Résumés
p. 277-282
Texte intégral
1Valérie Capdeville — Les clubs londoniens : vie nocturne et transgression
2Les clubs et la nuit sont étroitement liés, puisque la plupart des activités de ces institutions ont lieu une fois l’obscurité tombée. D’ailleurs, à mesure que le siècle avance, les progrès en matière d’éclairage permettent aux divertissements sociaux de la capitale d’apprivoiser la nuit. De manière significative, les clubs, définis par Joseph Addison dans le Spectator no 9 comme des « assemblées nocturnes », connaissent un essor parallèle à l’intensification de la vie nocturne à Londres.
3La limite entre le jour et la nuit matérialise souvent la frontière entre l’autorisé et l’interdit, la retenue et l’excès, l’ordre et le désordre, le naturel et le surnaturel. Certains clubs font de la nuit leur terrain de prédilection et laissent alors libre cours à d’étranges et sombres activités. Dans la première moitié du siècle, les Mohocks font régner la terreur dans les rues de Londres, tandis qu’à la faveur de l’obscurité, les Hell-Fire Clubs font du blasphème et de la débauche leurs signes distinctifs. En l’occurrence, la fonction socialisante du club semble totalement subvertie, puisqu’il devient un instrument de provocation, de marginalisation, et de transgression de tout code social ou moral.
4De manière plus générale, si les passe-temps des grands clubs réputés du West End, tels que le repas, la boisson ou le jeu, sont soumis à des règles précises, ils peuvent parfois susciter quelques débordements et même sombrer dans l’excès. En outre, l’exemple de la mascarade illustre bien le caractère potentiellement subversif de certains divertissements organisés par les clubs : le masque, à la fois symbole de liberté et de transgression, dissimule ou brouille les identités sociales et sexuelles, nous éloignant alors de la vocation initiale de cette forme de sociabilité qu’incarne le club.
5Michel Depeyre — « Chasser » dans la nuit… vaisseaux et flottes britanniques la nuit, au XVIIIe siècle
6Cet article examine le comportement des navires la nuit. Pour qui s’aventure en mer après le coucher du soleil, les dangers ne manquent pas : écueils, tempêtes, mais aussi perte de visibilité des autres navires d’une escadre ; dans l’obscurité, les signaux lumineux nécessaires se brouillent et les exemples ne manquent pas d’erreurs tragiques lors de combats navals entre flottes ennemies. Mais la nuit est aussi le moment favorable au repos des équipages, à la réparation des dommages subis pendant la journée, ou pour échapper à l’ennemi sous le couvert de l’obscurité. L’histoire des guerres franco-anglaises fournit les exemples pour illustrer ces différents points et notamment l’exemple de célèbres batailles navales nocturnes.
7Michel Vergé-Franceschi — Entre ciel et mer : des marins, la tête dans les étoiles. En mer, la science fait reculer la nuit
8Cet article montre comment, à partir du XVIe siècle, les inventions se succèdent, faisant reculer les zones d’ombre et améliorant la navigation : progrès sur le plan de la médecine, qui préservent la vie des équipages lors des expéditions lointaines, progrès des instruments scientifiques, qui rendent les voyages plus sûrs, progrès des sciences naturelles, qui font la lumière sur les populations, la botanique des régions explorées ; progrès de la cartographie, qui donnent une idée plus précise de la position des continents à la surface du globe ; progrès enfin de l’astronomie, qui finissent par vaincre les ultimes ténèbres grâce au calcul de la longitude. Ces progrès de la lumière sur la nuit des erreurs moyenâgeuses engendrent une véritable soif de connaissances qui s’empare de toute l’Europe et conduit à une authentique coopération des savants, malgré les guerres qui se succèdent au fil des siècles. Ce recul de la nuit et l’avancée des lumières scientifiques sont rendus possibles par la collaboration des sciences et des techniques, comme on peut le voir à travers les nombreuses publications de marins qui sont aussi des savants, des techniciens et des artistes. À la fin du XVIIIe siècle, la lumière a définitivement vaincu la nuit, dans tous les domaines de la connaissance liés à la vie en mer.
9Suzy Halimi — La nuit dans l’esthétique des Lumières : réflexions sur A Philosophical Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and Beautiful (1757) d’Edmund Burke
10Dans A Philosophical Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and Beautiful (1757), d’Edmund Burke, la nuit occupe une place importante, comme on peut le voir par la récurrence des termes empruntés à cette aire sémantique. Même lorsque la lumière est mentionnée, son contraire n’est jamais loin et lui sert de miroir, en quelque sorte. Un examen attentif de l’essai montre cependant que la réflexion sur la nuit est concentrée dans les chapitres consacrés au sublime, tandis qu’elle est absente des sections consacrées au beau. La nuit est liée à la terreur, et elle suscite la passion que Burke qualifie de « delight », mélange de crainte et de fascination respectueuse, la plus forte des passions aux yeux de Burke.
11Partant de ces prémisses, l’analyse passe à la façon dont la nuit et son corollaire, la terreur, sont exploités en politique et en religion, par les gouvernants et les dignitaires qui veulent maintenir leurs sujets dans la crainte, la crainte de ce qu’ils ne voient pas, ce qu’ils ne comprennent pas, ce qui est à dessein laissé dans l’obscurité. Finalement, la démonstration de Burke passe au niveau des arts, et là, sont comparées la peinture et la poésie, deux des célèbres sister arts de l’époque, avec une claire supériorité pour la poésie, qui ne fait pas appel aux sens comme un tableau, mais à l’imagination, que déclenche le mystérieux pouvoir des mots. Inutile de dire que les considérations de Burke sur le thème de la nuit eurent une profonde influence sur le roman gothique, à la fin du XVIIIe siècle.
12Vanessa Aleyrac-Fielding — « Those gloomy sensations that steal upon the mind »: esthétique de l’obscurité dans A Dissertation on Oriental Gardening (1772) de William Chambers
13La Dissertation sur le jardinage de l’Orient de William Chambers, publiée à Londres en 1772, se veut à la fois une description des jardins chinois à travers le regard de l’artiste et un manuel à l’usage des paysagistes européens. Cet ouvrage révèle l’importance du jeu de contrastes entre obscurité et clarté, ainsi que celle des réactions du promeneur face à la variété des scènes de jardin qui doivent lui faire éprouver toute une gamme d’émotions différentes, de la sérénité à la terreur. Cette étude analyse dans ce traité l’utilisation de l’obscurité dans les jardins chinois érigés en modèles par William Chambers, et cherche à établir un rapprochement entre cette thématique développée dans l’ouvrage et l’intérêt manifesté par les Lumières pour la pénombre et la nuit. Il sera montré que la scénographie du paysage chinois dévoilée par William Chambers permet de créer des sensations visuelles, tactiles et auditives fortes et de faire naître des impressions contrastées chez le promeneur, tels que la mélancolie, la terreur ou le sentiment du sublime. On constatera ainsi que l’usage de l’obscurité dans le paysage chinois vu, interprété, voire façonné par William Chambers est présenté selon des critères relevant de l’épistémologie empiriste et de la psychologie sensualiste, propres au mode de sensibilité anglais de l’époque.
14Pierre Degott — Nuits et lumières dans les oratorios anglais de Haendel
15Les métaphores du jour et de la nuit sont systématiquement utilisées dans le corpus des oratorios anglais de Haendel dès qu’il s’agit d’exprimer une opposition binaire : le masculin et le féminin dans Alexander Balus, l’héroïsme solaire et les affres du doute dans Hercules, les mondes chrétien et païen dans Theodora, la sagesse divine et l’érotisme charnel dans Solomon. Dans les oratorios à composante fortement tragique (Hercules, Samson, Saul…), les images du jour et de la nuit permettent de suggérer la grandeur, la chute et la renaissance spirituelle du héros. Dans Belshazzar, la nuit sert de cadre à la débauche du roi de Babylone, mais aussi à la quête mystique du prophète Daniel, etc.
16Nous nous interrogerons dans cette communication sur la valeur de telles oppositions stéréotypées, dont l’originalité réside peut-être dans la manière dont elles sont illustrées par les signifiants musicaux. En effet, la technique du word-painting se prête idéalement à la peinture musicale du jour et de la nuit (clair de lune, aube, mais aussi ce qu’on pourrait appeler la « nuit obscure de l’âme » comme dans Saul, Jephtha) dont nous nous demanderons de quelle manière (convergence, divergence…) elle agit sur les textes des livrets. Nous nous interrogerons enfin sur les aspects métatextuels et génériques de la question en nous demandant si l’oratorio n’est pas en soi un genre solaire dans la mesure où il célèbre, quoi qu’il arrive, le triomphe du jour sur la nuit.
17Jean Dixsaut — Nocturnes à Mansfield Park
18Cet article analyse une scène de Mansfield Park (1814) de Jane Austen : la « grande aria » de Fanny Price devant la beauté d’un ciel de nuit. Cette contemplation, debout à la fenêtre, auprès de l’homme qu’elle aime, est une élévation de l’âme devant le sublime de la nature, comme s’il n’y avait ni méchanceté ni souffrance dans le monde. Rhétorique exagérée ? Parodie de l’enthousiasme tant critiqué à l’âge de la Raison ? Le vocabulaire du sublime burkien est reconnaissable dans ce texte, contemporain par ailleurs de l’invention du nocturne en musique. Mais après tout, peut-être est-il inutile de s’interroger sur le sens particulier de la « moonlight scene », ingrédient banal des romans de l’époque.
19Maurice Lévy — Nuit gothique,
20Nuit anglaise Cet article remet en contexte Nuit anglaise, parodie du roman gothique par Bellin de la Riborlière. À la fin du XVIIe siècle, plusieurs arts – tableaux de Philippe de Loutherbourg, poésie d’Edward Young, David Mallet, Robert Blair – témoignent de l’importance de la nuit dans l’âme anglaise, où elle est source à la fois d’effroi et de délectation. Après le prélude marqué par Horace Walpole et Clara Reeve, Ann Radcliffe est la maîtresse incontestée du roman gothique, « l’enchanteresse d’Udolphe » : nuit externe et ténèbres de l’âme, irrationnel, son œuvre porte à son apogée le roman gothique, avec ses forces et ses faiblesses, dont s’emparent les auteurs de parodies comme Bellin de la Riborlière. Mais dans la Nuit anglaise, tout finit par s’expliquer : les pires horreurs n’étaient que canulars d’étudiants. Le panorama se poursuit avec l’examen du Moine (1796) de Lewis et de Melmoth (1820) de Maturin. La conclusion est que « le roman gothique s’est écrit d’une plume crépusculaire, trempée dans l’encre noire de la mélancolie ».
21Habib Ajroud — Night of destiny or the play of light and darkness in Defoe’s novels
22La nuit joue un rôle important dans les romans de Defoe, pour rendre compte des décrets de la Providence. Cet article examine d’abord l’obscurité comme phénomène empirique : la plupart des événements décisifs dans la vie des personnages se déroulent la nuit. Ceci n’est pas une simple coïncidence : l’obscurité est aussi l’état d’esprit des personnages confrontés à l’inconnu, à la main invisible de la Destinée ; la perception peu claire de l’avenir va de pair avec une impossibilité à contrôler le temps ; d’où la valeur symbolique des montres et calendriers dans tous les romans.
23La Destinée a un autre lien avec la nuit, par le biais de rêves pleins de signification, qui peuvent dégager, ou non, le vrai sens de l’obscurité. Mais les rêves ont aussi une valeur prémonitoire : ainsi, les rêves de succès matériel révèlent-ils l’opposition, à travers toute l’œuvre de Defoe, entre valeurs chrétiennes et valeurs marchandes, la prospérité financière étant souvent la contrepartie du déclin moral.
24Yannick Deschamps — Daniel Defoe et le Prince des ténèbres : le pouvoir du Diable et ses limites dans The Political History of the Devil (1726)
25Le Diable, dont Daniel Defoe trace le portrait dans The Political History of the Devil (1726), reconnaît sa dette envers la tradition de scepticisme anglais du XVIIe siècle, concernant le surnaturel, le diable et son aptitude à influencer la vie des hommes. En conséquence, la conception populaire d’un diable à cornes et au pied fourchu est tournée en ridicule. Cependant le diable de Defoe a tous les pouvoirs et les faiblesses que lui attribuent les théologiens et les démonologues protestants. En vérité, l’un des objectifs de Defoe, en sa qualité d’« historien du diable », selon ses termes, était de défendre l’existence du diable protestant traditionnel, de plus en plus remis en question par les déistes et autres libres penseurs, ce qui ne l’empêchait pas, en même temps, d’utiliser le diable comme métaphore du mal qu’il percevait et dénonçait chez ses contemporains et dans le système politique britannique corrompu par l’esprit de parti incarné par Robert Walpole.
26Élisabeth Soubrenie — La petite musique de nuit de Young : Night Thoughts
27Night Thoughts est un long poème philosophique destiné par Young à convertir un interlocuteur fictif par un appel à la raison et au sentiment. Le poète y développe une argumentation fondée sur la capacité de méditation mélancolique et de recueillement que suscitent la nuit et la solitude. Dans ce nocturne souvent gothique, la solitude joue un rôle esthétique et métaphysique, avant de s’imposer, non sans paradoxe, au centre de cette rhétorique de la conversion.
28Patrick Menneteau — Ombres et lumières dans la poésie de William Blake
29Aux yeux de William Blake, le siècle des Lumières, avec ses découvertes philosophiques, économiques, scientifiques et technologiques, est plutôt synonyme d’obscurité spirituelle : il oppose à ses contemporains ses illuminations sur la création et sur le monde des esprits.
30Pour atteindre sa lumière, il propose des moyens différents comme l’ouverture des sens, le retour aux idées innées, l’amour chrétien et la guerre intellectuelle. Eux seuls permettent en effet de confronter un dieu d’ombre et de lumière, et de vivre l’expérience de la recomposition de l’unité nouvelle d’Albion, la Fraternité Universelle.
31Lus à la lumière du discours de C.G. Jung sur l’inconscient, la poésie de Blake prend un relief particulier : les expériences subjectives qui l’informent se révèlent appartenir à l’inconscient collectif objectif, et symboliser un processus d’individuation exemplaire.
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