Le mari et la femme
p. 125-169
Texte intégral
1Alberti s'est souvent interrogé sur la relation unissant le mari à la femme ou, plus généralement, l'homme à la femme. Ce sont presque toujours ses personnages masculins qui jugent et éduquent leurs compagnes ou réfléchissent sur l'amour et le mariage. Le regard d'un homme, l'auteur, célibataire et ecclésiastique, retransmis par des hommes, ses personnages, trace les contours de l'image féminine. Sa réflexion ne suit pas une évolution chronologique qui, en passant par les trois âges de l'être humain, dessinerait un changement logiquement reproduit dans la progression de ses textes, mais elle adopte un point de vue et des conclusions différentes d'une œuvre à l'autre.
2L'image de la femme albertienne n'est pas unique, mais elle se multiplie, selon les textes, pour aboutir à des représentations fort contradictoires déterminées par la perspective que l'auteur a choisie. Lorsqu'il s'agit de considérer la femme à l'intérieur de l'univers familial, pilier de la vie sociale, Alberti nous offre une description positive de celle-ci ; elle préfigure un des éléments indispensables à la composition de la famille et elle prend une part active à son bon fonctionnement ; c'est là l'image de l'épouse modèle telle qu'elle se dégage des pages du De familia. Mais au-delà de ce dialogue, le jugement porté sur la femme change et le lecteur se trouve souvent confronté à la manifestation d'une tenace misogynie qui semble être sans appel. Cela est vrai tout particulièrement pour les œuvres latines, mais aussi, bien que de manière plus ponctuelle, pour les dialogues en langue vulgaire qui ne traitent pas spécifiquement de la famille, comme le De iciarchia ou le Profugiorum ab aerumna.
3Misogynie et acceptation de la femme épouse et mère, sont les deux facettes les plus explicitement manifestes à l’intérieur desquelles vient s'inscrire la relation mari et femme. Cependant certains textes, tels que Ecatonfilea ou encore Sofrona, échappent à cette ébauche de classification. Leur analyse révèle un aspect de la pensée d'Alberti plus complexe, traversé par le doute, et qui ne semble pas, ou pas assez, avoir été souligné auparavant. La récurrence de ce thème à l'intérieur de l'œuvre de notre auteur témoigne de sa perplexité à cet égard. Alberti nous livre des portraits en opposition et il ne résout pas la contradiction par le biais du dialogue : il laisse coexister différentes figures de femmes dans différents espaces, sans tenter de les rassembler dans une illusoire tentative de cohérence. Mais, entre l'épouse modèle et l'amante cruelle et pertubatrice se glisse une troisième image, peut-être floue, mais fort originale.
I. La bonne épouse
4Dans le De familia, Alberti décrit longuement la femme épouse et mère, compagne douce et soumise qui veille sur la famille aux côtés de son mari. Ce portrait répondait parfaitement à la conception de l'institution familiale de l'époque. Le couple, avec ses composantes dont les rôles étaient strictement codifiés, constituait l'élément fondateur de ce maillon de la chaîne sociale représenté par la famille. C'est pourquoi certains humanistes, à commencer par Salutati, s'appliquèrent à célébrer le mariage comme une valeur positive qui devait être réglementée pour garantir le développement harmonieux de la société. Ce courant de pensée se définissait par opposition à une mysoginie ouverte, propre aux milieux des lettrés qui, suivant la thèse du texte canonique anti-matrimonial qu'était le De remediis utriusque fortuna de Pétrarque, voyaient dans le mariage et dans l'amour un état antinomique au désir de se consacrer à l'étude. Il s'agit de deux positions contradictoires également présentes dans l'œuvre albertienne.
5Du point de vue de la réévaluation de la valeur civile du mariage, Alberti s'inscrit dans le mouvement plus général de la trattatistica de l'époque destinée à instruire les femmes sur le seul rôle social qui leur était reconnu, celui d'épouses vouées avant tout à la maternité1. Il s'en détache en revanche dans la mesure où il écrit pour un public d'hommes : son discours sur la femme est réservé à un usage masculin. Cependant, chez Alberti, on ne retrouve pas le souci religieux qui avait inspiré, par exemple, la Regola del governo di cura famigliare que Giovanni Dominici avait dédié à Bartolomea degli Obizzi, femme d'Antonio Alberti, en 1403. Ici l'auteur – suivant la conception religieuse traditionnelle, qui plaçait au sommet de la hiérarchie féminine les vierges consacrées au service de Dieu et voyait donc dans la condition de la femme mariée une forme de vie moins méritoire – avait établi un ordre des priorités qu'une bonne épouse devait respecter. La première place revenait aux exercices spirituels et à l'observance des pratiques religieuses ; ensuite seulement elle devait s'occuper de la gestion de l'économie domestique et de l'éducation des enfants2. Rien de semblable chez Alberti. Son approche est, encore une fois, absolument laïque ; tout en proposant un modèle, forcément quelque peu idéal, elle s'inspire essentiellement de la réalité des milieux marchands de l'époque et, en ce sens elle pourrait se rapprocher du traité De re Uxoria que Francesco Barbara avait composé en 1416 à l'occasion du mariage de Ginevra Cavalcanti3.
6Le vaste intérêt soulevé par l'éducation de la femme à l'intérieur du mariage avait intensifié la réflexion de religieux et de moralistes ; leurs écrits témoignaient d'une urgence sociale et répondaient à la nécessité historique de promouvoir le mariage. Au cours de notre dernier chapitre nous évoquerons plus en détail les raisons de cette urgence : crise démographique, crise économique, diffusion de l'homosexualité masculine. L'étude du cadastre florentin de 1427 laisserait supposer que la baisse du nombre de mariages était plus gravement ressentie au sein des familles aisées, vivant en milieu urbain, ceci pour des raisons économiques. Les jeunes gens riches qui envisageaient une carrière de grand marchand, de juriste ou de banquier, donnaient la priorité à leurs débuts professionnels et attendaient d'avoir amassé assez de richesses pour envisager de fonder un ménage à la hauteur de leur niveau social. En outre, le mariage impliquait, de la part de la famille de l'épouse, un versement d'argent souvent trop important en paiement de la dot4. Les conséquences d'une telle situation étaient une baisse démographique, le désordre social (dû au grand nombre de ces jeunes qui cherchaient un exutoire sexuel en dehors de la légitimité), des jeunes filles contraintes au célibat et des montants requis pour les dots de plus en plus élevés. Toutes ces raisons n'échappent pas à Alberti qui charge Lionardo de les évoquer avant de dispenser des conseils concernant le choix et l'éducation de l'épouse.
7Au livre II du Defamilia, après avoir constaté que le plaisir de la liberté et de la jouissance éloigne les jeunes gens des liens du mariage, Lionardo suggère aux pères de pousser leurs fils à fonder une famille, en leur présentant les avantages de la vie conjugale, les joies que procure la progéniture, sans oublier de leur rappeler leur devoir civique5. Il met donc l'accent, non pas tant sur les avantages personnels que sur la nécessité de s'assurer une descendance légitime qui justifie les efforts fournis pour accumuler des biens ou pour jouir d'une juste renommée6. Les fils deviennent ainsi les dépositaires non seulement du patrimoine paternel mais surtout de la mémoire du père et de celle des ancêtres. Par ailleurs, conscient des problèmes sociaux de son temps, Alberti fait dire à Lionardo qu'il faudra rappeler aux jeunes gens que le mariage est le lieu où peut se développer une vie saine et ordonnée7 et les enfants qui naîtront seront pour leur père un rempart contre l’adversité8. Enfin, comme le mariage est un événement qui implique la famille tout entière, c'est à elle que revient la charge de pourvoir à la somme nécessaire à l'établissement du nouveau ménage9 Le mariage est un lien qui garantit l'ordre et une source de bonheur et de sécurité. Les difficultés matérielles sont balayées par le recours à la solidarité familiale ; il ne reste plus qu'à énoncer les normes préalables qui doivent en assurer la réussite.
8C'est à Lionardo, le seul interlocuteur adulte célibataire, que l'auteur a donné la parole, non seulement pour faire l'éloge du mariage, mais aussi pour rappeler quels sont les éléments qui doivent guider l'homme dans le choix de la femme : sa qualité de lettré implique un savoir qui légitime son rôle de théoricien. Avant d'aborder des questions plus concrètes, il va fixer les données théoriques qui attribuent à la femme son rôle à l'intérieur du couple et sa position d'infériorité par rapport au mari.
9Au début du livre II, au cours de ses échanges avec Battista, Lionardo avait pris soin d'exclure l'amour, au sens de passion amoureuse, des sentiments qui doivent fonder l'union conjugale10. L'amour-passion, déstabilisant et irrationnel, ne peut pas être une force constructive à l'intérieur d'un ménage. Le sentiment qui doit lier les époux est plutôt une sorte d'amitié11, faite de bienveillance et de respect, qui n'implique pas pour autant une relation d'égalité. De l'observation de la nature, il tire la justification de la monogamie et la raison qui explique la position de dépendance de l'épouse vis-à-vis du mari. La femme, destinée à la procréation et à la garde du nouveau-né, ne peut pas abandonner la demeure familiale pour sortir se procurer ce qui est nécessaire à la vie. C'est donc l'homme qui doit s'acquitter de cette tâche et, suivant la logique, il ne pourrait l'accomplir convenablement pour plusieurs femmes à la fois, d'où l'obligation pour lui de rester monogame12. La femme, de son côté, gardera soigneusement tous les biens du ménage. Au nom d'une loi de la nature, Lionardo affirme que la maison est le lieu réservé à l'épouse unique, que sa faiblesse et sa paresse physiologiques prédisposent exclusivement à la conservation des biens et à la garde des enfants, alors que l'homme est appelé à exercer à l'extérieur les qualités viriles qui lui sont propres13. C'était là une position classique qui remontait à Aristote, dont les textes, de plus en plus connus depuis le XIIIe siècle, constituaient un terme de référence à propos de l'image et du rôle de la femme14. D'ailleurs ce principe, qui conférait à l'épouse une position de dépendance par rapport au mari, trouvait à l'époque un terrain fécond dans les mentalités et les coutumes d'une société patrilinéaire telle que celle de Florence.
10Lionardo va ensuite énumérer les exigences propres au choix d'une épouse. C'était là une grave question, dense d'implications : elle ne concernait pas uniquement le mari, mais avait un retentissement sur l'organisation et la politique de la famille tout entière. D'une manière générale, son discours respecte les impératifs sociaux de son temps et s'avère conforme à la tradition. Tout d'abord, il prend soin de fixer l'âge de l'époux en fonction du développement physiologique qui doit correspondre à l'épanouissement de ses capacités de reproduction. S'appuyant sur les enseignements des auteurs classiques il rappelle qu'un homme n'est pas complètement apte à la procréation avant vingt-cinq ans15. De fait, à Florence, l’âge moyen des hommes qui accédaient au mariage s'échelonnait entre vingt-six et trente ans. En réalité, cette échéance pouvait être repoussée bien au-delà, les hommes avaient la possibilité de se marier très tard puisque, d'après l'étude du cadastre, près d'un célibataire sur dix, âgé de quarante-cinq ans, pouvait encore trouver une épouse avant son cinquantième anniversaire, c'est-à-dire au seuil de ce que les contemporains considéraient comme l'âge de la vieillesse. En revanche, la majorité des filles devait se marier avant vingt ans sous peine de rester célibataires et de devoir entrer au couvent16.
11En ce qui concerne le choix de l'épouse, les membres de la famille doivent se plier à la volonté du futur mari : « Costui elegga quai più gli talenta », que le jeune homme choisisse celle qu'il préfère17. Mais cette brève allusion au respect de la liberté individuelle est loin de supplanter l'intervention de toute la famille, qui procède à une sélection très serrée parmi les candidates potentielles. Ce sont les femmes de la parenté du futur mari qui, connaissant les origines, mêmes les plus lointaines, de toutes les jeunes filles de la ville, éliront celle jugée digne d'entrer dans leur maison. Ainsi, tout en mettant l'accent sur les deux rôles essentiels réservés à la femme, celui de mère et celui d'agréable compagne, Lionardo compare le comportement à suivre pour le choix de l'épouse à l'attitude que le bon père de famille adopte au moment d'un achat important :
Mais que celui-ci fasse comme les bons pères de famille qui, quand ils doivent faire un achat, vont revoir à plusieurs reprises leur acquisition, avant de conclure un quelconque accord. Pour tout achat et tout contrat, il est utile de se renseigner et de prendre conseil, de demander à diverses personnes et d'user de tout son zèle pour ne pas avoir ensuite à regretter son achat. Celui qui aura décidé de se marier devra faire preuve d'encore plus de zèle18.
12Par cette comparaison, le but de Lionardo n'est pas de rabaisser la femme au niveau d'une quelconque marchandise – qui était d'ailleurs, dans l'esprit du marchand, un bien noble – même s'il est vrai que cet exemple trahit l'influence d'une conception selon laquelle la femme était tout d'abord un précieux objet d'échange au service des hommes19. Mais Lionardo prêche surtout ici la prudence, qualité première du bon marchand, dans un choix qui doit être mûrement réfléchi. En outre, son insistance sur l'idée de contrat s'imposait tout naturellement dans une société où la stratégie matrimoniale était l'une des composantes essentielles de la vie politique et sociale de la famille. C'était par le biais du mariage que l'on pouvait sceller des alliances ou effacer d'anciennes inimitiés. C. Klapisch-Zuber fait remarquer que l'importance attribuée à cet événement apparaît clairement à la lecture des Ricordi. Alors que les généalogies ignorent aussi bien les femmes que les parents acquis à la suite d'une union matrimoniale, dans les livres des marchands on faisait une grande place à la description des cérémonies qui rassemblaient des familles apparentées à la suite d'un mariage. L'alliance matrimoniale était un des paramètres qui servaient à mesurer le rang d'une casa et elle établissait toujours une sorte de paix entre des lignées qui pouvaient se trouver en concurrence20. Ainsi, comme Francesco Barbaro dans le De re uxoria ou Matteo Palmieri dans la Vita civile, Alberti s'applique à souligner, par l'intermédiaire de Lionardo, l'importance du parentado21. Il préconise que l'alliance scellée par une union matrimoniale se fasse entre deux familles se situant à un même niveau économique et social ; son souhait était dicté par l'observation des réalités sociales. Lorsqu'il évoque l'éventualité d'avoir à secourir la famille alliée en cas de difficulté, avec tous les problèmes que cela pouvait entraîner, il se fait l'interprète d'une situation bien connue de ses contemporains. Les partenaires d'une nouvelle alliance avaient l'obligation de s'aider dans les affaires et dans la vie publique ou privée, d'où la nécessité d'éviter un rapport de forces trop inégal qui pouvait imposer à une des deux parties des charges trop lourdes ou, dans le meilleur des cas, porter ombrage à l'une des deux familles. Il fallait donc veiller à ce que ce parentado ne soit pas trop supérieur à la lignée de l'époux, mais il fallait aussi éviter une mésalliance qui aurait pu occasionner des conséquences encore plus fâcheuses22. En outre, Lionardo recommande que ces nouveaux parents soient « modesti e civili », bien vus dans la ville, honnêtes et sans ambitions excessives, de manière à ne pas s'exposer à l’inimitié des autres citoyens.
13Un des problèmes les plus délicats qui devait être réglé entre les familles des nouveaux époux était celui de la dot23. Cette partie du contrat destiné à unir les deux époux et leurs familles soulevait en effet de graves questions. Depuis le XIIIe siècle, à Florence, le montant des dots n'avait cessé de monter, ce qui ne favorisait pas la croissance du nombre de mariages. Pour faire face à une telle dépense, on allait fonder, en 1434, le Monte delle doti : cette nouvelle institution financière devait permettre aux Florentins d'épargner et de faire fructifier un capital qui devait constituer, cinq à quinze ans plus tard, la dot de la fille promise en mariage24. Le versement de la dot représentait un véritable problème, surtout lorsqu'il n'était pas honoré. C'est bien cette éventualité qui semble inquiéter Lionardo : un mariage qui débuterait par un engagement non respecté entraînerait la discorde entre les familles du couple nouvellement formé, créerait des tensions insupportables, compromettant ainsi une alliance souhaitable25.
14Jusqu'ici les propos de Lionardo, tout en étant fortement ancrés dans la réalité historique, restaient, d'une manière générale, assez théoriques. Alberti, toujours soucieux de préserver sa pensée de l'abstraction, va tempérer les préceptes énoncés par ce personnage par le biais du dialogue. C'est Battista qui est chargé de formuler l'objection. Comment faire puisqu'on retrouve trop rarement chez une femme toutes ces qualités : une bonne éducation, une nature apte à la procréation, des parents convenables. La réponse de Lionardo est brève et empreinte d'un simple bon sens. Utilisant une citation de Térence, qui a toute la saveur d'un dicton populaire, il répond : « Si tu ne peux pas avoir ce que tu désires, désire ce que tu peux avoir. Épouse celle qui semble avoir moins de défauts que les autres26. Un même bons sens va d'ailleurs lui dicter une position originale pour son temps car il envisage l'adoption, en l'absence d'enfants nés du couple marié27. Dans ce cas il exprime le souhait que l'enfant soit accepté comme un vrai fils par tous les membres de la famille pour qu'il n'ait pas à subir les injustices et les envies des autres parents28. La proposition de Lionardo représente en quelque sorte une tentative de codifier une pratique déjà suivie si l'on songe, par exemple, que les fils nés hors mariage étaient nombreux, et que les pères les reconnaissaient surtout lorsqu'ils étaient de sexe masculin. Cette suggestion permet aussi de mesurer, une fois de plus, le rôle essentiel qui conférait à la femme son importance et donnait au mariage tout son intérêt : la reproduction dans le cadre de la légitimité.
15Sur cette ouverture, en un sens assez novatrice, se clôt l'intervention de Lionardo. Ce n'est qu'au livre suivant que Giannozzo va revenir sur le thème de la femme. Elle est désormais entrée dans la maison et il faut procéder à son éducation.
16Les préceptes de Giannozzo ne suivent pas immédiatement les propos de Lionardo. Par rapport à la structure du texte, ils se situent à la suite du débat, bien plus vaste, sur le bon fonctionnement de l'organisation familiale. Ce personnage a affirmé la suprématie du père à l'intérieur de la maison, il a énuméré toutes les charges, morales et matérielles, qui lui reviennent. Le chef de la maison doit, tout d'abord, modérer ses appétits, ensuite il doit apprendre à utiliser les biens propres à tout homme : son âme, son corps et son temps. Après il veillera sur les membres de sa famille et s'occupera de la bonne marche des affaires. Face à lui, Lionardo, exprime sa crainte de voir ce parfait massaio dans l'incapacité de s'occuper à la fois des problèmes domestiques et des activités extérieures29. La réponse de Giannozzo marque une transition qui lui permet de s'arrêter sur l'éducation de la femme :
Comme il me semblait que ce n'était pas une mince tâche que de s'occuper des questions domestiques, puisqu'il me fallait souvent, à l'extérieur, traiter d'affaires plus importantes avec les autres hommes, je décidai de partager la charge : je me réservai le devoir de fréquenter les hommes, de gagner et d'acquérir à l'extérieur le nécessaire, et laissai le reste, toutes les choses domestiques de moindre importance, au soin de mon épouse30.
17Voilà comment, en quelques lignes, Giannozzo attribue à la femme son rôle dans la famille. Elle n'est plus seulement la mère, mais une compagne fiable qui aide le mari en vue du bon fonctionnement de l’organisation domestique. Il applique ainsi au contexte historique et social contemporain la formulation théorique de Lionardo, issue de la constatation d'un fait de nature mais, surtout, véhiculée par la pensée classique. Sa position marque un progrès, dans la mesure où ce personnage accorde à l'épouse des tâches effectives qui lui confèrent une forme d'autonomie et d'autorité à l'intérieur de l’institution familiale. La femme reste à la maison, mais elle y exerce une importante activité et elle va y être investie d'un véritable pouvoir. Naturellement, cela ne comble pas l'écart entre la supériorité de l'homme et l'infériorité de la femme – déjà perceptible dans la distinction de Giannozzo sur l'évaluation de la portée de leurs devoirs respectifs – mais elle confère à l'épouse une place non négligeable dans un univers qui était sous le contrôle masculin. D'ailleurs, l'accent mis sur l'importance de la femme dans l'économie domestique est souligné par le fait que Giannozzo ne mentionne jamais la maternité. Ceci semble d'autant plus significatif que c'était là l'occupation essentielle de la femme mariée dans les familles bourgeoises : à partir d'environ vingt-cinq ans, elle était enserrée dans une succession presque ininterrompue de grossesses31.
18Néanmoins, malgré cette forme d'"émancipation" que Giannozzo lui accorde, l'épouse ne semble exister qu'à travers son mari, son image se concrétise grâce au filtre du regard masculin, c'est l'action éducatrice de l'homme qui façonne sa personne. Le dialogue restitue cette réalité avec toute la force subtile de la fiction. Il présente en effet une double structure. Le débat proprement dit a lieu entre Giannozzo, l’interlocuteur principal, et Lionardo. Le premier rapporte la conversation qu'il eut avec sa femme au moment où celle-ci entra dans sa maison, et où il dut lui apprendre quels étaient les devoirs qui l'attendaient et comment les accomplir. C'est le mari qui prête une voix à sa femme ; ce n'est que par son intermédiaire qu'elle est autorisée à s'exprimer. Il est vrai qu'à l'origine de ce procédé se trouve, on l'a vu, l'Économique de Xénophon, mais chez Alberti la reprise du schéma du texte grec n'est pas une simple preuve de fidélité au modèle. Cette sorte de "dialogue dans le dialogue" traduit, au niveau littéraire, les relations existantes entre deux époux ayant atteint un parfait équilibre matrimonial, dans le respect de la tradition et des mentalités de l'époque. Il illustre ce rapport de dépendance et de soumission unissant une femme à son mari, et les égards affectueux que celui-ci témoigne à son épouse.
19A travers le récit de Giannozzo, Alberti nous livre l'image d'une "femme-enfant". Avec elle, le mari instaure une relation didactique qui, comme l'éducation des jeunes gens, s'inscrit sous le signe d'une sorte de "pédagogie de la douceur" :
(...) il m'a toujours semblé, mes enfants, qu'il fallait commencer par corriger avec douceur, afin d'éteindre le vice et d'aviver la bienveillance. Et laissez-moi vous enseigner ceci : on châtie bien mieux les femmes avec mesure et humanité qu'avec une quelconque dureté ou sévérité32.
20Ces paroles éclairent bien le fonctionnement de ce processus éducatif, dont le succès est témoigné par l'attitude de la jeune épouse. Confrontée aux enseignements de son mari, celle-ci répond, le plus souvent, non pas par des mots, mais par une sorte de gestuelle dense de signification. Ses réactions silencieuses révèlent ses qualités morales : les rares paroles qui lui sont prêtées sont dépourvues de toute forme de rébellion. Elle approuve ou bien promet d'obéir sans conditions33, rougit pudiquement lorsque son conjoint lui rappelle son devoir de fidélité34, pleure quand elle est prise en flagrant délit de désobéissance35, baisse les yeux honteuse, les relève et sourit pleine de gratitude pour l'indulgence de son époux36. Elle reste silencieuse, laissant à Giannozzo le soin de conclure : « Sois-en sûr, elle se rendit compte que je disais vrai. Elle comprit que je disais cela dans son intérêt, elle sentit que j'étais plus sage qu'elle ; aussi me témoigna-t-elle toujours une grande affection et beaucoup de respect »37.
21Ainsi, le dialogue reflète les qualités féminines les plus appréciées : la pudeur, la soumission, la modestie ; à celles-ci viennent s'en ajouter d'autres, comme la fidélité et l'honnêteté38. Cela n'est pas surprenant puisque la chasteté de l'épouse représentait, pour le mari, la garantie de la légitimité de ses héritiers et préservait la renommée de la famille. Même si la doctrine de l'Église préconisait que le mariage fût l'unique cadre à l'intérieur duquel les deux conjoints devaient exercer une sexualité légitime, les coutumes laïques accordaient une bien plus grande liberté aux hommes alors que le corps de la femme devait être réservé uniquement à la fécondation par l'époux39.
22Un des corollaires de l'importance de la fidélité féminine est la condamnation du maquillage. Giannozzo ne manque pas d'exemples et d'arguments convaincants pour détourner sa femme de l'envie de céder à cette tentation. Ce thème n'était pas nouveau. On le trouvait déjà dans le texte de Xénophon, il revenait sous la plume des lettrés et, surtout, dans la bouche des prédicateurs40. Chez Alberti, cependant, la désapprobation exprimée à l'égard de la femme qui a recours aux artifices esthétiques a perdu toute connotation religieuse. Le maquillage est condamné, non pas parce qu'il préfigure une forme de tentation satanique qui incite à une sexualité désordonnée et envahissante dont la femme serait le symbole, mais parce qu'il représente une démarche futile et malhonnête qui entraîne l'épouse en dehors de cet espace gardé, la maison41.
23Enfin le silence soumis de l'épouse sera agrémenté par sa gaieté. Son sourire est une composante de sa beauté, cela la rendra plus séduisante aux yeux de son mari qui lui saura gré de ne pas l'accabler par ses remontrances ou sa mauvaise humeur. D'ailleurs, Giannozzo ne reconnaît pas à la femme le droit de se plaindre. Protégée de tout souci par les murs domestiques où s'écoulent ses journées, elle n'est pas confrontée aux difficultés du monde extérieur, elle n'a donc aucune raison de ne pas se montrer joyeuse ; au contraire, sa tristesse pourrait être interprétée comme une manifestation de culpabilité42. Son enjouement ne doit évidemment pas se manifester au détriment de sa dignité, elle ne devra jamais se laisser aller à des sentiments et à des attitudes excessives et inconsidérées qui pourraient compromettre son image. En tant que membre de la famille, son comportement a une incidence sur le prestige social de la casa tout entière ; il est donc de son devoir de ne jamais s'exposer aux commérages par son manque de respect des règles de bienséance43.
24Les principales vertus de l'épouse sont donc son honnêteté, sa fidélité, sa soumission silencieuse et gaie, son comportement digne44. Notre humaniste ne se montre pas particulièrement novateur à cet égard. Depuis le XIIe siècle, la littérature didactique et pastorale adressée aux femmes s'appliquait à célébrer ces vertus afin d'établir un modèle de vie adapté aux exigences d'une société qui devenait plus complexe45. Il faut néanmoins souligner qu’Alberti souhaite voir certaines de ces qualités également présentes chez les hommes. Dans ses textes, il loue inlassablement la modestie, l'amabilité souriante, l'honnêteté, en somme toutes les vertus qui, chez les hommes comme chez les femmes, garantissent la paix. Bien sûr, les domaines dans lesquels œuvrent les deux sexes ne sont pas les mêmes et, par conséquent, la portée de leurs actions non plus. Il reste que, au niveau moral, Alberti reconnaît aux hommes et aux femmes des obligations fort proches.
25Par ailleurs dans l'administration de la famille, la femme est, comme dans le texte de Xénophon, associée aux intérêts de la maison. Avant de lui désigner ses tâches, Giannozzo rappelle à sa compagne que tous les biens qu'ils partagent, et qui doivent être protégés et accrus, leurs appartiennent à part égale :
Ces biens, cette famille et les enfants qui naîtront nous appartiennent, ils sont à toi autant qu'à moi et à moi autant qu'à toi. Aussi ne devons-nous pas penser à ce que chacun de nous a apporté, mais à la façon dont nous pouvons bien conserver ce qui nous appartient à tous deux. De l'extérieur, j’apporterai ce dont tu as besoin dans la maison ; toi, veille à ce que rien ne soit mal utilisé46.
26L'égalité de la possession, des droits et des devoirs entre les deux époux s'affirme ici, non pas de manière absolue, mais en vertu du bon fonctionnement de l'institution familiale. Elle découle de la formulation théorique et traditionnelle de Lionardo qui avait délimité l'espace féminin à l'intérieur des murs de la maison. Giannozzo avait d'ailleurs vivement adhéré à ces propos, prononçant à cette occasion une cinglante critique contre les hommes oisifs qui, au lieu de remplir leur rôle en société, s'occupent de ces « infime masseriziuole », « disgruzzolando », fouillant tous les coins de la maison, intéressés à ces tâches domestiques négligeables, ordinairement réservées aux femmes47 C'était là une manière de souligner l'importance de la division du travail garantissant un domaine réservé à la femme. L'esprit de collaboration des deux conjoints doit régir leurs activités respectives ; il sert aussi de limite à l'ingérence de la femme dans les agissements du mari. Afin d'instruire son épouse, Giannozzo s'était servi d'une métaphore qui, tout en éclairant le problème, rattachait la famille à la cité, aux citoyens qui œuvrent pour sa défense. Par ce biais, s'il rappelle les raisons de la liberté laissée à l'épouse, des restrictions apparaissent dès que le bien commun n'est plus l'objectif poursuivi'48. Ainsi l'égalité entre les deux époux n'est envisageable qu'en vertu de leur complémentarité : le droit de l'épouse à intervenir dans le comportement du mari s'applique relativement à sa fonction de collaboratrice du chef de la famille. Néanmoins, ce rôle critique qu'on lui accorde corrige quelque peu la vision paternaliste de la "femme-enfant" évoquée plus haut.
27Par ailleurs, comme le rappelle Giannozzo, les tâches réservées à l'épouse consistaient, tout d'abord, à veiller à ce qu'un ordre irréprochable règne dans la maison, afin de garantir la bonne conservation des biens familiaux, objets ou denrées alimentaires. C'est pourquoi il souhaite que la femme garde sur elle toutes les clefs de la demeure ; au-delà de son aspect pratique, cet usage représente, symboliquement, le vaste pouvoir qu'elle peut exercer dans le cadre de l'espace domestique où elle est aussi chargée de la surveillance de la domesticité faisant régner la paix et la discipline à l'intérieur de la maison. Pour ce faire, Giannozzo lui recommande, suivant l'exemple qu'il offre lui-même, de faire preuve de fermeté et de compréhension, de corriger sans punir trop sévèrement afin d'être crainte mais aussi aimée et respectée'49 Enfin, sous ses ordres, la maisonnée va vivre à l'enseigne d'une paisible activité sur laquelle veille une bonne mère de famille tout en évitant d'accomplir des tâches matérielles humiliantes qui doivent être assignées aux domestiques50.
28Les fonctions réservées à l'épouse s'avèrent, d'une manière générale, conformes à la situation et aux activités de la femme mariée issue des familles aisées de l'époque. L'étude de la correspondance de Lucrezia Tornabuoni de Médicis est un exemple assez représentatif. Femme de Pierre de Médicis et mère de Laurent le Magnifique, elle eut un rôle important au sein de cette prestigieuse lignée. D'après ses lettres nous savons qu'elle exerçait consciencieusement son devoir de mère de famille et, comme l'épouse de Giannozzo, elle se montrait minutieusement attentive à la conservation des biens familiaux et se chargeait de la direction des domestiques en leur déléguant les tâches matérielles. Par ailleurs, elle était écartée, du moins officiellement, de la gestion des affaires51. Alberti impose à l'épouse des limites tout aussi traditionnelles. L'interdit absolu et irrévocable touchait l'accès aux livres secrets de la famille52. Il s'agissait d'un impératif dicté par la stratégie familiale d'une société patrilinéaire où seuls les hommes détenaient la réalité du pouvoir. En ce sens, les Ricordi tenus par le pater familias et qui contenaient toutes sortes d'informations, anodines ou pleines de graves implications, devaient être soigneusement occultés et protégés du regard de la femme, qui restait toujours, en quelque sorte, un membre étranger à la famille comme en témoigne le fait que, restée veuve, la femme pouvait retourner dans la maison de son père en laissant cependant ses enfants. On se gardait bien d'ailleurs de mettre entre les mains des femmes d'autres textes que des livres de dévotion ; ainsi, à Florence au Quattrocento, la lecture la plus répandue et considérée comme licite pour une fille, était le libricino di donna ou di Nostra Donna qu'elle apportait souvent dans son trousseau53. L'évolution de l'instruction féminine suivait celle des classes dirigeantes. Puisqu'au XVe siècle, à Florence, l'élite dominante était avant tout soucieuse de consolider les structures de l'État en maintenant la paix, les femmes représentaient d'abord des éléments utilisés dans la politique des alliances. Dans cette perspective leur accès à la culture était considéré comme inutile, voire dangereux. M. Lenzi retrouve là une des raisons de la baisse de la "scolarité" féminine par rapport au siècle précédent, dont avait témoigné Villani54.
29Une autre limite infranchissable était représentée par les activités sociales du mari ou, plus généralement des hommes. Non seulement l'accès au monde extérieur à la maison était une prérogative masculine, mais même la possibilité d'ouvrir cet univers à la femme à travers la parole de l'époux est considérée par Giannozzo comme une véritable folie. Pour conférer à ses dires une plus grande autorité, ce personnage fait appel à la mémoire et à la sagesse des ancêtres, plus particulièrement à Cipriano Alberti dont l'autorité légitime la violente invective qu'il prononce peu après contre les hommes qui cèdent à la tentation de se confier à leurs femmes :
Et ils me déplaisent fort, ces maris qui se concertent avec leur épouse et qui ne savent garder aucun secret dans leur cœur : ils sont fous de penser qu'il puisse y avoir dans l'esprit d'une femme une quelconque véritable prudence ou un avis sensé ; ils sont assurément fous s'ils croient qu'une épouse peut rester plus ferme et plus silencieuse au sujet des affaires de son mari que son mari lui-même. O sots maris qui, en jasant avec une femme, ne vous souvenez pas que les femmes peuvent tout, sauf se taire !55.
30Le blâme formulé contre les hommes qui s'abandonnent à échanger des confidences avec leurs femmes est tel que Giannozzo assimile cette faiblesse à la folie. Mais la déraison des maris qui font confiance à leurs épouses réside avant tout dans une erreur de jugement car ils se révèlent incapables d'évaluer les capacités intellectuelles et morales des femmes dont la portée est censée être extrêmement limitée. Le sentiment misogyne, que l'auteur se réserve d'expliciter dans d'autres textes, loin de la perspective du De familia, affleure rapidement dans les mots de ce personnage, mais néanmoins de manière très perceptible. Le choix linguistique en est une preuve supplémentaire : Giannozzo emploie en effet le terme « femmina » au lieu de donna ou moglie56 Dans le De iciarchia, Battista se montrera encore plus sévère à l'égard de cette incapacité de la femme de garder un secret :
C'est un ancien précepte que la femme qui voudra être appréciée hors de chez elle doit être sourde, muette et aveugle, ne voir rien d'autre que là où elle pose les pieds, et de même, dans la maison, surtout à table, elle doit être toujours muette. Pourquoi cela ? Parce que les femmes, par nature, sont inconsidérées, et il est rare que leurs paroles ne soient pas répréhensibles. Tout ce qu'elles entendent, elles l'interprètent à leur façon, elles veulent tout corriger, elles font de ce qu'elles voient les récits les plus frivoles, et disent de telles sottises qu'elles s'en rendent ridicules, et s'obstinent dans leurs dires avec une présomption et une arrogance qui mériteraient une correction57.
31On mesure toute la sévérité de ce jugement lorsqu'on songe à l'importance que Y iciarca attribue à la parole. Battista utilise ensuite cette critique comme contre-exemple destiné à illustrer la bonne façon de se comporter en public. En ce qui concerne le De familia, ce qu'il est important de souligner, ce n'est pas tellement la présence de manifestations misogynes, par ailleurs soigneusement bannies tout au long du discours concernant l'épouse, mais plutôt le rôle nettement subordonné qui lui était réservé.
32Qualités, rôles, espaces, libertés, interdits traditionnels : l'épouse albertienne représente bien son temps. Aucune controverse n'est soulevée à son sujet ; le dialogue ne présente pas à ce propos, une pluralité de points de vue. Il y a un seul discours : la première partie en est confiée à Lionardo, la deuxième à Giannozzo et leurs deux positions sont complémentaires. Pourtant cette femme a son originalité : elle est active, concrète, laïque. C'est la femme du monde marchand que l'on avait pu déjà percevoir dans les Ricordi de Paolo da Certaldo ou encore de Morelli et qu’Alberti conduit à son accomplissement. Élément constituant de l'institution familiale, cette épouse n'est pas vouée uniquement à l'activité reproductrice ; elle assume une importante fonction de gestionnaire de l'économie domestique. Elle ne passe pas ses journées un missel à la main ou à filer la laine, elle règne sur l'ordonnancement de la maison. Elle dépasse enfin l'image traditionnelle d'une féminité empreinte de satanisme ou d'angélisme qui avait été véhiculée par les textes religieux ou littéraires. Bien sûr, les qualités dont on lui demande de faire preuve sont strictement circonscrites par l'univers familial dans lequel elle se meut, et elle ne possède certes pas les vertus que Castiglione voudra voir briller dans la « donna di palazzo ». L'exemplarité même de l'épouse albertienne trouve son origine dans son rôle à l'intérieur d'une famille comprise comme institution socialement constructive et strictement codifiée. Une fois sortie de cet espace privilégié, ou si ce même espace sombre dans la dégénération, la femme elle-même devient un des éléments du chaos.
II. Femme et passion
« Convience pur seguir tuo imperio e legge, spiatato Amore ? Ah, quanto è felice chi in dolce libertà sua vita regge58 ».
33Lorsqu'on quitte la perspective familiale, l'image féminine est complètement renversée. La femme épouse, la mère, a un visage, elle est identifiable par son appartenance sociale à un groupe, celui du père, puis celui du mari. Elle s'inscrit à l'intérieur d'une hiérarchie de valeurs positives, établie par les hommes certes, mais qui la fait exister de manière concrète. Si l'on sort de ce cadre socialement bien délimité les pistes se brouillent. Le lecteur d'Alberti se retrouve face à des personnages anonymes qui se définissent en fonction des sentiments et des bouleversements qu'ils provoquent. Prend alors corps l'image d'une femme excitant une passion ravageuse, unique et multiple, aux traits flous, qui ne se laisse délimiter ni par la volonté de l'homme ni par la plume du lettré. Elle est représentée comme une véritable menace quelque peu fantomatique, qui plane au dessus de la quies masculine.
34Le sentiment ouvertement misogyne qu’Alberti manifeste abondamment, surtout dans les œuvres latines, était chose courante pour l'époque. Au XVe siècle la misogynie avait déjà des origines très anciennes. La répulsion de l'Église pour la sexualité a sans doute poussé à ses extrêmes limites l'aversion et la méfiance envers le sexe féminin, considéré comme l'incarnation et l'instrument du Malin59 ; le travestissement du Diable en jeune fille était d'ailleurs devenu un topos courant dans l'iconographie médiévale. Les attaques contre les femmes étaient soutenues par l'ensemble de la culture officielle : philosophique, juridique, théologique, médicale. Elles s'appuyaient sur l'autorité d'Aristote, de Galien, des écritures, des pères de l'Église, de saint Thomas60. C. Klapisch-Zuber rappelle en outre que la traditionnelle aversion pour la femme, propre à la société médiévale, avait été aggravée, à l'aube de la Renaissance, par la difficulté de combiner système dotal et patrilatérité61.
35Or, comme nous l'évoquions au début de ce chapitre, chez Alberti la misogynie est entièrement dépourvue de connotation religieuse62. Après Pétrarque63 et Boccace – dont le Corbaccio est peut-être le pamphlet le plus complet et le plus représentatif des vices attribués au sexe féminin64 – Alberti rejette la femme et la passion amoureuse avant tout parce qu'elles sont antinomiques de l'ascèse littéraire. Cette conception, qui estimait incompatible la présence d'une femme aux côtés d'un lettré, connaîtra une grande fortune au XVe siècle et, selon D. Frigo, elle trouvera son ultime aboutissement dans le An uxor sit ducenda de Della Casa65. Non seulement on considérait la présence féminine néfaste pour l'étude, mais on refusait catégoriquement aux femmes l'entrée dans l'univers culturel des hommes, même dans les rares cas où leur savoir aurait pu le justifier66.
36Pour en revenir à Alberti, la traduction qu'il fit, très probablement entre 1436 et 1437, de la Dissuasio Valerii de Walter Map constitue une preuve significative de l'aspect laïque de sa misogynie. Bonucci avait attribué ce texte à Alberti lui-même. C. Grayson, après en avoir démontré la véritable paternité, a comparé les deux versions. Il a ainsi relevé que dans la traduction albertienne, tous les éléments de la tradition ascétique médiévale avaient été écartés, rendant la version traduite plus conforme à la pensée de notre auteur et à l'esprit de son époque67.
37Chez Alberti, la femme est donc avant tout condamnée en tant qu'élément pertubateur de la paix de l'esprit nécessaire au lettré. Cette condamnation se construit autour de deux axiomes : la femme est à l'origine d'une troublante passion qui s'identifie aussi au plaisir de la chair, source de débauche et de dépravation spirituelle ; elle abrite d'innombrables défauts qui rendent insupportables la vie de l'homme à ses côtés.
38Dans le De commodis litterarum atque iticommodis les plaisirs amoureux sont catégoriquement exclus de la vie du lettré :
Quis enim amore occupatus poterit circa litteras mente integra et firma inherere ? Quis animo ad disciplinam impenso, ad preceptiones intento, ad communiendam memoriam solerti? Quis, inquam, furoribus amoris captus aut voluntate, aut ingenio, aut opéra satis constanti et firma esse ad bonas illas artes valebit ? An ignoramus quid soleat amor?68.
39Le soin apporté à la construction rhétorique de ce passage – axée sur l'anaphore et l'interrogatio, qui chargent émotivement l'affirmation implicite – rend compte de l'importance du sujet aux yeux d'Alberti. La force dévastatrice de la passion amoureuse agit de manière néfaste sur l'esprit humain ; son corollaire, le désir érotique, détruit par la débauche la santé du corps. C'est pourquoi, à la page suivante, l'auteur met la condamnation de l'amour sur un même plan que l'excès de vin et de nourriture69. Péché de luxure et péché de gourmandise ; dans la tradition religieuse, ces deux fautes éloignaient l'homme de Dieu. Pour Alberti, elles détournent l'individu de son devoir moral mais, à ses yeux, celui-ci consiste avant tout à élever son esprit par l'étude et par l'exercice de ses capacités intellectuelles''70 Dans son Amator, le pouvoir ravageur de l'amour est comparé à celui de la colère. Leurs flammes dévorent l'esprit mais, alors que le feu de la colère s'éteint rapidement, celui de l'amour peut brûler pendant des jours, des années entières. L'intellect s'en trouve paralysé, les amoureux perdent toute force de volonté :
Volunt amantes, nolunt, cupiunt, refugiunt, atque dum gaudent, cum et una dolent; quae habeant, quae agant, quaeve expectent, omnia ad miseriam accumulandam faciunt, aguntur suspicionibus, suam omnes, quae vel casu detur vel temporibus, in partent ullam sponte subeant sortent71.
40Hésitations, souffrances, perte de toute capacité critique, le sentiment amoureux est décrit comme une sorte d'infirmité. Dans Deifira, Pallimacro, victime d'un amour malheureux, incarne précisément cette conception qui, dans Amator, restait simplement théorique. À son ami Filarco, qui cherche à le guérir de sa passion, ce misérable amant avoue toute sa faiblesse : « J’aime, Filarco. Je brûle, Filarco. J'endure les affres de l'amour72 ». En vain Filarco, par ses conseils empreints de sagesse stoïcienne, essaie-t-il de ramener son ami à la raison. En vain fait-il appel à son orgueil, lui rappelant qu'il a perdu son bien le plus précieux, sa liberté ; en vain s’acharne-t-il à décrire les femmes comme des créatures inconstantes, futiles et fières. Pallimacro s'avoue incapable de réagir à la maladie de son âme. R. Rinaldi observe que ce personnage représente justement l'image du mélancolique, victime de cette folie amoureuse que la médecine antique appelait amor hereos ou heroycus. Ces termes indiquaient à la fois la passion érotique et le pouvoir tyrannique que cette passion, ou le fantôme de la femme aimée, exerçaient sur l'amant malheureux. Pallimacro est victime d'une des principales causes de la maladie mélancolique telle qu'elle était décrite depuis l'Antiquité : l'emprise de l'amour non partagé, l'autodestruction de l'amoureux provoquée par l'image de la femme aimée qui pénètre à travers les yeux. C'était là la conception traditionnelle de la phénoménologie de l'amour qui, théorisée par Aristote et par les stoïciens, parviendra au Moyen Age et jusqu'à Marsile Ficin73.
41La passion et la femme qui la fait naître sont toujours, chez Alberti, inscrites sous le signe de la négativité : non partagé, l'amour ne peut engendrer que souffrance et confusion ; et, dans tous les cas, il est ressenti comme une véritable maladie qui atteint gravement l'esprit. C'est pourquoi notre auteur multiplie dans ses textes les attaques contre le sexe féminin. Il se montre parfois ironique, parfois trop acide pour paraître neutre, pour ne pas trahir une attitude de défense face à une sorte de sentiment d'agression. Par ses dénigrements misogynes, Alberti semble vouloir échapper à l'emprise d'une force chaotique que l'on ne peut dominer et dont il cherche à exorciser le pouvoir par un mépris total : ce n'est que dans cette perspective que l'on peut considérer ces attaques comme l'expression d'une conviction rationnelle et sereinement réfléchie. Le lecteur sourit amusé en lisant le châtiment que Momus suggère à Zeus afin de punir les hommes de leur malhonnêteté et de leur effronterie : doublons le nombre de « mulierculae », source de folie, ruine et désastre, souffle dans l'oreille du dieu le perfide conseiller74. Ce même lecteur est néanmoins surpris en remarquant la violence avec laquelle le vieux et sage iciarca condamne la femme et la passion qu'elle peut exciter. Même à notre pire ennemi, on ne doit pas souhaiter d'être victime des affres de l'amour, dont est responsable la femme, « una vile bestiola piena di voglie, sdegno e stizza75 », une misérable bestiole pleine d'envies, de dédain et de hargne. Dans l'intercenale Maritus, un homme âgé et fort savant, raconte l'histoire d'un mari trompé par sa femme. Ayant surpris son épouse entre les bras de son amant, le mari eut une réaction des plus prudentes et réfléchies ; affichant un sentiment d'indifférence et pardonnant au compagnon de son épouse il échappa au ridicule. Il n'excita pas l'inimitié du jeune homme et se vengea cruellement et silencieusement de sa femme. Après avoir vanté la sagesse de ce mari, le narrateur, comme l'iciarca, définit la femme comme un « leve animal et ad voluptates prona », une petite bête volage, encline au plaisir76. Alberti fait également prononcer des mots pleins de mépris au vénérable Agnolo Pandolfini. Les paroles que celui-ci adresse au jeune Battista, sont aussi dirigées contre l'auteur lui-même ; ce procédé est fort habilement masquée par la fiction du dialogue :
Avant tout autre avertissement, je ne veux pas omettre celui-ci : je te le dis, Battista, fuis tout commerce avec les femmes, fuis leurs intrigues et leurs minauderies. Comme on le lit chez Homère, le très sage Agamemnon affirme que, parmi les mortels, il n'existe pas un seul animal plus scélérat que la femme. Toutes les femmes sont folles, sont source de tracasseries et tu ne recevras jamais rien d'autre d'elles que chagrin, embarras et ressentiment. Elles sont capricieuses, arrogantes, inconstantes, suspicieuses, obstinées, simulatrices et cruelles77.
42Habile jeu de miroirs entre les personnages, l'auteur et le lecteur, où l'on voit les destinataires se multiplier sans oublier la restriction de Pandolfini « dico a te, Battista ». Cette apostrophe appuyée, prononcée à l'intention de ce personnage autobiographique, renvoie le lecteur à Alberti lui-même, à l'homme et à son expérience de vie au-delà de l'auteur.
43Les exemples d'acerbes accusations portées contre la femme sont innombrables dans les œuvres albertiennes. L'expression la plus extrême de cette misogynie est peut-être contenue dans le De Amore adressé à Paolo Codagnello, écrit probablement en janvier 143778, dans l'intention de détourner le destinataire de ses désastreuses peines de coeur. À côté de l'énumération méprisante de tous les défauts possibles de la femme, on trouve la repoussante description de la laideur et de la saleté de son corps : elle a les yeux chassieux, les dents jaunes, les ongles sales, le visage couvert de taches de rousseur79. Bien que l'exagération de la négativité de ce portrait soit une nécessité dictée par les impératifs du genre et conforme à la tradition misogyne littéraire, il faut cependant souligner que le tableau qu’Alberti nous offre ici est parmi les plus noirs de toute sa production. La femme du De Amore est le parfait contre-exemple de la bonne épouse de Giannozzo. Le rejet de la présence féminine que notre humaniste avait nécessairement passé sous silence dans le cadre de l'organisation familiale éclate ici avec l'autorité d'un discours dogmatique : le ton est tellement exacerbé qu'il tombe par moment dans la caricature.
44Chez la femme tout est artifice, tout est fiction. Elle arbore une image publique flatteuse, aussitôt contredite par son comportement dans la maison où, protégée des regards extérieurs, elle s'abandonne à son naturel paresseux et agressif. La voilà, ébouriffée et négligée, assise en train de bailler, de se gratter la tête, de fourrer ses jolis doigts dans son nez. Elle déploie toute son énergie à crier des ordres à tort et à travers, à s'en prendre sans raison à toute la domesticité, attirant sur elle, par ses hurlements, l'attention de tout le voisinage. Lorsqu'enfin elle décide de se lever, elle laisse sur son passage un effroyable désordre et s'en va dans sa chambre, traînant derrière elle ce qui, dans un autre contexte, avait symboliquement représenté la fierté et l'autorité de l'épouse : sa trousse à couture et les clefs de la maison80. Quelques lignes plus loin, Alberti dénonce la corruption féminine qui détourne futilement à son profit tout le patrimoine matériel et moral qu'une famille et ses membres se doivent de garder jalousement :
La femme n'utilise la réputation et le nom de ses ancêtres qu'en se montrant excessivement orgueilleuse, hautaine, insolente, querelleuse, sauvage, et en tout point insupportable. La femme n'utilise ses charmes admirés que pour être d'autant plus dévergondée et éhontée qu'elle est plus belle que les autres. Elle n'utilise les nombreux amis et connaissances de la famille que pour imposer à tous sa loi, apporter tracas et désagréments ; elle n'utilise la fortune et les richesses que pour les gaspiller et les dissiper81.
45La perversité féminine renverse les valeurs familiales les plus importantes. Tout est bafoué par sa frivolité : le lignage, le don de la beauté, le réseau d'amitiés, les biens matériels. Une telle aversion ne pouvait se manifester, dans toute son ampleur, que dans des textes destinés à une lecture privée. Alberti semble conscient de la gravité de ses attaques puisqu'à la fin de son épître, il prie son ami de brûler ses lettres après les avoir lues et en avoir tiré le bénéfice voulu. Il redoute l'éventualité de les voir circuler entre les mains de personnes qui pourraient se méprendre et le juger « maledico e detrattore », médisant et calomniateur, alors qu'il s'est toujours attaché à défendre l'honneur et la réputation de chaque femme82. On verra comment cette éventualité trouvera effectivement un écho dans le petit dialogue Sofrona.
46La production latine d'Alberti offre d'autres exemples de mauvaises épouses. Dans Defunctus, Neophronus raconte à Polytropus la trahison dont il fut victime. Il avoue que son attachement pour sa femme était total et il s'en était cru récompensé par le zèle dont celle-ci fit preuve au moment de la maladie qui devait le conduire à la mort. Le trépassé décrit alors la fébrile activité déployée par son épouse pour tenter de le guérir, son chagrin et ses gémissements. Mais le ton de Neophronus change : tout d'abord empreint de naïveté, il se charge progressivement d'ironie pour raconter que la mort arriva enfin pour l'empêcher d'entendre les cris de douleur de sa compagne, dont l'un, particulièrement aigu, avait à la fois accéléré et rendu plus douloureux son passage dans l'au-delà : « Coegit ergo me uxor mea suo miserando ejulatu crudius in mortem erumpere quam fecissem83 ». Ce changement de registre introduit le dénouement de l'histoire, le moment où, après sa mort, Neophronus entreprend un voyage sur terre et surprend sa femme dans les bras d'un de ses employés, le jour même de ses funérailles. Ici la misogynie ne se limite pas à de simples affirmations, mais elle est "représentée". Cependant, dans Defunctus, non seulement le mariage, mais toutes les valeurs les plus sacrées sont bafouées sous les yeux du malheureux protagoniste à qui la mort a apporté le détachement nécessaire pour mesurer sa désillusion. La trahison de sa femme n'est qu'un volet d'une plus vaste déception qui met en cause ses fils, ses parents, ses amis. Cette description d'un monde confus et pervers va servir à Polytropus pour rappeler les véritables biens que l'homme doit rechercher : la vertu et le savoir84.
47Dans l'impossibilité d'anéantir cette force incoercible et bouleversante qu'est l'amour, Alberti s'efforce de l'exorciser par le rejet et le mépris de la femme et de la passion qu'elle suscite. La présence féminine est néanmoins incontournable, elle s'impose naturellement et inexorablement, aussi bien à l'intérieur du mariage que hors de tout contexte relatif, là où hommes et femmes sont les deux centres absolus de la bipolarité humaine. C'est pourquoi l'auteur s'applique à circonscrire ou à codifier cette relation. Dans le cadre positif de l'institution familiale, il intègre la figure de l'épouse en bannissant le sentiment amoureux : on se souvient que le lien unissant les deux époux doit reposer sur l'amitié. Lionardo exclut l'amour-passion, fait de désir et de démence, au profit d'un sentiment sain et serein85. Cette distinction était déjà présente dans Amator où, à côté de la comparaison entre l'amour et la colère, l'auteur qualifiait de positif un sentiment issu de la benivolentia, de la bienveillance, et non d'une impulsion non maîtrisée. L'iciarca affimera à nouveau cet impératif :
Je ne vois pas comment on peut aimer ainsi, non seulement les autres femmes mais sa propre épouse, sans qu'il y ait là une grande part de folie et de délire86.
48Pour Alberti, le premier pas vers l'acquisition de la vertu consiste dans la modération de tous nos appétits, de toutes nos passions. En ce sens la condamnation de l'amour et l'éloge de l'amitié rejoignent un projet éthique bien plus vaste. Indispensable au lettré, l'exclusion de la passion amoureuse est souhaitable pour tous les hommes afin de préserver l'ordre social. Même dans un écrit totalement coupé d'un quelconque contexte historique comme Deifira affleure un refus de la passion qui se rapproche d'une sorte d'idéologie marchande fort présente dans le De familia. Au nom d'un souci de liberté tout rationnel, Filarco déplore le gaspillage des énergies inutilement dépensées en amour :
En vérité, qu'est-ce que cette femme pourrait jamais t'apporter qui soit digne de tes vertus ? Ni l'honneur, ni la richesse, ni la renommée, ni aucune marque de distinction ou de prestige, car tu pourrais acquérir tout cela avec beaucoup moins de peine si tu employais à cette fin autant de ton temps et de ton entendement. On peut considérer que le temps et la peine dépensés en vain ont été jetés87.
49Ainsi, à l'idéalisme pétrarquisant de Pallimacro, Filarco oppose un principe pragmatique qui, à partir de l'énumération des défauts féminins et des dégâts causés par la passion amoureuse, aboutit aux conseils pour fuir cet esclavage : l'évasion, la séparation et même la multiplicité des amours. Les représentants de l'Église prêchaient le renoncement au plaisir amoureux ; ils s'efforçaient de le finaliser uniquement à la procréation et de le circonscrire dans le cadre du mariage, considérant comme blâmable même un désir excessif entre des époux légitimes. Or, chez Alberti, il n'y a aucune notion de péché : il y a seulement une opposition entre les envies de la chair et les exigences de l'esprit. D'ailleurs, une telle antinomie n'était pas chose nouvelle, elle existait déjà dans la culture gréco-romaine et elle s'était maintenue à travers des traditions convergentes, stoïcienne, pythagoricienne et néo-platonicienne88.
50Alberti ne prône pas la chasteté, vertu primordiale pour les pères de l'Église et pour les moralistes chrétiens, mais il exclut l'amour-passion dans la perspective d'une vie saine et vouée à l'étude. Dans le Profugiorum ab aerumna, Agnolo Pandolfini analyse longuement les causes de la douleur humaine. Avant d'affirmer que le courage et l'indifférence sont les manières les plus nobles de faire face à la souffrance, il rappelle les remèdes proposés par les auteurs grecs et latins. Il cite alors le sommeil, le vin, les jeux de l'amour. Le vieux sage n'approuve pas entièrement le recours à de telles distractions, il les accepte tout de même en vue d'un soulagement de l'esprit, superficiel mais efficace. L'amour peut être ainsi intégré dans la vie, mais réduit à une sorte d’instrument dont on maîtrise l'utilisation89. En revanche, lorsque ce sentiment échappe au contrôle de la raison, il faut le considérer comme une sorte de faiblesse juvénile, une erreur acceptable uniquement chez les jeunes gens. Dans Deifira, Filarco compare ce sentiment à une maladie difficile à éviter, qu'il faut subir pour ensuite pouvoir en être immunisé90. L'iciarca rappelera à nouveau que ces « cure amatorie », ces tourments amoureux, sont le propre de la jeunesse. Il ne faut cependant pas laisser les jeunes s'y complaire ; il est nécessaire de les en détourner le plus rapidement possible91.
51La passion de jeunesse fait, parfois, l'objet de certains textes poétiques albertiens tels que les Rime, composées probablement entre 1428 et 1441. G. Gorni a rappelé l'injuste oubli qui a frappé cette partie de la production d'Alberti alors qu'elle représente une illustre tentative de renouvellement de l'expression poétique92. Le thème général est celui, traditionnel, de l'amour non partagé, de l'amant qui souffre du dédain et de la cruauté de la femme aimée. La poésie albertienne ne célèbre pas l'amour comme symbole d'une expérience intellectuelle et comme chemin privilégié vers l'élévation de l'esprit. La femme-ange, idéalisée, qui avait nourri la poésie lyrique en langue vulgaire et qui parvient, bien que fortement modifiée, jusqu'à Pétrarque, a complètement disparu des Rime93. Dans ces compositions, l'amour est souffrance, privation, désespoir causés par le mépris féminin. L'amant enchaîné à son sentiment est toujours frustré par l'indifférence que son aimée lui manifeste :
Toi pourtant tu ris de mes pleurs et de mes cris, et il te plaît de persister dans ta dureté, pour embraser davantage encore le feu qui s'abrite au fond de mon coeur94,
52s'écrie l'amant de l'« ingrata » Mirzia. Pourtant, dans ces écrits, si l'auteur dénonce tragiquement l'orgueil et la dureté de l'objet de son désir, il s'applique parfois à chanter sa beauté, son charme, qui jadis le fascinèrent et qui à présent le font souffrir. Aucune insulte, aucune description de la laideur féminine95, aucune allusion violente à la faiblesse de son esprit ; Alberti se sert d'un langage traditionnel pour vanter la beauté du visage de la femme aimée96, la grâce de son sourire97. Le thème fondamental reste celui de l'amour ennemi de la ratio, qui ôte à l'homme sa dignité. Mais cette passion douloureusement subie ne débouche pas, dans les Rime, sur une satire misogyne ; elle assume seulement, parfois, le ton d'une ironie tempérée comme dans le sonnet Chi vol bella Victoria e star sicuro, une souriante apologie d'Amour98.
53Au-delà de leur valeur novatrice dans le domaine de l'expression poétique, ces compositions proposent une image de la femme et de l'amour presque en rupture avec le reste de l'œuvre de notre humaniste. Probablement dictés par une douleureuse expérience qu'il avait gravée dans sa chair, ces vers semblent animés par une sorte de dialectique qui oscille entre l'attraction et la répulsion. Cette contradiction s'étend à d'autres textes en prose dont la signification apparaît problématique.
III. Entre les deux extrêmes...
54Certains ouvrages d'Alberti, dont le sujet principal est la relation qui unit l'homme à la femme, semblent échapper aux deux perspectives analysées jusqu'ici : celle, fortement ancrée dans le réel, de la bonne épouse et celle, plus conceptualisée, de la femme incarnation de la passion amoureuse, contre laquelle notre auteur lance ses accusations misogynes. Ces deux points de vue témoignent respectivement d'une tentavive d'intégration, filtrée par les normes sociales, et d'une tentative d'exclusion, en opposition ouverte avec la précédente. À nos yeux, l'intercenale Uxoria révèle de manière énigmatique le conflit que deux positions aussi extrêmes ne pouvaient manquer de provoquer.
55La version en langue vulgaire de ce texte est adressée à Pierre de Médicis99. Cependant, la dédicace ne paraît pas particulièrement éclairante pour l'interprétation de cette sorte de parabole de nature satirique. On ne sait d'ailleurs pas avec certitude à quel moment Alberti a inséré ce proœmium. Peut-être autour del438, le destinataire étant donc encore très jeune, âgé d’environ vingt-deux ans. Cela pourrait expliquer le ton intime du proœmium où l'auteur s'adresse à Pierre de Médicis comme à un ami. Leon Battista dit avoir écrit cette œuvre « in villa fra le selve in ozio », à la campagne au milieu des arbres, dans le repos. Tout en soulignant sa composante ludique il signale, comme à son habitude, la valeur de réflexion morale de son travail100. L'auteur situe son histoire à Sparte101, ce qui lui permet à la fois de faire bénéficier son récit du prestige d'une glorieuse époque désormais révolue, tout en le détachant des contingences de la réalité ou de l'histoire.
56Cleiodromo, homme valeureux, aimé et respecté de ses concitoyens et de ses proches, est mourant. À l'approche de la fin il appelle ses trois fils : seul le plus méritant aura l'honneur de posséder tous les symboles de sa gloire. Après le décès du père, les membres les plus âgés de la famille se rassemblent afin de décider lequel des trois frères mérite de recevoir l'héritage paternel.
57Le premier, Mizio, rappelle qu'il a fait preuve de vaillance en supportant, pour le bien de la famille, une femme mauvaise, stupide, obstinée et infidèle102. Il s'est montré très sage lorsqu'il fit volontairement semblant d'ignorer les aventures amoureuses de son épouse afin de ne pas s'attirer des inimitiés et de ne pas nuire à la réputation de leur maison en dénonçant les méfaits de sa propre femme103.
58Acrino, le deuxième frère, affirme son droit sur cet héritage. Lui aussi a dû supporter une femme pleine de défauts : « Tu eus une femme opiniâtre, légère, hautaine, belliqueuse ; et moi j'eus de même une épouse désagréable, querelleuse, acariâtre, sauvage, enragée »104. Mais il sut imposer sa volonté à cette épouse têtue et belliqueuse en la réduisant au silence.
59Intervient alors le cadet Trissofo, qui déclare avoir été le plus courageux et le plus sage de tous. Il a résisté aux pressions de ses concitoyens, de ses amis, de ses parents, qui voulaient le forcer à se marier. Il a ainsi préservé sa liberté : c'est à lui que doivent revenir les ornements symboliques de son père. Après avoir écouté les trois plaidoyers, les vieux sages n'attribuent pas l'héritage : ils choisissent de déposer les insignes paternels auprès des prêtres de la déesse Cybèle.
60Quelle est donc la signification d'un verdict aussi énigmatique ? Le premier discours, prononcé par Mizio, l'aîné, est beaucoup plus long que les interventions de ses autres frères. Faut-il y voir une thèse prioritaire, confirmée par la reprise du même thème dans l'intercenale Maritus, dont le titre constitue une sorte de "pendant" avec celui de l'œuvre en question ? Par ailleurs, le ton du texte, ouvertement misogyne, incite le lecteur à croire que l'attribution finale favoriserait le frère cadet qui avait choisi de rester célibataire. Or cette offrande à la déesse crée un effet de surprise et sans doute faut-il creuser plus loin pour déceler le sens de l'énigme. Cybèle, la grande déesse de la Phrygie, régissait la Nature tout entière dont elle personnifiait la puissance de végétation. Autour d'elle se développa un culte orgiastique qui survécut jusqu'à une époque très tardive sous l'Empire romain105. Comme la femme, Cybèle évoque la vie et le chaos : elles incarnent la vie, par leur puissance reproductrice, et le désordre, par les comportements effrénés qu’elles déchaînent. Le geste des vieux sages qui déposent, temporairement, l'héritage tant convoité sur l'autel de cette déesse est alors emblématique : lui offrir les ornements symboliques que Cleiodromo destinait à ses fils, signifie accorder à la femme mythique une forme de victoire sur l'univers masculin.
61Entre intégration et exclusion le choix n'est pas simple. La conclusion de Uxoria témoignerait alors de l'impossibilité de bannir la présence féminine de l'existence des hommes car elle représente la vie par ses fonctions reproductrices mêmes ; en ce sens le comportement de Trissofo est inconcevable en vue de la sauvergarde et de la perpétuation de l'humanité106. Mais, pour Alberti, une telle acceptation ne peut pas se faire sereinement. De là, cette évocation misogyne de la malheureuse expérience de Mizio et d'Acrino, victimes plus ou moins passives de la tyrannie de leurs épouses. Par la non adjudication de l'héritage et par cette offrande à une déesse, femme irréelle et essence de la femme, l'auteur exprime son doute dont témoigne cette sorte de victoire symbolique que, de manière déguisée, il accorde à celle-ci.
62La relation entre homme et femme revêt une grande complexité dans la pensée d'Alberti. On perçoit, à travers la multiplicité de ses approches un conflit non résolu, une question en suspens, un dilemne, permanent, entre la ratio, chargée de produire et de réaliser un idéal éthique, et les contradictions propres à la réalité, engendrées par la partie instinctive et irrationnelle de l'homme107. Cette perplexité semble hanter l'auteur tout au long de son activité de lettré, l'empêchant de porter un jugement univoque sur le lien unissant l'homme et la femme. Ainsi, à l'intérieur de l'ensemble de son œuvre, il passe de la misogynie la plus violente à des positions plus nuancées, parvient à retracer toute une gamme de sentiments très divers qui vont de la manifestation d'un total mépris à l'amer regret d'une passion non partagée, jusqu'à surprendre son lecteur par un discours sur l'amour plus équilibré et plus positif. Deux textes semblent trahir ce regard autre : Ecatonfilea et Sofrona.
63Écrit probablement entre 1436 et 1437 et dédié à Nerozzo Alberti, Ecatonfilea est, sous plusieurs aspects, une œuvre unique par rapport au reste de la production albertienne108. Il s'agit en effet d'un monologue où la parole est, exceptionnellement, confiée à une femme. Le discours d'Ecatonfilea semble représenter une tentative de codifier le sentiment amoureux afin de le soustraire aux conséquences désastreuses d'une passion irréfléchie. En ce sens, ce petit texte constitue un précédent de la future production d'écrits sur la "science de l'amour"109.
64Ce monologue se déroule dans un lieu emblématique : il débute dans un théâtre avant l'arrivée des comédiens et s'arrête juste avant le spectacle ; c'est Ecatonfilea elle-même – dont le nom renvoie à sa riche expérience amoureuse – qui en informe le lecteur. Comme le fait remarquer L. Cesarini Martinelli, le théâtre est une composante récurrente du paysage urbain propre à plusieurs passages des œuvres latines et italiennes d'Alberti. En ce sens, il est souvent présenté comme le site où se développent positivement les relations sociales : le théâtre est souvent le lieu où se célèbre la renommée devant la foule des citoyens110. Or Ecatonfilea est la seule œuvre où cet endroit sert de support à tout le texte, puisque son évocation ouvre et clôt le discours de la protagoniste. Sa signification dépasse évidemment sa fonction plus spécifiquement sociale. Lieu de la fiction par excellence, le choix du théâtre renvoie à son tour au jeu de masques, au travestissement, symboliquement représenté, à la fin du texte, par l'irruption des acteurs111.
65Pourquoi donc notre auteur laisse-t-il son personnage rappeller, à plusieurs reprises, le lieu du discours ? Alberti semble vouloir fournir à son lecteur un indice qui lui permette de retrouver sa voix ainsi dissimulée pour cautionner implicitement les paroles d'Ecatonfilea. Cette stratégie se trouve justifiée par rapport au contenu du texte. Dans le De familia, il avait chargé ses interlocuteurs hommes d'exposer une théorie sur l'éducation de l'épouse visant un public exclusivement masculin. Or, exceptionnellement dans Ecatonfilea, c'est une voix féminine qui s'exprime à la première personne. Le précédent classique le plus célèbre était celui de Diotime, la femme experte au sujet de l'amour, dont, dans Le Banquet de Platon, Socrate feint de rapporter les enseignements qu'elle lui aurait dispensés. Mais la ressemblance s'arrête là. Diotime théorisait la genèse et les buts naturels de l'amour pour affirmer que la génération charnelle n'en représente que le premier degré ; les âmes nobles doivent s'élever de l'amour des corps à celui des âmes, puis à l'amour des sciences, pour aboutir à l'amour de la beauté absolue112. En revanche, Ecatonfilea avoue simplement vouloir formuler des préceptes pour une éducation de la femme à l'usage des femmes, qu'elle désire faire bénéficier de sa longue expérience : dépourvue de savoir, ce n'est qu'un critère de l'ordre de la connaissance pragmatique qui autorise ce personnage à prendre la parole.
66Tout le texte se construit alors à l'intérieur d'un univers féminin. Le seul moment où le monologue est interrompu c'est, encore une fois, par la voix d'une femme. Il s’agit de la mère d'Ecatonfilea, à laquelle celle-ci confie ses peines de coeur, sa crainte de voir son amant s'éloigner d'elle. Aimer sans réserves, voilà la réponse113. Après avoir obtenu le droit de détenir la parole, les femmes deviennent les destinataires du discours :
Et quoique, pour bien mener vos amours, vous ayez un parfait entendement et une prudence rare, ne doutez pas, cependant, ravissantes jeunes filles moins expertes que moi en ce domaine, que vous apprendrez de moi des choses qu'il vous sera très agréable et très utile d'avoir entendu. (...) Aussi, mes chéries, mes trésors, tandis que les mimes et les acteurs s'apprêtent à entrer dans ce théâtre, écoutez-moi, comme vous le faites, avec zèle et une grande attention, car, parfaite maîtresse en cet art, je suis désireuse que vous deveniez fort érudites en la matière ; vous apprendrez ainsi à faire aboutir vos amours avec un plaisir infini et un très joyeux contentement, sans crainte et sans souffrir d'aucun dommage pouvant survenir en amour114.
67Or, les conseils de ce personnage sont empreints de sagesse. Ils n'ont rien de pervers ni de cruel ; ils ne se nourrissent d'aucune forme d'hostilité à l'égard des hommes115. Le résultat est une nouvelle vision de l'amour, qui s'inscrit sous le signe d'une puissance positive. C'est une conception qui s'avère à la fois libre des contraintes qu'impose le respect des rôles traditionnels du mari et de la femme, dégagée de toute idéalisation abstraite de l'image féminine, mais aussi dépourvue de mépris à l'égard de celle-ci. Seulement la voix d'une femme pouvait, dans le respect de la vraisemblance et des mentalités, véhiculer une telle conception mais, pour que son discours fût véritablement entendu, il était indispensable que l'auteur le légitime.
68Ecatonfilea commence par conseiller aux femmes d'appliquer le principe de la medietas dans leurs amours. Il ne faut élire comme amants que des hommes ni trop vieux, ni trop jeunes, ni trop beaux, ni trop riches, ni de trop basse condition. Que le choix se fasse tout d'abord en fonction des qualités morales de la personne aimée, qui doit faire preuve de sagesse et d'une grande vertu. Sans aucune note d'ironie elle dévoile son admiration pour les lettrés :
En amour, préférez toujours les lettrés, vertueux et modestes. Si vous les aimez, c'est d'eux que vous recevrez d'immenses récompenses pour votre bienveillance et votre fidélité, et vous n'aurez jamais à redouter d'eux aucun dommage. Ce sont eux qui rendent notre nom immortel auprès de la postérité. Ce sont eux qui rendent nos beautés splendides et divines. Lesbie, Corinne, Cynthia et les autres femmes que de savants lettrés ont aimées il y a plus de mille ans, sont encore vivantes. Aimez donc, jeunes filles, les lettrés vertueux et modestes, et vous vivrez heureuses, honorées, dans la douceur d'un amour perpétuel116.
69L'amour des lettrés est plus pur et plus sûr que celui des autres hommes ; en outre, ils peuvent, grâce à leurs écrits, laisser une trace immortelle de la femme qu'ils ont aimée et dont ils ont vanté la beauté. C'est là un argument traditionnel, mais par ce biais, Ecatonfilea reconnaît aux lettrés une supériorité morale et met en valeur leur activité. Sa conviction va, en quelque sorte, à l'encontre de la conception de la passion ennemie de l'ascèse littéraire. Or ce n'est pas le seul exemple qui entraîne une apparente contradiction : tout le monologue de ce personnage se construit quasiment en opposition avec l'image négative du sentiment amoureux tel que l'auteur l'avait dessiné dans d'autres écrits. Il s'agit d'aboutir au contrôle de la passion en faisant intervenir le principe de modération. Ainsi Ecatonfilea exhorte-telle les femmes à être fidèles ; à ne jamais se montrer méprisantes et dédaigneuses envers leur amant lui causant d'injustes souffrances ; une femme devra, au contraire, faire preuve de douceur, de modestie, d'humanité. Elle leur conseille surtout de ne jamais se laisser dominer par la jalousie dont la conséquence la plus néfaste est de créer des malentendus, de fausser les sentiments et les comportements. À ce sujet, Ecatonfilea avoue que son comportement soupçonneux, dur et méprisant, a éloigné d'elle son amoureux qui, victime de son incompréhension, s'est exilé dans des pays lointains117. L'amour appelle l'amour comme une force incoercible : « Il faut vaincre et surpasser celui q'on aime par l'amour et la fidélité, non par le dédain118. » Comme l'affirmait Alberti lui-même dans le De Amore, ce texte pourtant si violemment misogyne, aimer devient un devoir moral lorsque ce sentiment est partagé : « Si tu sais que tu es aimé d'elle, je ne te détournerai pas du devoir d'aimer celle qui t'aime119. »'Par le biais d'Ecatonfilea, notre auteur semble prêcher en faveur d'un amour qui, libéré des fictions, des soupçons, des jalousies, en un mot, de la passion dévastatrice, pourrait enfin être vécu avec bonheur et plénitude. Il se montre très fin connaisseur de l'âme féminine qu'il veut soustraire à l'erreur. En fait, Ecatonfilea peut être lue comme une sorte de fiction pédagogique, une "école des femmes" (mais aussi des hommes, comme le prouve le choix du destinataire). Voici la dernière prière que la protagoniste adresse à ses compagnes :
Maintenant, apprêtez-vous à aimer autant que vous désirez être aimées. Pour vous faire aimer, aucun enchantement, aucune herbe, aucun sortilège n'est plus puissant qu'aimer, vous-même, beaucoup. Aimez donc, et faites confiance à qui vous aime, et celui que vous aimez vous réservera pareille fidélité et pareil amour. Abandonnez vos soupçons, vos dédains et vos rivalités, et vous vivrez ainsi dans le bonheur et le ravissement120.
70Ce monologue se présente comme un éloge du sentiment amoureux vécu de manière constructive. Dans un passage particulièrement évocateur Ecatonfilea rappelle les joies complices de deux amants profondément unis :
Ajoute à cela qu'il y a en amour une infinité d'autres joies non moins grandes, bien plus merveilleuses que de s'asseoir tous les deux au bord de l'eau. Plaisanter joyeusement ; dévoiler ses souffrances en racontant d'anciens désagréments du passé ; révéler tous ses soupçons, se corrigeant et se réprimandant l'un l'autre avec de douces accusations, se réjouir de la sorte, murmurant des heures durant, riant parfois et pleurant parfois doucement. Il n'est pas de chose plus exquise pour celui qui aime vraiment que de sentir, sur ses joues et sur sa poitrine, ses propres larmes mêlées à celles de l'être aimé. (...) Quel bonheur pour cette jeune fille, quelle chance pour cette bien-aimée, quelle béatitude pour cette amante, si elle peut voir dans ces yeux tant aimés tout à la fois l'amour, la fidélité, la tendresse et la douleur !121.
71Ces paroles frappent le lecteur par leur finesse et par leur délicatesse ; cette manière de célébrer la communion des âmes partageant les larmes et le rire efface l'écart entre un homme et une femme, unis face à l'existence. Alberti nous livre ici l'idéal d'un amour qui a toujours été refusé aussi bien au Pallimacro de la Deifira qu'à l'amant repoussé des Rime. Il nous offre une image de la femme qui n'aurait pas mérité les accusations misogynes que l'humaniste a disséminées dans son œuvre et qui aurait même pu remplir à terme le rôle de l'épouse.
72La formulation de cet amour idéal, qui n'est ni une passion furieuse ni une simple amitié bienveillante mais plutôt l'expression d'un sentiment sincère et sans réserve, ne pouvait être confiée qu'à une femme, sans la confronter d'ailleurs à d'autres interlocuteurs. Ce procédé apporte au discours une plus grande vraisemblance ; en lui donnant le ton de la confidence, et en l'absence de toute présence masculine, Alberti peut ainsi énoncer un idéal qui aurait pu paraître choquant dans la bouche d'un homme. Sans compter que le recours à un personnage féminin lui permet de doubler le nombre de ses destinataires : Ecatonfilea s'adresse aux femmes, mais l'œuvre est dédiée à un homme amoureux, Nerozzo Alberti. Cela réduit la distinction entre les deux sexes, même s'il est vraisemblable que peu de femmes aient pu, à l'époque, accéder à ce genre d'ouvrage. Afin de respecter le jeu de la fiction littéraire, qui se révèle si enrichissant, l'auteur s'abstient d'intervenir à la première personne. Néanmoins il alerte le lecteur de sa présence par un processus de travestissement et de simulation qui tient au choix du théâtre comme toile de fond du monologue d'Ecatonfilea.
73Le sens du discours d'Ecatonfilea rejoint partiellement celui de l'intercenale Vidua. Encouragée par une vielle femme, Vetula, une jeune veuve de bonne réputation s'abandonne à une passion illégitime ; tombée enceinte, honteuse, elle fuit son amant. Vetula pousse sa jeune amie à jouir de son amour tout en négligeant les obligations morales et les contraintes que la société lui impose. Elle la persuade de s'éloigner de la ville afin d'accoucher de son enfant secrètement, et de rappeler son amoureux. À cause du caractère subversif des conseils dispensés par la vieille femme – qui, en outre, est traditionnellement un personnage négatif –, on pourrait lire ce court dialogue latin comme une dénonciation de la perversité féminine. Toutefois il est difficile de trancher car l'auteur ne laisse pas clairement apparaître de condamnation. À la fin du texte la jeune veuve retrouve le bonheur aux côtés de son amant. S'il est malaisé de percevoir le point de vue d'Alberti, il est intéressant de constater que dans son long discours Vetula s'efforce, comme Ecatonfilea, d'instruire les femmes sur les lois de l'amour pour qu'elles apprennent à se montrer sincères et spontanées. Elle se plaint aussi du fait que trop souvent les jeunes filles n'accordent pas une juste attention aux mérites de leurs amoureux lorsque ceux-ci cherchent à leur plaire en les louant par leurs écrits et préfèrent écouter les stupides opinions du vulgaire122. Dans cette intercenale, Alberti semble s'abstenir de porter un jugement moral et s'attarde, comme dans Ecatonfilea, sur cette espèce de "science de l'amour" qui devrait pouvoir rationaliser la passion.
74Il est un autre dialogue, très court, qui pourrait être lu comme une sorte de réhabilitation de l'image féminine. C'est Sofrona, "la sage", écrit probablement en 1437, en raison de la dédicace au neveu du cardinal Lucido Conti, mort le 9 septembre de cette même année123. Le destinataire est le poète Giusto de' Conti, ami de l'auteur, dont l'œuvre influença, ne serait-ce que par opposition, les écrits poétiques d'Alberti124. Les interlocuteurs sont Battista et Sofrona. Celle-ci est présentée comme une femme d'expérience, une « matrona », qui a déjà été plusieurs fois mariée ; elle est le seul exemple de personnage féminin intervenant dans un dialogue en langue vulgaire d'Alberti. Le personnage de Battista représente, comme à l'accoutumée, l'auteur lui-même ; tous deux sont entourés d'autres femmes, qui restent "muettes". Dans la dédicace, Leon Battista avait suggéré la valeur thérapeutique de son dialogue, qui est censé avoir réellement eu lieu, et se déroule, effectivement, sur un ton enjoué et quelque peu railleur. L'allure ludique de cet écrit est accentuée par le fait que Sofrona se configure comme une sorte de palinodie du De Amore précédemment adressé à Paolo Codagnello125. Alberti se sert de son personnage féminin pour jeter un regard ironique sur ses propres positions misogynes et sur sa production amoureuse. Le dialogue s'ouvre avec la description de Battista qui se trouve en mauvaise posture car Sofrona, soutenue par les autres femmes, l'apostrophe agressivement et lui demande de rendre compte des accusations dont il les accabla dans l'épître qu'il adressa à son ami. Battista cherche timidement à se défendre, insinuant qu'il ne voulait pas s'en prendre à des épouses exemplaires telles qu'elle-même et ses amies ; il les supplie de ne pas le juger trop hâtivement sans d'abord tenir compte de ses qualités. Mais Sofrona s'insurge contre la misogynie des lettrés et condamne la présomption masculine : « Que ces lettrés sont déplaisants et fastidieux ! Chacun veut lancer sa satire contre les femmes, comme s'il n'y avait rien de répréhensible chez les hommes126. » Ensuite, accusant les lettrés d'être, malgré leurs déclarations, les premières victimes naïves d'une jeune fille quelconque, elle tourne en dérision l'amour que Battista lui-même a nourri pour une « trecca tignosa », une femme vulgaire, de basse condition, pour laquelle il a écrit ses poésies, et que Sofrona, méprisante, appelle ses « pianti amatori », ses lamentations amoureuses127. Emportée par sa rancune, elle s'en prend ensuite à tous les hommes et affirme la supériorité féminine qui ne peut pas s'épanouir car elle est entravée par les règles sociales établies par la volonté masculine :
Car, si au lieu de rester inactives, toutes seules dans l'ombre de la maison, il nous était permis de nous épanouir au dehors, fréquentant d'autres gens et conversant avec eux, que crois-tu qu'il arriverait ? Oh mon Dieu, quel ne serait pas notre discernement, comme il serait merveilleux et étonnant ! Combien chacun de nos avis serait semblable aux oracles d'Apollon eux-mêmes, puisque, alors que nous sommes si inexpérimentées, nous vous dominons déjà ! Et je comprends bien pourquoi, sachant qu'il en serait ainsi, vous avez établi cet usage de nous cloîtrer entre ces murs, dans la solitude128.
75Lorsqu'on songe au De familia où Lionardo recommandait de mettre les enfants mâles, dès leur plus jeune âge, en contact avec l'extérieur et d'éviter soigneusement de les laisser enfermés à la maison entre les mains des femmes, on mesure toute la portée d'une telle revendication129. Encore une fois se profile ici, en filigrane, la question de l'éducation de l'esprit féminin. Sofrona accuse les hommes de redouter leur potentialité et donc de chercher à l'anéantir en les empêchant, par des interdictions et par des accusations outrageantes, de sortir d'une position d'infériorité. Il est vrai qu'elle ne cache pas que la femme se sert de sa force pour se venger des hommes par la trahison ou par la cruauté, mais cet aveu permet de souligner, une fois de plus, la stupide naïveté des maris et des amants. Battista ne désarme pas : sans nier les affirmations de Sofrona il se défend. Ses tentatives finissent par aboutir et son interlocutrice reconnaît avoir été trop dure envers lui. L'auteur prend alors la parole pour apporter au dialogue le mot de la fin ; il se décrit, souriant, en train de prendre congé de sa compagne.
76Le sourire estompe la violence des attaques de Sofrona et rappelle que leurs échanges s'inscrivent dans le registre de l'ironie et de l'auto-dérision. Ce sourire évoque celui qui s'esquisse à la fin du livre I du De familia, trahissant le caractère relatif et provisoire de la conclusion de la discussion entre Lionardo et Adovardo dont les positions s'avéraient complémentaires. Par l'intermédiaire de Sofrona, Leon Battista a avoué, en le caricaturant, son amour de jeunesse sous l'emprise duquel il avait écrit ses élégies, révélant ainsi l'importante présence d'éléments autobiographiques à l'intérieur de ses poésies amoureuses. Pourtant ce court dialogue n'est pas un simple exercice de rhétorique. Alberti a mis en scène une palinodie de ses positions les plus ouvertement hostiles à l'égard des femmes, en confiant cette tâche à un personnage féminin et en laissant ainsi Sofrona procéder à la réhabilitation de son propre sexe.
77Ecatonfilea, Sofrona et, dans une certaine mesure, Vidua, témoignent d'un regard moins extrême, plus attentif à la complexité des relations amoureuses que celui qui se limitait à reléguer la femme dans un univers négatif ou à l'intérieur des murs domestiques. De ces écrits, où elle devient sujet et objet du discours, émerge une autre image. L'auteur lui accorde la parole pour qu'elle puisse dire ses sentiments, ses désirs, qui avaient disparu derrière les portraits, un peu stéréotypés ou très didactiques, de la femme qui engendre le chaos et de l'épouse modèle. Il est vrai que ce genre de production est limité par rapport à l'ensemble de l'œuvre albertienne et que ce n'est jamais un homme qui parle pour réévaluer sa compagne, mais Alberti semble ainsi vouloir ménager tacitement la susceptibilité d'un lecteur du XVe siècle tout en apportant un éclairage original sur le sentiment amoureux.
78Plusieurs images féminines, souvent en totale opposition, prennent donc place dans l'œuvre de notre auteur. Ces images subsistent, autonomes, contradictoires, d'un texte à l'autre, changeant suivant la perspective choisie, plongeant le lecteur dans la perplexité. L'attention portée à l'univers familial a donné naissance à l'épouse idéale, figure indispensable et positive, dont le rôle répond aux exigences de la réalité et de la société de l'époque. Dans le cadre d'un projet familial bien défini, Alberti a réussi à apaiser la troublante tempête du doute que la pensée de la femme semble avoir toujours éveillé en lui. Ici, même la misogynie manifestée par le jeune lettré célibataire, est présentée sur un ton presque badin et ce qu'elle cache des sentiments de l'auteur lui-même est effacé par un sourire complice130. Or, lorsque Alberti se détourne de la famille pour retrouver le monde des savants et son univers culturel, toute présence féminine est bannie au nom du respect de la quies du sage. Entre ces deux extrêmes s'esquisse l'ombre d'une troisième image, un peu marginale, certes, mais néanmoins féconde. Ce sont les contours d'une figure plus humaine ; la femme devient alors la source d'un sentiment, lequel, comme l'auteur le rappelle dans Ecatonfilea ou dans certaines de ses élégies, peut être à la fois très doux et très douloureux. Il y a là l'ébauche d'une tentative d'éduquer la femme pour l'initier à une passion qui, tout en gardant l'élément instinctif de l'amour, pourrait être gouvernée par une démarche rationnelle inspirée par la modération.
79Il reste que, partagé entre attraction et répulsion, non seulement Alberti ne parvient jamais à imposer une solution définitive, mais il va jusqu'à éviter de traiter dans un même texte ces différentes images sans en émousser les contradictions grâce aux possibiltés offertes par le dialogue. Pour approcher des réalités si diverses il arrive, admirable « caméléon », à adopter les points de vue les plus variés, choisissant à chaque fois l'élaboration littéraire appropriée. Sans vouloir concilier une réalité imparfaite avec un idéal par définition parfait, il envisage plusieurs espaces où la femme occupe une place bien particulière, engendrant tour à tour une relation à l'homme négative ou positive. Les multiples visages féminins gardent leur individualité et ne se fondent que dans le doute qui habite la pensée de l'auteur.
Notes de bas de page
1 Sur l'image et le rôle de la femme à l'époque de l'Humanisme, voir : M. LENZI, Donne e Madonne. L'educazione femminile nel primo Rinascimento, Torino, Loescher, 1982. F. FURLAN, « L'idea della donna e dell'amore nella cultura tardo medievale e in Leon Battista Alberti », in Intersezioni, X, 1990, p. 211-238. Idem, « L'idea della donna nella prima metà del Quattrocento toscano », in « Ilaria del Carretto e il suo monumento », Atti del Convegno Internazionale di Studi, Lucca, 1995, p. 251-270.
2 G. DOMINICI, Regola de ! governo di cura famigliare, ed. Donato Salvi, Firenze, Garinei, 1860. S. Vecchio fait remarquer que le traité de Dominici, plaçant la famille au centre de la pastorale féminine, inaugure un genre promis à une grande fortune. Sur la lancée de Dominici, de nombreux religieux écriront des traités de vie familiale dont les plus connus seront : en 1450 L'Opera a ben vivere de saint Antonin, disciple et premier biographe de Dominici ; la même année, Chérubin de Spolète composait la Regola di vita matrimoniale ; en 1470, Jean de Chartreux écrivait pour les femmes mariées le Gloria mulierum, et son confrère Denys consacrait aussi au sujet un traité particulier, le De laudabili vita coniugatorum ; à côté de toute cette littérature, il y a naturellement l'œuvre de Saint Bernardin qui, dans ses sermons, consacre au mariage et à la famille une grande place. S. DE VECCHIO, « La buona moglie », in Storia delle donne, a cura di G. Duby et M. Perrot, « Il Medioevo », a cura di C. Klapisch-Zuber, Bari, Laterza, 1991, vol. II, p. 155-156.
3 Cf. à ce propos, A. TENENTI, « La res uxoria tra Francesco Barbara e Leon Battista Alberti », en cours d'impression dans les Actes du colloque : Una famiglia veneziana nella storia : i Barbaro, Venezia, Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 4-6 novembre, 1993
4 D. HERLIHY et C. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans et leur famille. Une étude du "catasto" florentin de 1427, Paris, E.H.E.S.S., 1978, « Le Mariage », ch. XIV, p. 393-419, ici p. 412-417.
5 «Potranno le persuasioni essere simili: monstrargli quanto sia dilettoso vivere in quella prima naturale compagnia del congiugio e riceverne figliuoli, e' quali sieno come pegno e statici della benivolenza e amore congiugali e riposo di tutte le speranze e voluntà paterne. A chi sé arà affannato per acquistare ricchezze, potenze, principati, troppo a costui pesarà non avere doppo sé vero erede e conservadore del nome e memoria sua. A cui le sue virtù servino dignità e autorità, a cui le sue fatiche porgano utilità e frutto, niuno più a questo essere può accomodato ch'e' veri e legittimi figliuoli. Agiugni qui che colui di chi rimangono simili eredi, costui non può in tutto riputare sé spento né mancato, però ch'e' figliuoli serbano nella famiglia el luogo e la vera imagine del padre». I libri della famiglia, p. 130-131, 1. 869-882.
6 C'était là une préoccupation fortement ressentie par les Florentins de l’époque d'Alberti, comme le prouvent leurs Ricordi où il notaient soigneuseument, entre autres, les dates des naissances. Voir, é titre d'exemple, les témoignages de Goro Dati et Donato Velluti. G. DATI, Il libro segreto, a cura di C. Gargiolli, Bologna, Romagnoli, 1869, p. 32, 40-41, 74-79, 101-104. D. VELLUTI, Cronica domestica di Messer Donato Velluti scritta tra il 1367 e il 1370, con le addizioni di Paolo Velluti scritte tra il 1555 e il 1560, per cura di I. Del Lungo e G. Volpi, Firenze, Sansoni, 1914, p. 291 et sqq.
7 I libri della famiglia, p. 131,1. 894-896.
8 Ibid., 1. 896-904.
9 « Contribuischi tutta la casa come a comprare l'accrescimento della famiglia, e ragunisi fra tutti una competente somma della quale si consegni qualche stabile per sostentare quelli che nasceranno, e cosi quella spesa la quale a uno solo era gravissima, a molti insieme non saré se non facile e devutissima » Ibid., p. 132,1. 924-929.
10 La conclusion de la « disputazion » avait en effet été tracée par Lionardo en ces termes : « Tanto vi ramento, frategli miei, fuggiamo questa furia amatoria, né monstriamo preporla all'amicizia, ma neanche la diciamo tra' béni della vita umana, imperoché l'amore sempre fu pieno di fizioni, maninconie, suspizioni, pentimenti e dolori. Fuggiamo adunque questo amore ». Ibid., p. 118,1. 505-509.
11 Saint Bernardin, dans un sermon prononcé en 1427 sur les devoirs unissant le mari et la femme, utilise le même terme amicizia : « E però vi dico, a voi uomini e a voi donne, seguitate le virtù, acciò che l'amore abbi queste tre cose : utile, dilettevole e onesto, e sarà infra voi vera amicizia ». SAN BERNARDINO, « Predica XIX », in La Fonte della vita, Prediche volgari scelte ed annotate da G. Vaifro Sabatelli, OMF, Firenze, Libreria Editrice Fiorentina, 1964, p. 248. Depuis des siècles les pères de l'Église avaient considéré le mariage comme un état dangereux car il autorise l'exercice de la sexualité qui, si elle n'est pas réglementée, entraîne le désordre et éloigne l'homme de Dieu. Pour éviter que les époux soient souillés par le péché de luxure, théologiens et prédicateurs s'attachèrent à définir le mariage honorable. Suivant l'enseignement de saint Augustin, qui dans le De bono coniugali, avait défini les trois "biens" du mariage, "proies, fides, sacramentum", l'Église affirmait qu'une union sainte devait avoir comme but la procréation, éviter la fornication, ne jamais se laisser dominer par des envies coupables, cf. J. DELUMEAU, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident. XIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1983, p. 481 et sqq.
12 I libri della famiglia, p. 128-130,1. 805-850.
13 « Contrario le femmine quasi tutte si veggono timide da natura, molle, tarde, e per questo più utili sedendo a custodire le cose, quasi come la natura cosi provedesse al vivere nostro, volendo che l'uomo rechi a casa, la donna lo serbi. Difenda la donna serrata in casa le cose e sé stessi con ozio, timore e suspizione. L'uomo difenda la donna, la casa, e' suoi e la patria sua, non sedendo ma essercitando l’animo, le mani con molta virtù per sino a spendere il sudore e il sangue ». Ibid., p. 267,1. 2188-2196.
14 « Il y a entre leurs [les hommes et les femmes] diverses facultés une répartition qui fait qu'elles ne sont pas toutes adaptées au même but, mais que quelques-unes sont orientées vers des objets opposés et tendent ainsi à un résultat commun. La nature a créé un sexe fort et un sexe faible, de sorte que l'un soit plus apte à se tenir sur ses gardes à cause de sa tendance à la crainte, et que l'autre en raison de sa virilité soit plus capable de repousser l'agresseur ; que l'un puisse apporter les biens du dehors, que l'autre veille sur ce qui est à la maison ; et dans la répartition du travail, l’un est plus apte à mener une vie sédentaire et manque de force pour les occupations du dehors tandis que l'autre, moins fait pour la tranquillité, trouve l'épanouissement de sa santé dans le mouvement qu'il se donne ». ARISTOTE [Pseudo], Économique, texte établi et traduit par A. Wartelle, Paris, Les Belles Lettres, 1968, 1.1, ch. IV, p. 3. L'infériorité physiologique qu'Aristote attribuait à la femme apparaissait aussi à propos du rôle de simple matière réceptive que le philosophe lui assignait dans le processus de la conception. En effet, à la fin de la démonstration concernant l'absence de sperme chez la femme il concluait : « Si donc le mâle est comme le moteur et l’agent, la femelle, en tant que femelle est comme le patient, à la semence du mâle la femelle ne peut pas apporter de la semence, mais une matière ». ARISTOTE, De la génération des animaux, texte établi et traduit par P. Louis, 1.1, ch. XX, p. 39-40. Par ailleurs, Aristote avait déjà souligné une différence entre les deux sexes à partir de l'observation des embryons. Il affirmait qu'une femme enceinte d'un garçon a une meilleure mine ; que les envies d'une femmes enceinte d'une fille sont plus violentes et plus difficiles à satisfaire et qu'un embryon de sexe masculin d'habitude remue plus dans le sein de sa mère que celui de sexe féminin. ARISTOTE, Histoire des Animaux, texte établi et traduit par P. Louis, Paris, Les Belles Lettres, 1964,1. VII, ch. IV, p. 141-142.
15 I libri della famiglia, p. 133,1. 949-959.
16 D. HERLIHY et C. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans et leurs familles, op. cit., p. 394-404.
17 I libri della famiglia, p. 134, I. 965-966. L'Église avait posé comme fondement constitutif du mariage le libre consentement des époux, principe qu'elle avait repris du droit romain. Ceci lui permettait, entre autres, de résoudre un problème d'ordre théologique : par le biais du mariage s'établissait un lien triangulaire qui unissait Dieu, un homme et une femme, il fallait établir qui ou ce qui nouait ce lien. Puisque l'Église ne pouvait pas accepter que ce fut un acte, l'union charnelle, elle décréta que ce soit la volonté commune. L'Église veillait ainsi à ce que la règle du libre consentement soit sérieusement observée, mais, dans la pratique, l'importance de l'enjeu lié au mariage faisait en sorte que l'on respectait rarement les volontés individuelles. P. L'HERMITE-LECLERCQ, « Le donne nell'ordine feudale (XI-XII secolo) », in Storia delle donne, op. cit., p. 266. Sur les accords entre les familles des futurs époux et le déroulement des noces, cf„ D. HERLIHY et C. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans et leurs familles, op. cit., p. 588-595. C. KLAPISCH-ZUBER, La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l'Italie de la Renaissance, op. cit., ch. VIII, p. 151-166. Par ailleurs, l’Église imposait également aux époux de recevoir l'autorisation du père et/ou des parents proches. Après le Concile de Trente, elle reconnut par le décret tametsi la validité des mariages célébrés dans la clandestinité, sans avoir obtenu l'approbation des parents, mais en réaffirmait l'interdiction. Enfin, pour pallier définitivement cet inconvénient, elle renouvelait l'ancienne obligation selon laquelle l'union des jeunes époux devait être préalablement annoncée par trois publications. N. TAMASSIA, La famiglia italiana nei secoli XV e XVI, Milano-Napoli-Palermo, Sandron, 1911, p. 151 et sqq. et p. 171 et sqq.
18 «Ma faccia costui qual fanno i buoni padri della famiglia i quali vogliono nelle compre più volte rivedere la possessione prima che fermino alcun patto. In ogni compera e contratto giova informarsi e consigliarsi, domandarne più e più persone, e usare ogni diligenza per non avere dipoi a pentersi della compra. Molto più dovrà essere diligente chi constituirà farsi marito». I libri della famiglia, p. 134, 1. 969-975.
19 Sur les enjeux liés à cette pratique, voir : D. HERLIHY, « The médiéval marriage market », in Médiéval and Renaissance Studies, VI, 1976, p. 3-27.
20 C. KLAPISCH-ZUBER, La famiglia e le donne nel Rinascimento a Firenze, Bari, Laterza, 1988, p. XI. L'Istorietta amorosa montre comment l'amour de deux jeunes gens pouvait parvenir à faire taire l'ancienne hostilité opposant deux riches familles, les Buondelmonte et les Bardi. Il faut cependant signaler que l'attribution de cette œuvre à Alberti est fortement contestée. Déjà, C. Grayson formulait de sérieux doutes en publiant ce texte parmi les écrits de notre auteur. Comme le montre F. Furlan, cette attribution apparaît aujourd'hui encore plus improbable. Cf. C. GRAYSON, « Nota sul testo », Istorietta amorosa, in Leon Battista Alberti. Opéré volgari vol. III, op.cit., p. 406-412. F. FURLAN, « Notice », Histoire de Leonora et Ippolito, in Conteurs italiens de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1993, p. 1259-1261.
21 « Adunque, per comprendere tutto questo luogo in poche parole, ché al tutto voglio essere in questa materia brevissimo, procurisi avere questi cosi nuovi parenti di sangue non vulgari, di fortuna non infïmi, di essercizio non vili, e nelle altre cose modesti e regolati, non troppo superiori a te, acciò che la loro amplitudine non auggi come l'onore e dignità tua, cosi la quiete e tranquillità tua e de' tuoi, e acciò che, se di loro alcuno cascasse, tu possa dirizzarlo e sostenerlo sanza troppo sconciarti, e sanza sudare sotto quello alle tue braccia e forze superchio peso. Né anche voglio questi medesimi parenti essere inferiori a te, imperoché se questo t'arecò spesa, quello t’impone servitù. Siano adunque non inequali a te, e come abbiamo detto, modesti e civili ». I libri della famiglia, p. 137, 1. 1054-1067.
22 D. HERLIHY et C. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans et leurs familles, op. cit., p. 543 et sqq.
23 « Seguita della dota, la quale, quanto a me pare, vuole essere più tosto médiocre, certa e presente, che grande, dubbiosa e a tempo ». 1 libri della familglia, p. 137, 1. 1068-1070.
24 C. KLAPISCH-ZUBER, La Maison et le nom, op. cit., p. 161. À propos de l'institution du Monte delle doti cf. A. MOLHO, Florentine public finances in the early Renaissance 1400-1433, Harvard University Press, Cambridge, Massachussets, 1971, p. 138-141.
25 « Siano adunque le dote certe e presente e non troppe grandissime, perché quanto e' pagamenti hanno a essere maggiori, tanto più tardi si riscuotono, tanto sono più litigiose risposte, tanto con più dispetto ne se' pagato, e a te tanto nelle cose pare da fare ogni grande spesa. Poi non si può dire quanto sia acerbo e talora disfacimento e ruina delle famiglie ove dobbiamo le gran dote rendere ». I libri della famiglia, p. 138, 1.1097-1101. Ce dernier point, souligné brièvement par Lionardo, concernait plus particulièrement les veuves. Dans la société florentine, les femmes ne pouvaient pas hériter des biens paternels, qui allaient à leurs frères ou, le cas échéant, aux agnats du père. La dot constituait donc leur part d'héritage et elle devait servir à assurer leur existence pour être ensuite, éventuellement, transmise à leurs descendants. Or, lorsqu'une femme se trouvait veuve, elle avait le droit de quitter la maison du mari défunt en exigeant de remporter sa dot : cette décision pouvait donc remettre en question l'équilibre économique d'une famille. Une telle éventualité prend toute sa gravité si l'on songe que le mari avait le droit de gérer les biens dotaux de sa femme en choisissant, par exemple, de les investir. L'obligation de les rendre occasionnait donc de sérieux problèmes. M. KING, Le donne nel Rinascimento, Bari, Laterza, 1991, p. 59 et sqq. Sur la question de la gestion de la dot et plus généralement des biens des femmes, cf. I. CHABOD, « Risorse e diritti patrimoniali », in Il lavoro delle donne, a cura di A. Groppi, Bari, Laterza, 1996, p. 47-70.
26 «"Non si può quel che tu vuoi; voglia quel che tu puoi". Sposisi quella in cui appaiano meno che nell'altre mancamenti». Il libri della famiglia, p. 140,1. 1133-1134.
27 Ibid., p. 154-155,1. 1545-11591.
28 Derrière cette recommandation, il y a peut-être l'écho de l'expérience de Leon Battista lui-même dont la situation de fils naturel, reconnu par son père mais jamais accepté par l'ensemble des Alberti, n'est pas sans rappeler celle d'un enfant adopté. Sur les problèmes et les difficultés concernant la légitimation des fils nés en dehors du mariage, voir : N. TAMASSIA, La famiglia italiana..., op. cit., p. 227 et sqq. Sur la complexité des liens paternels et les enjeux socio-économiques liés à l'émancipation des enfants à l'époque d'Alberti, cf. T. KUEHN, Emancipation in late medieval Florence, New Jersey, Rutgers University Press, 1982. Sur la condition d’Alberti de fils illégitime, voir : Idem, « Reading between the patrilines : L. B. Alberti’s Della Famiglia in Ligh of his illegitimacy », in I. Tatti Studies, I, p. 161-187.
29 « Ma non so io come tale ora pare che le faccende di fuori impacciano le domestiche, e le domestiche necessità spesso non lasciano bene di servire alle cose publiche ». I libri della famiglia p. 266,1. 2143-2146.
30 « perché a me parea non piccolo incarco provedere alle necessità entro in casa, bisognando a me non raro avermi fuori tra gli uomini in maggiori faccende, però mi parse di partire questa somma, a me tenermi l'usare tra gli uomini, guadagnare e acquistare di fuori, poi del resto entro in casa quelle tutte cose minori lascialle a cura della donna mia ». Ibid., 1. 2152-2157.
31 M. King fait remarquer que cette règle s'appliquait à presque tous les groupes sociaux. Les femmes des familles aisées avaient même un plus grand nombre d'enfants que les femmes pauvres car, comme souvent elles n'allaitaient pas, elles étaient de nouveau enceintes presque immédiatement après la naissance. Un exemple extrême est représenté par la florentine Antonia Masi qui mourut à cinquante-sept ans après avoir donné naissance à trente-six enfants dont neuf seulement lui survécurent. M. KING, Le donne nel Rinascimento, op. cit., p. 4.
32 « (...) ché a me sempre parse, figliuoli miei, correggendo cominciare con la dolcezza, acciò che il vizio si spenga e la benivolenza s'accenda. E apprendete questo da me. Le femmine troppo meglio si gastigano con modo e umanità che con quale si sia durezza e severità ». I libri della famiglia, p. 278-279, 1. 2545-2550. Alberti applique à tous les rapports éducatifs le principe de la "pédagogie de la douceur", qui est très présent dans le De familia ; à propos, cf. notre étude, « La relazione didattica ne I Libri della famiglia di Leon Battista Alberti », in Chroniques italiennes, n. 36, 1993, p. 31-54. En ce qui concerne la femme, il s'agissait d'une prise de position novatrice si l'on songe que la violence excercée contre elle était considérée, à l'époque, comme un acte responsable de la part d'une personne moralement supérieure qui avait le devoir d’éduquer et de punir les fautes féminines. M. KING, Le donne ne ! Rinascimento, op. cit., p. 52.
33 I libri della famiglia, p. 276-277, 1. 2469-2503. Lorsque elle fait voeu d'obéissance, elle rappelle que depuis son enfance ses parents lui ont appris à respecter une autorité supérieure à elle : « Rispuose e disse che aveva imparato ubidire il padre e la madre sua, e che da loro avea comandamento sempre obedire me, e pertanto era disposta fare ciò che io gli comandassi ». Ibid., p. 271-272,1. 2330-2333.
34 Ibid., p. 272, 1. 2354-2358. Quelques pages plus loin, elle rougit avec une grâce pleine de naïveté lorsque, interrogée par Giannozzo sur la bonne manière de ranger les biens de la maison, elle pense connaître la bonne réponse et elle a hâte de le montrer : « Rispuosemi presto lieta, lieta, ma pur col viso alquanto rosato con qualche fiammolina di verecundia ». Ibid., p. 286, 1. 2772-2773.
35 Ibid., p. 279, 1. 2560-2564.
36 Ibid., p. 286-287, 1. 2782-2790.
37 «Sia certo, ella conobbe che io li dissi il vero, comprese quanto io diceva per sua utilità, intese me essere più savio di lei; però sempre mi portò grandissimo amore e molta riverenza». Ibid., p. 294,1. 3004-3007.
38 Giannozzo s'attarde assez longuement sur ce sujet et rappelle l'obligation imposée à l'épouse de rester fidèle à son mari : « – Donna mia, odimi : sopra tutto a me sarà gratissimo faccia tre cose : la prima, qui in questo letto fa’, moglie mia, mai vi desideri altro uomo che me solo, sai. – Ella arrossì e abassò gli occhi. Ancora glielo ridissi che in quella camera mia ricevesse solo me, e questa fu la prima ». Ibid., p. 272, 1. 2354-2358.
39 Sur les droits généralement accordés aux femmes et les obligations sociales auxquelles elles étaient soumises, voir : C. OPITZ, « La vita quotidiana delle donne nel tardo medioevo. (1250-1500) », in Storia delle donne, op. cit., p. 330-401.
40 Dans le Corbacdo, Boccace avait dessiné un portrait peu flatteur mais plein d'humour de la femme stupidement soucieuse d'acquérir par l'artifice la beauté qu'elle ne possède pas. La description de l'activité frénétique qu'elle déploie pour se procurer toutes sortes de cosmétiques est sans doute exagérée ; néanmoins, elle offre une intéressante indication sur la manière dont le maquillage féminin était perçu par les hommes : « La qual cosa acciò avvenisse, appresso la cura del ben mangiare e del ben bere e del vestire, sommamente a distillare a fare unzioni, a trovar sugne di diversi animali ed erbe e simili cose s'intendeva ; e, senza che la casa mia era piena di fornelli e di lambecchi e di pentolini e d'ampolle e d'alberelli e di bossoli, io non avea in Firenze speziale alcuno vicino, né in contado alcuno ortolano, che infaccendato non fosse, quale a fare ariento solimato, a purgar verderame, e a far mille lavature, e quali ad andar cavando e cercando radici selvatiche ed erbe mai più non udite nomare, se non a lei ; senza che insino a' fornaciai a cuocere guscia d'uova, gromma di vino, marzacotto, e altre mille cose nuove n'erano impicciati ». Le résultat de ce frivole affairement est le dégoût du mari qui, en embrassant sa femme, arrive a peine à retenir son envie de vomir. G. BOCCACCIO, Corbacdo, Milano, Garzanti, 1980, p. 255-256.
41 Au cours des quelques pages dans lesquelles Alberti laisse à Giannozzo le soin d'illustrer les méfaits du maquillage, le lecteur retrouve un des aspects les plus plaisants de l'écriture de notre l'auteur, qui agrémente parfois ses dialogues de quelques touches d'humour. En peu de phrases il peint des gestes, des situations quotidiennes qui engendrent le rire ou le sourire. Lorsque Giannozzo va réprimander sa femme qui a cédé à la tentation de se maquiller, le lecteur apprécie la finesse de sa démarche qui consiste à ne pas gronder son épouse devant tout le monde afin de ne pas la rabaisser en compromettant son image ou en excitant sa rancune ; mais on est surtout gagné par le comique de la situation et des mots de ce personnage : « Aspettai di riscontrarla sola, sorrisili e disseli : "Tristo a me, e come t'imbrattasti così il viso ? Forse t'abattesti a qualche padella ? Lavera'ti, che questi altri non ti dileggino. La donna madre della famiglia conviene stia netta e costumata, s'ella vuole che l'altra famiglia impari a essere costumata e modesta" ». I libri della famiglia, p. 279, 1. 2557-2562.
42 «Così stima interviene e molto più a me, perché so tu non puoi avere in animo alcuna acerbità se non di cose quali vengono solo per tuo mancamento. A te non accade se non vivendo lieta farti ubidire e procurare l'utile della nostra famiglia. Per questo mi dispiacerebbe vederti non lieta, ove io comprenderei con quello tuo attristirti confesseresti avere in qualche cosa errato». Ibid., p. 295, 1. 3048-3054.
43 « E più dissi alla donna mia, se pure in casa fusse alcuno non ubidiente, quanto alla quiete e tranquillità della famiglia s'apartiene mansueto e fedele, con lui non contendesse né gridasse, imperochè in donna simile a te, dissi io, moglie mia, onestissima e degna di riverenza, troppo pare sozzo vederla con la bocca contorta, con gli occhi turbati, gittando le mani, gridando e minacciando, ed essere sentita, biasimata e dileggiata da tutta la vicinanza, dare di sé che dire a tutte le persone », Ibid., p. 284-285, 1. 2719-2727.
44 Ce modèle exemplaire d'épouse dévouée et soumise va d'ailleurs se maintenir et s'enrichir au siècle suivant ; il sera, entre autres, repris et exalté dans bon nombre de nouvelles de Bandello. À ce propos, voir : A. FIORATO, « L'image et la condition de la femme chez Bandello », in Images de la femme dans la littérature italienne de la Renaissance. Préjugés mysogines et aspirations nouvelles, Centre de Recherche sur la Renaissance italienne, vol. VIII, Études réunies par A. RONCHON, Paris, 1980, p. 169-286.
45 Sur les vertus requises aux femmes d'après les témoignages des prédicateurs comme Jacques de Vitry, des dominicains comme Vincent de Beauvais, des franciscains comme Gilbert de Tournai ou encore des laïcs comme Francesco da Barberino, voir C. CASAGRANDE, « La donna custodita », in Storia delle donne, op. cit., p. 90-128. C. Klapisch-Zuber retrouve, illustrées dans la composition du trousseau de la mariée, les qualités et les devoirs auxquels les épouses devaient se soumettre. Le trousseau des Florentines était composé d'objets destinés au corps et à un usage personnel. Il y avait des chemises, du linge intime, chausses et mules de toute sorte ; quelques robes de fête avec différentes parures à porter, pour le prestige de la famille dans les espaces et les moments autorisés ; des objets pour la toilettes, peignes, savons, miroirs, parfums et, enfin, un véritable attirail de couturière : « C'est dire bel et bien tout le comportement attendu de l'épouse qui se doit d'être à la fois prude et soigneuse de son corps, vitrine de la réussite de son mari, gardienne vigilante et toujours occupée de la maison ». C. KLAPISCH-ZUBER, La Maison et le nom, op. cit., p. 221-222.
46 « Questa roba, questa famiglia, e i figliuoli che nasceranno sono nostri, così tuoi come miei, cosi miei come tuoi. Però qui a noi sta debito pensare non quanto ciascuno di noi ci porto, ma in che modo noi possiamo bene mantenere quello che sia dell'uno e dell'altro. Io procurerò di fuori che tu qui abbia in casa ciò che bisogni ; tu provedi nulla s'adoperi male ». I libri della famiglia, p. 272, 1. 2344-2350.
47 Ibid., p. 266,1. 2163-2172.
48 «Ma, – dissi, – sa' tu quel che noi faremo? Come chi fa la guardia la notte in sulle mura per la patria sua, se forse di loro qualcuno s'adormenta, costui non ha per male se'1 compagno lo desta a fare il debito suo quanto sia utile alla patria, io, donna mia, molto arò per bene, se tu mai vedrai in me mancamento alcuno, me n'avisi, imperochè a quello modo conoscerò, quanto l'onore nostro, l'utilità nostra e il bene de' figliuoli nostri ti sia a mente; così a te non spiacerà se io te desterò dove bisogni». Ibid., p. 272, 1. 2334-2343.
49 Ibid., p. 284, 1. 2719-2727.
50 Ibid., p. 297, 1. 3086-3095.
51 P. SALVADORI, «La gestione di un casato. Il carteggio di Lucrezia Tornabuoni dei Medici», in Donne senza uomini, Memoria, 3, 1986, p. 81-91.
52 «Tutte le mie fortune domestiche gli apersi, spiegai e mostrai. Solo e' libri e le scritture mie e de' miei passati a me piacque allora e poi sempre avere in modo rinchiuse che mai la donna le potesse non tanto leggere, ma né vedere ». I libri della famiglia, p. 269,1. 2256-2259.
53 C. KLAPISCH-ZUBER, La Maison et le nom, op. cit., p. 322 et sqq.
54 M. LENZI, Donne e Madonne, op. cit., p. 19-20. Sur la question de l'éducation des femmes, voir aussi G. BOCHI, L'educazione femminile dall'Umanesimo alla Controriforma, Bologna, 1961.
55 «E troppo mi spiacciono alcuni mariti, i quali si consigliano colle moglie, né sanno serbarsi dentro al petto secreto alcuno: pazzi che stimano in ingegno femminile stare alcuna vera prudenza o diritto consiglio, pazzi per certo se credono la moglie ne' fatti del marito più essere che marito stessi tenace e taciturna. O stolti mariti, quando cianciando con una femmina non vi ramentate che ogni cosa possono le femmine eccetto che tacere». I libri della famiglia, p. 270,1. 2287-2294.
56 En italien ancien, le mot femmina est utilisé essentiellement pour désigner le genre féminin aussi bien pour le genre humain que pour l'espèce animale, mais aussi, en tant que latinisme, la femme. Le mot donna indique la femme au sens large, mais Alberti l'utilise également comme synonyme de moglie, épouse. Bien que ce ne soit pas une règle absolue, il est assez courant que, lorsque l'auteur entend parler de la femme en termes péjoratifs, il ait le plus souvent recours au mot femmina.
57 « Precetto antiquo che la donna quale vorrà essere pregiata fuor di casa, sia sorda, muta e cieca, non veggia altro che dove ella metta i piedi, e così per casa, massime a tavola, sempre muta. Questo perché? Però che le femmine di loro natura sono inconsiderate, e raro dicono cose non degne di repreensione, ciò ch'elle odono interpretano a suo modo, e tutto voglionlo emendare, di ciò ch'elle vedono fanno istoria piena di levità, e sino insulse dicono parolacce da beffarle, e raffermano il detto suo con presunzione e arroganza degne di correzione ». De iciarchia, p. 204.
58 « Nous faut-il vraiment nous soumettre à ta domination et à ta loi, ô amour sans pitié ? Qu'il est heureux, celui qui régit sa vie dans une douce liberté ». L. B. ALBERTI, Mirzia, in Idem, Rime e versioni poetiche, a cura di G. Gorni, Milano-Napoli, Ricciardi, 1975, p. 45, vv. 19-21.
59 Le péché de luxure a été jugé de plus en plus sévèrement par les Pères de l'Église. Considéré au début comme aussi blâmable qu'un péché de gourmandise et de loin moins grave que la cupidité, il fut condamné toujours plus durement jusqu'au point de poser de véritables problèmes d'ordre théologique lorsqu’il était pris en considération dans le cadre du mariage. J. DELUMEAU, Le péché et la peur..., op. cit., p. 238 et sqq.
60 «Gli uomini erano attivi, forti, caldi e asciutti; le donne letargiche, deboli, fredde e umide». M. KING, Rinascimento al femminile, a cura di Ottavia Niccoli, Bari, Laterza, 1991 p. 56.
61 « Chez les juristes, les moralistes, les penseurs de la famille, se consolident les lieux communs présentant la femme comme un être avide et fantasque, détournant si elle le peut les héritages masculins à son profit ou à celui d'autres femmes, sans pitié pour ses enfants qu'elle abandonne dès son veuvage, inconstante dans ses fidélités familiales, un être aux attachements et à la sexualité désordonnés, insatiables, menaçant la paix et l'honneur des familles. Bref, défaisant les "maisons” qu'ont faites les hommes ». C. KLAPISCH-ZUBER, La Maison et le nom, op. cit., p. 259.
62 Pour une analyse de la misogynie d'Alberti se détachant nettement de la tradition ecclésiastique, cf. F. FURLAN, « L'idea della donna e dell'amore... », op. cit., p. 211-238.
63 Dans le De remediis utriusque fortuna, Ratio s'efforce de détourner Gaudium de la passion amoureuse considérée comme un sentiment stérile et funeste. Ainsi Ratio énumère-t-elle les effets destructifs de l’amour, d'autant plus redoutables qu'ils sont masqués par l'apparence du plaisir : « Est enim amor latens ignis, gratum vulnus, sapidum venenum, dulcis amaritudo, delectabilis morbus, iucundum supplicium, blanda mors ». F. PETRARCA, De remediis utriusque fortuna, in Prose, a cura di P. G. Ricci, E. Carrara, E. Bianchi, Milano-Napoli, Ricciardi, 1955, p. 618.
64 Une des sources auxquelles s'inspire la misogynie du Corbaccio, et plus généralement des auteurs qui, au Moyen Age, avaient écrit contre la femme, était le De nuptiis de Théophraste, disciple d'Aristote, que saint Jerôme avait inséré et commenté dans son Adversus Jovianum et qui connut une grande fortune jusqu’au XVe siècle. Cf., à ce propos, C. B. SCHMITT, « Theophrastus in the Middle Age », in Viator, II, 1971, p. 251-270. Cf. aussi F. FURLAN, « L'idea della donna e dell'amore... », op. cit., p. 222, n. 33 et p. 230, n. 57. Idem, « Pour une histoire de la famille et de l'amour à l'époque de l'humanisme », in Revue des études italiennes, n.s., XXXVI, 1990, p.89-104. Idem, « L'idea della donna nella cultura della prima metà del Quattrocento toscano », op. cit., p. 254-255.
65 D. FRIGO, «Dal caos all'ordine: sulla questione del "prender moglie" nella trattatistica del sedicesimo secolo», in II cerchio della luna, a cura di M. Zancan, Milano, Marsilio, 1983, p. 89.
66 II en fut ainsi d'Isotta Nogarola, dont l'œuvre et le savoir ne furent jamais reconnus par ses contemporains même si des humanistes comme Guarino Veronese surent la gratifier des manifestations de leur estime. Isotta choisit de se retirer de la vie publique pour se réfugier à jamais dans « una cella piena di libri ». De cette prison adoucie par la présence des livres, elle ne sortira qu'à sa mort. M. KING, « Isotta Nogarola, umanista e devota (1418-1466) », in Rinascimento al femminile, op. cit.
67 C. GRAYSON, « Una versione volgare della Dissuasio Valerii di Walter Map », in Lettere Italiane, VII, p. 3-13. Voir aussi Idem, « Nota sul testo », Dissuasio Valerii, in Leon Battista Alberti. Opere volgari, vol. II, p. 458.
68 « Qui, en effet, s'il est accaparé par l'amour, pourra s'appliquer à l'étude des lettres d'un esprit intact et ferme ? Qui, s'il a l'âme occupée par l'amour, pourra se consacrer au savoir ; qui, s'il a l'âme tournée vers l'amour, pourra se consacrer aux connaissances ; et qui, s'il a l'âme travaillée par l'amour, pourra fortifier sa mémoire ? Qui, dis-je, s’il est soumis à la violence de l’amour, aura la force de se vouer au bien avec une volonté, un entendement et un travail suffisamment constants et tenaces ? Ignorons-nous peut-être ce que l'amour a coutume de faire ? ». De commodis litterarum atque incommodis, p. 58.
69 «Tum etiam fit epularum et vini exhalationibus atque Venere ut mens evacuetur sensu, oppleatur tenebris, crassetur ingenium, perspicuitas obtundatur. Tum memorie sedes multarum suspicionum recordatione ac variis amatoriis imaginibus occupata assiduo perturbetur». Ibid., p. 58-60.
70 Sur le lien que la pensée d'Alberti entretient avec la culture platonico-chrétienne et son incidence sur l'aspect conflictuel de sa pensée, voir : P. MAROLDA, Crisi e conflitto..., op. cit..
71 « Les amants veulent, ne veulent pas, désirent, reculent, et alors même qu'ils se réjouissent, ils souffrent. Quoi qu'ils aient, quoi qu’ils fassent et quoi qu'ils attendent, tout concourt à alimenter leur peine ; ils sont tourmentés par les soupçons et, que ce soit dû au hasard ou à la circonstance, tous subissent leur sort indépendamment de leur volonté ». L. B. ALBERTI, Amator, in Opera inedita et pauca separatim impressa, op. cit., p. 2.
72 «Io amo, Filarco. Io ardo, Filarco. Io spasimo amando». Deifira, p. 227.
73 R. RINALDI, «Melancholia albertiana: dalla Deifira al Naufragus», in Letteratura Italiana, gen-marzo 1985, Firenze, Olschki, p. 45 et sqq.
74 Momus, p. 162. Dans cette œuvre, les allusions misogynes sont innombrables. La récurrence et l'extrémisme de ces attaques contre les femmes aboutissent à une sorte d'amusante caricature dont la signification se confond avec une ironie plus générale ; celle-ci n'épargne pratiquement aucun des personnages qui apparaissent dans ce texte.
75 De iciarchia, p. 202.
76 L. B. ALBERTI, Maritus, in « Alcune Intercenali inédite... »,op. cit., p. 186.
77 «Sopra tutti gli altri ricordi non voglio preterire questo: dico a te, Battista, fuggi ogni commerzio, fuggi trame e lezi di qualunque femmina. Apresso a Omero, quel sapientissimo Agamennon afferma infra' mortali essere animal veruno più scelesto che la femmina. Tutte sono pazze e piene di pulce le femmine, e da loro mai riceverai se non dispiacere e impaccio e indignazione. Vogliolose, audaci, inconstante, suspiziose, ostinate, piene di simulazione e crudelità». Profugiorum ab aerumna, p. 129.
78 Sur la datation, voir C. GRAYSON, « Nota sul testo », De Amore, in Leon Battista Alberti. Opere volgari, vol. III, p. 396-397.
79 De Amore, p. 256.
80 «Al tutto, mai vedrai in loro nulla non fitto a meraviglia e simulato in modo che questa medesima, quale tu ieri in via scontrasti si addornata e pulita, oggi in casa poco riconosceresti vedendola, com'è loro usanza, chiuso l'uscio, sedersi oziosa, col capo male pettinato, sbadigliare, grattarsi dove la chioma gli piove in qua e in là, e anche ruspare altrove; poi con quelle unghie graziose stuzzicarsi bene a drento il naso, e cominciare uno gracchiamento, che cieco gaglioffo non si truova che non perdessi con loro a gargagliare, e con suoi stracci, stoppe e panerette avere imbrattata e ingombrata le tavole, banche, deschetti e tutta la casa; e con rimbrotti gridando comandare cose nulla necessarie a qualunque li venga inanti: "Tu che non vai? Che non fai? Anzi non volesti? Non dicesti?"; e accanirsi contro chi non li portò presto il catinuzzo, non meno che se avesser morto el marito; e così con ciascuno sempre avere apparecchiata lunga materia di litigare, e garrendo assordire tutta la vicinanza; poi levarsi da sedere, lasciare quivi e colà parte delle sue masserizuole, e irne in camera con quella cioppetta piena d'infinite nuote, e si coperta dalla polvere che tu non scorgi qual sia suo primo colore; e dal lato gli pende quella bella merceria, chiavi, borsi, aghieri, coltellini, e insieme quel panicello tanto bianco e mondissimo». Ibid., p. 259-260.
81 «Adopera la femmina la fama e il nome de' suoi maggiori solo in essere troppo superba, altiera, insolente, rissosa, bestiale, e da ogni parte incomportabile. Adopera la femmina le sue laudate bellezze solo in essere quanto più che l'altre formosa, tanto più incontinente e impudica. Adopera la copia de' domestici amici e conoscenti in dare a tutti legge, noglie e molestia; adopera la fortuna e le ricchezze non in altro che in gittarle e dissiparle». Ibid., p. 260.
82 Ibid., p. 261 et p. 264.
83 « Ainsi, par son cri de désespoir, ma femme me fit précipiter dans la mort bien plus cruellement que je ne l’aurais fait naturellement ». Defunctus, p. 163.
84 Ibid., p. 245.
85 Alberti semble considérer l'amitié et l'amour comme deux sentiments absolument antinomiques. Dans l'intercenale Amores, la profonde amitié de deux jeunes hommes est tragiquement anéantie à cause de la passion obstinée et malhonnête de la femme de l'un d'entre eux. L. B. ALBERTI, Amores, in « Alcune Intercenali inedite... », op. cit.
86 « Non che l'altre, ma la moglie propria non veggo io si possa cosi amare sanza molta parte di pazzia e furore ». De iciarchia, p. 202.
87 « E vero costei, che potrebb'ella mai darti cosa degna alle tue virtù ? Non onore, non ricchezza, non fama, non grado o dignitate alcuna, quali tutte con minore fatiche molto acquisteresti, se tu a quelle tuo tempo e ingegno tanto consumassi. El tempo e la fatica indarno spesa si può chiamare gittata via ». Deifira, p. 240-241.
88 J. DELUMEAU, Le péché et la peur..., op. cit., p. 238 et sqq.
89 Profugiorum ab aerumna, p. 177 et sqq.
90 «L'amore in uno giovane non si biasima. Anzi come a' nostri corpi umani sono vaiuoli, rosolie e simili mali comuni tanto e dovuti, che quasi troverai niuno invecchiato sanza averli in sé provati, cosi pare a me sia all'animo destinata questa una infermità gravissima certo e molestissima, quale possa niuno quando che sia non sentire. E beato chi pruova le forze d'amore in étà giovinile sanza perdere le sue magnifiche imprese e ottimi principiati studi». Deifira, p. 228.
91 De iciarchia, p. 202.
92 «(...) l'esperienza poetica dell'Alberti è promossa a caso teorico insigne in un'età di desolato petrarchismo: la sfida dell'invenzione e del rinnovamento lanciata al manierismo quattrocentesco e ai suoi gregari». G. GORNI, «Introduzione» à Leon Battista Alberti, Rime e versioni poetiche, op. cit., p. X.
93 Sur l'évolution de l'image féminine dans la littérature italienne au XIVe, XVIe, XIXe et XXe siècle, voir M. ZANCAN, « La donna », in Letteratura italiana, Le Questioni, op. cit., p. 765 et sqq. Chez Alberti, le seul exemple de femme quelque peu idéalisée apparaît dans l'intercenale Naufragus. Ce texte raconte le naufrage dramatique d’une jeune fille, partie rejoindre son futur époux, et de ses deux compagnons survivants : un sauvage barbare et le narrateur lui-même. Pour une interpétation allégorique d'inspiration platonicienne de cette intercenale, lue comme le voyage tourmenté de l'âme qui se libère des chaînes du corps, nous renvoyons à R. RINALDI, « Melancholia albertiana : dalla Deifira al Naufragus », op. cit., p. 69 et sqq.
94 « Tu pur ti ridi di mie' pianti e strida,/ e pur t'agrada pur seguir durezze,/ per più avampar l'ardor che in me s'annida ». L. B. ALBERTI, Mirzia, vv. 97-99, p. 48. À propos de cette composition, G. Gorni rappelle que ce texte marque la naissance de l'élégie en vulgaire : « Il fantasioso ma rigorosissimo nominalismo albertiano fa di Mirtia ("donna del mirto", simbolo di poesia erotica) la titolare del nuovo genere elegiaco ; d'altra parte il suo cantore usurpa la tira, il plectro (158), suppellettile d'Apollo, che qui si converte, con veniale infedeltà, dal lauro al mirto : in ciò è l'invenzione di un nuovo mito quattrocentesco, lirico e umanistico insieme ». Ibid., p. 42. Sur cette élégie, cf. Idem, « Atto di nascita di un genere letterario : l'autografo dell'elegia Mirzia », in Studi di filologia italiana, XXX, p. 251-273. Par ailleurs, un autre exemple des affres de l'amour qu’endure l'amant rejeté est offert par l'exorde d'une brève ballade appartenant à ce recueil : « Ridi, s'i' piango ; ridi, falsa. Bene/ ti pare esser beata,/ se adoperi tuo sdegno in darmi pene ». L. B. Alberti Rime e versioni poetiche, vv. 1-3, p. 22.
95 Un cas à part est représenté par la frottola, Venite in danza, o gente amorosa, où Alberti s'abandonne à des descriptions féminines caricaturales. Cette compositon se détache de l'ensemble et s'inscrit, par le style et le mètre, dans un registre populaire au rythme enjoué. Ibid., p. 77.
96 «Tutte son nulla, fuorchè questa donna,/ che éclipsa el sole e fa intorbidar l'onde,/ e sol risplende il mondo ove ella alberga ;/ over, dove col bel pie' priema l'erbe,/ e fa sparir nel ciel tutte le stelle,/ sedendo a l'ombra de' ginepri e faggi ». Io miro, Amor, la terra e ifiumi e l'onde, (sextine), Ibid., vv. 7-11, p. 32.
97 «Piansi più anni i miei e gli altrui crucci,/ adorando quell'occhi, e labbra, e riso,/ onde, oimè, spesso in noi ardeo sospecto». Quegli occhi ornati di mestizia e riso, (sextine), Ibid., vv. 22-24, p. 37.
98 Ibid., p. 9.
99 Sur les questions concernant la datation et la traduction, voir C. GRAYSON, « Nota sul testo », Uxoria, in Leon Battista Alberti. Opere volgari, vol. Il, p. 450-451.
100 «E credo non ti tedierà rileggerla più d'una volta, perché la vedrai materia scritta pur faceta e iocosa e non inutile in vita a consigliarsi, e parratti, credo, trattata da me non in tutto sanza modo e degna maturità». Uxoria, p. 303-305.
101 Par ailleurs, C. Grayson a souligné les affinités existant entre l'histoire de Uxoria et la nouvelle de trois anneaux, reprise aussi par Boccace, et à laquelle Alberti a apporté sa contribution originale. C. GRAYSON, « Una intercenale inedita di Leon Battista Alberti : Uxoria », in Italia Medievale e Umanistica, vol. III, 1960, p. 291-307.
102 «Rammentavi quale a me tu moglie, femmina di natura sopra tutte l’altre importuna e contumace, di mente inconstante e lieve, d'ingegno lascivo e petulco, d'animo elato e molto superbo, rissosa, maligna, ostinata, e tale che, quando ella prima venne in casa, voi parte vi maravigliavate della sofferenza mia, parte vi movea compassione el tanto mio, quanto io per lei sofferiva, tedio». Uxoria, p. 315-317.
103 II est intéressant de remarquer l'analogie entre le récit de Mizio et celui fait par le personnage anonyme de l'intercenale Maritus. Cette analogie se trouve confirmée par certains choix textuels comme lorsque l'auteur veut souligner le côté instinctif et voué au plaisir qui caractérise le sexe féminin : « Fu adunque prudenza stimare quanto sia la femmina per sua natura prona e proclive a ogni lascivia, e conoscere quanto quasi niuna si trova si sozza che non studi e goda essere mirata : né possono le femmine non offerirsi e amare chi mostri piacerli sue bellezze e gesti ». Ibid, p. 323. Dans la version latine, le ton est encore plus dur car la femme est identifiée à un animal : « (...) natura femina leve, inconstans, atque idcirco pronum atque proclive ad omnem lasciviam animal ». Ibid., p. 322. On se souvient que dans Maritus, Alberti avait également défini la femme « Leve animal et ad voluptates prona ». Maritus, p.186.
104 « Tu avesti donna contumace, lieve, elata, rissosa ; e io il simile ebbi in coniugio femmina strana, traversa, bestiale, arrabiata ». Uxoria, p. 329.
105 P. GR1MAL, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, Paris, P.U.F., 1990, p. 107.
106 L'impératif naturel qui oblige l'homme à accepter de partager son existence avec la femme afin de faire vivre la société par la reproduction est aussi brièvemement rappelé par l'iciarca Battista : « Tornasti a casa, truovi la donna rissosa ; vincila de umanità, revocala con facilité. Compensa in te il frutto che tu aspetti da lei, che ella ti facci padre. El resto atribuiscilo alla natura loro ». De iciarchia, p. 207.
107 La femme et la passion, ainsi que le conflit qu'elles engendrent, sont subtilement analysés par F. Furlan. Cependant, nous ne partageons pas entièrement son interprétation de Uxoria qu'il considère comme un exemple supplémentaire de la misogynie albertienne. F. FURLAN, « L'idea della donna e dell'amore nella cultura tardo medievale e in Leon Battista Alberti », op. cit., p. 237.
108 Comme le fait remarquer G. Gorni ce texte, en raison de son thème et de la présence d'un personnage féminin, est à rapprocher de l'élégie intitulée Agilitta, dont Ecatonfilea serait la version en prose. Une même observation est valable pour Deifira et Corymbus. G. Gorni souligne que ces différentes versions, nées d'une même inspiration, témoignent de l'habileté d’Alberti à se confronter à toutes les possibilités expressives. G. GORNI, « Introduzione » à Leon Battista Alberti, Rime e versioni poetiche, p. XIV.
109 A titre d'exemple, on peut citer ici l'influence que Ecatonfilea aurait exercé sur La Raffaella d'Alessandro Piccolomini. Cf. M.F. PIEJUS, « Venus bifrons : le double idéal féminin dans La Raffaella d'Alessandro Piccolomini », dans Images de la femme dans la littérature italienne de la Renaissance, C.I.R.R.I., vol. VIII, Paris, Université de la Sorbonne Nouvelle, 1980, p. 130-131. Sur le sujet, voir aussi : M. AURIGEMMA, « L'Ecatonfilea, la Deifira e la tradizione rinascimentale della scienza d'amore », in Atti e Memorie dell'Arcadia, s. III, vol. V, fasc. 4,1972, p. 119-171.
110 Par ailleurs, L. Cesarini Martinelli analyse la portée symbolique que le théâtre assume dans le Momus, où le lieu de la représentation devient métaphore du monde. "Théâtre du monde" donc mais, contrairement à la tradition philosophique grecque héritée par les pères de l'Église et transmise à la culture médiévale et ensuite à la culture humaniste, la métaphore albertienne est dépourvue de signification théologique et métaphysique et se présente essentiellement comme métaphore du monde politico-social. L. CESARINI MARTINELLI, « Metafore teatrali in Leon Battista Alberti », op. cit., p. 14-25.
111 « Vorrei, ove qui il tempo bastassi, insegnarvi più e più altre cose utilissime ad amare, ma veggo già lo spettacolo preparato, e qui cominciano intrare e' travestiti e personati ». Ecatonfilea, p. 219. Le masque, auquel Alberti renvoie par les termes persona ou personatus, a souvent une valeur positive dans la mesure où il est synonyme de l'art de la simulation qui permet de fuir les « insidie » du monde. En revanche l'acteur est presque toujours porteur d'une signification négative. L. CESARINI MARTINELLI, « Metafore teatrali... », op. cit., p. 25-40.
112 PLATON, Le Banquet, traduction de E. Chambry, Paris, Flammarion, 1964, p. 62 et sqq.
113 Le choix lexical du discours de la mère souligne, par une répétition qui aboutit à un complexe jeu de mots, la place centrale accordée à l'amour : « E chi vuole parère amante, ami, ami, figliuola mia, ami chi vuole parère amante. Niuno parerà musico se non suona o canta. Così niuno può parere vero amatore ove non ami. Vuolsi mostrare d'amare quanto più puoi, e ancora viepiù amare che tu non mostri ; e così amando certo sarai amata. Mai fu amato che non amassi ». Ecatonfilea, p. 208.
114 «E benchè in voi sia ottimo ingegno e singulare prudenza a ben reggersi amando, non però dubitate, giovinette ornatissime meno di me in questo esperte, che da me udirete cose quali vi sarà gratissimo e utilissimo avermi ascoltato. (...) Pertanto, anime mie, vezzi miei, mentre che i mimmi e personaggi soprastanno a venire qui in teatro, ascoltate, quanto fate, con diligenza e molta attenzione me in questa arte ottima maestra e cupida di rendervi molto erudite, e imparerete finire i vostri amori con infinito piacere e lietissimo contentamento, sanza timore o dolervi di sinistro alcuno caso quale nello amare possa seguirvi». Ibid., p. 199-200.
115 Ecatonfilea tisse d'ailleurs un long éloge de l'âme masculine qu'elle considère plus forte, plus généreuse, plus constante que celle de la femme. Ibid., p. 216.
116 « Sempre ad amare preponete i litterati, virtuosi e modesti. Questi sono da cui riceverete amando infinito premio della vostra benivolenza e fede, e da cui arete mai a dubitare sinistro alcuno. Questi sono quelli quali fanno il nostro nome appresso de' nipoti nostri essere immortale. Questi fanno le nostre bellezze splendidissime e divine. Ancora vive Lesbia, Corinna, Cinzia, e l'altre già mille anni passati amate da quelli dotti litterati. Amate, fanciulle, adunque, i litterati virtuosi e modesti, e viverete liete, onorate in dolce e perpetuo amore ». Ibid., p. 205. Quelques lignes auparavant, Ecatonfilea avait évoqué son premier amour, « quel mio primo signore », un lettré justement, et elle avait longuement énuméré les très nobles qualités de son amant. Ibid., p. 204.
117 Ecatonfilea, p. 215. Ce n'est pas la seule fois où le récit d'un amour contrarié se termine par une telle séparation, qui entraîne l'amoureux dans un voyage vers des lieux lointains. Dans Deifira, Pallimacro avait ainsi décidé de s'exiler ; le dialogue se clôt, d'ailleurs, sur l'annonce de ce départ : « Addio, Deifira mia. Io ne vo in essilio, né so del tornare ». Deifira, p. 245.
118 « Vuolsi vincere e soperchiare d'amore e fede chi tu ami, non di sdegno ». Ecatonfilea, p. 218. Ce thème de l'incompréhension, de la femme qui affiche un dédain et une froideur qu'elle ne ressent pas, causant ainsi sa propre souffrance et celle de son amant, revient souvent chez Alberti. Un exemple se trouve aussi dans les Rime. Agilitta se plaint de l'impossibilité de partager avec Archiloco, son amoureux, une union sincère et sans équivoques : « Io con mie ingiurie l'ho fatto sdegnoso,/ che già suo ingegno sempre fa quïeto,/ facile, umano verso me, e piatoso./ E io, che’1 provo troppo mansueto,/ sciocca, mai resto, mai d'ingiuriarlo ;/ ogni sua gratia a me stessa vieto./ Dovre' io sì, s'egli ama me, amarlo/ma chi sa qui s'egli ama, o e’ mi fagge ?/anzi, me trista, che non so odïarlo ». Agilitta, vv. 103-111, p. 59.
119 «Se tu da costei te conosci essere amato, non ti storrò da questo dovuto officio di amare chi ami te». De Amore, p. 257.
120 «Ora disponetevi tanto amare quanto desiderate essere amate. Niuno incanto, niuna erba, niuna malia più si trova possente a farvi amare quanto molto amare. Amate adunque, e fidatevi di v'ama, e chi voi amate serberà a voi pari fede e amore. Deponete sospetti sdegni e gare, e così viverete, amando, felicissime e contentissime». Ecatonfilea, p. 219.
121 «Aggiugni che in amare sono altre infinité non minori dolcezze troppo maravigliose più molto che sedersi soli due in su una sponda. Ecci il motteggiare festivo; ecci scoprire suoi dolori raccontando l’antiche passate molestie; ecci il palesare ogni sospetto, emendando e con dolci accuse riprendendo l'uno l'altro, e così godere susurrando più ore, parte ridendo, parte dolce lacrimando. Niuna cosa si trova tanto soave a chi vero ami, quanto sulle gote sue e in sul petto suo sentire unité le lacrime tue con quelle di chi t'ami. (...). O felice fanciulla, o fortunata amata, o beato amore quale in quegli occhi tanto da te amati vederai insieme amore, fede, pietate e dolore!». Ibid., p. 203.
122 «Et quam multas hac una stultitia in ultimam miseriam cecidisse memini: volunt, nolunt, idque unum excruciat, quoniam quid sit quod velint nesciunt. Ea re fit, anime mi, te ceterasque pro mea erga vos pietate commonefaciam: amate, puelle, dum deus etasque vobis in ea re facilis et accomodatus est. Nam imperium quidem habet mulier, que sua facilitate et affabilitate asservare amantis gratiam et benivolentiam noverit. (...) Summas et immortales que nobis amantes posteritati mandaturi laudes sunt, versus, poemata, litteras, negligimus: rumoris et plebis fabulis, que in horam vertuntur, momento evanescunt, mirum in modum movemur». L. B. ALBERTI, Vidua, in «Alcune Intercenali inédite...», op. cit., p. 240-241.
123 G. MANCINI, Vita di Leon Battista Alberti, op. cit., p. 141.
124 G. GORNI, «Introduzione» à Leon Battista Alberti, Rime e versioni poetiche, p. XIII.
125 «Disse adunque Sofrona con voce altiera e fronte aspera, e con gli occhi, uhi!... turbati: "E tu, Battista, che stoltizia fu la tua scrivere a Paulo iurisconsulto lettere, si vituperando noi altre femmine? Indegno della grazia quale sempre avesti presso di tutte le fanciulle! E ch'è nostra colpa, se tu non sai soffrire un cruccio di chi t'ama, dove tu scrivi, chi non sa soffrirli non sa amare? Aspetta, e me guida e capo, averci tutte tue capitali inimiche» L. B. ALBERTI, Sofrona, in Idem, Opere Volgari, vol. III, p. 267-268.
126 «Ingrato fastidio di questi litterati! Ciascuno vuole essere contro le femmine satiro, come se in voi uomini fusse nulla degno di vituperazione». Ibid., p. 268-269.
127 Ibid., p. 270.
128 «Ché se così fusse a noi licito non starci sedendo solitarie in casa in ombra, ma crescere fuori in mezzo l'uso e conversazion delle persone che credi ? Oh Iddio, qual sarebbe e quanta la prudenza nostra maravigliosa e incredibile! Quanto sarebbe ogni nostro consiglio simile all'oracolo d'Apolline, poichè cosi inesperte vi soprastiamo! E ben comprendo, perché così conoscete sarebbe, però inducesti questa consuetudine di recluderci in fra e’ pareti solitari». Ibid., p. 270.
129 I libri della famiglia, p. 57-58,1. 1235-1240.
130 Ibid., p. 99-100,1. 2432-2438.
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