Nocturnes à Mansfield Park
p. 137-151
Résumés
Cet article analyse une scène de Mansfield Park (1814) de Jane Austen : la « grande aria » de Fanny Price devant la beauté d’un ciel de nuit. Cette contemplation, debout à la fenêtre, auprès de l’homme qu’elle aime, est une élévation de l’âme devant le sublime de la nature, comme s’il n’y avait ni méchanceté ni souffrance dans le monde. Rhétorique exagérée ? Parodie de l’enthousiasme tant critiqué à l’âge de la Raison ? Le vocabulaire du sublime burkien est reconnaissable dans ce texte, contemporain par ailleurs de l’invention du nocturne en musique. Mais après tout, peut-être est-il inutile de s’interroger sur le sens particulier de la « moonlight scene », ingrédient banal des romans de l’époque.
This article analyses a special scene in Mansfield Park (1814) by Jane Austen, the rhapsody of Fanny Price at the beauty of a night sky. Her contemplation, standing at the window close to the man she is in love with, is an elevation of the soul at the sublimity of nature, as if there were neither wickedness nor sorrows in the world. Overdone rhetoric? Parody of enthusiasm so much criticised in the age of Reason? The vocabulary of the Burkian sublime is recognizable in the text, which is, on the other hand, contemporary of the invention of night pieces in music. But the conclusion is that, after all, it is perhaps useless to raise questions about the special meaning of the “moonlight scene”, a common ingredient in the novels of the time.
Texte intégral
1Les nuits chez Jane Austen sont aussi rares qu’inquiétantes : Harriet Smith y rencontre des bohémiens de mauvaise mine, Jane Bennet y est veillée par sa sœur comme Marianne Dashwood par la sienne, et Catherine Morland y trouve l’accompagnement en tempête des frissons gothiques qu’elle recherche. Seul de tous les romans, Mansfield Park1 contient une scène nocturne, et en plein air, qui ne promet que des satisfactions. Le problème est que le lecteur de ce roman se sent souvent perdu dans une forêt de symboles, à la rigueur d’emblèmes, où un cheval est toujours plus qu’un cheval, une croix est lourde à porter, une chaleur étouffante annonce des désordres, une grille emprisonne nécessairement, une vaisselle crasseuse reflète toute la laideur du monde2. Il accueille avec plaisir la réaction de Nabokov devant le portrait de Mrs Norris :
« entièrement occupée à réorganiser mais aussi à mettre à mal le beau feu qu’avait préparé le majordome. » Le style de Jane Austen excelle dans ce mot mettre à mal, soit-dit en passant la seule métaphore originale du livre3.
2Peut-être, mais en même temps ce noble fire (III, 10 : 187) est inséparable à la fois du feu qui manquera longtemps dans the East Room (III, 1 : 212) et du sad fire à Portsmouth (III, 7 : 257). Ce n’est pas refuser tous les emplois métaphoriques que de marquer de la prudence devant un discours qui se donne comme chargé d’allusions et de significations, à plus forte raison quand il est offert comme tel par le locuteur4. Ainsi la grande aria de Fanny Price devant la beauté du ciel de nuit à Mansfield Park change de sens selon qu’on l’écoute en solo ou qu’on se demande à qui elle s’adresse, quand et pourquoi, si l’on recherche comment elle a été préparée et sera reprise, et accessoirement ce que la nuit vient y faire :
Fanny se renfonça dans l’embrasure de la fenêtre, et Miss Crawford n’eut que le temps de dire, d’un ton plaisant, « Il me semble que Miss Price a davantage l’habitude de mériter des louanges que d’en entendre », que, pressée par les demoiselles Bertram de se joindre au chœur, elle se dirigea à petits pas vers l’instrument musical, laissant Edmund la regarder s’éloigner, ravi d’admiration devant toutes ses qualités, depuis son comportement plein d’obligeance à sa démarche légère et gracieuse5.
3Tout est en place : le décor, les personnages, et le lien entre ceux-ci et celui-là. Trois jeunes filles présumées ravissantes, aimables et musiciennes, près d’un piano-forte, Mary Crawford suivie du regard par Edmund lui-même près de Fanny, elle-même immobile dans l’embrasure de la fenêtre qui pourrait bien être une porte-fenêtre.
4Mais on aurait tort d’oublier que cette situation intervient dans une suite de scènes plus ou moins brèves qui ont défini les rapports entre la musique, la nuit, les décors, et bien d’autres choses. Peu avant la visite du domaine de Sotherton, Edmund et sa plus jeune sœur ont dîné au presbytère avec Henry et Mary Crawford, sans Maria furieuse d’être exclue6 sous prétexte que son fiancé pourrait revenir de voyage à tout moment. Fanny non plus n’a pas été invitée, mais on n’invite pas (encore) la cousine pauvre :
Entre dix et onze heures, Edmund et Julia entrèrent dans le salon, tout frais de l’air du soir, le visage vermeil et joyeux, tout le contraire des trois femmes qu’ils trouvèrent assises là ; Maria ne levait guère les yeux de son livre, et Lady Bertram était à moitié endormie ; et même Mrs Norris, décontenancée par la mauvaise humeur de sa nièce, et ayant posé une ou deux questions relatives au dîner, questions restées sans réponse immédiate, semblait presque déterminée à ne plus rien dire. Pendant quelques minutes, le frère et la sœur furent trop empressés à faire l’éloge de la nuit et à parler des étoiles pour penser à autre chose qu’eux-mêmes ; mais au premier temps d’arrêt, Edmund, jetant un regard circulaire, déclara : « Mais où est donc Fanny ? Est-elle allée se coucher ? »7
5Il y a un effet de la nuit étoilée proprement défini, qui les empêche de « penser à autre chose qu’eux-mêmes » (« think beyond themselves ») ; c’est vague, mais c’est bénéfique, et les absentes en ont été privées. Et surtout le frère et la sœur sont capables d’être sensibles à cette beauté, sans se rendre compte que le hasard a fait d’eux des privilégiés. S’y ajoute, pour le lecteur, le fait que Mary Crawford est musicienne et adore jouer de la harpe, surtout quand elle a des admirateurs. Cette première scène part donc dans plusieurs directions opposées (« de tout le contraire… » [« the very reverse… »]) : mauvaise humeur de Maria comme de la tante Norris, plaisir de la promenade nocturne, et avant tout silence sur ce qui a été dit pendant le dîner, jusqu’à ce que la question d’Edmund sur l’absence de Fanny fasse rentrer celle-ci dans la scène. Le lecteur n’oublie pas non plus ce que le chœur des deux sœurs a dit de Fanny : « Savez-vous qu’elle dit ne vouloir apprendre ni la musique ni le dessin » tandis que Mary Crawford a fait cette confidence : « J’adore la musique pour ma part8. » Tous ces jalons ont été soigneusement mis en place avant la seconde scène de nuit. Et entre les deux scènes, il y a Sotherton9.
6En fait cette seconde scène a commencé dès l’arrivée au château de Mary et Henry Crawford :
Miss Crawford, en venant avec son frère passer la soirée à Mansfield Park, apprit la bonne nouvelle ; […] mais après le thé, alors que Miss Crawford se tenait debout devant une fenêtre ouverte, avec Edmund et Fanny contemplant le crépuscule, à l’extérieur, […] les demoiselles Bertram, Mr. Rushworth et Henry Crawford s’affairaient avec les chandelles autour du piano10.
7L’heure est au crépuscule, et la longue conversation entre Edmund, Mary et Fanny sur le choix de l’ordination, les devoirs d’un pasteur, et mille autres choses, occupe le temps du glissement de ce moment incertain à la tombée de la nuit. Donc lorsque Mary est invitée à chanter un glee, le lecteur la voit s’éloigner par les yeux d’Edmund : en tout cas c’est ce qu’il pourrait croire, car son « transport d’admiration » (« ecstasy of admiration ») est un jugement porté sur lui, une reprise un peu trop humaine du « penser à autre chose qu’eux-mêmes » (« think beyond themselves ») qui n’est partagée par personne, surtout pas par Fanny. Celle-ci n’est pas exclue, elle est totalement négligée, elle n’existe pas, sauf pour Edmund qui reste à côté d’elle.
8Une parenthèse s’impose ici. Le glee, pour l’Oxford English Dictionary (OED) est « Une composition musicale, grave ou gaie, à trois voix ou plus (une voix pour chaque partie, au sens strict du terme), sans accompagnement, 165911 », apparemment réservé d’abord aux voix d’hommes (le mot ne figure pas dans le Dictionnaire de Johnson). Austen ne cache pas son goût pour les glees, comme en témoigne cette lettre à sa sœur :
La musique était excellente et quant aux autres glees, je me souviens de « Airs de paix et d’amour », « Rosabelle », « Le Chevalier à la croix rouge », et « Pauvre insecte ». Entre les chants il y avait des leçons à la harpe ou à la harpe avec piano… la salle ne se vida qu’après minuit12.
9Inviter Mary à chanter, c’est une fois de plus refuser l’existence de Fanny, encore une fois « dans le froid » (« in the cold »). C’est faire partager au lecteur un plaisir de la musique en même temps que l’absence de ce plaisir13.
Fanny donna son accord et eut la joie de le voir rester près d’elle à la fenêtre, en dépit du chant attendu ; et de voir ses yeux se tourner comme les siens, vers le décor extérieur, où tout ce qu’il y avait de solennel, d’apaisant, de charmant apparaissait baigné dans l’éclat d’une nuit sans nuages, et en contraste avec l’ombre profonde des bois. Fanny donna libre cours à ses sentiments : « Quelle harmonie » dit-elle, « Quel calme reposant ! Voilà qui surpasse toute peinture, toute musique, et ce que seule la poésie peut essayer d’exprimer. Voilà de quoi apaiser tous les soucis, et élever le cœur au ravissement ! Quand je contemple pareille nuit, j’ai le sentiment qu’il pourrait n’exister ni malice ni chagrin en ce monde ; et qu’il y en aurait sans nul doute moins si l’on était plus sensible au sublime de la nature et si l’on se laissait davantage transporter hors de soi-même par la contemplation d’une scène de ce genre. »14
10Il y a un monde entre « Fanny donna son accord » (« Fanny agreed to it ») et « Fanny donna libre cours à ses sentiments » (« Fanny spoke her feelings »)… Son plaisir est d’avoir Edmund à côté d’elle, regardant au dehors avec elle, s’emplissant de la vue du ciel de nuit, de ce nocturne, même si le mot n’a pas encore pris le sens pictural de night-scene15. C’est un ciel brillant, sans nuages mais aussi sans lune, contrairement à ce qu’affirme M.C. Bradbrook :
Non seulement lectrice assidue de biographies et de poésie, Fanny est aussi une romantique en herbe et l’instant où elle laisse éclater son enthousiasme en présence d’Edmund sur les beautés de la scène du Park baignant dans la lumière de la lune (cependant qu’elle garde l’espoir de le tenir à l’écart de la musique et de Miss Crawford) […]16.
11À ceci près que le lien entre The Merchant of Venice et le romantisme serait à préciser, qu’il faudrait savoir de quelle musique on parle, et qu’il n’y a jamais de lune dans Mansfield Park, seulement du clair de lune qui se porte mal. Il n’existe que sur l’un des transparents abandonnés par Julia, « représentant Tintern Abbey entre une grotte italienne et un lac au clair de lune dans le Cumberland » (« where Tintern Abbey held its station between a cave in Italy, and a moonlight lake in Cumberland » I, 16 : 107), et dans le beau discours où Mrs Norris le promettait pour le retour de Sotherton – on sait ce que valent les promesses du personnage17.
12Quels sont les sentiments que formule Fanny ? La critique n’est pas tendre pour cette effusion. Kenneth L. Moler y reconnaît l’une des deux « voix » de Fanny :
L’une des « voix » que le lecteur associe à Fanny Price est ce que l’on pourrait décrire comme sa voix « livresque ». Fanny se voit souvent prêter des propos au timbre artificiel, déconnectés des conversations réalistes où s’insèrent ses discours. Sa rhétorique est ampoulée, excessivement « littéraire », et elle donne souvent l’impression de faire écho de trop près et de façon dérangeante à la littérature – notamment une littérature éducative et didactique – familière à un public du début du XIXe siècle. Sa rhapsodie sur les beautés d’une nuit étoilée observée des fenêtres du salon de Mansfield Park est un cas d’espèce. […]
Ici, la rhétorique trop ornée de Fanny, avec son usage recherché d’exclamations et d’asyndètes, suggère une éloquence de second ordre ou le monde de l’écriture manié de façon malhabile plutôt qu’un discours normal. La description des effets exaltants du sublime dans un paysage naturel est un lieu commun, sur lequel on bute régulièrement dans toutes sortes de littératures. […] L’effet de l’ensemble est du rabâchage de « maîtresse d’école » sur des textes exemplaires. La même rhétorique sentencieuse confère une tonalité de dérivée artificielle à la leçon sur la plante verte que Fanny administre à Mary Crawford dans le jardin du presbytère de Mansfiel Park18.
13Il est certain que cette voix est étrangement proche de celle de Mary Bennet dans Pride and Prejudice, ce qui n’est pas un compliment (mais il faudrait supposer que cette autre Mary lève le nez de ses livres pour regarder les étoiles). Quant au mot « rhapsody », on verra à quel point il est délicat.
14Un mot trop lourd pèse sur les paroles de Fanny : « the sublimity of Nature »… Parler de ravissement, de sublime et de nature dans le même épanchement, à cette date, invite à chercher des rapprochements ou même des citations, alors que tant d’auteurs ont pris sublime et sublimity en des sens différents. Pour Isobel Amstrong, le lien avec Wordsworth et le sublime tiendrait à la sensibilité à la nature :
On fait référence ici au caractère privé des moments de sublime dans la solitude chez Wordsworth, moments où s’affirme avec force et énergie le sentiment anti-social qui semble s’auto-alimenter19.
15Peut-être, mais s’agit-il ici de solitude ? Serait-on plus proche de Burke ?
Tout ce qui est propre à susciter en quelque sorte les idées de souffrance et de danger, autrement dit, tout ce qui est en quelque façon terrible, ou qui se rapporte à des objets terribles, ou qui agit de manière analogue à la terreur, tout cela est source de sublime ; c’est-à-dire, produit l’émotion la plus forte dont est capable l’esprit humain20.
16Ce sublime-là, Claudia L. Johnson le voit dans les différents portraits de Sir Thomas et de son épouse :
Dès les premières pages, Austen s’efforce d’employer le vocabulaire burkien sur le sublime […] Tout, du sourcil froncé de Sir Thomas à sa diction ampoulée, fait de lui une figure de proue du sublime […] Tandis que le sublime fait naître des passions de terreur et de respect, le beau adoucit et inspire l’affection21.
17Peut-être après tout le mot est-il pris en un sens assez vague, qui se trouve aussi bien chez Hume (« n’importe quel lieu élevé communique une sorte de fierté ou de sublimité à l’imagination » [« Any great elevation of place communicates a kind of pride or sublimity of imagination »]), Human Nature II : 282) que dans l’Encyclopædia Britannica de 1797 (« les émotions de grandeur et de sublime ne sont apparentées » [« The emotions of grandeur and sublimity are nearly allied »]) que dans un des sens de l’OED : « La qualité des objets extérieurs qui éveille des sentiments de crainte, de respect, d’émotions élevées, un sens de puissance ou autre analogue. » (« The quality in external objects which awakens feelings of awe, reverence, lofty emotions, a sense of power, or the like. ») Et le propos de Fanny est d’abord un éloge de la poésie, affirmant sa supériorité sur la musique et la peinture. S’il faut marquer une préférence, pourquoi ne pas rapprocher cet éloge de ce que fait Cowper, le poète préféré de l’auteur et de son personnage, dans « Retirement » (1782) :
… The cloud-surmounting Alps, the fruitful vales,
Seas, on which every nation spreads her sails;
The sun, a world whence other worlds drink light,
The crescent moon, the diadem of night,
Stars countless, each in his appointed place,
Fast anchor’d in the deep abyss of space –
At such a sight to catch the poet’s flame,
And with a rapture like his own exclaim
These are thy glorious works, thou Source of Good,
How dimly seen, how faintly understood!
Thine, and upheld by thy paternal care,
This universal frame, thus wondrous fair;
Thy power divine, and bounty beyond thought,
Adored and raised in all that thou has wrought,
Absorb’d in that immensity I see,
I shrink abased, and yet aspire to thee;
Instruct me, guide me to that heavenly day
Thy words more clearly than thy works display,
That, while thy truths my grosser thoughts refine,
I may resemble thee, and call thee mine. (v. 78-98)
18On y trouve deux créateurs à l’œuvre, un être suprême et le poète, presque à égalité, et les termes « rapture, absorb’d, instruct22 ». Il ne manque provisoirement que sublime, mais sublimest apparaît au vers 103. En revanche, il y a une lune de trop. L’essentiel est que la tirade de Fanny soit dite devant Edmund, sans être vraiment adressée à lui. Fanny n’aurait certes pas la présomption de faire un sermon à celui qui va entrer dans les ordres, ni d’ouvrir à la nature celui qui lui a donné cette sensibilité, ni de faire aimer la poésie à celui qui lui a dévoilé ce monde. C’est presque une expression de gratitude, qu’Edmund entend avec un mélange d’affection et de distance :
« J’aime entendre votre enthousiasme, Fanny. C’est une belle nuit et ils sont bien à plaindre ceux qui n’ont pas appris à le ressentir en quelque manière, ainsi que vous le faites – qui n’ont pas reçu au moins le goût de la nature dans leur enfance. Ils perdent beaucoup. »
« C’est vous qui m’avez appris à penser et à sentir à ce sujet, cousin. »
« J’ai eu une élève très douée. Voici Acturus, à l’éclat intense. »
« Oui, et la constellation de l’Ours. J’aimerais pouvoir voir Cassiopée. »
Il nous faut pour cela sortir sur la pelouse. Auriez-vous peur ? »
« Pas le moins du monde. Cela fait bien longtemps que nous n’avons contemplé les étoiles. »
« Oui, je ne sais comment cela se fait. » Le chant commença.
« Nous allons rester jusqu’à ce qu’il soit terminé, Fanny, » dit-il, tournant le dos à la fenêtre, et à mesure que le chant avançait, elle eut la mortification de le voir, lui, avancer aussi, progressant à petits pas en direction de l’instrument, et quand ce fut fini, il était tout près des chanteurs, et parmi les plus ardents à réclamer d’entendre le chant une seconde fois.
Fanny soupira seule à la fenêtre jusqu’à s’en éloigner sur une remontrance de Mrs Norris la menaçant de prendre froid23.
19L’enthousiasme est encore un mot bien encombrant, qui sera repris à son compte par le narrateur « L’enthousiasme d’une femme amoureuse dépasse même celui du biographe » (« The enthusiasm of a woman’s love is even beyond the biographer’s » II, 9 : 182) avant de trouver des emplois affaiblis24. Le plus intéressant est de noter qu’après cette scène, Fanny commentera ses propres tirades comme si elle s’en détachait. Le chapitre 4 du livre II en contient plusieurs : d’abord l’admiration devant les vertus de la mémoire (p. 143), qui approfondit les notations éparses dans Pride and Prejudice, puis « the evergreen », sans parler du cri du cœur sur « le nom d’Edmund » (« the name of Edmund » p. 145). L’éloge des conifères se termine par un retour sur soi-même :
Vous aller penser que ce sont des rhapsodies de ma part ; mais lorsque je me trouve à l’extérieur, surtout si je suis assise à l’extérieur, j’ai tout à fait tendance à me laisser aller à ce genre d’émerveillement. On ne peut fixer les yeux sur la plus banale des productions de la nature sans y trouver matière à gambader en imagination25.
20Dans chacun de ces cas, Mary Crawford est l’auditeur insensible, sans sympathie particulière ni pour le sujet ni pour Fanny, puis la narration s’emparera des grands moments comme les promenades à Portsmouth pour les intérioriser totalement. L’élan de rhapsodizing et l’incohérence dénoncée de rambling dessinent un portrait de Fanny qui ne cesse d’évoluer26.
21La scène nocturne prend un tout autre tour dans le dialogue d’Edmund avec Fanny, à la fois par son sujet et dans sa forme. Edmund ne répond pas à une tirade par une autre tirade, mais parle de « nuit charmante » (« lovely night ») accessible seulement à ceux qui ont acquis le goût de cette beauté et dont la morale n’est pas friable27. C’est le cœur du roman qui réapparaît d’un coup (« c’est vous qui m’avez appris à penser et à sentir » [« you taught me to think and feel »]), l’éducation ratée du frère et des sœurs d’Edmund, le manque de principes d’Henry Crawford (III, 1 : 215), les séductions frelatées de Mary Crawford (III, 16 : 311), une cascade de négligences plus ou moins graves qui appellent une totale remise en ordre, cette « ordination » qu’Austen annonçait comme le sujet de son prochain livre après Pride and Prejudice28. De plus, la transmission du goût d’Edmund à Fanny sera poursuivie avec le rôle d’éducatrice que joue celle-ci auprès de sa jeune sœur : « Susan n’avait rien lu et Fanny désirait lui faire partager ses propres plaisirs et lui inspirer le goût de la biographie et de la poésie qui faisait ses délices à elle29. » La scène et le roman se déploient donc soudainement dans le temps et dans l’espace. On ressent d’abord le regret de quelque chose dont le lecteur ignorait l’existence, ce « star-gazing », ce délicieux apprentissage des noms des étoiles qui a cessé sans raison (à condition d’oublier qu’Edmund est parti à Eton puis à Oxford). De plus le retour sur le passé prend dans l’immédiat une forme plus pressante avec l’emploi surprenant de again : alors que la scène vient à peine de commencer, Edmund est vu « jetant de nouveau un regard sur le piano » (« glancing at the pianoforte again » p. 77), mais c’est pour la première fois…30 Le lecteur tente de ne pas se perdre entre un passé révolu, un présent qui s’accrocherait à ce passé, des regards croisés allant de la fenêtre au piano-forte où on ne sait plus qui regarde qui, en attendant que les corps se mettent en mouvement.
22Tout change, à commencer par la musique. Le chant des glees, qu’ils soient gais ou moins gais, devient la musique qui aimante Edmund loin de Fanny. Cette fois l’écart n’est plus entre ceux qui aiment la musique et les autres, mais entre les personnages et le lecteur. Celui-ci peut regretter un instant que le titre du glee répété n’apparaisse pas dans la narration, bien que pareil silence permette d’imaginer les trois jeunes filles chantant, avec des regards entendus, le « Sigh no more » de Much Ado about nothing :
Sigh no more, ladies, sigh no more,
Men were deceivers ever,
One foot in sea and one on shore,
To one thing constant never.
23Mais cette petite musique de nuit fait place à une mélodie sans séduction facile, volontiers en mineur, beaucoup plus proche de la « sweet music » du Merchant of Venice. Il est frappant que Mansfield Park soit strictement contemporain de l’invention du nocturne en musique par l’Irlandais John Field (1782-1837), qui a publié le premier groupe de ses Nocturnes en 181431. Ici le texte oublie ce qu’il pouvait y avoir de pictural dans le contraste entre le ciel étoilé et la teinte plus sombre des bois, oublie les charmes de la poésie, pour passer dans la langue de la mélodie. Les premières définitions du nocturne dans sa version pour voix proposent un rapprochement troublant :
Le nocturne est une composition musicale qui se rapproche beaucoup du genre de la romance, mais en diffère en ce sens que la romance est écrite pour une voix seule, tandis que le nocturne est toujours écrit pour deux voix au moins, et de façon à pouvoir toujours être exécuté sans accompagnement32.
24On ne sait même pas si quelqu’un accompagne le glee au piano-forte, seules les voix comptent et Edmund est parti.
À la fin du chapitre 11 Miss Crawford rejoint le club de chant, près du piano ; puis Edmund cesse d’admirer les étoiles avec Fanny pour préférer la musique et Fanny est laissée seule, frissonnante près de la fenêtre, répétition du thème de « l’abandon de Fanny ».
L’hésitation inconsciente d’Edmund entre la beauté lumineuse et élégante de la sémillante petite Mary Crawford et la grâce délicate, le charme discret de Fanny à la taille élancée est illustrée, de façon emblématique par les divers mouvements des jeunes gens impliqués dans la scène du cabinet de musique33.
25Le ballet des groupes qui se faisaient et se défaisaient pendant la visite à Sotherton avait mis en évidence la maîtrise chez Austen de ces déplacements incroyablement complexes. Fanny voit Edmund s’éloigner et se retrouve seule avec la voix de Mrs Norris. Nabokov a raison de dire que « laisser Fanny seule » est un thème du roman, mais il devrait ajouter que c’est la dernière fois qu’elle est abandonnée, que cette scène prépare le renversement des mouvements : désormais ce sont les autres qui commencent à venir vers elle, comme si elle aimantait et devenait le centre du roman. Sir Thomas, à son retour d’Antigua, la demande ; Tom l’invite à danser ; Henry lui rend sans succès visite à Portsmouth ; Edmund quitte Londres pour venir la chercher et, quand elle arrive au château, Lady Bertram vient au-devant d’elle « with no indolent step » (III, 15 : 304). Le mode d’accès à ce roman est la physique des corps. Le plus étonnant pour le moment est l’anonymat de ces auditeurs parmi lesquels Edmund serait « the most urgent ». En dehors de ces dames chacune sur un sofa, il ne reste que Rushworth et Henry Crawford, oubliés depuis qu’ils s’affairaient avec des bougies à l’heure du crépuscule. Dans le cas de Rushworth, ce n’est pas une surprise, mais le lecteur ne peut qu’être étonné de constater la totale disparition de Henry : il est présent mais invisible. Quand il passera à l’attaque, Fanny aura de bonnes raisons d’avoir froid.
26C’est Maria Bertram qui, le jour des égarements à Sotherton, posait (à Henry) la question : « Parlez-vous littéralement ou de manière figurée ? » (« Do you mean literally or figuratively ? » I, 10 : 71) Il n’y a pas à se demander si la nuit représente quelque chose, et quoi. Fanny n’aurait jamais posé cette question et ne la posera jamais, non parce que sa pensée est prosaïque (elle est la seule des jeunes filles à aimer la poésie) mais parce qu’elle sent toute l’impropriété qu’il y a à donner un double sens aux mots, à jouer sur le propre et le figuré : sortir de son rôle (jouer au théâtre, jouer aux cartes) c’est entrer dans la duplicité, la séduction, le faux-semblant. Pour avoir joué, donc triché, Maria et les Crawford seront bannis de Mansfield Park et rejetés dans les ténèbres extérieures, au grand jour.
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Bibliographie
Sources primaires
10.7312/burk90112 :Austen, Jane, 1976, Jane Austen, Sense and Sensibility, Pride and Prejudice and Mansfield Park, a Casebook, B.C. Southam (ed.), London, The Macmillan Press.
—, 1985, Selected Letters, R.W. Chapman (ed.), with an Introduction by Marilyn Butler, Oxford/New-York, Oxford UP.
—, 1988 [1814], Mansfield Park, Isobel Armstrong (ed.), London, Penguin Critical Studies, Penguin Books.
—, 1998 [1814], Mansfield Park, Claudia L. Johnson (ed.), New York, Norton & Company, A Norton Critical Edition.
Burke, Edmund, 1937 [1757], A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and the Beautiful, The Harvard Classics, Volume 24, New York, P.F. Collier & Son.
Field, John, 1990, The Complete Nocturnes, Hans Kann piano, Tuxedo Music.
The Singing Club, 1985, The Hilliard Ensemble, dir. Paul Hiller, Harmonia Mundi.
Sources secondaires
Bradbrook, M.C., 1982, “Reticence in the Later Novels of Jane Austen”, in Women and Literature 1779-1982: The Collected Papers of Muriel Bradbrook, 2 vol., Sussex, The Harvester Press, New Jersey, Barnes & Noble Books.
Halperin, John (ed.), 1975, Jane Austen, Bicentenary Essays, Cambridge, Cambridge UP.
Hardy, John, 1984, Jane Austen’s Heroines, Intimacy in Human Relationships, London, Routledge & Kegan Paul.
Irlam, Shaun, 1999, Elations, The Poetics of Enthusiasm in Eighteenth-Century Britain, Stanford, Stanford UP.
Nabokov, Vladimir, 1980, “Jane Austen. Mansfield Park”, in Lectures on Literature, Fredson Bowers (ed.), Introduced by John Updike, Londres, Weidenfeld & Nicolson, A Picador edition 1983.
Notes de bas de page
1 Toutes les citations du roman renverront à l’édition de Claudia L. Johnson, 1998, A Norton Critical Edition, New York, Norton & Company. Les renvois aux critiques qui y sont reproduits prendront la forme : MP : 442.
2 À propos de la visite au château de Sotherton, Q.D. Leavis salue “its wonderfully sustained but never obtrusive symbolism.” (1957, Introduction to Mansfield Park, Macdonalds Illustrated Classics; repris dans B.C. Southam [ed.], 1976, Jane Austen: Sense and Sensibility, Pride and Prejudice and Mansfield Park, a Casebook, London, The Macmillan Press, p. 240). Alistair Duckworth est moins nuancé : “given Jane Austen’s symbolic mode…” (“Mansfield Park : Jane Austen’s Grounds of Being”, MP, p. 442).
3 Vladimir Nabokov, 1980, “Jane Austen. Mansfield Park”, in Fredson Bowers (ed.), Lectures on Literature, Introduced by John Updike, Londres, Weidenfeld & Nicolson, A Picador edition 1983, p. 41. “‘entirely taken up in fresh arranging and injuring the noble fire which the butler had prepared.’Austen’s style is at its best in this word injure, incidentally the one really original metaphor in the book.” Les traductions sont de l’éditeur.
4 Après tout, quand Austen écrit à sa sœur : “We had a beautiful night for our frisks”, personne n’y cherche des sens cachés. Lettre du 6 novembre 1813, in R.W. Chapman (ed.), 1985, Jane Austen, Selected Letters, with an Introduction by Marilyn Butler, Oxford/New-York, Oxford UP, p. 148.
5 “Fanny turned farther into the window; and Miss Crawford had only time to say in a pleasant manner, ‘I fancy Miss Price has been more used to deserve praise than to hear it;’ when being earnestly invited by the Miss Bertrams to join in a glee, she tripped off to the instrument, leaving Edmund looking after her in an ecstasy of admiration of all her many virtues, from her obliging manners down to her light and graceful tread.” (I, 11, p. 80.)
6 C’est la première apparition du participe excluded dans le roman. Il sera ensuite appliqué par le narrateur à Julia (I, 17, p. 112) mais jamais à Fanny, à la différence de alone.
7 “Between ten and eleven Edmund and Julia walked into the drawing-room, fresh with the evening air, glowing and cheerful, the very reverse of what they found in the three ladies sitting there, for Maria would scarcely raise her eyes from her book, and Lady Bertram was half-asleep; and even Mrs Norris, discomposed by her niece’s ill-humour, and having asked one or two questions about the dinner, which were not immediately attended to, seemed almost determined to say no more. For a few minutes the brother and sister were too eager in their praise of the night and their remarks on the stars, to think beyond themselves; but when the first pause came, Edmund, looking around, said, ‘But where is Fanny? Is she gone to bed?’” (I, 7, p. 51)
8 “Do you know, she says she does not want to learn either music or drawing” (I, 2, p. 16); “I dearly love music myself” (I, 6, p. 43).
9 Rien ne dit que la scène de nuit se passe le lendemain de Sotherton, mais John Hardy semble catégorique: “During the evening they all spend together following the trip to Sotherton, Mary again raises the question of Edmund’s choosing to take orders, and after a time moves away from him and Fanny to join the others in a glee at the piano. For a while Fanny manages to keep him with her at the open window, and, moved by the beauty of the night, hopes he will go outside with her to look at the stars. […] Fanny and Edmund look out on a world that seems momentarily to take them out of themselves with a consciousness of what they can share…” John Hardy, 1984, Jane Austen’s Heroines, Intimacy in human relationships, Londres, Routledge & Kegan Paul, p. 65. Il y a là quantité d’affirmations discutables: “Fanny manages to keep him… hopes he will go outside with her… take them out of themselves.” Ce dernier verbe appartient à la scène précédente ; quant à “what they can share”, Edmund se charge de mettre les choses au point.
10 “Miss Crawford, on walking up with her brother to spend the evening at Mansfield Park, heard the good news; […] but after tea, as Miss Crawford was standing at an open window with Edmund and Fanny looking out on a twilight scene, […] the Miss Bertrams, Mr. Rushworth, and Henry Crawford were all busy with candles at the pianoforte.” (p. 77).
11 “A musical composition, grave or gay, for three or more voices (one voice to each part, in strict use) without accompaniment, 1659.”
12 Lettre du 25 avril 1811, in R.W. Chapman (ed.), op. cit., p. 116. “The music was extremely good; […] & of the other Glees I remember, ‘In Peace Love tunes’, ‘Rosabelle’, ‘The Red Cross Knight’, & ‘Poor Insect’. Between the Songs were Lessons on the Harp, or Harp & Piano Forte together… the House was not clear till after 12.”
13 Un choix de catches et de glees se trouve dans un enregistrement toujours disponible : The Singing Club, The Hilliard Ensemble, dir. Paul Hiller, Musique d’abord, Harmonia Mundi, 1985.
14 Fanny agreed to it, and had the pleasure of seeing him continue at the window with her, in spite of the expected glee; and of having his eyes soon turned like her’s towards the scene without, where all that was solemn and soothing, and lovely, appeared in the brilliancy of an unclouded night, and the contrast of the deep shade of the woods. Fanny spoke her feelings. “Here’s harmony!” said she. ” Here’s repose! Here’s what may leave all painting and all music behind, and what poetry only can attempt to describe. Here’s what may tranquillize every care, and lift the heart to rapture! When I look out on such a night as this, I feel as if there could be neither wickedness nor sorrow in the world; and there certainly would be less of both if the sublimity of Nature were more attended to, and people were carried more out of themselves by contemplating such a scene.” (I, 11, p. 50)
15 L’OED date ce sens de 1880, citant une lettre de Whistler : “I can’t thank you too much for the name ‘Nocturne’ as the title for my moonlights.”
16 M. C. Bradbrook, 1982, “Reticence in the Later Novels of Jane Austen”, Women and Literature 1779-1982 : The Collected Papers of Muriel Bradbrook, Volume 2, The Harvester Press, Sussex; Barnes & Noble Books, New Jersey, p. 32-33. “Not only an inveterate reader of biographies and poetry, Fanny is also a budding Romantic and her least reticent moment comes in her enthusiastic outburst to Edmund on the beauties of the moonlight view of the Park (while she is hoping to keep him away from music and Miss Crawford) […].”
17 “and then we could all return to a late dinner here, or dine at Sotherton, just as might be most agreeable to your mother, and have a pleasant drive home by moonlight.” (I, 6, p. 45). Nabokov (chap. cit., p. 25-26) a trouvé de la lune dans le poème de Scott cité par Fanny dans la chapelle (I, 9, p. 61), mais non dans les vers qu’elle rappelle.
18 Kenneth L. Moler, 1975, “The two voices of Fanny Price”, in John Halperin (ed.), Jane Austen, Bicentenary Essays, Cambridge, Cambridge UP, p. 173-174. “One of the ‘voices’ that the reader associates with Fanny Price is what might be described as her ‘bookish’ voice. Fanny is often made to talk in a manner that sounds artificial and out of place in the real-life conversations in which her speeches occur. Her rhetoric sounds stilted and excessively ‘literary’, and she often seems to be echoing uncomfortably closely literature—particularly educational and didactic literature—with which an early-nineteenth-century audience would have been familiar. Her rhapsody on the beauties of a starry night observed from the windows of the Mansfield drawing-room is a case in point. […]” “Here Fanny’s overdone rhetoric, with its elaborate use of exclamation and asyndeton, suggests second-rate speech-making or the poorly handled written word rather than normal discourse. The description of the elevating effects of the sublime in natural scenery is a commonplace into which one constantly stumbles in all sorts of literature of the period. […] The effect of the whole is that of ‘schoolmarmish’ parroting of exemplary texts. Similar rhetoric and the same sententiousness give an artificial and derivative tone to the lecture on the evergreen that Fanny delivers to Mary Crawford in the garden of Mansfield Parsonage.”
19 Isobel Armstrong, 1988, Jane Austen, Mansfield Park, Penguin Critical Studies, Penguin Books, London, p. 51. “The privacy of Wordsworth’s moments of sublimity in solitude, moments at which the non-social consciousness asserts its energy and power and seems to be self-subsisting, is being invoked here.”
20 Edmund Burke, 1937 [1757], A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and the Beautiful, I, vii, “Of the Sublime”, The Harvard Classics, Volume 24, New York, P.F. Collier & Son, p. 35. “Whatever is fitted in any sort to excite the ideas of pain and danger, that is to say, whatever is in any sort terrible, or is conversant about terrible objects, or operates in a manner analogous to terror, is a source of the sublime; that is, it is productive of the strongest emotion which the mind is capable of feeling.”
21 Claudia L. Johnson, “Mansfield Park: Confusions of Guilt and Revolutions of Mind”, MP, p. 459. “From the first pages on, Austen is at pains to employ the Burkean vocabulary of the sublime […] Everything from Sir Thomas’s arched brow to his inflated diction marks him as a figurehead for the sublime […] While the sublime arouses passions of dread and respect, the beautiful softens and endears.”
22 La citation de Cowper dans Emma est particulièrement violente : “When he was again in their company, he could not help remembering what he had seen; nor could he avoid observations which, unless it were like Cowper and his fire at twilight, ‘Myself creating what I saw’ brought him yet stronger suspicion of there being a something of private liking, of private understanding even, between Frank Churchill and Jane.” (III, 5)
23 “‘I like to hear your enthusiasm, Fanny. It is a lovely night, and they are much to be pitied who have not been taught to feel in some degree as you do—who have not at least been given a taste for nature in early life. They lose a great deal.’
‘You taught me to think and feel on the subject, cousin.’ ‘I had a very apt scholar. There’s Arcturus looking very bright.’
‘Yes, and the bear. I wish I could see Cassiopeia.’
‘We must go out on the lawn for that. Should you be afraid?’
‘Not in the least. It is a great while since we have had any star-gazing.’
‘Yes, I do not know how it has happened.’ The glee began. ‘We will stay till this is finished, Fanny,’ said he, turning his back on the window; and as it advanced, she had the mortification of seeing him advance too, moving forward by gentle degrees towards the instrument, and when it ceased, he was close by the singers, among the most urgent in requesting to hear the glee again.
Fanny sighed alone at the window till scolded away by Mrs Norris’s threats of catching cold.” (I, 11, p. 81.)
24 Le premier est prêté abusivement par Sir Thomas à Fanny : “her tender enthusiasm” (II, 11, p. 193), le second tout aussi abusivement par Edmund à Mary Crawford: “the enthusiasm of her fondness for Henry” (III, 5, p. 240).
25 “You will think me rhapsodising; but when I am out of doors, especially when I am sitting out of doors, I am very apt to get into this sort of wondering strain. One cannot fix one’s eyes on the commonest natural production without finding food for a rambling fancy.” (p. 144.)
26 Nina Auerbach se plaint de “the deadness of Fanny’s effusions to stars, trees, and ‘verdure.’” (“Jane Austen’s dangerous charm: Feeling as one ought about Fanny Price,” MP, p. 457). Sur l’enthousiasme, voir Shaun Irlam, 1999, Elations, The Poetics of Enthusiasm in Eighteenth-Century Britain, Stanford, Stanford UP.
27 Bien entendu “the sublimity of nature” s’oppose à “the serenity of nature” (au retour de Sotherton, I, 10, p. 76) à un moment où seule la narration y est sensible.
28 Lettre à Cassandra du 29 juillet 1813, in R.W. Chapman (ed.), op. cit., p. 132.
29 “Susan had read nothing, and Fanny longed to give her a share in her own first pleasures, and inspire a taste for the biography and poetry which she delighted in herself.” (III, 10, p. 271.)
30 Again réapparaît tout aussi vigoureusement quand Fanny tremble en entendant approcher le pas de Sir Thomas: “and she felt as if he were going to examine her again in French and English.” (III, 1, p. 211), alors qu’il n’a jamais été question de ces leçons. Austen crée à la fois le présent et le passé.
31 On en trouvera l’intégrale sur le disque suivant : John Field, The Complete Nocturnes, Hans Kann piano, © Tuxedo Music, 1990. Le Grove Dictionary of Music précise que Chopin non seulement connaissait, mais avait abondamment travaillé sa partition des Nocturnes de Field.
32 Larousse, Grand dictionnaire universel, Tome onzième.
33 Nabokov, “Jane Austen. Mansfield Park”, chap. cit., p. 28-30. “At the end of chapter 11 Miss Crawford joins the glee club at the piano; then Edmund leaves admiring the stars with Fanny for the music, and Fanny is left alone shivering at the window, a repetition of the leaving-Fanny theme. Edmund’s unconscious hesitation between the bright and elegant beauty of dapper little Mary Crawford and the delicate grace and subdued loveliness of slender Fanny is emblematically demonstrated by the various movements of the young people involved in the music-room scene.”
Auteur
Agrégé d’anglais, Jean Dixsaut a été professeur de l’université Denis Diderot – Paris VII. Spécialiste de littérature du XVIIIe siècle, il a publié de nombreux articles notamment sur Jonathan Swift, Daniel Defoe, Henry Fielding, Samuel Richardson et Laurence Sterne. Membre actif du Centre d’études anglaises du XVIIIe siècle (CREA XVIII) de la Sorbonne nouvelle – Paris 3, il y a présenté nombre de communications.
Traducteur, auteur de manuels de version anglaise ainsi que de traductions d’œuvres littéraires, de Congreve et de Jane Austen.
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