• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15379 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15379 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Newsletter
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Presses Sorbonne Nouvelle
  • ›
  • Monde germanophone
  • ›
  • La RDA au passé présent
  • ›
  • Première partie. Enjeux de la transmissi...
  • ›
  • Pour une histoire comparée de la Républi...
  • Presses Sorbonne Nouvelle
  • Presses Sorbonne Nouvelle
    Presses Sorbonne Nouvelle
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral République populaire de Pologne et République démocratique allemande : un destin commun République démocratique allemande et République populaire de Pologne : deux histoires spécifiques L’imbrication des histoires Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    La RDA au passé présent

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Pour une histoire comparée de la République démocratique allemande et de la République populaire de Pologne

    Pascal Fagot

    p. 65-80

    Texte intégral Bibliographie Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1 La République démocratique allemande (RDA) n’appartenait pas seulement à ce que l’on percevait généralement en Europe occidentale comme le « bloc de l’Est », elle était aussi une partie de l’Allemagne et possédait de ce fait une identité multiple qu’un étudiant à qui les réalités historiques de cette région de l’Europe sont étrangères ne peut que difficilement saisir. Un moyen de mieux lui faire appréhender la réalité est-allemande pourrait être de comparer l’histoire de cet État avec celle d’un autre pays de l’Est. Selon Marc Bloch, la méthode comparative permet de mieux comprendre les causes des phénomènes observés et de dégager l’« originalité des différentes sociétés » (Bloch, 1995 : 107). Une des façons d’appliquer cette méthode comparative est, toujours selon Marc Bloch d’« étudier parallèlement des sociétés à la fois voisines et contemporaines, sans cesse influencées les unes par les autres, soumises dans leur développement [...] à l’action des mêmes grandes causes, et remontant, partiellement du moins, à une origine commune » (ibid. : 97). La comparaison de la RDA avec la République populaire de Pologne devrait être particulièrement utile. Ces deux États étaient géographiquement et politiquement assez proches pour que la comparaison dise dans quelle mesure ils se définissaient par leur appartenance à un groupe dont ils devaient accepter les règles mais qu’ils contribuaient également à faire exister. Par ailleurs, ils étaient assez différents pour que la comparaison révèle la marge de manœuvre qui, dans le cadre commun des pays de l’Est, permit à chacun d’affirmer sa spécificité.

    2Il est évidemment impossible de faire en quelques pages une histoire comparée de la RDA et de la République populaire de Pologne, aussi me contenterai-je, au risque de schématiser, de signaler certains traits marquants de ces histoires afin de montrer par l’exemple que la comparaison permet de mieux en exposer les points obscurs tout en rendant les évidences encore plus frappantes.

    3Dans un premier temps, je tenterai de voir ce qui rapprochait la République démocratique allemande de la République populaire de Pologne, je rappellerai dans quelle mesure elles partagèrent un même destin qui leur fut imposé à toutes deux. Dans un second temps, j’essaierai de voir en quoi elles étaient dissemblables. La comparaison permettra évidemment d’insister sur le problème national et la relation particulière de la RDA à la République fédérale d’Allemagne (RFA). Enfin, je me demanderai dans quelle mesure il n’est pas réducteur de tracer un tableau à deux colonnes qui expliquerait l’histoire de la RDA et de la République populaire de Pologne par une double identité relevant d’une appartenance commune à un bloc politique d’une part et d’une situation nationale particulière d’autre part. J’examinerai si ces spécificités et points communs ne se conditionnaient pas mutuellement pour créer une dynamique impliquant que ni la RDA ni la République populaire de Pologne ne peuvent être correctement perçues que si l’on tient compte des relations qu’elles entretenaient entre elles et avec le bloc dont elles faisaient partie.

    République populaire de Pologne et République démocratique allemande : un destin commun

    4Il n’est pas très difficile de montrer que la République démocratique allemande et la République populaire de Pologne partagèrent pendant plus de quarante années le destin commun aux pays satellites de l’Union soviétique et que cela conditionna leur développement politique, économique, social et culturel. Considérons tout d’abord les conditions de leur création : toutes deux sont nées de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide. Leurs limites géographiques furent fixées en 1945 par les conférences de Yalta et de Potsdam qui décidèrent d’une part de la division de l’Allemagne et de Berlin en zones d’occupation dont chacune devait être administrée par une des puissances victorieuses de l’Allemagne nazie, et d’autre part du déplacement vers l’ouest du territoire de la Pologne qui, en compensation de la perte de territoires polonais annexés par l’Union soviétique, se vit confier l’administration de vastes régions allemandes. Cela ne devait être que provisoire et revu à l’occasion d’un traité de paix ultérieur.

    5Les Allemands et les Polonais ne participèrent pas à ces conférences déterminantes pour leur avenir. Les Alliés occidentaux ne trouvaient pas opportun de remettre à la Pologne de si vastes territoires allemands car ils savaient que cela serait source de soucis ; l’Union soviétique les mit pourtant devant le fait accompli en confiant à la Pologne la plus grande partie des régions allemandes que l’Armée Rouge occupait à l’Est de la ligne Oder-Neiße. Le gouvernement légal de la République polonaise réfugié à Londres refusa certes le tracé des nouvelles frontières polonaises, mais les Alliés lui ôtèrent tout pouvoir en reconnaissant dès 1945 le gouvernement d’unité nationale installé en Pologne occupée par l’Union soviétique. En reprenant les thèses de certains historiens polonais d’avant-guerre (Grabski, 2003 : 178) selon lesquelles ces régions avaient été polonaises avant d’être annexées par l’Allemagne, la Pologne communiste les qualifia de « terres recouvrées » et, malgré toutes les protestations allemandes, s’efforça immédiatement de les incorporer dans son territoire national.

    6La RDA créée en 1949 ne couvrait quant à elle qu’un petit espace du territoire allemand. Alors que, officiellement tout au moins, ni l’Union soviétique ni les Alliés occidentaux n’envisageaient en 1945 une division de l’Allemagne, elle est née de la tension suscitée par la guerre froide et se constitua en réponse à la création de la République fédérale d’Allemagne.

    7La République populaire de Pologne et la République démocratique allemande étaient des créations nouvelles et fragiles. Elles furent toutes deux intégrées dans la sphère d’influence de l’Union soviétique qui appliqua à tous les pays de cette zone des stratégies analogues. Leur régime politique était contesté par une grande partie de la population à laquelle il avait été imposé et elles eurent toutes deux fort à faire pour se forger une légitimité.

    8Au sortir de la guerre, on afficha une volonté de démocratisation de la vie politique. Tandis que la création en 1945 de partis politiques différents (SPD, KPD, CDU, LDPD) mais réunis dès juillet 1945 dans le « bloc antifasciste » assurait dans la zone allemande d’occupation soviétique une apparente pluralité politique, les Polonais mirent en place en 1945 un gouvernement d’union nationale auquel participaient ensemble des ministres communistes et non communistes. Mais les tensions naissantes entre les États-Unis d’Amérique et l’Union soviétique amenèrent cette dernière à renforcer son contrôle sur sa zone d’influence. Comme dans tous les pays de l’Europe de l’Est, les sociétés est-allemande et polonaise furent transformées sur le modèle soviétique. Les moyens utilisés étaient partout semblables. Les partis communistes tentèrent d’étendre leur influence et de neutraliser leurs adversaires politiques socialistes en fusionnant avec eux. Dans la zone d’occupation soviétique, le SED (Parti Socialiste Unifié d’Allemagne) fut créé en 1946, le PZPR (Parti Ouvrier Unifié Polonais) vit le jour en Pologne en 1948. Les autres partis furent rassemblés dans des blocs dominés par les partis communistes qui créèrent également des organisations de masse (par exemple les organisations de jeunesse Freie Deutsche Jugend et Zwią zek M ł odzieży Polskiej) et des syndicats unifiés (FDGB et Zrzeszenie Zwią zków Zawodowych) leur permettant de contrôler l’ensemble de la société.

    9Après avoir adopté dès 1947 le marxisme-léninisme comme idéologie officielle, le SED se définit en 1949 comme parti « de nouveau type » sur le modèle du parti communiste de l’Union soviétique et condamna l’expérience de Tito d’une voie yougoslave vers le socialisme. Au même moment, Władysław Gomułka, qui justement prônait une voie polonaise vers le socialisme fut éloigné de la direction du PZPR avant d’en être exclu pour déviationnisme nationaliste.

    10Après s’être donné les outils nécessaires à sa réalisation, les partis communistes procédèrent à la transformation de la vie politique, sociale et économique de leur pays respectif. Si on avait, en Pologne comme en Allemagne de l’Est, d’abord distribué la terre aux paysans, on entreprit ensuite, conformément à la décision du Kominform, la collectivisation de l’agriculture ; les grandes entreprises furent nationalisées et on adopta une économie de type planifié mettant l’accent sur le développement de l’industrie lourde. Le premier plan fut promulgué dans la zone allemande d’occupation soviétique dès 1947, pendant que, la même année, la Pologne mettait en place un plan économique de trois années.

    11L’intégration des États relevant de la zone d’influence soviétique s’organisa. La Pologne et la RDA adhérèrent au Conseil d’Assistance Économique Mutuel créé en 1949 et au traité de Varsovie, signé en 1955, qui mettait au point la coopération militaire.

    12C’est à la fois par la séduction et la coercition que les partis communistes au pouvoir tentèrent de gagner l’adhésion de la société. Tout en offrant à de nombreux jeunes gens une chance inédite d’ascension sociale et une idéologie qui, par les idéaux qu’elle professait, parvint souvent à les séduire, ils instaurèrent un stalinisme implacable ; en Pologne comme en RDA, ils tentèrent brutalement de réduire l’influence de l’Église et limitèrent toute liberté individuelle et intellectuelle.

    13La République populaire de Pologne et la République démocratique allemande furent toutes deux bouleversées par la mort de Staline en 1953 qui provoqua une remise en question de la politique suivie jusqu’alors. Si la RDA fut dès 1953 le lieu de violents affrontements au cours desquels s’exprima le mécontentement d’une grande partie de la population, le soulèvement eut lieu en Pologne en 1956, après que Khrouchtchev, à la stupeur générale, eut présenté la réalité du stalinisme.

    14Certes, les histoires polonaise et est-allemande semblent avoir divergé par le fait que l’histoire de la Pologne populaire fut, bien plus que celle de la RDA, ponctuée de soulèvements contre l’ordre imposé par l’Union soviétique. Après 1956, on vit les Polonais protester ouvertement en 1968, en 1970, en 1976, en 1980-81 et ne plus cesser jusqu’en 1989 de clamer haut et fort leur mécontentement. L’histoire de la RDA semble moins mouvementée. Après juin 1953 et le choc très brutal de la construction du mur de Berlin en 1961, il n’y eut plus de grandes manifestations jusqu’en 1989. Mais on sait maintenant que cette stabilité n’était qu’apparente, que, comme ceux de la Pologne, les problèmes économiques et politiques de la RDA étaient pratiquement insolubles. Toutes deux firent l’expérience de la nécessité de réformes économiques profondes et de l’impossibilité de procéder aux changements indispensables à ces réformes ; toutes deux essayèrent vainement de trouver la solution dans l’obtention de crédits occidentaux. À la différence de la RFA qui put établir un large consensus autour de sa constitution et de l’« économie sociale de marché », aucun des deux États socialistes ne parvint à emporter l’adhésion réelle et durable de sa population. Chacun dut, tout au long de son histoire, affronter une contestation aux formes diverses, qui s’exprimait autant par les nombreux soulèvements polonais que par le refus de participer à la vie politique ou par la fuite vers l’Ouest des citoyens est-allemands.

    15La RDA et la République populaire de Pologne furent à certains moments tiraillées entre la volonté de suivre la voie indiquée par l’Union soviétique et une voie plus indépendante, plus conforme à ce que chacun considérait comme son intérêt national, parfois en désaccord avec les directives soviétiques. C’est ainsi que Walter Ulbricht et Erich Honecker marquèrent, dans les dernières années de leur règne respectif, une indépendance qui n’était pas du goût de l’Union soviétique, tandis que la politique polonaise ne cessa d’inquiéter Moscou. En 1985, les deux pays furent bouleversés par l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev qui, en initiant une autre politique de l’Union soviétique à l’égard des pays de l’Est, créa des possibilités inédites et indiqua des alternatives nouvelles auparavant inimaginables. Ils profitèrent de la marge de manœuvre que leur laissait l’Union soviétique pour se dégager de sa tutelle. En Pologne, le passage du communisme au capitalisme fut long et progressif, marqué de nombreuses crises ; en RDA, il fut brutal et inattendu, mais comme tous les pays du bloc de l’Est, utilisant les possibilités qui leur furent tout à coup données, les deux États renoncèrent presque au même moment au projet communiste.

    16La fin du communisme les plongea dans une nouvelle histoire à construire, les obligea à se trouver une nouvelle identité. Si les conditions dans lesquelles s’effectua la transition furent bien différentes entre la RDA et la Pologne, les deux populations n’en furent pas moins confrontées, toutes proportions gardées, au même problème de changement de système économique, politique et culturel, à un bouleversement qui leur fit perdre tous leurs repères et dont elles ne sortirent pas indemnes. Malgré l’aide financière dont profitèrent les nouveaux Länder, ceux-ci connaissent des taux de chômage relativement proches de ceux de la République populaire de Pologne (en 2003 : 18,5 % dans les nouveaux Länder et Berlin-Est et 19,2 % en Pologne1). Ils restent comme elle très marqués par leur passé communiste, comme en témoigne la force des deux anciens partis communistes, le PDS (Partei des Demokratischen Sozialismus) dans les nouveaux Länder et le SLD (Sojusz Lewicy Demokratycznej) en Pologne, qui, entre 1995 et 2005, donna au pays son président de la République.

    17Une rapide histoire comparée rappelle clairement que l’appartenance à la sphère d’influence de l’Union soviétique n’a laissé ni à la République démocratique allemande ni à la République populaire de Pologne le choix de leur histoire, qu’elle leur a imposé un cadre auquel, pas plus que tous les autres pays socialistes, il ne leur a été possible de se soustraire.

    République démocratique allemande et République populaire de Pologne : deux histoires spécifiques

    18Pourtant, malgré toutes les ressemblances entre la RDA et la République populaire de Pologne, il est frappant de constater d’énormes différences entre ces deux pays. On garde le souvenir d’une Pologne pauvre, mais libérale bien que communiste, et d’une RDA autoritaire, mais à l’économie relativement prospère bien que communiste. Cela tendrait à indiquer que, malgré l’application d’un modèle imposé à tous, les États du « bloc » de l’Est auraient pu conserver une certaine spécificité, qu’ils auraient joui d’une liberté qui leur aurait permis d’interpréter à leur façon les règles à appliquer.

    19En reprenant l’histoire de la RDA et de la République populaire de Pologne à leur création, on constate en effet une différence qui va vraisemblablement déterminer tout leur devenir et qui tient essentiellement aux histoires nationales de la Pologne et de l’Allemagne.

    20Rayée de la carte par le dernier partage de 1795, la Pologne n’a été recréée qu’en 1918 pour être de nouveau partagée en 1939 entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. Pendant les années où elle n’a pas existé, les Polonais ont, malgré leurs échecs répétés et contre toute répression bismarckienne ou tsariste, réussi à maintenir et même à renforcer un vif sentiment national. En 1945, les Polonais désiraient la renaissance de la Pologne. Même si les dissensions étaient nombreuses entre les Polonais soutenant le gouvernement de Londres et leurs compatriotes partisans de celui que l’Union soviétique avait instauré en Pologne, même si les frontières du pays étaient mal définies, la Pologne était une entité géographique et nationale dont tous les Polonais affirmaient et souhaitaient l’existence. La stratégie du gouvernement communiste consista, à force de propagande anti-allemande et en s’appuyant sur ce fort sentiment national, à convaincre la population polonaise que son intérêt bien compris se trouvait aux côtés de l’Union soviétique, que cette dernière était seule en mesure de lui assurer la sécurité face à une Allemagne occidentale revancharde dont le projet était de reprendre les territoires qu’elle avait été contrainte de céder à la Pologne.

    21Il en allait tout autrement de la République démocratique allemande. En 1945, personne ne pensait à la création d’une RDA qui, tout comme la République fédérale d’Allemagne, affirma longtemps son caractère provisoire et sa volonté de réunification de l’Allemagne. Quand elle fut fondée, aucun sentiment national ne portait cette RDA qui n’avait pas d’identité historique. La RDA n’était pas un tout, comme l’était la République populaire de Pologne avec ses 30 millions d’habitants, elle n’était qu’une partie de l’Allemagne qui, depuis le XIXe siècle et par-delà les régionalismes, suscitait un important sentiment d’appartenance national. De surcroît, elle n’en était que la plus petite partie, la plus faible et la moins légitime aussi ; contrairement à la République populaire de Pologne dont les Alliés reconnurent le gouvernement dès 1945, son existence fut contestée jusque dans les années 1970. À la différence de la Pologne, la petite RDA vécut donc à l’ombre de la grande RFA qui prétendait parler en son nom.

    22Alors que la Pologne était pour la majorité des Polonais, et quelle que fût la façon dont chacun le définissait, un vieux projet national avant d’être politique, alors qu’elle était polonaise avant d’être communiste, la RDA devait, si elle voulait exister, se créer une identité qu’il lui fallait justifier et défendre contre les attaques de la trop puissante République fédérale. Cette identité ne pouvant être nationale, comme elle l’était en Pologne, elle fut d’abord politique. Tandis que les communistes polonais en appelaient à la lutte ancestrale en faveur d’une Pologne enfin réalisée, la RDA, qui savait que son existence si fragile dépendait de sa relation avec l’Union soviétique, se définissait d’abord par son projet de société. Quand les instigateurs du projet communiste jetèrent l’éponge en 1989-1990, la RDA n’eut plus de raison d’exister et disparut à son tour des cartes politiques. À l’opposé, la Pologne cessa certes d’être République populaire de Pologne, mais elle continua d’exister dans les mêmes frontières sous une autre forme politique.

    23Le premier souci de la RDA était donc d’affirmer son existence, de se déterminer à l’égard de la RFA, avec laquelle, par définition, elle entretenait une relation toute particulière et dont elle entendait se démarquer par sa proximité avec l’Union soviétique.

    24Dès 1956, après les événements de Poznań, la Pologne populaire accepta un certain libéralisme politique qui ne remettait pas son existence en question. Władysław Gomułka, le « révisionniste » écarté du parti communiste en 1947, fut réhabilité et réinstallé en octobre 1956 dans ses fonctions de premier secrétaire. Imposé à l’Union soviétique par la population polonaise, il réaffirma dans un premier temps son projet d’une voie polonaise vers le socialisme : il mit fin à la collectivisation de l’agriculture ; sous la pression de l’Église polonaise, il permit la création d’endroits d’expression tels que les « Clubs de l’intelligentsia catholique » qui brisaient le monopole idéologique du parti communiste. En 1956, la Pologne populaire s’engagea dans une voie que les gouvernants de la RDA considérèrent toujours comme suspecte. À chaque nouveau mouvement populaire, ils reprochèrent à leurs homologues polonais de s’être trop écartés de la ligne idéologique tracée par l’Union soviétique. En 1980-1981, la RDA désapprouva une politique polonaise qui était perçue à l’Ouest comme du libéralisme politique et qu’elle tenait pour un dangereux laxisme idéologique ; elle était parmi les partisans d’une intervention militaire soviétique en Pologne et fit son possible pour que son voisin oriental redevienne un membre à part entière du bloc socialiste, respectant la discipline du groupe dont la RDA savait qu’elle dépendait elle-même (Ziemer, in Borodziej, 2000 : 593-626).

    25La proximité de la RFA était d’autant plus importante et dangereuse pour la RDA que l’autre Allemagne, dont l’économie sociale de marché semblait assurer à la fois sécurité, richesse et liberté, apparaissait aux citoyens est-allemands comme une véritable alternative au projet de société proposé, ou plutôt imposé, au bloc des pays de l’Est. La RDA dut constamment faire face au pouvoir de séduction de la RFA, plus grande, plus riche, plus puissante, consciente de sa suprématie, et très active auprès des citoyens de la RDA. C’est par la construction du mur de Berlin en 1961, par la répression et l’éducation politique qu’elle essaya de parer à ce problème insoluble. La République populaire de Pologne était à cet égard dans une situation moins délicate. On savait en Pologne que les pays occidentaux proposaient un autre modèle politique, dont on se souvenait pour avoir soi-même tenté de le réaliser pendant un avant-guerre souvent idéalisé, et on en connaissait les avantages. Sans négliger la grande importance de la radio Wolna Europa (Europe Libre) qui émettait en polonais à partir de Munich, sans négliger l’ampleur de l’exil politique et économique que connaissait la Pologne, force est de constater que ce problème n’y atteint jamais les mêmes dimensions qu’en RDA. Au lieu de construire un mur qui lui assurait la survie, la Pologne a permis à ses ressortissants auxquels aucun autre État polonais riche et moderne n’accordait automatiquement la citoyenneté, de voyager relativement librement.

    26Toutefois, cette relation difficile et particulière avec l’autre État allemand présentait pour la RDA des avantages dont ne bénéficiait pas la Pologne et qui expliquent partiellement la grande différence de niveau de vie entre la RDA et la République populaire de Pologne.

    27Outre que la RDA pouvait être tentée de résoudre le problème que lui posait l’opposition politique en l’expulsant simplement vers la RFA, elle profitait indirectement des bienfaits de l’adhésion de la RFA à la Communauté européenne par le fait qu’elle n’était pas considérée par cette dernière comme un État étranger mais comme partie intégrante de son propre territoire. Ceci permit à la RDA d’avoir des relations économiques privilégiées avec l’Europe occidentale et un accès aux technologies modernes auquel ne pouvait prétendre aucun autre pays du bloc de l’Est. La RDA sut également tirer parti de la richesse de la RFA qui, par exemple sous forme de crédits, de taxes sur les voyages interallemands et de sommes versées pour le rachat de prisonniers politiques, l’aida à entretenir l’illusion de stabilité économique alors que la Pologne sombrait dans le chaos de la faillite et de la pénurie.

    28Si les mouvements de contestation furent beaucoup plus fréquents et virulents en Pologne qu’en RDA, ceci tient vraisemblablement en grande partie à la différence de niveau de vie entre les deux pays. Les grands mouvements de protestation polonais furent d’abord des réactions à des décisions économiques d’augmentation des prix. Günter Grass le rappelle avec humour dans son roman Der Butt (Le turbot), dont une partie de l’action se déroule à Gdańsk en 1970, et qui fait dire à la femme d’un des principaux personnages qui va se joindre au mouvement de protestation avant de mourir sous les balles de la milice polonaise : « et n’essaie pas de rentrer à la maison avant que les prix aient baissé ! » (Grass, 1979 : 513, notre traduction)2. Ce sont également des décisions économiques qui déclenchèrent le mouvement de protestation est-allemand de juin 1953 et qui fournirent à nombre d’Allemands une bonne raison de quitter la RDA. L’importance du facteur économique dans la genèse de la contestation apparaît avec évidence lorsque, en Pologne, on considère les premiers temps du gouvernement d’Edward Gierek qui, au début des années 1970, avait obtenu d’importants crédits occidentaux lui permettant d’alimenter le marché des biens de consommation. Dans un pays où, selon Jacek Kuroń, on jugeait le gouvernement au niveau des prix à la consommation et à la façon dont il assurait l’approvisionnement en viande (Kuroń/Zakowski, 2004 : 149), cette époque est restée dans la mémoire nationale polonaise comme un âge d’or de la République populaire de Pologne et c’est d’ailleurs en 1972 que les gouvernements est-allemand et polonais ouvrirent à leurs citoyens respectifs la frontière entre leurs deux pays. Ce n’est que quand réapparurent les problèmes économiques que resurgit la contestation. Bien que, jugée à l’aune de la réussite de la RFA, elle ait toujours considéré son niveau de vie comme insatisfaisant, la population de RDA ne connut jamais une situation aussi catastrophique que celle à laquelle fut confrontée pendant des années la population polonaise.

    29Si cela peut expliquer que la contestation ait atteint des degrés d’intensité différente en RDA et en Pologne, il faut également considérer, au risque de schématiser, le fait que Polonais et Allemands disposaient d’une culture politique différente. En ce qui concerne la Pologne, on pourrait remonter au-delà du XVIIIe siècle, mais il suffit de considérer la longue période où elle était partagée entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. Un des problèmes qui se posait alors aux Polonais était de définir leur relation à des États dont ils estimaient qu’ils n’étaient pas les leurs. Adam Mickiewicz, l’auteur romantique du XIXe siècle élevé au rang de mythe national au point que c’est l’interdiction de la représentation d’une de ses pièces qui déclencha la révolte de 1968, était un opposant, un combattant inlassable en faveur du rétablissement d’une Pologne indépendante. La politique de germanisation forcée appliquée par Bismarck et les répressions tsaristes ont exacerbé le sentiment national des Polonais et affermi leur attitude d’opposition. Forts de cette expérience nationale, poursuivie pendant la Seconde Guerre mondiale où les Polonais tentèrent de continuer d’exister malgré l’extrême violence nazie, ils n’eurent pas de difficulté à reprendre pendant la période communiste des modes d’opposition que, dès le dix-neuvième siècle, leurs ancêtres avaient éprouvés et qui étaient déposés dans la mémoire nationale ; on pense par exemple aux universités clandestines mises en place dans les années 1970. En Pologne, l’opposition à l’État imposé par l’URSS était d’autant plus probable que l’on connaissait bien la Russie, qui s’était emparée au XVIIIe siècle d’une partie des territoires de l’ancienne République de Pologne et contre laquelle on s’était vainement soulevé en 1830 et 1863. On avait ensuite fait l’expérience de l’Union soviétique, contre laquelle on avait déjà combattu en 1920 et qui, en 1939, avait brutalement envahi l’Est du pays dont elle avait déporté une partie de la population. On savait également, sans que cela fût officiel, qu’elle avait organisé à Katyn l’assassinat de milliers d’officiers polonais, que son armée avait assisté passive à l’écrasement de l’insurrection de Varsovie, qu’après 1945 elle avait décimé l’Armia Krajowa (Armée de l’Intérieur) proche du gouvernement de Londres, et on avait de grandes difficultés à voir en elle la libératrice et grande amie de la Pologne et des Polonais qu’elle prétendait être. Władysław Bartoszewski, ancien ministre des affaires étrangères de Pologne, explique qu’une des raisons pour lesquelles le syndicat Solidarność est né à Gdańsk est que les habitants de cette ville étaient massivement originaires de l’est de la Pologne dont, après avoir connu les années de l’occupation soviétique et avoir fait l’expérience du système communiste, ils avaient été chassés en 1945 (Bartoszewski, in Aust/Burgdorff, 2003 : 166). Les Polonais disposaient donc d’une tradition politique et d’une connaissance de l’Union soviétique qui les prédisposaient presque naturellement à s’élever contre le système et l’État qui leur avaient été imposés. Le slogan de l’opposition qui, à la suite de l’instauration de l’état de guerre par le Général Jaruzelski en décembre 1981, déclarait : » zima wasza, wiosna nasza«, « l’hiver est à vous mais le printemps sera à nous », ne faisait qu’entériner le divorce entre la société (nous) et le gouvernement (vous), qui annonçait, mais la route fut longue pour y parvenir, le « Wir sind das Volk » des manifestations est-allemandes de 1989.

    30Si la route fut plus longue en RDA, c’est notamment parce que les Allemands de l’Est entretenaient une autre relation avec leur État. Tandis que les Polonais furent longtemps soumis à des États étrangers qu’ils considéraient comme hostiles, la Prusse éclairée s’est développée et affirmée par son armée et son administration ; Georg Iggers rappelle la dimension métaphysique que les historiens allemands du XIXe siècle attribuaient à l’État qu’ils considéraient comme incarnation de la raison et de la morale (Iggers, 1997 : 370). Erhart Neubert souligne que le culte de l’État pratiqué par le SED n’a pas rencontré de résistance dans la société est-allemande, qu’au contraire, le Parti a pu s’appuyer sur une attitude fondamentalement positive à l’égard de l’État (Neubert, 1998 : 20). Il explique que le comportement des Allemands de l’Est peut également s’interpréter comme adhésion à un pouvoir politique qui, après la Seconde Guerre mondiale, trouvait sa légitimité morale dans les formules de l’antifascisme et du socialisme. Malgré tous les reproches qu’ils pouvaient lui faire, nombre d’intellectuels soutenaient dans son principe le projet politique porté par ce pouvoir et, à la différence de l’opposition polonaise, convaincue dès les années 1970 dans sa majorité de ce que le communisme n’était pas réformable, pratiquèrent jusqu’au bout une critique réformatrice. En échange de l’adhésion au système qu’il proposait, l’État est-allemand aurait, selon Neubert, donné à ses citoyens l’absolution morale pour les crimes auxquels ils auraient participé pendant la guerre. Pour noter la différence, on rappellera tout simplement que les Polonais sont sortis de la Seconde Guerre mondiale avec la conscience que, bien qu’ayant contribué à la victoire sur l’Allemagne nazie, ils étaient de nouveau victimes de l’Histoire et qu’ils méritaient davantage que ce qu’on avait bien voulu leur accorder.

    31Par ailleurs, il faut souligner bien sûr le rôle essentiel de l’Église catholique polonaise qui, pendant les partages, mais aussi pendant la Seconde Guerre mondiale, s’était substituée à l’État pour servir de refuge au sentiment national polonais. Habituée à osciller entre résistance et compromis avec les autorités, l’Église polonaise a réussi dès 1956 à obtenir une liberté d’action inédite dans les pays socialistes et à s’imposer aux gouvernants comme interlocuteur nécessaire. L’élection en 1978 d’un pape polonais et la visite triomphale de ce dernier en Pologne a fait prendre conscience aux catholiques polonais de leur nombre et de leur puissance ; dans une Pologne où sévissait une grave crise économique, elle a cristallisé leur mécontentement et leur désir de changement. Si l’Église protestante allemande a joué également, parfois à son corps défendant, un rôle de refuge pour l’opposition est-allemande en lui offrant des endroits où elle pouvait s’exprimer, elle n’avait ni l’histoire de résistance à l’État ni la puissance de l’Église catholique en Pologne, elle ne disposait pas d’un personnage charismatique à la dimension internationale tel que Jean-Paul II, qui rappelait aux Polonais exaspérés par la crise économique qu’il existait d’autres discours que celui du parti communiste.

    32Une rapide comparaison entre la RDA et la République populaire de Pologne révèle donc que, bien que leur ait été imposé un modèle unique, les sociétés polonaise et est-allemande ne se sont pas développées à partir d’un néant historique et culturel, que les partis communistes ne réussirent en aucune façon à faire table rase du passé. En s’inscrivant certes dans un cadre qui lui était imposé mais en se développant à partir d’une histoire qui lui était propre, chaque société parvint à concevoir une version particulière du socialisme et pour cela à sauvegarder ou exploiter certaines spécificités nationales.

    L’imbrication des histoires

    33Si nous en restions ici, nous pourrions considérer que l’histoire des différents pays socialistes était prédéterminée à la fois par le cadre imposé par l’Union soviétique et les particularités nationales préexistantes, mais ce serait négliger que l’Histoire s’écrit au jour le jour, qu’elle est faite d’actions, de réactions et d’interactions et que les pays socialistes s’expliquent également par une expérience qu’ils ont chacun construite en relation avec les autres pays socialistes. Les histoires des voisins si proches et si différents que sont la RDA et la République populaire de Pologne ne peuvent se comprendre sans tenir compte des liens qui les unissent.

    34Tout d’abord, chacun des pays socialistes s’est créé au cours de la période communiste une expérience individuelle qui influa de façon décisive sur son devenir. L’histoire de la RDA est marquée par deux traumatismes qui sont le soulèvement de juin 1953 et la construction du mur de Berlin en 1961. En 1953, le SED n’a pas réussi à affronter seul le soulèvement ouvrier. Il a fallu que l’Armée rouge intervienne militairement pour rétablir l’autorité du parti. Selon l’analyse qu’en fit le SED, le soulèvement de juin 1953 était le fait de la provocation occidentale, mais aussi du relâchement idéologique occasionné par le nouveau cours voulu par l’Union soviétique après le décès de Staline. Cet événement de l’histoire est-allemande prouva au SED la dangerosité de toute libéralisation politique et idéologique. Pour la population, le soulèvement de juin 1953 fut un cuisant échec qui renforça le pouvoir de Walter Ulbricht. Quelques années plus tard, la construction du mur de Berlin, qui ne suscita aucune véritable réaction de la part des puissances occidentales, confirmait les citoyens de RDA dans l’idée que, livrés à eux-mêmes, ils devaient vivre et composer avec la toute-puissance de l’Union soviétique et du SED.

    35La République populaire de Pologne fit d’autres expériences. Le soulèvement de 1956 aurait pu tourner au drame politique, comme celui de 1953 en Allemagne de l’Est, mais le gouvernement polonais parvint à éviter l’intervention de l’Armée rouge et à régler seul le problème. Le parti communiste a dû céder du terrain en appelant de nouveau Władysław Gomułka à sa direction, qu’il avait quelques années plus tôt éloigné du pouvoir. Certes, Gomułka n’est pas allé jusqu’au bout des réformes espérées ; après une courte période de dégel, il a finalement rejoint la ligne définie par l’Union soviétique et, en définitive, les orthodoxes du parti communiste sont sortis partiellement vainqueurs de cette épreuve de force avec la société polonaise. Pourtant, le soulèvement ouvrier avait réussi à imposer à la toute puissante Union soviétique le retour de l’homme politique en qui il fondait ses espoirs de changement. À l’opposé des conclusions qu’avaient pu tirer les citoyens de RDA des événements de 1953 et de la construction du mur, l’insurrection de Poznań en 1956 avait montré qu’il était possible, par la protestation, d’obtenir des résultats, aussi modestes soient-ils. L’expérience se renouvela, notamment en 1970, quand les grèves ouvrières parvinrent à imposer le départ de Gomułka et son remplacement par Edward Gierek, et dans les années 1980-1981, où les ouvriers alliés aux intellectuels réussirent à imposer la création de syndicats libres. En parallèle, si le PZPR refusa en 1980 de résoudre par la force le problème que lui posait l’énorme mouvement de contestation, c’est parce que, après avoir fait tirer dans la foule en 1970 sans pour autant parvenir à consolider sa position, il avait appris qu’il fallait chercher la solution ailleurs que dans la répression violente.

    36Si chaque société se crée sa propre expérience et sa propre dynamique, il faut aussi considérer le contexte international dans lequel elle fait ses choix, et surtout celui du bloc dont elle est membre. En 1956, le parti communiste polonais a tout fait pour éviter l’intervention de l’Armée rouge en Pologne parce que les Polonais annonçaient déjà leur résistance, mais aussi parce qu’on assistait au même moment à l’écrasement brutal du soulèvement hongrois. La RDA condamna catégoriquement les événements polonais de 1956 (Ruchniewicz, 2003 : 202-236), parce qu’elle avait le souvenir amer d’un juin 1953 dont elle tenait absolument à éviter la répétition. L’histoire de la Pologne populaire est celle d’un affrontement toujours recommencé entre le pouvoir et une opposition politique de plus en plus ouverte et de plus en plus forte. Aux yeux des gouvernants de la RDA, la Pologne fournissait l’illustration des erreurs qu’il fallait absolument ne pas commettre, elle les confortait dans leur ligne politique de fidélité au modèle de l’Union soviétique. Inversement, la politique est-allemande influait sur l’histoire de la Pologne populaire. Les gouvernants est-allemands ne manquèrent jamais de rappeler à leurs homologues polonais leurs obligations à l’égard des autres pays socialistes et l’interdiction de s’en désolidariser en adoptant un modèle de fonctionnement trop différent. En 1980, Erich Honecker était parmi les partisans les plus convaincus de la nécessité d’une pression de la part des « pays frères » sur la Pologne (Paczkowski, 2002 : 183sq.). À tort ou à raison, la menace d’une intervention militaire extérieure a lourdement pesé dans la décision du général Jaruzelski d’instaurer l’état de guerre en décembre 1981 (Jaruzelski, 1992). Les histoires des pays socialistes, qui formaient effectivement un bloc, sont imbriquées au point qu’on ne peut les considérer indépendamment les unes des autres.

    37Le SED a bien compris les relations qui unissaient le sort de la RDA à celui de la République populaire de Pologne. En 1956, il craignit que le mouvement polonais ne s’étende à la République démocratique allemande. Pour parer à la contestation naissante en RDA et afin d’éviter la contagion du « bacille polonais » (Ruchniewicz, 2003 : 233), il interdit aux journaux de relater et d’analyser les événements de Poznań. Face aux revendications polonaises de 1980-1981, il interdit les voyages en Pologne et fit son possible pour convaincre l’opinion est-allemande que les problèmes polonais n’étaient pas ceux de la RDA, que les Polonais n’avaient pas changé depuis le XVIIIe siècle et que, éternels paresseux et querelleurs, ils méritaient bien ce qui leur arrivait. Alors que, fondamentalement, Polonais et Allemands de RDA se trouvaient dans la même situation politique et économique qui aurait justifié les mêmes protestations, le gouvernement de RDA, bien conscient du problème, a voulu rendre impossible tout sentiment de solidarité entre les deux sociétés.

    38Les oppositions polonaise et est-allemande, mais il faudrait également mentionner par exemple l’opposition tchécoslovaque, aussi divisées et réduites que l’une et l’autre aient pu être, ont en partie compris qu’elles devaient être solidaires. Par l’intermédiaire d’une organisation telle qu’Aktion Sühnezeichen, les citoyens de RDA et de Pologne populaire, si peu nombreux qu’ils aient été à participer à ces actions, se sont rencontrés, ont noué des liens et ont échangé des idées et ce n’est pas un hasard si, malgré tous les obstacles posés à leur rencontre, l’idée même de la table ronde polonaise a été reprise en RDA.

    39La République démocratique allemande et la République populaire de Pologne ont cessé d’exister dans des conditions bien différentes. Tandis que la RDA se dissolvait pour adhérer à la République fédérale d’Allemagne et en adopter les structures politiques et économiques, la Pologne devait s’inventer de nouvelles formes d’organisation et décider seule de la voie dans laquelle elle voulait s’engager. Alors qu’il lui fallait de toutes pièces se reconstituer une vie politique qui, quinze années plus tard, reste extrêmement instable, les nouveaux Länder ont reproduit le système des partis que la RFA avait élaboré au cours de son histoire, en gardant toutefois comme originalité la forte présence du PDS héritier du SED.

    40Transformée en nouveaux Länder, la RDA s’est vue réduite à un problème régional de l’Allemagne. Et pourtant, l’approche comparative permet de montrer qu’elle était à la fois un État allemand et un membre actif du bloc de l’Est, que ces deux aspects fondamentaux et inséparables de son identité faisaient d’elle un État unique. En outre, la comparaison avec un autre pays de l’Est présente l’avantage d’obliger l’observateur à adopter une perspective différente de la perspective occidentale. En réinsérant la RDA dans le groupe auquel elle appartenait, l’approche comparative permet de mieux percevoir et de mieux comprendre la dynamique qui, pendant quarante années, lui a donné une identité forte qui marque évidemment le long processus de la réunification.

    Bibliographie

    Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.

    Format

    • APA
    • Chicago
    • MLA
    Iggers, G. G. (1997). Deutsche Geschichtswissenschaft (1–). Böhlau Verlag. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7767/boehlau.9783205124214
    Iggers, Georg G. “Deutsche Geschichtswissenschaft”. []. Böhlau Verlag, December 31, 1997. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7767/boehlau.9783205124214.
    Iggers, Georg G. Deutsche Geschichtswissenschaft. [], Böhlau Verlag, 31 Dec. 1997. Crossref, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7767/boehlau.9783205124214.

    Cette bibliographie a été enrichie de toutes les références bibliographiques automatiquement générées par Bilbo en utilisant Crossref.

    Bibliographie

    Bartoszewski W., 2003, »Ein Paradox der Geschichte«, in Aust S./Burgdorff S. (éds), Die Flucht. Über die Vertreibung der Deutschen aus dem Osten, Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, p. 160-169.

    Bloch M., 1995, Histoire et Historiens. Textes réunis par E. Bloch, Paris, Armand Colin.

    Grabski A. F., 2003, Zarys historii historiografii polskiej, Poznań, Wydawnictwo Poznańskie.

    Grass G., 1979, Der Butt, Frankfurt/Main, Fischer Taschenbuch Verlag.

    10.7767/boehlau.9783205124214 :

    Iggers G., 1997, Deutsche Geschichtswissenschaft, Wien, Böhlau Verlag.

    Jaruzelski W., 1992, Stan wojenny, dlaczego..., Warszawa, Polska Oficyna wydawnicza.

    Kuroń J., Żakowski J., 2004, PRL dla początkujących, Wrocław, Wydawnictwo Dolnosląskie.

    Neubert E., 1998, Geschichte der Opposition in der DDR. 1949-1989, Berlin, Ch. Links Verlag.

    Paczkowski A., 2002, Droga do »mniejszego zła«, strategia i taktyka obozu władzy, lipiec 1980-styczeń 1982, Kraków, Wydawnictwo Literackie.

    Ruchniewicz K., 2003, Warszawa-Berlin-Bonn, Wrocław, Wydawnictwo Uniwersytetu Wrocławskiego.

    Ziemer K., 2000, »Die Volksrepublik Polen in den Augen der SED-Führung in den achtziger Jahren«, in Borodziej W. et alii, (eds), Polska-Niemcy-Europa, Instytut Studiów Politycznych Polskiej Akademii Nauk, Warszawa, Oficyna Wydawnicza Rytm, p. 593-626.

    Notes de bas de page

    1 Source : Statistisches Bundesamt Deutschland, http://www.destatis.de

    2 »[…] und komm mir nicht nach Haus, bevor die Preise runter sind!«.

    Auteur

    Pascal Fagot

    Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Ses recherches portent essentiellement sur les relations entre l’Allemagne et la Pologne. Il a publié Mémoires et regards. Le thème de la Pologne dans la prose littéraire allemande (1949-1990), Peter Lang, 2001.

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Médiations ou le métier de germaniste

    Médiations ou le métier de germaniste

    Hommage à Pierre Bertaux

    Gilbert Krebs, Hansgerd Schulte et Gerald Stieg (dir.)

    1977

    Lectures croisées de Christoph Ransmayr : "Le dernier des mondes"

    Lectures croisées de Christoph Ransmayr : "Le dernier des mondes"

    Jacques Lajarrige (dir.)

    2003

    Tendenzen der deutschen Gegenwartssprache

    Tendenzen der deutschen Gegenwartssprache

    Hans Jürgen Heringer, Gunhild Samson, Michel Kaufmann et al. (dir.)

    1994

    La naissance du Reich

    La naissance du Reich

    Gilbert Krebs et Gérard Schneilin (dir.)

    1995

    Volk, Reich und Nation 1806-1918

    Volk, Reich und Nation 1806-1918

    Texte zur Einheit Deutschlands in Staat, Wirtschaft und Gesellschaft

    Gilbert Krebs et Bernard Poloni (dir.)

    1994

    Échanges culturels et relations diplomatiques

    Échanges culturels et relations diplomatiques

    Présences françaises à Berlin au temps de la République de Weimar

    Gilbert Krebs et Hans Manfred Bock (dir.)

    2005

    Si loin, si proche...

    Si loin, si proche...

    Une langue européenne à découvrir : le néerlandais

    Laurent Philippe Réguer

    2004

    Rilke, la pensée des yeux

    Rilke, la pensée des yeux

    Karine Winkelvoss

    2004

    Intellectuels et polémiques

    Intellectuels et polémiques

    dans l'espace germanophone

    Valérie Robert (dir.)

    2003

    France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration

    France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration

    Bernd Zielinski et Michel Kauffmann (dir.)

    2002

    L'Allemagne de Konrad Adenauer

    L'Allemagne de Konrad Adenauer

    Gilbert Krebs (dir.)

    1982

    L'Auxiliaire en question

    L'Auxiliaire en question

    Jean Janitza et Jean-Marie Zemb (dir.)

    1983

    Voir plus de livres
    1 / 12
    Médiations ou le métier de germaniste

    Médiations ou le métier de germaniste

    Hommage à Pierre Bertaux

    Gilbert Krebs, Hansgerd Schulte et Gerald Stieg (dir.)

    1977

    Lectures croisées de Christoph Ransmayr : "Le dernier des mondes"

    Lectures croisées de Christoph Ransmayr : "Le dernier des mondes"

    Jacques Lajarrige (dir.)

    2003

    Tendenzen der deutschen Gegenwartssprache

    Tendenzen der deutschen Gegenwartssprache

    Hans Jürgen Heringer, Gunhild Samson, Michel Kaufmann et al. (dir.)

    1994

    La naissance du Reich

    La naissance du Reich

    Gilbert Krebs et Gérard Schneilin (dir.)

    1995

    Volk, Reich und Nation 1806-1918

    Volk, Reich und Nation 1806-1918

    Texte zur Einheit Deutschlands in Staat, Wirtschaft und Gesellschaft

    Gilbert Krebs et Bernard Poloni (dir.)

    1994

    Échanges culturels et relations diplomatiques

    Échanges culturels et relations diplomatiques

    Présences françaises à Berlin au temps de la République de Weimar

    Gilbert Krebs et Hans Manfred Bock (dir.)

    2005

    Si loin, si proche...

    Si loin, si proche...

    Une langue européenne à découvrir : le néerlandais

    Laurent Philippe Réguer

    2004

    Rilke, la pensée des yeux

    Rilke, la pensée des yeux

    Karine Winkelvoss

    2004

    Intellectuels et polémiques

    Intellectuels et polémiques

    dans l'espace germanophone

    Valérie Robert (dir.)

    2003

    France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration

    France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration

    Bernd Zielinski et Michel Kauffmann (dir.)

    2002

    L'Allemagne de Konrad Adenauer

    L'Allemagne de Konrad Adenauer

    Gilbert Krebs (dir.)

    1982

    L'Auxiliaire en question

    L'Auxiliaire en question

    Jean Janitza et Jean-Marie Zemb (dir.)

    1983

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    • amazon.fr
    • decitre.fr
    • mollat.com
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    ePub / PDF

    1 Source : Statistisches Bundesamt Deutschland, http://www.destatis.de

    2 »[…] und komm mir nicht nach Haus, bevor die Preise runter sind!«.

    La RDA au passé présent

    X Facebook Email

    La RDA au passé présent

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks

    Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    La RDA au passé présent

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    Fagot, P. (2006). Pour une histoire comparée de la République démocratique allemande et de la République populaire de Pologne. In C. Fabre-Renault, Élisa Goudin, & C. Hähnel-Mesnard (éds.), La RDA au passé présent (1‑). Presses Sorbonne Nouvelle. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.7880
    Fagot, Pascal. « Pour une histoire comparée de la République démocratique allemande et de la République populaire de Pologne ». In La RDA au passé présent, édité par Catherine Fabre-Renault, Élisa Goudin, et Carola Hähnel-Mesnard. Paris: Presses Sorbonne Nouvelle, 2006. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.7880.
    Fagot, Pascal. « Pour une histoire comparée de la République démocratique allemande et de la République populaire de Pologne ». La RDA au passé présent, édité par Catherine Fabre-Renault et al., Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.7880.

    Référence numérique du livre

    Format

    Fabre-Renault, C., Goudin, Élisa, & Hähnel-Mesnard, C. (éds.). (2006). La RDA au passé présent (1‑). Presses Sorbonne Nouvelle. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.7862
    Fabre-Renault, Catherine, Élisa Goudin, et Carola Hähnel-Mesnard, éd. La RDA au passé présent. Paris: Presses Sorbonne Nouvelle, 2006. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.7862.
    Fabre-Renault, Catherine, et al., éditeurs. La RDA au passé présent. Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.7862.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Presses Sorbonne Nouvelle

    Presses Sorbonne Nouvelle

    • Mentions légales
    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Facebook
    • Instagram
    • Flux RSS

    URL : http://psn.univ-paris3.fr

    Email : psn@sorbonne-nouvelle.fr

    Adresse :

    Maison de la Recherche

    4 rue des Irlandais

    75005

    Paris

    France

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement