La signification des personnages de mulâtresses dans l’univers romanesque de Jorge Amado
p. 133-141
Texte intégral
1C’est depuis la publication de Gabriela, Cravo e Canela, en 1958, que Jorge Amado la femme de couleur dans ses romans. Certes les femmes privilégie ne sont pas absentes de la première phase de sa production littéraire, et certes il ne s’est pas privé de démontrer, alors qu’il était un marxiste convaincu, que, parmi les exploités et les damnés de la terre, la femme l’est plus que l’homme. Mais la femme de couleur n’occupait pas encore une place privilégiée sous la plume de l’écrivain.
2Jorge Amado subordonnait la question de races à la question de classes, comme le soulignait Gregory Rabassa en 19541 questions qu’il pensait pouvoir se résoudre avec l’avènement du communisme. Or, en 1956, lors de la déstalinisation et l’entrée des chars soviétiques dans Budapest2, Jorge Amado reçoit un véritable coup sur la tête, comme en témoigne Pablo Neruda dans J’avoue que j’ai vécu3, et il revoit ses positions politiques ; il pense désormais la lutte en termes brésiliens, prenant en compte la réalité sociale de son pays, et surtout de sa région, l’État de Bahia. Il ne s’agit plus de proposer au Brésil une solution politique et sociale inspirée de cultures et de pays étrangers, mais d’imaginer une société brésilienne qui tienne compte de ses propres réalités. Le romancier décrit alors la lutte quotidienne du petit peuple pour sa survie, et propose un nouveau schéma de société, fondé sur la miscégénation4, qui n’existe nulle part ailleurs. C’est dans son roman à thèse Tenda dos Milagres5, publié en 1969, qu’il exposera très clairement les théories6, qu’il ne cessera de réaffirmer7. Il s’attache dès lors à construire ses personnages, qui cessent apparemment d’être des types sociaux pour acquérir une psychologie propre. Il privilégie dorénavant ses personnages féminins et donne à plusieurs de ses romans des noms de femmes : Gabriela8, Dona Flor9, Tereza Batista10°, Tieta11.
3Et on s’aperçoit alors que la femme de couleur chez Jorge Amado n’est pas noire, ni indienne, mais mulâtresse, car elle est le symbole de la fusion de l’Afrique et de l’Europe qui se sont rencontrées au Brésil pour fonder une culture originale.
4Pourtant, au regard de l’Histoire, la mulâtresse est le fruit du péché, le résultat des amours clandestines entre les esclaves noires et les maîtres blancs qui succombaient aux charmes des belles Africaines, quand ils ne les violaient pas, voyant en elles un bon moyen d’augmenter leur cheptel de captifs. Rarement les enfants issus de telles unions étaient reconnus par leurs pères, et les mulâtres furent dans un premier temps rejetés par les deux communautés, noire et blanche, l’une voyant en eux le résultat de leur soumission forcée et l’autre la conséquence du péché commis12. De ce fait, il fut bien difficile aux métis de conquérir une dignité. Et bien plus difficile encore pour les femmes, qui souvent n’avaient d’autre solution pour parvenir à une ascension sociale que de se servir des charmes dont les avait dotées la nature : il suffit, encore aujourd’hui, de se référer aux stéréotypes sur le Brésil pour constater que les mulâtresses sont considérées comme des êtres sensuels13 qui régnent sur le carnaval... et sur les fantasmes masculins14.
5Mais, pour Jorge Amado, elles sont le point de départ d’une culture nouvelle et originale. C’est par elles que devra passer désormais la construction sociale du Brésil. Et le romancier les pare de toutes les qualités : toutes sont très belles et possèdent des forces de vie extraordinaires15 qui leur ont permis de survivre dans un monde régi par l’idéologie blanche et judéo-chrétienne. Toutes sont d’une grande générosité et d’une bonté, voire d’un altruisme, qui mènent quelquefois jusqu’à l’abnégationl16 Toutes sont bien évidemment originaires du petit peuple que l’écrivain veut défendre.
6Cependant, Jorge Amado cède aux stéréotypes, voire abonde en leur sens : ses mulâtresses sont des êtres sensuels, souvent incapables de fidélité, y compris Dona Flor qui trompe en fantasme son deuxième mari avec le premier. Leur parcours passe très souvent par la prostitution, ce qui ne sert apparemment pas le sens que l'écrivain veut leur donner. Triste réalité décrite par un écrivain aux prises avec ses contradictions ? Les mulâtresses sont-elles victimes de l’idéologie dominante ? Une nouvelle idéologie s’appuie-t-elle sur d’autres valeurs ?
7De plus, les mulâtresses, choisies par Jorge Amado pour fonder une société nouvelle, semblent incapables de se marier ou de le rester, et, jusqu’à Bernarda, dans Tocaia Grande17, d’avoir des enfants, en contradiction avec toutes les données démographiques du Brésil. Elles ne semblent pas capables de reproduire la société que Jorge Amado veut fonder. Pourtant, de Gabriela à Bernarda, Jorge Amado tente de trouver une place à la femme de couleur dans la société brésilienne, car elle en est le moteur. Le parcours est long et difficile, inconscient chez le romancier, et il reprend et analyse toutes les places qu’a occupées la mulâtresse dans la société brésilienne, depuis qu’elle est apparue jusqu’à ce que le romancier lui trouve un statut.
8Il faut donc se livrer à une interprétation symbolique des personnages de mulâtresses pour découvrir la quête à laquelle se livre Jorge Amado, et voir dans ses romans autre chose que de simples histoires racontées avec talent et humour.
9Cela commence avec Gabriela, qui arrive du sertão comme retirante, et n’a aucune identité. Ses parents sont morts, comme sont morts les premiers « colonisateurs18 » qui sont à l’origine de la fusion des races : un père blanc, et une mère esclave noire. Gabriela suscite la concupiscence de Nacib, qui l’épouse. Mais elle ne connaît pas les règles du monde occidental qui sont encore en vigueur dans le Brésil de 1925... et d’aujourd’hui. Elle est avant tout un être libre, de cette liberté gagnée au bout de trois siècles d’esclavage des Noirs19 et qui est son seul bien propre, dont elle veut jouir sans entrave, sans souci de « s’établir » dans la vie et sans recherche de profit. Et elle exerce sa liberté (et sa créativité) dans tous les domaines, y compris dans le domaine sexuel. Elle n’a donc aucune notion de péché, valeur occidentale, blanche et chrétienne, lorsqu’elle trompe Nacib. Néanmoins, ces valeurs étant les valeurs dominantes, Gabriela ne peut rester l’épouse de Nacib, et son mariage est annulé pour dol20, à une époque où le divorce n’existe pas encore au Brésil. Cette usurpation d’identité est hautement symbolique : c’est l’absence de légitimité de la femme de couleur, née souvent, comme on l’a dit, du péché ou des abus sexuels.
10Pourtant, dans un premier temps, ce mariage se fait au mépris des conventions sociales qui veulent qu’on épouse une femme pour sa dot : Gabriela ne possède rien. Son union avec Nacib représente certes une ascension sociale, mais la jeune mulâtresse ne peut, du point de vue symbolique, en tant que représentante d’un monde nouveau et à construire, adopter les valeurs du monde issu de l’oppresseur qui impliquent pour elle des contraintes et une autre forme de soumission à l’idéologie dominante.
11Jorge Amado doit donc trouver une autre voie pour ses personnages de mulâtresses et poursuit sa recherche. Avec Dondoca dans Le Vieux Marin21 il change de cap et fait de la mulâtresse une concubine dépendante de l’homme qui l’entretient, et sans aucun statut social, comme on l’a vu plus haut. Cette place ne peut être la bonne : c’est celle que le monde blanc donne à la mulâtresse. Même si c’est elle qui dirige les affaires locales, elle reste dans la clandestinité et la marginalité d’un faux établissement, qui se termine souvent dans l’opprobre22.
12Le tâtonnement de Jorge Amado continue avec trois femmes de couleur dans son roman suivant, Os Pastores da Noite23. Chacune de ces femmes (Tibéria, Marialva et Otâlia) représente une image de la femme de couleur.
13Avec Tibéria, Jorge Amado dresse un bilan : une image qui a vécu, celle de la femme de couleur prostituée et reine de carnaval, qui a frayé avec l’Église en épousant un tailleur de soutanes, autant de stéréotypes dont on a bien du mal à se débarrasser. Certes Tibéria a su tirer son épingle du jeu mais elle est restée en marge de la société ; elle ne peut servir de modèle pour un monde à construire.
14Marialva, quant à elle, est une meneuse d’hommes. De la même façon qu’elle a détruit par la perversité son mari et ses amants, elle compte bien soumettre Cabo Martim, sa dernière conquête mais aussi la coqueluche des femmes de Salvador, à ses désirs et à sa volonté. Marialva échoue dans ses entreprises qui l’obligent à mentir et à feindre. Pour Jorge Amado, non seulement Marialva ne correspond pas à l’image de douceur et de bonté dont il veut parer la femme de couleur, mais encore on ne construit pas un monde nouveau en inversant les rôles, à savoir en remplaçant une oppression par une autre. Victime des hommes, la femme, et surtout celle de couleur, ne peut à son tour commander comme n’importe quel macho pour diriger le monde à sa façon, et céder à un féminisme de mauvais aloi. Jorge Amado, ne sachant qu’en faire, la renvoie dans la prostitution.
15La vraie tentative de construction d’un monde nouveau se fait avec Otália. Tout d’abord, Jorge Amado étudie comment la femme de couleur a pu en arriver à l’absence de statut et de reconnaissance dont elle est victime : Otália a été abusée par la classe dominante, en l’occurrence le fils du juge de Bonfim, et par les préjugés que celle-ci véhicule. Poussée par le machisme du monde de l’oppresseur, elle sombre dans la prostitution, comme beaucoup d’autres avant elles. Mais elle garde une âme pure et ne songe qu’à se marier et avoir des enfants, selon le seul modèle en vigueur. Jorge Amado la fait mourir le jour de ses noces avec Cabo Martim, pour ne pas retomber dans le piège qu’il s’était tendu à lui-même avec Gabriela. Que serait devenue Otália dans le mariage ? Comment aurait-elle supporté le machisme de Martim24 ? Aurait-elle supporté les valeurs du monde blanc, chrétien et occidental ? En fermant Os Pastores da Noite, on s’aperçoit que Jorge Amado tâtonne toujours et n’aboutit pas dans sa quête.
16Il remet donc son œuvre en chantier, crée le personnage de Dona Flor et livre le fruit de ses recherches à propos de la mulâtresse mariée. Et il lui faut la marier deux fois pour s’apercevoir à nouveau que la solution ne convient pas. La première fois, Dona Flor épouse Vadinho, le vagabond des rues et des bars de Salvador, qui sait satisfaire sa sensualité mais la rend profondément malheureuse dans son statut social. La deuxième fois, le pharmacien Teodoro Madureira est irréprochable dans son statut social et dans son comportement, mais dramatiquement conventionnel, au point que Dona Flor s’étiole dans ce mariage sans frivolité. Ainsi donc, la mulâtresse n’est décidément pas faite pour le mariage, quel qu’il soit. De plus, avec Dona Flor, Jorge Amado aborde non seulement le problème social, mais aussi le problème psychologique de la mulâtresse : elle ne trouvera son identité que lorsqu’elle acceptera (voire décidera) d’être la fusion totale des races. Elle ne peut adopter la totalité de ses racines noires car elles portent les marques de l’esclavage et d’une sensualité condamnée par les valeurs morales. Elle ne peut cependant les renier, ni adopter non plus entièrement ses origines blanches. Si Vadinho lui donne le plaisir de la vie et Teodoro la dignité, aucun ne peut prendre le pas sur l’autre : la mulâtresse doit trouver un équilibre pour construire sa véritable identité.
17À ce point de sa réflexion, Jorge Amado crée à nouveau trois personnages de femmes de couleur dans Tenda dos Milagres. Rosa de Oxalá, noire, a mis au monde une fille illégitime, Miminha, qui pour la première fois est reconnue non seulement par son père, un riche Blanc, mais acceptée par l’épouse de celui-ci. Elle n’est donc pas couverte d’opprobre et est présentée non comme le fruit du péché mais comme celui de l’amour25. La seule ombre au tableau est que sa mère a dû s’effacer pour lui permettre d’obtenir sa place. La jeune Miminha épouse plus blanc qu’elle, et de cette union naît la petite Rosa Alcântara Lavigne qui, intellectuelle, étudiante en médecine, partira à la recherche de ses racines noires. Solution intellectuelle, solution du blanchissement de la race, qui n’est pas celle qu’affronte le petit peuple de Bahia dans sa vie quotidienne et dans sa lutte pour survivre.
18Et vient le personnage de Tereza Batista avec qui Jorge Amado étudie une fois de plus le parcours de la mulâtresse, depuis qu’elle est née jusqu’à nos jours. Tereza Batista passe par toutes les situations de la femme de couleur au long de l’Histoire brésilienne ; le parcours de sa vie est hautement symbolique : de parents décédés, comme Gabriela, Tereza est tout d’abord vendue par ses oncle et tante adoptifs à Justiniano Duarte da Rosa qui l’utilise comme esclave et comme objet sexuel. Une fois « l’esclavagiste » tué, Tereza devient prostituée pour survivre, et non par volonté délibérée, victime du monde dominant, selon le même procédé qui avait jeté Otália, et bien d’autres, sur la même voie. Elle jouit d’une relative ascension sociale en devenant danseuse de samba dans un cabaret, puis maîtresse en titre du riche et puissant Emiliano Guedes, sans jamais toutefois sortir de la marginalité et d’une situation précaire : la famille d’Emiliano Guedes la jette à la rue lorsque celui-ci meurt. Ainsi, si son niveau de vie est un temps meilleur, elle n’a jamais aucun statut, bien que ses qualités de bonté et de générosité soient indéniables... Et de nouveau Jorge Amado se retrouve devant le même problème : il la sauve in extremis du mariage avec le boulanger Almério das Neves, mais Tereza se mariera-t-elle avec l’homme de sa vie, le marin Januário Gereba ? Le roman s’achève sur cette question à laquelle le romancier ne répond pas : il ne cesse en fait de buter sur le même problème.
19Avec Tieta, Jorge Amado, qui décidément ne peut insérer ses mulâtresses dans l’étroitesse d’un monde aux valeurs sociales et morales blanches judéo-chrétiennes, replace son personnage dans la prostitution, non plus cette fois comme victime mais dans le cadre d’un destin librement choisi26. Le personnage mène alors rondement ses affaires au point de devenir la lumière du monde, ou tout au moins d’Agreste. Jorge Amado n’y va pas de main morte. Même si le personnage est haut en couleur, il reste condamné par la société « établie » et donc marginalisé. Tieta ne peut toujours agir et mener son destin qu’en sous-main : malgré son pouvoir, elle dissimule sa fausse respectabilité sous les traits d’un faux mariage avec le Comendador Felipe. À force de chercher, Jorge Amado finit par faire reculer son personnage de mulâtresse, tant du point de vue sociologique que psychologique : non seulement Tieta ne dépasse jamais le stade de la prostitution, fût-elle de luxe et fût-elle source de pouvoir, mais de plus elle ne parvient jamais à rencontrer l’amour27. Certes le peuple lui voue une véritable dévotion, puisqu’une rue d’Agreste portera son nom, mais elle n’exerce son pouvoir qu’en étant prostituée et ne s’enrichit qu’en étant maquerelle, c’est-à-dire en exploitant les autres femmes.
20La solution vient enfin avec Bernarda, dans Tocaia Grande. Mais cette fois Jorge Amado ne se contente pas de créer un personnage de mulâtresse et de l’insérer dans une société existante. Il se livre à l’acte simultané de création de personnage et de création de société, en situant son roman à une époque et en un lieu où tout était possible : la fin du xixe siècle et le début du xxe correspondent aux années qui ont suivi l’abolition de l’esclavage et à la possibilité qu’aurait eue le Brésil de s’orienter vers un projet de société nouveau ; les terres vierges du cacao constituent un espace encore inoccupé par l’homme, une espèce de paradis sur terre, comme le souligne le personnage de Fadul Abdala28, où les valeurs pouvaient être tout autres29.
21Bernarda est donc placée dans une société en formation, dans la réalité comme dans le roman, et Jorge Amado en profite pour considérer la miscégénation non plus comme héritage historique mais comme fondement. Bernarda est certes une prostituée qui de surcroît a été abusée par son propre père, mais elle pratique son métier avec le plus grand respect de la population, puisque la prostitution est valorisée dans le roman au point d’être un facteur de peuplement. Sa congénère Coroca est même l’accoucheuse patentée de la localité. Mais surtout, la profession de Bernarda ne l’empêche pas d’avoir une vie amoureuse avec le capitaine Natârio et d’être acceptée par l’épouse de celui-ci. Jorge Amado crée donc une société libre de tous les préjugés judéo-chrétiens, où seules comptent les qualités humaines de tout un chacun. Dès lors, la mulâtresse peut procréer, pour reproduire cette société qui n’a plus rien à voir avec celle héritée de la colonisation et de l’esclavage, et à laquelle chacun contribue avec ce qu’il a de meilleur en le mettant au service des autres.
22Jorge Amado remplace donc l’utopie marxiste par l’utopie de la miscégénation30, dans laquelle les personnages de mulâtresses ont un rôle fondamental. Et comme la réalité brésilienne n’a pas encore rattrapé cette utopie, le roman finit dans un carnage : les représentants de l’Église, alliés aux représentants des propriétaires terriens, ordonnent la fin de cette société nouvelle, avant qu’elle n’ait pu grandir et porter préjudice à la caste des dominateurs issus de la société esclavagiste et colonisatrice, et à leurs schémas sociaux et à leurs intérêts économiques.
23Pourtant, au jour le jour, et malgré l’idéologie dominante qui fait qu’on aimerait toujours se marier avec plus blanc que soi, la miscégénation croît au Brésil, faisant de Jorge Amado un visionnaire. Ses romans, lus au premier degré, présentent des personnages de mulâtresses correspondant à l’image de sensualité et de vénalité encore largement en vigueur au Brésil, et lui ont valu bien des critiques négatives de la part de ceux qui ne comprenaient pas pourquoi ce conteur d’histoires osait se prétendre le défenseur du peuple. Lus au niveau symbolique, les mêmes romans témoignent d’une quête sans cesse remise sur le métier pour un projet de société dont la mulâtresse est le pivot.
Notes de bas de page
1 « Dans les romans de Jorge Amado, le problème de race est subordonné au problème de classes, et bien qu’il y ait beaucoup de Noirs, ils sont opprimés plus par leur pauvreté que par leur origine. » (« Nos romances de Jorge Amado, o problema de raça esta subordinado ao problema de classes, e ainda que haja muitos negros, eles são oprimidos mais por sua pobreza do que por sua origem. ») Gregory Rabassa, O Negro na Ficção Brasileira, Rio de Janeiro, 1965 [1954], p. 439 (trad. de l’auteur).
2 Le Vingtième Congrès du parti communiste soviétique a lieu en février 1956, et l’entrée des chars soviétiques dans Budapest le 1er novembre.
3 Pablo Neruda, J'avoue que j’ai vécu (Confieso que hé vivido, 1974), Paris, Folio Gallimard, 1987 [1975 pour la première édition française].
4 Miscégénation : métissage non seulement racial, mais aussi culturel, englobant tous les aspects civilisationnels : art, religion, cuisine, etc.
5 Jorge Amado, Tenda dos Milagres [1969], 3e éd. portugaise, Lisbonne, Europa-América, 1975.
6 Notamment en faisant déclarer à Pedro Archanjo, le personnage principal et sans doute le double du romancier : « Plus on est mélangé mieux c’est » (« Quanto mais misturado melhor »), (op. cit., p. 39), ou encore : « La face du peuple brésilien est métisse, et métisse est sa culture » (« É mestiça a face do povo brasileiro e é mestiça a sua cultura ») (op. cit., p. 151) (trad. de l’auteur).
7 On peut citer, entre autres, cette phrase tirée de Tereza Batista : « ... ici se sont mélangées toutes les nations pour former la nation brésilienne », (« aqui se misturou tudo que é nação para formar a nação brasileira. ») Jorge Amado, Tereza Batista Cansada de Guerra [1972], 1re éd. portugaise, Lisbonne, Europa-América, 1975, p. 55 (trad. de l'auteur).
8 Jorge Amado, Gabriela, Cravo e Canela [1958], 9e éd. portugaise, Lisbonne, Europa-América, 1974.
9 Jorge Amado, Dona Flor e seus Dois Maridos [1966], 5e éd. portugaise, Lisbonne, Europa-América, 1977.
10 Jorge Amado, Tereza Batista Cansada de Guerra, op. cit.
11 Jorge Amado, Tieta do Agreste, Rio de Janeiro, Record, 1977.
12 « Le statut social des mulâtres était loin d’être paradisiaque. Du fait de la double souillure de l’esclavage et de l’illégitimité, les pardos étaient soumis à différentes formes de discrimination sociale qui n’étaient d’ailleurs pas toutes autorisées par la loi. » Magnus Monter, Le Métissage dans l’histoire de l'Amérique Latine, Paris, 1971 [1967], p. 65.
13 « Nul respect par conséquent pour la femme de couleur. Pauvre, elle n’est propriétaire que de son sexe ; à elle de savoir spéculer sur ses charmes : dans la seule bourse des valeurs qui lui soit ouverte, mais où, si elle peut trouver un amant, elle trouvera difficilement un mari. Il y a donc bien possibilité d’une certaine ascension sociale, mais au détriment de la moralité. » Roger Bastide, La Femme de couleur en Amérique Latine, Paris, Anthropos, 1974, p. 30.
14 « ... l’image de la beauté idéale de la mulâtresse, du charme sexuel de la « brunette » (a morena) a sa contrepartie, qui nous a toujours si violemment indigné, c’est qu’elle est considérée comme une prostituée en puissance : il suffit qu’une jolie mulâtresse se promène pour qu’elle soit aussitôt suivie par des hommes, qu’elle se voie faire des propositions malhonnêtes. » Roger Bastide, op. cit., p. 30.
15 Ces forces de vie se manifestent dans les forces de l’éros, qu’on oppose à celles du thanatos : on retiendra les talents culinaires de Gabriela et de Dona Flor, la gourmandise de Tieta, mais aussi la danse, le rire, le sens de la fête, le pouvoir de vaincre l’adversité.
16 On se souviendra entre autres de Gabriela courant chez le colonel Bastos pour sauver son ami Fagundes qui a été blessé au cours d’un règlement de comptes politiques, de Tereza Batista se dévouant et risquant sa propre vie lors de l’épidémie de variole qui sévit dans la localité de Buquim, ou encore de Tieta sauvant la vieille Miquelina de l’incendie de sa maison, elle aussi au péril de sa propre vie.
17 Jorge Amado, Tocaia Grande : a face obscura, Rio de Janeiro, Editora Record, 1984.
18 On entendra ici par « colonisateurs » les gens qui ont changé de continent pour aller vivre au Brésil. Les Noirs étaient des « colonisateurs » bien involontaires, tandis que les Blancs étaient ce que l’on entend généralement par ce mot : ils allaient occuper et exploiter l’autre pays, tenter la fortune outre-Atlantique et y devenir dominants.
19 En 1925, époque à laquelle Jorge Amado situe Gabriela, Cravo e Canela, l’esclavage est aboli depuis trente-sept ans, c’est-à-dire un peu plus d’une génération humaine.
20 dol : usurpation d’identité.
21 Jorge Amado, A Completa Verdade sobre as Discutidas Aventuras do Comandante Vasco Moscoso de Aragão, Capitão de Longo Curso, in Os Velhos Marinheiros [1961], 5e éd. portugaise, Lisbonne, Europa-América, 1972.
22 C’est déjà le cas avec le personnage de Gloria, dans Gabriela, Cravo e Canela : maîtresse-concubine en titre du « colonel » Coriolano Ribeiro, elle est répudiée par celui-ci lorsqu’elle tombe amoureuse du professeur Josué. Ce sera encore le cas avec Tereza Batista, qui sera jetée dehors par la famille d’Emiliano Guedes (voir plus loin).
23 Jorge Amado, Os Pastores da Noite [1964], 2e éd. portugaise, Lisbonne, Europa-América, 1971.
24 Même si Martim est un homme de couleur, il a hérité des valeurs qui régissent la société dans laquelle il vit, et notamment des préjugés à propos des femmes. II est profondément machiste, et c’est un coureur de jupons impénitent.
25 « Ses premières filles étaient chéries parce qu’elles étaient nées de son sang. Celle-ci, plus que toutes bien aimée, était née de son sang et de l’amour. » (« As primeiras filhas eram queridas porque nasceram de seu sangue. Essa de agora, mais que todas bem-amada, nascera-lhe do sangue e do amor. ») Jorge Amado, Tenda dos Milagres, op. cit., p. 248 (trad. de l’auteur).
26 « Je me suis dit : je peux être putain, mais de haute volée. » (« Disse para mim mesma : puta posso ser mas de alto bordo. ») Jorge Amado, Tieta do Agreste, op. cit., p. 142 (trad. de l’auteur).
27 « Elle avait appris à ne pas perdre la tête, à ne pas permettre qu’un béguin, si fort et exaltant soit-il, lui cause du tort. » (« Aprendera a não perder a cabeça. a não permitir que xodó por mais forte e exaltante lhe cause prejuizo. ») Jorge Amado, Tieta do Agreste, op. cit., p. 216 (trad. de l’auteur).
28 « La nourriture abondait, gibier et fruits à satiété, des jaques odorantes, l’eau pure coulait des sources, le paradis. » (« Sobrava comida, fartura de caças e de frutas, jacas olorosas, a água pura descia das nascentes, o paraíso. ») Jorge Amado, Tocaia Grande, op. cit., p. 16 (trad. de l’auteur).
29 La terre, en effet, était à conquérir : elle n’était plus le patrimoine des grandes familles qui la recevaient en héritage depuis des générations. Malgré les luttes terribles qui opposèrent certains défricheurs, et que Jorge Amado a décrites dans Terras do Sem Fini (Livraria Martins, São Paulo 1943), certains des nouveaux « colonels » pouvaient être de couleur, comme le « colonel » Robustiano de Araújo de Tocaia Grande.
30 La localité de Tocaia Grande est bien une utopie au sens de l’œuvre de Thomas More : c’est une « île » au milieu des plantations de cacao, terres vierges au départ, où se construit peu à peu une société en fonction des besoins collectifs et des compétences de chacun. Les règles y sont édictées dans le respect de tous et les chefs tiennent leur autorité de leur valeur, reconnue par tous, et non de leur argent, ni du droit divin, ni de l’hérédité.
Auteur
Maître de conférences à l’université Stendhal – Grenoble 3 ou elle enseigne la littérature et la civilisation brésiliennes. Elle est l’auteur d’une thèse de doctorat sur les personnages féminins dans l’œuvre romanesque de Jorge Amado.
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Jorge Amado
Lectures et dialogues autour d'une œuvre
Rita Olivieri-Godet et Jacqueline Penjon (dir.)
2005