De Munich à Munich : l’itinéraire de Klaus Mann entre 1906 et 1933
Texte intégral
1Pour être né à Munich, y avoir passé enfance et adolescence, Klaus Mann n’est pas pourtant un écrivain bavarois au même titre qu’un Oskar Maria Graf, et son œuvre ne témoigne d’aucun attachement particulier au sol natal. S’il est atypique à l’échelle locale, son rapport à Munich en fait cependant un personnage symptomatique dans le cadre plus vaste de la littérature allemande de Weimar. Les deux autobiographies de Klaus Mann témoignent d’une évolution chronologique : dans la seconde, Der Wendepunkt1 (1949), Munich gagne en importance plus on avance dans l’œuvre et donc dans le temps, à mesure que la République approche de sa fin. Au contraire, dans les premières pages du Wendepunkt, de même que dans la première autobiographie, Kind dieser Zeit2 (1932), qui traite des années 1906 à 1924, Munich n’apparaissait qu’en passant, pour ainsi dire au détour du récit. Et de même, le seul article que Klaus Mann ait consacré à Munich, München, März 19333, paru durant l’exil, traite d’une période bien particulière4.
2Klaus Mann, intellectuel démocrate de plus en plus engagé, semble donc se rapprocher de Munich à mesure que la République agonise. Comment concilier ceci avec l’image traditionnelle de Munich comme bastion du national-socialisme ? Ce parcours individuel, si on le replace dans le contexte plus général de la vie intellectuelle dans l’Allemagne de Weimar, permet de mettre en lumière la place de Munich dans les dernières années de Weimar.
L’enclave Mann en terre munichoise
3Munich est tout d’abord un héritage familial pour Klaus Heinrich Thomas Mann, fils de Katia et Thomas Mann, né le 18 novembre 1906 dans le quartier de Schwabing.
Bohème et bourgeoisie
4Sa mère, Katia Pringsheim-Mann, fille d’un professeur d’université et d’une comédienne, est née dans « une maison princière dans le quartier le plus distingué de la belle ville de Munich »5, où l’hospitalité de cette « famille hors du commun »6 attirait à la fois tous les mondains et les artistes de la ville. Thomas Mann était lui-même originaire de la haute société de Lübeck et sa mère, Julia Mann, installée à Munich depuis 1894, y avait conservé un statut social élevé. Les cinq enfants de la veuve du Sénateur Mann établiront à Munich une sorte de dynastie Mann ; parmi eux, deux écrivains, Thomas et Heinrich, grandes figures rayonnant, à partir de Munich, sur la littérature allemande du début du siècle.
5Klaus Mann appartient donc, par sa naissance, à une haute société intermédiaire entre la bohème intellectuelle, dont les frères Mann avaient été des éléments centraux durant les années d’or de Schwabing, et la grande bourgeoisie, à laquelle Thomas Mann, au contraire de son frère, s’était de plus en plus intégré, autant grâce à son mariage que par nature et inclination, devenant une figure munichoise officielle.
6Klaus Mann et ses cinq frères et sœurs grandissent dans ce milieu hybride et cosmopolite que l’on pourrait nommer le « milieu Mann », tant la maison familiale de la Poschingerstraße en est le centre. Mais Munich en est moins l’origine spirituelle qu’une toile de fond géographique, et c’est ainsi que Klaus perçoit la ville : son rapport à Munich découle de son attachement au foyer parental, à la maison qui cristallise tout l’« esprit Mann ».
7Les enfants accentuent cette tendance en se créant leur « propre sphère » :
« Nous avons nos propres lois et nos propres tabous, notre jargon, nos chansons, nos préférences et nos aversions, arbitraires, mais intenses. Nous nous suffisons ; nous vivons en autarcie »7
8Ce « nous » englobe aussi les parents et les autres adultes fréquentant la maison, comme les écrivains Bruno Frank ou Ernst Bertram, élevés au rang d’« oncles ». Tous utilisent un langage qui leur est propre, le « jargon Mann », à la fois inspiré et adopté par la nébuleuse qui gravite autour du foyer parental, et qui remplace le bavarois comme langue maternelle des enfants.
Géographie du « pays Mann »
9Le Munich des autobiographies est jalonné par les lieux mythiques de l’enfance, qui se déroule dans un « pays Mann » dont la topographie reflète la place particulière du milieu Mann dans la vie intellectuelle de la ville. Cette enclave en territoire munichois est délimitée par les points cardinaux de l’enfance que sont la maison Poschingerstraße, « une imposante villa au bord du fleuve »8, nommée aussi affectueusement « cette chère vieille chose »9, le Herzogpark environnant, et le « précieux palais Renaissance »10 des Pringsheim dans la Arcisstraße, tous lieux objets d’un attachement éternel et jamais remis en question, mais qui ne sont pas précisément décrits dans les autobiographies : leur fonction symbolique de Lieux saints de la famille Mann importe plus que leur configuration extérieure.
10Et si l’arrivée à l’école ouvre quelque peu l’horizon, la tendance à l’autarcie est constante : la « bande du Herzogpark » formée par les enfants Mann et leurs amis et redoutée par les autres enfants du quartier, se compose essentiellement d’enfants voisins, dont les parents sont des amis des Mann, comme le chef d’orchestre Bruno Walter qui dirige alors l’Opéra de Munich. L’ouverture se limite à un milieu restreint, socialement privilégié et limité géographiquement au Herzogpark, « ce quartier résidentiel où tout le monde se connaissait et où se nouaient des relations amicales »11, et que Erika Mann, la sœur aînée de Klaus, appelle « notre colonie »12.
11Klaus reste également à l’écart au Wilhelmsgymnasium, où les autres élèves le perçoivent d’instinct comme atypique, en partie parce qu’il ne maîtrise pas l’idiome local : ils le « considéraient à cause de cela comme un ‘cochon de Prussien’, ce qui était presque aussi grave que d’être un étranger hostile »13. De même que le jargon Mann remplace le dialecte local, le cercle Mann se substitue pour Klaus au milieu munichois, même s’il existe des points d’intersection, dont Erika, qui incarne à la fois l’esprit Mann et le caractère bavarois : elle est la seule qui, maîtrisant le dialecte, établira des contacts en dehors de leur sphère préservée.
Une excentricité cultivée
12Dans leur cercle, Erika et Klaus forment une entité bicéphale, partageant toutes les expériences et toutes les amitiés. C’est donc avec Erika, et en compagnie des filles de Bruno Walter, que Klaus Mann établit un premier contact avec la ville. Il s’agit de soirées au concert, à l’opéra, ainsi que de sorties nocturnes clandestines dans diverses boîtes de nuit : le Bateau vert, le Boccace, le Papa Benz14. Ils fréquentent par ailleurs peu la bourgeoisie traditionnelle, qu’ils rejettent à cause à la fois de son conformisme et de son conservatisme politique , et qui apparaît à Klaus Mann, dès l’épisode révolutionnaire, comme « réactionnaire par nature et par origine »15, ce qu’il décrit dans la nouvelle Die Gotteslästerin, écrite en 1919.
13Cette adolescence munichoise agitée est brutalement interrompue par la révélation aux parents des frasques des enfants, que l’on envoie en internat afin de les soustraire à l’influence néfaste du milieu urbain16. Ce changement, qui clôt la première période munichoise de Klaus Mann, ne le chagrine pas outre mesure, tout d’abord parce que c’est pour lui l’occasion d’entrer en contact avec un monde différent, mais aussi parce qu’il ne se sent pas particulièrement lié à Munich. La ville lui est familière, mais cette donnée ne semble pas mériter qu’il s’y attarde ; elle ne lui inspire ni amour, ni haine, ni aucune autre passion. Il vivra toujours en marge du Munich bavarois et bourgeois, ce qui se manifeste entre autres dans ses amitiés et ses provocations.
14Ainsi, à son retour d’internat, Klaus Mann se lance dans la vie mondaine qui lui sera toujours propre. Il navigue, avec Erika et ses amis d’enfance Ricki Hallgarten et W.E. Süskind, dans un milieu interlope, qu’il nomme son « cercle d’inflation » (Inflationskreis), et qui se distingue par une excentricité cultivée, visant à tourner en dérision le « kitsch terriblement ennuyeux »17 qui, selon eux, règne alors à Munich.
15Ce « cercle d’inflation » n’est pas un groupe d’écrivains, et Klaus, même s’il écrit depuis son enfance, est alors surtout attiré par le théâtre et sa bohème. Il n’a d’existence personnelle dans le milieu littéraire munichois de cette époque que comme le fils scandaleux de Thomas Mann. Il appartient encore à ce qu’il décrit comme une génération d’aspirants écrivains, dont les aînés n’en sont encore, dans le cursus littéraire, qu’à la « classe terminale »18, comme W.E. Süskind et Theodor Lücke, spéculateur et journaliste un peu plus âgé qui est aussi le soutien financier du groupe.
Les enfants Mann et Schwabing
16Klaus Mann et son cercle ne fréquentent pas non plus Schwabing :
« Comme les tavernes et les ateliers de Schwabing ne nous semblaient pas attrayants, nous formâmes notre propre petite bohème, un petit cercle fort déluré quoiqu’un peu enfantin »19.
17Cette description permet de cerner l’atmosphère du Munich des années 1920-25 : l’apogée de la ville est passée, et Schwabing, l’ancien centre intellectuel, n’est que l’ombre de lui-même. Par contre, la maison Wedekind, pôle d’attraction des enfants Mann vers 1923, perpétue cet esprit disparu. Pamela Wedekind, avec qui Klaus fut quelque temps fiancé, est « une version réduite et féminine »20 de son père, l’écrivain Frank Wedekind, qui fut une figure marquante de Schwabing au début du siècle ; et de même que Pamela, Klaus et Erika perpétuent eux aussi cette bohème glorieuse.
18Leur bohème personnelle a en effet beaucoup de points communs avec l’esprit de Schwabing des années d’or, entre autre par son insolence face au provincialisme conservateur bavarois. Les enfants Mann perpétuent les attitudes de leurs aînés – leur oncle Heinrich Mann n’a-t-il pas été une figue marquante de Schwabing ? – mais ils le font d’une manière exacerbée et scandaleuse qui irrite profondément Thomas Mann, même si celui-ci cultive la place « à part » de sa famille.
19L’art de vivre propre à Schwabing semble être naturel aux enfants Mann, et il n’existe plus à Munich que dans ce cercle « d’enfants de poètes », alors que le Schwabing contemporain ne vit plus que sur son passé et sur une image figée et se tient à l’écart de toutes les nouvelles tendances esthétiques.21 La bohème des enfants Mann est donc munichoise par tradition ; mais elle est aussi berlinoise d’esprit, ce qui la rend moderne et d’autant plus choquante dans le Munich de ces années. Elle incarne l’esprit des années 20 tel qu’il règne à Berlin, qui a remplacé Munich comme capitale culturelle. Et lorsque les Mann et leurs amis cherchent à rendre
« ce Munich, qui nous était depuis longtemps familier, aussi aventureux et mouvementé que possible » 22,
20c’est Berlin et sa vie nocturne qui leur servent de modèle :
« Il n’y avait certes à Munich ni Tu-tu, ni Tauentzienstraße, ni Eldorado ; notre vie ne manquait cependant pas d’animation grâce à notre caractère résolument entreprenant »23.
Ville natale et ville d’élection
21Klaus Mann est en effet fasciné par Berlin depuis son premier séjour durant l’été 1923, à la suite d’un voyage clandestin avec Erika, voyage qui porte la marque de l’aventureux et de l’interdit, et contraste avec un Munich ennuyeux parce que familier :
« Le romantisme du bas-fonds était irrésistible. Berlin – ou plutôt l’aspect de Berlin que je voyais et que ma naïveté tenait pour le seul qui fût essentiel, le seul qui fût caractéristique – m’enthousiasmait par sa dépravation éhontée. »24
22Cette première impression est déterminante : « Berlin était ma ville ! Il me fallait rester ici ! »25 ; mais sa première tentative de s’y produire dans un cabaret tourne mal :
« C’est fini. C’est l’échec... Ainsi, je sais maintenant ce qu’est un fiasco, un four... Le lendemain, je rentrai à Munich. » 26.
23Passagèrement échaudé, il remet à plus tard sa conquête de Berlin, et ce n’est qu’en août 1924 qu’il s’y installe véritablement, comme critique théâtral du Zwölfuhrmittagsblatt, toujours avec Erika qui y suit des cours de théâtre. Ce déménagement est motivé entre autres parce qu’il tient alors
« Munich pour la ville la plus bête, la plus ennuyeuse et la plus provinciale du monde […] »27.
24Au désir d’aventure et d’émancipation s’associe donc le fait que Berlin symbolise le renouveau et le libéralisme. Cette vision est symptomatique des années 20 ; à la même époque se situe en effet un exode massif de Munich vers Berlin : Leonhard Frank, Bertolt Brecht, Johannes R. Becher, Lion Feuchtwanger et même Heinrich Mann, tous s’installent à Berlin entre 1923 et 1928.
Munich la réactionnaire
25Cet exode marque la fin d’une époque : Munich n’est plus la ville de l’avant-garde et produit désormais une littérature régionaliste et conformiste. Cette stagnation littéraire correspond à un changement de climat politique : la ville, qui avait été entre 1895 et 1914 le centre littéraire de l’Allemagne, sous le gouvernement relativement tolérant du prince-régent Luitpold, acquiert dans les milieux libéraux l’image d’un
« fief de la réaction, le centre des courants et des intrigues antidémocratiques »28,
26et Berlin, comme par symétrie inverse, devient la capitale intellectuelle de l’Allemagne républicaine.
27Le gouvernement qui dirige la Bavière après l’épisode des Conseils voit en effet dans la nouvelle République et sa Constitution une menace contre le statut particulier qu’avait la Bavière au sein du Reich bismarckien ; l’état weimarien, bien que fédéral, tend au centralisme29. Le Generalstaatskommissar Kahr, qui associe un conservatisme extrême au traditionnel particularisme bavarois, est en conflit ouvert avec le gouvernement central. La lutte fédéraliste devient à la fois l’expression et l’instrument des tendances anti-démocratiques en Allemagne, dont la Bavière est le lieu d’éclosion et de rassemblement, comme c’est le cas pour le national-socialisme.30
28Ainsi, Klaus Mann constate un regain de conservatisme dans la
« campagne malveillante – non dépourvue d’une nuance d’antisémitisme – menée contre [Bruno Walter] par la presse, et surtout par le journal réactionnaire Münchner Neueste Nachrichten »31,
29qui pousse le chef d’orchestre à quitter lui aussi la ville.
Berlin contre Munich ?
30Mais Klaus Mann n’observe pas la réalité politique de manière plus poussée, et il semble que ce soit moins l’ambiance de Munich qui le fasse fuir, que celle de Berlin qui l’attire ; il continue en effet à séjourner régulièrement à Munich.
31Et s’il est « difficile d’aimer les deux »32, Munich et Berlin, la question ne se pose ici pas exactement en ces termes, car les deux villes n’ont pour Klaus Mann pas le même statut . Berlin représente la « vraie vie » intellectuelle et agitée, l’avant-garde :
« Son génie et sa fonction historique consistent à capter les atmosphères et tendances latentes en Allemagne, à les absorber, et à les pousser à l’extrême de manière théâtrale »33,
32alors que Munich incarne le foyer ; car si Klaus Mann séjourne à Munich, il reste toujours étranger au milieu littéraire local, mis à part celui des Mann. C’est à Berlin que Klaus Mann acquiert une existence publique en tant qu’écrivain, aidé en cela par un parfum de scandale. Mais, de même que Klaus Mann n’entre jamais en rébellion ouverte contre son père, dont il est fier, il ne rejette pas non plus violemment la ville paternelle. Il se cherche un champ d’action propre, où l’ombre du père, bien qu’inévitable et parfois utile, ne se fasse pas trop sentir : après la bohème théâtrale des années d’inflation, c’est Berlin et l’étranger.
33Par conséquent, Klaus Mann est perçu à Munich comme un écrivain berlinois scandaleux, que le milieu local refuse de reconnaître sur le plan littéraire. Il en conçoit une certaine amertume, en particulier au sujet de l’accueil réservé à ses pièces de théâtre :
« La presse de ma chère ville natale se répandit, comme d’habitude, en discours injurieux »34,
34une attitude qu’il ressent comme injuste. Le Munich de ces années ne lui pardonne pas son indifférence et ses préférences extra-bavaroises.
35D’ailleurs, le seul mouvement littéraire dont Klaus Mann se revendique est celui qui porte le nom symptomatique de « Das jüngste Deutschland », réunissant les membres du « cercle de l’inflation », devenus écrivains à part entière, auxquels se sont joints depuis, entre autres, Erich Ebermayer et Wolfgang Hellmert35 ; un cercle qui, bien qu’en grande partie originaire de Munich, n’y est pas enraciné et revendique non pas son origine, mais sa jeunesse comme marque littéraire spécifique. Cette conviction d’appartenir à un mouvement intellectuel supra-régional va à l’encontre d’une littérature bavaroise qui fait de son régionalisme une vertu. Et de même, Berlin, s’il la nomme sa « véritable patrie »36, est surtout une patrie intellectuelle, et la curiosité de Klaus Mann ne se limite pas à la capitale du Reich.
Le « pôle munichois » (1924-1930)37
36Ainsi, les années 1924-1930 sont marquées par des voyages incessants. Les récits (écrits parfois avec Erika) que fait Klaus Mann de ses voyages38 témoignent eux aussi de cette curiosité, alors que Munich ne lui a inspiré aucun écrit de ce genre. Le pôle fixe reste cependant Munich et la maison parentale ; Klaus Mann décrit ainsi un de ses départs :
« Bonne chance, mon fils, dit mon père, mi-enjoué, mi-solennel. Et reviens à la maison quand tu seras malheureux ! »39
37La Poschingerstraße acquiert donc après 1924 une dimension nouvelle de refuge et d’abri, qui prend davantage de valeur à mesure que la vie publique allemande devient mouvementée. Elle demeure son seul foyer fixe :
« À la maison, cela signifiait pour moi l’hospitalité de mes parents ou une chambre n’importe où »40,
38et il y conserve
« une jolie chambre d’étudiant, pleine de livres et de papiers »41.
39La maison est le centre d’une vie itinérante : c’est là qu’il se (re)pose, entre autres pour écrire 42, avant de s’envoler pour d’autres horizons.
Munich quartier général de l’antinazisme (1930-1933)
40Munich prend davantage de place dans la vie de Klaus Mann à mesure que croît la menace du national-socialisme, ce qui ne confirme cependant pas l’idée courante selon laquelle Munich aurait été le fief du national-socialisme ; Klaus Mann ne parle d’ailleurs pas même du putsch de Hitler en 1923, sans doute parce que la vie politique et les événements bavarois ne l’intéressaient pas à cette époque. C’est cependant bien à Munich qu’il se trouve ensuite confronté physiquement au national-socialisme : ainsi, en 1932, il se trouve assis face à Hitler dans le salon de thé du Carlton, et l’observe avec curiosité.43 Il assiste avec Erika à des meetings électoraux ; c’est encore à Munich qu’une apparition d’Erika dans le cadre d’une réunion pacifiste, le 13 janvier 1932, est perturbée par des nazis.
41C’est à Munich que Klaus Mann prend conscience du danger que représente le national-socialisme ; il n’amalgame cependant jamais la ville elle-même au mouvement. Elle lui apparaît au contraire comme un bastion anti-nazi, une image à la fois juste et idéalisée de la ville, qui la lui rend plus chère.
« Bavarité », européanisme, cosmopolitisme
42Les Mann rejettent en effet tous le national-socialisme, chacun à sa manière et pour des raisons qui lui sont propres. Ainsi, Thomas Mann y voit une dégénérescence de l’idée nationale et du caractère allemand qui lui sont chers ; quant à Klaus, son peu d’attachement physique à un endroit particulier, et le sentiment d’appartenir à une génération européenne liée par une « affinité, une parenté secrète »44, lui rendent insupportable toute idéologie liée au sol comme le Blut und Boden national-socialiste :
« La glèbe de mon pays natal ne me retenait pas ; je préférais, en général, l’asphalte des capitales étrangères ou le sable clair d’une côte méridionale. » 45
43Klaus Mann défend un européanisme dont le mouvement Pan-Europa du comte Coudenhove-Kalergi a formulé la philosophie ainsi que les buts politiques. La famille Mann, très influencée par ce mouvement, en retient surtout l’idée que
« l’on pouvait très bien être premièrement, un bon Bavarois, deuxièmement, un bon Allemand, et pourquoi pas, un bon Européen »46,
44comme le formule Golo Mann, le frère cadet de Klaus. Ce principe est cher à Klaus, pour qui l’attachement aux valeurs supranationales n’implique pas un rejet de la culture allemande dans laquelle il a été élevé : germanité et européanisme sont complémentaires. Il se définit lui-même comme
« un intellectuel allemand de convictions européennes et libérales »47,
45avec pour principe :
« Etre Allemand, c’est être Européen »48 ;
46le national-socialisme le rebute donc surtout parce qu’il revendique une germanité exacerbée et exclusive.
La Bavière républicaine
47Or il se trouve que la Bavière s’oppose elle aussi dans une certaine mesure au national-socialisme montant, ou du moins défend désormais la République :
« la situation économique catastrophique rendait la Bavière aussi vulnérable que quiconque au national-socialisme, mais elle n’était plus le lieu d’action ni la figure de proue de la dictature »
48dont l’intérêt s’était déplacé vers le Nord :
« la scène s’était déplacée à Berlin, et de là Hitler comptait gouverner de manière centraliste »49.
49De plus, alors que sa volonté fédéraliste faisait de la Bavière au début des années 20 un fer de lance des mouvements anti-démocratiques, cette tendance s’est inversée : le particularisme, force motrice de la politique bavaroise, s’exprime désormais à l’intérieur du cadre fixé par la Constitution, cherchant à modifier le statut des Länder, afin de donner plus d’importance à la Bavière face à la toute-puissante Prusse. Ainsi, la Bavière participe à partir de 1925 aux débats sur la Reichsreform50 : le fédéralisme bavarois, après avoir été purement d’opposition, devient constructif dans un second temps, donnant progressivement naissance à un républicanisme légaliste51.
50Mais cet attachement mitigé à la République ne fait pas pour autant de la Bavière une région libérale : la Bayerische Volkspartei (BVP) au pouvoir est un parti résolument conservateur au sein duquel existent de fortes tendances monarchistes. La Bavière de la fin des années 20 est donc à la fois républicaine de raison et conservatrice de tradition.
51De ce visage double, la première facette occulte l’autre dans l’image que se font de Munich les intellectuels démocrates, et c’est ce qui les séduit ; ainsi Klaus Mann qui, parallèlement à la montée du nazisme, se sent de plus en plus étranger en Allemagne :
« Peut-être était-on si profondément chez soi dans la sphère du germanisme européen et universel que l’on était condamné à devenir un sans-patrie dans ce pays où le rêve de l’universalité n’existait plus que comme rêve de conquête »52,
52mais aussi, paradoxalement, de plus en plus chez lui à Munich.
Une autre image de Munich
53C’est là en effet que ces Allemands européens tentent d’ancrer dans la réalité leur patrie intellectuelle, d’une part parce que Munich possède une tradition d’ouverture, même si elle a été occultée au début des années 20, et d’autre part parce que le particularisme rend dorénavant la Bavière relativement hostile aux théories national-socialistes, puisque celles-ci de plus en plus viennent du Nord et de la Prusse protestante.
54La Bavière change donc doublement de statut : d’une part, après avoir été le symbole de la réaction, la ville acquiert l’image d’un bastion de la démocratie. Et d’autre part, ce changement est aussi sensible chez les démocrates que chez la partie adverse : les nazis, tout en considérant Munich comme la base historique de leur mouvement, assimilent le milieu intellectuel munichois (comme tout milieu intellectuel d’ailleurs) au cosmopolitisme et au libéralisme, et les Mann en sont pour eux des représentants typiques :
« Le dossier de la famille Mann finit par devenir un scandale munichois »
55écrit le Völkischer Beobachter en 193253. Ils considèrent ce milieu comme
« un ramassis de racaille internationale, de monstres de l’intelligence54, de bolchevistes de la culture, de déracinés, d’éléments étrangers au peuple ! »55
56Ainsi Munich devient, parallèlement à la montée du nazisme, le point de cristallisation à la fois des liens familiaux entre les Mann et de leur lutte contre le national-socialisme, lutte qui renforce ces liens.
57Le phénomène est intéressant par son paradoxe : des intellectuels qui s’opposent à une forme de nationalisme, trouvent refuge dans une ville qui professe un régionalisme exacerbé, lequel n’est rien d’autre qu’un nationalisme à l’échelle locale. Mais nous verrons que ces deux courants apparemment contradictoires coïncident de facto dans l’opposition aux nazis. Ce phénomène permet de nuancer l’image généralement admise d’un Munich national-socialiste, image assez tenace qui n’est elle-même que le produit de la propagande nazie, laquelle fera de Munich un de ses mythes fondateurs et lui attribuera une place d’honneur dans le Troisième Reich. Mais il s’agit aussi d’un mythe dans le cas de Klaus Mann, même s’il est inverse.
58Si Klaus et Erika réagissent tout d’abord par la fuite à la montée du national-socialisme :
« Peut-on échapper à ces aboiements obscènes ? La Laponie est-elle assez loin ? Ou le port de Cadix, à la pointe méridionale de l’Espagne ? »56,
59cette tendance laisse ensuite la place à une attitude plus combative ; Klaus Mann passe, au début des années 30,
« de l’enfant prodige capricieux à l’écrivain conscient de sa responsabilité »57,
60une évolution qui s’accentuera durant l’exil ; l’attitude dominante est désormais l’attaque contre le national-socialisme, souvent par la dérision, et trouve son apogée dans le Moulin à Poivre (Pfeffermühle), le cabaret anti-nazi monté fin 1932 par Erika et Klaus à Munich, ville qui devient la base géographique du combat politique. Les séjours qu’y fait Klaus Mann gagnent en fréquence et en durée ; et leur chronologie est un bon indicateur de l’évolution politique et culturelle de la ville. Tel un séismographe, les mouvements migratoires des intellectuels révèlent les fluctuations politiques. Klaus Mann ne fait pas exception à la règle, et son retour progressif à Munich indique tout d’abord une dégradation du climat à Berlin à la fin des années 20, à laquelle s’associe un changement progressif du statut de Munich dans l’imaginaire collectif. L’engagement de Klaus Mann contre le national-socialisme le rapproche de Munich, où l’atmosphère lui paraît plus libérale.
61Les Mann ont confiance en la capacité de résistance de la Bavière, et croient même à une tendance séparatiste. Ils ne sont pas les seuls ; ainsi Leopold Schwarzschild transfère durant l’été 1932 le siège de son journal, Das Tagebuch, de Berlin vers Munich58 ; et c’est là que Klaus et Erika, ainsi que d’autres intellectuels, vont vivre leurs derniers mois avant l’exil, se consacrant surtout au Moulin à Poivre, qui devient une institution munichoise.
Un cabaret munichois
62Le cabaret de Erika Mann se produit à la Bonbonnière, un théâtre qui a connu son heure de gloire en même temps que Schwabing ; par ce choix, l’entreprise se réclame symboliquement de l’esprit de l’âge d’or.
63L’accueil enthousiaste fait au cabaret par la presse fait aussi allusion à cet héritage spirituel : on y considère qu’il est
« affilié à la meilleure littérature munichoise »59,
64à la fois par le patronage de Thomas Mann et par le rôle thématique de Munich et de la Bavière dans les textes. Le Moulin à Poivre retrouve
« l’ancienne atmosphère de dérision artistique, qui fit jadis la célébrité de l’Athènes sur l’Isar »60.
65Ce type de cabaret politique est pourtant plus berlinois que munichois, mais Erika Mann possède plusieurs atouts pour faire du Moulin à Poivre un cabaret munichois : son lien familial avec l’esprit de Schwabing, ses relations dans le monde du théâtre, qui lui assurent la collaboration de comédiens très aimés du public local, comme Therese Giehse et Bert Fischel ; et enfin sa connaissance et son amour de Munich 61 la rendent très réceptive à l’esprit de la ville.
66Le cabaret qu’elle monte avec Klaus est donc profondément ancré à la fois dans l’antinazisme et dans la tradition munichoise, qui semblent désormais se rejoindre.
Dernier Carnaval à Munich (30 janvier – 10 mars 1933)
67Munich se voit donc consacrer tout le début du chapitre « Exil » dans Der Wendepunkt, qui traite les mois suivant la nomination d’Hitler comme chancelier. Pour Klaus Mann,
« l’exil commençait à Munich »62.
68Cette affirmation mérite que l’on s’y attarde, car elle résume parfaitement la vision qu’avaient les intellectuels de la ville.
Mise au pas de Berlin
69Il est vrai que Munich se distingue durant les premières semaines du pouvoir nazi ; et le climat de relative tolérance qui y règne attire nombre d’intellectuels fuyant Berlin où la mise au pas (Gleichschaltung) a commencé dès la prise de pouvoir du 30 janvier.
70Le changement de climat à Berlin est d’ailleurs sensible même à distance : Klaus Mann écrit le 24 février à Ebermayer pour reporter sine die tout voyage dans la capitale :
« je frémis à l’idée de tout ce dont j’y serais forcément le témoin […] Tout le monde semble confirmer que Berlin vit dans la terreur […] »63,
71alors qu’il ne constate pas de changement à Munich. Le Moulin à Poivre continue à se produire avec un grand succès, le Tagebuch et le journal satirique Simplicissimus poursuivent leur ligne résolument antinazie.
« Des gens qui, à Berlin, auraient déjà été emprisonnés et maltraités jouissaient encore, à Munich, d’une parfaite liberté. »64
72Cette atmosphère attire donc des Berlinois :
« En février 33 – peu de temps avant l’incendie du Reichstag et surtout après cet événement – plus d’une personne compromise pour des raisons politiques ou raciales changea de domicile, par mesure de prudence, et quitta les rives de la Spree pour celles de l’Isar »65.
73Ces Berlinois, que Klaus Mann ne nomme pas, sont entre autres les écrivains Leonhard Frank, Hellmut von Gerlach et Theodor Wolff, et des dirigeants du SPD comme Rudolf Breitscheid, Rudolf Hilferding, Albert Grzesinski et Otto Wels ; les instances dirigeantes du SPD avaient d’ailleurs commencé à préparer le transfert du siège du parti vers Munich66 .
74Si leur nombre n’est en réalité pas très élevé, la présence même de ces « émigrés » berlinois est symptomatique. Munich devient la première station sur le chemin de l’émigration définitive qui les attend au plus tard après la prise de pouvoir des nazis à Munich. Et Munich elle-même est ressentie comme un exil, une station forcée. C’est aussi le cas pour Klaus Mann qui, s’il est revenu progressivement et spontanément vers Munich, n’en a pas moins dû renoncer à Berlin, sa ville d’élection.
Et la fête continue....
75La vie des Mann suit cependant son cours, marquée à la fois par la fête – Klaus et Erika sont jeunes, portés sur les réjouissances, et c’est l’époque du Carnaval, institution sacrée à Munich – et par l’omniprésence de la politique. Klaus ne trouve de temps pour écrire que
« lorsque le Carnaval et la lecture de la délectable prose du sieur Göring m’en laissent le temps […] »67
76Le 1er janvier 1933 a lieu la première du Moulin à Poivre, événement mondain où se retrouve tout le milieu qui gravite autour des Mann parents et enfants68, de même qu’au « Bal du Moulin à Poivre » qu’organisent Klaus et Erika le 21 février dans la maison de la Poschingerstraße.
77Ce dernier carnaval, qui se termine le mercredi 29 février 1933, est marqué dans les souvenirs de Klaus Mann par une « gaieté désespérée »69 mais intense. Et si d’autres témoins rapportent que « le Carnaval de 1933 semblait ne pas vouloir véritablement s’animer […] »70, les journaux et lettres de Klaus et Erika témoignent pour leur part de nombreuses festivités.
78Tout cela se passe en compagnie du « bon vieux cercle, la bande familière »71 : comédiens, metteurs en scène, décorateurs, écrivains membres du milieu Mann, comme Bruno Frank, mondains, amis d’enfance. Le récit de Klaus Mann concerne donc uniquement une certaine élite ; les positions de la bourgeoisie et du peuple lui sont inconnues, même s’il constate chez ses amants plébéiens une tendance à se rallier à l’ordre nouveau. De même, il n’a comme souvent qu’une vision partielle du milieu intellectuel, limité pour lui au milieu Mann.
79Dans ses souvenirs, Klaus Mann met en parallèle les événements berlinois avec la fête frénétique de Munich, soulignant ainsi la différence :
« Nous dansions […] tandis que dans la capitale, le Reichstag brûlait. Nous dansions […] tandis que les incendiaires accusaient des innocents du crime qu’ils avaient commis […]. »72
80C’est durant le bal des Kammerspiele au Regina-Palast-Hotel le 27 février que se propage la nouvelle de l’incendie du Reichstag, nouvelle reprise en chœur au rythme d’un tango 73.
81Lors des arrestations à Berlin,
« on balayait dans les rues de Munich les serpentins et les confettis »74,
82et Munich se réveille après ce Carnaval avec une sérieuse « gueule de bois »75, face à une situation politique qui se dégrade.
83C’est donc par la fête, qui prend un air d’acte politique, que le milieu intellectuel et mondain manifeste sa résistance, cependant que l’élite politique tente apparemment, à son niveau, de préserver la Bavière de la main mise nazie. Le gouvernement proclame son intention « de faire arrêter à la frontière tout Commissaire du Reich envoyé par la Prusse »76, et lorsque le Ministère de l’Intérieur exige des autorités bavaroises qu’elles interdisent pour trois jours les Münchner Neueste Nachrichten, proches du gouvernement local, celui-ci cherche une protection auprès de la Cour suprême du Reich77.
84Il faut cependant confronter l’image que donne Klaus Mann – représentatif en cela d’autres intellectuels – de l’attitude du gouvernement bavarois, à la réalité historique telle qu’elle a été analysée depuis.
Fédéralisme et antinazisme
85La résistance de l’état bavarois était motivée principalement par une volonté de préserver le statut de la Bavière au sein d’un état fédéral. Il était évident que Hitler visait, après la neutralisation de la Constitution de Weimar, à l’instauration d’un état central tout-puissant. La défense du fédéralisme passait donc par la défense de cette Constitution qui, même si elle laissait à désirer sur ce plan, n’en paraissait pas moins préférable à ce que promettaient les nouveaux maîtres. La Bavière entrait ainsi dans une troisième phase, marquée par un activisme démocratique et légaliste dirigé tout d’abord contre le cabinet von Papen, auteur en 1932 d’un coup d’état en Prusse qui augurait mal des statuts des Länder à l’avenir, et ensuite contre le gouvernement de Hitler et donc le national-socialisme :
« La cause fédéraliste était devenue en même temps la cause des adversaires du national-socialisme »78.
86Mais cet activisme devient purement défensif après l’arrivée de Hitler au pouvoir : il ne peut alors plus s’agir que de sauver ce qui peut encore l’être. Le pouvoir local, constatant que la République est à l’évidence condamnée à plus ou moins court terme, considère que la seule issue est de tolérer la suprématie des nazis au niveau national, en échange d’une certaine indépendance régionale79. Munich n’est d’ailleurs pas non plus le havre de paix, l’« oasis », que Klaus Mann décrit dans München, März 3380 : les nazis y sont présents comme partout ailleurs et attendent leur heure.
Une réalité idéalisée
87Le ministre-président Held cherche à la fois à conserver son indépendance et à ne pas froisser le nouveau pouvoir, qui pour sa part recherche ouvertement le conflit avec la Bavière afin de justifier une intervention ; c’est ainsi que, si les Münchner Neueste Nachrichten échappent à l’interdiction, il n’en va pas de même pour plusieurs journaux sociaux-démocrates et communistes. De même, quand il s’agit d’arrêter des opposants, la Bavière se conforme aux instructions de Berlin81, d’autant plus que celles-ci se basent sur des décrets-lois d’état d’urgence autorisés par la Constitution. Le légalisme de la Bavière, qui lui permet de tenir tête au pouvoir central, fait aussi sa faiblesse quand celui-ci détourne la Constitution en sa faveur.
88Klaus Mann, pour qui la Bavière est le dernier bastion d’un esprit libéral et tolérant, ne voit pas ces concessions faites au pouvoir central. De plus, le gouvernement Held est conservateur, et ce n’est pas tant l’idéologie nazie dans son ensemble que sa composante centraliste qui le rebute. Les intellectuels antinazis prennent donc pour une opposition idéologique ce qui n’est qu’instinct de conservation politique, même s’il est vrai que la résistance au centralisme incarné par le nouveau pouvoir implique une résistance à ce pouvoir lui-même ; les démocrates réfugiés à Munich confondent donc la cause avec les effets.
89Il en va de même pour les tentatives de restauration de la monarchie des Wittelsbach que Klaus Mann mentionne à propos du bal du Moulin à Poivre :
« Certes, quelques-uns des invités les plus distingués firent leur entrée avec un retard considérable […] Ces messieurs sortaient d’un entretien approfondi avec le prince Ruprecht von Wittelsbach, qu’un groupe monarchiste séparatiste espérait alors asseoir sur le trône de Bavière »82.
90Erika emploie le même ton enjoué et légèrement distancié propre au clan Mann, pour décrire cet épisode à sa mère :
« Et nous avions en même temps tous, durant toute la nuit, l’espoir de nous réveiller le lendemain matin comme sujets du Père Rupprecht83, et cela en a encore diablement l’air […]. Aussi guignolesque et déplaisant que cela puisse être, c’est encore ce que je préférerais pour le moment – car ce sont finalement tous des personnages de transition, et Ruppi est plus gentil et plus respectable qu’Adi84, pour qui cette morsure serait sans aucun doute mortelle ».85
91Les Mann considéraient donc cette tentative d’une part comme une farce,
« embarrassante pour Hitler, délectable pour le peuple bavarois(...) »86,
92qui eût retardé l’emprise des nazis, mais aussi comme un moindre mal par rapport à la dictature national-socialiste, une position partagée même par le social-démocrate Wilhelm Hoegner87. Mais
« le monarchisme politique ne devint jamais véritablement le point de cristallisation de toutes les forces résolument opposées au national-socialisme »88 :
93il s’agissait plutôt d’un phénomène annexe et parallèle, même si les monarchistes étaient pour leur part très sérieux. Ils n’avaient cependant pas la volonté séparatiste que leur prête Klaus Mann, et rejetaient la démocratie, même si leurs rangs accueillirent des démocrates qui voyaient en eux leur dernier recours. Ces monarchistes bavarois comptaient plutôt profiter du coup de grâce que portaient les nationaux-socialistes à la République pour entreprendre une restauration.
94Il y eut donc effectivement des tentatives pour faire monter Ruprecht von Wittelsbach sur le trône de Bavière, surtout entre les 20 et 24 février, les monarchistes allant jusqu’à envoyer un émissaire à Berlin pour sonder Papen et Hindenburg à propos de leur projet89. La première étape prévue avant l’intronisation était de nommer Ruprecht von Wittelsbach Commissaire Général de l’Etat (Generalstaatskommissar) comme le prévoyait l’article 64 de la Constitution bavaroise90.
95Mais le ministre-président Held, même s’il était lui-même monarchiste, fit échouer ces tentatives en refusant d’y participer, considérant que les conditions d’un succès n’étaient pas réunies91, et craignant surtout de provoquer une intervention directe du gouvernement central dans les affaires bavaroises.
La mise au pas
96Cette ambiance particulière à Munich ne persiste cependant que jusqu’aux élections du Reichstag du 5 mars 1933, dont les résultats sonnent le glas des illusions munichoises : « Un grave changement en Bavière » note Klaus Mann92. Car même si la BVP s’était relativement maintenue, il était clair que les forces démocratiques et fédéralistes étaient désormais dans une position uniquement défensive 93.
97Et pourtant, il faut encore quatre jours avant que Munich ne soit définitivement mise au pas, et ce d’une manière qui laisse penser que Hitler voulait soumettre la Bavière de la même manière que celle-ci avait résisté, c’est-à-dire dans la « légalité » : se basant sur le paragraphe 2 de la Reichstagsbrandverordnung, il nomme le 9 mars au soir le Général von Epp Commissaire du Reich et force le gouvernement Held à démissionner94. La Bavière est ainsi le dernier Land mis au pas.
98Les arrestations et violences débutent dans la nuit du 9 au 10 mars, en particulier contre les journaux et les intellectuels, ainsi que contre les membres de l’ancien gouvernement, et le climat change, comme le constatent Klaus et Erika, qui reviennent le 10 mars d’un bref séjour en Suisse :
« Munich était vaincue, elle avait été mise au pas, nous le sentîmes, nous le flairâmes. »95
99La démission du gouvernement Held donne le signal d’une nouvelle émigration, cette fois vers l’étranger96. Klaus Mann passe trois jours à Munich, tout en sachant qu’il est recherché par les nazis, avant de se décider à quitter l’Allemagne pour la France le 14 mars. La dernière journée fait l’objet d’une description particulière, puisqu’il s’agit non seulement de l’adieu à la ville, au pays, mais aussi et surtout à la maison. Tout cet environnement prend soudain un caractère inquiétant :
« Vingt-quatre heures, seul dans la maison vide, seul dans la ville déjà étrangère, déjà hostile ! […] La maison – notre « maison d’enfance» – devenait angoissante, oppressante. »97
100Munich lui est donc devenue chère et familière durant ces dernières semaines. C’est la seule période de sa vie où Klaus Mann prête attention à la ville telle qu’elle existe, avec son ambiance propre, ce qui se confirme dans le nombre de pages consacrées au Munich de 1933. Mais cette valorisation de l’atmosphère caractéristique de la ville va de pair avec l’émergence d’un « mythe munichois », mythe déjà ancien qui reprend alors du service.
Du bon usage des mythes : la dualité bavaroise
101Le « caractère bavarois » ressurgit en effet à cette occasion comme grille de lecture des événements en Bavière. Le tableau que brosse Klaus Mann de la résistance bavaroise, joyeuse et entêtée, n’est qu’une vision partielle de la réalité, ce qu’il admet lui-même dans München, März 33 :
« Et Munich elle-même, à la longue, n’aurait pas supporté ce rôle, qui pour nous lui faisait tant honneur, de refuge de la liberté. Trop de traits de son caractère vont en effet rigoureusement à l’encontre de ce rôle. Une partie du caractère munichois a toujours été résolument réactionnaire. On est capable en Allemagne d’être réactionnaire même sans « esprit prussien » ; et cela peut même coexister avec une certaine bonhomie. »98
102Ce caractère double était déjà présent dans Kind dieser Zeit :
« un esprit fait de mondanité et de rusticité, marqué par les montagnes proches, et d’une naïveté tout à la fois authentique et vénale ; cet esprit qui lui confère, dans ses meilleurs moments, un charme supérieur à celui de toutes les autres villes »99
103Cette interprétation se poursuit dans l’image d’une dualité bavaroise telle qu’elle a été forgée et propagée dans les années 20, lors de la transformation de la ville des artistes en bastion de la réaction, et qui fonctionne comme métonymie de l’Allemagne dans son ensemble. On avait alors attribué au caractère spécifiquement bavarois ce changement d’atmosphère, ainsi que l’exprimera plus tard Thomas Mann dans Doktor Faustus :
« La bonhomie de Munich avait dégénéré en névrose » ;
104la version originale indiquant mieux qu’il s’agit des deux aspects d’un même phénomène :
« Münchens Gemütlichkeit war in Gemütskrankheit umgeschlagen »100.
105Le conservatisme qui se déchaîne après la République des Conseils est considéré comme le pendant négatif de la bonhomie bourgeoise qui faisait le charme du Munich de l’âge d’or. Ce n’est donc pas Munich qui a changé, mais une des composantes du caractère bavarois qui a pris le dessus sur l’autre.
106L’esprit munichois est ainsi vu comme un mélange de conservatisme et de contestation, l’apogée de Munich au début du siècle résultant d’un équilibre entre ces deux tendances, équilibre fragile que la chute de la monarchie et surtout la République des Conseils ont rapidement détruit101. C’est un équilibre du même type que beaucoup d’intellectuels, dont Klaus Mann, croient atteint à nouveau dans les derniers mois de la République de Weimar.
107On ne peut donc considérer que l’exil définitif des Mann en 1933, qui s’effectue certes à partir de Munich, ait été la conclusion logique du déclin de la ville102 : il indique bien au contraire un inversement de la tendance. Munich avait changé de statut à la fin des années 20, elle était redevenue provisoirement une capitale culturelle, renouant avec sa tradition glorieuse, et ce en particulier grâce au Moulin à Poivre, et c’est pourquoi elle est le dernier domicile de Klaus Mann avant l’exil.
Berlin, Munich et Klaus Mann
108Le rapport de Klaus Mann à Munich, très personnel et familial dans les premières années, devient progressivement, et à mesure qu’il s’affirme comme une figure de la vie littéraire allemande et que sa sensibilité politique s’affine, symptomatique des images respectives de Munich et Berlin chez les intellectuels démocrates. Et c’est parce que Klaus Mann est en partie un étranger à Munich, et donc sensible à d’autres influences, que son témoignage est typique d’une époque, et ce à l’échelle non pas uniquement de la Bavière, mais de l’Allemagne dans son ensemble.
109Ses diverses migrations entre Munich et Berlin révèlent que les deux villes sont interdépendantes, comme le sont des vases communicants. Berlin reprend le flambeau culturel de Munich lorsque celle-ci devient réactionnaire ; et quand la réaction, en l’occurrence le national-socialisme, part à la conquête de la capitale du Reich, c’est à Munich que se réfugie progressivement l’élite intellectuelle du pays, avant d’en être de nouveau chassée, cette fois vers l’étranger, lorsque le nazisme, devenu prussien, reconquiert son terrain natal.
110Cette évolution historique trouve son pendant dans les statuts, symétriquement inversés, de Berlin et de Munich dans l’imaginaire collectif, ainsi qu’en témoigne, par sa biographie, Klaus Mann, à la fois un enfant de Munich et un « enfant de son temps ».
Notes de bas de page
1 Der Wendepunkt. Ein Lebensbericht. München, Nymphenburger Verlagshandlung, 1969 (abrév. : W) ; sauf lorsque le contraire est spécifié, la version française utilisée est : Le tournant. Histoire d’une vie. Traduit de l’allemand par Nicole Roche, avec la collaboration de Henri Roche. Paris : Editions Solin/ Editions du Seuil, Points Seuil N° 240, 1984/1986
2 Un enfant de son temps ; les citations proviennent de l’édition : Kind dieser Zeit. München/Hamburg, Nymphenburger Verlagshandlung/ Rowohlt Taschenbuch Verlag, 1965/1967 (abrév. : KdZ) et sont traduites par V.R.
3 München, März 1933 (Abrév. : Mü). In : Woher wir kommen und wohin wir müssen. Frühe und nachgelassene Schriften. München : edition spangenberg im Ellermann Verlag, 1980, p. 93-95
4 On ne tient pas compte ici de l’article Munich, conservé au Klaus-Mann-Archiv de Munich, paru le 14 octobre 1943 dans le Camp Crowder Message, alors que Klaus Mann appartenait à l’armée américaine, et qui semble être une présentation générale, à l’usage des soldats américains, d’une ville allemande parmi d’autres. Voir Grunewald, Michel : Klaus Mann 1906-1949. Eine Bibliographie, München, edition spangenberg im Ellermann Verlag, 1984, p. 193.
5 W, p. 13.
6 W, p. 12.
7 W, p. 28
8 W, p. 35
9 W, p. 478
10 W, p. 34
11 W, p. 88.
12 « unsere Kolonie », cité dans Mann, Erika : Briefe und Antworten. Band 1, : 1922-1950, München, edition spangenberg im Ellermann Verlag, 1984, p. 8.
13 W, p. 49, traduction V.R.
14 W, p. 97.
15 KdZ , p. 57
16 KdZ , p. 96
17 KdZ , p. 126
18 « literarische Oberprima », KdZ, p. 127
19 W, p. 129.
20 « in der weiblich-reduzierten Version », W, p. 135, traduction V.R.
21 Whetten-Indra, Gabriele : Literarisches Leben in München 1918-1933. in : Die Zwanziger Jahre in München., Bd 8, München, 1979, p.47.
22 KdZ , p. 134.
23 W, p. 129, traduction V.R.
24 W, p.126.
25 W, p. 126, traduction V.R.
26 W, p. 128.
27 W, p. 81.
28 W, p. 82.
29 Amery, Carl : Bayern oder Das Ärgernis der Ungleichzeitigkeit, in : Amery, C., Kölsch, J. (Ed.) : Bayern - ein Rechts-Staat ?, Reinbek, Rowohlt, 1974, p. 72.
30 Deuerlein, Ernst : Föderalismus. München, Paul List, 1972, pp. 181-182.
31 W, p. 131.
32 Palmier, Jean-Michel : « La bohème munichoise : de Karl Valentin à Hitler ». In : Démerin, P. (Ed.) : Munich. Paris, Autrement, 1980, p. 154.
33 W, p. 124, traduction V.R.
34 W, p. 269.
35 Kroll, Bd 2, op. cit., p. 177.
36 KdZ , p. 122.
37 W, p. 213.
38 Rundherum (1929), Das Buch von der Riviera (1931).
39 W, p. 175.
40 W, p. 214.
41 Témoignage de Jorge Herold, cité par Kroll, Bd. 3, op. cit., p. 147.
42 W, p. 151.
43 W, pp. 251-254.
44 W, p. 217.
45 W, p. 255.
46 Mann, Golo : Une jeunesse allemande. Paris, Presses de la Renaissance, 1988, p. 171.
47 W, p. 262.
48 « Deutsch sein heißt Europäer sein » : dans Fragment von der Jugend, cité par Grunewald, Michel : Klaus Mann 1906-1949. Vol. 1, Berne, Peter Lang, 1984, p. 46.
49 Bosl, Karl : Bayerische Geschichte im 20. Jahrhundert, in : Améry, Kölsch, op. cit., p. 76.
50 Deuerlein , op. cit., p. 183.
51 voir Deuerlein , op. cit., pp. 173-188.
52 W, p. 254, traduction V.R.
53 Article du Völkischer Beobachter du 16 janvier 1932, suite à la participation d’Erika à un meeting pacifiste, cité par Keiser-Hayne, Helga : Beteiligt euch, es geht um eure Erde. München, edition spangenberg, 1990, p. 8.
54 « Intelligenzbestie » : expression diffamatoire difficilement traduisible, qui fait partie du vocabulaire nazi concernant les intellectuels.
55 « lauter internationales Pack, Intelligenzbestien, Kulturbolschewisten, Entwurzelte, volksfremde Elemente ! », W, p. 255, traduction V.R.
56 W, p. 240.
57 Herbert Schlüter cité par Kroll, Bd 3, op. cit., p. 7.
58 Walter, Hans-Albert : Deutsche Exilliteratur 1933-1950, Band 1, Darmstadt und Neuwied, Luchterhand, 1972, p. 105.
59 critique des Münchener Neueste Nachrichten du 2 janvier 1933 : « mit der besten Münchner Literatur verwandt », Keiser-Hayne, op. cit., p. 32.
60 critique du 15 janvier 1933 de la Neue Zürcher Zeitung : « wieder in die alte Atmosphäre künstlerischen Spotts zu gelangen, durch den Isar-Athen einst berühmt war. », cité par Keiser-Hayne, op. cit., p. 32.
61 Elle est d’ailleurs l’auteur d’une Déclaration d’amour à la Bavière – Liebeserklärung an Bayern. Nach einer afrikanischen Reise gemacht, parue dans die Heimat : Unterhaltungs-Beilage der Münchener Neuesten Nachrichten, 3. Jg, Nr 26, 23 juillet 1930, cité dans Mann, E., op. cit., p. 16.
62 W, p. 280.
63 Lettre à Katia Mann du 28 février 1933, Mann, K. : Briefe und Antworten., Band 1, München, edition spangenberg im Ellermann Verlag, 1975, (Abrév. : BuA), p. 85.
64 W, p. 280.
65 Ibid.
66 Walter, op. cit., p. 167.
67 Lettre à Erich Ebermayer du 24 févier 1933, BuA, p. 83.
68 on trouve une présentation personnalisée des éléments de ce cercle dans Mann, Klaus : Tagebücher 1931-1933, München : edition spangenberg, 1989, (Abrév. : T), p. 114.
69 W, p. 281.
70 Zierer, Otto : Die Abenteuer der vielgeliebten Stadt München. Band 2, München, Süddeutscher Verlag, 1958, p. 216.
71 W, p. 281.
72 W, p. 282.
73 Kroll, Bd 3, op. cit., p. 214.
74 W, p. 282.
75 W, p. 282, traduction V.R.
76 W, p. 283, Mann, E., op. cit., p. 34 et Spindler, Max (Ed.) : Handbuch der bayerischen Geschichte. Band 4/1, München, Beck , 1967, p. 519.
77 Walter, op. cit., p. 167.
78 Karl Schwend cité par Deuerlein, op. cit., p. 190.
79 voir Wiesemann, Falk : Die Vorgeschiche der nationalsozialistischen Machtübernahme in Bayern 1932/1933. Berlin, Duncker und Humblot, 1975, p. 212.
80 Mü, p. 94.
81 Wiesemann, op. cit., p. 190.
82 W, p. 181.
83 jeu de mots intraduisible sur Ruprecht et « Knecht Rupprecht » : le père fouettard.
84 diminutifs ironiques pour Ruprecht et Adolf (Hitler).
85 Mann, E., op. cit., p. 33.
86 W, p. 281, traduction V.R.
87 Bretschneider, Heike : Der Widerstand gegen den Nationalsozialismus in München 1933-1945. München, 1968, p. 90.
88 Wiesemann, op. cit., p. 230.
89 Bretschneider, op. cit., pp. 150-160 et Wiesemann, op. cit., p. 206.
90 Spindler, op. cit., p. 519.
91 Bretschneider, op. cit., p. 156.
92 5. März 1933, T, p. 122.
93 Zierer, op. cit., p. 223.
94 pour le déroulement précis, voir Jasper, Gotthard : Die gescheiterte Zähmung. Frankfurt/Main : Suhrkamp, 1986, pp. 126-152.
95 W, p. 283
96 voir Walter, op. cit., pp. 224-227
97 W, p. 285
98 Mü, p. 94
99 KdZ , p. 151.
100 cité par Whetten-Indra, op. cit., p. 45.
101 Palmier, op. cit., p. 155.
102 Whetten-Indra, op. cit., p. 45.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Médiations ou le métier de germaniste
Hommage à Pierre Bertaux
Gilbert Krebs, Hansgerd Schulte et Gerald Stieg (dir.)
1977
Tendenzen der deutschen Gegenwartssprache
Hans Jürgen Heringer, Gunhild Samson, Michel Kaufmann et al. (dir.)
1994
Volk, Reich und Nation 1806-1918
Texte zur Einheit Deutschlands in Staat, Wirtschaft und Gesellschaft
Gilbert Krebs et Bernard Poloni (dir.)
1994
Échanges culturels et relations diplomatiques
Présences françaises à Berlin au temps de la République de Weimar
Gilbert Krebs et Hans Manfred Bock (dir.)
2005
Si loin, si proche...
Une langue européenne à découvrir : le néerlandais
Laurent Philippe Réguer
2004
France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration
Bernd Zielinski et Michel Kauffmann (dir.)
2002