite des grandes sécheresses de 2007 et 2008. Ensuite, parce que les pacages, les zones d’agriculture itinérantes voire les espaces forestiers ne sont pas enclos en Éthiopie et que leur niveau d’occupation/utilisation est ainsi difficile à estimer, difficile à lire sur une image satellite20. Enfin, parce que certaines régions semblent avoir subi des pressions pour libérer des terres de toute occupation : les périphéries, notamment occidentales, sont bien davantage soumises à des contributions que le centre, la région Amhara n’a ainsi pas encore procédé au transfert effectif des terres promises21 au gouvernement fédéral.
23En deçà de 5000 ha, la gestion des concessions relève de la compétence des États régionaux, elle engage alors plus ou moins les autorités de niveaux inférieurs. Sur la base des recensements partiels effectués par Dessalegn Rahmato (2011), les entreprises de moins de 5000 ha représenteraient un quart des investissements et seraient majoritairement situées dans le Gambella, à l’instar des autres concessions d’ailleurs.
24Que l’État gère la concession ou qu’il accompagne sa gestion, et notamment la libération des terres en déplaçant les populations à travers la mise en œuvre de programme de villagisation, cela importe peu pour les populations locales. En revanche, le niveau d’implication des autorités locales dans les processus d’accompagnement de la création de l’entreprise agricole influence considérablement les modalités de la gouvernance locale, et l’éventuelle prise en compte des intérêts des habitants. En théorie, les transferts fonciers sont limités et doivent éviter le déplacement des petits paysans. Dans la pratique, si le gouvernement estime les usagers du sol peut capables d’en utiliser au mieux les potentialités agricoles, les déplacements de population sont mis en œuvre et les terres littéralement libérées de leurs habitants.
Communautés locales et disempowerment foncier
25L’espace éthiopien, urbain comme rural, se caractérise par une omniprésence de l’État dans les questions de développement et sa domination dans les rapports de force locaux. De ce point de vue d’ailleurs, la question de savoir s’il s’agit de l’État central (fédéral) ou régional (du kellel, Région-État, au wereda, district) ne se pose guère tant les deux organes possèdent une culture politique commune22 et une autorité similaire sur les espaces locaux, et particulièrement ruraux. Tant il est vrai également que les administrations publiques locales relèvent bien davantage d’un processus de déconcentration que de décentralisation (Planel, 2007). Toutefois, il existe au sein de cette superstructure étatique centralisée divers rapports de force : des rapports de force internes au sein de l’appareil administratif, qui résultent de la mise en compétition des services et ressources déconcentrés et décentralisés, et de même entre les échelons (Labzaé, 2013), comme des rapports de force externes, dans les rares espaces locaux ou régionaux disposant de milieux politiques singuliers, dotés de pouvoirs locaux en capacité d’agir, comme c’est encore le cas en pays afar, et plus particulièrement dans l’Awsa.
26Les enjeux liés au développement du pays, et particulièrement au développement de ses campagnes, amènent la littérature à porter attention à la question de la gouvernance ou de l’empowerment local en milieu rural. L’accent est ainsi mis sur les limites et incomplétudes de la dévolution des pouvoirs aux autorités locales dans le cadre de la décentralisation (Meheret Ayenew, 2002 ; Teferi Abate Adem, 2004), sur le poids des structurations culturelles et historiques locales (Segers et al., 2008), comme sur les repositionnements et stratégies individuelles ou collectives permises par la réforme de l’État. L’ensemble de ces analyses s’inscrit dans une réflexion plus générale sur les spécificités de la culture politique éthiopienne – dualité de l’appareil d’État, contradictions du régime, domination politique et sociale (Vaughan, Tronvoll, 2002 ; Aalen, 2011 ; Pausevang, 2002 ; Emmenegger et al., 2012)
27Dans cette contribution, nous souhaitons interroger la spécificité d’un disempowerment foncier pour les populations locales. Si l’on considère comme nous l’avons énoncé précédemment que le contrôle sur la terre, entendu comme une gestion mais également comme un simple accès, constitue le fondement d’une position de pouvoir (Sikor, Lund, 2009), il faut alors penser que la perte des droits au sol traduit un état de faiblesse politique, et qu’elle provoque une éviction de l’arène politique locale, si tant est qu’elle ne se réduise pas à une interface administrative. Dans les situations de gouvernance autoritaire et bureaucratique qui prévalent en Éthiopie, les éventuelles mobilisations et oppositions à la confiscation des droits d’usages fonciers permettent-elles réellement aux populations d’affirmer leur voix politique et leur autorité sur le sol ? À l’inverse, la servitude volontaire dans laquelle se placent les populations rurales pour voir se maintenir leurs droits sur le sol disparaît-elle avec la disparition de ces droits ? Et l’accès au sol tel que pensé et pratiqué en Éthiopie constitue-t-il un facteur d’aliénation politique, comme toute autre forme de « propriété » dans l’analyse marxiste ?
28Nous tenterons d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions à travers l’observation des réactions locales à l’installation d’une plantation de canne à sucre par l’entreprise gouvernementale : la Tendaho Sugar Factory.
L’oasis de l’Awsa et la Tendaho Sugar Factory
29La Région-État Afar occupe une position bien particulière dans l’espace national éthiopien. Sans qu’elle ait des compétences administratives spécifiques dans l’ethno-fédération, Addis-Abeba y tolère certaines pratiques considérées comme « culturelles » du fait de la relative homogénéité ethnique de la région. L’on y tolère notamment un fort clientélisme qui s’accompagne d’une corruption importante et visible, très remarquable dans un pays où la puissance publique est plutôt discrète et relativement probe. Cette tolérance s’explique à la fois par l’identité pastorale du pays afar mais également par la forte proximité politique que les sultans afar ont pu entretenir avec les dirigeants éthiopiens, et réciproquement. Cette position de la région Afar dans l’architecture ethno-fédérale s’est vue renforcée à l’automne 2011 par l’intronisation d’un nouveau sultan, Ali Mirah Hanfare. La cérémonie a rappelé à l’Éthiopie que le sultanat n’était pas mort et qu’à la différence de bien d’autres régions, l’Afar conservait un pouvoir coutumier fort que son représentant, le sultan, entendait bien faire reconnaître par le gouvernement fédéral. De nombreux phénomènes témoignent d’une présence relativement conciliante de l’État éthiopien en pays afar, le plus important à nos yeux étant l’acceptation relative23 du détournement de la taxe foncière ou de l’assistance alimentaire opéré par les échelons les plus locaux de l’administration (enquêtes 2012). C’est dans ce contexte qu’Ali Mirah Hanfare souhaite restaurer les droits de son peuple sur son sol.
30Le sol en question est celui de l’Awsa, une oasis dans le delta intérieur de l’Awash cultivée depuis le xixe siècle par des populations afar sédentarisées et siège de l’autorité du sultanat. Dans la société afar, l’accès à la terre est régi par le droit coutumier. Si le sultan et sa famille se sont octroyé un important domaine, le reste des terres appartient à l’ensemble du peuple afar, tous les hommes y ont accès par leur appartenance clanique. Tout afar désireux de se sédentariser s’adresse à son chef de clan, qui ira alors voir les membres du clan installés dans l’oasis, lesquels auront à charge de trouver au demandeur, jadis de la terre, aujourd’hui une assistance alimentaire. L’accès à l’oasis pour l’ensemble de la communauté est en effet plus symbolique que réel, la réserve de terres cultivables (drainées et défrichées24) ayant considérablement réduit, l’accès au sol garanti par l’entraide clanique se réduit le plus souvent à une assistance alimentaire apportée aux membres du clan ne résidant pas dans l’oasis. Quoi qu’il en soit, l’Awsa demeure le cœur agricole d’une économie pastorale mise à mal par la récurrence des sécheresses dans l’Est éthiopien, par la vulnérabilité grandissante des modes de vie pastoraux et par l’accroissement de la dépendance du peuple afar vis-à-vis des habitants de l’oasis. C’est largement sur la production de cette oasis que survit encore l’économie traditionnelle afar, sa solidarité clanique.
31Or, c’est en amont de cette oasis, et partiellement dans l’oasis même, que le gouvernement éthiopien installe une entreprise sucrière de premier rang, la Tendaho Sugar Factory, sur 50000 ha de terre en bordure de l’Awash. La société vise une production annuelle de 600000 tonnes de sucre dont la moitié serait destinée à l’exportation afin que l’Éthiopie entre sur le marché mondial du sucre – en assurant 2,5 % de la production mondiale25 ! Dans une moindre mesure, l’usine produira également de l’éthanol et de l’hydroélectricité. Les prélèvements qu’elle opérera dans le fleuve Awash promettent donc d’être importants, et les agriculteurs de l’oasis, en aval, craignent presque autant les déplacements de populations que la baisse du niveau d’eau des canaux d’irrigation de l’oasis qui ne permettrait plus un bon fonctionnement d’une économie céréalière opérant peu à peu sa conversion au maraîchage.
32Le lancement du projet aura duré 1 an et demi26. Alors que l’usine devait être opérationnelle en octobre 2012, sa construction ainsi que celle des logements pour les travailleurs sont toujours en cours et celle du barrage n’a pas encore commencé. Comment expliquer ce retard ? Par les déconvenues techniques inhérentes à la réalisation d’un tel projet ou par la résistance des habitants à un programme de villagisation ? Le programme de villagisation concerne les paysans résidant et exploitant les terres le long des canaux dans les districts d’Afambo et d’Asseyta, il prévoit le déplacement des habitations le long de la route principale et la préemption partielle ou en totalité des exploitations par la puissance publique.
La libération des terres
33Dans la mise en œuvre du projet, les rapports de force locaux s’organisent à plusieurs niveaux et engagent différentes catégories de pouvoir, symbolique ou réel. L’Afar est un espace particulier sous autorité morale et traditionnelle du sultanat mais sous autorité politique et administrative de l’État éthiopien, et de son représentant nommé, le président de l’État régional afar. Le président Ismael Alisero est d’origine tigréenne – l’ethnie au pouvoir –, il est en conflit permanent avec le sultan afar qui souhaiterait le voir remplacé. Cette tension entre les deux pouvoirs organise l’ensemble du jeu politique local et particulièrement le lancement de l’usine sucrière. Elle constitue selon nous la condition d’expression de la réticence paysanne au déplacement. En Afar, elle s’exprime pleinement sur les questions foncières pour plusieurs raisons. D’abord parce que le kellel ne possède pas encore sa propre constitution. Ensuite parce que la « légalité » du rapport au sol y est particulière. Avant même les programmes de certification foncière, les paysans garantissaient en Éthiopie leur droit sur le sol par le versement d’une taxe foncière et leur enregistrement sur les listes fiscales. Or dans l’Afar, de telles cautions n’existent pas. Officiellement, d’après les autorités locales, les Afar – même sédentarisés dans l’Awsa – ne payent pas de taxe foncière à l’instar d’autres populations pastorales encore mal intégrées dans l’espace étatique éthiopien (tels les Borana, Hamer, Mursi…) récemment sédentarisées et reconnaissant des droits tribaux sur leur sol (enquêtes, 2011). Dans la pratique certains paysans payent une taxe, d’autres non, et il ne nous a pas été possible d’avoir accès aux registres fiscaux, ce qui nous fut possible dans d’autres régions.
34Les paysans de l’Afar entendent parler du projet depuis longtemps. La première étape de sa mise en œuvre ne les concerna guère. En 2007, la Région-État versa des « compensations » aux autorités locales des districts (wereda) d’Afambo et d’Asseyta, qui ne furent jamais redistribuées aux paysans et que l’on considère dans la région comme des pots de vin (enquêtes, 2012). Le père de l’actuel sultan obtint du gouvernement central, et par subsidiarité de la présidence du kellel, le limogeage des fonctionnaires en place qui firent également quelques mois de prison. Le programme de villagisation fut lancé à l’automne 2011 afin d’éloigner les paysans des canaux d’irrigation et de préempter ainsi les meilleures terres pour la compagnie sucrière. Les autorités locales de tous niveaux (wereda et qebelé, commune) convoquèrent les paysans pour les convaincre des bienfaits d’un programme participant à la modernisation de la région et promettant du travail dans les plantations de canne à sucre. La compagnie d’État comme les autorités administratives locales et régionales prévoient 412 emplois pour un total de 87288 habitants sur l’ensemble des deux wereda ! Cette période fut celle de l’intronisation du nouveau sultan, Ali Mirah Hanfare, lequel réaffirma lors de son discours d’intronisation la pleine autorité du peuple afar sur ses terres et partant son autonomie de gestion… Le discours fit forte impression localement, comme à Addis-Abeba. Forts de ce qu’ils interprétèrent comme le soutien de leur sultan, les paysans refusèrent de participer au programme de villagisation dont la mise en œuvre initiale n’était guère planifiée ; il n’était ainsi pas prévu de compensations financières, comme le stipule la loi fédérale.
35Par la suite, les sollicitations officielles se firent plus pressantes aux mois de décembre 2011 et janvier 2012. Durant cette période, les autorités locales visitaient les paysans accompagnées des forces de l’ordre. Aucune arrestation n’eut pourtant lieu. Ils se contentèrent d’une démonstration de force sans grand effet sur des populations afar rompues à l’idée de devoir défendre leurs terres par les armes et dans un certain sens pressées d’en découdre avec les forces de l’ordre. À la fin du mois de janvier, la géopolitique afar fut bouleversée par l’enlèvement, et l’exécution partielle, de touristes européens visitant le site d’Erta Ale, plus au nord en pays afar. Ce qui fut présenté officiellement comme une affaire éthio-érythréenne semble selon nos enquêtes relever bien davantage d’un problème de géopolitique interne sans doute provoqué par les affirmations régionalistes d’Ali Hanfare. Le déroulement de l’attaque proprement dite ainsi que son dénouement opposèrent fortement – mais discrètement – le gouvernement éthiopien, relayé par le président du kellel et le sultan afar soucieux l’un comme l’autre d’affirmer l’effectivité de leur puissance dans la zone (enquêtes27). Le sultan souhaitait tirer bénéfice de son rôle dans l’affaire pour demander le remplacement du président du kellel28 (enquêtes). En février-mars, les autorités locales revinrent en promettant des compensations aux paysans à déplacer, 1000 ETB (birrs éthiopiens)29 pour chacun des membres de la maisonnée. La somme était significative mais les paysans reçurent l’annonce des autorités locales avec méfiance, une méfiance vis-à-vis des représentants de l’État communément répandue en milieu rural mais qui était renforcée dans le cas précis par une distribution très opaque des compensations foncières en Éthiopie et le sentiment qu’ils risquaient de n’obtenir qu’un dédommagement restreint au seul chef de famille. Par ailleurs, bien que significatives, de telles sommes était dérisoires par apport à la valeur du sol – cette phase concernait en effet les meilleures terres de l’oasis. En théorie, des occupants du sol propriétaires de certificats fonciers ont le droit à des compensations en cas d’expropriation, soit dix fois le revenu annuel moyen de leur exploitation sur les cinq dernières années (Lavers, 2012b). Sachant toutefois que cette directive émane du gouvernement fédéral, sachant également qu’il est très difficile pour des micro-exploitants d’estimer leur revenu moyen, et sachant enfin que le montant des compensations est fixé par des commissions ad hoc convoquées par les autorités régionales, la fiabilité de ce chiffre était peu certaine.
36Par la suite, les incidents se multiplièrent. Ils concernèrent d’abord les ingénieurs indiens chargés de la construction du complexe agro-industriel que les paysans identifiaient comme les repreneurs du sol. Puis l’on assista à différents affrontements et vendettas entre des paysans et des policiers ainsi que leurs familles respectives. Le dernier meurtre date du mois de juillet 201230. Toutefois, le lancement des travaux a été inauguré en grande pompe et la construction de l’usine demeure en cours sans que les terres de l’oasis soient libérées. En dépit des violences qui accompagnèrent la mise en œuvre du programme, la recherche d’un compromis se poursuit. À l’instar des proches du sultan, les paysans sont convaincus de l’inéluctabilité de la mise en œuvre du projet. Ils ont conscience de ne pas peser bien lourd dans la balance des pouvoirs locaux et s’en remettent exclusivement à Dieu et à son représentant le plus direct, le sultan Hanfare, pour négocier au mieux les termes de leur déplacement : la garantie d’un emploi ou une juste compensation financière.
37En novembre 2012, Ismael Alisero défendait ainsi le programme lors d’une réunion de l’antenne afar du parti au pouvoir :
Les populations vont retirer des avantages économiques et sociaux de la présence de l’usine, les communautés locales vont pouvoir pratiquer un élevage moderne car la compagnie va créer des douzaines d’emplois. Les habitants n’auront plus à se préoccuper de leur propre éducation puisque l’usine va pourvoir à des douzaines d’emploi, et en conséquence je leur demande d’apporter leur contribution au programme en permettant la mise en œuvre de la villagisation dans les wereda concernés. Car ce programme doit permettre aux communautés pastorales de se sédentariser et se tourner vers de l’élevage commercial31.
38Projet du gouvernement, défendu par le parti, exprimé avec la rhétorique du nouveau plan de développement, il est localement mis en œuvre de façon autoritaire par la bureaucratie d’État et cette pression permanente, renforcée à l’occasion du programme de villagisation, ne laisse guère de marge de manœuvre aux populations concernées ; elle érode jour après jour leur capacité de résistance, en dépit des quelques manifestations de violence.
Domination politique et servitude volontaire
39Si, dans l’Afar, l’autorité morale du sultan semble complexifier un peu le jeu de la gouvernance locale, ce tiers pouvoir peine à s’affirmer et à produire dans la mise en œuvre du projet d’autres effets que de simples mesures dilatoires. Du long bras de fer qui opposa le sultan au gouvernement central et régional, il n’est pour l’instant rien sorti : le projet Tendaho est toujours en cours et Ismael Alisero préside toujours la région. Le contact local entre les populations et l’administration d’État tend à se simplifier, à l’image d’une situation que l’on observe ailleurs dans les campagnes éthiopiennes (Planel, 2012). Cette interface locale constitue un espace politique très déséquilibré dans lequel les agents de l’État, sous contrôle du parti, accaparent l’ensemble des pouvoirs et ne laissent guère de capacité de résistance aux communautés locales (Emmenegger, 2012).
40Dans un contexte culturel d’ensemble32 marqué par le respect de la hiérarchie, le mépris des savoirs et des communautés locales, un ensemble de consignes descendantes et de pratiques autoritaires constitue les modalités de mise en œuvre de tout programme de développement en Éthiopie (Aspen, 2002). La doxa, largement enseignée par les cellules et agents de « propagande » du Parti, explique que la transformation des économies et espaces locaux doit s’opérer en dépit des résistances et réticences des populations locales considérées comme incapables d’apprécier à leur juste mesure les effets de ces nouveaux choix développementaux. En conséquence de quoi, les agents de l’État, acteurs majeurs de la « renaissance » éthiopienne, ont tout pouvoir pour mobiliser les populations locales. Tous les agents de l’État, quel que soit le ministère de rattachement et leurs missions auprès des populations locales, participent à la réussite des projets phares du développement33. Leurs collaborations diverses et une confusion institutionnellement entretenue quant au partage réel de leurs compétences34 placent les paysans sous une domination politique forte (Aalen, 2011 ; Poluha, 2002), qui s’ajoute à une domination culturelle plus discrète caractérisant l’espace éthiopien dans son ensemble (Vaughan, Tronvoll, 2002).
41L’usage de la contrainte est très fréquent dans les campagnes éthiopiennes. Du fait de l’important déséquilibre de pouvoir façonnant les relations entre l’État et la paysannerie, l’usage de la force est peu répandu, il n’est pas véritablement nécessaire et se limite à quelques emprisonnements à but dissuasif. La menace en revanche est continuellement brandie : « Si tu n’acceptes pas la villagisation, tu iras en prison […] tu perdras ta terre […] tu ne recevras pas l’argent du Safetynet35 […] ton bétail ira en prison […] tu ne recevras plus d’aide du gouvernement quand tu en auras besoin. » Voilà le principal argumentaire développé par les agents de l’État pour inciter les paysans à se regrouper en village.
42Pour diverses raisons tenant principalement à l’important dysfonctionnement local des programmes d’assistance gouvernementale, au détournement des aides ou au fort clientélisme de la distribution et, dans une moindre mesure, il nous semble, à la présence du sultan, les paysans afar sont peu sensibles au chantage sur l’assistance gouvernementale36. En revanche, comme partout dans le pays, ils sont très dépendants de l’accès au sol et prennent au sérieux les menaces d’expropriation. La dépendance est d’autant plus forte dans l’Afar qu’elle ne s’exprime pas simplement au niveau individuel ou familial mais au niveau communautaire, dans la mesure où l’ensemble des clans dépend ponctuellement de l’assistance produite par la parenté cultivant l’oasis.
43L’attachement au sol place donc les paysans dans un disempowerment volontaire. Ils renoncent d’eux-mêmes à toute forme d’expression politique, ou ne serait-ce que collective, afin de conserver un accès au sol, si ténu soit-il aujourd’hui. Dans le cas du programme de villagisation de l’Awsa, l’accès au sol agricole promis aux populations déplacées est particulièrement fragile. Certains doivent perdre l’ensemble de leurs terres, mais la plupart devraient conserver une partie de leur exploitation, certes la plus éloignée des canaux, mais une partie néanmoins. En moyenne, les exploitations de l’Awsa sont très petites – environ 0,75 hectare – mais irriguées elles obtiennent deux récoltes par an et accueillent de plus en plus une agriculture maraîchère, en culture principale ou secondaire selon la taille des exploitations. De fait, les très petites superficies sont encore considérées comme rentables.
44Dans un contexte de domination de l’appareil d’État sur les populations locales, la transformation des résistances paysannes à la villagisation en mobilisations plus collectives, plus organisées ou plus politisées n’a pas lieu, alors même que la présence d’une autorité traditionnelle participe de l’existence d’une réelle arène politique locale. Quel est cependant l’impact des réticences paysannes ? L’avenir du projet nous éclairera sur leur sens réel : capacité à résister au projet ou simplement à en retarder la mise en œuvre.
Conclusion : l’« étranger », véhicule de la contestation ?
45Alors même que l’Awsa constitue au début de l’année 2012 le contexte géopolitique local le plus favorable à l’émergence d’une contestation locale, du fait principalement des déclarations autonomistes du sultan nouvellement intronisé et du lancement d’un projet spoliant les populations locales, rien ne se passe. Les résistances demeurent individuelles ; le soutien du sultan reste moral, présupposé par les habitants, et en tout cas aucunement organisé ; les incidents ne prennent pas d’ampleur et la situation se calme alors que l’Éthiopie entre dans une période de lente et pacifique passation de pouvoir, au sein du gouvernement et comme du Parti37. Dans cet atermoiement national qui caractérise l’ensemble du pays, la mise en œuvre du projet subit quelques retards.
46Pour conserver un accès, si faible soit-il, aux terres agricoles, les paysans renoncent – sans même l’avoir jamais véritablement expérimentée – à leur voix politique, le rejet de la contrainte étatique ne se transforme pas en revendication politique. Ils ont pourtant bien conscience, et c’est là tout le tragique de la situation, du caractère exceptionnel de la fenêtre d’expression politique qui s’offrait à eux entre l’automne 2011 et le printemps 2012 et qui semble s’être maintenant refermée.
47Une telle situation engage à réfléchir sur une question majeure de la politique éthiopienne qui fut longtemps le fer de lance de l’opposition : la privatisation du sol et sa possible marchandisation, toujours refusées par le gouvernement fédéral au nom de la dépendance agricole des ruraux. En Éthiopie, l’on n’a guère pris la mesure des incidences politiques de cet attachement au sol, d’autant moins que la situation actuelle convient très bien au gouvernement en place et participe à sa façon d’une entreprise plus générale de contrôle et de musellement des populations locales.
48Dans un tel contexte, quel rôle pourraient alors jouer des investisseurs privés, si tant est qu’ils ne soient pas systématiquement accompagnés par les autorités éthiopiennes ? Peut-on penser que les paysans éthiopiens réagiraient autrement vis-à-vis d’acteurs ne bénéficiant pas du même capital politique et symbolique que les fonctionnaires éthiopiens ? La résistance des populations locales, dans le Sud Omo comme dans le Gambella, paraît plus vive vis-à-vis des entrepreneurs étrangers. Elle se manifeste par la multiplication d’incidents à l’encontre des « étrangers » sur place (touristes ou investisseurs) dans des proportions plus importantes que dans l’Afar.
49Souvent décrié pour son impact sur les économies, les environnements et les populations locales, l’accaparement foncier pourrait promettre dans des contextes peu démocratiques et très légitimistes comme celui de l’Éthiopie un aiguisement des consciences politiques, si tant est que les structurations de pouvoir locales n’étaient pas là pour les bâillonner.
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Notes de bas de page
1 Cet investissement s’élève à 7 milliards de dollars.
2 L’acheminement de l’électricité ainsi produite en Éthiopie devrait se faire dans toute l’aire régionale. Les contrats de vente de l’électricité sont actuellement en négociation avec Djibouti, le Kenya et le Soudan du Sud, principalement.
3 À l’heure actuelle, seule une entreprise italienne s’occupe de la réalisation technique du barrage.
4 C’est en procédant à différents dons de terre que l’empereur récompensait ses fidèles ou ses serviteurs. C’est en nationalisant le sol lors de la réforme agraire de 1975 ou plus tardivement en autorisant les autorités locales à procéder à des redistributions régulières des parcelles communales (Dessalegn Rahmato, 1985 ; 2010) que l’État s’octroyait un contrôle sur le sol et sur ses habitants. Plus récemment, c’est également dans ce sens que l’on peut interpréter la réforme du foncier urbain généralisant le lease à tous les types d’habitat. Ce contrôle du foncier par l’État est de moins en moins contesté, à mesure que le pouvoir renforce sa domination, notamment depuis la période postélectorale de 2005 (Lefort, 2010).
5 Si ce droit d’usage peut exister dans la pratique son fondement juridique est souvent implicite.
6 Gouvernement dictatorial d’inspiration marxiste-leniniste qui refonda totalement l’organisation du pays de 1974 à 1991.
7 Voir les descriptions de l’accès au terrain dans des conditions sensibles faites par Siegfried Pausewang, 2002.
8 Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’une enquête multisite conduite dans le cadre du programme Mitego, elle portait sur les mécanismes de la gouvernance rurale. L’enquête en pays afar a été réalisée en février 2011.
9 Voir les cartes produites par Tom Lavers (2012b) sur les terres allouées à des investisseurs ou recensées pour investissements.
10 Estimation datant de 2011.
11 C’est cette idée qui motiva la mise en œuvre des grands déplacements de populations (resettlements) pendant la période du Derg (Pankhurst, 1997).
12 Le ministère des Mines et de l’Énergie proposait dans le même temps un inventaire des terres disponibles pour la culture du bio-éthanol de 24 millions d’hectares.
13 Comme le boom caféier en zone forestière.
14 14,9 % selon les textes !
15 Cette orientation économique a été confirmée par l’actuel gouvernement au pouvoir, il s’agit du programme ADLI, Agricultural Led Development Industrialisation, lancé en 1991.
16 Voir http://ochaonline.un.org/Ethiopia.
17 L’investisseur éthio-saoudien Al Amoudi négocierait ainsi directement avec Meles Zenawi. L’on ne sait si cette pratique a encore lieu et si elle tenait à la personnalité du défunt Premier ministre ou à sa fonction.
18 L’autonomie des Régions-États en matière de gestion du foncier est garantie par la Constitution dans le respect de la subsidiarité fédérale toutefois.
19 Notamment l’ambassade des États-Unis dans un télégramme diplomatique publié sur Wikileaks.
20 Le ministère de l’Agriculture s’attèle d’ailleurs depuis peu à un vaste programme national de mise en défens des pacages.
21 Officiellement ces transferts sont volontaires, officieusement certaines régions semblent avoir subi quelques pressions (Dessalegn Rahmato, 2011 : 15)
22 Voir les développements sur le mengist (État, en amharique) dans Vaughan, Tronvoll, 2002, ou Clapham, 2002, plus spécifiquement sur le projet d’encadrement.
23 Dans une certaine mesure. Quand les détournements furent trop visibles et trop importants, quelques responsables locaux furent conduit en prison à l’automne 2011.
24 Les terres de forêt humide, dites du Kalo, existent encore en aval ou en périphérie de l’oasis. Toutefois leur mise en culture suppose des moyens que les petits paysans ne possèdent pas, cela est réservé aux investisseurs. Ce ne sont pourtant pas ces terres qui sont utilisées par la Tendaho Sugar Factory.
25 Projection sur 5 ans.
26 L’usine prévue pour être opérationnelle en octobre 2012 devrait être rapidement mise en œuvre.
27 Entretiens avec le sultan et certains de ses relais familiaux ainsi qu’avec des membres de l’administration du kellel, mais nous n’avons pas rencontré le président du kellel.
28 À l’heure actuelle, ce dernier est toujours en place.
29 Soit 43,5 euros en 2012.
30 Nous écrivons ce texte en octobre 2012.
31 Lors du 13e anniversaire de l’Afar National Democratic Party.
32 Et ce, quelle que soit la diversité régionale.
33 Cette participation est également financière, sous forme de contribution « volontaire » pour le Renaissance Dam.
34 Notamment du fait du rôle du Parti, de ses antennes et cellules locales.
35 Programme d’assistance aux populations vulnérables consistant en une distribution de nourriture en échange de travaux effectués pour la communauté.
36 Alors que ces menaces opèrent mieux dans les régions plus centrales du pays.
37 Respectivement à la suite de la mort de Meles Zenawi en août 2012 et du congrès de Baher Dar en mars 2013.
Auteur
Chargée de recherche (CR1), IRD/UMR Prodig 8586.
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