Contrastes
La vie politique dans la capitale du Reich vue à travers l'itinéraire de deux jeunes Berlinois
Texte intégral
1L'un vivait son enfance dans la misère des arrière-cours de Kreuzberg, l'autre non loin de l'élégante avenue Unter den Linden ; l'un était socialiste, l'autre militait aux jeunesses hitlériennes : Willi Zahlbaum et Bodo Gerstenberg avaient respectivement 19 et 17 ans lorsque Hitler prit le pouvoir.
2Témoins de la montée du national-socialisme à Berlin, se situant résolument “des deux côtés de la barricade”, ils se seraient sans doute affrontés physiquement s'ils s'étaient rencontrés lors d'une des nombreuses manifestations politiques de l'époque. Pourtant, tous les deux ont finalement passé de longs mois dans les prisons de Hitler, et leurs itinéraires politiques ont adopté une symétrie étrange.
L'enfant des rues
3Willi Zahlbaum1 naît un dimanche de mars 1914, dans une cave à Kreuzberg. Son père rentre de la guerre avec les poumons malades. Willi habite avec ses parents et son frère, né en 1912, dans un minuscule appartement donnant sur une arrière-cour, au n° 19 de la Blücherstraße. Le père, longtemps au chômage, finit par trouver du travail comme manoeuvre à l'imprimerie de la Deutsche Buchgemeinschaft ; la mère est femme de ménage dans une entreprise.
4La famille vit dans des conditions extrêmement précaires. On mange de la viande uniquement le dimanche, et encore, il y des dimanches sans ! Lorsque les Zahlbaum réussissent à chasser les punaises, elles réapparaissent chez le voisin de palier. Willi doit partager son lit avec son frère. Il vit dans l'arrière-cour et dans la rue, le crâne rasé (pour raison d'hygiène et manque d'argent) et les pieds nus en été.
5Côté rue habitent les “maîtres” (Herrschaften). Lors d'événements exceptionnels, comme les élections ou l'anniversaire du Kaiser (même sous la république de Weimar !), ils hissent le drapeau noir-blanc-rouge, c'est-à-dire celui de l'Empire. Willi développe une sorte de conscience de classe : il a des conflits permanents avec les gosses de riches, car il ne se prive pas de leur « emprunter » la trottinette et d’autres jouets qui sont hors de portée pour le budget de ses parents.
6À la maison, on lit beaucoup, car le père rapporte les épreuves d'impression des livres fabriqués dans son entreprise. Deux quotidiens sont lus régulièrement : Morgenpost, journal libéral de gauche édité par Ullstein, avec le supplément Brummbär, et Welt am Abend, un quotidien communiste dirigé par Willi Münzenberg2. De plus, un dimanche sur deux, Willi a aussi le droit d'acheter l'organe central du SPD, Vorwärts, pour son supplément bi-mensuel Kinderfreund, écrit par des pédagogues progressistes.
7La lecture, l'influence des parents autodidactes : Willi, bon élève, finit par suivre une formation de typographe. Mais sa jeunesse sera marquée par les coups durs de la condition ouvrière, que seul son humour lui permettra de surmonter : en 1931, sa mère décède des suites d'une tuberculose, à l'âge de 41 ans. En 1932, son frère connaît le même sort, à 20 ans. Son père, Willi le perdra quelques années plus tard, sans même pouvoir assister à ses obsèques, car il se trouve déjà en prison à ce moment là.
8Décidément, on est loin du cosmopolitisme berlinois, dans les arrière-cours de Kreuzberg.
“On en était exclu, se souvient-il, car le cosmopolitisme, c'était le Berlin des maisons sur rue” (Vorderhaus-Berlin).3
Le caricaturiste
9Le cosmopolitisme de Berlin, le jeune Bodo Gerstenberg4 le connaît. Si sa mère est issue du prolétariat terrien de la région de Magdebourg, son père, lui, a interrompu ses études universitaires pour devenir acteur de théâtre. Homme de culture, de tradition national-libérale, il a du mal à comprendre la compassion de sa femme pour les chômeurs qui manifestent devant leur porte sous la bannière du parti communiste.
10Dès son enfance, Bodo Gerstenberg est fortement impressionné par les caricatures politiques des journaux libéraux et de gauche. Deux voisines juives, amies de la famille, sont abonnées au Berliner Tageblatt qui publie une fois par semaine le supplément satirique Ulk. Bodo le dévore, tout comme les autres revues humoristiques, notamment Simplizissimus (libéral-patriotique) et Kladderadatsch (droite). Fasciné par les travaux de George Grosz5, le jeune Gerstenberg décide bientôt de se consacrer au dessin et à l'art graphique. Après les études secondaires, il s'incrit à l'Ecole supérieure des Beaux Arts. Apparemment tout indique qu'il est voué à faire une excellente carrière...
Berlin, fief rouge
11La ville où grandissent Willi Zahlbaum et Bodo Gerstenberg sera tout au long des années vingt et au début des années trente le théâtre de violents affrontements politiques. Non seulement, parce que Berlin est la capitale, mais essentiellement parce qu'elle est différente du reste du pays. Les nationaux-socialistes y sont, en effet, largement minoritaires et le resteront jusqu'à la veille de la prise du pouvoir par Hitler.
12Pour s'imposer, les nazis doivent tout d'abord écraser un mouvement ouvrier qui compte parmi les plus importants d’Europe. Les chiffres le prouvent : lors des dernières élections municipales dans les limites du vieux Berlin, en février 1919, la gauche non-communiste (SPD et USPD6) frôle les deux tiers des voix. Il faudra attendre la création du Groß-Berlin et la chute de la ferveur révolutionnaire pour offrir une courte majorité aux partis bourgeois, en 19217. Certains quartiers, comme Wedding, Kreuzberg et Neukölln, continuent cependant à voter à plus de 70% à gauche pendant toute l'existence de la république de Weimar.8
13Aux élections législatives de novembre 1932, le parti national-socialiste NSDAP n'obtient que 26% des voix à Berlin.9 Et lors du scrutin du 5 mars 1933, que l'on ne peut plus qualifier de libre, le NSDAP doit se contenter de 34% des voix à Berlin, contre 43,9% dans l'ensemble du Reich.10
14C'est dire que s'il veut prendre le pouvoir, il doit d'abord “faire le ménage” dans ce bastion de la gauche allemande. “Berlin est rouge, et Berlin reste rouge”, dit-on à l'époque.
15Plusieurs éléments expliquent pourquoi les nazis réussissent finalement à prendre le dessus. Parmi ces raisons, les itinéraires de Willi Zahlbaum et de Bodo Gerstenberg nous permettent de saisir les deux les plus importantes : la division du mouvement ouvrier et les méthodes politiques et organisationnelles des nazis.
Un mouvement ouvrier divisé
16Le drame se prépare dès le 9 novembre 1918, lorsque le social-démocrate Philipp Scheidemann proclame la “République allemande” 11, alors que, parallèlement, le spartakiste Karl Liebknecht proclame la “République allemande libre et socialiste”12 Ainsi, le “oui” du SPD à la Première Guerre mondiale trouve son prolongement dans son soutien à la république de Weimar, soutien qui prend le goût amer de la répression menée par Gustav Noske13 contre la gauche révolutionnaire. Celle-ci, pour sa part, se retrouvera d'autant plus dans l'isolement qu'elle sera politiquement décapitée (par le meurtre de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht) et bientôt sous le contrôle de dirigeants ultra-sectaires qui pratiquent une sorte de stalinisme politique et organisationnel avant même la “bolchévisation” du KPD par l'Internationale communiste.14
17À Berlin, le fossé entre le SPD et le KPD se transforme en gouffre à la suite du 1er mai 1929. S'attendant ce jour là à des actions radicales des communistes, le préfet de police, le social-démocrate Karl Zörgiebel, interdit toute manifestation de rue. Il en résulte pendant plusieurs jours dans le Wedding et à Neukölln des affrontements entre forces de l'ordre et émeutiers, qui se soldent par 31 morts. Quelques jours plus tard, le chef du KPD, Ernst Thälmann15, prononce un discours où il qualifie le SPD de “social-fasciste”. Le parti social-démocrate devient l'ennemi principal du KPD.
18Ces clivages au sein du mouvement ouvrier, Willi Zahlbaum les vit quotidiennement. Si son père a été militant social-démocrate avant la guerre, il a quitté le parti depuis, profondément déçu par l'appui du SPD à la guerre “capitaliste”, qui a fait tant de victimes et ruiné sa propre santé. Militant syndical, il participe toutefois aux manifestations de masse des partis ouvriers, et Willi se souvient de maintes occasions où lui et son père ont dû se coucher dans le caniveau pour éviter les tirs de la police.
19Le père vote USPD, et plus tard, quand ce parti n'existe plus, il préfère le SPD au KPD. Toutefois, lors de l'élection présidentielle en avril 1932, il donne sa voix au communiste Thälmann, son pacifisme lui interdisant de voter en faveur du Generalfeldmarschall du Kaiser, Paul von Hindenburg. Ce dernier est soutenu par le SPD, “pour barrer la route à Hitler”. Comme on le sait, quelques mois plus tard c'est lui qui nommera Hitler au poste de chancelier.
20Willi Zahlbaum s'intéresse très tôt aux polémiques entre les partis de gauche. Il écoute les discussions de son père et lit beaucoup. Mais il trouve une véritable Heimat politique le jour où un ami l'emmène chez les Rote Falken (Faucons rouges), l'organisation d'adolescents liée au SPD.
“Il s'agissait d'une véritable communauté d'enfants d'ouvriers, jeunes filles comme garçons, très loin de l'ambiance misérable des arrière-cours. On a fait des excursions, chanté, appris”. 16
21Pour Willi, les Rote Falken, c'est l'ouverture vers l'extérieur, l'apprentissage de la démocratie, le respect et la connaissance de l'autre sexe, la solidarité vécue. Et c'est surtout le sentiment de faire partie d'un mouvement qui concrétise ce que son père lui dit chaque année lorsqu'ils participent ensemble aux grandes manifestations de la journée anti-guerre :
“Ils peuvent tout faire avec nous, sauf une nouvelle guerre”.17
22Bien que membre des Faucons rouges, Willi ne se décide pas à adhérer à l'organisation politique des jeunes du SPD, le Sozialistische Arbeiter-Jugend (SAJ). Conscient à la fois du danger nazi, des avancées de la République de Weimar et des aspects négatifs de la politique du KPD, sa position se résume dans le slogan
“Republik, das ist nicht viel, Sozialismus, unser Ziel !” (La République, ce n'est pas beaucoup, le socialisme, c'est notre but).
23La voie parlementaire vers le socialisme ne le convainc pas. Lui, c'est la révolution qu'il veut. Un jour, il découvre, par le biais d'une revue théorique, Klassenkampf (Lutte des classes), qu'il existe encore des révolutionnaires au sein du SPD. Dorénavant, il suit l'évolution de la gauche social-démocrate autour de quelques députés comme Max Seydewitz, August Siemsen, Kurt Rosenfeld. En 1931, ceux-ci refusent de voter les crédits pour l'acquisition de navires de guerre. Ils sont exclus du SPD et forment un nouveau parti, le Sozialistische Arbeiter Partei (SAP) qui mène, avec ses quelque 30.000 adhérents, une lutte désespérée pour le front unique des partis ouvriers contre Hitler.18
24Willi vit la fin de la République de Weimar en tant que militant du SAP : la politique de tolérance du SPD envers le gouvernement Brüning, l'absence de réaction du mouvement ouvrier après la destitution illégale du gouvernement prussien par le pouvoir central, le sectarisme du KPD qui considère le SAP comme “filiale de gauche du social-fascisme”, la grève à caractère politique dans les transports publics berlinois soutenue à la fois par les communistes et les nazis, la nomination de Hitler, l'incendie du Reichstag...
25Poussés dans l'illégalité, des dizaines de milliers de membres des partis de gauche tentent d'organiser la lutte contre Hitler, sans jamais réussir à bâtir une alternative efficace. Willi Zahlbaum est arrêté le 17 janvier 1935. La chambre correctionnelle de Berlin le condamne en juin de la même année pour “tentative de haute trahison”. Grâce à sa jeunesse, il échappe à la réclusion criminelle et s'en sort avec un jugement assez clément : un an et demi de détention, qu'il passera à la prison de Tegel.
Arguments démagogiques et musclés
26Le vécu de Bodo Gerstenberg est tout différent. Bodo a un frère, de neuf ans son aîné, dont l'influence sera déterminante pour son devenir. Membre de la Bismarck-Jugend,19 son frère s'intéresse très tôt aux nazis, dont le journal berlinois Der Angriff l'impressionne par son franc-parler. Vers 1929, il adhère aux SA.
27À 13 ans, Bodo Gerstenberg commence à sympathiser avec le NS-Schülerbund, l'organisation des lycéens nazis. En 1930, il assiste avec son frère aux obsèques de Horst Wessel20 et se rend de son propre chef au local des jeunesses nazies pour donner son adhésion. Il sera l'un des rares lycéens dans l'organisation qui s'appelle à ce moment là Bund Deutscher Arbeiter-Jugend21. Le nom est tout un programme, car on se veut prolétarien, révolutionnaire et socialiste. Citation du manifeste de fondation :
“Nous appelons tous les éléments activistes révolutionnaires de la jeunesse allemande à se libérer enfin de la tutelle des organisations réactionnaires et marxistes. Votre place est dans les rangs de ceux qui se trouvent dans une lutte passionnée pour la rénovation du peuple et de l'État allemands dans un esprit national et socialiste.”22
28C'est ce côté radical qui attire Bodo Gerstenberg. En fait, les nazis veulent pêcher dans les mêmes eaux que les communistes. Tout comme eux opposés à la République de Weimar, ils manient à merveille la démagogie sociale.
29En 1929 éclate le scandale Sklarek, une sombre affaire de corruption de fonctionnaires. Principaux accusés : le maire de Berlin Böß (Zentrum) et le directeur du personnel de la BVG (transports urbains) Brolat (SPD), mais également deux conseillers municipaux du KPD. En tant que jeune parti qui vient de faire son entrée dans la municipalité, le NSDAP est la seule formation politique à ne pas être impliquée dans le scandale. Il l'exploite au maximum, s'en prenant à la “municipalité rouge”, aux “politiciens du système” et aux Juifs.23
30Le NSDAP tente de donner “confiance” aux chômeurs, en leur offrant un uniforme et un objectif : “casser du rouge”.24 Pour ce faire, il crée, à partir de 1930 environ, des centres d'action, installés dans des bistrots situés au cœur même des quartiers ouvriers. Il s'agit des sinistres Sturmlokale de la SA, d'où rayonnent les bandes armées qui tueront quelque 400 ouvriers de gauche à Berlin25.
31Si la gauche a ses propres organisations d'autodéfense – le Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold dominé par le SPD et le Roter Frontkämpferbund du KPD –, les nazis réussissent au fil des années à imposer leur suprématie “militaire”. Un exemple du Wedding, quartier ouvrier qui vote communiste à presque 50% en 1932 : en octobre de cette année, la colonne n° 100 de la SA tente de s'installer dans la Buttmannstraße. Des affrontements violents se produisent pendant trois jours, lorsque la SA attaque l'exposition “15 ans d'Union Soviétique”, montrée dans l'Antifalokal au n° 2 de la Buttmannstraße.26
32Les Sturmlokale de la SA deviendront en 1933, après la prise de pouvoir de Hitler, les premiers centres de torture, où de nombreux sympathisants de la gauche seront brutalisés.
33La prise de pouvoir des nazis provoque très vite la désillusion chez Bodo Gerstenberg.
“Arrivé au but de son combat, il attend maintenant une révolution sociale, l'application du 'programme socialiste du parti'. Au lieu de cela, il ne voit que cyniques luttes de pouvoir au sein d'une clique de chefs (...). Au lieu de la lutte annoncée contre le grand capital il voit l'écrasement cruel du mouvement ouvrier et de ses organisations”, écrit un de ses amis dans un portrait publié en 1946.27
34Dès 1933 – il est à peine âgé de 17 ans – Gerstenberg cesse de militer. Puis vient, en juin 1934, l'élimination de l'aile national-révolutionnaire, lors de ce que Hitler appelle le putsch de Röhm.28. Gerstenberg est contacté par un ami d'école qui milite illégalement au Schwarze Front (Front noir) d'Otto Strasser29, un regroupement de nationaux-socialistes révolutionnaires sortis du NSDAP à partir de 1930 et assez proches du KPD. Cet ami doit quitter l'Allemagne car il a la Gestapo aux trousses. Gerstenberg distribue des tracts que son ami lui a laissés et le rejoint ensuite à Prague pour lui apporter de l'argent et des effets personnels. De retour à Berlin, il envoie régulièrement des rapports sur la situation politique à la direction du Schwarze Front à Prague.
35À partir de 1936, il essaie d'approcher d'anciens communistes pour les recruter pour son action. À la recherche de la “vérité” et d'arguments percutants, il lit en cachette les “classiques” du marxisme-léninisme et, au bout du compte, c'est lui qui se trouve convaincu d'avoir suivi la mauvaise route. Gerstenberg décide donc d'entrer en contact avec les jeunesses communistes (KJVD). Ce contact sera curieusement établi par un militant que Willi Zahlbaum a connu, lui aussi, et dans des circonstances assez particulières. En effet, en 1931, Zahlbaum participe pendant toute une nuit, dans la cabane d'un petit jardin ouvrier (Schrebergartenhaus), à une discussion avec un fonctionnaire des jeunesses hitlériennes, Wolfgang Thieß30. Celui-ci veut sonder, pour lui-même et pour un certain nombre de ses amis, la possibilité de quitter à grand éclat le mouvement nazi et d'adhérer aux jeunesses du SAP. Mais le débat reste ouvert et n'aboutit pas. Quelques semaines plus tard, le journal des jeunesses communistes annonce à la “une” le recrutement de plusieurs dirigeants HJ, dont Thieß.
36C'est ce même Thieß que Gerstenberg contacte en 1936, lorsqu'il décide de quitter le Schwarze Front. Thieß le met en relation avec une cellule clandestine dans une petite manufacture de meubles et une cellule de quartier. C'est là que Gerstenberg milite illégalement jusqu'à sa première arrestation en mars 1938. À ce moment là, Thieß est déjà derrière les verroux. Gerstenberg, interrogé par la Gestapo, déclare le connaître du temps des jeunesses hitlériennes. Relâché, puis à nouveau arrêté six mois plus tard, il est condamné à deux ans de réclusion criminelle et transféré à Brandenburg-Görden. Curieusement, cette condamnation pour “tentative de haute trahison” vise ses activités pour le Schwarze Front, la Gestapo n'ayant jamais découvert ses liens avec le KPD.
Epilogue
37“L'histoire parallèle” de Gerstenberg et de Zahlbaum ne finit pas là. Classés “indignes de servir dans l'armée allemande”, suite à leur condamnation criminelle, ils recouvrent “provisoirement leur dignité de servir” en novembre 1942. En fait, ils sont recrutés de force dans une division disciplinaire destinée à couvrir la retraite des troupes de Rommel en Tunisie. Prisonniers de guerre – Gerstenberg détenu aux États-Unis puis en Belgique, Zahlbaum en Tunisie française – le premier retrouve Berlin à la fin de 1946, le second en 1947. Gerstenberg s'installe à l'Ouest, où il travaille comme caricaturiste de presse, et adhère au SPD sur la base de positions profondément anti-staliniennes. Zahlbaum fait le choix opposé en rejoignant le SED à l'Est, oubliant quelque peu l'anti-stalinisme du SAP. Il fera même carrière à la radio de RDA et dans la production de films documentaires, avant de tomber en relative disgrâce et d'être placé à la tête de l'association RDA-Vietnam. Persuadé qu'il ne peut y avoir de socialisme sans humanisme, il entretient clandestinement des liens avec des amis sociaux-démocrates à l'Ouest et quitte le SED quelques jours avant la chute du Mur.
38À notre connaissance, Gerstenberg et Zahlbaum ne se sont jamais rencontrés.
Bibliographie
Concernant Willi Zahlbaum :
Entretiens de l'auteur avec Willi Zahlbaum à Berlin et Paris, en 1989, 1990 et 1991.
Enregistrement d'une conférence donnée par Zahlbaum devant un auditoire d'amis sociaux-démocrates, Berlin-Ouest 1988.
Willi Zahlbaum, “Das Beileid des Gefängnispfarrers, Erinnerungen an Harald Poelchau”, in : Standpunkt, evangelische Monatsschrift, Berlin-DDR, 7. Jahrgang, Heft 8, August 1989.
Günther Buch, Namen und Daten wichtiger Personen der DDR, 2. Aufl., Berlin, Bonn 1979.
Concernant Bodo Gerstenberg :
Entretiens de l'auteur avec Bodo Gerstenberg les 19-10-1981, 22-11-1982 et 16-9-1983 à Francfort-sur-Main et les 17/18-3-1989 à Wietze près de Hanovre. Un résumé de ces rencontres se trouve aux archives du SPD (Archiv der sozialen Demokratie) à Bonn.
Oskar Holewa, “Die Vergessenen”, in : Die Zukunft, Halbmonatszeitschrift für junge Menschen, Reutlingen, 1. Jahrgang, Nr. 12/46 du 15 septembre 1946.
Bodo Gerstenberg, “Spitzbuben und Hochverräter !” in : Walter Uhlmann (Hrsg.), Sterben um zu leben, Politische Gefangene im Zuchthaus Brandenburg-Görden 1933-1945, Köln 1983.
Concernant la vie politique à Berlin :
Hans-Rainer Sandvoß, Widerstand in einem Arbeiterbezirk (Wedding), Berlin 1983.
Hans-Rainer Sandvoß, Widerstand in Neukölln, Berlin 1990.
Hans-Rainer Sandvoß, Widerstand in Steglitz und Zehlendorf, Berlin 1986.
Weimarer Republik, édité par Kunstamt Kreuzberg, Berlin, et Institut für Theaterwissenschaft der Universität Köln, 1977.
Divers :
Hermann Weber, “Weiße Flecken” in der Geschichte, Die KPD-Opfer der Stalinschen Säuberungen und ihre Rehabilitierung, Frankfurt/Main 1989.
Die deutsche Revolution 1918-1919, Hrsg. von A. Ritter und Susanne Miller, Frankfurt/Main 1968.
Helmut Trotnow, Karl Liebknecht, Eine politische Biographie, München 1982.
Hanno Drechsler, Die Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands (SAPD), Meisenheim am Glan 1965.
Hans-Christian Brandenburg, Die Geschichte der HJ, Köln, 2. Auflage 1982.
Pierre Broué, “Gauche allemande et Opposition russe de 1926 à 1928”, dans : Cahiers Léon Trotsky, n° 22, juin 1985.
Notes de bas de page
1 L'auteur de ce texte a eu plusieurs rencontres avec Willi Zahlbaum en 1989, 1990 et 1991. Plusieurs interviews ont été réalisées. Il dispose en outre de l'enregistrement d'une conférence donnée par W. Z. devant un auditoire d'amis sociaux-démocrates, à Berlin-Ouest en 1988, soit un an avant l'ouverture du Mur. Cet enregistrement prouve l'attitude critique de W. Z. envers le régime est-allemand, alors qu'il est encore membre du Parti socialiste unifié (SED).
2 Willi Münzenberg (1889-1940). Collabore avec Lénine en Suisse. Jusqu'en 1921 secrétaire de l'Internationale des Jeunesses communistes, co-fondateur du Secours ouvrier international. Membre du Reichstag 1924-1933. Membre du comité central du KPD depuis 1927. Dirige le Münzenberg-Konzern (maison d'édition, journaux). Exilé en France en 1933, il participe à la constitution d'un Front populaire contre Hitler. En 1937 il est exclu du KPD. Interné en France après le début de la guerre, il réussit à s'enfuir, mais trouve la mort en 1940, très probablement assassiné par un agent stalinien. Cf. Hermann Weber, 'Weiße Flecken' in der Geschichte, Die KPD-Opfer der Stalinschen Säuberungen und ihre Rehabilitierung, Frankfurt/Main 1989.
3 Entretien avec Willi Zahlbaum, Paris, Pâques 1991 .
4 Bodo Gerstenberg (1916-1991). L'auteur a eu des entretiens avec lui les 19/10/1981, 22/11/1982 et 16/9/1983 à Francfort/Main et les 17 et 18/3/1989 à Wietze près de Hanovre. Un résumé de ces rencontres se trouve aux archives du SPD (Archiv der sozialen Demokratie) à Bonn.
5 George Grosz (1893-1959), de son vrai nom Georg Ehrenfried, est l'un des co-fondateurs du mouvement Dada. Berlinois, il s'exile aux Etats-Unis en 1932.
6 Unabhängige Sozialdemokratische Partei. Gauche pacifiste issue du SPD pendant la Première guerre mondiale.
7 Cf. Hans-Rainer Sandvoß, Widerstand in einem Arbeiterbezirk (Wedding), Berlin 1983, p. 8.
8 Cf. les livres de Hans-Rainer Sandvoß sur la résistance dans le Wedding (voir note 7) et à Neukölln (Widerstand in Neukölln, Berlin 1990).
9 Cf. Sandvoß, Wedding..., op. cit., p. 18.
10 Cf. Hans-Rainer Sandvoß, Widerstand in Steglitz und Zehlendorf, Berlin 1986, p. 11.
11 Cf. le texte de son discours dans : Die deutsche Revolution 1918-1919, Hrsg. von A. Ritter und Susanne Miller, Frankfurt/Main 1968, p. 73.
12 Cf. Helmut Trotnow : Karl Liebknecht, Eine politische Biographie, München 1982, p. 254.
13 Gustav Noske (1868-1946). Membre du SPD. Dirige la répression de la révolte des marins de Kiel et des spartakistes. Ministre de la défense (1919-1920).
14 Cf. Pierre Broué, “Gauche allemande et Opposition russe de 1926 à 1928”, dans : Cahiers Léon Trotsky, n° 22, juin 1985. Broué écrit, p. 9/10 : “Le problème n'est pas tant (...), que l'Opposition russe a 'abandonné' l'Opposition allemande, mais que c'est en Allemagne que la bureaucratie met au point, à l'intérieur du KPD, les méthodes qu'elle utilisera plus tard pour tenter de faire voler en éclats l'Opposition russe.”
15 Ernst Thälmann (1886-1944). Dirige le KPD depuis 1925. Membre du Reichstag. Arrêté par les nazis, il restera emprisonné malgré la signature du Pacte germano-soviétique en 1939. Assassiné au camp de concentration de Buchenwald.
16 Conférence de W.Z., Berlin-Ouest 1988, cf. note n° 1
17 Les Faucons rouges chantent : “Nie, nie wollen wir Waffen tragen / nie, nie wollen wir wieder Krieg / hei, laßt die hohen Herren / sich alleine schlagen / wir machen einfach nicht mehr mit”.
18 Parmi les plus connus des anciens membres du SAP figurent l'ex-chancelier fédéral Willy Brandt, l'ancien dirigeant du syndicat IG Metall Otto Brenner, et la première femme d'Erich Honecker, Edith Baumann, membre du comité central du SED. Sur le SAP voir en particulier : Hanno Drechsler, Die Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands (SAPD), Meisenheim am Glan 1965.
19 Organisation de jeunes liée à la droite conservatrice.
20 Horst Wessel (1907-1930). Jeune national-socialiste grièvement blessé par balle par un communiste dans une altercation à caractère personnel, meurt après avoir refusé de se faire soigner par un médecin juif (cf. coupure de journal non datée et non identifiée reproduite dans : Weimarer Republik, édité par Kunstamt Kreuzberg, Berlin, et Institut für Theaterwissenschaft der Universität Köln, 1977, p. 331.) Les nazis instituent un véritable culte autour de Wessel qu'ils présentent comme une victime des communistes. Après leur prise de pouvoir, la chanson Horst-Wessel-Lied devient hymne national, à côté du “Deutschlandlied”.
21 Début mai 1927, les sections Berlin-Brandenburg, Hamburg, Hannover-Braunschweig, Anhalt-Sachsen-Nord et Ruhrgebiet de la Hitler-Jugend forment leur propre organisation qui continue à se réclamer du NSDAP. Cette organisation abandonne le nom de Hitler-Jugend et s'appelle Bund Deutscher Arbeiter-Jugend (BDAJ). Cf. Hans-Christian Brandenburg, Die Geschichte der HJ, Köln, 2. Auflage 1982, p. 32.
22 “Alle aktivistischen revolutionären Elemente der deutschen Jugend rufen wir auf, sich endlich freizumachen von der Bevormundung durch reaktionäre und marxistische Verbände. Euer Platz ist in den Reihen derer, die in leidenschaftlichem Kampf um die Neugestaltung des deutschen Volkes und Staates in nationalem und sozialistischem Geiste stehen.” Cf. Brandenburg, Die Geschichte der HJ,... op. cit., p. 32.
23 Sandvoß, Widerstand in Neukölln, op. cit., p. 10.
24 Avant la prise de pouvoir de Hitler, la confrontation violente avec la gauche prédomine sur l'antisémitisme. C'est sans doute la raison pour laquelle ce dernier n'a été souligné ni par Willi Zahlbaum ni par Bodo Gerstenberg.
25 Chiffre avancé par Willi Zahlbaum.
26 Cf. Sandvoß, Widerstand in einem Arbeiterbezirk (Wedding),..., op. cit. p. 17/18.
27 Oskar Holewa, “Die Vergessenen”, in : Die Zukunft, Halbmonatszeitschrift für junge Menschen, Reutlingen, 1. Jahrgang, Nr. 12/46 du 15 septembre 1946. Ce portrait – qui ne cite pas le nom de Gerstenberg – montre que ce dernier a été parfaitement accepté plus tard parmi les antinazis issus des organisations de gauche. Holewa (1910-1976), ancien membre des jeunesses communistes (KJVD) à Breslau, était détenu d'août 1933 à novembre 1938 et de mars à novembre 1940, en partie au camp de concentration de Sachsenhausen.
28 Ernst Röhm, dirigeant de la SA, est arrêté et assassiné. Le soi-disant Röhmputsch sert de prétexte pour éliminer d'autres dirigeants qui gênent Hitler.
29 Otto Strasser (1897-1974), frère de l'ancien dirigeant nazi Gregor Strasser assassiné lors du Röhmputsch. Défend une position explicitement anticapitaliste au sein du NSDAP. Fonde en 1930 la Kampfgemeinschaft revolutionärer Nationalsozialisten aussi appelée selon le nom de son journal, Schwarze Front.
30 Wolfgang Thieß (1911-1943). Responsable de la HJ pour le travail dans l'enseignement technique (Berufsschulobmann) et rédacteur du Junger Sturmtrupp, quitte en 1931 la HJ et adhère au KJVD. Dans l'illégalité, il a des contacts avec “l'Orchestre rouge”. Il est exécuté par les nazis en 1943. Cf. Brandenburg, Die Geschichte der HJ..., op. cit., p. 83, et Sandvoß, Widerstand in Neukölln,..., op.cit., p. 169-171, 173.
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France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration
Bernd Zielinski et Michel Kauffmann (dir.)
2002