Douleurs fins de siècles (XVIIIe et XIXe)
p. 39-72
Texte intégral
1Nous convenons à l’avance qu’il y a quelque absurdité, d’un point de vue historiographique, à vouloir comparer deux attitudes collectives et deux types d’impressions – ici, celle de douleur – rapportées à deux époques (en gros, deux décennies) éloignées d’un siècle1, alors que la situation du pays de référence (l’Espagne) s’est, à l’évidence, modifiée considérablement, dans la plupart des domaines. A la fin du XVIIIe siècle et, plus précisément, durant les années 1790-1800, le mélange fait de douleur, de mécontentement et de crainte peut être attribué, pour l’essentiel, à l’impopularité du gouvernement de Manuel Godoy2, à la menace de révolution que la France fait peser à partir de 1791 et à la guerre franco-espagnole (1793-1795) qui, vers la fin, tourne à la déroute pour l’armée de Charles IV. Au cours de la dernière décennie du XIXe siècle, le même amalgame (douleur, mécontentement et crainte) peut trouver une explication différente dans la faillite du libéralisme, dans le danger dont sont porteuses des doctrines qui menacent l’unité nationale (les régionalismes à tendance séparatiste) ou l’ordre social (l’anarchisme, le socialisme collectiviste...) et, pour comble, dans une guerre coloniale qui débouche sur une guerre internationale, conclue sur une déroute affligeante, en 1898. Il doit demeurer entendu qu’il ne s’agit pas, ici, de comparer deux situations (de crise) ou deux évolutions (déclin), mais d’étudier la manière dont des écrivains espagnols, parlant d’eux-mêmes, mais surtout se faisant les porte-parole d’une partie de leurs compatriotes, réagissent devant une réalité nationale qui les désole3.
2On tentera de faire abstraction de deux types de douleurs qui, constamment, menacent de brouiller le panorama : les douleurs strictement individuelles, circonstancielles, apparemment sans rapport avec le contexte national. On sera conduit à exclure ainsi les douleurs engendrées par les blessures personnelles affectant le coeur et l’âme. Mais, justement, à comparer les fins du XVIIIe et du XIXe siècles, on dirait – hélas, les statistiques font défaut – que les pathologies psychiques sont devenues plus courantes en l’espace d’un siècle. La raison en est peut-être, tout simplement, que les écrivains de 1890-1900 n’hésitent pas, ou se croient autorisés, à dévoiler leur tendance dépressive ou leurs souffrances intimes, comme le faisaient les écrivains romantiques. On ne conçoit pas, en revanche, qu’un sujet de Charles IV puisse écrire, froidement et sans retenue, comme Pío Baroja, au milieu du XXe siècle : « Cualquier dolor pequeño me aploma y me perturba. He luchado como he podido con esa tendencia deprimente y melancólica »4.
3On se bornera, ici, à noter une première grande différence entre les deux « douleurs fins de siècles » : les motifs de « douleur(s) nationale(s) » relevés par les Ilustrados sous le règne de Charles IV sont analysés et livrés au public par des individus sains d’esprit et de corps, non affectés par quelque pathologie disqualifiante, alors que les motifs de « douleur(s) nationale(s) », autour de 1898, sont exposés par des écrivains (le futur suicidé Ganivet, Baroja et « Azorín »)5 et par des personnages de fiction (par exemple, le Fernando Ossorio de Camino de perfección) qui, parfois, se situent sur les marges de la (conventionnelle) normalité psychique.
Deux guerres comme sources de douleurs
4En raison du black-out sur les informations journalistiques, imposé par le gouvernement de Charles IV, à partir du moment où éclatent des troubles révolutionnaires en France, les Espagnols ne ressentent une douleur collective qu’à compter de la date où est annoncée dans la Gaceta de Madrid l’exécution de Louis XVI et de Marie-Antoinette, bientôt suivie de la déclaration de guerre à la Convention. Désormais, et en opposition avec les manifestations d’un enthousiasme prétendu unanime dont fait état Godoy dans ses Mémoires et qu’illustrent des proclamations et des poésies6, des textes divers montrent que la douleur des Espagnols se rapporte à deux réalités, l’une militaire, l’autre idéologique.
5On dira de la première qu’elle est classique, non spécifique, intemporelle et prévisible. Elle naît de l’annonce des défaites, retraites, dévastations, morts et autres calamités. Ainsi, le Diario de Valencia publie-t-il un texte anonyme exprimant « el justísimo dolor que ha causado la inesperada y fatal pérdida de las Plazas de Fuenterrabía y San Sebastián »7. De son côté, le Semanario Erudito y Curioso de Salamanca joue, à des fins de propagande mobilisatrice, sur deux registres, faisant alterner le récit exaltant d’actes héroïques et la description, terrifiante ou bouleversante, des atrocités commises par des ennemis voués à l’exécration :
Testigo de esto son los lugares de San Lorenzo de la Muga, Tetradas, y demás vecinos que lloran la muerte de sus hijos, la desgracia de sus mujeres e hijas doncellas entregadas al furor de aquellos bárbaros en presencia de sus padres y maridos, públicamente quemadas las imágenes santas, destruidas sus casas, empleados sus templos en caballerizas [...]8.
6La finalité de ces récits saturés de douleurs est fondamentalement similaire à celle des discours religieux – sermons, prières, exhortations – qui, eux aussi, sont autant d’appels à la résistance et au combat9. Comme le proclame, en 1794, Gonzalo del Castillo, dans son « Oración exhortatoria [...] », il s’agit de « convertir desde aquí el dolor en fervoroso celo », c’est-à-dire de la rendre utile à la Nation qui, à son tour, saura pleurer ses héros, s’ils succombent : « Toda la Nación derramaría sus lágrimas sobre vuestras cenizas y se ennoblecerían vuestros sepulcros »10.
7Parce qu’on ne sache pas que, au cours des décennies antérieures, les Espagnols aient eu, collectivement, des raisons de se dire meurtris ou accablés, on dira que l’année 1794 – comparable en cela à 1898 – est exceptionnelle, en cela qu’elle invite le peuple espagnol à donner libre cours à l’expression de la douleur. González del Castillo écrit :
[...] Miraba yo [...] compungirse vuestros semblantes, humedecerse vuestros párpados, y atónitos de dolor clavar los ojos en el Cielo, implorando con muchas expresiones las divinas misericordias. Pero ahora que ha llegado a lo sumo la perfidia [...] ¿serán acaso oportunas aquellas tiernas lágrimas, aquellos ardientes suspiros, aquellas vanas exclamaciones? De ninguna manera. Demasiado vuestro carácter bondadoso se ha exhalado en afectos de compasión y humanidad. Ya es tiempo, sí, ya es tiempo de que despierte en vuestros pechos aquella intrepidez y constancia que han respetado las Naciones y que han hecho célebre vuestro nombre en las historias11.
8En somme, Gonzalo del Castillo altère la hiérarchie, traditionnelle et orthodoxe, des douleurs : la douleur, d’essence chrétienne, née de la compassion, c’est-à-dire épousant la souffrance d’autrui, doit s’effacer devant la douleur personnellement ressentie, certes identique à celle qu’éprouvent les autres (les compatriotes), mais douleur qui ne pourra être guérie que par le bonheur, d’essence non chrétienne, tiré de la vengeance accomplie.
9Cette utilisation ou – si l’on préfère – ce détournement de la douleur collective à des fins politico-patriotiques est, naturellement, plus spécifique du moment – et donc, à nos yeux, plus intéressante – que ces compositions poétiques, plus classiques et plus conventionnelles, dans lesquelles, par exemple, le conde de Noroña se livre à une « Imprecación contra la guerra » ou Juan Pablo Forner, dans « El año de 1793 », s’émeut au spectacle de la guerre qui, de tous côtés, étend ses ravages : « La tierra en sangre y en sudor bañada [...], la cosecha de la tierra son cadáveres [...] ». Et, du reste, la guerre n’est pas, pour ies deux poètes, le fléau absolu, l’égarement collectif à éviter à tout prix, puisque son dénouement heureux peut être chanté, et oubliée la souffrance qu’elle a provoquée ; d’où la composition « A la paz entre España y Francia – Año de 1795 » (Noroña) et « La paz – Canto heroico » (Forner)12.
10Comme il a été démontré en plusieurs autres occasions, la « Guerra Gran » est, en Espagne, la première des guerres des temps modernes en cela que, par-delà l’affrontement entre deux armées régulières, est conduite une « guerre d’opinion » qui met en opposition des conceptions philosophiques, des doctrines politiques, des credos religieux, des systèmes moraux13. La douleur espagnole ne naît donc pas seulement de l’annonce mortifiante de la perte d’une bataille, de la mort des combattants ou des abominations commises par l’adversaire, mais des progrès que semble réaliser le Mal incarné ici en ces soldats de la Convention ou encore en ces Espagnols dénaturés qui ont l’impudence de collaborer avec les envahisseurs. Cette forme de douleur pourrait être qualifiée de « politico-religieuse ».
11Elle a éclaté en Espagne avant même la déclaration de guerre, au moment où est divulguée la nouvelle inouïe de l’exécution du monarque français et de son épouse. Des chansons et des poésies populaires développent ce thème, comme ces « Tragedias may ohidas de la Reyna de Fransa Maria Antonia de Lorena, que al Cel descansia », qui s’achèvent sur un épanchement de douleur et de colère mêlées :
[...] pero mort tant sagrada
a tots deu fer plorar:
Ay malahida Fransa
la vindras à pagar14.
12Lorsque, après une première phase militaire plutôt faste, les Espagnols doivent se replier et subir l’invasion du territoire national, un autre type de douleur se fait poignant. Les commentateurs sont alors dans l’embarras : Dieu aurait-il cessé d’appuyer l’armée espagnole qui se bat pour lui ? Est-il concevable qu’il soit passé aux côtés de ses propres ennemis ? Fray Miguel de Santander en 1795 s’exclame :
¡Dios inmortal! ¿Permitiréis que ahora que peleamos por vuestra causa, nos abandone aquel valor con que favorecisteis a nuestros mayores, quando peleaban por la suya?15
13Fray Miguel de Santander trouve une échappatoire en proclamant que « Dios castiga nuestros pecados con la soberbia de nuestros enemigos y la derrota de nuestros hermanos ». D’où l’indispensable mea culpa collectif et l’urgence d’un redressement religieux et moral, pour que Dieu accorde son pardon aux Espagnols venus à résipiscence et décide de les soutenir de nouveau, dans leur juste combat contre des adversaires ignominieux. A l’instar de Fray Miguel de Santander, plusieurs prélats et auteurs de sermons, en ces années où la guerre tourne mal, cultivent donc et aiguisent ce sentiment de douleur propre aux pécheurs non encore repentis16.
14Il est probable que le parcours d’une certaine presse catholique et des sermons prononcés en 1898-1899 montrerait la résurgence en Espagne – comme cela a été le cas en France après la « débâcle » de 1939 – de ce type de douleur qui, à la fois, crucifie et devient nécessaire à la régénération, spirituelle et morale, d’un pays postré à la suite d’un désastre inouï.
15La Paix de Bâle, en 1795, referme assez vite la douloureuse parenthèse d’une guerre internationale. On peut admettre, avec Richard Herr17 que, « en août 1795, le peuple accueillit la paix avec allégresse et satisfaction », mais il ne faut pas oublier que l’octroi du titre de Prince de la paix à Manuel Godoy déplut (surprise et douleur) à beaucoup de monde et que, bientôt, les clauses du traité de Bâle et leurs conséquences jugées catastrophiques pour l’Espagne alimentèrent également un sentiment de mécontentement (rancune et douleur), comme Antonio de Capmany en rendra compte en 1808 :
Los males y calamidades que hemos sufrido y sufrimos ahora cuentan la fecha desde aquel imprudente e ignominioso acto que fue el preludio de la sabiduría y sagacidad diplomática del flamante Príncipe de la Paz, a cuya inexperta y desgraciada mano estaba entregado el timón de esta gran Monarquía y lo ha estado hasta que él mismo ha echado a fondo la nave y la tripulación. Por aquel violento tratado quedó la España esclava y tributaria de la Francia perpetuamente18.
16Au contraire du traité de Bâle qui, en dépit de l’opinion de Capmany, referme plutôt, pour la majorité de la population, une parenthèse douloureuse, le traité de Paris, en 1898, ne met pas fin à un cauchemar, ni ne cicatrise une plaie, bien qu’un petit nombre de contemporains aient constaté, avec amertume ou irritation, l’anormale brièveté de la douleur qui a suivi l’annonce d’une déroute militaire humiliante et d’une paix honteuse. Miguel de Unamuno écrit en avril 1899 : « Después de la desgracia, apenas se oye un llanto ». Et il donne la parole au poète portugais Guerra Junqueira qui s’étonne du silence de ses confrères espagnols :
[...] No debe de haber verdaderos poetas cuando no ha arrancado esa desgracia a ninguno de ellos algún canto de dolor, de ira, de indignación o de vergüenza, algún llanto poético como el que arrancó a Leopardi la postración de su patria [...]19.
17Le jour même du désastre de Cervera, Unamuno se trouvait au milieu de paysans occupés au battage du seigle,
ignorantes de cuanto a la guerra se refiere. Y estoy seguro de que eran en toda España muchísimos más los que trabajaban en silencio, preocupados tan sólo del pan de cada día, que los inquietos por los públicos sucesos.
18Alors qu’il écrit plusieurs mois avant la signature du traité de Paris et, plus précisément, entre le désastre de Cavité (1er mai) et celui de Santiago de Cuba (3 juillet), Vicente Blasco Ibáñez, dans son article intitulé « Siga la fiesta » du 16 mai 1898, s’indigne de ce que les corps de centaines de héros morts dans les Caraïbes soient débarqués sans que les Madrilènes cessent de s’amuser :
Mientras puñados de compatriotas mueren por la patria en apartados climas, aquí la salvamos con representaciones y corridas; las angustias de la nación nos hacen vivir en un perpetuo Carnaval; nunca ha tenido la gente tantas ganas de divertirse como ahora que escasea el trigo y suben los cambios hasta perderse de vista20.
19Fermín Solana, préfacier, en 1872, de El problema nacional de Ricardo Macías Picavea, a pu ainsi s’appuyer sur plusieurs témoignages similaires à celui de Unamuno et de Blasco Ibáñez pour affirmer, à contre-courant de l’opinion prédominante, que le douloureux traumatisme du désastre fut plus bref qu’on ne l’a dit et la réoccupation des esprits par une actualité festive (corridas de taureaux, zarzuelas, cuplés et le Carnaval)21, plus rapide aussi, avec reprise de « la vida de la Restauración, huera, bailonga, chichirinada ». D’où le surprenant découpage séquenciel : « 1898, el año del desastre ; 1899, el del dolor y la queja terrible ; 1900, borrón y cuenta nueva »22. S’il en fut ainsi, le temps de la douleur n’aura pas dépassé un an. Un autre découpage séquenciel peut être opéré pour, remontant dans le temps, englober, cette fois, toute la durée de la guerre. On découvrira alors une nouvelle ressemblance entre les deux conflits. Pour autant qu’on puisse se fonder sur les textes de propagande, il semble bien que, du côté espagnol, la « Guerra Gran » a débuté dans un certain climat d’euphorie patriotique, renforcé par l’annonce de plusieurs victoires espagnoles remportées en territoire français. Puis vient le temps de la désillusion, de la souffrance et du mécontentement, qui se traduit par des désordres, des dénonciations et des désertions23. L’année 1794 pourrait être ainsi tenue pour l’homologue de 1898, année sinistre, s’il en fut.
20La guerre de Cuba, avec ses deux grandes séquences successives – la guerre civile ou coloniale, puis le conflit hispano-américain – peut être également découpée, à grands traits, en plusieurs phases n’excluant pas toutefois des superpositions partielles, surtout si l’on retient le découpage auquel procède Jean-Claude Rabaté24 lorsqu’il énumère les grands thèmes liés à Cuba durant l’été et l’automne 1898 : une douleur – directe, viscérale – est suscitée par le rapatriement des soldats blessés et malades, tandis qu’une autre douleur – moins poignante, plus intellectualisée – naît, dans la presse et dans la mémoire collective, du rappel nostalgique du passé glorieux de l’Espagne.
21Le grand texte, bien connu, qui propose un découpage de la guerre de Cuba en trois phases a été écrit par Ramiro de Maeztu en novembre 1897, c’est-à-dire avant même que n’éclate le conflit armé entre l’Espagne et les Etats-Unis : la première phase est celle de l’optimisme, de l’insouciance, de l’enthousiasme et de l’unanimité (des appelés sous les drapeaux et des habitants) ; la deuxième phase est celle de la douleur, élémentaire, déchirante et irrémédiable :
En los adioses posteriores no se escucharon músicas ni vivas; el pueblo se despedía con pañuelos, húmedos los ojos, resellados los labios, caídas las cabezas. Hoy en día se agrupa en asambleas, aún no se niega a que sus hijos vayan a la guerra, pero un frenético anhelo de nivelación le sacude las vértebras, de su garganta brota un grito de dolor que atraviesa las ciudades y aldeas y escala los cuarteles [...]25.
22La troisième phase, que Maeztu pronostique avec lucidité sera celle de la résistance, de la revendication, et, au delà – mais Maeztu reste muet ici –, celle de la protestation et de la colère vengeresse.
23Force est d’observer ici une différence considérable quant à la façon dont le dénouement des deux conflits est appréhendé par la population. Et pour cause. Les derniers mois de 1898 font passer de la tragédie (l’hécatombe) à l’humiliation (la capitulation) ou, comme l’écrit, avec le sarcasme de l’auto-dérision, Blasco Ibáñez, le 11 février 1899 :
Nos vemos despojados de lo que era nuestro; y lo que resulta peor: deshonrados a los ojos del mundo y con tal fama de debilidad que sólo nos resta que nos dividan en pedazos y se los reparta Europa como envidiable comida de fieras26.
24Les traités de Bâle (1795) et de Paris (1898) n’ont en commun, pour la majorité des Espagnols, que de provoquer, tout d’abord, un puissant soulagement, c’est-à-dire une soudaine atténuation de la douleur et de l’anxiété. A cet alivio succède immédiatement, en 1795, un sentiment d’allégresse, tandis que ce sentiment est de désespoir ou d’abattement en 1898. Les députés de l’Alava constatent en 1795 :
Parecen haberse transformado los habitantes antes, alterados, tristes y sin consuelo; ahora, tranquilos, llenos de júbilo y alegría27.
25La transmutation, de soulagement en allégresse, n’est guère concevable en 1898. Tout juste faut-il admettre que les indifférents – impossibles à dénombrer – à la guerre dans la « manigua cubana » demeurent indifférents à la perte du territoire.
26Il est bien connu, et surtout depuis la publication de l’ouvrage collectif intitulé Más se perdió en Cuba, que la défaite militaire et le contenu du traité de Paris en 1898 agirent en Espagne, principalement sur l’intelligentsia, comme un révulsif qui entraîna une remise en cause fondamentale de la politique (intérieure et internationale), de la morale civique, du passé, de la monarchie, du prétendu caractère national, etc. A l’évidence, les répercussions, certes douloureuses, de la guerre contre la Convention ont été loin d’avoir provoqué le même traumatisme collectif. Manuel Godoy se targua même d’avoir regagné de la popularité à conclure la paix avec la France révolutionnaire. Mais on ne peut ignorer que, peu avant ce dénouement – ni glorieux ni humiliant –, les douleurs populaires engendrées par la guerre, sans se borner à susciter des gémissements et des pleurs, s’étaient chargées, ici ou là, d’exaspération (sentiment qui exprime une forme de douleur), de colère et de haine, visant en particulier le général Horcasitas (« que terne más la muerte que la nota de collón ») et de Godoy qui fait les frais de libelles injurieux28.
27La douleur, à la fin de 1898, cherche également un exutoire dans la désignation des responsables, ou coupables, d’une situation estimée intolérable. La différence avec 1795 est que, en 1898, il n’y a pas de bouc émissaire et que les accusés sont devenus une foule au sein de laquelle se côtoient des militaires, des hommes politiques, des caciques, des banquiers, des journalistes, etc.
28Carlos Serrano, qui pouvait s’appuyer sur les témoignages, entre autres, de Unamuno et de Blasco Ibáñez, a soutenu récemment29 l’inexistence d’une « littérature du désastre », expression utilisée par Miquel del Sants Oliver en 190730 et encore utilisée en 1977 par Javier Varela dans sa préface à Hacia otra España de Maeztu31. Effectivement, il faut admettre, avec Carlos Serrano, que ni la guerre de Cuba ni son dénouement désastreux n’ont donné naissance à aucune grande création littéraire, ni roman, ni épopée, ni drame. De ce point de vue, la « Guerra Gran » n’a pas eu non plus de descendance littéraire, au contraire de la « Guerra del fiancés » (1808-1814) qui a inspiré, jusqu’à nos jours, un nombre exceptionnellement élevé de romans, de romans historiques, de poésies en tout genre et de pièces de théâtre, en rapport avec l’expression de la douleur. Miquel del Sants Oliver n’a pas tort d’associer – même si l’expression « literatura del desastre » est sujette à caution – à la crise de la fin du XIXe siècle et pas seulement à la déroute navale de 1898 « la aparición de una literatura copiosa, revuelta, tumultuaria, a trechos estimulante y cáustica, a trechos deprimente y narcótica como el vaho del cloroformo en la enfermería32.
29Par ailleurs, il convient d’introduire des nuances en ce qui concerne la sous-littérature constituée par les chansons populaires et les poésies anonymes. Il semble bien, en effet, que les poésies composées durant la guerre contre la Convention célèbrent systématiquement les victoires remportées sur les Français et évitent de s’appesantir sur les événements tragiques. Au contraire, pendant la guerre de Cuba et, naturellement, vers la fin, la douleur envahit tout un secteur de la chanson et de la poésie populaires, comme en témoignent les titres tels que « La muerte del héroe », « Héroes y mártires », « El despojo », « El acabóse », « En la tumba de la patria », « Lux aeterna »... qui offrent d’innombrables variations sur les raisons et la nature des douleurs individuelles et collectives :
¡Clamen desconsoladas las campanas
y sus acentos de dolor penetren
como un cuchillo que nos parta el alma!33
30En somme, pas de « littérature du désastre », soit ; mais « littérature douloureuse » ou « littérature de la douleur », en 1898 et au-delà, comment la nier ? Notable contraste, donc, avec la « Guerra Gran » qui, bien que perdue, n’inspire ni une « littérature du désastre », ni une « littérature de la douleur », tout au plus une « petite littérature de la colère ».
Douleurs d’avant et d’après-guerre
31Forçant un peu la note et usant d’un systématisme dangereusement réducteur, on va défendre cette idée que la douleur collective, obéissant à des raisons « objectivables », s’installe à la fin du XVIIIe siècle sur une courbe ascendante dont le point de départ ne peut être fixé avec précision vers la fin du règne de Charles III, dont l’accélération du crescendo correspond aux années de guerre (1793-1795, et tout spécialement 1794), dont un léger decrescendo s’amorce avec le retour de la paix, mais dont le summum est atteint, de manière inattendue – on le verra plus loin – vers les années 1795-1797.
32Tout le monde sait que l’optimisme, raisonné, intense, quasiment illimité, propre à la Ilustraciín, perd de sa force au fur et à mesure que le règne de Charles III approche de son terme et que se profile un autre règne moins porteur d’espoir. Antonio Domínguez Ortiz est allé jusqu’à écrire que « el reinado de Carlos IV fue la dura agonía de un sistema ya decrépito »34 (On croirait lire Mallada ou Macías Picavea). En tout cas, à partir de 1784-1785 environ, la littérature critique se fait plus dure et amère – la douleur affleure –, sans toutefois laisser place au désespoir, car la foi dans le réformisme politico-économique subsiste. A partir de 1789 éclatent les rebomboris del pa en Catalogne, puis des soulèvements en Galice (1790) et le motín de Valencia. Cette agitation populaire, certes sporadique, reflète une situation économique qui est loin d’être satisfaisante. L’inquiétude et l’impatience – deux formes sourdes de douleur – grandissent, avec, certes, des différences sensibles entre les observateurs-commentateurs, quant à la tonalité ou au contenu de leurs discours. On osera tenter un classement (un peu saugrenu) en crescendo de quelques ilustrados en fonction de la place qu’occupe la douleur dans leurs écrits35.
33La douleur est présente, et bien présente, dans les Cartas económico-políticas, écrites entre 1786 et 1795, par León de Arroyal dont la vision noire du monde (« en todas partes triunfa el desgobierno y la injusticia ») – observe justement Antonio Elorza – « no se deriva de una vision antropológica pesimista, como pudiera haber sido el caso de la prosa barroca, sino de un juicio negativo contra una determinada sociedad »36. Arroyal n’est certes pas l’inventeur de la métaphore de l’Espagne comme un corps humain, mais son insistance à l’évoquer comme un corps malade – quasiment un cadavre – dont il faut examiner « la complexión, régimen de vida, principios y trámites de la enfermedad para no errar en la aplicación de la medicina » en fait, d’une certaine manière, un précurseur des « hommes de 98 » qui se préoccupent des maux ou maladies de l’Espagne. L’auteur des Cartas [...] partage ainsi avec les Costa, Azorín, Mallada, la même sensibilité – douloureuse, cela va sans dire – aux « accidentes de que adolece nuestra España » (Arroyal). Dans sa Carta 1a écrite au début de 1786, l’auteur paraît succomber au pessimisme :
La agricultura clama por una ley agraria, y sin embargo de lo ejecutivo de la enfermedad, van ya pasados diecinueve años en consultas, y es de creer que la receta saldrá después de la muerte del enfermo37.
34En 1787, quand il écrit sa Carta 2a, Arroyal, qui souffre à la vue de quantité d’erreurs et de dysfonctionnements, n’a cependant pas perdu espoir, ce qui est propre à atténuer sa douleur.
35Il en va de même pour Joaquín Costa, Ramiro de Maeztu et Rafael Altamira en 1899.
36Mais, entre les Cartas [...] et Pan y toros – pamphlet largement diffusé entre 1793 et 1796 –, la pensée d’Arroyal subit une inflexion qui retentit sur le degré d’acuité de sa douleur. En effet – comme l’observe Pallarés Moreno38–, le Arroyal des Cartas croit encore en des possibilités de transformation de son pays, tandis que dans Pan y toros tout vestige d’espoir semble avoir disparu. D’où le recours au sarcasme qui n’est rien d’autre que le signe de l’exacerbation d’une douleur tenue pour inguérissable.
37L’ilustrado le plus sensible au spectacle de la douleur collective ou, du moins, le plus habile à la rendre saisissante pourrait bien être Francisco de Cabarrús dans ses Cartas adressées à Jovellanos et écrites en 1792-1793. A cette époque-là, il se dit encore bouleversé par l’image horrible que la Manche avait offerte à ses yeux, six ans plus tôt. Cabarrús, plus d’un siècle avant qu’Azorín ne s’émeuve devant « l’Andalousie tragique », étend à toute l’Espagne le spectacle de la désolation manchègue :
Nuestras campiñas yermas, sin frondosidad, sin gracia y sin vida, parecen desde mayo asoladas por un cierzo devorador: los lugares ofrecen todos los objetos de asco y horror, la hediondez, la miseria, la desnudez, la mendicidad39.
38Ce passage ne relève pas du genre de la littérature larmoyante ou sensationnaliste, pas plus qu’il n’y a, de la part de l’auteur, complaisance, défoulement ou déploiement d’une argumentation en vue d’un règlement de comptes ; car, juste après, Cabarrús préconise une thérapeutique qui n’est pas, à ses yeux, déraisonnable ou utopique. Le noircissement du tableau, avec amplification de l’émotion douloureuse, n’a pour but que d’inviter les grands propriétaires terriens et les citoyens responsables à apporter les remèdes dont les heureux effets leur permettront de... verser des larmes, mais, cette fois, des « lágrimas de gozo ».
39On est ici au coeur de la douleur ilustrada, engendrée par le spectacle de situations lamentables (humaines, économiques, politiques) ou par le constat de maux intolérables. Cette impression de douleur n’est absolument pas recherchée, comme elle le sera, dans quelques cas, en 1898-1899. Elle appartient en propre à une littérature civique, qui recommande une thérapeutique donnée pour efficace. L’émergence littéraire de cette douleur obéit fondamentalement à cette utilité, à ce didactisme. Sans doute, un rien d’emphase peut-elle la faire paraître convenue. Mais il reste que la douleur ressentie devant la misère sociale n’a jamais été aussi bouleversante et, cette fois, la frontière chronologique des années 1793-1795 est effacée, car c’est plutôt vers 1795-1797 qu’est portée à son summum d’intensité l’expression de la douleur provoquée par une « sensiblité sociale » avivée. L’écart paraît même se creuser entre les journalistes de l’époque (ceux du Diario de Zaragoza, du Diario de Madrid, du Semanario de Agricultura y Artes dirigido a los Párrocos) dont la « sensibilité sociale » paraît émoussée (le Diario de Zaragoza célèbre, en 1797, dans une poésie anacréontique le bonheur de vivre à la campagne)40 et quelques rares ilustrados qui continuent à parler avec les accents du Cabarrús de 1792-1793. On songe en particulier à Antonio de Cavanilles qui, dans ses Observaciones [...] publiées en 1795 et 1797, s’afflige au spectacle de villages valenciens qui « parecían más bien cementerios de vivientes » et qui « ofrecen un estado que debe conmover todo corazón humano »41.
40C’est à la même époque que Jovellanos, dans sa Memoria sobre espectáculos y diversiones públicas, se livre à une « dolorosa observación » qui le conduit à employer à profusion l’épithète « triste » et le verbe « entristecer » : même les jours de fête, « reina en las calles y plazas una perezosa inacción, un triste silencio [...] que no se pueden advertir sin admiración ni lástima »42. Tout comme Cabarrús, Jovellanos ne se borne pas à composer des tableaux émouvants et à dresser des constats propres à meurtrir son « corazón sensible » ; immanquablement, vient le moment du bilan, de la réflexion, du diagnostic et de la médication. Pour que le recours au remède s’impose, il est indispensable qu’il y ait, au préalable, prise de conscience du mal. La douleur ilustrada est, dans cette perspective, obligatoire. On sera amené à dire, en gros, la même chose de la douleur 98, pré-98 et post-98, tandis que la « douleur romantique », vers 1830-1850, paraît d’une autre nature. Alors que Cabarrús et Jovellanos avaient besoin, pour des raisons didactiques, sinon d’éprouver la douleur, du moins de la dire, à la vue d’un spectacle indiscutablement déplorable, rien n’autorise à affirmer qu’un Bécquer, un Hartzenbusch, une Josefa Massanés, une Gertrudis Gómez de Avellaneda avaient besoin impérativement de porter leurs regards sur le monde environnant pour s’affliger. Dans ses réflexions intitulées « Una lágrima, pero una lágrima sola » (expression empruntée à El doncel de don Enrique el Doliente, de Mariano José de Larra), Russell Sebold a bien montré que la larme solitaire, typiquement romantique, extériorise, non pas une douleur collective, mais une réaction ou sentiment intime, du genre résignation attristée, mélancolie, nostalgie, désespoir, constat d’échec irrémédiable, crainte de la mort43. La douleur romantique – faisons une exception pour Larra – marque une singularité, retranche du corps social, place le personnage au-dessus ou en marge du commun des mortels. Au contraire, la douleur ilustrada et la « douleur 1898 » veulent rapprocher les sujets les uns des autres, transforment « ceux qui disent la douleur » en porte-parole de « ceux qui éprouvent la douleur », encore que, en vérité, « ceux qui disent la douleur » à la fin du XVIIIe siècle s’adressent plus à « ceux qui peuvent calmer ou supprimer la douleur » (les personnages qui détiennent le pouvoir) qu’à « ceux qui souffrent dans leur chair ou dans leur âme » : ni Jovellanos ni Cabarrús n’ont jamais prétendu s’identifier, pas même ponctuellement, par mimétisme, à leurs compatriotes plébeyens, démunis ou tourmentés, sur lesquels ils s’apitoyent avec une sincérité que le lecteur est invité à croire authentique...
41Il a fallu convenir de l’impropriété de l’expression « literatura del desastre » pour désigner une certaine littérature éclose vers 1898, mais rien ne s’oppose à ce qu’on utilise l’expression « literatura del dolor » pour qualifier une imposante somme d’ouvrages, essais, articles, poésies... où, autour du terme central dolor, rayonnent quantité de substantifs qui précisent, dans l’ordre des réactions intellectuelles ou affectives, tout l’accompagnement varié de cette douleur irradiante. Et, pour le coup et par contraste, le vocabulaire employé pour dire la « douleur ilustrada » au XVIIIe siècle apparaît singulièrement réduit, sans doute parce que la douleur n’est jamais longuement analysée, mais s’appréhende, parfois implicitement, à travers des situations circonstancielles (le dénuement, l’oppression, l’injustice...)· A la fin du siècle suivant, parce que le corpus littéraire est incomparablement plus vaste, mais surtout parce que la douleur (« el dolor », « las dolencias », « el sufrimiento »...) est – si on peut dire – exploitée, orchestrée, soupesée, décortiquée, métaphorisée, elle naît ou s’assortit d’une bonne demidouzaine de réactions ou d’impressions telles que le dégoût ou répulsion (« el asco », « la asquerosidad » pour Blasco Ibáñez)44, la honte (« la vergüenza », « el sentimiento de haber hecho el ridículo » pour Azaña)45, la désillusion (« el desengaño »), la démoralisation, la tristesse, l’accablement, l’angoisse, l’amertume (« desdichas y amarguras » dans une chanson), la colère ou indignation (« la rabia » dans une autre chanson)...
42La multiplicité des formes et dérivés de cette « douleur 98 » s’explique par la variété de ses origines. Là est une autre des grandes différences avec la « douleur ilustrada ». Certes, les Foronda, Arroyal, Jovellanos et Cabarrús trouvent dans la situation espagnole (politique, législative, financière, économique...) un grand nombre de motifs pour se déclarer insatisfaits, mais la force de ce sentiment n’est pas telle qu’on puisse parler de torture, de chemin de croix ou d’accablement. Au demeurant, ils emploient rarement le mot dolor, sauf lorsqu’ils évoquent ou commentent le sort calamiteux d’une partie de la population paysanne. L’inquiétude ou la morosité des ilustrados les plus impatients de voir s’opérer des réformes radicales ne les conduit pas, comme ce sera le cas pour les « hommes de 98 », à s’interroger dramatiquement sur l’essence de l’Espagne, laquelle, en 1793, semblait seule menacée par les révolutionnaires du pays voisin. Ils ne songent pas davantage à remettre en cause, douloureusement aussi, l’Espagne des décennies antérieures, celle des Bourbons dont ils restent solidaires, alors que, à la fin du siècle suivant, cette même dynastie fera l’objet d’accusations d’une violence telle qu’on peut voir dans cette verve sarcastique autant l’expression d’un plaisir défoulé que celle d’une douleur enfouie.
43Arroyal, dans sa recherche de « la raíz del mal » dont souffrait l’Espagne de son temps, en venait, dans son analyse fractionnée, à ne plus envisager cette maladie comme née d’une cause unique ; il appliquait à la monarchie espagnole la métaphore d’une horloge délicate dont le dérèglement serait provoqué par le dysfonctionnement d’un rouage ayant entraîné celui des rouages voisins : la législation, les finances, le système de la justice, l’agriculture, etc. Les maux ainsi énumérés sont, certes, très préoccupants en raison de leur nombre élevé, mais on a envie de les qualifier de super-structuraux ou techniques, car ils n’affectent pas l’essence de la nation ; et, qui plus est, ils sont remédiables. C’est pourquoi la douleur d’un Arroyal n’est pas une douleur insupportable et sans fond ni fin. En 1898-1899, les « maux de la patrie » que diagnostiquent les Mallada, Macías Picavea, Morote, Unamuno, Maeztu, Isern46, sont, à la fois, plus nombreux que ceux dévoilés cent ans plus tôt et, surtout, incomparablement plus graves.
44Ils ont été énumérés. de façon condensée, mais dans leur diversité, par Manuel Azaña, en 1923 :
Los teóricos de la regeneración española compilaron cuanto se sabía de los males de la patria: el hombre, el suelo, las leyes, y sus órganos, el Estado y sus servicios; todo fue descrito en su apariencia sensible, catalogado, cogido en falta; se comprobó que en España nada permanecía entero; quedaban restos47.
45Liste impressionnante où se rejoignent maux bénins, guérissables, et maux profonds, incurables, et peut-être mortels, certains d’entre eux. Pourtant, cette liste est incomplète, encore qu’elle suffise à faire comprendre l’acuité sans précédent de la douleur ressentie par ces médecins accourus au chevet du malade (leur pays).
46En continuité sur ce point avec les Cabarrús, Arroyal, Jovellanos et Cavanilles, plusieurs « hommes de 98 » – Costa, Mallada, Antonio Machado et même Azorín – s’apitoyent sur le sort des paysans (plus que sur celui des ouvriers de l’industrie48, employant parfois les mêmes expressions stéréotypées que leurs devanciers du XVIIIe siècle, du genre « infeliz y miserable condición de los labradores españoles » (Mallada, 1890). Même constat et même déploration sous la plume d’individus étrangers au cénacle des écrivains-essayistes. Ainsi, le commerçant et journaliste (collaborateur de El Monitor del Comercio) Juan de Dios Blas donne, échelonnés entre 1893 et 1897, une série d’articles49 dont les titres parlent d’eux-mêmes : « Desastre financiero » (1893), « Crisis económica » (1894), « Derrota financiera » (1894), « Nuestros males económicos » (1894), « La agricultura – La ruina consumada » (1895), « Triste porvenir – El problema económico y la guerra de Cuba » (1896). Alors qu’on est encore à deux ans de Cavité et de Santiago de Cuba, les années noires sont, pour J. de D. Blas, 1896 et 1897 auxquelles il donne la parole après les avoir personnifiées : « Declaro llamarme año de 1896, año de desdichas para la nación espa ñola ». Et l’année suivante s’auto-définit « año de desdichas, desgracias e infortunios ». Dans d’autres textes bien connus, la douleur des écrivains s’exaspère à la vue de l’inculture (Unamuno, Macías Picavea, Llanas Alguilaniedo), de la médiocrité du système éducatif (Unamuno), de la gangrène gagnant les moeurs politiques (Morote), de l’invasion de la petitesse et de la laideur (Unamuno, Macias Picavea)...
47Comme l’avait fait Arroyal dans sa Carta 2a50 lorsqu’il passait en revue les règnes des rois d’Espagne depuis Alphonse XI jusqu’au dernier Habsbourg, les « hommes de 98 » sont également enclins à plonger dans le passé, lointain et proche, pour le confronter au présent et comprendre celui-ci, et, au bout du compte, pour souligner, avec consternation, l’ampleur de la régression. Là est une autre différence avec la « douleur ilustrada » : Arroyal est aussi féroce avec Philippe II (« No ha habido reinado en que más se ejercitasen los cuchillos, los cordeles, las hogueras y aún los venenos ») que le sont les « hommes de 98 », mais, chez Arroyal, le souvenir pénible qui s’attache aux règnes calamiteux des Habsbourgs sert à mettre en valeur, par contraste, le mérite de leurs successeurs, les Bourbons. La douleur des « hommes de 98 » est avivée par le souvenir d’un passé appréhendé souvent de façon globale, indifférenciée, sans grand souci de rigueur historique, sans approfondissement et sans nuances. Ces interprétations, à l’emporte-pièce, de plusieurs siècles condamnés en bloc cinglent comme les coups de fouet d’une auto-flagellation que les ilustrados, pour leur part, n’ont jamais pratiquée. Ainsi, Mallada impute-t-il le retard de l’enseignement élémentaire à « aquellos tristes y sostenidos períodos de luchas sangrientas y de espantosos desastres que cayeron sobre España desde tiempos remotos »51. Vingt ans plus tard, la nature de ce regard pseudo-historiographique n’a pas changé : Ortega y Gasset, en 1910, estime que « gravitan sobre nosotros tres siglos de error. ¿Cómo ha de ser lícito, con frivolo gesto, desentendernos de esa secular pesadumbre ? »52
48Ce « nosotros » ortéguien, c’est-à-dire ce collectif voué à la douleur, est bivalent : il s’applique au peuple espagnol et au caractère national, voire à la race, comme l’ont proclamé Costa53 et Morote accablé à l’idée que « la guerra civil, los instintos de destrucción y de aniquilamiento nacional, van inseparablemente unidos a la raza española »54. Une interprétation aussi déprimante du caractère espagnol est impensable chez le plus pessimiste des ilustrados. Seuls, certains contemporains étrangers, outrageusement hispanophobes, en arrivaient à formuler, avec une délectation maligne, de pareils jugements corrosifs qui appelaient, du côté espagnol, de justes et véhémentes répliques.
49Au tournant du XIXe siècle, le débat autour de la nature du peuple espagnol lorsqu’il est considéré avec une excessive dureté ne met pas en opposition, comme à la fin du XVIIIe siècle, des étrangers qui se complaisent dans l’hispanophobie et des Espagnols offensés, mais un petit nombre d’intellectuels espagnols qui dissertent sur le désespoir et la souffrance, puisque tel est l’un des nouveaux thèmes d’une réflexion qui touche, selon le cas, à la philosophie, à la médecine, à la religion. Ainsi, en 1902, Rafael Altamira se sépare, sur un point, de Macías Picavea qui, dans El problema nacional, « ve muy negro el cuadro de nuestras enfermedades », fait montre d’un pessimisme outrancier et, donc, éprouve une douleur excessivement torturante55. Vers 1898, la douleur est éprouvée et analysée en tant que telle, voire indépendamment de sa motivation (les raisons, certes, ne manquent pas !). Cette dissociation était inconcevable au XVIIIe siècle, en vertu d’un présupposé indiscutable : il ne peut y avoir de douleur sans cause (alors que les romantiques innoveront en proclamant qu’il peut y avoir des douleurs, soit indicibles, soit indéchiffrables dans leur fondement).
50On avancera que « les douleurs ilustradas » peuvent être regroupées en deux grandes classes : celle des douleurs comportant un signe idéologique et celle des douleurs qui en sont dépourvues.
51A la première appartiennent les douleurs appréhendées sous l’angle de la foi et de la religion. Il s’agit de la douleur – et non plus des douleurs – inéluctable, profonde, sans véritable remède, parce qu’elle est inhérente à la nature humaine. Cette conception chrétienne de la douleur transcende évidemment les époques et les territoires nationaux. On pourrait même la dire « anti-ilustrada » en cela que la philosophie des Lumières propose une vision plus optimiste de l’homme. Comme, au rebours de celle-ci, la conception chrétienne traditionnelle de l’homme suppose que ce dernier est constamment dépendant de son Créateur et placé sous son regard, on conçoit que Dieu, lorsqu’il est mécontent des hommes qui pèchent ou se détournent de lui, les punisse. C’est ainsi – on l’a vu – que les gens d’Eglise interprètent les revers de l’armée espagnole face aux révolutionnaires français. Cette forme de douleur concerne donc les Espagnols imprégnés de religion et, dans l’ordre du politique, plus « traditionalistes » qu’« éclairés ». On dira, en dépit de l’anachronisme, que cette douleur est une « douleur de droite ». Est également une « douleur de droite » celle que ressentent les Espagnols, en général « ultra-traditionalistes » et « anti ilustrados » qui souffrent à l’idée de voir leur pays menacé, entre 1789 et 1799 (fin du Directoire) par les révolutionnaires français propagateurs de ces philosophies « disolventes » qui, cent ans plus tard, désolent Menéndez y Pelayo. Pour l’heure, en 1794, l’évêque de Santander, Menéndez de Luarca, peut être choisi comme porte-parole de ces Espagnols tourmentés face au constat que « España es un esqueleto de lo que fue » et que la « Pestilencial Francia » a contaminé sa voisine méridionale56.
52Face à ces « douleurs de droite » on posera comme « douleur de gauche » celle que déclarent ces Espagnols – tous, en principe, des ilustrados – qui, s’intéressant à la situation économique de leur pays ou au sort de leurs compatriotes déshérités, s’apitoyent sur « la triste España », expression qu’on trouve, en 1798, sous la plume de León de Parma, alias Manuel Pardo de Andrade, dans ses articles du Diario de Madrid57. Cette douleur patriotique est une douleur non repliée sur elle-même, mais extravertie, susceptible de fonder une accusation. Ce sera la douleur des regeneracionistas, à la fin du XIXe siècle.
53On convient qu’il est malaisé d’attribuer un signe idéologique à la douleur d’un Pablo de Olavide et d’un Meléndez Valdés. Le premier nommé, dans El Evangelio en triunfo (1799), manifeste une « sensibilité sociale de gauche » lorsqu’il se lamente à la vue d’une « gran parte del reino condenada a un triste abandono. Esto me daba en rostro », déclare-t-il, à l’unisson – pourrait-on dire – d’un Arroyal ou d’un Cabarrús. Mais sa thérapeutique est autre : le salut viendra à coup sûr, non pas de quelque mesure politique radicale, mais du retour à la loi divine, à la religion et la morale, à condition que les enfants aient reçu le baptême, garant de leur « regeneración »58. On est loin ici de la régénération à la Joaquín Costa.
54Le problème posé par Meléndez Valdés est différent : sa sensibilité sociale peut être dite de gauche, qui le conduit à s’émouvoir devant des injustices, devant le laboureur indigent qui pleure sur l’aire de battage lorsque l’intendant inhumain lui enlève son blé ; mais l’absence d’indication de tout remède politique empêche de ranger le poète aux côtés des ilustrados réformateurs. « ¡Ah España infeliz! », s’exclame l’un de ses personnages en pleurs, mais c’est un vieillard qui compte plus sur ses prières et sur un Dieu miséricordieux que sur un monarque disposé à secourir ses sujets désamparés59.
55On va rester avec le « dulce Batilo » pour faire état – en renvoyant aux études de Russell Sebold et de Guillermo Carnero60 – d’un second type de « douleur fin de siècle » privée de signe idéologique, c’est-à-dire ni ilustrada ni « anti-ilustrada », mais d’une douleur qui n’est pas éveillée par le spectacle d’une réalité environnante déplorable et qui peut être qualifiée de « pré-romantique ». C’est cette douleur qui fournit à Meléndez Valdés le motif littéraire, notamment, de ses Odes XXXIII et XXXIV et de ses Epîtres III et IV où le poète, en rien novateur, proclame l’universalité de la douleur, goûte au « placer delicioso/de llorar », se plaint de sa « triste vida », tout en compatissant au malheur de ses frères, par delà les frontières et le temps61.
56En gardant en mémoire l’esquisse de typologie proposée pour la « douleur fin du XVIIIe siècle », on reprendra, pour appréhender la « douleur 98 » la distinction – comportant une part d’arbitraire et d’indécision – entre « douleurs idéologisées » et « douleurs non idéologisées ».
57Au sein des premières, sinon les plus nombreuses, du moins les plus connues et les plus évidentes, figurent celles que ressentent les Espagnols marquées par la religion (Concepción Arenal)62, ankylosés dans le conservatisme (Cánovas del Castillo)63 ou aterrés par la montée des doctrines menaçant l’Eglise catholique ou/et l’ordre social. Mais on convient que les frontières se brouillent parfois et que certains énoncés, comme le suivant de Morote, sont d’une si parfaite orthodoxie religieuse qu’un Menéndez y Pelayo pourrait y souscrire :
El dolor espiritualiza a las naciones como a los individuos [...]. El dolor purifica lo que está manchado, santifica lo que es bueno y diviniza lo que es santo. El dolor es el gran maestro de la humanidad [...]. El dolor – dijo la insigne doña Concepción Arenal – enseña, purifica y eleva64.
58Cette douleur qui, pour tous « les hommes de 98 », a la vertu de « signaler les causes des malheurs de l’Espagne » (Morote), sert à fonder l’opportunité et l’utilité de telle médication ou de telle autre. C’est pourquoi on ne peut dire si cette « douleur patriotique » est de gauche ou de droite. En effet, si « la douleur 98 » met à l’unisson les Silvela, Morote, Macías Picavea, Mallada, Blasco Ibáñez, Pardo Bazán, Baroja, la thérapeutique qu’ils envisagent (et qu’on n’a pas à étudier ici) les divise.
59A la frontière entre « la douleur idéologisée » et celle qui ne l’est pas pourrait être située, parce qu’elle renvoie à une mode littéraire qui se rattache à l’histoire des idées et des mentalités, la souffrance, très particulière et très datée, qu’éprouve, au tournant du siècle, le héros « moderniste ». On songe en particulier au Diario de un enfermo publié par Azorín en 1901 et dont le personnage principal est, au dire de Lily Litvak, typiquement moderniste : « Falto de voluntad, abúlico, nervioso e inquieto, exaltado y deprimido, juguete de sus nervios y de una sensibilidad hiperestética, un enfermo del nuevo mal del siglo »65. Le Diario de un enfermo placé aux côtés de certains romans de ValleInclán, de Baroja et de Rusiñol, témoigne de l’existence de toute une littérature, en partie inspirée par Maeterlinck, « que se desarrolla en patios de hospital, en claustros y en jardines de enfermos ». Cet énoncé est emprunté à Lily Litvak qui, dans son étude de « La nueva estética de Azorín », produit plusieurs citations de l’écrivain, où s’exprime son torturant et sombre découragement devant l’inanité de tout effort : « Mi tristeza se pronuncia de manera dolorosa. Estoy jadeante de melancolía ; siento la angustia metafísica »66.
60Au sein des douleurs faiblement ou nullement chargées d’idéologie se trouve à notre surprise, car on croyait savoir que la « génération de 98 » s’était proposé, entre autres choses, d’en finir avec les vestiges du romantisme – une douleur, volontiers « littératurisée », qui n’obéit à aucun conditionnement externe, qui ignore les limites spatiales et temporelles, et qui a nom « mélancolie » (terme qu’on vient de voir utilisé par Azorín). Sous des appellations variées (le « fastidio », le « tedio » ou, tout bonnement, la « tristeza »), la mélancolie ne cesse, en définitive, de cheminer, de Cadalso67 à Meléndez Valdés, et de Campoamor à... Ortega y Gasset qui, après avoir plongé en 1898 dans « un abismo de dolor », est tenté, en 1910, de s’abandonner à « una densa melancolía » et ne peut proposer au public de Bilbao que de « tristes disculpas y melancólicas justificaciones »68. Aux limites du truisme, on dira que la mélancolie de la fin du XIXe siècle est de même nature que celle de la fin du siècle antérieur.
61Au contraire des « douleurs fin XVIIIe siècle » qui étaient immédiatement compréhensibles et – si on ose dire – de bon aloi, simples et nettes, les « douleurs fin XIXe siècle » sont extrêmement diversifiées, complexes, tortueuses, parfois déroutantes ou douteuses. Passons sur les accusations visant, en 1898, les douleurs insincères, simulées, outrées, opportunistes, de commande, que Blasco Ibáñez attribue aux responsables du désastre, désireux d’échapper à la vindicte populaire.
62Passons aussi, parce que les témoignages sont plus rares, sur les douleurs malsaines, inavouables, mêlées d’une basse jouissance : celle qui révulse Maeztu en septembre 1898 à la vue des habitants de Bilbao se précipitant pour voir « el lugubre desfile de muertos vivos que al despedirse de nosotros nos devuelve la América » : « ¿Qué imán tendrá el dolor para que nos atraiga de ese modo? ¿Por qué las gentes corren a buscarlo? ¿Por qué tantas miradas lo sorbían con lamentable voluptuosidad? »69
63Dans plus d’un cas – et nous voilà loin de ces ilustrados qui ne se résignaient pas à voir se perpétuer la douleur –, la douleur des « hommes de 98 » devient suspecte. Alors que, dans la plupart des cas (sauf, par exemple, dans la poésie larmoyante de Meléndez Valdés), la douleur ilustrada est maîtrisée, tant est grande l’emprise de la raison, et codifiée l’écriture, la douleur des « hommes de 98 » est souvent envahissante et jouissive dans la luxuriance de son expression littéraire. La colère, par exemple, peut servir d’exutoire. De ce point de vue, Ganivet occuperait une place à part, comme Azaña s’est plu à le souligner : « Hablando de España, era el único que hablaba de ella con amor y dolor sin perder el recato ; no agredía, no injuriaba »70.
64Effectivement, l’expression de la douleur des « hommes de 98 », dérivée de l’exaspération et de la phobie, tient du défoulement. Mais il demeure que, dans la plupart des cas, cette douleur, loin d’être gratuite et vaine, se veut créatrice ; elle est censée être bénéfique pour l’Espagne plongée dans le désarroi.
65La douleur devient ainsi, elle-même, thérapie, au même titre que la traditionnelle préconisation des médicaments71. En cela, Ganivet rejoint Unamuno ou Maeztu, lorsqu’il estime que la douleur, surtout celle de longue durée, est constructive, tandis que le plaisir, toujours fugace, est destructeur.
66Mieux encore, la douleur côtoie le plaisir, ou l’engendre, ou se confond avec lui, dès lors qu’elle donne naissance à une palingénésie (intellectuelle ou morale). En 1899, Maeztu espère que Unamuno triomphera de « sus tristezas de hombre » :
Si así sucede, si sabe aprovecharse de sus dolores convirtiéndolos en el placer de crear, haciendo del sufrimiento y de la muerte afirmación airosa de la vida, brotarán de su pluma los Evangelios de la patria nueva72.
67Deux ans plus tôt, le même Maeztu, dans une phrase devenue fameuse, avait eu l’audace d’appeler de ses voeux un « Sedán doloroso », c’est-à-dire un désastre militaire qui obligerait l’Espagne anéantie à ressurgir de ses cendres73.
68Il va sans dire que l’appel à une douleur, même dotée de vertus curatives à court ou long terme, est étranger au schéma de pensée des ilustrados pour qui la « douleur espagnole » ne peut être qu’un mal indésirable, appelé à être terrassé.
69Dans le contexte d’une approche métaphoriquement médicale – dont il sera question plus loin-, la douleur décrite par certains « hommes de 98 » finit par ne plus se percevoir, non pas parce que la guérison a été opérée, mais parce que cette douleur se dissout dans l’inconscience d’une agonie pré-comateuse. Silvela recourt ainsi, pour rendre saisissant cet état singulier de l’Espagne, à cette image du pouls que les médecins ne sentent plus, parce que le coeur a cessé de battre et qu’approche le moment du refroidissement irréversible des organes74. Macías Picavea considère pareillement que le stade de la douleur a été dépassé, à la suite de l’entrée de l’Espagne dans l’agonie et dans l’attente du « espasmo hondo de las crisis renovadoras [...] ».
70Sans doute pourrait-on retrouver, dans la littérature de la fin du XVIIIe siècle, des variations sur la métaphore, vieille de plusieurs siècles, de la patrie vue comme un corps humain, en l’occurrence corps malade ou blessé, mais le nombre de ces variations n’a rien à voir avec leur profusion à la fin du siècle suivant. Par souci d’effectisme, les « hommes de 98 » présentent volontiers la maladie de l’Espagne comme une pathologie qui les conduit à faire défiler toutes sortes d’anomalies et d’accidents, et à emprunter à la langue des médecins une foule de termes savants destinés à un emploi métaphorisé, tels que, chez Macías Picavea, « discrasia, puoemia y toxicoemia »75. La blessure pourra être externe, causée par un coup de couteau (chanson « Lux aeterna », octobre 1898) ; ce pourra être, plus souvent, une maladie ayant frappé « le coeur » du pays ou détruit lentement ses organes, comme le cancer (Morote) ou le choléra morbus (J. de D. Blas) ; ce sera, plus souvent encore – et on est là au centre de l’écriture « noventayochista » de la douleur nationale – une maladie mentale ou nerveuse qui se traduit par prostration (Macías Picavea), dépression (Espagnols « desesperados y deprimidos », écrit Llanas Aguilaniedo), dérèglements de conduite (« sus trastornos nerviosos, sus delirios, sus aberraciones », écrit le même Llanas Aguilaniedo), fascination exercée par la mort (Verhaeren – Darío de Regoyos, 1899), aboulie (Baroja, Azorín), paralysie (Maeztu), état proche du coma (Silvela)... L’Espagne (métaphorisée) est reléguée, en quelque sorte, entre l’infirmerie et le cimetière. Dans la première, les chirurgiens, médecins ou guérisseurs charlatans dressent « el cuadro nosográfico completo de los males que a nuestra nación tienen postrada » (Macías Picavea, 1899), tandis que, au cimetière, l’Espagne apparaîtra sous la forme d’un « cadáver abierto, con los brillantes ropajes de las pasadas glorias históricas, pero cadáver al fin » (Blasco Ibáñez, 1896).
71A trop insister, comme on l’a fait, sur cette abondante littérature « dolente », étiologique et thérapeutique, centrée sur les années 1898-1899, on a pris trois risques : d’abord, celui de suggérer, à tort, que cette littérature, plus ou moins liée au courant regeneracionista, est – comme l’a observé José Carlos Mainer – « obstinadamente fijada en términos médicos (enfermedad de España, necesidad de diagnósticos, posibles remedios quirúrgicos...) y patrocinadora de soluciones tan simples como voluntaristas al problema nacional », alors qu’elle reflète, pour une bonne part, un certain « sociologismo positivista » (J.C. Mainer)76 qui a cours au-delà de l’Espagne et qui invitait alors à disserter sur les psychologies nationales. Au terme de ces dissertations, il était habituel de conclure logiquement à la supériorité des Anglo-Saxons et à la dégénérescence des peuples latins, dont l’espagnol, au premier chef.
72En second lieu, on courait le risque de frôler l’absurdité à s’en tenir à un découpage strict, dès lors qu’on avait entrepris de comparer, de façon périlleuse, voire saugrenue, la nature et l’intensité de deux douleurs nationales saisies aux extrémités de deux siècles. Par voie de conséquence, on a pu, sans le vouloir, donner à penser que ces douleurs collectives n’« enjambaient » pas l’exacte fin de deux siècles, encore qu’on ait pris soin de citer quelques textes écrits en 1902 et même en 1911, et qu’on eût pu, pareillement, en citer d’autres datant des premières années du XIXe siècle77. En réalité, on pourrait rapprocher deux « douleurs de débuts de siècles », toujours en se référant au retentissement de certains événements politiques ou/et militaires de première grandeur. D’un côté, on prendrait la mesure des traumatismes provoqués par la défaite navale de Trafalgar (1805) et, surtout, par la Guerre d’Indépendance (1808-1814). De l’autre, on mettrait en avant, pour les dates à considérer (1905-1914), la guerre du Maroc ou – pour reprendre une expression employée par Ortega y Gasset en 1909 – « la guerra de Melilla, que ha hecho patente de un modo cruelísimo la constitución intolerable de nuestra vida política »78. Mais on aurait beau produire des textes évoquant la Semaine Tragique de Barcelone, des grèves, des attentats et des exécutions capitales (Ferrer Guardia), on aurait beau multiplier les témoignages de douleurs collectives, silencieuses ou tonitruantes, on serait amené à constater une inversion du rapport, quant au degré d’intensité de ces douleurs collectives : c’est pendant la Guerre d’Indépendance, au début du XIXe siècle, que les Espagnols se sont vus au bord de l’abîme, ont cru l’Espagne perdue, ont le plus souffert, tandis que les premières années du XXe siècle, malgré les troubles et les malheurs mentionnés ci-dessus, sont finalement moins affligeantes que cette année exceptionnellement sinistre, 1898, qui fait dire à Ortega y Gasset, en 1910, à Bilbao : « La última vez que estuve en vuestra ciudad fue un año tristísimo : 1898, ¡Qué abismo de dolor!, ¿No es cierto? »79
73Il faudrait toutefois se garder d’embellir outre-mesure les années précédant la première Guerre Mondiale, car c’est en 1912 que Pérez Galdós, quoique se rapportant à l’époque de la Restauration, fait dire à Mariclío, son porte-parole, notoirement et douloureusement pessimiste :
La paz es un mal si representa la pereza de una raza y su incapacidad para dar práctica solución a los fundamentales empeños del comer y del pensar. Los «tiempos bobos» que te anuncié has de verlos desarrollarse en años y lustres de atonía, de lenta parálisis que os llevará a la consunción y a la muerte80.
74Voilà qui nous amène justement aux funestes années 1898-1900...
Notes de bas de page
1 Cf. les intéressantes considérations générales sur l’arbitraire ou la pertinence du concept « fin de siècle », auxquelles se sont livrés, en particulier : Daniel MORTIER, « Quelques questions posées au concept « Fin de siècle », in Fins de siècles, Terme – Evolution – Révolution ?, Actes du Congrès de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, Toulouse, 22-24-IX-1987, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1989 ; Yvan LISSORGUES, « La fin du XIXe siècle en Espagne (1890-1905) : ni queue ni tête », id., pp. 539-546 ; José Carlos MAINER, « La crisis intelectual del 98 : de Rudin a lord Chandos », in n° spécial de la Revista de Occidente consacré à « 1898 : ¿Desastre nacional o impulso modernizador? », Madrid, n° 202-203, marzo 1998, pp. 112-130 ; José Luis CALVO CARRILLA, chap. « Los males de un siglo agonizante », La cara oculta del 98 – Místicos e intelectuales en la España del fin de siglo (1895-1902), Madrid, Cátedra, 1998, pp. 81-113 ; Carmen IGLESIAS, « Visiones de fin de siglo », in Visiones de fin de siglo, dir. Raymond Carr, Madrid, Taurus, Pensamiento, 1999, pp. 95-131. Il va de soi que ces considérations ne datent pas de l’actuelle fin de siècle. Voici, à titre d’exemple, ce qu’on pouvait lire dans le Semanario Pintoresco Español de 1846 (p. 84) : [...] Sabido es que las sociedades no cortan ni modifican su existencia el 31 de diciembre del año en que según nuestro calendario se completa el siglo. Ya éste tiene 46 años ; ya cuenta con carácter propio […]. En su última mitad, este siglo, como otros, no llevará acaso más que los gérmenes de lo que caracterizará el siguiente.
2 Cf. Emilio LA PARRA, « La crisis política de 1799 », in « Reformismo y crisis del Reformismo », Revista de Historia Moderna – Anales de la Universidad de Alicante, n° 8-9. 1988-1990, pp. 219-231 ; Enrique MARTÍNEZ RUIZ, « La vertiente política de la crisis del reinado de Carlos IV (1788-1808) – Intento de valoración bibliográfica », in La España de Carlos IV, Pere MOLAS RIBALTA ed., Madrid. Ediciones Tabapress, 1991, pp. 141-167.
3 Cf. notamment : José Luis CALVO CARRILLA, op. cit. ; Carlos SERRANO. « Conciencia de la crisis, conciencias en crisis », in Más se perdió en Cuba - España, 1898 y la crisis de fin de siglo, Juan PAN-MONTOJO coord., Alianza Editorial, Madrid, 1998, pp. 335-403 ; José María JOVER ZAMORA, rubriques « El desastre colonial » et « La crisis de fin de siglo », in Historia de España, dir. Manuel TUÑÓN DE LARA, Barcelona, Labor, tomo VIII. 1981, pp. 384-393.
4 In revue Índice, « Homenaje a Pío Baroja », Madrid, n° 70-71, enero-febrero de 1954. Texte transcrit par Juan URIBE ETCHEVARRÍA dans sa préface à Camino de perfección. Biblioteca Hispania, Ed. Universitaria, Santiago de Chile, 1966, pp. 24-25.
Cf. la rubrique « El pesimismo », in Carmen IGLESIAS, El pensamiento de Baroja, México, Antigua Librería Robredo. 1963, pp. 32-37.
5 Azorín fait dire au personnage central du Diario de un enfermo (1901) : « Hoy siento más que nunca la eterna y anonadante tristeza de vivir ».
6 Cf. Ángel OSSORIO Y GALLARDO, Historia del pensamiento político catalán durante la guerra de España con la República francesa, 1793-1795, Barcelona-Buenos Aires-México, Grijalbo, 1977.
7 Cf. Emilia SALVADOR ESTEBAN, « La Guerra de la Convención en un periódico español contemporáneo », Cuadernos de Investigación Histórica 3, Fundación Universitaria Española, Madrid. 1979, p. 330.
8 Fernando DE LA FLOR, El Semanario Erudito y Curioso de Salamanca (1793-1798), ediciones de la Diputación de Salamanca, 1988, pp. 84-85.
9 Cf. Jean-René AYMES, « Le discours clérical contre-révolutionnaire en Espagne (1789-1795) » et Lucienne DOMERGUE, « Le sermon catalan au service de la contre-révolution (1793-1795) », in Les Révolutions Ibériques et Ibéro-Américaines à l’aube du XIXe siècle (Actes du Colloque de Bordeaux, 2-4 juillet 1989), Paris, Collection de la Maison des Pays Ibériques n°49 et Editions du C.N.R.S., 1991, pp. 25-43 et 59-69 respectivement.
10 Cf. Josep María SALA VALLDAURA, « Guillotinar la hidra francesa : Dos textos de González del Castillo contra el monstruo de la Revolución », in 1793. Naixement d’un Nou Món a l’Ombra de la República, Angels SANTA, Marta GINE, Montserrat PARRA eds, Universitat de Lleida, Apéndice II. 1995, p. 505.
11 GONZÁLEZ DEL CASTILLO, in Josep María SALA VALLDAURA, « Guillotinar la hidra francesa [...] », op. cit., p. 503.
12 Cf. Poetas líricos del siglo XVIII, ed. de Leopoldo Augusto de CUETO, Madrid, B.A.E., 1952, vol. LXIII (t. II), pp.444-446 (Conde de Noroña) et pp.319 et 348 (Forner).
13 Cf. la 5e partie « La guerra de opinión y la opinión ante la guerra », in Jean-René AYMES, La guerra de España contra la Revolución francesa (1793-1795), Alicante, Instituto de Cultura « Juan Gil-Albert », 1991, pp. 373-472 ; le chap. « Mòria Carles Quart, i visca la llibertat! », in Lluis ROURA I AULINAS, Guerra Gran a la ratlla de França, Barcelona, Ed. Curial, 1993, pp. 132-138.
14 Cf. OSSORIO Y GALLARDO, op. cit.. p. 122.
15 Fray Miguel de SANTANDER. Exhortación que el autor hizo a sus paisanos, para la defensa de la patria en la presente guerra, el año de 1795, p. 394.
16 Cf. l’exhortation du cardinal don Francisco Antonio Lorenzana, archevêque de Tolède, évoquée par E. SALVADOR ESTEBAN, op. cit., pp. 338-339.
17 Richard HERR, España y la revolución del siglo XVIII, Madrid, Aguilar, p. 279.
18 Antonio de CAPMANY, Centinela contra franceses, ed. de Françoise ETIENVRE, London, Tamesis Book limited, 1988, p. 83.
19 Miguel de UNAMUNO, « Sobre el llanto de los niños », Las Noticias, Barcelona, 16-IV-1899, in Carlos SERRANO, op. cit., p. 337.
20 Vicente BLASCO IBÁÑEZ, Contra la Restauración – Periodismo político, 1885-1904, Paul SMITH cood., Madrid, Ed. Nuestra Cultura, 1978, pp. 139-140.
21 Sur la joyeuse célébration du Carnaval en février 1899, comme si de rien n’était, cf. l’article publié dans La Atalaya (journal catholico-traditionaliste), cité par Antonio MONTESINO GONZÁLEZ. Literatura satírico-burlesca del Carnaval santanderino, Santander, Ed. Tantín, 1986, p. 148.
22 Ricardo MACÍAS PICAVEA, El problema nacional (1899), Madrid, Ed. hora h, seminarios y Ediciones S.A., 1972, p. 11.
23 Cf. ROURA IAULINAS, op. cit.. p. 176.
24 Jean-Claude RABATE, « Miguel de Unamuno face au désastre de 1899 ou Don Quichotte contre Alonso Quijano el bueno », in » L’image de la guerre hispano-américaine de 1898 chez les non-combattants », Université Lumière de Lyon 2, Textures – Cahiers du CEMIA pp. 187-200.
25 Ramiro de MAEZTU, « Un suicidio », in Otra España, introd. de Javier VARELA, Madrid, Biblioteca Nueva, 1977. pp. 107-109.
26 Vicente BLASCO IBÁÑEZ, « La única responsable », op. cit., p.57.
27 Cf. Jean-René AYMES, La guerra de España [...], op. cit., p.483.
28 Cf. le texte de deux libelles visant Godoy, in OSSORIO Y GALLARDO, op. cit., p. 278.
29 Carlos SERRANO, op. cit.
30 Miquel dels Sants OLIVER, La literatura del desastre. Barcelona, Ed. Península, 1974.
31 Ramiro de MAEZTU, Hacia otra España, Madrid. Ed. Biblioteca Nueva, 1977.
32 Miquel dels Sants OLIVER, op. cit.. p. 72.
33 Carlos GARCÍA BARRÓN, Cancionero del 98, Madrid, Cuadernos para el diálogo 1974 p. 234.
34 Antonio DOMÍNGUEZ ORTIZ, Hechos y figuras del siglo XVIII español, Madrid. Siglo XXI ed., 2a ed., 1980, p. 314.
35 Sont éliminés, naturellement, ceux qui prévoient le recul, voire la disparition, de la misère et de la souffrance, parce qu’ils postulent, comme Valentín de Foronda en 1789, que « la raza humana se ilustrará », in Espíritu de los mejores diarios literarios que se publican en España, 4-V-1789, texte cité par Paul-Jacques GUINARD et Claude MORANGE dans l’anthologie Les Lumières en Espagne, Paris, Editions Hispaniques, 1987, p. 103.
36 León de ARROYAL, Cartas político-económicas al conde de Lerena, Estudio preliminar de Antonio ELORZA ed., Madrid, Ciencia Nueva, 1968, p. 20.
37 León ARROYAL, op. cit., p. 71, p. 67 et p. 131 respectivement.
38 José PALLARÉS MORENO, León de Arroyal o la aventura intelectual de un ilustrado, Universidad de Oviedo – Universidad de Granada, Instituto Feijoo de Estudios del siglo XVIII, 1993. p. 194.
39 Conde de CABARRÚS, Cartas sobre los obstáculos que la naturaleza, la opinion y las leyes oponen a la felicidad pública, Estudio preliminar de José Antonio MARAVALL, Madrid, Castellote editor. 1973. p. 163.
40 Cf. « La vida feliz », in Diario de Zaragoza, desde enero hasta abril de 1797 (n° du 10 mars 1797), edición de Pedro BLANCO MURILLO, Zaragoza, Librería General, 1985, p. 191.
41 Antonio Joseph CAVANILLES, Observaciones sobre la historia natural, geografía, agricultura, población y frutos del reyno de Valencia, Madrid, Imprenta Real, 2 vol. (1795 et 1797). Citation empruntée à Jean SARRAILH, La España ilustrada de la segunda mitad del siglo XVIII, México-Madrid-Buenos Aires. Fondo de Cultura Económica, 3a ed., 1985. p. 24.
42 Gaspar Melchor de JOVELLANOS, Espectáculos y diversiones públicas – Informe sobre la Ley Agraria, edición de Guillermo CARNERO. Madrid, Ed. Cátedra, 1997, p. 184.
43 Russell P. SEBOLD, « ‘Una lágrima, pero una lágrima sola’ : sobre el llanto romántico ». in Trayectoria del romanticismo español, Barcelona, Ed. Crítica, 1983, pp. 185-194.
44 Vicente BLASCO IBÁÑEZ, « ¡Cuánta asquerosidad! » (9 mai 1895), in Contra la Restauración..., op. cit., p. 27.
45 Manuel AZAÑA, « El Idearium de Ganivet » (1929-1930), in ¡Todavía el 98! [...], introd. de Santos JULIÁ,, Madrid, Biblioteca Nueva 1998, p. 68.
46 Lucas MALLADA. Los males de la patria y la futura revolución de España (1890). Madrid, Alianza editorial. El Libro de Bolsillo, 1969 ; Ricardo MACÍAS PICAVEA, El problema nacional (1899), op. cit. ; Luis MOROTE, La moral de la derrota (1900), introd. de Juan Sisinio PÉREZ GARZÓN, Madrid, Biblioteca Nueva, 1977 ; Miguel de UNAMUNO, Artículos en « Las Noticias « de Barcelona (1899-1902), ed. de Adolfo SOTELO VÁZQUEZ, Barcelona. Editorial Lumen. 1993 – et quantité d’autres textes du même auteur ; Damián ISERN. Del desastre nacional y sus causas, Madrid, Imprenta de la viuda de M. Minuesa de los Ríos, 1899 ; Ramiro de MAEZTU, Hacia otra España (1896-1898), op. cit.
47 Manuel AZAÑA, « ¡Todavía el 98! », op. cit., p.43.
48 Naturellement, n’entrent pas ici en ligne de compte, parce qu’étrangers à la dénommée « génération de 1898 », les militants (politiques et syndicalistes) et les écrivains qui, en raison de leur adhésion à quelque doctrine « de gauche » (socialisme, communisme, anarchisme), sont conduits à dépeindre la douloureuse condition ouvrière. Mais il reste que l’ouvrier – affamé, mal vêtu, physiquement délabré... – est, à l’évidence, beaucoup plus présent que dans la « littérature clinique » de la fin du XVIIIe siècle. Cf. par exemple ce J. Ma LLANAS AGUILANIEDO qui, dans Alma contemporánea (Huesca, 1899, pp. 18-21), examine comment les cerveaux mal nourris des ouvriers conduisent fatalement ceux-ci à souffrir, s’exalter, à « padecer intensamente el sentimiento de justicia » et, par voie de conséquence, à se laisser subjuguer par « las exageraciones de los arbitristas contemporáneos », entendons : les exagérations des socialistes collectivistes.
49 Articles de journaux, découpés et montés par collage en une sorte d’anthologie, probablement unique, dont je suis entré en possession par raccroc.
50 Carta 2a, op. cit., pp. 75-12.
51 Lucas MALLADA, op. cit., p. 51.
52 José ORTEGA Y GASSET, « La pedagogía social como programa político », in Textos sobre el 98 – Escritos políticos (1908-1914), introd. de Vicente CACHO VIU, Madrid, Biblioteca Nueva, 1998, p. 98.
53 Cf. Jacques MAURICE, « Joaquín Costa : meilleur interprète de l’angoisse espagnole ? », Paris, Les langues néo-latines, n°208, 1 er trimestre 1974, pp. 51-72.
54 Luis MOROTE, op. cit., p. 110.
55 Rafael ALTAMIRA, Psicología del pueblo español, introd. de Rafael ASÍN, Madrid, Biblioteca Nueva, 1998, pp. 133-134.
56 Cf. Ramón MARURI VILLANUEVA, Ideología y comportamiento del obispo Menéndez de Luarca (1784-1819). Santander. Colección Pronillo, 1984, p. 111.
57 Cf. Manuel Pardo de Andrade – Los artículos del « Diario de Madrid » (1794-1800), introd. de María Rosa SAURÍN DE LA IGLESIA, La Coruña, Fundación « Pedro Barrie de la Maza, conde de Fenosa », Galicia Editorial, 1989, p. 70 et p. 273.
58 Pablo de OLAVIDE, Cartas de Mariano a Antonio (El programa ilustrado de « El evangelio en triunfo »), introd. de Gérard DUFOUR, Publications de l’Université de Provence, Etudes Hispaniques 16, 1988. p. 103 et p. 155 respectivement.
59 Juan de MELÉNDEZ VALDÉS, « Discurso 1° : La despedida del anciano », in Poetas líricos del siglo XVIII, pp. 256-257.
60 Cf Guillermo CARNERO. « Erotismo, didactismo y melancolía », in La cara oscura del Siglo de las Luces. Madrid, Fundación Juan March/Cátedra, 1983, pp.65-94.
61 Oda XXXIII : « Que no son flaqueza la ternura y el llanto », op. cit., p. 198.
62 « El dolor – écrit Concepción Arenal dans El visitador del pobre – espiritualiza al hombre más grosero, torna grave al más pueril, le aleja de las cosas de la tierra y parece que le hace menos indigno de comunicar con Dios [...]. El dolor purifica lo que está manchado, santifica lo que es bueno y diviniza lo que es santo », cité par Jesús TOBIO FERNÁNDEZ, Las ideas sociales de Concepción Arenal, Madrid, Instituto Balmes de Sociología/C.S.I.C., 1960, p. 43.
63 Cf. Antonio Cánovas del Castillo : « Partamos todos del dolor necesario, inextinguible, en la especie humana ; pero decidámonos a buscarle alivios hasta donde posible sea [...] », in « La cuestión obrera y su nuevo carácter » (1890) : citation extraite de Cánovas – Antología, prefacio de Juan Bautista SOLER VICENS, Madrid, Espasa-Calpe, 1941, p.129.
64 Luis MOROTE, La moral de la derrota, op. cit., p. 253.
65 Lily LITVAK, « Diario de un enfermo, la nueva estética de Azorín », in La crisis de fin de siglo : ideología y literatura (Estudios en memoria de R. Pérez de la Dehesa), Esplugues de Llobregat (Barcelona), Editorial Ariel, 1975, p. 275.
66 Lily LITVAK, « Diario de un enfermo... », op. cit., p. 277.
67 On songe aux Noches lúgubres écrites en 1771 ou 1772.
68 José ORTEGA Y GASSET, « La pedagogía social [...] », op. cit., p.98.
69 Ramiro de MAEZTU, « Dolor que pasa », op. cit., p. 146.
70 Manuel AZAÑA, « El Idearium de Ganivet », op. cit., p. 68.
71 La même observation pourrait être faite à propos du pessimisme, lequel peut avoir la même vertu que la douleur. C’est ainsi que Azorin voit les choses en 1941. après avoir réagi au pessimisme profond qui règne dans le livre de Lucas Mallada, Los males de la patria : « Pero el pesimismo es la fuente de la energía y del trabajo perseverante. Contemplamos la realidad maltrecha, funesta, y ansiamos ante este trance de lo que no es querido, salvar eso mismo que ponemos junto a nuestro corazón y depararle una vida placiente y venturosa. Si fuéramos optimistas, dejaríamos correr el mundo », in Azorín, La generación del 98, ed. de Ángel CRUZ RUEDO, Madrid, Biblioteca Anaya, 1969, p. 77.
72 Ramiro de MAEZTU, « El separatismo peninsular y la hegemonía vasco-catalana ». op. cit., p. 200.
73 Ramiro de MAEZTU, « Un suicidio », op. cit., pp. 108-109.
74 Francisco SILVELA, « Sin pulso », El Tiempo, Madrid, 16 août 1898 – Texte transcrit par Nelly CLEMESSY dans L’Espagne de la Restauration, 1874-1902, Paris, Bordas Etudes n°206, 1973, pp. 111-113.
75 Macías PICAVEA, op. cit., p. 133 – Une série d’excellents exemples est fournie dans le tome II des Obras de Joaquín Costa (Zaragoza, Guara Editorial. 1982) où, notamment, les informes de Santiago Ramón y Cajal, Constantino Bernaldo de Quirós, Rafael Salillas et Antonio y Cape, qui versent sur le problème du caciquisme, ne parlent, à propos de cette douloureuse maladie nationale, que de « diagnóstico », « sistema nervioso central », « inervación », « atrofía nacional », « enfermo desahuciado », « hemoptisis », « función morbosa », etc., bref de telle ou telle « noción etiológico-social ». Il m’apparaît que, dix ans avant l’exacte fin du XIXe siècle, la métaphorisation médicale de l’Espagne est plus discrète, moins exploitée, plus banale. Un exemple : en 1881, Valentí Almirall, dans son analyse de la maladie de l’Espagne, en est encore à parler de « llaga », « envenenamiento de la sangre », de « cauterio » et d’« operación dolorosa », in Juan J. TRÍAS VEJARANO. Almirall y los orígenes del catalanismo, Madrid, Siglo XXI de España ed., 1975, pp. 433-434.
76 José Carlos MAINER, « El regeneracionismo : Costa, Ganivet, Maeztu », in Francisco RICO, Historia y crítica de la literatura española, t. IV ; José Carlos MAINER, Modernismo y 98, Barcelona, Ed. Crítica, 1979, p. 93.
77 Il ne s’agit pas, en sens inverse, de minimiser le retentissement des événements de 1898 et de récuser le choix de 1898 comme date de référence. Ainsi, Unamuno, dans son article publié dans La Nación du 26 octobre 1918, c’est-à-dire vingt ans après le désastre militaire, estime que « el golpe de 1898 fue terrible, pero [que] no sirvió para que despertase nuestro pueblo, sino para acrecentar nuestra pesadilla », in Obras completas, t. IX : Discursos y artículos, Madrid, Escelicer, 1971, p. 1575.
78 José ORTEGA Y GASSET, « Los problemas nacionales y la juventud », op. cit., p. 86.
79 José ORTEGA Y GASSET, « La pedagogía social [...] », op. cit., p. 117. On pourrait citer aussi Emilia Pardo Bazán qui, dans son article paru dans La Ilustración Artística du 1er janvier 1907, après avoir consacré le premier paragraphe à l’énumération des nombreuses calamités ayant marqué l’année écoulée (cataclysmes naturels, tueries, suicides à profusion...), se refuse à la signaler par une pierre noire : « Años hemos tenido que superaron a éste en acarrearnos desgracias : recuérdese aquel año sombrío y terrible 1898 », in La vida contemporánea, introd. y selección de Carmen BRAVO-VILLASANTE, Madrid, Novelas y Cuentos, 1972, pp. 237 et 240.
80 Benito PÉREZ GALDÓS, Cánovas, in Episodios Nacionales, Madrid, Ed. Aguilar, 1976, t. IV, p. 876. Sur le pessimisme de cet écrivain, cf. par exemple, José F. MONTESINOS, rubrique « Pesimismo galdosiano » dans Galdós III, Madrid, Ed. Castalia, 1980, pp. 253 et 256.
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