Chapitre 2. Les trois piliers de l’action climatique
p. 75-130
Texte intégral
1La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc) est adoptée en juin 1992 lors du sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro. Elle marque l’aboutissement de près de vingt années de préoccupations croissantes concernant les pollutions atmosphériques liées aux activités humaines.
2Portées dès les années 1970 par des scientifiques, ces préoccupations ne cesseront d’être relayées à un haut niveau politique, par le truchement du G7 et de l’Organisation des Nations unies. Il faut cependant attendre la seconde moitié des années 1980 pour que cette montée en puissance des questions liées à l’atmosphère et au climat se traduise par des engagements et des actes politiques, aussi décisifs que fondateurs. C’est tout d’abord la convention de Vienne de 1985 sur la protection de la couche d’ozone, suivie, deux ans plus tard, par la signature du Protocole de Montréal visant à réduire et, à terme, supprimer les substances qui affectent la couche d’ozone. Puis, en décembre 1988, est adoptée une résolution des Nations unies intitulée « Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures »1. Il convient de s’attarder sur cette résolution, car elle définit le cadre général – à commencer par la manière dont le problème considéré est posé – dans lequel, aujourd’hui encore, se déploient les débats et les négociations relatifs au changement climatique.
Tenants et aboutissants des stratégies relatives au changement climatique
3Après avoir rappelé en une phrase qu’elle fait suite à la proposition du gouvernement de Malte intitulée « Sauvegarde du climat, patrimoine commun de l’humanité »2 », la résolution de 1988 reformule aussitôt le sujet en termes de problème potentiellement très grave et ne s’intéresse en fait qu’à l’évolution du climat (climate change) – et non au climat envisagé comme un « patrimoine commun de l’humanité3 », ainsi que le suggérait la question initiale introduite par Malte. Constitué de trois pages, le texte s’ouvre sur ces considérations :
[L’Assemblée générale des Nations unies], préoccupée par le fait que certaines activités humaines pourraient modifier les caractéristiques du climat mondial, faisant peser sur les générations présentes et futures la menace de graves conséquences économiques et sociales,
Notant avec préoccupation que l’on estime de plus en plus que l’accroissement continu de concentrations atmosphériques de gaz “à effet de serre” pourrait produire un réchauffement de la planète et, par la suite, une hausse du niveau des mers, avec des effets désastreux pour l’humanité à défaut de mesures opportunes à tous les niveaux,
4Quelques lignes plus loin, la nécessité d’un cadre global est affirmée :
Persuadée que l’évolution du climat4 touche l’ensemble de l’humanité et que la question doit être abordée dans un cadre mondial, de manière à tenir compte des intérêts vitaux de l’humanité tout entière,
1. Considère l’évolution du climat comme une préoccupation commune de l’humanité, le climat étant l’une des conditions essentielles de la vie sur terre ;
2. Estime qu’il faut prendre en temps voulu les mesures nécessaires pour traiter de l’évolution du climat dans un cadre mondial ; […]
5. Approuve la décision prise par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l’environnement de créer conjointement un Groupe intergouvernemental de l’évolution du climat, qui fournira des évaluations scientifiques, coordonnées à l’échelle internationale, de l’ampleur, de la chronologie et des effets potentiels de l’évolution du climat sur l’environnement et sur les conditions socio-économiques et formulera des stratégies réalistes pour agir sur ces effets, et se déclare satisfaite des travaux déjà entrepris par le Groupe ; […]
8. Se déclare favorable à l’organisation de conférences sur l’évolution du climat, particulièrement le réchauffement de la planète, aux niveaux national, régional et mondial, afin que la communauté internationale saisisse mieux combien il importe d’agir efficacement et sans retard sur tous les aspects de l’évolution du climat imputables à certaines activités de l’homme ; […]
10. Prie le Secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale et le Directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’environnement, agissant par l’entremise du Groupe intergouvernemental de l’évolution du climat, de prendre immédiatement les mesures qui permettront de disposer dans les meilleurs délais d’une étude d’ensemble et de recommandations sur :
(a) L’état des connaissances en climatologie et en matière d’évolution du climat ;
(b) Les programmes et études concernant les effets sociaux et économiques de l’évolution du climat, y compris le réchauffement de la planète ;
(c) Les stratégies envisagées pour retarder, limiter ou atténuer les effets d’une évolution nuisible du climat ;
(d) Le recensement et le renforcement éventuels des instruments juridiques internationaux relatifs au climat ;
(e) Les éléments à prévoir dans une éventuelle convention internationale sur le climat ;
5Cette résolution des Nations unies va déterminer le cadre stratégique dans lequel est envisagée, depuis, la question climatique.
6Elle fournit une identification du problème, qui, pour l’essentiel, correspond toujours au message officiel du Giec et de la conférence des parties liée à la Ccnucc :
les activités humaines engendrent des gaz à effet de serre (GES) susceptibles de conduire à des changements climatiques, dont un réchauffement global de la planète ;
il s’agit d’un problème/d’une préoccupation global(e) qui concerne l’ensemble de l’humanité (« mankind as a whole »), dans la mesure où ces changements climatiques sont susceptibles d’avoir des conséquences très graves, voire désastreuses en matières économiques et sociales.
7Elle préconise/prescrit un cadre d’action mondial :
le changement climatique étant une préoccupation commune de l’humanité, un cadre d’action mondial s’avère nécessaire ;
un appel à la poursuite des investigations scientifiques est recommandé, afin de mieux cerner le phénomène, ses causes et ses effets potentiels, étant entendu que de nombreuses incertitudes demeurent.
8Elle instaure des dispositifs institutionnels mondiaux :
création du Giec (IPCC en anglais), avec une feuille de route qui est toujours d’actualité ;
suggestion d’une convention internationale qui verra le jour quatre années plus tard.
Un point de départ systématique : un problème posé en termes de changement(s) climatique(s) avant tout porteur(s) de perturbations et de menaces
9S’inscrivant pleinement dans la continuité de cette résolution, la Ccnucc va sceller la manière dont est envisagée la question climatique, en mettant l’accent sur ses conséquences préjudiciables potentielles.
10Avec cette convention, il ne s’agit plus d’appréhender le climat comme un « patrimoine commun de l’humanité », ainsi que le proposait le gouvernement de Malte en 1988. Le titre même de la convention l’indique sans détour : la question du/des changement(s) climatique(s) polarise l’attention. Le ton est donné dès la première phrase de la convention :
Les Parties à la présente Convention,
Conscientes que les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière,
Préoccupées par le fait que l’activité humaine a augmenté sensiblement les concentrations de GES dans l’atmosphère, que cette augmentation renforce l’effet de serre naturel et qu’il en résultera un réchauffement supplémentaire de la surface terrestre et de l’atmosphère, ce dont risquent de souffrir les écosystèmes naturels et l’humanité.
11L’article premier, intitulé « Définitions », le confirme quand il énonce, dans l’ordre, ce qu’il convient d’entendre par :
Effets néfastes des changements climatiques : les modifications de l’environnement physique ou des biotes dues à des changements climatiques et qui exercent des effets nocifs significatifs sur la composition, la résistance ou la productivité des écosystèmes naturels et aménagés, sur le fonctionnement des systèmes socio-économiques ou sur la santé et le bien-être de l’homme. Changements climatiques : des changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables.
12Avant de dire ce qu’il convient d’entendre par :
Système climatique : un ensemble englobant l’atmosphère, l’hydrosphère, la biosphère et la géosphère, ainsi que leurs interactions.
13La liste se poursuit par les définitions d’« émissions », de « GES », d’« organisation régionale d’intégration économique », de « réservoir », de « puits », de « source ». L’article 2 précise, quant à lui, l’objectif de la convention :
L’objectif ultime de la présente Convention et de tous instruments juridiques connexes que la conférence des PARTIES pourrait adopter est de stabiliser […] les concentrations de GES dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique.
14Deux observations s’imposent à ce stade :
15(1) Il ne fait pas de doute que la question du (des) changement(s) climatique(s) l’a emporté sur celle du/des climat(s). Érigée en préoccupation majeure, la question du changement climatique éclipse si bien le climat que celui-ci est à peine défini. La Ccnucc se contente d’une définition très générale de la notion de « système climatique ». Le protocole de Kyoto élude le sujet. Il faut attendre les glossaires des troisième et quatrième rapports du Giec pour que le climat (au singulier), assimilé à un « temps moyen » donne lieu à une définition quelque peu substantielle, mais spatialement non référée :
Au sens étroit du terme, le climat désigne en général « le temps moyen » ou, plus précisément, se réfère à une description statistique fondée sur les moyennes et la variabilité de grandeurs pertinentes sur des périodes variant de quelques mois à des milliers, voire à des millions d’années (la période type, définie par l’Organisation météorologique mondiale, est de 30 ans). Ces grandeurs sont le plus souvent des variables de surface telles que la température, la hauteur de précipitation et le vent. Dans un sens plus large, le climat désigne l’état du système climatique, y compris sa description statistique. Dans plusieurs sections du présent rapport, on utilise également des périodes types d’une durée différente, par exemple des périodes de 20 ans (Glossaire du quatrième rapport du Giec [2007], définition voisine de celle du troisième rapport [2001]).
16De même, les troisième et quatrième rapports du Giec précisent et enrichissent la notion de système climatique :
Système extrêmement complexe formé de cinq composants principaux : l’atmosphère, l’hydrosphère, la cryosphère, la surface terrestre et la biosphère, et les interactions entre eux. Le système climatique évolue dans le temps sous l’effet de ses propres éléments dynamiques internes et en raison de forçages externes tels que les éruptions volcaniques et les variations solaires, et de forçages anthropiques tels que la modification de la composition de l’atmosphère et les changements d’affectation des terres.
17(2) L’idée de menaces associées au(x) changement(s) climatique(s) est omniprésente. Elle en est visiblement inséparable, sinon constitutive. À cet égard, une rapide comparaison avec la CDB s’avère éclairante. Cette dernière porte sur la diversité biologique en tant que telle, non sur les changements de la biodiversité biologique. Elle définit aussi précisément que possible ce qu’elle entend par diversité biologique et s’emploie d’emblée à en souligner l’importance, ainsi que les différentes valeurs qu’elle présente en soi et pour les humains. Cette démarche ne cessera d’être approfondie et raffinée, chaque conférence des parties rappelant combien la biodiversité fournit des biens et des services essentiels. Il en va tout autrement dans le cas du climat, pour la simple raison que l’attention se polarise avant tout sur la question du changement climatique. Dès lors, non seulement la définition du climat (des climats) devient manifestement secondaire, mais rien n’est dit quant à l’importance du/des climat(s). En conséquence aussi, les valeurs et services liés à la biodiversité ne trouvent pas d’équivalent du côté du climat ; leur correspondent en revanche des perturbations et des menaces liées au(x) changement(s) climatique(s), que les travaux du Giec ne vont cesser d’approfondir et de préciser. En définitive, si la question « En quoi la biodiversité est-elle importante ? » caractérise la manière dont est abordée la biodiversité, il semblerait que le thème du changement climatique privilégie une tout autre question ou un tout autre problème : « En quoi le changement climatique est-il indésirable ? » Le parallèle (fig. 13) révèle le statut orphelin de la colonne centrale5.
18Si les changements du climat sont envisagés en premier lieu au travers de leurs effets néfastes susceptibles d’affecter l’humanité dans son ensemble (première phrase de la convention-cadre), plusieurs ordres ou classes d’effets peuvent être distingués :
19(1) Des effets sur le système climatique lui-même :
une augmentation de l’effet de serre (convention-cadre [Cc]) ;
un réchauffement de la surface terrestre et de l’atmosphère (Cc) (global warming) ;
une perturbation du système climatique dans son ensemble (Cc, art. 2).
20Avec le développement des travaux du Giec, des précisions et des compléments sont apportés :
une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes (sécheresses, fortes précipitations générant des inondations) ;
un risque d’irréversibilité, d’emballement et de basculement du système climatique vers un autre état d’équilibre sous l’effet de franchissement de tipping points (seuils/points de basculement) :
Même si les concentrations de GES étaient stabilisées, le réchauffement anthropique et l’élévation du niveau de la mer se poursuivraient pendant des siècles en raison des échelles de temps propres aux processus et aux rétroactions climatiques
Giec, Bilan, 2007, Résumé, p. 12.
21Sur le premier point, en particulier, les experts du Giec vont s’employer à modéliser les conséquences prévisibles de ces changements climatiques selon les différentes régions du monde, en produisant des cartes d’évolution des températures, et éventuellement, des cartes d’évolution des précipitations. Il en ressort notamment l’idée selon laquelle les régions de haute latitude, ainsi que celles de la ceinture tropicale seront plus directement affectées.
22(2) Des effets induits sur les écosystèmes naturels et l’humanité (Cc, première phrase) :
sur la composition, la résistance ou la productivité des écosystèmes naturels et aménagés (Cc, art. 2) ;
sur le fonctionnement des systèmes socio-économiques ou sur la santé et le bien-être de l’homme (Cc, art. 2).
23Sur ces aspects aussi, les travaux du Giec ne vont cesser d’apporter des précisions et des enrichissements. Le résumé pour décideurs du troisième rapport du Giec de 2001 se limite encore à donner des exemples représentatifs d’incidences prévues avec des niveaux plus ou moins élevés de confiance. Dans le quatrième rapport, adopté en 2007, la réflexion en la matière se révèle beaucoup plus structurée et aboutie, comme l’indique, par exemple, le tableau ci-après (fig. 14). Différentes classes d’incidences correspondant à différents enjeux sont désormais distinguées. Les entrées retenues ne sont pas encore totalement stabilisées, même si certaines thématiques reviennent régulièrement, comme l’eau (les ressources en eau), les écosystèmes, la santé ; les experts y ajoutent, tantôt la production alimentaire et les côtes, tantôt un ensemble « industrie, établissements humains et société », qui renvoie manifestement aux aspects socio-économiques. Présentés dans le troisième chapitre du résumé pour décideurs de 2007 – sur les cinq chapitres qu’il comporte –, ces aspects se déploient sur un bon tiers du rapport. D’autres tableaux organisent différemment ces incidences en prenant cette fois une entrée spatiale par continent et sous-continent (Afrique, Asie, Australie et Nouvelle-Zélande, Europe, Amérique latine et Amérique du Nord).
24Au-delà de l’identification des incidences et impacts potentiels des changements climatiques, selon différents scénarios, le troisième rapport du Giec repère en outre cinq motifs d’inquiétude ou de préoccupation supplémentaires, que reconduit le quatrième rapport du Giec : les cinq « motifs de préoccupation » exposés dans le troisième rapport d’évaluation sont encore valables pour examiner les vulnérabilités critiques (Giec, 2007). Ils correspondent dans une assez large mesure au passage d’une approche en termes de risques à une approche en termes de vulnérabilité critique. Exposés dans le cinquième et dernier chapitre du rapport d’évaluation de 2007, page 19, ces éléments critiques de vulnérabilité sont les suivants :
risques encourus par les systèmes uniques et menacés ;
risques de phénomènes météorologiques extrêmes ;
répartition des effets et des vulnérabilités ;
effets cumulés ;
risques de singularité à grande échelle.
25Même si la terminologie confond encore la notion de risque et d’aléa, ces cinq motifs d’inquiétude vont au-delà des incidences ou impacts exposés par ailleurs. Leur caractère irréversible, leur gravité intrinsèque, le fait qu’ils pourraient engendrer des processus difficiles à contrôler ou provoquer des ruptures et des catastrophes considérables leur confère un statut particulier. Avec eux, le changement climatique prend une tournure franchement inquiétante, et dégrade singulièrement les prospectives de l’avenir en augmentant leur degré d’incertitude et en faisant croître leur instabilité.
26Au demeurant, dès le rapport de 2001, les experts se font plus insistants :
Les changements climatiques prévus auront des effets bénéfiques et néfastes sur les systèmes environnementaux et socio-économiques, mais plus l’ampleur et le rythme de ces changements seront importants, plus les effets néfastes l’emporteront
Giec, Résumé, 2001, p. 9.
27À ces tentatives de caractérisation des impacts du (des) changement(s) climatique(s) selon différentes thématiques et différentes parties du monde, il convient d’ajouter des contributions complémentaires. Elles ne proviennent pas du Giec, mais d’autres institutions et organismes qui s’appuient sur les travaux du Giec – notamment les différents scénarios d’évolution climatique – pour évaluer et anticiper les conséquences prévisibles ou potentielles à l’échelle planétaire. Les plus notables concernent :
le système économique mondial. En tentant d’apprécier le « coût de la non-action », le rapport Stern (2006) inaugure une manière d’évaluer le préjudice économique et financier global d’un changement climatique non maîtrisé. Une baisse de 5 à 20 % du PIB mondial pourrait en résulter d’ici à la fin du siècle, que l’auteur évalue encore à quelque 5500 milliards d’euros ;
les populations pauvres, généralement considérées comme les plus exposées et les plus vulnérables, en raison de capacités moindres d’adaptation – notamment des capacités financières. S’ensuit la question des réfugiés climatiques, avec des estimations données à ce sujet (déjà présent en filigrane dans la convention-cadre, via la question de l’élévation du niveau de la mer) : différents rapports (Thomalia, 2002 ; Stern, 2006 ; Ined ; Cedem, 2013) anticipent la migration de dizaines, voire des centaines de millions de personnes ;
une difficulté accrue pour certaines sociétés à entrer dans une spirale vertueuse de développement durable ;
un risque accru d’instabilité sociale et géopolitique du fait de l’accroissement des inégalités sociales et économiques consécutives aux impacts néfastes du changement climatique et, au-delà, un risque accentué de désordre planétaire, bien que cet aspect ne soit qu’évoqué brièvement (Woodbridge, 2004 ; Blamont, 2004 ; PNUE, 2007 ; National Council of Security, 2012).
Des changements climatiques toujours plus avérés et dont l’origine majoritairement anthropique est affirmée avec toujours plus de force
28La cinquième phrase du préambule de la Ccnucc dispose :
Notant que la prévision des changements climatiques recèle un grand nombre d’incertitudes, notamment en ce qui concerne leur déroulement dans le temps, leur ampleur et leurs caractéristiques régionales.
29De fait, les experts du Giec, en particulier ceux impliqués dans le Groupe I dévolu à la compréhension des bases physiques du système climatique, s’emploient à améliorer les données disponibles et à affiner les modèles climatiques afin de réduire autant que faire se peut la part des incertitudes. Dans les dernières versions des rapports d’évaluation du Giec, chaque phrase de bilan est associée à un niveau de confiance plus ou moins élevé (de « pratiquement certain » à « extrêmement improbable »), tout en précisant le niveau d’accord obtenu entre les experts (limité, moyen ou élevé).
30D’un rapport du Giec à l’autre, le ton se fait toujours plus affirmatif quant à la réalité du changement climatique. La première phrase du bilan présenté fin 2013 dans le rapport d’évaluation du groupe 1, laisse peu de place au doute :
Le réchauffement du système climatique est sans équivoque, et depuis les années 1950, beaucoup de changements observés sont sans précédent depuis des décennies jusqu’à des millénaires. L’atmosphère et l’océan se sont réchauffés, la quantité des neiges et glaces a diminué, le niveau des mers s’élève, et les concentrations des GES ont augmenté (Giec, quatrième et cinquième rapports).
31Il convient de noter que la hausse des températures de la terre et des océans par rapport à l’ère pré-industrielle, était estimée à 0,85 °C ; un chiffre revu à la hausse depuis peu pour atteindre la valeur de 1,1 °C. Elle entre donc dans les limites de la variabilité naturelle de l’Holocène, comprise dans une fourchette de + 2 °C à – 1 °C. Cependant, la décennie 1990-1999 a été marquée par des années particulièrement chaudes – ce qui pourrait en faire la période la plus chaude depuis l’optimum médiéval, et ce, malgré l’effet de refroidissement consécutif à l’éruption volcanique du Pinatubo en 1991.
Le changement le plus certain correspond donc au réchauffement de la Terre
32Ce préalable étant posé, les rapports du Giec en viennent aux causes du phénomène (voir par exemple le chapitre ii du rapport d’évaluation de 2007). Dans son rapport aux décideurs, le rapport stipule :
L’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe depuis le milieu du xxe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES [GES] anthropiques. Il est probable que tous les continents, à l’exception de l’Antarctique ont généralement subi un réchauffement anthropique marqué depuis cinquante ans (Giec, quatrième rapport).
On détecte l’influence des activités humaines dans le réchauffement de l’atmosphère et de l’océan, dans les changements du cycle global de l’eau, dans le recul des neiges et des glaces, dans l’élévation du niveau moyen mondial des mers et dans la modification de certains extrêmes climatiques. […] On a gagné en certitude à ce sujet depuis le quatrième Rapport d’évaluation. Il est extrêmement probable que l’influence de l’homme est la cause principale du réchauffement observé depuis le milieu du xxe siècle.
Il est extrêmement probable que plus de la moitié de l’augmentation observée de la température moyenne à la surface du globe entre 1951 et 2010 est due à l’augmentation anthropique des concentrations de GES et à d’autres forçages anthropiques conjugués (Giec, cinquième rapport du groupe 1, Résumé pour décideurs, p. 15).
33Cependant, il convient de noter que le lien de cause à effet entre élévation de la teneur en GES et réchauffement climatique est établi de manière indirecte (fig. 15 et 16). Il n’est pas à proprement parler prouvé, si l’on s’en tient à l’argumentaire développé dans les rapports du Giec. Plusieurs éléments sont en effet avancés pour aller dans ce sens, mais ils ne sont pas non plus présentés comme des preuves irréfutables du lien entre augmentation de la concentration en GES et réchauffement climatique :
il est tout d’abord rappelé que le bilan énergétique du système climatique dépend de la concentration de GES et d’aérosol, ainsi que de la couverture végétale et du rayonnement solaire6 ;
le paragraphe suivant enchaîne avec l’idée que les émissions de GES (Eges) ont connu un essor considérable depuis l’époque préindustrielle, ce qui a eu pour effet de faire croître les concentrations atmosphériques de CO2 et de NH4 bien au-delà de l’intervalle de variation naturelle des
650000 dernières années. En outre, les teneurs en CO2 contenues dans les carottes glaciaires indiquent que l’atmosphère terrestre n’a jamais connu de telles concentrations de GES ;enfin, le dernier argument en faveur d’une corrélation positive entre augmentation des Eges d’origine anthropique et élévation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre est censé découler des modèles climatiques eux-mêmes. Les spécialistes du Giec considèrent que, dans l’ensemble, ces modèles simulent correctement l’évolution du climat passé et actuel, ce qui confirme leur pertinence et les hypothèses sur la base desquelles ils sont établis.
34Le raisonnement se poursuit en cherchant à remonter aux sources de ces émissions de GES (fig. 17). Une double origine est trouvée : la combustion d’énergies fossiles d’une part (pour 80 %), la déforestation d’autre part (pour 20 %).
35À la question « À quoi est dû le réchauffement climatique ? », les experts du Giec répondent donc par une chaîne de causes à effets aussi limpide qu’impitoyable. L’augmentation des GES d’origine anthropique induit un forçage radiatif ; celui-ci entraîne une élévation de la température moyenne de la surface de la Terre et de l’atmosphère terrestre ; à son tour, le réchauffement planétaire engendre un ensemble de changements climatiques dont plusieurs manifestations sont déjà tangibles (hausse du niveau de la mer, contraction des glaciers et réduction des surfaces enneigées, modification du régime des précipitations, événements climatiques extrêmes accentués…). S’ensuivent ou pourraient en résulter des effets nettement défavorables sur les écosystèmes, la santé, les ressources en eau, la productivité des agrosystèmes, la stabilité des systèmes socioéconomiques. En bref, plus le forçage radiatif consécutif à l’augmentation des GES sera important, plus les perturbations engendrées seront dommageables et difficiles à surmonter. En outre, il faut tenir compte de l’inertie du système climatique et d’effets de seuils aussi imprévisibles que massifs dans leurs conséquences.
36La teneur en GES d’origine anthropique est ainsi confirmée dans son rôle de variable-clé ; elle commande le processus. Les différents scénarios d’évolution climatique dépendent donc de l’évolution de ce paramètre. La corrélation s’avère si grande, selon les experts du Giec et les modèles climatiques sur lesquels ils s’appuient, qu’elle permet d’évaluer le capital-GES restant7, afin que soit respecté un seuil de 2 °C d’élévation de la température moyenne de la Terre d’ici la fin du siècle.
37À son tour, cette teneur est soumise à un déterminant majeur :
La cause première de la hausse de la concentration de CO2 est l’utilisation de combustibles fossiles : le changement d’affectation des terres y contribue aussi, mais dans une moindre mesure. Il est très probable que l’augmentation observée de la concentration de CH4 provient surtout de l’agriculture et de l’utilisation de combustibles fossiles .
Giec, 2007, p. 5
38Sans être le seul incriminé, le dioxyde de carbone représente à lui seul près de 60 % des émissions de GES ; aussi les émissions sont-elles comptabilisées en équivalent CO2. L’origine des émissions est également connue de manière quasi certaine : la consommation des énergies fossiles y joue un rôle considérable et même largement prépondérant, mais non exclusif ; les schémas produits par le Giec font ainsi étroitement correspondre émissions de CO2 et consommation de combustibles fossiles. Au demeurant, le CO2 se distingue encore des autres GES (CH4, N2O, gaz fluorés) dans la mesure où les émissions connaissent un essor considérable : entre 1970 et 2004, elles sont passées de 21 à 38 GtC, ce qui représente une augmentation de 80 % pour atteindre 77 % des GES en 2004. Bien que la teneur moyennée de l’atmosphère terrestre en CO2 soit faible – de l’ordre de 0,03 à 0,04 % du total, soit cent fois moins que la teneur en vapeur d’eau (le principal GES), elle est donc considérée par le Giec comme l’élément déterminant du réchauffement planétaire (fig. 18).
39En définitive, la question des origines du changement climatique semble obéir à une logique des plus simples, en comparaison des facteurs complexes et multiples invoqués pour expliquer le déclin de la biodiversité. La phrase suivante, extraite du site Wikipédia, résume bien la conception en vigueur : « Le changement climatique est le fait des émissions de GES engendrées par les activités humaines, modifiant la composition de l’atmosphère de la planète. »
40Le schéma est encore simplifié par le fait que la teneur en CO2 peut servir de marqueur ou d’indicateur à l’émission de GES, de même que la consommation d’énergies fossiles sert de marqueur ou d’indicateur au modèle de développement suivi par l’humanité. Le problème peut ainsi se résumer à un enchaînement logique dont la simplicité donne l’apparence d’une rigueur toute mathématique :
Activités humaines (dont l’intensité a pour indicateur la consommation d’énergies fossiles) => Augmentation des émissions de GES (exprimables en équivalent CO2) => Réchauffement planétaire => Changements climatiques => Effets plus ou moins néfastes, prévisibles et irréversibles.
41Au demeurant, dans les rapports du Giec, des analyses plus fines encore des émissions de GES par secteurs d’activité ou par pays sont produites. Elles laissent entendre qu’il est possible de remonter aux causes ultimes ou premières des Eges. Cela donne à penser que la source même du problème, ainsi que ses véritables responsables, peut être identifiée. En dernier ressort cependant, ce sont les activités humaines au sens large et plus généralement les caractéristiques du développement socio-économique qui sont jugées responsables de la situation actuelle ; et cette fois, bien que cela ne soit pas formulé en ces termes ni explicitement reconnu, la remontée de la chaîne causale bute sur une difficulté de taille. De fait, les rapports officiels ne s’attardent pas sur ce point. Ils restent assez évasifs, même s’ils essaient parfois de repérer des facteurs plus précis que la seule « mise en cause du développement économique ».
42Cela se repère au détour de phrases comme celle-ci : « La diminution de l’intensité énergétique globale entre 1970 et 2004 ( – 33 %) a eu moins d’effet sur les émissions totales que l’effet conjugué de l’augmentation mondiale des revenus (77 %) et de la croissance démographique mondiale (69 %), qui sont deux facteurs d’accroissement des émissions de CO2 liées à la consommation d’énergie. La tendance à long terme d’un fléchissement des émissions de CO2 par unité d’énergie fournie s’est inversée après 2000. »
43Cette difficulté « résiduelle » transparaît également dans le schéma récapitulatif par lequel s’ouvre le rapport de synthèse du bilan 2007 du Giec (p. 26). Ce schéma (fig. 19) perfectionne une première tentative de représentation intégrée du « cycle des causes et effets » relatifs aux changements climatiques, proposée au début du rapport de synthèse du Giec de 2001. Dans la version première et antérieure de ce schéma, le bloc du bas est, parmi les quatre, celui qui s’est, et de loin, le plus enrichi dans les termes qu’il comporte. En 2001, il avait pour titre principal « Voies de développement socio-économique » et comportait quatre items : « croissance, technologie, population, gouvernance ». Dans la version de 2007, le nombre d’items a été doublé, même si la « croissance » a disparu. La variété des items inscrits dans ce cadre suggère que les déterminants finaux ou les causes ultimes du changement climatique s’avèrent moins aisément isolables et identifiables qu’il n’y paraît de prime abord. Cette figure qui se présente sous la forme d’un double cycle s’organise autour d’un centre introuvable ; en revanche, elle situe précisément les deux grandes stratégies de l’atténuation et de l’adaptation.
44En fin de chapitre, la structure de ce schéma sera remobilisée pour intégrer les conclusions et reformulations issues de l’analyse conduite dans les pages suivantes.
La réponse apportée : deux stratégies reconnues
45La convention-cadre sur les changements climatiques insiste moins explicitement que la résolution de l’ONU de 1988 sur la nécessité d’un cadre global d’action. Pourtant, elle s’inscrit bien dans cette perspective, ainsi que le confirme son préambule :
Conscientes que le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une action internationale, efficace et appropriée, selon leurs responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et économique.
46Le caractère mondial ou planétaire (global) du problème est rappelé, ce que ne cesseront de répéter les déclarations établies à l’issue des différentes conférences des parties de ladite convention. En conséquence, la recherche d’une action internationale s’impose, la convention-cadre en formant elle-même une étape décisive.
47Au fil des années, à force de réunions et d’échanges dans le cadre des MOP (meetings des parties) et des COP (conférences des parties), une doctrine s’est forgée concernant les caractéristiques de l’action relative au changement climatique. Aisément repérable aujourd’hui, elle distingue de manière systématique et largement consensuelle deux grandes stratégies en rapport avec les changements climatiques : l’atténuation (mitigation en anglais), d’une part, l’adaptation, d’autre part. Ces deux stratégies figurent déjà dans la convention-cadre, mais la seconde n’y occupe qu’une place mineure. Le terme d’adaptation n’apparaît en effet qu’à cinq reprises dans un texte qui, pour l’essentiel, vise à réduire les émissions de GES. Et pour cause : la convention a pour « objectif ultime » de « stabiliser les concentrations de GES à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Un tel objectif donne le primat à la maîtrise et à la réduction des GES, c’est-à-dire à l’atténuation ; par principe et par construction, l’adaptation fait donc figure de pis-aller.
48Il faut attendre le tournant de 2008 (COP 14 et MOP 4 de Poznan) pour que l’adaptation soit officiellement reconnue par le processus onusien, sous la pression croissante des pays en développement ; dès lors, elle est censée constituer une stratégie à part entière aux côtés de l’atténuation. En pratique cependant, et même si des fonds ont été créés ou sont en passe de l’être pour lui donner corps, l’adaptation peine à rivaliser avec l’atténuation. Cette situation s’explique par l’idée régulièrement rappelée que l’urgence est de réduire les émissions de GES. Le message des différents rapports du Giec, pour partie explicite et pour partie implicite, consiste en effet à souligner qu’au-delà d’un certain seuil de concentration de l’atmosphère en GES, les perturbations induites par l’élévation excessive de la température moyenne du globe seront telles que toute stratégie d’adaptation perdra considérablement de son intérêt et de son efficacité – si elle ne se révèle pas totalement disqualifiée ou débordée par les événements climatiques devenus largement imprévisibles et extrêmes. Dans ces conditions, les stratégies d’adaptation s’avèrent, sinon secondes, à tout le moins dépendantes, dans une large mesure, des stratégies d’atténuation et de leur mise en œuvre. La réciproque n’étant pas vraie, cela donne, de fait, davantage d’importance à l’atténuation par rapport à l’adaptation. Ce constat de préséance étant établi, il n’en reste pas moins que l’action internationale à l’égard des changements climatiques est officiellement placée sous cette double action stratégique de l’atténuation et de l’adaptation.
49Les diagrammes schématiques par lesquels s’ouvrent, à compter de 2001, les rapports de synthèse du Giec montrent clairement en quoi ces stratégies diffèrent. L’atténuation est logiquement placée en bas à gauche, du côté des émissions de GES, tandis que l’adaptation se trouve en bas à droite, du côté des effets induits par les changements climatiques. Ces deux grandes stratégies diffèrent donc totalement l’une de l’autre, par leurs finalités – l’une cherche à influer sur les causes (la cause) du changement climatique, cependant que l’autre s’emploie à minimiser ses incidences défavorables et les vulnérabilités associées. Ensuite, elles diffèrent par les objets ou les entités qui concentrent leur attention – les activités et les pays producteurs de GES d’un côté ; les pays, les domaines et les personnes les plus exposés aux effets des changements climatiques de l’autre.
50À ce niveau de cadrage stratégique, il conviendrait certainement de considérer qu’une troisième stratégie existe en germes, même si elle est d’autant moins reconnue que son usage éventuel fait aujourd’hui l’objet d’un moratoire. Le schéma récapitulatif du Giec laisse en effet la place pour une action qui viserait à combattre, non les effets induits par le réchauffement climatique, mais le réchauffement climatique lui-même, sans pour autant jouer sur ses causes premières. En effet, supprimer ou atténuer les conséquences directes de l’élévation des GES (à savoir le réchauffement climatique), sans pour autant remonter à ses causes premières (à savoir l’envol des émissions de GES), correspond précisément au but que se donnent la géoingénierie et ses promoteurs. En toute rigueur, il faut donc reconnaître que cette action pourrait relever, en principe, du même niveau stratégique que l’atténuation et l’adaptation – quand bien même elle est, à l’heure actuelle, rejetée catégoriquement par le processus onusien et fait l’objet d’un moratoire.
Une recherche de « solution globale », soumise à de fortes perturbations
51Tout semblait fait pour réussir. Par le fait même qu’il ne connaissait pas de frontière, qu’il était d’échelle planétaire, qu’il relevait d’une chaîne de causes à effets des plus simples et des plus caractérisées, le problème du changement climatique, « problème global par excellence », devait se prêter idéalement à une « solution globale ». Dès la fin des années 1980, une résolution des Nations unies définissait le cadre de l’action. Quatre années plus tard, à Rio de Janeiro, une convention-cadre était adoptée par une majorité des États. Une plateforme internationale d’expertise, unique en son genre, le Giec, devait permettre d’asseoir l’action politique de haut niveau sur les dernières avancées des sciences du climat.
52Pourtant, aux yeux de nombreux observateurs et experts aujourd’hui, la négociation multilatérale n’a pas tenu ses promesses. Depuis ce que beaucoup ont considéré comme « l’échec de la conférence de Copenhague (2009) », les choses semblent même aller de mal en pis. Pourquoi ont-elles aussi mal tourné ?
53Les avis sur le sujet ne manquent pas. Il ne s’agit pas de les relater de manière aussi complète que possible – exercice qui pourrait s’avérer sans fin –, mais plutôt de repérer en leur sein des idées structurantes, susceptibles d’apporter un éclairage spécifique au problème posé. Cela oblige à faire des choix assurément critiquables, tant la matière surabonde d’informations et de commentaires en tout genre. À cette fin sont privilégiées des expertises élaborées, formulées par des spécialistes reconnus dans leur domaine ou des acteurs ayant une légitimité certaine.
54Cet exercice n’a pas pour ambition de distinguer le vrai du faux, de dire qui a raison et qui a tort. Sa finalité consiste à porter à la lumière des pierres d’achoppement majeures dont les acteurs n’ont, semble-t-il, pas toujours pris la pleine mesure et qui, de ce fait, entravent la progression des débats. Exercice assurément délicat, où il ne s’agit en aucun cas de prendre parti.
55En prenant appui sur les avis et les expertises formulés au sujet de l’approche globale du problème du (des) changement(s) climatique(s), trois ensembles de considérations méritent, à notre avis, un approfondissement particulier, en raison de leur importance et du fait qu’ils ne sont habituellement pas assez dégagés.
Le premier, a priori le plus manifeste, revient sur la notion de « controverse climatique ». Au-delà de la controverse scientifique, nous souhaitons montrer qu’un processus de polarisation des positions s’est instauré, qui s’oppose à une approche raisonnée du problème du changement climatique et structure une controverse qui va bien au-delà des seuls aspects scientifiques du débat.
Le deuxième ensemble porte sur les stratégies globales de lutte contre les changements climatiques, plus précisément sur les grandes modalités qu’elles privilégient ; l’accent mis sur la controverse climatique occulte généralement un point majeur, à savoir que les modalités d’action envisagées pour lutter contre le réchauffement climatique sont loin de trouver un large assentiment, y compris parmi les plus grands spécialistes et experts d’un domaine donné.
Bien que plus discret, le troisième aspect n’est pas moins fondamental, si l’on en croit les auteurs qui mettent en cause le « cadrage global du problème » pour expliquer les difficultés rencontrées par la négociation climatique.
56Autant de pierres d’achoppement qui structurent les pages suivantes.
Un sujet devenu totalement polémique
57Les publications relatives au changement climatique sont légion. Année après année, leur nombre s’accroît de façon considérable. Aux travaux scientifiques et aux avis d’experts s’ajoute une myriade de commentaires émanant des personnes et des groupes d’intérêt les plus divers. Pourtant, l’impression d’égarement dans cet océan d’informations ne dure pas, tant les idées et les réflexions s’avèrent aujourd’hui nettement polarisées. D’ailleurs, tout nouvel arrivant dans la discussion peut en faire l’expérience : difficile, sinon impossible de rester longtemps neutre, de se donner le loisir de comprendre ce qui est en jeu, de refuser, en somme, de prendre parti. Une configuration classique entre pro et anti s’impose et organise le débat, configuration à laquelle nul ne semble pouvoir échapper. D’un côté, ceux qu’il est convenu d’appeler climatosceptiques, assimilés à des négateurs ou des négationnistes (« deniers » en anglais) ; de l’autre et en retour, les carbocentristes8, assimilés à des réchauffistes par ceux qui doutent ouvertement de la réalité du réchauffement climatique, ou, plus souvent, ne sont pas convaincus de l’origine anthropique du phénomène et remettent en cause son importance et/ou la gravité de ses conséquences – selon la définition très large que donne Wikipédia du terme « climatosceptique ».
58La dynamique du phénomène n’autorise guère d’entre-deux, pas plus qu’elle n’opère en finesse : des positions dures se structurent, qui masquent une réalité assurément plus subtile. S’interroger sur la part de la contribution anthropique au réchauffement climatique, relativiser certaines conclusions du Giec quant à la gravité ou au rythme du changement climatique, ou bien encore douter de la pertinence des grands instruments d’action envisagés par la négociation internationale, c’est aussitôt être taxé de climatoscepticisme. Les catégories du pour et du contre se referment sur quiconque ose prendre part au débat. L’étiquetage est immédiat et indélébile : émettre des idées qui n’entrent pas dans une catégorie fait courir le risque d’une mise à l’index, ainsi qu’en témoigne le professeur Mike Hulme. Chercheur réputé en climatologie depuis 1981 ; auteur principal des rapports du Giec publiés en 1996 et 2001 ; fondateur d’un centre de recherche de renommée internationale, le Tyndall Center for Climate Change Research ; coordonnateur d’un vaste programme de recherche sur le changement environnemental global à l’échelle européenne et coéditeur de la revue scientifique Global Environnemental Change, il observe en mars 2008 :
In recent years I have been chastised for some of my pronouncements on climate change. I have spoken out against the use of exaggerated language in the description of climate change risks; I have spoken about the limits and fragility of scientific knowledge […]. As a consequence I have been accused of burying my head ostrich like in the sand; of undermining the power of science; of lacking passion about “solving” the “problem” of climate change.9
59Il n’en a pas toujours été ainsi.
60Naguère, la vérité semblait pourtant avoir choisi son camp. En 2006, avec Une vérité qui dérange, Al Gore est le héros d’un documentaire qui trouve un écho planétaire (Tabeaud et Broaweys, 2009) ; cela lui vaut de recevoir, l’année suivante, le prix Nobel de la paix, qu’il partage avec le Giec. À l’époque, tous ceux qui doutent publiquement de la réalité du changement climatique et de son origine majoritairement anthropique font peu ou prou figure de non-scientifiques. À la limite, ces quelques agitateurs sont l’exception qui confirme la règle ; dans l’esprit du plus grand nombre, semble-t-il, de même que dans l’image qu’en reflètent les médias, leurs allégations ne font que renforcer la quasi-certitude des faits et des conclusions exprimées par la voix du Giec. Un centre stable et lumineux autour duquel papillonnent quelques pseudo-scientifiques en mal de notoriété, voici, en somme, à quoi ressemble la scène primordiale. Difficile, dans ces conditions, de reconnaître une authentique controverse, tant la répartition des rôles paraît inégale et le doute réduit, voire inexistant, quant à l’issue d’un débat lui-même dénué de tout réel fondement. Aussi, quand, en 2008 et en marge d’un conseil informel des ministres européens de l’environnement, les journalistes interrogent le président du Giec, Rajendra Pachauri, celui-ci n’hésite pas à afficher le plus grand dédain à l’encontre de ceux qui émettent encore des doutes quant au changement climatique :
Ils sont marginaux et reflètent le plus souvent des intérêts particuliers qui redoutent d’être pénalisés par la transition à une économie « décarbonée ». Mais, objectivement, il n’y a plus de place pour le doute. La science a apporté tellement de preuves. Nous n’avons plus besoin d’aucune démonstration pour savoir sur une base scientifique que le réchauffement climatique est en cours et que l’essentiel de ce réchauffement est le fait des activités humaines. Mais il restera toujours des gens pour le contester. Il existe encore une Société de la Terre plate, dont les membres continuent et continueront pendant des siècles à nier la rotondité de la Terre10.
61Pourtant, un an et demi plus tard, un coup de tonnerre dans le ciel azuré de la vérité climatique annonce un changement de temps. Un mois avant la quinzième conférence des parties à Copenhague, qui concentre tous les espoirs d’un accord global contraignant, la divulgation de centaines de courriels et de documents échangés par des climatologues de renom – dont le président du Giec, Phil Jones – jette un froid. Le divulgateur anonyme du dossier l’accompagne du message suivant :
We feel that climate science is too important to be kept under wraps. We hereby release a random selection of correspondence, code and documents. Hopefully it will give some insight into the science and the people behind it.11
62L’affaire, connue depuis sous le nom de Climategate, connaît un fort retentissement outre-atlantique et au Royaume-Uni. Aujourd’hui encore, elle donne lieu à la création de commissions d’enquête parlementaire censées tirer les choses au clair ; en France en revanche, elle ne trouve guère d’écho, certains observateurs la comparant d’ailleurs au tristement célèbre nuage de Tchernobyl bloqué aux frontières de l’hexagone selon les cartes officielles publiées peu après la catastrophe nucléaire, sauf que cette fois les grands relais d’opinion et les principaux médias s’accordent pour en taire la portée.
63Dans la foulée, la conférence de Copenhague vient doucher les espoirs de tous ceux qui espéraient un sursaut de la communauté internationale, ainsi qu’une réponse à la hauteur des défis et des menaces liés au réchauffement planétaire. Depuis et jusqu’à la conférence de Paris en 2015, le doute a semblé frapper l’action internationale.
Période troublée : la controverse climatique s’installe, mais s’estompe en apparence
64Un ensemble d’acteurs, des climatologues et des économistes impliqués dans le Giec, des chercheurs d’autres disciplines, des responsables politiques de haut niveau, des associations de défense de l’environnement reconnaissent le Giec comme la source la plus crédible et la plus légitime pour énoncer ce qu’il en est en matière de changement climatique. Dans ces conditions, douter ou a fortiori mettre en cause les travaux du Giec et leurs conclusions, en particulier celles du groupe 1, revient à douter de l’institution scientifique elle-même et ouvre grande la porte à tous les relativismes, pour ne pas dire à l’irrationnel. Aussi déplorent-ils vivement et parfois avec véhémence la situation actuelle où les climatosceptiques, par différents artifices, sont parvenus à faire croire qu’il y avait effectivement controverse scientifique ; ce faisant, ils donnent pourtant à penser que deux camps existent effectivement et s’affrontent bel et bien :
Je ne qualifierai pas ces gens de « sceptiques », parce que le scepticisme est une démarche scientifique nécessaire qui porte tout progrès de la science. J’appellerais plutôt ces gens des « négateurs » [ « deniers » en anglais], terme plus approprié, car ils ignorent les faits mis au jour par les sciences du climat depuis quarante ans. […] Ce que nous voyons sont les éléments d’une propagande très similaire à celle montée jadis par l’industrie du tabac, pour nier les effets de la cigarette sur la santé. Il est scientifiquement démontrable qu’il y a un parallélisme – aux États-Unis en tout cas – entre les efforts de lobbying de certains milieux et la dissémination du doute sur divers aspects du changement climatique, que ce soit ses causes ou ses effets prévisibles12
Stocker, 2009.
Si les êtres humains étaient vraiment doués de raison, la logique voudrait que, dans la mesure où les preuves scientifiques confirmant l’origine anthropique du réchauffement climatique deviennent écrasantes, les climatosceptiques modifient leurs opinions pour tenir compte des faits. Et pourtant, les attaques de ces derniers contre les climatologues, les écologistes et quiconque admet les preuves du réchauffement climatique se sont faites encore plus virulentes. […] Là où demeure la moindre incertitude scientifique, les climatosceptiques se pressent pour tenter d’élargir la brèche et de détruire l’édifice. […] Les climatosceptiques sont passés maîtres dans l’art de ce que C.S. Lewis appelait le « bulvérisme », une démarche rhétorique qui consiste à se dispenser de démontrer que quelqu’un a tort, pour expliquer ensuite comment la personne en est arrivée à avoir une opinion aussi fausse
Hamilton13, 2012.
En situation de vive controverse, quand il s’agit d’obtenir des connaissances validées sur des objets aussi complexes que le système entier de la Terre, connaissances qui doivent entraîner des changements radicaux dans les détails les plus intimes de l’existence de milliards de gens, il est infiniment plus sûr de se confier à l’institution scientifique qu’à la certitude indiscutable. Mais aussi infiniment plus risqué. […] Je ne crois pourtant pas que le professeur [Bars, Collège de France] ait été très conscient d’avoir glissé d’une philosophie des sciences à une autre. Je pense plutôt qu’il n’avait plus le choix des armes puisque c’étaient ses adversaires climatosceptiques qui parlaient, eux, de n’agir qu’après avoir acquis une certitude totale et qui n’utilisaient la notion d’institution que pour le mettre, lui, dans l’embarras. N’accusent-ils pas en effet les climatologues d’être un « lobby » parmi d’autres, le « lobby » des modélisateurs ? Ne se délectent-ils pas de suivre à la trace les circuits d’argent nécessaires à leurs recherches ainsi que les réseaux d’influence et de copinage dont témoignent les courriels qu’ils se sont procurés en douce ? Et eux, eux, comment font-ils pour savoir
Latour, 2012, p. 16-17 ?
65Régulièrement assimilée à un « déni de science » ou encore à un « schisme de réalité » (Aykut et Dahan, 2014), cette situation s’avère extrêmement fâcheuse et pénalisante aux yeux des acteurs qui soutiennent sans réserve les travaux du Giec, car elle a pour effet de retarder la prise de décision politique. Même si des incertitudes demeurent, ces acteurs considèrent en effet que les preuves sont aujourd’hui suffisantes pour agir avec détermination ; atermoyer davantage fait courir des risques exorbitants à l’humanité. Ils portent donc un jugement sévère à l’encontre de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, fragilisent la parole du Giec. Ils leur reprochent fondamentalement de semer le trouble dans l’opinion publique ; de nourrir l’agnosticisme climatique en laissant entendre que la question climatique est toujours fortement controversée, alors que les preuves de sa réalité et de l’origine anthropique du phénomène ne cessent de s’accumuler. « Imposture scientifique » ayant pour conséquence concrète et ô combien dommageable de freiner ou de bloquer l’action internationale. Voici, par exemple, ce qu’en dit Olivier Godard, professeur d’économie à l’École polytechnique :
Il est troublant de voir le succès des balivernes climatosceptiques auprès de l’opinion et de certains médias tout frétillants de pouvoir mettre à terre ce qu’ils avaient porté, il y a peu, au rang des causes les plus élevées. Il est triste de voir une certaine intelligentsia, écrivains, « penseurs médiatiques », philosophes de salon, qui ne connaissent pas plus la science du climat que la science tout court, se rallier aux faussaires ou aux bouffons dans lesquels ils voient le nec plus ultra d’une science innovante qui ose renverser la pensée unique avec courage. Du haut de leur incompétence, ils jugent que les milliers de scientifiques qui font leur travail avec sérieux sont des idéologues ou des incapables, sauf dans l’art de la manipulation, mais que nos imposteurs médiatiques sont les savants qui disent enfin la vérité sur la nudité du roi…
Godard, 2010.
Emballement du processus : peut-on encore parler de controverse scientifique ?
66Plusieurs considérations invitent cependant à se demander si la lecture de la question climatique selon les termes d’une « controverse climatique » rend correctement compte du phénomène à l’œuvre :
67Le processus visant à distinguer deux camps censés s’opposer autour de la question du changement climatique tourne à plein régime et mobilise des énergies croissantes. Il semblerait même que, plus les travaux du Giec se montrent affirmatifs quant à l’origine anthropique du forçage radiatif actuellement observé, plus ils en détaillent les conséquences fâcheuses, prévisibles et imprévisibles, et plus ils suscitent en retour la structuration d’une communauté virtuelle de scientifiques et d’experts nettement plus réservée, voire franchement contestataire quant aux preuves avancées par le Giec et soupçonneuse quant à ses silences. En conséquence, le nombre considérable de sommités scientifiques et de travaux publiés que met en avant le Giec se trouve aujourd’hui opposé à des listes non négligeables de savants émérites, relevant de différentes disciplines, qui ne craignent plus d’afficher des critiques significatives vis-à-vis du Giec, de son fonctionnement ou de certaines de ses conclusions. Des forums se multiplient sur la toile, les uns pour dénoncer les agissements des climatosceptiques, les autres pour commenter avec vigueur les rapports du Giec. En 2010, un groupe d’experts non gouvernementaux sur le changement climatique (NIPCC) est constitué ; il se propose d’offrir une « vision alternative aux rapports alarmistes du Giec » et de fait publie un premier rapport en 2011, suivi en septembre 2013 d’un second rapport, Climate Change Reconsidered I : Physical Science, alors qu’un second tome, Impacts, Adaptation, and Vulnerability, est annoncé pour 201414. Sans qu’il soit question de comparer la légitimité de ces deux communautés, force est de constater qu’un mouvement de fond est manifestement engagé, au travers duquel nombre de scientifiques prennent position. La dimension planétaire du problème, les enjeux considérables qu’il revêt n’y sont sans doute pas pour rien. Toujours est-il que le rapport de force, initialement très favorable au Giec, a évolué. Le drame se joue moins autour du réchauffement climatique lui-même – qu’en définitive très peu de personnes contestent et dont beaucoup d’individus, de par le monde, font l’expérience concrète – que sur la question de son origine et de ses possibles conséquences. Mais même cette évidence ne parvient plus à s’imposer : le terme de climatosceptique ne permet pas de faire la part des choses ; il englobe et confond toutes les interrogations et mises en cause possibles, en particulier en France, où l’expression primesautière de personnages tel Claude Allègre sert souvent d’archétype grossier à la figure du climatosceptique.
68Au demeurant, il est devenu très difficile de pouvoir isoler une authentique « controverse scientifique », car le plan de la science se trouve de plus en plus étroitement associé à un plan de nature foncièrement différente. Pris dans un processus d’opposition, voire de radicalisation qui recrute des énergies considérables, observateurs, experts, scientifiques recherchent des causes plus profondes aux positions du camp devenu adverse par la force des choses. Derrière le rapport de force qui s’instaure, des déterminants et des logiques économiques et politiques sont bientôt incriminés ; si bien qu’en définitive les positions des uns et des autres sont interprétées à la lumière des jeux d’influence de lobbies caractérisés. Or le phénomène s’avère totalement symétrique, ce qui, à notre connaissance, n’est pas spécialement remarqué.
69Quand ils ne sont pas soupçonnés d’être soutenus, voire manœuvrés par des intérêts économiques et financiers, les chercheurs et les acteurs qui émettent des doutes et des critiques quant aux conclusions du Giec n’en sont pas moins blâmés pour soutien direct ou indirect, conscient ou involontaire, à tous ceux qui voient dans le changement climatique une remise en question possible de leurs positions sociales, de leur rente de situation et tentent donc de s’y opposer. Dans un article paru dans la revue scientifique Climatic Change, le sociologue américain Robert Brulle propose ainsi une cartographie de la nébuleuse de think tanks et d’associations professionnelles qu’il baptise « contre-mouvement sur le changement climatique » et dans lequel il range « quatre-vingt-onze organisations qui portent dans les médias ou sur le Net un discours climatosceptique ou systématiquement opposé à toute action politique pour contrer le réchauffement climatique » ; il établit qu’entre 2003 et 2010, pas moins de cent quarante fondations philanthropiques, « conservatrices pour l’écrasante majorité » ont financé, à hauteur de 900 millions de dollars par an, des travaux visant « une action organisée et délibérée pour induire le débat public en erreur et distordre la représentation que se fait l’opinion publique du changement climatique ». Un véritable travail de propagande anti-climatique, conduit de main de maître par des « marchands de doute » selon les historiens des sciences américaines Naomi Oreskes et Erik M. Conway (2011 ; 2014), qui compare ces campagnes de désinformation à celles ayant permis aux mêmes groupes d’intérêt de retarder aux États-Unis la décision publique sur des affaires aussi graves que le tabagisme, l’amiante ou la pollution industrielle.
70À titre d’exemple, les propos de l’éthicien australien Clive Hamilton (2012) montrent à quel point les différents registres s’interpénètrent désormais :
Le bouleversement climatique auquel nous sommes confrontés réside dans le pouvoir politique du lobby des combustibles fossiles. C’est lui, en effet, qui a résolu de semer le doute dans l’opinion et s’est opposé aux tentatives de limiter les émissions de carbone des industries qu’il représente.
71À cet égard, le refus du gouvernement Bush de signer le protocole de Kyoto sert régulièrement de preuve de la capacité des forces économiques – et plus précisément du lobby énergétique – à intriguer dans l’ombre. L’imbrication des différents plans d’analyse est devenue une pratique si courante que le sociologue Bruno Latour n’hésite pas à formuler une interprétation générale de la situation. À ses yeux, celle-ci peut se résumer à une guerre entre les partisans de l’ancien monde (Holocène) qui croient encore que celui-ci est dépourvu de limites, et les authentiques habitants du nouveau monde (Anthropocène), enfin devenus des Terriens (Earthbounded) :
Even though it might be perilous to speak of war – when there is a state of peace – it is even more dangerous to deny that there is a war when you are under attack. Appeasers would end up being the deniers – not by denying climate science, this time – but by denying there is a war for the definition and control of the world we collectively inhabit. There is indeed a war for the definition and control of the Earth: a war that pits – to be a little dramatic – Humans living in the Holocene against Earthbound living in the Anthropocene
Latour, 201315.
72Cependant, de manière parfaitement symétrique, le processus s’applique aussi aux acteurs qui adhèrent sans réserve manifeste aux avis et recommandations du Giec – mais il est douteux que ceux-ci aient réellement pris la mesure du phénomène. Devant ce qu’ils ressentent comme une dramatisation abusive des risques et menaces liées au changement climatique, un ensemble d’acteurs et de spécialistes sont en effet portés à s’interroger sur la possibilité de raisons ou de motivations sous-jacentes. Comme dans le cas précédent, les approches les plus rigoureuses et les plus désintéressées sont suspectées de servir, à leur insu, des intérêts moins nobles, cela pour deux grands motifs qui se repèrent assez facilement dans la littérature. Le premier cible des intérêts économiques, qui, au contraire des précédents, gagnent à ce que l’origine anthropique des changements climatiques soit mise en avant, soit qu’elle leur donne un avantage comparatif (cas du nucléaire par exemple), soit qu’elle leur permette d’entrevoir un système économique qui leur sera plus favorable (développement des renouvelables et, plus généralement, des modes de production et de consommation sobres en carbone). Un second motif apparaît sous la plume d’autres auteurs (politistes, scientifiques du climat…) lorsqu’ils entrevoient le spectre d’une forme de récupération politique, et même parfois de totalitarisme écologique dans des postures qui prônent « l’impératif climatique ». En cette occurrence, les plans d’analyse finissent par se confondre, les positions scientifiques étant suspectées de traduire ou de servir des postures économiques, sinon des idéologies. Parmi beaucoup de citations possibles, voici ce qu’en dit un climatologue :
Nous devons, au moins, envisager la possibilité que l’establishment scientifique qui se trouve derrière la question du réchauffement climatique, ait été attiré dans un piège qui consiste à surévaluer grandement le problème du climat – ou, ce qui revient essentiellement à la même chose, à sous-estimer sérieusement les incertitudes inhérentes au problème climatique – dans un effort pour promouvoir la cause. […] Le piège a été tendu vers la fin des années 1970 ou aux alentours de l’époque où le mouvement environnemental a commencé à réaliser que la prise en compte du réchauffement climatique cadrerait avec un bon nombre de ces objectifs sociétaux. […] Le piège a été partiellement tendu pour la recherche climatique lorsqu’un certain nombre de scientifiques de la discipline ont commencé à tirer des satisfactions de l’exercice du militantisme. […] C’est alors qu’a émergé un nouveau et lucratif mode de vie de la recherche duquel a découlé la possibilité de donner son avis à tous les types et à tous les niveaux de gouvernement, à dispenser sur les ondes des affirmations non contestables au public et à une justification immédiate pour assister à des conférences internationales – ces dernières dans un certain luxe comparativement aux standards habituels des scientifiques
Garth Paltridge, ancien directeur du centre de climatologie de Tasmanie.
73Aussi, quant aux lendemains de la conférence de Copenhague, le philosophe Michel Serres déclare que « les limites du politique, au sens traditionnel du mot, sont aujourd’hui atteintes à un point sans précédent dans l’histoire16 » ; quand, quelques mois plus tard, le philosophe Dominique Bourg théorise l’impuissance constitutive de la démocratie représentative à faire face au défi écologique et qu’il propose d’instaurer une nouvelle gouvernance ou démocratie écologique dans laquelle les ONG environnementales se voient accorder une place de première importance, des politistes et d’autres experts se montrent extrêmement préoccupés par la dérive idéologique qu’ils croient déceler dans ces postures.
Une guerre de tranchée larvée
74La dynamique générale du processus imbrique si bien les différents registres qu’il est devenu fort malaisé de faire la part des choses. De sorte aussi que beaucoup de scientifiques se trouvent embrigadés malgré eux dans une drôle de guerre à laquelle ils n’entendent rien et ne peuvent rien, alors même qu’ils ne cherchent qu’à poser des questions sur le terrain de la science.
75Pour les responsables politiques, la situation n’est guère plus confortable, mais il leur est encore plus difficile de l’avouer publiquement : la conférence de Copenhague sur le climat s’est transformée pour eux en véritable traquenard. Répété sur tous les tons, dans toutes les langues et via tous les supports de communication, le commentaire à l’issue de cette conférence clamait urbi et orbi l’impuissance caractérisée du politique et des États à prendre les décisions qui s’imposent, et à s’engager en faveur de l’avenir. Politique lui-même considéré à la botte d’intérêts économiques et politiques sabordant toute capacité d’agir et de s’engager pour le futur.
76En somme, il s’avère très délicat aujourd’hui d’entrer dans le débat climatique, car des positions extrêmement diverses et variées se trouvent agglomérées et assimilées dans un processus de polarisation du débat où il est de moins possible de démêler des dimensions et des registres du problème fondamentalement différents qu’il conviendrait pourtant de considérer séparément. La succession des effets de miroir déformants, d’autant plus rapides et incontrôlés que la couverture médiatique s’empare du sujet et attise la polémique, conduit à des simplifications grossières des positions des acteurs, à des assimilations hâtives, et à opposer deux grandes catégories de posture, au point de laisser penser que tout les oppose. Cela ne permet même plus de reconnaître que, pour l’écrasante majorité des personnes engagées dans le débat, le réchauffement planétaire est considéré comme une donnée de base. Tout finit par se fondre dans une sorte de théorie générale du complot dont l’effet premier est de brouiller les repères les plus évidents et de susciter une défiance généralisée (fig. 20).
77Il en résulte une situation étrange. Ce qui hier encore pouvait à la rigueur être formulé dans les termes de la controverse – dont il allait sans dire qu’un camp, celui du Giec, sortirait vainqueur – s’apparente de plus en plus à une sorte de guerre de tranchée larvée. La confrontation n’a lieu que de manière saccadée, quand des informations nouvelles apparaissent, qui, pendant un temps, vont donner un léger avantage à l’un des deux blocs. Face à ce combat entre Dieux et Titans où il n’y a que des coups à prendre, la prudence est de rigueur pour nombre de chercheurs et d’acteurs qui essaient malgré tout de continuer de réfléchir et d’avancer, mais en se gardant bien de se laisser happer par la polémique implacable.
Un processus mal identifié, qui aggrave l’incompréhension et le sentiment d’impuissance
78Pour les acteurs qui redoutent un dérèglement irréversible de la machinerie climatique et appellent de leurs vœux des actions aussi rapides que radicales de la part de la communauté internationale, la situation actuelle est souvent vécue avec tristesse et force amertume. Aussi en viennent-ils à penser qu’en dernier ressort, le problème tient à ce que l’opinion publique ou bien les humains ne veulent pas voir la réalité en face, la menace de la catastrophe imminente conduisant à une attitude d’évitement et de « déni de réalité ». Ce « syndrome de Cassandre » leur paraît constituer la cause ultime et première, sans laquelle les autres mécanismes exposés ci-avant n’auraient pas la même prise et la même portée.
Tous les voyants écologiques et climatiques sont au rouge, mais la fuite en avant continue. Nous savons, mais nous n’arrivons pas à croire à ce que nous savons
Dupuy, 2002.
Le déni des sceptiques a certes réussi à brouiller la compréhension de l’opinion, mais les stratégies communément utilisées par le public pour éviter ou pour sous-estimer les avertissements des scientifiques ont été un facteur plus puissant encore de la réticence des gouvernements à agir en conséquence .
Hamilton, 2012, p. 138
Si les climatosceptiques peuvent continuer à propager leurs mensonges, c’est parce qu’ils répondent à notre peur du changement, de la catastrophe, du réel. En psychanalyse, cela porte un nom : il s’agit du « déni » ou encore de « dissonance cognitive ». Face à une réalité jugée comme trop angoissante, l’être humain a tendance à nier le réel et à continuer sa petite vie « comme si de rien n’était ». C’est la politique de l’autruche17.
79À l’opposé, derrière ce qu’ils interprètent comme une dramatisation des enjeux climatiques, différents auteurs s’interrogent sur les raisons qui conduisent tant de personnes à adhérer aussi spontanément à la rhétorique catastrophiste. Derrière « la peur que le ciel nous tombe sur la tête » ou encore la « peur du déluge climatique », d’aucuns pensent que sont en train de rejouer des motifs ancestraux qui travaillent les sociétés depuis toujours et se réactivent à la faveur de périodes de forte incertitude et de crise paroxystique. D’autres encore y voient une manière plus ou moins consciente de « gérer la multitude par la peur », de contenir les réactions du plus grand nombre face à la complexité vertigineuse de notre époque, à moins qu’il ne s’agisse d’une manière détournée pour les pays riches et une certaine élite occidentale de prolonger leur domination sur le monde alors que celle-ci est de plus en plus contestée. Le spectre de la catastrophe climatique en somme en réponse à d’autres peurs et menaces :
80Dans un article intitulé « Histoire d’une réussite : le réchauffement climatique », le géographe Georges Rossi se livre à une relecture des débats autour du réchauffement climatique que l’on croirait tout droit inspirée du rapport dit « de la montagne de fer18 » (1967) et de la lecture qu’en donne Claude Timmerman :
Car au-delà d’être un instrument de régulation planétaire, l’urgence affirmée du risque climatique, l’impérieux devoir de réduire au nom des « générations futures » les émissions de CO2, de faire des économies d’énergie dans tous les domaines, de changer notre comportement quotidien, remplissent également d’autres fonctions fondamentales. D’abord une fonction économique car il est en train de créer, à l’échelle mondiale, d’énormes besoins de renouvellement de méthodes, de matériels, d’équipements de toutes sortes. Il devient, à travers l’innovation, le moteur principal de l’investissement industriel et de la consommation qui tirent l’économie mondiale. Le capitalisme a parfois eu besoin de la guerre pour tracter la croissance, aujourd’hui l’environnement tient ce rôle. Qui s’en plaindrait ? […] Dans l’urgence de la catastrophe régulièrement annoncée, en dehors de toute considération scientifique et de tout débat démocratique, le réchauffement climatique et son frère, le changement climatique, ont maintenant une vie propre, celle de support d’un changement fondamental de paradigme économique et social, vecteur d’innovation, de croissance, d’une meilleure sécurité énergétique et, peut-être, d’une plus grande stabilité géostratégique. Ensuite, il y a fort à parier que l’idée ayant rempli son rôle, elle dépérira et ira rejoindre les livres d’histoire
Timmerman, 2003.
Des « solutions globales » qui ne parviennent pas à s’imposer
81Trois grands ensembles de « solutions globales » peuvent être distingués. Ils relèvent de l’ordre technologique, de l’ordre juridique et de l’ordre économique.
Les solutions d’ordre technologique
82La géoingénierie correspond par excellence à une tentative de solution globale. Une solution d’autant plus « pratique », à première vue, qu’elle permet de contourner le problème, soit encore de lutter contre les effets néfastes du changement climatique, sans avoir nécessairement besoin d’en corriger les causes. Cette voie n’en reste pas moins aujourd’hui jugée très hasardeuse par une large partie de la communauté scientifique et les expérimentations, hors laboratoire, font l’objet d’un moratoire.
83D’autres solutions techniques/technologiques sont apparues, à un moment donné, comme de possibles remèdes et panacées. Il en va ainsi des cultures énergétiques dédiées, de la baisse de la consommation de viande ou encore de la certification des modes de production et d’exploitation des ressources naturelles. Après avoir suscité un véritable engouement, ces « solutions » ont rapidement montré leurs limites, et, parfois, leurs effets délétères.
Les « solutions » d’ordre juridique
84Dès ses débuts, le processus intergouvernemental lié aux changements climatiques ambitionne d’aboutir à un instrument juridique global et contraignant. Les discussions sont âpres, mais les négociateurs se réjouissent avec la signature, en 1997, lors de la troisième conférence des parties (COP 3), du protocole de Kyoto, qui entrera en vigueur en 2005, malgré le refus des États-Unis de le ratifier. La durée d’application du protocole de Kyoto, qui fixe des objectifs de réduction quantitative de GES aux différents pays membres, s’est achevée en 2012. Malgré d’intenses discussions, le principe d’un nouvel outil juridique rencontre de sérieuses difficultés, même si, officiellement, il est toujours question de lui trouver un successeur. La conférence de Paris prévue en 2015 avait précisément pour objet d’aboutir à un accord international en faveur d’un nouvel outil juridique contraignant applicable à partir de 2020.
85L’adoption d’un tel outil bénéficie du soutien de nombreux climatologues et experts des questions climatiques, de responsables politiques, d’associations environnementales. La définition d’un cadre juridique global leur paraît plus que jamais nécessaire, alors que les émissions de GES ne cessent de croître et que le temps est compté. Des objectifs de réduction chiffrés s’avèrent absolument essentiels à leurs yeux, afin que la teneur de l’atmosphère en GES ne dépasse pas des limites au-delà desquelles les perspectives de changement climatique deviennent fort incertaines et périlleuses. Selon eux, seul un instrument juridique peut contraindre les États à réduire effectivement les émissions de GES ; en l’absence d’un tel cadre juridique, chacun étant renvoyé à sa propre « conscience climatique », les comportements les moins responsables sont attendus, sans compter le message de fuite en avant particulièrement négatif que cela revient à dispenser. D’aucuns ajoutent que c’est grâce ou à la faveur de la contrainte que des innovations dans le domaine de la consommation énergétique pourront advenir ou connaître un véritable essor.
86Il faut enfin compter avec un dernier argument, plus difficile à repérer, qui relève de considérations stratégiques ou tactiques, pour expliquer l’attachement voué à la négociation internationale. L’économiste Laurence Tubiana, fondatrice et présidente de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), l’énonce dès 2006 :
C’est vrai que cette négociation à répétition semble un grand gâchis. Mais ce n’est pas seulement l’expression d’une irrationalité bureaucratique : comme personne ne se fait confiance, c’est un processus qui permet à chacun de surveiller tout le monde et de maintenir la pression. Sans cette dynamique, je ne sais pas si l’on observerait autant de progrès dans les politiques nationales. Le risque, c’est que la négociation ne finisse pas être discréditée19.
87L’un des effets attendus du processus international serait ainsi de maintenir les États et l’ensemble des acteurs « sous pression », de les inciter, de facto, à se surveiller et à faire des efforts substantiels, efforts qu’ils ne feraient peut-être pas en l’absence d’un tel processus de négociation de niveau mondial.
88Bien que portée haut et fort par certains groupes d’acteurs et certains pays, la voie juridique rencontre cependant de sérieuses difficultés et objections. Sans qu’il soit possible de dégager leur portée respective, les principaux arguments repérables sont les suivants :
89Des responsables politiques, des scientifiques, divers spécialistes des négociations internationales se montrent extrêmement réservés quant à la possibilité de traiter la question du changement climatique dans un cadre multilatéral. Pointant la lourdeur et l’inertie considérable du multilatéralisme, ils imaginent difficilement comment ce cadre pourrait constituer une voie prometteuse pour aborder une question aussi difficile que celle de la réduction des GES et déplorent « la négociation sans fin qui prévaut actuellement » (Gemenne, 2013). Le doute en la matière outrepasse les frontières de la controverse scientifique ; des acteurs se montrent d’autant plus perplexes qu’ils estiment urgent d’agir avec détermination et vigueur pour une réduction des GES, ce que le cadre multilatéral ne semble pas en mesure d’accomplir, ni pour la vitesse, ni pour l’intensité de l’effort – sans parler des personnes qui tendent à penser qu’il est déjà trop tard, le dérèglement de la machine climatique étant déjà engagé et irréversible. Assez régulièrement, ils observent que l’influence des États dans les affaires du monde a beaucoup régressé ; « Le monde a changé et nous ne sommes plus à l’époque de la Société des nations. » Dans ces conditions, miser sur un cadre multilatéral reposant avant tout sur des États ne paraît pas en phase avec la réalité contemporaine du monde, façonnée par une multitude d’entités et d’acteurs. Au demeurant, le protocole de Kyoto est régulièrement jugé décevant dans ses retombées effectives en termes de réduction des GES, aussi l’enjeu de lui trouver un successeur ne s’impose-t-il pas de manière évidente.
90Des raisons plus techniques s’ajoutent aux considérations précédentes quand certains observateurs font remarquer que le protocole de Kyoto reposait déjà sur un formidable marchandage. Les subtilités techniques permettant de définir les quotas de CO2 auxquels ont droit les différents pays et, en leur sein, les différents secteurs d’activité, rendent la négociation encore plus délicate. D’aucuns estiment même que cette comptabilité, aussi subtile que discutable, perd de son sens quand la majorité des produits manufacturés utilisés dans les pays riches s’avère en réalité fabriquée dans des pays émergents comme la Chine. Quelle comptabilité mettre en œuvre, dans ces conditions, pour allouer tels quotas à tel pays ? La mondialisation rend la traçabilité toujours plus compliquée et fait douter certains esprits de la logique de l’imputation que suppose au contraire le principe des quotas et des instruments juridiques qui les sanctionnent. Plusieurs spécialistes ajoutent que les choses se présentent encore plus mal à l’avenir, alors que la part des responsabilités en matière d’émission de GES a profondément changé en l’espace de quelques années, la Chine étant devenue le plus gros émetteur, avec 26 % des émissions de GES contre 11 % pour l’Europe. Les chercheurs Aykut et Dahan (2011) font ainsi valoir que « l’ascension, au cours de la première décennie du xxie siècle, des grandes économies émergentes […] a rendu tout à fait inacceptable pour les États-Unis, la séparation entre pays développés et bloc indifférencié des pays en développement [élément fondateur du protocole de Kyoto] ». Au reste, les chiffres d’émission fournis par la plupart des pays émergents sont douteux selon plusieurs experts. Enfin, beaucoup s’accordent à dire qu’il sera difficile de demander à ces pays de se contraindre à réaliser des efforts drastiques, alors qu’ils ont un besoin fondamental de croissance pour répondre à leurs exigences de développement.
91Il faut encore compter avec l’argument de la conjoncture économique et financière actuelle, jugée peu favorable à des engagements contraignants de la part des États, alors même que la croissance économique mondiale tourne au ralenti et que la problématique de l’emploi s’avère plus prioritaire que jamais. Les personnes qui mettent en avant cet élément estiment qu’un contexte économique aussi morose et incertain n’est guère propice à un accord global contraignant. Pour beaucoup de commentateurs, cela donne une raison supplémentaire aux États-Unis, aux pays émergents et aux grands groupes industriels de ne pas s’engager davantage en faveur d’une réduction des émissions de GES.
92Un dernier argument susceptible de peser dans la balance dispose qu’il est difficile de demander à des chefs de gouvernement de s’engager dans des transformations aussi profondes et mêmes radicales de l’économie et de son assise énergétique, alors que les incertitudes scientifiques demeurent aussi grandes. La fourchette climatique des scénarios de prospective est si large – entre 1,5 et 6 °C d’augmentation de la température moyenne du globe à la fin du xxie siècle – qu’elle ne favorise pas une prise de décision courageuse.
93Ces difficultés et ces causes potentielles de blocage paraissent tellement fortes à certains experts qu’ils préconisent de forcer le cours des choses pour faire progresser la négociation internationale et sortir de l’hypocrisie en parlant d’un accord pour 2020. C’est le cas de la présidente du Fonds pour l’environnement mondial de 2006 à 2012, la française Monique Barbut, rompue aux négociations sur le climat. Dans un entretien au journal Le Monde, elle affirme :
Le résultat de la conférence de Durban, fin 2011, a été de dire qu’en 2015, on discuterait d’engagements pour 2020… Mais que va-t-on faire entre 2012 et 2020 ? On n’en sait rien. En fait, depuis Copenhague en 2009, la négociation ne porte plus sur les engagements de réduction quantitative des émissions de GES, alors que c’est ce qui compte. On ne discute que sur des sujets accessoires, tels que les modalités du Fonds vert pour le climat. Le problème, c’est que dans quinze ans, nous disent les scientifiques, il n’y aura plus rien à faire pour empêcher le changement climatique, il sera trop tard.
94Avant d’ajouter :
Cette négociation ne peut reprendre que si les Européens décident d’adopter des positions volontaristes. Mais pas volontaristes vis-à-vis de l’Europe, parce qu’ils ont assez donné – ils sont les seuls à avoir pris de vrais engagements et à s’y tenir – mais vis-à-vis des autres.
95Aussi recommande-t-elle d’instaurer une taxe climatique et un protectionnisme environnemental aux frontières de l’Europe afin de provoquer l’électrochoc nécessaire :
Les Européens devraient rappeler qu’ils ont décidé de réduire leurs émissions, mais qu’ils ne peuvent pas laisser dépérir leurs industries au seul profit des autres grands pays. Dès lors, ils pourraient imposer à l’entrée de l’Europe une taxe sur les produits, qui, par leur processus de fabrication, contiennent plus de CO2 que ce qui est autorisé pour les produits fabriqués en Europe.
96Selon cette experte, « s’il n’y a pas d’électrochoc, la négociation climat est morte20 ».
97Cependant, l’affaire se complique encore par le fait que plusieurs experts et observateurs de la négociation climatique considèrent, en rapport avec les objections précédentes ou indépendamment de celles-ci, qu’une norme planétaire n’est pas nécessairement utile en l’espèce. Les néolibéraux ne sont pas les seuls à défendre cette thèse ; d’autres aussi se rangent à cette idée quand ils font le constat de la diversité des situations économiques et culturelles de par le monde, de sorte qu’il leur paraît vain d’espérer trouver au problème une réponse unique, une norme universelle. En outre, il leur paraît souvent plus efficace de miser sur la concurrence, sur l’émulation ou les innovations techniques pour réaliser des changements qui paraissent difficiles à atteindre aujourd’hui par des voies purement réglementaires et imposées d’en haut, avec toutes les difficultés que cela ouvre, en matière de contrôle et de sanction notamment. Ces acteurs assortissent souvent leur propos d’exemples montrant que des réductions sensibles d’émissions de GES sont d’ores et déjà recherchées et obtenues à la faveur de nouveaux systèmes de production et de l’évolution du comportement des consommateurs et autres donneurs d’ordres. Ces changements s’expliquent autant par la recherche de gains de compétitivité ou d’abaissement des coûts énergétiques qu’en vertu d’une lutte contre le réchauffement climatique. Les voies et leviers de l’action leur paraissent finalement nettement plus variés que ne le donne à penser le monolithisme du cadre juridique global actuellement recherché.
98En somme, il est bien difficile de dire comment le vent va tourner, même s’il se confirme, au vu des expertises recueillies, que la possibilité d’un nouvel accord multilatéral contraignant demeure incertaine. Les considérations qui précèdent aident à comprendre la proposition récente de voie médiane portée par des chercheurs de différentes institutions lorsqu’ils proposent une nouvelle base de négociation consistant à croiser approche top-down de définition d’objectifs à l’horizon 2050 et approche bottom-up permettant une grande flexibilité aux États dans les modalités pour réduire les émissions de GES.
Les « solutions » d’ordre économique
99L’économie va rapidement jouer un rôle de premier plan dans le cas du changement climatique. Et même si, comme le rappelle Olivier Godard (2010), « l’économie réelle n’est pas la transcription directe de leurs recommandations [des économistes] », le fait que le problème du réchauffement, puis du changement climatique, puisse en définitive être ramené à une variable unique – à savoir la quantité d’émissions de GES, elle-même appréhendée en termes d’équivalent CO2 – offre un terrain de prédilection à la discipline économique. Érigé en équivalent général permettant de comparer toute activité humaine, où qu’elle se situe, le CO2, devenu variable-clé, parfaitement mesurable et traçable, permet à l’économie théorique et pratique de déployer son riche panel d’outils de régulation.
100Les économistes n’ont pas ménagé leurs efforts pour imaginer différents mécanismes et outils, inspirés par les théories économiques, et destinés à une réduction des émissions de GES. Aujourd’hui encore, le paradigme dominant considère qu’il est indispensable de donner un prix à la tonne de CO2. Les rapports officiels se succèdent dans ce domaine pour définir un prix qui soit à la fois suffisamment incitatif et acceptable. L’autre grande source de GES, la déforestation, fait également l’objet de l’attention d’économistes, convaincus qu’il importe de rémunérer ou de récompenser les acteurs économiques afin d’orienter leurs choix en matière d’affectation des sols et notamment d’enrayer la déforestation en zone intertropicale.
Que faut-il faire ? Nous continuons de penser qu’un marché mondial du carbone est le meilleur moyen de réduire les émissions, mais il faut être réaliste. Nous n’en prenons pas le chemin. […] La majorité des grands pays émetteurs considèrent que les mécanismes de marché sont utiles21.
101Malgré le dynamisme de la pensée économique au sujet du changement climatique, qui se manifeste par la place très importante qu’occupent les économistes dans les groupes 2 et 3 du Giec, les interrogations, les doutes et les critiques se font assez vifs au sujet des outils et des grands mécanismes envisagés.
102Des climatologues, des responsables d’ONG, divers experts observent tout d’abord que les grands mécanismes économiques mis en place pour réguler les émissions de GES n’ont pas vraiment tenu leurs promesses. Le marché carbone mondial n’a pas vu le jour et le prix de base de la tonne de CO2 s’avère en général si faible qu’il n’est pas vraiment incitatif. Dispositif majeur de la politique climatique européenne, le marché carbone en donne l’expression la plus caractérisée, avec un prix de la tonne de quelques euros seulement, quand les experts estiment qu’il pousserait les industriels à réaliser des investissements en matière de technologies propres s’il atteignait un prix minimum de 24 à 30 euros la tonne ; entre attributions excessives de quotas au départ (on parle d’un excédent d’1,4 milliard de crédits d’émissions…), volontarisme déficient des États membres sur fond de compétitivité en berne et récession économique conduisant industriels et électriciens à émettre moins que leur plafond, le marché européen du carbone conçu pour permettre à l’Europe de réduire de 5 % avant 2012 ses émissions de carbone par rapport à ce qu’elles étaient en 1990, ne s’est pas montré très concluant. De manière plus générale, les trois grands outils du protocole de Kyoto ont certes donné des résultats, mais ils sont loin d’avoir infléchi la tendance haussière à l’émission de GES. D’où la crainte que la relative morosité du contexte économique mondial ne permette pas à ces outils et mécanismes d’avoir un rôle plus déterminant, à tout le moins dans un avenir proche.
103Plusieurs économistes font cependant observer que des marchés carbone régionaux se développent. Ainsi, de par le monde, la filiale climat de la Caisse des dépôts et consignations ne recense pas moins de dix bourses du carbone, locales ou régionales, volontaires ou obligatoires, et plusieurs autres projets sont à l’étude, en Chine notamment ou bien encore au Brésil. Des marchés qui s’emploient à mieux tenir compte des erreurs ou des insuffisances des dispositifs développés ailleurs. En outre, ces économistes font remarquer que ce sont moins les mécanismes en eux-mêmes qui sont pris en défaut que la volonté politique de les mettre en place, comme l’atteste malheureusement et par exemple la taxe carbone que différents gouvernements évoquent avec grandiloquence, sans jamais vraiment la mettre en œuvre.
104Toutefois, l’affaire semble plus complexe que ne veulent bien le reconnaître certains experts, comme le suggère Serge Guérin, directeur du programme climat de l’Iddri : « On s’était imaginé qu’il suffirait d’avoir un prix du carbone pour que le reste suive. Or nous voyons bien maintenant que la politique climatique doit s’accompagner d’une stratégie industrielle, sinon cela conduit à des déficits commerciaux intenables. »
105Un deuxième motif d’interrogation provient des abus, des récupérations et des dévoiements auxquels ont abouti plusieurs grands dispositifs conçus comme des solutions mondiales au changement climatique. Plusieurs scandales retentissants ont semé le doute, des carbon cow-boys jusqu’aux projets Redd détournés de leurs finalités premières.
106Comme le note l’économiste Michel Armatte :
Le marché du carbone est un marché financier […] qui porte en lui également tous les risques de dérapage que l’on vient de vivre avec les produits financiers sophistiqués de la titrisation. De nombreuses études nous ont déjà alertés sur quelques dysfonctionnements. […] Le marché du carbone est un marché de possible corruption (2010).
107Différentes conclusions en sont tirées, les uns interprétant ces phénomènes comme des difficultés de jeunesse ou des dysfonctionnements rectifiables, d’autres considérant au contraire que tous ces mécanismes globaux s’avèrent beaucoup trop compliqués pour porter leurs fruits. Au demeurant, ils favoriseraient des institutions et des sociétés en capacité de remplir des dossiers élaborés, ne parvenant pas en revanche à encourager et à soutenir des initiatives plus complexes, mais non moins significatives, portées par des acteurs individuels ou communautaires, peu aguerris aux procédures d’appel à projet.
108D’autres encore, comme les économistes du développement Alain Karsenty et Romain Pirard, s’avèrent encore plus critiques par rapport aux dispositifs globaux placés sous le label Redd+ (reducing emissions from deforestation and degradation), qui connaissent pourtant un formidable engouement depuis qu’en 2007 la communauté internationale réunie à Bali pour une conférence sur le climat, a reconnu que la lutte contre la déforestation entrait de plain-pied dans la palette d’actions contre le réchauffement climatique. Selon ces experts, les mécanismes relevant de Redd+ supposent des estimations chargées d’incertitudes et propices à de mauvaises allocations de ressources publiques :
Vouloir constituer un régime autour d’un mécanisme multilatéral octroyant des crédits carbone aux pays en fonction de la variation de leur taux de déforestation semble constituer typiquement une « fausse bonne idée ». Il existe déjà un mécanisme de financement assimilable à un guichet de paiement pour services environnementaux au niveau international visant à favoriser la réalisation d’objectifs combinés « climat » et « biodiversité », comme le Fonds pour l’environnement mondial. Les moyens de ce fonds sont limités, mais ils pourraient être renforcés
Karsenty et Pirard, 2007, p. 366.
109Au demeurant, le dispositif Redd+ repose sur une logique très simple où les arbres sont considérés comme des puits de carbone alors que, dans la réalité, le fonctionnement des écosystèmes naturels peut s’avérer beaucoup plus complexe (Boulier et Simon, 2010 ; Tsayem Demaze et al., 2015). C’est ainsi que certaines études tendent à montrer que la reforestation, dans certaines circonstances, pourrait avoir des effets pervers dans la lutte contre le réchauffement climatique (Jackson et al., 2005 ; Jobbagy et Jackson, 2007) ; il est également reconnu que le coût élevé de la certification et de l’expertise pousse à « l’optimisation » du scénario de référence, soit encore à prévoir le pire pour prétendre l’avoir évité et bénéficier d’un meilleur paiement pour service environnemental rendu. Enfin, les projets Redd+, essentiellement des initiatives privées, rencontrent finalement de très grandes difficultés, car ils sont tributaires de marchés carbone totalement déprimés, alors qu’au même moment ils doivent faire face à des coûts d’expertise exorbitants : en l’état actuel, le modèle économique sous-jacent ne fonctionne pas (Karsenty, 2012).
110Une autre critique des dispositifs et mécanismes économiques globaux envisagés pour infléchir les émissions de GES se rencontre plutôt chez des philosophes, certaines ONG, divers observateurs aussi. Ils se montrent extrêmement circonspects à l’idée de marchander des « droits à polluer ». Une telle approche de l’environnement ou de l’écologie de la planète les choque profondément, sur le fond, pour des raisons éthiques ou morales ; ils sont pour le moins dubitatifs quant à la possibilité de mettre l’économie de marché et la finance internationale au service d’une écologie responsable ; en outre, ils se refusent à croire qu’elle est de nature à changer profondément la donne, car elle n’incite pas, selon eux, à une véritable prise de conscience de la relation intime des humains à leur environnement naturel ni à un changement des attitudes de consommation. De même, l’idée que la protection des forêts tropicales passe sous les fourches caudines du marché et devienne un objet technico-financier à la faveur du développement des projets Redd+ n’est pas sans susciter un fort émoi chez plusieurs naturalistes, spécialistes du monde tropical et des peuples premiers.
111Enfin, un dernier type d’objections relève d’un autre ordre. Différents auteurs et experts estiment en effet que d’autres solutions peuvent être mises en œuvre pour parvenir à des réductions substantielles des émissions de GES que celles faisant appel à des dispositifs économiques spécifiques, globaux et dédiés. Cela peut notamment passer par la lutte contre les incitations perverses :
Renoncer au mécanisme visant à récompenser la « déforestation évitée » ne remet pas en cause l’intérêt de supprimer le plus rapidement possible les « incitations perverses » les plus évidentes […], comme les subventions pour l’élevage extensif en Amazonie, les incitations au surinvestissement dans les industries de la transformation du bois et de la fabrication de la pâte à papier […], les systèmes de propriété qui ne reconnaissent que les usages agricoles et incitent à défricher pour s’approprier la terre (comme au Brésil), les systèmes fiscaux inadaptés conduisant à la dégradation puis à la conversion des forêts, les formes institutionnelles qui favorisent la corruption, laquelle empêche l’application de la loi, etc.
Karsenty, 2007.
112Dans le même ordre d’idées, des spécialistes font remarquer que la réduction des GES donne aujourd’hui lieu à de multiples initiatives et avancées qui doivent fort peu aux marchés carbone ou autres mécanismes conçus dans le cadre du protocole de Kyoto ou issus de la théorie économique.
113En somme, il semblerait que les grands mécanismes et outils économiques qui constituent souvent des dispositifs clés des politiques climatiques ne soient pas aussi consensuels qu’il y paraît de prime abord. La technicité des questions abordées fait que les débats demeurent souvent internes aux économistes, sans donner lieu aux échanges et discussions qu’ils mériteraient. L’empressement de nombreux acteurs à trouver des « solutions rapides » au « problème majeur du changement climatique » n’y est sans doute pas pour rien.
114Sur le plan des outils juridiques, les blocages paraissent également nombreux et massifs. Quant aux solutions technologiques, elles suscitent, en l’état, la plus grande défiance.
115Considérée dès sa reconnaissance internationale comme un problème global nécessitant une approche globale, la question des changements climatiques, en pratique, ne se laisse donc pas traiter aisément par des « outils universels et globaux ». Finalement, la conclusion à laquelle parviennent Joël Boulier et Laurent Simon (2010) au sujet du stockage du carbone par les forêts nous paraît tout à fait généralisable à l’ensemble des grands mécanismes et dispositifs envisagés jusqu’à présent pour lutter contre les changements climatiques :
Vouloir mener une politique globale à l’échelle internationale en faveur du stockage du carbone, comme le préconise le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), participe en revanche d’une illusion assez persistante dans les instances internationales : celle d’une politique sectorielle répondant de façon universelle à un problème donné (p. 322).
116Il convient en outre de signaler que chacune des dimensions des changements climatiques, chacun des grands outils auxquels il est fait appel repose manifestement sur des spécialistes précis, si bien que personne ne peut raisonnablement prétendre dominer l’ensemble du débat et du problème. Conçue initialement comme un tout intégré et cohérent, pensé de manière très descendante, la stratégie internationale de lutte contre les « changements climatiques » se présente en réalité comme une succession de scènes de débats et de négociations techniques dont l’issue paraît bien incertaine.
Un cadrage du problème jugé inadapté
117Aux lendemains de la conférence de Copenhague, quatorze universitaires publient le rapport Hartwell, encore intitulé « A New Direction for Climate Policy After the Crash of 2009 ». Le premier paragraphe du résumé pour décideurs de ce rapport s’ouvre comme il suit :
Climate policy, as it has been understood and practised by many governments of the world under the Kyoto Protocol approach, has failed to produce any discernable real world reductions in emissions of greenhouse gas in fifteen years. The underlying reason for this is that the UNFCC/Kyoto model was structurally flawed and doomed to fail because it systematically misunderstood the nature of climate change as a policy issue between 1985 and 2009. However, the currently dominant approach has acquired immense political momentum because of the quantities of political sunk into it. But in any case the UNFCC/Kyoto model of climate policy cannot continue because it crashed in late 2009 (Prins et al., 2010).22
118Les auteurs du rapport mettent en cause le modèle de connaissance et d’action qui sous-tend la convention-cadre sur les changements climatiques, de même que le protocole de Kyoto. Ils reprochent à ce modèle de s’être mépris quant à la nature du problème « changement climatique ». Ainsi se trouve à nouveau posée la question par laquelle s’engageait ce chapitre : quel est le problème ?
Quel est le problème (1) ? Trois grands motifs de mise en cause du cadrage initial
119(1) Comme nous l’avons montré ailleurs (Brédif et Tabeaud, 2013), l’une des remises en cause les plus fréquentes pointe ce que l’on pourrait appeler le « quiproquo de l’ozone ». Plusieurs auteurs observent en effet que la stratégie de lutte contre la dégradation de la couche d’ozone a largement inspiré l’approche développée au sujet des changements climatiques. Le cas de l’ozone s’apparentait cependant à un cas d’école (Roqueplo, 1993 ; 1997). Lien causal direct entre un polluant (CFC ou HFC) et son effet de destruction de l’ozone ; sources de pollutions isolables, imputables à un nombre restreint de sites industriels ; solutions techniques alternatives permettant de substituer aux CFC d’autres procédés. De sorte que le cas de l’ozone a laissé penser que la détermination scientifique du problème pouvait suffire à fonder une politique publique adaptée (incarnée par le protocole de Montréal). Cependant, la transposition pure et simple aux changements climatiques butte sur plusieurs obstacles majeurs. Premièrement, le CO2, de même que les autres GES, ne peut pas être assimilé à un polluant atmosphérique, puisqu’il s’agit aussi d’un constituant normal et naturel de l’atmosphère. Loin d’être une molécule préjudiciable à la vie, elle constitue une brique élémentaire de la photosynthèse et se trouve à la base de 90 % de la biomasse terrestre. En second lieu, à la différence des CFC, les sources de dioxyde de carbone sont innombrables et même coextensives à l’activité du vivant sur Terre, homme compris. Enfin, les incertitudes demeurent nombreuses quant aux liens entre émissions de GES et changements climatiques : la complexité du système climatique s’interpose. En conséquence, autant le cadrage scientifique et très top-down se prêtait bien au cas de l’ozone, autant il est douteux qu’il soit pareillement applicable au problème des changements climatiques et des GES.
120(2) Le rapport Hartwell (Prins et al., 2010) généralise le propos. Ses auteurs insistent notamment sur deux points d’importance. Premièrement, ils considèrent que, par sa nature, le problème du réchauffement planétaire présente une complexité telle qu’il ne peut pas être résolu à l’instar d’un problème technico-scientifique, réductible à une chaîne de causalités simples. Pour cette catégorie de problème, qualifiée de « wicked problem » (problème épineux), les déterminants paraissent si nombreux et enchevêtrés qu’ils invalident, dans une large mesure, toute action dédiée. En conséquence, les auteurs de ce rapport recommandent d’agir de manière indirecte ou latérale, en s’appuyant sur des mesures mues par d’autres finalités que celle visant à réduire directement les émissions de GES.
121L’économiste et politiste Elinor Ostrom (2009) s’avère encore plus catégorique quand elle rejette le postulat « problème global-solution globale ». Considérant la multiplicité des échelles d’actions qui pèsent sur le changement climatique, elle plaide en faveur d’une approche polycentrique et indirecte, mieux à même, là aussi, de multiplier les leviers d’action susceptibles d’influer positivement sur le changement climatique.
122Il est notable que ces différents auteurs se rejoignent dans l’idée que la nature même du problème rend très difficile, sinon impossible, une politique climatique spécifique, dédiée et globale. Qu’il convient, en d’autres termes, d’intervenir ou de stimuler des leviers d’action indirects et plus mobilisateurs, afin d’influer sur les émissions de GES. Cette sorte d’ergonomie ou de philosophie générale de l’action relève d’une tout autre logique que celle qui prévaut aujourd’hui dans le processus international où il s’agit de réduire les émissions de GES, afin d’éviter, en premier lieu, un dérèglement climatique incontrôlable, et non d’agir en vue d’autres objectifs. Or, force est de reconnaître qu’aujourd’hui des sujets comme la qualité de l’air dans les grandes métropoles, avec le problème de la pollution aux particules fines, aboutissent à des transformations d’organisation et de technologies énergétiques plus rapides et plus significatives que celles qui sont pratiquées au nom de la sauvegarde du climat ; la Chine, par exemple, prend à bras-le-corps la question des centrales à charbon autour des grandes agglomérations, car l’air des grandes cités y devient irrespirable et nuit gravement à la santé de ses habitants, de même qu’à son aura internationale. D’autres exemples peuvent assurément être trouvés. C’est pour des raisons d’indépendance énergétique ou bien encore d’autonomie alimentaire renforcée que différents projets et programmes ont pour effet de réduire l’empreinte climatique d’activités, d’organisations ou de territoires.
123(3) La troisième objection procède du constat que l’approche officielle présente comme un impératif absolu la lutte contre le changement climatique, comme si le « problème » était ressenti par tous de manière identique. Comme le remarquent les chercheurs Aykut et Dahan (2011), les géographes se montrent particulièrement réfractaires à cette forme de réductionnisme. Dans son ouvrage Why We Disagree about Climate Change (2009), le géographe et climatologue Mike Hulme reproche au Giec de pratiquer un « déterminisme climatique » totalement excessif, faisant du climat le facteur essentiel conditionnant les possibilités de développement et de survie des sociétés. En France, Martine Tabeaud exprime avec non moins de vigueur ce point de vue, lorsqu’elle fait valoir que le pluriel s’impose dans le cas du climat, la notion même de climat étant totalement indissociable des multiples espaces-temps des sociétés humaines :
Les spatialités sont en fait indissociables des temporalités. Il existe une historicité des spatialités propres à chaque territoire, donc différente selon les sociétés. Avec les modèles climatiques, des contraintes fortes proviennent des données qui réduisent l’atmosphère à un seul espace-temps. Adapté à la physique de l’atmosphère pour la prévision météorologique, et déjà sans doute mal adapté aux prédictions climatiques, il est totalement inadapté aux sociétés humaines implantées dans un territoire et ayant chacune un passé. Ce dernier n’est pas qu’un passif, il ouvre des possibilités que le jeu des acteurs sociaux conduit, au prix d’arbitrages, dans une direction ou dans une autre. Les actions préventives et curatives des risques s’inscrivent donc dans un espace d’échelle fine à moyenne – jamais planétaire puisque même les guerres dites mondiales n’ont pas concerné tous les humains de la même manière. […] Avec le « changement climatique », il convient donc de changer de perspective. Le prospectif ne peut s’abstraire du rétrospectif à échelle spatiotemporelle adaptée. La réflexion doit désormais partir des sociétés dans leurs territoires
Tabeaud, 2010b, p. 124.
124En définitive, la mise en cause est double, voire triple. En premier lieu, ces différents auteurs contestent le « surdéterminisme climatique » pratiqué de facto par le processus international actuellement en vigueur, d’autant que celui-ci privilégie d’entrée de jeu une échelle planétaire. En second lieu, ils plaident pour une reconnaissance de la variété des situations climatiques, de la diversité des liens entre sociétés et climats ; partant, pour une reconnaissance de la multiplicité des échelles de réalité climatique – luxuriance des « espaces-temps des climats » que le catastrophisme climatique ambiant vitrifie au nom de l’unicité de l’atmosphère. En conséquence, il s’agit aussi de réaliser que le changement climatique, loin d’être une plaie universelle, peut également être vécu comme une formidable source d’opportunités : les exemples abondent depuis la libération du passage du nord-ouest à l’essor de la culture de la vigne en Angleterre. Martine Tabeaud (2010a) propose ainsi de substituer au terme d’adaptation qui met avant tout l’accent sur les conséquences négatives du changement climatique celui d’acclimatation, mieux à même d’accueillir et de prendre en compte « les bénéfices issus du changement et de tenter de les maximiser ».
125Aussi intéressantes soient-elles, ces interpellations demeurent cependant l’apanage de communautés épistémiques relativement périphériques au processus international en charge de la question des changements climatiques et aux courants disciplinaires qu’il privilégie. L’urgence climatique ressentie et exprimée par nombre d’acteurs impliqués dans ce processus ne paraît pas autoriser que la négociation internationale soit rendue encore plus difficile par l’adjonction de dimensions supplémentaires. Ces interpellations et les voies d’action qu’elles suggèrent s’avèrent pourtant extrêmement fécondes.
Reformulation du problème
126Que retenir au terme de cette traversée dans le champ complexe et mouvementé lié aux changements climatiques ?
127Le rapprochement des différentes expertises recueillies oblige tout d’abord à effectuer le constat d’un certain nombre de « faits » ou de symptômes, qui, pris isolément, paraissent difficiles à comprendre et à expliquer :
128• En l’espace de quelques années, la question des changements climatiques est devenue, à certains égards, hautement et même totalement polémique, dans le sens fort du terme qui renvoie à la structuration en camps opposés, chacun devenant l’adversaire ou l’ennemi juré de l’autre. Guerre donc – et non simple controverse –, guerre larvée ou guerre à faible nombre de victimes apparentes23, qui enrôle un nombre toujours croissant de forces, de moyens et de personnes et que rien ne semble pouvoir freiner dans sa dynamique propre. Processus devenu incontrôlable où s’opèrent des simplifications outrancières, des amalgames douteux et manifestement indus, des contresens aussi massifs que fâcheux. Situation paradoxale en ce sens qu’il paraît tout au contraire possible de reconnaître, au-delà des sujets qui divisent, des points d’accord majeurs :
sur la réalité du changement climatique (à défaut de son origine, de sa cinétique et de ses conséquences précises) ;
sur la persistance d’incertitudes fortes (même si leur degré et leur champ d’application varient et suscitent différentes formes d’interprétation) ;
sur la nécessité ou, à tout le moins, l’intérêt largement partagé d’une attitude proactive au sujet du changement climatique, tant en termes de stratégies de réduction des GES que d’adaptation (quand bien même le débat demeure quant à l’intensité de l’effort à fournir, quant à la part respective de chacune de ces stratégies, et quant aux modalités à mettre en place) ;
sur la nécessité ou l’intérêt, plus généralement, d’une décarbonation de l’économie, d’une efficacité énergétique accrue et, au-delà, d’un modèle de développement plus soutenable.
129• Une forme de lassitude, d’incompréhension ou même de désespérance qui, depuis « l’échec de Copenhague », s’empare de nombreux acteurs impliqués dans le processus international relatif au changement climatique, devant ce qu’ils interprètent comme un « déni ou un schisme de réalité », une « fuite en avant », « l’insouciance de l’opinion publique » ou encore la victoire des thèses climatosceptiques conduisant à la neutralisation de la volonté politique. Attitude et lectures difficiles à suivre quand :
il apparaît que les projets de recherche, les contributions écrites et les débats autour du changement climatique sont omniprésents, et ce, dans tous les pays du monde ;
quand les initiatives et actions, publiques et privées, engagées par anticipation du changement climatique, souci de préservation de la qualité de l’atmosphère, décarbonation énergétique ou redéfinition de modèle de développement traversent tous les domaines d’activité, tous les espaces-temps du quotidien, tous les modes de consommation et de production ;
quand la notion même de « changement climatique » est présente dans toutes les têtes, montrant qu’il s’agit bien d’une interpellation active, même si cela ne se traduit pas toujours par des actes immédiatement visibles.
130Ces situations, étranges tant elles paraissent incompréhensibles de prime abord, ne se révèlent en vérité que moyennant un effort de rapprochement et de confrontation des expertises et des points de vue. Beaucoup d’acteurs ne sont probablement pas en mesure de les repérer et d’en prendre conscience, tant ils sont impliqués, malgré eux, dans la polémique. Cependant, pour que les différences l’emportent à ce point et génèrent des interprétations pareillement excessives, cela suppose l’existence d’un puissant effet de distorsion, susceptible d’accuser ou d’exacerber les divergences au point de masquer ou de faire oublier l’importance des convergences et des évidences partagées. Distorsion que ressentent certains acteurs – mais en se trompant manifestement de cible –, quand ils diagnostiquent chez la partie adverse, et de façon parfaitement symétrique d’ailleurs, une forme caractérisée de « dissonance cognitive » – ce qui, formulé ainsi, ne facilite malheureusement pas la compréhension réciproque et enferme encore davantage les acteurs dans le mécanisme dont ils subissent les altérations de sens…
131Il reste à trouver quelle peut être l’origine de cette distorsion, capable d’amplifier à ce point les dissensions que les acteurs ne parviennent plus à reconnaître ensemble des éléments d’accord pourtant majeurs et à progresser sur cette base de manière constructive… en dépit ou grâce aux différences d’appréciation qui perdurent.
132À partir des expertises que nous avons tenté de mobiliser, un principe d’explication se dégage, même s’il n’est exprimé que par un nombre restreint de personnes, et souvent de façon incomplète ou partielle. Cela concerne la manière dont, dès le début, le problème du changement climatique est appréhendé, ou, si l’on préfère, le « cadrage initial du problème ». « Problème global nécessitant une solution globale. » Dès lors, problème considéré comme ayant une existence propre, avant tout objective ou objectale, pouvant être considéré en tant que tel et relativement isolable d’un contexte, comme cela avait été possible pour l’ozone ; problème global, donc privilégiant des acteurs globaux, au premier rang desquels les États, considérés comme seuls à même de mobiliser des « solutions globales », en utilisant les ressources des grands outils universels – la technique/technologie, les dispositifs juridiques et les mécanismes économiques – et leurs meilleurs experts. Problème paraissant d’autant plus maîtrisable et auto-validant la direction prise qu’il pouvait être ramené à un « combien », dès lors que tout semblait pouvoir se ramener à une teneur de l’atmosphère en GES, exprimable au travers d’une seule et même variable et molécule, le CO2, par là même élevé au rang de nouvel équivalent universel. En somme, un modèle d’universalité parachevée, qui n’attendait qu’une réponse du même ordre.
133Las, tout se passe comme si ce cadrage primordial, loin de forcer l’accord entre les humains, comme on aurait pu l’attendre, suscitait la discorde et renforçait les oppositions plutôt qu’il ne favorise les rapprochements et permet de capitaliser sur les convergences dans les analyses. Pourquoi ? Peut-être parce que ce « forçage » requiert de forts déterminismes, là où les incertitudes demeurent considérables. Parce qu’il fait dépendre avant tout des États et d’experts patentés la recherche de solutions globales au problème, comme si ceux-ci disposaient effectivement de remèdes globaux et de panacées. Parce qu’il privilégie des mécanismes et des solutions globales qui nient la complexité du problème et la multiplicité des acteurs qui influent sur le changement climatique, selon des voies elles-mêmes innombrables. Parce qu’il conjugue, en somme, le climat au singulier et laisse entendre qu’il s’agit d’une donnée purement objective et exogène, quand les sociétés humaines, en la matière, ne connaissent par expérience que le pluriel et l’ont investi depuis longtemps de charges émotionnelles, culturelles, symboliques et spirituelles. Telle est l’hypothèse que nous formulons.
134Cadrage devenu tellement global que le problème ne semble plus relever d’ici-bas. Étonnant revirement par lequel le « changement climatique » paraît plus que jamais inaccessible aux humains, quand le slogan « problème global – solution globale » appliqué au climat laissait entendre que « l’Homme » était en mesure de rivaliser avec le domaine réservé jusque-là aux puissances d’en haut.
135Cadrage qui force à ne plus voir que le « problème », des catastrophes et des menaces sans fins.
136Cadrage qui empêche in fine d’appréhender en termes constructifs, ouverts et complexes, l’idée de « préserver le climat comme héritage commun de l’humanité » – ainsi que le suggérait en 1988 le gouvernement de Malte et avant que le problème ne soit transformé en « lutte contre le réchauffement climatique ». Au fil de la réflexion sur les changements climatiques, nous croyons avoir rencontré un certain nombre d’éléments permettant de reformuler le problème du changement climatique selon des termes plus appropriés. Il ne s’agit que d’une première exploration ou encore d’une ébauche de réflexion qui part du constat préalable selon lequel, à notre avis, la question des changements climatiques donne lieu à une certaine variété de problématisations.
Quel est le problème (2) ? Différentes lectures du problème « changement climatique »
137En effet, avec le temps, la polarisation du débat climatique en deux camps, que tout est censé opposer ou presque, est devenue si structurante qu’elle occulte une réalité plus riche et plus subtile : en fait, le changement climatique donne lieu à des problématisations fort différentes, chacune ouvrant potentiellement sur des manières d’agir spécifiques, et néanmoins susceptibles d’apports complémentaires, à tout le moins jusqu’à un certain point.
138En première approximation, plusieurs problématisations se dégagent nettement – nous en distinguons cinq, mais il serait sans doute possible d’en ajouter d’autres. Il n’entre pas dans notre propos de considérer que telle ou telle approche est préférable à une autre sur le fond, pas plus qu’il ne s’agit de mesurer leur importance ou leur crédit relatifs, à l’aune du poids politique ou économique de leurs promoteurs respectifs.
Le dérèglement climatique, menace majeure pour l’avenir de l’humanité
139C’est l’approche « officielle », celle que partagent manifestement de nombreux scientifiques impliqués dans le Giec, des ONG environnementales, des membres de gouvernements impliqués dans les négociations internationales, divers commentateurs et observateurs aussi. En cause, l’essor de l’humanité, dans ses aspects aussi bien qualitatifs que quantitatifs, qui conduit à un dérèglement de la machinerie climatique – certains en viennent même à parler de disruption. Les menaces et les risques, avérés et potentiels, probabilisables et incertains, s’avèrent si grands pour le devenir des sociétés humaines, qu’il est urgent de réduire au plus vite et substantiellement les émissions de GES. Dans cette approche, le changement climatique représente, en soi, une telle menace, qu’il s’impose à tous les autres aspects et tous les autres champs de l’action. Il devient l’ennemi public numéro 1 de l’humanité. État de guerre et état d’urgence : rien n’est trop bon ni trop fort pour y mettre un terme ou en tout cas le contenir dans des limites raisonnables. En conséquence, des changements structurels majeurs sont attendus dans l’infrastructure économique, technique, démographique… ; des décisions courageuses sont requises de la part des dirigeants politiques, afin de « se libérer d’un système qui conduit droit dans le mur ou dans l’inconnu le plus sombre ».
140Avec une telle lecture du problème, l’effort se concentre sur la réduction des émissions de GES. Cette finalité focalise l’attention, car il est convenu qu’au-delà d’un certain seuil d’émission, plus rien ne sera maîtrisable… Cela permet aussi d’expliquer pourquoi, comme le déplorent divers observateurs, la stratégie de l’adaptation occupe souvent les seconds rôles : elle fait figure d’échec de la stratégie de réduction, échec d’autant plus inacceptable que sans réduction suffisante des émissions de GES, l’adaptation sera totalement débordée par les événements (extrêmes et imprévus…) à moyen terme. Actuellement, un compromis politico-scientifique correspondant au seuil des 2 °C d’élévation de la température moyenne de l’atmosphère guide l’action.
Le changement climatique, symptôme d’une dépendance aux énergies fossiles
141S’ils considèrent souvent que le changement climatique constitue un problème sérieux, voire une préoccupation majeure, les acteurs réunis dans cette approche se distinguent des précédents par le fait qu’ils identifient une cause prépondérante, sinon exclusive à celui-ci : la dépendance aux énergies fossiles. De sorte que cela finit par devenir un problème au moins aussi important que celui du climat, sinon le problème fondamental ; celui qui est à l’origine de tous les autres, le changement climatique, à la limite, devenant une conséquence ou un symptôme parmi d’autres de cette dépendance toxique et de ses effets délétères, sinon mortifères (dégradation de la qualité de l’air et problème de santé publique, microcontaminants envahissant l’ensemble des compartiments de la biosphère, instabilités économiques et sociales, accroissement des tensions géopolitiques pour la maîtrise énergétique…).
142Cette différence, apparemment petite et subtile, dans la manière de poser au départ le problème, va cependant suffire à transformer en profondeur la réponse envisagée et ses modalités pratiques. La « décarbonation de l’économie » devient en effet la priorité des priorités. Le champ de l’action politique s’en trouve assez nettement reconfiguré : de nouveaux leviers d’action sont espérés, dès lors que la seule finalité n’est plus de lutter contre le dérèglement climatique et qu’il s’agit, plus largement, de s’affranchir de la dépendance aux énergies fossiles. Aux politiques dédiées de lutte contre les émissions de CO2 s’ajoutent d’autres politiques et outils, dont la finalité ne se borne pas à la réduction du dérèglement climatique, quand celui-ci ne se réduit pas à un simple faire-valoir. Aussi en attendent-ils une force d’entraînement très supérieure à celle qui limite aujourd’hui l’action politique en faveur du climat, ne serait-ce que parce qu’elle présente d’autres fins positives, d’autres bénéfices et offre de ce fait un potentiel totalement renouvelé de mobilisation d’acteurs et d’opérateurs.
143La généralisation des plans énergies-climat, en France comme en Europe, confirme la vigueur de cette approche et sa capacité de mobilisation – au point d’avoir remplacé les plans climats ou les seuls bilans carbone. Dans le même ordre d’idées, l’essor considérable de la thématique de la transition énergétique, encore appelée transition écologique, et l’importance qu’occupe en son sein la question de la sortie de la dépendance aux énergies fossiles, montre la fécondité de cette approche. De même, l’instauration d’un marché carbone d’échelle régionale, comme en Chine, répond au premier chef à des objectifs sanitaires : les autorités chinoises y trouvent un moyen opérationnel d’aboutir rapidement à une amélioration de la qualité de l’air des grandes métropoles – motivation beaucoup plus forte que celle visant à lutter contre le changement climatique (Karsenty, 2014).
144Cependant, comme le souligne avec force le rapport Hartwell, le modèle sous-jacent à l’approche internationale, ne permet pas pour le moment de poser le problème en ces termes. Portés au départ par la communauté des climatologues, les processus internationaux se concentrent sur le changement climatique lui-même. Le lien énergie-climat n’est pas la question centrale de ces processus ; il est présent, mais uniquement par le biais des GES, ce qui réduit d’autant la contribution potentielle de la question énergétique à la question climatique.
La « crise climatique », un épiphénomène au regard de la crise énergétique
Climate change teaches us – in case we prefered to ignore it – that our existing energy technology portfolio with high dependencies on gaseous and liquid car-bon-based fuels derived from fossil sources will not survive two more generations. […] Climate change is not the problem to be solved; climate change is the idea we must use if we are to learn our lessons properly
Hulme, 2009.24
145Là aussi, la différence semble pouvoir se ramener à si peu de chose qu’il n’y a pas lieu, en apparence, de s’y attarder. Et pourtant, cette fois encore, une variation subtile des conditions initiales se traduit in fine par de grands effets. Car pour les acteurs réunis dans cette approche, la dépendance aux énergies fossiles n’est pas seulement la cause d’un certain nombre de dérèglements, c’est aussi et d’abord un problème en soi. La crise énergétique, actuelle et à venir, s’avère même nettement plus préoccupante à leurs yeux que la crise climatique – au pire, cette dernière leur paraît-elle conduire à des changements avec lesquels les humains apprendront à composer, des efforts particuliers méritant d’être déployés en faveur de ceux qui seront les moins à même de s’y accoutumer, mais, pour le reste, au regard de la crise énergétique qui s’annonce, ce n’est guère plus qu’un épiphénomène. Il faut en effet compter avec la raréfaction des gisements fossiles, l’augmentation considérable des besoins énergétiques de l’humanité et le fait que pour une part considérable des humains, l’accès à l’énergie demeure extrêmement problématique et limitant.
146Dans cette optique, le but de l’action ne se borne pas seulement à décarboner l’économie afin de réduire l’empreinte climatique. Il s’agit plus généralement de repenser en profondeur le portefeuille énergétique, tout simplement parce que les besoins énergétiques sont considérables et que les grandes sources énergétiques qui ont fait l’essor de la civilisation industrielle depuis plus de deux siècles sont en voie de tarissement. Sans pour autant perdre de vue la question du changement climatique et la possible/probable contribution des GES au problème, l’urgence consiste aussi et surtout à mettre au point, en l’espace de quelques décennies, une nouvelle infrastructure ou une nouvelle donne énergétique mondiale.
147Plusieurs auteurs montrent que ce faisant, la question climatique sera, par voie de conséquence, abordée, mais en étant reprise dans un élan encore plus général et transformateur que celui évoqué dans l’approche précédente. Des auteurs tel Jérémy Rifkin (2011) vont même jusqu’à considérer qu’une conjonction particulièrement favorable se présente aujourd’hui, qui pourrait bien s’accompagner d’une transformation civilisationnelle de grande ampleur : des problèmes qui paraissent insurmontables vont trouver des voies totalement nouvelles de résolution grâce à l’émergence de l’infrastructure numérique et l’Internet…
Le réchauffement climatique, source d’inégalités et d’injustices accrues et véritable défi d’adaptation pour les plus démunis
148Quelles que soient ses origines, le réchauffement climatique en cours aggrave les difficultés et les vulnérabilités aux risques de certains territoires et de certains acteurs. Cela se vérifie tout particulièrement – et les modèles d’évolution climatique le confirment – pour des régions situées dans la zone intertropicale. Déjà fragiles, ces territoires et leurs habitants peuvent avoir du mal à surmonter les transformations et à financer les efforts « d’acclimatation » nécessaires. Pour un ensemble d’acteurs du développement, des responsables politiques, des ONG humanitaires, le réchauffement climatique est d’abord perçu sous l’angle des difficultés socio-économiques supplémentaires qu’il engendre. Ce pourquoi la question de l’adaptation est absolument centrale à leurs yeux, d’autant que, s’ils en croient les modèles climatiques en vigueur et s’ils en jugent par la hausse continue des émissions de GES, le réchauffement climatique devrait se poursuivre et même s’accentuer.
149L’adaptation est habituellement appréhendée comme un moyen de minimiser les effets dommageables du réchauffement climatique vis-à-vis de populations fragiles. Des populations, qui, spontanément, auraient du mal à s’acclimater aux nouvelles conditions de leur environnement. Elle peut toutefois être envisagée réciproquement comme un moyen de contribuer positivement à la question climatique. À bien y regarder en effet, réduire ou neutraliser les préjudices induits par le réchauffement climatique peut conduire à éviter que, suite à des déplacements de populations, des famines accrues, d’autres dérèglements socio-économiques aussi, des reports de pression anthropique s’exercent sur d’autres écosystèmes, d’autres milieux de vie, ce qui pourrait contribuer à dégrader encore plus certains paramètres des climats, à des échelles variées. En renversant les termes de l’analyse, cela peut même conduire à ce que la gestion de certains écosystèmes devienne plus résiliente, à ce que des modes de développement harmonieux l’emportent là où des équilibres précaires se maintenaient tant bien que mal. En somme, à faire que la contrainte climatique initiale devienne une opportunité pour inventer des modes de vie moins dommageables pour l’environnement, avec des effets positifs à différentes échelles. De sorte que des groupes de personnes et d’opérateurs, qui, jusqu’alors, n’avaient d’autre choix que d’adopter la posture de plaignants ou de victimes face au réchauffement climatique, pourraient renégocier leur posture en proposant de devenir des contributeurs actifs à la qualité générale de l’environnement et du (des) climat(s).
150Cette fois encore, une légère modification des conditions initiales laisse entrevoir la possibilité de leviers d’action supplémentaires pour influer sur la qualité de l’atmosphère au sens large. Dès lors, l’adaptation devient une stratégie à part entière, non moins importante que l’atténuation. Elle n’a plus aucune raison de vivre dans l’ombre de la stratégie d’atténuation, comme c’est encore trop souvent le cas dans la négociation internationale.
Le réchauffement climatique, aubaine potentielle et source d’opportunités nouvelles
151Le processus international répugne à reconnaître que, pour un ensemble d’acteurs, le réchauffement climatique ouvre sur des possibilités potentiellement favorables. La libération de certaines terres par les glaces en constitue l’un des meilleurs exemples. « Officiellement », elle est avant tout appréhendée de manière négative : moindre albédo d’où crainte d’un réchauffement planétaire encore accru ; libération de méthane enfoui dans les sols et les marais ; mise en danger d’écosystèmes fragiles jusqu’alors relativement préservés des transformations liées aux sociétés humaines. Selon le cadrage officiel du problème climatique, cela est synonyme d’augmentation sensible de l’effet de serre, d’où un risque encore accru de « dérapage incontrôlable de la machine climatique ».
152Pour d’autres et pour des pays concernés au premier chef par le phénomène, elle peut cependant constituer une aubaine : nouvelles terres à valoriser ; nouvelles voies de circulation, maritimes notamment ; accès à de nouvelles ressources, en particulier dans les pays situés aux hautes latitudes…
153Plus que jamais, les positions paraissent donc inconciliables, le divorce consommé.
154Il est cependant d’autres aspects sur lesquels l’accord semble se faire plus facilement : le réchauffement climatique entraînera potentiellement des économies d’énergie (moindres besoins de chauffage grâce à des hivers plus doux) et libérera des surfaces cultivables plus importantes, d’où une moindre pression sur certains écosystèmes…
155Il faut encore compter avec d’autres perspectives possibles, moins aisément repérables, car encore plus incompatibles, à première vue, avec le cadrage officiel de la question climatique. Elles se rencontrent fréquemment chez des opérateurs forestiers notamment, qui rêvent de jouer un rôle actif en matière de fixation de GES, de CO2 en particulier, et d’être explicitement reconnus pour ce rôle. Il ne fait pas de doute qu’au-delà de cette contribution, d’autres acteurs ont ou pourraient avoir pour projet de contribuer à leur échelle, à façonner de manière toujours plus intentionnelle la qualité du climat et de l’atmosphère, à différentes échelles, en tout cas déjà à des échelles locales ou régionales. En effet, s’il ne fait pas de doute que des déboisements massifs ont pu transformer en profondeur la climatologie locale, les projets de reverdissement du désert, ainsi que d’autres aménagements, comme la remise en eau de grandes étendues, se proposent, au moins pour partie, d’influer sur certains paramètres des climats. Que l’humain ait eu et ait toujours pour projet de peser, au moins jusqu’à un certain point, sur certains aspects des climats ne fait pas de doute. Cette perspective n’a, en soi, rien de choquant. L’émergence même de la vie sur Terre et son épanouissement ont considérablement changé la composition de l’atmosphère terrestre, l’enrichissant en oxygène et la décarbonant pendant des centaines de millions d’années (les réserves d’énergie fossiles sont précisément le fruit de cette captation du dioxyde de carbone par des végétaux et des bactéries). Pourquoi, dès lors, cette voie et cette perspective paraissent-elles hors de propos et comme inadmissibles ? Parce qu’elles sont devenues synonymes de « géo-ingénierie ». Mais, en réalité, ce qui est considéré comme inacceptable dans la géo-ingénierie, c’est le projet démiurgique visant à modifier ou à contrôler globalement le climat de la Terre par l’entremise d’instruments ou de modalités elles-mêmes globales. Le point est essentiel, car cela pourrait bien aboutir à un enseignement exactement opposé à celui qui en est habituellement tiré : l’impossibilité ou l’illusoire d’une stratégie et d’une action globales, co-extensives au climat de la Terre ; mais en revanche, la possibilité et l’intérêt de chercher à peser intentionnellement sur les climats – ou plus exactement sur des paramètres décisifs de la qualité de l’air et de l’atmosphère25 –, à des échelles nécessairement limitées, locales ou régionales. Dès lors, cela reviendrait à reconnaître, aux côtés de l’atténuation et de l’adaptation, un troisième grand pilier d’action stratégique, visant à influer sur la qualité des climats et de l’atmosphère, à savoir une stratégie de co-régulation ou de co-pilotage (fig. 21 et 22).
156En définitive, il y a fort à parier que nombre d’acteurs qui prennent part à la négociation climatique s’accommodent tant bien que mal du cadrage officiel et limitatif du problème. Ils l’investissent dans la mesure où ils y voient un levier potentiel pour atteindre les objectifs qui les animent – des objectifs qui ne sont pas explicitement reconnus par la négociation internationale, alors qu’ils pourraient tout à fait contribuer, même indirectement, à l’amélioration de la qualité de l’atmosphère.
Bilan : du dérèglement climatique à la prise en charge de la qualité de l’atmosphère
157Il arrive parfois qu’un problème en cache un autre, et cela semble bien être le cas pour le climat. Après avoir examiné le processus international de lutte contre le réchauffement planétaire, et avoir pris en compte les réactions variées auxquelles il donne lieu, tout laisse à penser que derrière le sujet des changements climatiques se joue en réalité un problème ou un enjeu plus vaste encore : la question de la qualité de l’atmosphère, prise dans son sens le plus large, qualité dont les humains prennent de plus en plus conscience qu’ils en sont devenus malgré eux, à la faveur de crises et d’inquiétudes locales et globales, des quasi-gestionnaires.
158L’urgence ressentie face au problème du réchauffement planétaire, des changements climatiques et des effets défavorables qu’il pourrait induire a précipité la recherche préférentielle d’actions globales (mondiales) simples dans un souci de rapidité et d’efficacité. Pourtant, comme le suggère l’impasse probable de la géo-ingénierie quand elle est conçue d’emblée dans une perspective planétaire, il est douteux que la recherche de « solutions globales au problème global du réchauffement climatique » soit réellement prometteuse. La complexité du « système climatique », de même que la complexité et la diversité des sociétés humaines y opposent une immense résistance.
159De très nombreux acteurs se sont mis en mouvement ces dernières années sur le sujet du réchauffement planétaire et du dérèglement climatique, et le processus international afférent y a sans doute contribué. Il paraît cependant possible d’aller plus loin, sous réserve de reformuler le problème des changements climatiques en termes de prise en charge, en patrimoine commun, de la qualité de l’atmosphère. En effet, l’air est l’élément du système Terre qui forme le continuum planétaire le plus remarquable, d’autant qu’il est brassé. La qualité de l’atmosphère – qu’il convient d’envisager à toutes les échelles – se présente donc bien comme un candidat de premier choix au statut de « patrimoine commun ».
160Cela permettrait de reconnaître l’existence d’une pluralité de leviers d’action susceptibles d’être activés conjointement pour une contribution positive et accrue de nombreux acteurs à la prise en charge active de la qualité de l’atmosphère. Acteurs qui, aujourd’hui, peinent à trouver leur place dans le cadrage dominant que véhicule, ipso facto, la négociation internationale.
161Le cadre de l’action stratégique pourrait ainsi reposer sur une assise beaucoup plus large et féconde ; en le faisant reposer, non pas sur la seule jambe de l’atténuation, mais sur les trois pieds ou piliers de l’atténuation, de l’adaptation-acclimatation et de la co-régulation. Une stratégie ternaire, s’adossant elle-même à plusieurs leviers d’action, dont certains arrivent à maturité, quand d’autres émergent à peine. Une stratégie qu’il conviendrait de décliner à toutes les échelles d’action, avec une attention particulière pour les niveaux les plus concrets et les plus territorialisés, mieux à même de maintenir dans la durée l’engagement des acteurs.
Notes de bas de page
1 Résolution A/RES/43/53, adoptée le 6 décembre 1988.
2 Nous soulignons les passages qui montrent que le changement climatique/le réchauffement de la planète a pris le dessus sur le climat et mettons en italique les mots qui insistent sur la gravité (potentielle) du problème.
3 À la fin de ce chapitre, nous reviendrons sur cette proposition du gouvernement de Malte, en reconsidérant son potentiel.
4 Traduit par climate change dans la version anglaise de la Résolution considérée.
5 En avril 2014, le groupe thématique « Climat : évolution, adaptation, atténuation, impacts » de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) s’est saisi de la notion de « services climatiques » qu’il définit comme « l’ensemble des informations et prestations qui permettent d’évaluer et de qualifier le climat passé, présent et futur, d’apprécier la vulnérabilité des activités économiques, de l’environnement et de la société au changement climatique, et de fournir des éléments pour entreprendre des mesures d’atténuation et d’adaptation ». Nous sommes donc encore loin de l’approche positive de la notion de « service » qui prévaut dans le cas de la biodiversité.
6 « Mécanisme naturel », cet effet de serre est normalement bénéfique. On lui doit une élévation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre de + 32 °C, soit encore une température moyenne voisine de + 14 °C au lieu des – 18 °C qui seraient observés en son absence. Représentant 3 à 4 % de la teneur en gaz atmosphériques, la vapeur d’eau est le principal GES.
7 Depuis 1870, l’humanité aurait émis 550 milliards de tonnes de carbone (GtC). Selon le dernier rapport du Giec, il convient de ne pas excéder le seuil de 790 GtC afin de rester sous la barre des 2 °C de réchauffement. Le Global Carbon Project, un consortium scientifique conduit par l’université d’East Anglia (Royaume-Uni), évalue à 9,9 GtC les émissions mondiales pour la seule année 2013, en hausse par rapport à 2012. L’un des membres du consortium précise : « Au rythme actuel, c´est-à-dire sans tenir compte d’une possible poursuite de la croissance des émissions, ce seuil sera atteint dans vingt-cinq ans » (Le Monde, 20 novembre 2013).
8 Terme inventé par le mathématicien français Benoît Rittaud.
9 « Ces dernières années, j’ai été châtié pour certaines de mes déclarations sur le changement climatique. J’ai dénoncé l’utilisation d’un langage exagéré dans la description des risques liés au changement climatique ; j’ai parlé des limites et de la fragilité des connaissances scientifiques […]. En conséquence, on m’a accusé d’enfouir ma tête d’autruche dans le sable ; de saper le pouvoir de la science ; de manquer de passion pour “résoudre” le “problème” du changement climatique. »
10 Le Monde, 8 juillet, 2008.
11 « Nous pensons que la science du climat est trop importante pour être gardée secrète. Nous publions ici une sélection aléatoire de correspondance, de codes et de documents. Nous espérons qu’ils donneront un aperçu de la science et des personnes qui se cachent derrière elle. »
12 Thomas Stocker, coprésident du groupe 1 du Giec, professeur de physique du climat à l’université de Berne (Suisse), dans Le Monde, « Climat : les négateurs du réchauffement ignorent les faits établis », 24 novembre 2009.
13 Économiste, professeur d’éthique à l’université Charles-Sturt en Australie, membre du Bureau pour le changement climatique du gouvernement australien, p. 115-116.
14 Le Nongovernmental International Panel on Climate Change (NIPCC) dispose depuis 2010 d’un site web : www.nipccreport.org. Il est évident que ce panel s’emploie à prendre l’exact contrepied du Giec : cela se retrouve même dans les thématiques des rapports qui miment celles du Giec et son organisation en trois groupes de travail. La symétrie s’avère donc assez remarquable, à ceci près que les effectifs ne sont pas comparables : quelques dizaines de chercheurs impliqués dans la rédaction des rapports de ce que certains nomment l’« Anti-Giec ». Les médias français, à la différence des médias anglo-saxons ou même allemands, observent une grande réserve au sujet de ce contre-panel.
15 « Même s’il peut être périlleux de parler de guerre – quand il y a un état de paix – il est encore plus dangereux de nier qu’il y a une guerre quand on est attaqué. Les tenants de la conciliation finiraient par être les négateurs – non pas en niant la science du climat, cette fois-ci – mais en niant qu’il y a une guerre pour la définition et le contrôle du monde que nous habitons collectivement. Il y a effectivement une guerre pour la définition et le contrôle de la Terre : une guerre qui oppose – pour être un peu dramatique – les Humains vivant (encore) à l’Holocène contre les Terriens vivant à l’Anthropocène. »
16 Le Monde, 22 décembre 2009.
17 Florence Leray, « Le négationnisme du réchauffement climatique en question », blog d’Olivier Zara.
18 Report from the Iron Mountain on the possibility and the desirability of peace (1967), anonyme, introduit par Leonard C. Lewin.
19 « L’Europe doit reprendre un rôle moteur dans la négociation sur le climat », Le Monde, 23 juin 2011.
20 « Il faut une taxe climat aux frontières de l’Europe, Monique Barbut, ex-présidente du Fonds pour l’environnement mondial, fustige l’immobilisme international », Le Monde, 23 août 2013.
21 Andrew Praj, économiste à l’OCDE, Le Monde, 6 décembre 2011
22 « La politique climatique, telle qu’elle a été comprise et pratiquée par de nombreux gouvernements du monde dans le cadre de la démarche du protocole de Kyoto, n’a pas réussi à produire de réductions réelles perceptibles des émissions de gaz à effet de serre dans le monde en quinze ans. La raison sous-jacente en est que le modèle Ccnucc/Kyoto était structurellement défectueux et voué à l’échec parce qu’il a systématiquement mal compris la nature du changement climatique en tant que question politique entre 1985 et 2009. Cependant, l’approche actuellement dominante a acquis un immense élan politique en raison des quantités de politique qui y sont englouties. Mais en tout cas, le modèle de politique climatique de la CCNUCC/Kyoto ne peut pas continuer, parce qu’il s’est effondré fin 2009. »
23 À l’instar, semble-t-il, des guerres hypermodernes, dont les effets psychologiques, mentaux et sociaux/ sociétaux, en revanche, ne sont pas négligeables.
24 « Le changement climatique nous apprend - au cas où nous préférerions l’ignorer - que notre portefeuille actuel de technologies énergétiques, qui dépend fortement des combustibles à base de carbone gazeux et liquide dérivés de sources fossiles, ne survivra pas deux générations de plus. […] Le changement climatique n’est pas le problème à résoudre ; le changement climatique est l’idée que nous devons utiliser si nous voulons tirer les leçons qui s’imposent. »
25 Nous retrouvons ici la proposition initiale du gouvernement de Malte (1988) de « conserver le climat comme un patrimoine commun de l’humanité », mais en l’adaptant. Définie comme « la série des états de l’atmosphère au-dessus d’un lieu dans leur succession habituelle », la notion de climat relève en effet du concept et de l’abstraction ; elle ne correspond pas à une réalité physique qu’il serait possible de « conserver ». En revanche, parler de qualité de l’air et de l’atmosphère renvoie à des réalités tangibles, appréciables selon différents paramètres et critères jugés importants par des acteurs. Au demeurant, il ne s’agit pas seulement d’envisager la conservation comme la simple « préservation » d’un état climatique idéalisé, mais bien d’engager une gestion dynamique et adaptative de la qualité de l’atmosphère, en jouant sur les trois leviers ou piliers de l’action climatique.
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