Aux origines de la « mise en tourisme » du Mexique maya : les archéologues et anthropologues américains comme entrepreneurs transnationaux
p. 139-160
Résumé
Archaeologists and anthropologists have played a pivotal role in tourism development in Mexico’s Maya regions. This article explores the parallel history of early research and entrepreneurial innovation at Chichen Itza (Yucatan) and San Cristobal de Las Casas (Chiapas). It traces the origins of today’s mass tourism back to the pioneering work of scientific pioneers at top US universities who identified sites of interest and promoted them, sparking worldwide curiosity for Mayan heritage and culture. These Mayanists established a long-lasting, profitable partnership with Mexican authorities and businessmen. Clearly, they invented an entrepreneurial model for the subsequent commercialization of Mexico’s indigenous past and present, thereby contributing to the creation of Mexico’s brand image.
Remerciements
L’auteur remercie David Dumoulin et les autres membres de Frontac-Tic pour les discussions éclairantes sur ce sujet.
Texte intégral
Introduction
1En 2010, le tourisme constituait la troisième source de devises du Mexique (environ 9 % du PIB) et générait 7,5 millions d’emplois directs et indirects2. La majorité des touristes se rendant au Mexique viennent des États-Unis et le Mexique est la destination préférée des touristes nord-américains3. Longtemps délaissé, le tourisme mexicain a suscité un intérêt croissant des mexicanistes (Berger, 2006), des géographes (Hiernaux, 2005 ; Redclift, 2009 ; Torres, 2005), des politistes (Clancy, 2001) et anthropologues (Castañeda, 2009). La péninsule du Yucatan dans le sud-est du Mexique, et notamment la station balnéaire de Cancun, ont focalisé l’attention des chercheurs. On y étudie l’essor d’une station balnéaire représentative d’un certain modèle de développement économique : la construction de Cancun a été planifiée dans les années 1960 par la Banque du Mexique et financée par l’aide internationale au développement (Clancy, 2001 : chapitres 3 et 4). Au milieu des années soixante-dix, la forêt tropicale se transforme en jungle urbaine hérissée d’hôtels modernes, de restaurants exotiques et de bars branchés. Lieu de villégiature créé pour gonfler les revenus à l’exportation du Mexique et fournir des emplois aux travailleurs nationaux, Cancun s’impose comme une référence incontournable, un modèle de développement économique et touristique.
2Le type de croissance promue à Cancun a fait l’objet de critiques, l’un des arguments les plus communément avancés étant qu’il s’agit d’une ville américanisée. Rebecca Torres, auteur de nombreux travaux sur cette ville, a ainsi écrit :
L’extravagance et la surenchère de constructions à Cancun en ont fait un spectacle digne du cirque, que les locaux ont rebaptisé Gringolandia. Ce terme ne renvoie pas uniquement aux analogies entre le spectacle du tourisme de masse à Cancun et celui proposé à Disneyland, mais il implique également une invasion et une appropriation de l’espace mexicain par l’espace américain. La réalité cependant est bien plus complexe.4
3Formé à partir de Disneyland et de gringo, le terme gringolandia renvoie à une conception critique de la culture Made in USA. Il désigne un espace factice où le divertissement et l’argent prennent le pas sur l’histoire et la civilisation. Or, pour Torres comme pour d’autres auteurs, Cancun est bien moins agringada (américanisée) qu’il n’y paraît. Pour commencer, les intérêts états-uniens ne dominent pas le tourisme à Cancun, où investisseurs locaux et étrangers sont clairement associés (Clancy, 2001 : chapitres 5 et 6). On sait aussi que les statistiques officielles tendent à diminuer artificiellement l’importance du tourisme national, et réciproquement, à gonfler la proportion des touristes étrangers, et donc américains, ciblés par les statistiques de l’Organisation mondiale du tourisme (Hiernaux, 2005 : 3). À ces paramètres économiques et statistiques s’ajoute une préoccupation esthétique et culturelle : bien que perçu comme un espace américanisé, Cancun est d’un point de vue architectural assez représentatif des paysages urbains du Mexique contemporain (Quiroz Rothe, 2005). Démographiquement parlant, c’est aussi un centre urbain de 700 000 résidents, pour la plupart mexicains, même si touristes et locaux logent dans des parties distinctes de la ville (Cancun Beach pour les premiers, et Cancun City pour les seconds).
4Sans chercher à contredire les auteurs cités précédemment, nous allons défendre ici une hypothèse de recherche tout à fait différente : l’association entre espace touristique et gringolandia ne serait pas aussi factice qu’il y paraît mais plutôt le résultat d’un projet entrepreneurial nord-américain antérieur et de sa traduction et acclimatation en terre mexicaine. Bien avant Cancun, le tourisme dans la péninsule du Yucatan, et plus largement, dans le sud-est mexicain, a initialement été développé par des entrepreneurs nord-américains relativement atypiques qui ont saisi le potentiel de la région, trouvé des investisseurs, attiré les touristes, développé les premières infrastructures touristiques, construit l’image de marque de la région, et surtout, convaincu les élites mexicaines de la validité de leur projet. Loin de n’être que des usagers de services touristiques, ces Nord-Américains ont agi en entrepreneurs, selon la définition classique de Schumpeter (1934). Ils ont joué un rôle moteur dans le développement d’un espace touristique au Mexique ce qui, dans une certaine mesure, valide la thèse du tourisme comme une forme d’américanisation mais laisse également entrevoir sa dimension plus transaméricaine. Plutôt que de repérer et de lire l’influence américaine dans les zones touristiques du Mexique par le biais d’une analyse des perceptions et des représentations, nous avons choisi de retracer l’histoire d’un type particulier d’entrepreneuriat touristique d’origine nord-américaine, d’analyser son influence et ses évolutions plus récentes. Le développement de cet entrepreneuriat sera rattaché à l’existence d’un modèle entrepreneurial singulier et d’une forme d’innovation culturelle originale initiée par des acteurs originaires des États-Unis, innovation qui a débouché sur une forte création de valeur économique et des transformations économiques et sociétales majeures.
5Ce chapitre s’intéressera plus particulièrement à un type précis d’entrepreneurs « héroïques », à savoir un petit nombre d’archéologues et anthropologues associés à des organisations culturelles et universitaires nord-américaines. Ces archéologues et anthropologues aventuriers ont su exploiter la curiosité suscitée par la mise à jour des anciennes cités mayas5 pour développer une activité lucrative dans les États du Yucatan et du Chiapas. À partir de sources primaires et secondaires, nous retracerons le processus de « mise en tourisme » de plusieurs sites mayas qu’ils ont lancé, en analysant l’émergence et le transfert d’un modèle innovant de développement et de pratiques touristiques. Nous insisterons sur les différentes facettes de cet entrepreneuriat dont le rôle ne s’est pas limité à la découverte de sites d’intérêt : les spécialistes des Mayas ou « mayanistes » ont inventé un modèle de développement socio-économique qui a été repris par d’autres, aussi bien aux États-Unis qu’au Mexique. À long terme, ils ont contribué à façonner l’image de marque de la région (le Mexique maya) et favorisé l’essor de l’industrie touristique du pays. Si le gringolandia existe au Mexique, il faut en rechercher l’origine dans la vision et l’action de ces entrepreneurs américains particulièrement innovants. Leur aventure entrepreneuriale et leurs actions pionnières renvoient à un pan méconnu de l’histoire croisée des deux pays qui est à l’image des interactions complexes entre le Mexique et les États-Unis d’aujourd’hui.
6Nous reprendrons ici les travaux pionniers de Quetzil Castañeda sur la mise en tourisme de Chichen Itza par les archéologues de la Carnegie Institution in Washington (CIW). Nous reviendrons ensuite sur l’origine de cette dynamique entrepreneuriale en étendant l’analyse à des processus similaires. Nous adopterons une approche chronologique pour décrire deux périodes et deux lieux emblématiques du développement touristique dans deux États du Mexique – le Yucatan (1890-1930) et le Chiapas (1930-1960) – en insistant, dans un cas comme dans l’autre, sur les stratégies employées et les résultats obtenus. Nous montrerons ainsi que ces entrepreneurs atypiques jouissaient d’un capital social certain et qu’ils s’inséraient dans des réseaux disposant de ressources matérielles conséquentes, qu’ils étaient capables d’anticiper la demande et de répondre aux attentes de visiteurs étrangers. Autant de compétences innovantes qui leur ont permis de réussir en tant que promoteurs, intermédiaires et entrepreneurs touristiques au Mexique.
I. Les archéologues états-uniens, innovateurs et promoteurs de la « mise en tourisme » des sites mayas au début du XXe siècle
I. 1. E. Thompson : archéologue-aventurier, entrepreneur héroïque et découvreur d’opportunité
7Pionnier des études mayas, l’archéologue Edward Thompson se fait connaître aux États-Unis en reconstruisant des bâtiments mayas pour l’exposition colombienne de 1893. Désormais financé par un magnat de Chicago, il achète en 1895 les ruines de la cité ancienne de Chichen Itza (Yucatan) et les explore jusqu’à la Révolution mexicaine. Il reconstruit l’hacienda (demeure du propriétaire terrien) du domaine et commence à y accueillir d’autres archéologues ou des visiteurs. Thompson, qui est également vice-consul des États-Unis dans la région, se rend célèbre auprès des voyageurs pour qui la visite de ruines s’impose peu à peu comme l’attrait principal de tout voyage dans la région. Rapportant leur visite à Chichen Itza, les Anglais Channing et Frost écrivent ainsi en 1909 :
M. Edward Thompson, consul général des États-Unis au Yucatan, nous accueillit chaleureusement à l’hacienda, dont il était le propriétaire depuis quelques années. Archéologue enthousiaste, il avait manœuvré pour prendre possession du domaine voilà environ quinze ans, à une époque où les environs étaient mal famés. Les deux derniers haciendados et leurs familles avaient été massacrés par les Indiens rebelles, la maison pillée. De nos jours encore, Chichen, situé à la lisière de la partie orientale et désaffectée de la péninsule, n’est pas aussi tranquille qu’il y paraît. Deux semaines avant notre arrivée, le village de Xocen, à une trentaine de miles, avait été envahi et incendié. Mais ces épisodes n’inquiètent en rien M. Thompson, qui a pris parti pour les Indiens et qui, parce qu’il parle maya comme s’il était l’un des leurs, est aimé par tous. Voyageur expérimenté, M. Thompson nous a conquis en nous menant, après les présentations de rigueur, à une salle d’eau au toit de palme où nous savourèrent, au creux d’une pierre, les plaisirs de l’eau froide après notre trajet sous la chaleur et la poussière.6
8Au début du XXe siècle, Thompson a aménagé son domaine pour y recevoir des hôtes qu’il impressionne par son charisme et son professionnalisme. Il comprend les attentes des visiteurs étrangers de l’époque, des Occidentaux cultivés en quête d’aventure mais aussi de confort, et y répond. Comme tous les voyageurs en terres mayas, Channing et Frost sont venus admirer les traces d’un passé méso-américain mal connu qui fascine les Occidentaux. Thompson s’impose d’autant mieux comme l’hôte idéal qu’il est aussi archéologue. Chez lui, archéologie et tourisme sont indissociablement liés. Ses invités apprécient autant le confort de sa propriété que ses connaissances incomparables sur la civilisation maya. En 1904, Edward Thompson est le grand spécialiste des Mayas, et en collaboration avec Harvard, il a commencé à fouiller – on dirait désormais piller – le site de Chichen Itza. Toujours selon Manning et Frost,
À propos des fouilles du Puit Sacré : tout porte à croire que grâce à elles M. Thompson pourra bientôt fournir au monde un récit passionnant qui reconstituera la vie de Chichen avant la conquête, reconstitution établie avec le zèle méticuleux qui caractérise ses entreprises passées dans d’autres parties du Yucatan.7
9Cette opération, qui vit notamment une partie des pièces partir vers le musée Peabody et Harvard, contribua de manière déterminante à susciter l’intérêt pour les Mayas. Pionnier des études mayas et du tourisme, Thompson est pourtant de nos jours largement déconsidéré par ses pairs, sa contribution aux études mayas dénigrée, voire ignorée :
Harvard était l’institution pionnière en matière de recherche sur les Mayas, et avait envoyé en 1892 la première véritable expédition archéologique dans les jungles mayas – en l’occurrence dans les ruines de Copan. En ces temps de diplomatie de la canonnière et de républiques bananières, un généreux contrat passé avec le Peabody leur permit de ramener (légalement) un véritable trésor de monuments mayas de l’époque classique… C’est ainsi que débuta l’ère des grandes expéditions, auxquelles finirent par se joindre Carnegie, l’Université de Pennsylvanie, Tulane University…, et l’Institut mexicain d’anthropologie et d’histoire. Cet âge d’or dura jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.8
10L’héritage de Thompson est difficile à assumer, car il incarne une époque où les mayanistes sont tout à la fois des aventuriers explorant la jungle et des chercheurs d’or ramenant aux États-Unis des trésors fabuleux. À peine reconnu de nos jours, Edward Thompson est pourtant très représentatif de ce qu’était l’archéologie mayaniste du début du XXe siècle, époque où l’université américaine commence à former ses premiers docteurs. L’archéologie est alors une sous-discipline des lettres classiques et des études bibliques qui sera, par la suite, rattachée à l’anthropologie. C’est avant tout une activité lucrative, indissociablement liée au commerce des antiquités (Patterson, 1999) et à un style de vie aventurier. Axe phare de l’archéologie américaine, l’étude de la civilisation maya se développe à l’ère de l’empirisme, comme une forme de recherche appliquée. La figure de Thompson, archéologue et entrepreneur, n’est donc en rien contradictoire : l’archéologie, comme les autres disciplines, mène naturellement à des applications pratiques (Zunz, 1998). Or, le tourisme s’est très rapidement imposé à Thompson comme un débouché commercial naturel de la recherche sur les Mayas, et ce d’autant plus que de nombreux auteurs n’avaient cessé, depuis le début du XIXe siècle, d’écrire au sujet des ruines du Mexique9. Edward Thompson est cependant le premier à avoir saisi et exploité cette opportunité et offert aux touristes une double possibilité : séjourner confortablement dans son hacienda et s’y initier à la civilisation maya. Après avoir acquis Chichen Itza grâce à un mécène, il commence à fouiller le site avec l’appui de Harvard et innove en y lançant une nouvelle forme de tourisme archéologique.
I. 2. De l’exploitation commerciale d’un site au processus de « mise en tourisme »
11Pendant la Révolution mexicaine (1910), Thompson est chassé de Chichen Itza, dont les ruines retombent dans l’oubli pendant plus d’une décennie avant d’être investies par de nouveaux acteurs. Le changement de régime au Mexique fait évoluer les structures de propriété de la terre, mais aussi la relation de l’État au patrimoine. Paradoxalement, les ruines de Chichen Itza sont nationalisées, même si le domaine demeure propriété privée10 (Castañeda, 2009). Rapidement, la mise en tourisme débutée par Thompson va se poursuivre avec le soutien des élites locales pour qui le tourisme est un outil de modernisation. À la fin de la Révolution, la famille Barbachano reprend l’idée de Thompson : ces pionniers mexicains du tourisme acquièrent l’hacienda et inaugurent en 1921 les Mayaland Tours « qui amenèrent les premiers touristes à Chichen Itza »11. Par la suite, la Carnegie Institution of Washington (CIW) et les pouvoirs publics mexicains développent l’idée de Thompson : ils s’associent pour fouiller le site et y développer le tourisme. Comme l’a montré Quetzil Castañeda, spécialiste de Chichen Itza, qui affirme que dès les années 1920, « Itza fut pensé comme une future attraction touristique […]. Au cœur des motivations du gouverneur socialiste12 et des archéologues, il y a l’acceptation explicite que Chichen Itza deviendrait un monument du tourisme et serait dédié au tourisme »13. Désormais, la mise en valeur économique du site sera menée de manière plus systématique et scientifique. Sylvanus Morley14, ancien de Harvard et du Peabody, a rejoint la CIW en 1914 ; l’organisation fondée en 1902 finance depuis 1913 un prestigieux Programme de Recherche sur les Mayas de 1913 à 1958. La CIW se rapproche des autorités mexicaines et obtient une concession de dix ans pour l’exploration du site, en partenariat avec le gouvernement. L’État mexicain est garant, selon l’article 27 de la Constitution, de la défense des ressources du sol et du sous-sol national, une clause censée limiter le pouvoir des entrepreneurs étrangers qui dominaient auparavant l’économie nationale. Dans la préface à la concession, les responsables mexicains justifient leur décision de collaborer avec des étrangers en expliquant que le Mexique a besoin des archéologues nord-américains, et ils réfutent l’idée que cette concession irait à l’encontre de l’intérêt national. Selon les rédacteurs, le savoir-faire des États-Unis permettra de faire connaître au monde entier l’exceptionnel patrimoine du Mexique :
Ces résultats scientifiques méritent l’attention de l’ensemble du monde civilisé. Chaque année, de nouveaux monuments sont découverts tandis que ceux qui ont déjà été mis au jour doivent être conservés. Nous n’exagérons pas en affirmant qu’au terme de la concession, le Yucatan sera un des états de la République les plus favorisés par le tourisme, et que de la zone archéologique découverte en partenariat avec le Gouvernement mexicain surgiront travaux et recherches de valeur et de portée universelles (Concesion, 1925).
12Dès les années 1920, acteurs privés et pouvoirs publics mexicains sont visiblement convaincus du génie entrepreneurial des archéologues nord-américains. Ce mouvement participe aussi d’une tentative plus vaste visant à développer le tourisme (Berger, 2006). Or, les archéologues nord-américains, notamment Morley, disposent de contacts au-delà du monde universitaire. La Carnegie Institution of Washington, surnommée « The Club », donne des moyens pharamineux aux spécialistes des Mayas : « Carnegie a toujours été un leader sur ce terrain, avec des financements et ressources humaines qu’aucune université ne pouvait égaler […]. Carnegie avait des accords à long terme avec le Mexique, le Guatemala, et le Honduras »15. Tout comme Thompson avant lui, Morley, responsable du programme Maya de la CIW, sait cultiver l’intérêt des voyageurs pour Chichen Itza : il se fait connaître en publiant régulièrement des reportages illustrés en couleur des fouilles dans le magazine National Geographic, fondé en 1888 (Castañeda, 1996).
13Ces archéologues ne se contentent pas de vendre un site : ils promeuvent un style de vie attractif pour des aventuriers américains, membres d’une élite capable de s’offrir un voyage exceptionnel, une expérience qui leur permettra de se substituer aux découvreurs. L’explorateur-amateur est invité à découvrir un patrimoine exceptionnel, en profitant toutefois du confort de l’hacienda coloniale et des moyens de locomotion modernes. Le guide touristique du Dr Luis R. Effler, publié en 1937, illustre à merveille la manière dont les archéologues créent la demande pour un tourisme archéologique et influencent les attentes et les comportements des visiteurs. L’ouvrage, réédité à plusieurs reprises, vise à faciliter la compréhension des mystères mayas et du Mexique moderne. Les dix dernières pages sont consacrées aux questions pratiques. Quand il s’agit du logement (accommodation), l’auteur fait explicitement référence aux archéologues, recommande Mayaland Tours qui fournira une automobile moderne et un guide anglophone. Les mayanistes de la Carnegie ont ainsi inauguré un style de vie nouveau, celui de l’aventurier américain venu explorer les mystères mexicains. Par la suite, la promotion touristique du Mexique reprendra systématiquement l’argument et insistera sur le patrimoine culturel unique et l’accès au confort moderne (Zolov, 2001). De nos jours, les propriétaires de l’hacienda de Chichen Itza continuent d’honorer la mémoire de leurs illustres prédécesseurs :
Hacienda Chichen logeait les archéologues et mayanistes qui, durant les années 1920, menèrent la première expédition de recherche sur les Mayas de la Carnegie Institution. Lors ce projet de recherche sur les Mayas, plusieurs des maisonnettes de la propriété furent alors construites par ces célèbres chercheurs, dont le travail a façonné notre connaissance de l’ancienne civilisation maya et de son héritage16.
14Thompson et Morley ont, à des époques différentes, agi en intermédiaires, jouant sur l’intérêt suscité par les Mayas en Occident, en l’amplifiant pour développer une activité touristique lucrative, parallèlement à l’exploration du site archéologique. En se saisissant de cette opportunité, ils ont inventé un modèle de développement économique et créé des ponts entre promoteurs du tourisme des deux côtés de la frontière. Pionniers du tourisme archéologique, ils ont eu une influence à long terme puisqu’ils ont façonné l’image de marque du tourisme au sud-est du pays – le Mexique Maya – en imposant dans l’esprit de tous - touristes et entrepreneurs - l’image d’une région regorgeant de fabuleuses villes en ruines à explorer et exploiter.
II. Anthropologues-entrepreneurs et tourisme de communauté ethnique au Chiapas
II. 1. Des aventuriers chez les Lacandons
15Bien que plus tardive, la « mise en tourisme » de l’État du Chiapas, à la frontière du Guatemala, a bien des points communs avec celle que nous venons d’examiner. En effet, le modèle de développement de Chichen Itza – exploration scientifique, publication dans des magazines grand public, inauguration d’un circuit pour aventuriers intéressés par les mystérieuses cités mayas, implication d’hommes d’affaires mexicains et sponsoring des autorités locales ou nationales – se banalise, non seulement au Yucatan (à Tulum par exemple), mais également au-delà. Partout, les anthropologues (qui rappelons-le peuvent également être spécialistes d’archéologie ou de linguistique) agissent à la fois en chercheurs et en intermédiaires : ils valorisent des sites pour une université américaine, et s’associent à des partenaires mexicains pour promouvoir le développement local. La particularité de la mise en valeur du patrimoine maya au Chiapas est que l’intérêt des mayanistes s’est rapidement porté vers les populations elles-mêmes. Cette histoire a marqué le développement touristique de la région, qui fut au Chiapas un processus lent et controversé. En 1907, Alfred Tozzer, anthropologue, archéologue et linguiste rattaché à Harvard et au musée Peabody, publie une des premières études sur des Mayas du Chiapas (les Lacandons). Spécialiste de la grammaire maya, bientôt recruté par Carnegie, il forme des générations de mayanistes américains et mexicains (Spinden, 1957). Si l’anthropologie s’impose comme la discipline dominante dans la région, il faut attendre l’arrivée des chercheurs du Carnegie Institute dans les années 1940 pour voir la recherche et le tourisme véritablement décoller. De nos jours, le Chiapas et le Yucatan sont intégrés dans un même circuit touristique qui mène les visiteurs sur la route des Mayas, circuit qui débute au Yucatan (via Chichen Itza) et se termine au Chiapas (en passant par San Cristobal)17. Mais au début du XXe siècle, San Cristobal de las Casas est encore une petite ville coloniale entourée de communautés mayas ; c’est aussi le point d’entrée vers la jungle lacandon alors investie par les compagnies d’exploitation du chicle (matière première du chewing-gum) et les prospecteurs à la recherche de pétrole. Personnage central des débuts du tourisme au Chiapas, Franz Blom arrive sur le terrain après la Première Guerre mondiale : « En 1922, je pénétrai pour la première fois dans la jungle lacandon avec un groupe de géologues pétroliers nord-américains, avec qui j’appris presque tout ce qu’on doit faire ou ne pas faire quand on voyage dans la jungle »18. Archéologue danois formé aux États-Unis, Blom travaille pour Carnegie (notamment avec S. Morley) sur plusieurs projets dans le sud du Mexique (1923, 1925, 1930), au Guatemala (1924, 1925, 1930) et au Honduras (1935). Il quitte Carnegie mais demeure, aux yeux de leurs mayanistes, un des seuls spécialistes des Mayas du Chiapas jusqu’aux années 1940 (Weeks & Hill, 2006 : 300). Blom et son épouse Gertrude Duby, anthropologue, s’installent à San Cristobal de las Casas : ils explorent la jungle, coopèrent avec les autorités mexicaines pour tenter de développer les communautés qui l’habitent, et tissent des liens avec les Lacandons. La région est en train de changer : archéologues et anthropologues arpentent une jungle désertée par les pétroliers et les chicleros. C’est le début de la « mise en tourisme » des communautés mayas du Chiapas et de leur fief historique, la forêt lacandon.
16Cette « mise en tourisme » se fera très progressivement, en association avec l’élite locale composée notamment d’anthropologues, d’indigénistes, et d’hommes politiques19. De nombreux anthropologues formés à l’Université de Chicago, spécialistes du Yucatan et du Guatemala, collaborent au Programme de Recherche sur les Mayas, alors que la Carnegie songe déjà à se désengager. Ils commencent par nouer des liens étroits avec leurs homologues mexicains : le professeur Sol Tax forme Villa Rojas (grande figure de l’anthropologie mexicaine) qui en 1938 repère le terrain autour de San Cristobal et débute bientôt une étude à Oxchuc. En 1940, Sol Tax enseigne à l’École nationale d’archéologie de Mexico, comme l’explique le rapport à Carnegie :
Dès la fin des cours, il a prévu d’emmener un groupe d’étudiants dans la communauté tzotzil de Zinacantan dans l’État du Chiapas afin de mener une étude de terrain sur ce groupe maya mal connu. C’est la raison pour laquelle la Carnegie Institution a prêté le Dr. Tax à l’École nationale20.
17L’équipe de la Carnegie – Villa, Tax et Redfield – tisse ses réseaux universitaires et politiques dans la capitale, et se rapproche de l’Inah (Instituto Nacional de Antropologia e Historia). En 1944, ils investissent le terrain et pilotent un nouveau projet financé par l’Inah, l’Université de Chicago, et l’État du Chiapas :
Le travail au Chiapas a progressé à grands pas cette année. Nous avons déjà dit que M. Villa avait achevé sa deuxième saison à Oxchuc, en compagnie cette fois de quatre étudiants. De plus, trois des étudiants qui l’année dernière avaient été formés par Sol Tax à Zinacantan sont revenus du Chiapas le 19 décembre après six mois de terrain dans la région21.
18Les jeunes étudiants qu’ils forment alors (parmi lesquels Calixta Guiteras dont on reparlera) sont en train de pénétrer des communautés mayas historiquement très fermées que leur travail fait s’ouvrir et fait connaître. Ils révèlent peu à peu au grand public l’existence d’un monde à la fois proche des États-Unis du point de vue de la géographie et pourtant si éloigné par la culture. À Zinacantan comme ailleurs, la recherche est le premier stade de la « mise en tourisme », même si les anthropologues sont moins innovants que leurs collègues du Yucatan dans le sens où ils appliquent un modèle de développement, plus qu’ils ne l’inventent. Pour tous ceux qui veulent développer le pays, le tourisme se présente comme une option attrayante. Dès le début des années 1940, certains membres de l’élite mexicaine songent également à stimuler le tourisme dans la région, notamment Don Pepe, propriétaire d’une hacienda qui a déjà hébergé Jacques Soustelle et Alfred Tozzer. Il annonce aux Blom qu’il veut transformer son hacienda pour y accueillir des touristes qui seront nourris et guidés par les Mayas tzeltals des communautés voisines, vêtus de costumes traditionnels : « Les touristes peuvent arriver. Tout est prêt pour les recevoir […]. On a prévu le nécessaire pour s’occuper des touristes, et de manière bien plus originale que dans les centres mentionnés dans les guides » (Blom, 1955 : 58). Dans ce type de tourisme, les Mayas sont à la fois attraction et main-d’œuvre bon marché. Comme Don Pepe, les élites locales – un groupe restreint et cosmopolite de Mexicains et d’étrangers – avaient compris que l’exotisme du monde maya pouvait déboucher sur une forme d’opportunité économique.
II. 2. Recherche et mise en exploitation des sites
19À San Cristobal, les mayanistes appartiennent à un petit milieu, relativement fortuné, qui va jouer un rôle moteur dans la « mise en tourisme » de la région. Figures emblématiques de cette élite composée d’Américains et de Mexicains disposant de liens privilégiés avec les pouvoirs publics mexicains et les communautés mayas du Chiapas, les Blom développent le tourisme d’aventure (Van der Berghe, 1994 : 46). Franz Blom explore la jungle avec des touristes fortunés. Comme les archéologues en herbe de Chichen Itza, les aventuriers du Chiapas sont aussi des érudits, férus de civilisations méconnues, prêts à se risquer dans des contrées parfois dangereuses. La maison des Blom – Na Bolom – accueille ces visiteurs, mais aussi les anthropologues de l’Université de Chicago et de la Carnegie, notamment Sol Tax lorsqu’il travaille à Chamula, un autre village maya devenu par la suite un site touristique local. Na Bolom est le point de ralliement des Mayanistes. C’est
[…] un petit musée privé, une bibliothèque de recherche, un lieu de rencontre pour artistes-résidents et chercheurs en sciences sociales, ainsi qu’une maison d’hôtes pour les gringos fortunés qui recherchaient le frisson de l’aventure et l’illusion de l’exploration, sans la prise de risque22.
20Si la « mise en tourisme » du Yucatan accompagne le processus de pacification de la région après la guerre des Castes23 (Tulum est la dernière cité maya à tomber), le processus est inversé au Chiapas où l’ouverture des communautés mayas crée des situations à risque. Dans un Chiapas majoritairement catholique, conservateur, isolé du reste du pays, les anthropologues américains, proches des évangélistes24, vont involontairement exacerber les conflits. À la fin des années 1940, l’environnement demeure un obstacle : la jungle est encore dense, et dangereuse, et plus difficile à explorer après le départ des chicleros qui y entretenaient des routes. En révélant les richesses du monde maya, les mayanistes suscitent l’intérêt des élites mexicaines, qui vont aussi investir le terrain. Le lien entre recherche et tourisme, jusqu’alors évident, va soudain se révéler problématique ; la résistance à l’étranger – évangéliste, anthropologue, entrepreneur, touriste – se propage dans les communautés, mais aussi chez les mayanistes.
21La découverte de Bonampak illustre l’histoire de cette résistance au développement touristique du Chiapas par les anthropologues américains et leurs alliés. Bonampak est un site maya ancien, découvert au milieu des années 1940 par un photographe américain employé par la United Fruit Company, Giles H. Healey. Prévenus de la découverte, ses supérieurs contactent la Carnegie, et en 1947, l’exploration de Bonampak débute, financée par la United Fruit et dirigée par la CIW (Weeks & Hill, 2006 : 420). La découverte galvanise les Mexicains qui publient leurs propres photos du site en 1947 dans la revue Vida (Blom, 1957 : 147-8). Bonampak soulève des problèmes d’ordre politique – sur le rôle des États-Unis dans la mise en valeur du patrimoine mexicain, sur la place du patrimoine maya dans le Mexique contemporain, et bien sûr, sur la nature du développement touristique. Mayanistes et pouvoirs publics ont compris le potentiel économique de Bonampak. Le gouvernement mexicain est déjà en train d’améliorer les voies de communication dans la région, notamment la route panaméricaine qui va bientôt filer vers le Guatemala et au-delà. Pionnier du tourisme d’aventure, Franz Blom est pourtant fermement opposé à l’exploitation touristique de Bonampak qu’il décrira en des termes très sévères :
Chaque fois qu’on annonce la construction d’une piste d’atterrissage dans les environs des ruines de Bonampak, je reçois de nombreuses lettres d’enthousiastes désireux de visiter Bonampak. Pour plusieurs raisons, je suis totalement opposé à ce qu’on facilite le tourisme dans ces ruines… Non, Bonampak est pour les spécialistes de la culture maya, et non pour n’importe quel touriste qui souhaite voir les ruines uniquement parce qu’elles ont fait l’objet de beaucoup de publicité25.
22L’archéologue, désormais très attaché au Chiapas et aux Lacandons, rend compte avec lucidité du lien entre découverte archéologique et promotion du tourisme pour réclamer une séparation entre recherche et mise en tourisme. On peut donc dire que la découverte de Bonampak a permis l’émergence d’un débat local sur l’usage du territoire. Parce qu’au Chiapas, le tourisme se développe dans des territoires mayas, et non dans des ruines, il met ses promoteurs, les mayanistes, face à leurs propres contradictions. À long terme, le Chiapas deviendra un fief politique pour une certaine anthropologie engagée, mais le premier effet de la découverte de Bonampak sera inverse : le milieu mayaniste devient de plus en plus attractif et la recherche se développe. En 1950, il regroupe des universitaires de la Carnegie et de l’Université de Chicago, leurs homologues mexicains, des scientifiques amateurs, des dirigeants indigénistes, des évangélistes, des acteurs économiques (propriétaires terriens, United Fruit Company), des politiciens mexicains. Villa Rojas et les Blom sont bientôt rejoints par d’autres, en particulier par Evan Vogt, l’anthropologue qui fonda le Harvard Chiapas Project.
23Lancé tardivement par rapport au projet pionnier de l’Université de Chicago, le Harvard Chiapas Project est représentatif de la nature de l’anthropologie au Chiapas à cette époque. Le Projet débute au moment précis où la Carnegie se désengage, alors que l’Université de Chicago domine les études mayas dans la région. Les grandes universités nord-américaines se répartissent, pour ainsi dire, l’étude de communautés mayas et de thèmes particuliers : à chaque université, son territoire et sa spécialité. Les Mayas du Chiapas sont étudiés par les équipes de chercheurs que constituent la Carnegie et l’INAH à Zinacantan, l’Université de Chicago à Chamula et à Chanal, l’Université de l’Arizona à San Andrès Larrainzar. Bien évidemment, tous ces villages sont depuis devenus des sites touristiques, mais aussi des lieux de conflits parfois très violents, opposant Mayas catholiques ou convertis au protestantisme, Mayas néozapatistes ou fidèles au PRI.26 Au Chiapas, les anthropologues de Harvard ne sont pas des pionniers : ils participent à un mouvement de défrichement déjà entamé. Ils saisissent une opportunité : Evon Vogt, formé par Redfield à l’Université de Chicago, visite le Mexique en 1950 et découvre la disponibilité des élites locales et l’existence d’un réseau social sur place. En 1954, il rencontre la fine fleur de l’anthropologie mexicaine, Alfonso Villa Rojas et Alfonso Caso, alors à la tête de l’Institut national indigène (INI)27. Lors d’un second voyage, A. Caso et Manuel Gamio (formé par Boas à l’Université de Chicago) lui font découvrir le sud du Mexique et le présentent à Gonzalo Aguirre Beltran, alors responsable de l’INI au Chiapas. Ils vont jusqu’à Tuxtla Gutierrez, capitale de l’État, où ils résident, comme les Blom avant eux, à l’hôtel Bonampak. Vogt visite la région en discutant « anthropologie, politique, et la relation entre les États-Unis et le Mexique »28. À San Cristobal, il est présenté aux Blom, puis poursuit naturellement son périple par la visite de petits villages mayas visés par l’INI. Vogt est donc fortement incité à devenir mayaniste : les autorités mexicaines, loin d’être anti-américaines, ont clairement encouragé les projets de Harvard alors même que des Mexicains étaient déjà présents sur le terrain.
24Le climat est à la collaboration scientifique, et surtout incroyablement propice à des relations étroites entre scientifiques des deux pays ; l’Université de Chicago a, de fait, formé la crème des mayanistes mexicains. Vers la fin des années 1950, San Cristobal est devenu une base cosmopolite pour les spécialistes des Mayas, comme le montre cette description de Vogt :
Bobbie [Montagu], comme elle aimait qu’on l’appelle, était une des figures les plus intéressantes de cette colonie américano-européenne d’expatriés qui s’étaient acheté des maisons à San Cristobal et passaient une partie de l’année au Chiapas. Elle venait d’une bonne famille juive sépharade de la Nouvelle Orléans, et avait étudié l’anthropologie à l’Université de Californie à Los Angeles. Elle était arrivée à San Cristobal au début des années 1950, et par l’intermédiaire des Blom, avait rencontré et épousé un certain Lord Montagu originaire d’Angleterre qui par la suite tomba malade et mourut pendant une expédition dans la forêt lacandon de l’est du Chiapas. Elle demeura à San Cristobal et y rencontra Calixta Guiteras-Holmes qui devint une amie proche ; de fait, Calixta demeurait toujours chez Bobbie quand elle venait en ville. Au démarrage du projet porté par l’Université de Chicago en 1956 [sic] Bobbie fut recrutée pour aider sur le terrain, et elle travailla surtout avec les Mayas Tojolabal implantés à l’est de la zone Tzeltal proche de Comitan29.
25Chaque université américaine tisse ses réseaux mexicains qui alimentent le processus de « mise en tourisme ». Le projet de Harvard, fortement soutenu par les autorités mexicaines, s’implante bientôt à Zinacantan, lieu d’excursion désormais très prisé. Il y a un lien direct entre l’étude et la « mise en tourisme » de ces petits villages – Chamula, San Andrès ou Zinacantan – où les Mayas eux-mêmes sont l’attraction principale. L’État mexicain, relayé par les élites locales, accompagne ce développement touristique.
II. 3. Tourisme et américanisation ?
26En 1959, l’autoroute panaméricaine permet aux touristes motorisés de rejoindre le Guatemala, desservant au passage la région de San Cristobal. L’anthropologie mène au tourisme, à partir de San Cristobal, centre cosmopolite où la présence de Mexicains de la capitale et d’étrangers dynamise l’économie locale. Les mayanistes stimulent l’intérêt pour les Mayas : le flux de voyageurs qu’ils attirent va se dérouter vers les petites localités de Chamula ou de Zinacantan étudiées par les anthropologues.
27Les années suivantes, les résidents nord-américains deviendront des acteurs clefs du développement touristique local, en soutenant et créant des commerces mayas. D’après l’étude de Van der Berghe (1994), la plus ancienne coopérative indigène dirigée par des Mayas – Na Jolobil – avait été fondée par un Américain. Dans les années 1980, une affaire tenue par deux Mexicaines, une Américaine et une Canadienne, emploie des centaines de tisserands locaux pour fabriquer des produits inspirés par les tissus mayas (Van der Berghe, 1994 : chapitre 3). La participation au secteur touristique ne se limite pas à la mise en tourisme de sites ou à la vente d’artisanat. Les Américains font vivre les commerces :
On trouve aussi cinq ou six petits restaurants qui servent presque exclusivement les touristes et les gringos qui résident sur place. Ils proposent le plus souvent une cuisine qui n’est pas mexicaine (comme des milk-shakes au yaourt, du pain complet, des quiches, et des pizzas). En majorité, les patrons ne sont pas mexicains et ces endroits servent aussi de lieux de rencontre pour expatriés, pour la plupart des Britanniques et des Américains30.
28Van der Berghe rappelle également que les touristes états-uniens représentent 86 % des visiteurs étrangers à la fin des années 1980. Leurs sites préférés reflètent d’ailleurs l’importance de l’anthropologie dans l’histoire du développement touristique régional ; Na Bolom, Chamula, Zinacantan et d’autres villages font partie des attractions les plus prisées, tout comme le marché où les Mayas vendent leur artisanat.
29Van der Berghe réalise son étude à l’aube du soulèvement zapatiste de janvier 1994 (date d’entrée en vigueur de l’Alena), et il rapporte les propos d’une Américaine et de son ami mexicain qui voient en San Cristobal un repoussoir au gringolandia de Cancun :
Même si le tourisme est très présent à San Cristobal, il n’est pas aussi oppressant que dans les Caraïbes. Il est discret et les prix sont moins élevés que sur la côte. On peut encore parler avec les gens ici… Sur la côte, l’architecture hôtelière a détruit la nature. Elle craint que San Cristobal n’évolue également dans le mauvais sens. À ce stade de l’interview, Jaime intervient et se lance dans une longue harangue politique. Jeune homme en colère, aux cheveux longs, d’environ 25 ans, il critique avec amertume la destruction de l’environnement par le tourisme, les Mexicains exilés de leurs propres villes et devenus des étrangers dans la station balnéaire, l’immonde architecture des hôtels, les politiques du gouvernement mexicain en matière de « développement » touristique.31
30Cette critique nationaliste du développement touristique déforme la réalité : dans les deux régions, le tourisme est clairement un produit de l’influence américaine, tant sur le terrain que parmi les décideurs. Paradoxalement, les premiers entrepreneurs nord-américains ont promu un tourisme culturel et élitiste à faible impact qui, par la suite, s’est développé et massifié avec le soutien des autorités mexicaines. L’opposition entre d’une part, le Yucatan et le tourisme de masse, et d’autre part, le Chiapas comme refuge de l’authenticité, est plutôt artificielle. Car dans ces deux régions, y compris dans les petites communautés, le tourisme trouve son origine dans l’intervention d’archéologues, anthropologues et linguistes formés à Harvard ou à Chicago, soutenus financièrement par la Carnegie Institution of Washington, et qui ont agi en pionniers du développement touristique au Yucatan et au Chiapas.
31On l’a vu précédemment, ce modèle de développement touristique fut inauguré par Edward Thompson à Chichen Itza au tout début du XXe siècle. Après la révolution mexicaine, il reçut le soutien de la Carnegie et des élites locales (politiques et économiques) : on peut donc dire que dans ce cas précis, il y a eu alliance stratégique entre entrepreneurs américains et mexicains, qui disposent de réseaux des deux côtés de la frontière (classe politique mexicaine, philanthropie aux États-Unis). La Carnegie Institution joue un rôle direct dans la mise en valeur du patrimoine maya de la région. Elle finance la recherche sur les Mayas au Yucatan, au Chiapas ainsi qu’au Guatemala ; ses mayanistes forment leurs homologues mexicains, qui par la suite deviendront également des figures politiques. Dans chaque discipline (ou sous-discipline, puisque l’archéologie est une sous-discipline de l’anthropologie), Carnegie s’associe de manière préférentielle à une université : Harvard en archéologie, Chicago en anthropologie.
32Archéologues et anthropologues américains ont encouragé de manière tout à fait significative le développement du tourisme en terre maya, ouvrant un débouché inédit et des marchés nouveaux, inventant au passage un modèle économique qui inspirera les Mexicains. Thompson, Morley, Blom, Tax, et Redfield ont aussi inauguré des pratiques touristiques qui ont depuis été reproduites par des générations de visiteurs étrangers. Entrepreneurs de génie, ces scientifiques américains furent des intermédiaires entre décideurs de part et d’autre de la frontière, inaugurant une ère de coopération scientifique, culturelle et économique entre les États-Unis et le Mexique.
33Le succès phénoménal de ces entrepreneurs atypiques tient autant à leur fort capital social et culturel et une conception originale de leur fonction de découverte et d’exploitation des opportunités. Tous appartiennent à une élite culturelle, et leur amour de la science est indissociablement lié à leur ambition de réussir. L’héritage scientifique d’Edward Thompson, de Sylvanus Morley, ou du Harvard Chiapas Project est désormais contesté, mais sans doute recherchaient-ils moins l’exactitude et l’excellence que la reconnaissance sociale et le prestige. En cela, ces entrepreneurs schumpétériens sont des agents économiques et des acteurs du changement social. Leur véritable héritage est cette contribution inattendue à l’essor du tourisme au Mexique.
34Car si les anthropologues américains du Mexique diffèrent d’autres types d’entrepreneurs transnationaux, leur action illustre néanmoins l’impact de la culture entrepreneuriale nord-américaine au Mexique.
Conclusion : conséquences à long terme de la « mise en tourisme » des Mayas
35Comme le dit Alejandro Portes, « les communautés nées à l’étranger sont un des meilleurs exemples de l’influence des facteurs contextuels sur l’action économique des individus ».32 Les scientifiques que nous avons étudiés formaient au Mexique un groupe privilégié et non subalterne. Cet entrepreneuriat touristique a profité d’un climat extrêmement favorable au déploiement des intérêts nord-américains au Mexique. Et en ce sens, les archéologues et anthropologues américains ont leur place dans l’histoire du développement local et de l’intégration régionale. La « mise en tourisme » du patrimoine maya constitue un exemple ancien d’économie culturelle, où la science a permis le développement économique d’une région.
36Les tour-operators contemporains vendent désormais des circuits « Mayas », et dans une région où le réseau routier est relativement peu développé, Chichen Itza, un site labellisé « patrimoine mondial de l’Unesco » en 1988, est desservi par un axe majeur. Cet exemple de mise en avant d’une culture locale est d’autant plus remarquable que le sud-est mexicain est désormais dominé par le tourisme balnéaire. Les petits villages situés autour de la ville coloniale de San Cristobal (Zinacantan, Chamula, ou San Andres Larrainzar) attirent les foules. L’activité touristique locale est restée focalisée sur tout ce qui touche aux Mayas – visite de villages, de musées, achat d’artisanat, etc.
37Cette réussite économique ne doit pas occulter les réalités politiques de la région : en pénétrant ces pittoresques communautés mayas, les chercheurs de l’Université de Chicago ou de Harvard ont suscité une résistance locale au tourisme, et créé des conflits qui perdurent. En inventant le tourisme ethnique, qui attira d’abord de riches aventuriers avant de devenir l’apanage des Hippies, les anthropologues ont fragilisé le tissu social local, créant ou exacerbant des conflits religieux ou politiques.
38Alors que les critiques du tourisme mexicain dénoncent régulièrement l’influence des États-Unis, l’histoire de ces entrepreneurs permet de reposer la question des modalités du développement local et de la finalité du processus. Un des enjeux du développement touristique au Yucatan comme au Chiapas est celui de l’usage du territoire nouvellement colonisé, qui comme l’explique Redclift, s’est fait par phases successives :
Nous observons au fil du temps : tout d’abord un espace vierge découvert par les archéologues ; deuxièmement, une Frontière naturelle, celle de l’extraction du chicle pour la manufacture du chewing-gum ; troisièmement, un espace abandonné qui est identifié comme tel et exploité par des entrepreneurs touristiques pionniers ; et quatrièmement, un espace tropical promettant l’évasion aux touristes internationaux, et qui transforme la nature en bien de consommation, tel que le parc à thèmes, le complexe de loisirs ou la croisière33.
39Pour ce géographe, la « mise en tourisme » se présente comme le prolongement du processus de colonisation de l’espace nord-américain. En reprenant les expressions consacrées de wilderness, frontier, pioneers, il rattache implicitement la « mise en tourisme » de la zone à une forme d’américanisation. Notre chronologie diffère de celle de Redclift, puisque nos recherches font apparaître qu’archéologues découvreurs et entrepreneurs pionniers ne forment qu’un seul et même groupe, groupe qui, en collaboration avec des acteurs locaux, a créé un nouveau produit : le tourisme en zone maya. L’entrepreneuriat mexicain a repris ce modèle nord-américain ; le modèle mexicain, s’il existe (Castañeda, 2009), copie une stratégie mise au point par des Américains pour satisfaire une demande étrangère. Or l’objectif des entrepreneurs nord-américains que nous venons d’étudier n’était pas de développer le Mexique, mais des secteurs d’activité comme l’archéologie, le tourisme, le commerce des antiquités, la recherche universitaire. À ce titre, la « mise en tourisme » du monde maya constitue une forme d’extraversion économique qu’il faudrait sans doute repenser.
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Notes de bas de page
2 Chiffres cités par l’ancien président mexicain Felipe Calderon dans son discours du 25 janvier 2011, disponible sur le site de la confédération nationale des chambres de commerce, services et tourisme du Mexique, (Concanaco Servytur), http://www.concanaco.com.mx/comunicacion/discursos/496-jdf-inaugura-convencion-nacional-de-turismo.html.
3 Le nombre de touristes américains est en augmentation constante, et a connu une progression de 19,7 % au premier trimestre 2013. Pour une mise en perspective de ces chiffres, voir le bulletin 133 du ministère du Tourisme mexicain (Sectur) disponible en ligne le 12 juin 2013 http://www.sectur.gob.mx/es/sectur/Boletin_0109
4 «The extravagance and overbuilt nature of Cancun has transformed it into a circus-like spectacle referred to as Gringolandia by locals. The term not only refers to the Disneyesque quality of the spectacle that is large-scale mass tourism in Cancun, but it also implies the invasion and appropriation of Mexican space by an American place. The reality, however, is far more complex» (Torres & Momsen, 2005: 314).
5 Le terme maya renvoie à l’une des grandes civilisations préhispaniques qui connut son apogée entre 300 et 900 de notre ère. Le territoire des anciens mayas s’étendait dans plusieurs pays de la Méso-Amérique (Mexique, Guatemala, Belize, Honduras et Salvador). Le terme est aussi utilisé pour évoquer les populations de langue maya qui vivent dans ces régions (Tzotzil, Tzeltal, Tojolabal, Chontal, etc.).
6 «At the hacienda a kindly welcome awaited us from Mr. Edward Thompson, Consul-General for America in Yucatan, who has for some years been the owner of the property. A keen archeologist, he pluckily entered into possession of the estate some fifteen years ago when the neighborhood had long earned an unenviable reputation. The last two haciendados and their families had been massacred by the revolted Indians and the house pillaged. Even to-day, Chichen, which practically stands on the borderland of the disaffected eastern district of the Peninsula, is not as peaceful as it looks. A fortnight before our arrival a village, some thirty miles off, called Xocen had been raided and burnt. But these outbreaks do not distress Mr. Thompson, whose sympathies are with the Indians, and who, speaking Maya like one of them, is beloved all around. An experienced traveler himself, Mr. Thompson gained our hearts at once by introducing us, as soon as our greetings were over, to a palm-thatched bathhouse, where in a stone we reveled for some time in the pleasures of cold water after our dusty, burning ride» (Channing & Frost, 1909: 86-87).
7 «About the dredging of the Sacred Well: there is much reason to believe that, aided by these, Mr. Thompson will be able to give the world an absorbingly interesting reconstruction of pre-Conquest life in Chichen, pieced together with that painstaking zeal which has distinguished all his previous work in other parts of Yucatan» (Channing & Frost, 1909: 93).
8 «Harvard was the pioneer institution in Maya research, and in 1892 had fielded the first real archeological expedition to the Maya jungles — in this case the ruins of Copan. In those days of gunboat diplomacy and banana republics, under a generous contract the Peabody was able to bring back (legally) a treasure trove of Classic Maya monuments… Thus began the era of the great expeditions, which eventually was to see the entry of Carnegie, the University of Pennsylvania, Tulane University…, and Mexico’s National Institute of Anthropology and History. This was the golden age which lasted up until World War II» (Coe, 1994 : 118).
9 Les livres de Stephens (Incidents of Travel), illustrés par Catherwood, avaient lancé une mode, suscitant l’intérêt pour une civilisation mystérieuse mais aussi pour une forme de tourisme élitiste.
10 Les droits de propriété du site et de l’hacienda ont fait l’objet d’une longue querelle juridique.
11 « Bringing the first tourists to Chichen Itza », voir site Mayaland Tours, http://www.mayaland.com, page consultée le 7 janvier 2011.
12 Le Yucatan a connu une brève période d’autonomie et un gouvernement socialiste sous Felipe Carrillo Puerto au début des années 1920, mais surtout, une série de gouvernements tous soucieux de développer le tourisme.
13 «Itza was invented as a tourist attraction […]. Underlying the motivations of both socialist governor and archeologists was the explicit recognition that Chichén would be a monument of and for tourism» (Castañeda, 1996: 6).
14 Il a déjà « exploré » d’autres sites mayas, comme Tulum : bien que célébré comme pionnier des recherches mayas par Carnegie, Morley est une figure bien plus controversée qu’Edward Thompson et finira par être rappelé à Washington à cause de ses relations avec les trafiquants d’antiquités (Weeks & Hill, 2006 : 11).
15 « Carnegie was always the leader in the field, with monetary and human resources which no university could match […]. Carnegie had long-term agreements with Mexico, Guatemala, and Honduras » (Coe, 1994). Notons que Carnegie entretient aussi des liens privilégiés avec le Peabody Museum de Harvard. Harvard était par ailleurs le plus grand centre de formation en archéologie à cette époque. Comme d’autres, Morley était d’ailleurs à Harvard avant de passer chez Carnegie, un changement qui lui a permis de trouver le crédit nécessaire pour se développer comme entrepreneur.
16 «Hacienda Chichen housed archaeologists and Mayan scholars that led in the 1920s the Carnegie Institution’s first Maya Research Expedition in the Yucatan. During this Maya expedition program, many of today’s cottages at the property were built by the […] famous scholars, whose works helped shaped the current understanding of ancient Mayan Civilization and legacy». Voir http://www.haciendachichen.com/archaeologists.htm.
17 Pour une description de la route touristique, voir le site VisitMexico, http://www.visitmexico.com/en/visitmexicopress2010/the_mistery_and_origin_of_the_mayan_culture, consulté le 15 juillet 2011.
18 «Entré a la selva lacandona por primera vez en 1922 con un grupo de géologos petroleros norteaméricanos, y con ellos apprendi mucho de lo que debe y no debe hacerse en un viaje por la jungla» (Blom & Duby, 1955: 15).
19 Notons que l’anthropologie mexicaine est aussi une science appliquée et paternaliste qui a pour but de transformer la culture des communautés indigènes et les pousser à s’intégrer dans le programme de modernisation du pays.
20 «It is his plan, following the termination of the course, to take a group of students to the Tzotzil community of Zinacantan in the state of Chiapas, to do fieldwork in that little reported Maya group. For these purposes the services of Dr. Tax have been lent by the Carnegie Institution to the Escuela Nacional» (Weeks & Hill, 2006: 307).
21 «Work in Chiapas made great strides during the year. It has been mentioned that Sr. Villa completed a second season in Oxchuc, this time accompanied by four students. In addition, three of the students who last year were trained in Zinacantan by Dr. Tax, returned to Chiapas in December 19 after 6 months’ fieldwork in the region» (Weeks & Hill, 2006: 311).
22 «A little private museum, a research library, a meeting place for resident artists and social scientists, and a guest house for the occasional well-heeled gringos seeking the thrill of adventure and the illusion of exploration without any of the risks» (Van der Berghe, 1994: 46).
23 La guerre des Castes opposant les Indigènes du Yucatan organisés en communautés libres aux colons mexicains débuta en 1847 et se prolongea jusqu’au début du XXe siècle.
24 En 1943, lors de son séjour à Mexico City, Robert Redfield forme des évangélistes du Sumner Institute of Linguistics qui, en échange, lui permettent de pénétrer dans des communautés mayas (Weeks et Hill, 2006 : 309) ; dans les années 1950, les membres du Harvard Chiapas Project servent d’intermédiaires aux missionnaires nord-américains (Vogt, 2004 : 102).
25 «Cada vez que se hace propaganda para que se abra un campo de aterrizaje en las cercanias de las ruinas de Bonampak, yo recibo numerosas cartas de entusiastas que desean visitar Bonampak. Por muchas razones estoy decididamente en contra de que facilite el turismo las visitas a estas ruinas… No, Bonampak es para especialistas en los estudios de la cultura maya, y no para cualquier turista que solo quiere ir a las ruinas porque estas han recibido mucha publicidad» (Blom & Duby, 1957: 145).
26 Depuis 1994, une partie du Chiapas est devenu autonome suite au soulèvement de communautés mayas réunies au sein de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Leurs opposants sont restés fidèles au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui a gouverné le Mexique de la fin des années 1920 jusqu’à 2000.
27 Institut national indigène – organisme officiel qui gère et étudie les groupes indigènes du Mexique.
28 «[…] anthropology, politics, the relationship between the United States and Mexico» (Vogt, 2004: 69).
29 «Bobbie, as she preferred to be called, was one of the more interesting members of the expatriate Euro-American colony who had purchased houses in San Cristobal and spent part or all of each year in Chiapas. She was from a well-to-do Sephardic Jewish family… in New Orleans, and had studied anthropology at the University of California, Los Angeles… She had arrived in San Cristobal in the early 1950s and, through the Bloms, had met and married a Lord Montagu from England who later became ill and died on an expedition in the Lacandon forest of eastern Chiapas. She stayed on in San Cristobal and met Calixta Guiteras-Holmes who became a close friend; in fact, Calixta always stayed at Bobbie’s house when she was in town. With the arrival of the University of Chicago project in 1956 Bobbie was recruited to help with the field research and worked especially with the Tojolabal Maya who were located to the east of the Tzeltal vicinity of Comitan» (Vogt, 2004: 107).
30 «There are five or six eating places that cater almost exclusively to tourists and resident gringos, and serve mostly non-Mexican foods (such as yogurt shakes, wholegrain bread, quiche, and pizzas). Most of them are also run by non-Mexicans and serve as hangouts for resident expatriates (mostly British and American)» (Van der Berghe, 1994: 60).
31 «Even though there is a lot of tourism in San Cristobal, tourism is not as oppressive as in the Caribbean. It is low-keyed and much less expensive than on the coast. You can still talk to people here… On the coast, the horrible hotel architecture is destroying nature. She is afraid that San Cristobal, too, is going to change for the worse. At this point in the interview, Jaime interjected and launched into a virulent political statement. An angry, radical, long-haired young man of about twenty-five, he bitterly complained about the destruction of the environment by tourism, the alienation of Mexicans from their own towns in the tourist resorts, the horrible architecture of the hotels, and the policies of the Mexican government toward tourism “development”» (Van der Berghe, 1994: 115-116).
32 «Foreign-born communities represent one of the clearest examples of the bearing contextual factors can have on individual economic action» (Portes & Sensenbrenner, 2001: 114).
33 « Over time we see: first, a ‘wilderness’, discovered by archaeologists, second, a ‘natural resource’ frontier of chicle extraction for the manufacture of chewing gum, third, an ‘abandoned space’ identified and exploited by early tourist entrepreneurs, and fourth, a ‘tropical paradise’ promising escape to international tourists, and ultimately turning nature into a commodity, as theme park, leisure complex and cruise liner» (Redclift, 2009: 36).
Auteur
Maître de conférences à l’Université de Toulouse le Mirail et spécialiste de l’immigration et du tourisme américain au Mexique. Elle a récemment publié « Laughing at the United States » et « You Need to Come Here… to See What Living Is Really About: Staging North American Expatriation in Merida (Mexico) » in Miranda (5), 2011.
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