Le résumé de texte : une activité de production en langue étrangère assistée par ordinateur
p. 311-320
Note de l’éditeur
Paru dans : Enseignement Assisté par Ordinateur des langues étrangères - Théories - Pratiques - Perspectives, Hatier, Paris, p. 112-127.
Texte intégral
1Envisager le médium « ordinateur » non point comme machine mettant en œuvre « les contingences de renforcement », selon l’expression de Skinner, ni comme le médiateur de l’apprentissage d’objectifs clairement définis, dans la tradition de la pédagogie par objectifs, mais comme un dispositif permettant une « activité langagière », tel est le point de départ de la réflexion qui va suivre et de la « pratique » qui va être décrite. Cette activité langagière sera, bien entendu, non ‑ orale, même si elle peut être « oralisée », et soumise à tous les artifices de la simulation propre à tout exercice didactique, forcément pratiqué hors du cadre pragmatique de la communication langagière. Mais toute communication langagière n’est pas obligatoirement orale, et le remplacement de la feuille blanche et du stylo par l’écran et le clavier ne saurait justifier une quelconque indignation de la part des enseignants de langue.
1. Une activité liée à l’étude des textes
2Le « texte » quel qu’il soit, texte anonyme ou texte d’auteur, texte ou paratexte, texte « noble » ou texte « banal », reste, malgré la pression de l’« audio » et de l’image, une composante essentielle du « visuel », un médiateur important de la langue, étrangère ou maternelle. Et l’apprentissage de la langue 1 ou de la langue 2 passera, entre autres, par l’étude des textes et par les activités qui y sont liées. Parmi ces activités, la « concentration » occupe une place de choix. Dans les Instructions Officielles de français concernant les programmes et les exercices en vigueur dans le second cycle des lycées, on fait la distinction suivante :
« a) La contraction
La contraction condense un texte en respectant sa signification ... La contraction peut s’effectuer selon deux modalités : le résumé ou l’analyse.
Le résumé suit le fil du développement ; dans le même ordre, il dit en plus court ce que le texte dit en plus long. Distinguant avec soin ce qui est essentiel et ce qui est accessoire, il donne du texte une image réduite, mais fidèle et directe ...
L’analyse concentre le texte en mettant en relief l’idée principale et les rapports qu’entretiennent avec elle les idées secondaires : illustration, justification, réfutation de thèses adverses, atténuation etc. Visant à reconstituer en raccourci l’ordre logique de la pensée, elle n’hésite pas à s’éloigner, au besoin, de l’ordre linéaire du texte. »1
3De même, dans les Instructions pour l’allemand, la reconstitution de texte est une des activités majeures de la classe, sous forme d’expression discursive, même orale :
« L’expression discursive. Après la présentation initiale, la classe est invitée à reconstituer collectivement le contenu global perçu. On cherchera à obtenir la relation, dans leur cohérence chronologique ou logique, des faits situationnels les plus marquants ... Cette reconstitution, d’une durée raisonnable, devrait aboutir à la formulation au moins provisoire du thème général abordé dans le texte. »2
4L’exercice de contraction, de reconstitution de texte, de résumé ou d’analyse, de Zusammenfassung ou de Nacherzählung, quelles que soient ses modalités et quels que soient ses objectifs, est donc bien connu des apprenants de langue 2. Il n’est pas question ici de développer une réflexion sur son épistémologie dans le domaine didactique ; le minimum attendu est qu’au moins le texte de départ soit attrayant, qu’il ait un intérêt, qu’en tout cas il présente des éléments de motivation, pour que l’envie de le résumer soit psychologiquement vraisemblable.
5Un des dangers pédagogiques de cet exercice, lié peut‑être à des problèmes de motivation psychologique et linguistique, est la tentation de l’appauvrissement : en effet, la tentation est grande pour l’apprenant soit d’utiliser des bribes du texte de départ non intégrées à un discours cohérent, soit de se contenter d’une production personnelle pauvre. Tout le problème est là : l’écart est parfois important entre la richesse d’un texte de départ et la pauvreté des capacités personnelles de l’apprenant, un écart qui ne fait que grandir au fur et à mesure de l’apprentissage. L’objectif de l’exercice devrait être, au contraire, une sorte d’osmose entre les capacités propres à l’apprenant et les éléments du texte de départ, une appropriation progressive des éléments significatifs du texte et en définitive leur apprentissage en vue de leur réutilisation pour la reconstitution d’autres textes. Pour pallier ce danger on peut envisager, comme étape intermédiaire vers la production libre, un stade où la production serait « semi‑guidée » sous la forme d’un résumé-type préétabli qui serait non pas à mémoriser, mais à reconstruire à partir d’une trame fournie. Dans le cas d’un exercice écrit, on reconnaît là aisément la technique du texte à trous, lui‑même dérivé de ce que l’on appelle le « test de closure ».
2. La technique du test de closure
6G. de Landsheere3 a fait une analyse précise du test de closure. L’idée principale qui a présidé à son élaboration est celle de la « bonne forme », notion elle‑même issue de la psychologie de la Forme. Dans son Vocabulaire de la Psychologie, H. Piéron écrit :
« La vitesse de ‘closure’, de saisie, est celle avec laquelle on devine une lettre ou un dessin, incomplètement esquissés... Le concept de clôture est d’origine gestaltiste, une ‘bonne forme’ devant toujours être fermée. »4
7L’application de cette notion au langage est due principalement à W.‑L. Taylor qui définit le « cloze test » comme un
« outil psychologique permettant de jauger le degré de correspondance totale entre les habitudes d’encodage d’émetteurs et les habitudes de décodage des récepteurs ».5
8Dans cette dernière perspective, le test de closure a été mis au point en vue d’une double utilisation, d’une part pour mesurer la lisibilité des textes6, d’autre part pour tester le degré de compétence linguistique en compréhension de textes. Le texte le plus « lisible » sera celui dont on restituera, fidèlement par rapport au texte complet, le plus de « lacunes » ; et on jugera de même un lecteur comme très compétent en compréhension s’il est capable de restituer l’ensemble des lacunes pratiquées dans ce texte. Ces deux types d’utilisation sont basés sur deux caractéristiques du langage, à savoir d’abord sa structure séquentielle, puis le phénomène de la redondance.
9à l’intérieur de certaines séquences, en effet, il y a des relations probabilistes, c’est‑à‑dire que certains états ou événements ont un effet sur les états ou les événements qui viennent ensuite dans la séquence ; ou bien, en termes plus généraux, chaque état de la séquence est lié à l’état qui le suit par certaines probabilités.
« Si on sait que l’état ‘w’ vient de se produire, on ne peut pas dire avec une certitude absolue quel sera l’état suivant, mais on a quand même plus d’information que si on ne savait pas que ‘w’ vient de se produire ; après ‘w’, l’état ‘x’ a de fortes chances de venir ensuite, l’état ‘y’ un peu moins probable, ‘z’, ‘a’ et ‘f’ sont tout à fait improbables. »7
10Après « le ciel ... » on peut attendre « bleu », « gris » ou même « lentement (se couvre) », mais « bibliothèque » est hautement improbable. On peut bien sûr étudier ces probabilités dans une langue donnée aussi bien sur le plan phonologique que sur le plan lexématique dans les structures syntaxiques.
11Le phénomène de la redondance est très étroitement lié à cette structure probabiliste : en effet, le fait de dire que les événements linguistiques sont structurés signifie, sous une autre forme, qu’ils sont redondants. La redondance est bien une caractéristique des séquences d’événements. Si le degré de redondance est nul, alors tous les événements possibles ont une probabilité égale d’occurrence.
« Les séquences linguistiques ont un degré de redondance qui va de 0 à 100%. Plus une langue est redondante, plus il faut d’événements individuels ou de symboles pour transmettre un message. Les probabilités transitionnelles sont du type ‘Si … alors …’ : si l’événement A précède, alors l’événement X suit avec une probabilité de 80 % par exemple.»8
12Ce sont ces deux caractéristiques du langage dans sa linéarité qui ont permis la mise au point du test de closure ainsi que son utilisation à des fins pédagogiques.
3. La procédure « closure » appliquée au résumé de texte
3.1. Contrôle ou apprentissage ?
13Il faut signaler dès l’abord un paradoxe : le test de closure est avant tout un instrument de mesure, et fait partie maintenant de toutes 1es « batteries » de tests utilisées pour la vérification des connaissances en langues vivantes ; il semble cependant que la technique de closure puisse être considérée également comme un instrument d’enseignement (ou d’apprentissage), un exercice correctif. Le fait de pratiquer cet exercice dit de « contrôle » aurait un effet en retour positif sur l’apprentissage non pas de la lecture seulement, ou de la compréhension écrite, mais de l’ensemble des compétences linguistiques. C’est toute la problématique pédagogique de la relation entre évaluation, auto‑évaluation et apprentissage qui transparaît ici. En effet, les caractéristiques spécifiques de la procédure de closure analysées plus haut montrent bien que l’apprenant peut mettre en œuvre dans cet exercice de « transfert » ou « semi-transfert » les connaissances acquises dans le domaine morpho-syntaxique, mais aussi dans le domaine lexical, puisque telle séquence « précédente » peut « appeler » tel élément suivant ; ainsi, « ..., weil er Abschied ... » appelle des formes comme « nehmen wollte » ou « genommen hatte » ou « nahm ». En principe, les lacunes ne devraient pas « appeler » des éléments non connus ; l’exercice a donc pour but de vérifier leur « disponibilité » effective, ou la remise en mémoire, le rappel dans une activité langagière, et c’est bien là que peut intervenir l’apprentissage. Encore peut‑on imaginer que par le jeu de l’analogie l’« appel » d’éléments non connus puisse être couronné de succès : ainsi, par exemple, la connaissance de « gutgelaunt » peut éventuellement entraîner l’apprentissage, par essai analogique, en l’occurrence justifié, de « schlechtgelaunt ».
14En définitive, l’erreur elle‑même, surtout dans une procédure mise en œuvre sur ordinateur, peut, comme nous le verrons plus loin, contribuer, si elle est rectifiée, à une certaine forme d’apprentissage.
3.2. Le résumé à compléter n’est pas une création arbitraire
15Il y a bien sûr dans notre utilisation du « cloze test » une sorte de détournement, à notre sens bénéfique, de l’objectif initial : le texte dont il faut combler les lacunes n’est pas le texte original ! Le test de closure n’est pas utilisé pour mesurer la correspondance entre la production du lecteur et la production de l’auteur du texte. Le texte à combler est une création pédagogique, à partir d’un texte original ; le pédagogue, au sens moderne du terme, peut ainsi, tout en respectant les caractéristiques spécifiques de la langue, forger des textes de résumé adaptés au niveau des apprenants, proposer des résumés simples et des résumés plus difficiles, en un mot calculer son attente en fonction des divers paramètres de l’enseignement et de l’apprentissage.
16D’autre part, du côté de l’apprenant, il ne s’agit pas d’abord de retrouver les formulations de l’auteur du texte original, mais de mettre en relation ses connaissances actives propres et la compréhension qu’il a du texte original, ce qui est fort différent, et certainement fort bénéfique sur le plan de l’apprentissage.
3.3. Pourquoi un ordinateur ?
17C’est en effet la question centrale qu’il faut se poser : dans le projet didactique tel qu’il a été défini jusqu’à présent, y a‑t‑il un quelconque intérêt à utiliser ce médium, et si oui, quel peut être son apport original ?
3.3.1. La (re)constitution d’un texte
18Il est vrai que ni le test de closure ni la pratique du résumé ne trouvent leur origine dans une quelconque pédagogie informatique ou cybernétique, contrairement aux exercices structuraux, par exemple, qui sont le produit pédagogique à la fois de la psychologie du comportement appliquée à l’apprentissage des langues, et de recherches technologiques qui ont abouti à la mise au point des laboratoires de langues. Le test de closure et le résumé de texte se satisfont amplement de la technique de l’imprimerie et du papier. Ce que l’ordinateur, en revanche, apporte comme première originalité, c’est la possibilité qui est offerte d’afficher sur un écran le texte au fur et à mesure qu’il se constitue, c’est‑à‑dire au fur et à mesure que l’élève comble les lacunes. Par conséquent, contrairement aux tests de closure classiques, qui présentent l’ensemble du texte avec ses lacunes, on peut donner l’ordre à l’ordinateur d’afficher les éléments donnés avant la première lacune, d’attendre la réponse à cette première lacune, de donner, le cas échéant, la bonne réponse, puis d’afficher les éléments donnés suivants jusqu’à la deuxième lacune et ainsi de suite, comme le montre l’exemple suivant :
Ordinateur : | « Deux pigeons ... » | |
Élève : | « s’aimaient » | |
O. : | Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre … | |
E. : | L’un | |
O. : | Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre. L’un d’eux s’ennuyant ... | |
E. : | au | |
O. : | Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre. L’un d’eux s’ennuyant au logis Fut ... etc. |
19Dans cet exemple, on suppose que l’élève ne commet aucune « erreur » par rapport au texte « attendu », et que les lacunes se situent systématiquement 1 mot sur 3.
20Cette procédure spécifique, qui peut évidemment aussi être mise en œuvre oralement par un professeur, présente l’avantage de simuler d’une certaine manière quelques aspects du langage et en particulier la fonction d’anticipation que nous avons longuement évoquée auparavant. En effet, certaines lacunes sont « appelées » par le contexte précédent, soit sémantiquement, soit structuralement ; d’autres lacunes supposent d’autre part la mise en mémoire anticipée d’un ensemble syntaxico‑sémantique qui se trouvera éventuellement « avéré » par l’ordinateur. Ainsi, dans l’exemple de la fable, « deux pigeons s’aimaient » pourrait se suffire à soi‑même, mais « s’aimaient » peut aussi entrer dans l’unité consacrée « s’aimer d’amour tendre » ; « l’un », en revanche, appelle quasi obligatoirement « d’eux », et la lacune après « fut » est beaucoup plus ouverte. Il y a donc, on le voit, des degrés de contrainte, par conséquent des degrés dans l’anticipation, qui modulent en quelque sorte l’activité mentale des apprenants en suscitant des mobilisations lexicales et morpho-syntaxiques très différentes.
21On aboutit ainsi à une sorte de simulation de la production langagière dans la mesure où l’auteur du texte original – ou plutôt du résumé – a lui aussi anticipé des expressions entières ou parfois hésité dans la « séquentialité » de sa production à certains endroits, où plusieurs solutions étaient éventuellement possibles et où celui qui re‑construit ce résumé est amené à des activités mentales analogues. C’est la raison pour laquelle on ne permet pas une lecture préalable du texte lacunaire, comme c’est le cas pour le test de closure imprimé.
3.3.2. L’ordinateur‑pédagogue
22Le pédagogue grec était l’esclave qui accompagnait à l’école les enfants de son maître ; c’est sur le chemin de l’école que le pédagogue répondait aux questions éventuelles de l’enfant. Le pédagogue était au service de l’enfant, et n’avait pas, à proprement parler, de mission d’enseignement.
23S’il est un rôle que l’ordinateur joue admirablement c’est bien celui du pédagogue grec. En l’occurrence, dans le modèle qui nous intéresse ici, il peut permettre d’abord à l’apprenant de choisir lui‑même la « périodicité » les lacunes : 1 mot sur 5, 1 mot sur 4, 1 mot sur 3, 1 mot sur 2 ou même 1 mot sur 1, c’est‑à‑dire la suppression totale (closure totale), tous les mots étant à trouver l’un après l’autre. Le choix étant fait par l’apprenant (ou l’enseignant), un programme informatique peut « administrer » l’exercice automatiquement, selon ce choix : l’ordinateur occultera lui-même soit 1 mot sur 5, soit 1 mot sur 4, etc. On peut entendre « mot » ici au sens restrictif banal d’élément séparé de l’élément précédent et de l’élément suivant par des « blancs », et c’est ainsi que fonctionne le test de closure classique, ou bien au sens de groupe fonctionnel ; dans ce dernier cas « d’amour tendre » serait une seule lacune. Là encore il s’agit d’une déviation du test de closure, mais le problème vaut la peine d’être posé, les deux variantes de la technique de closure ayant chacune leur intérêt.
24En plus de cette fonction d’adaptabilité particulièrement intéressante, car elle permet soit l’adaptation au niveau des apprenants (trouver 1 mot sur 5 est plus facile que de trouver 1 mot sur 2), soit l’augmentation de la difficulté dans le temps (1 mot sur 5, puis, pour le même résumé, 1 mot sur 2 quelque temps après), sans investissement de préparation, l’ordinateur-pédagogue apporte aussi, et c’est important pour cette utilisation du test de closure, immédiatement la bonne réponse. Enfin, toutes sortes d’aide sont envisagables : présentation du mot suivant immédiatement la lacune, en cas d’erreur, ou bien visualisation limitée dans le temps de l’ensemble du texte lacunaire, ou toute autre aide jugée utile par l’enseignant, sans parler de la possibilité de l’enregistrement des réponses, analysables ensuite en groupe ...
25Cette flexibilité de l’ordinateur serait inintéressante si elle n’était un instrument précieux au service de la didactique, ce qui semble bien ici être le cas.
3.4. Objections et réfutations
26Nous ne réfuterons pas les objections que l’on pourrait faire d’une part à l’activité de résumé de texte, d’autre part à la technique de closure. Nous pensons déjà avoir implicitement au moins justifié la technique appliquée au projet didactique en question. Une objection sérieuse subsiste cependant : on n’empêchera pas le « mauvais effet » produit lorsqu’un apprenant comble une lacune par un mot qui n’est pas le mot prévu, mais qui pourrait être accepté dans le contexte. Ainsi se trouve posé le problème des variantes et du même coup le détournement, radical cette fois, du test de closure.
27On peut très facilement, sur le plan informatique, résoudre ce problème : il suffit de prévoir et d’accepter aux diverses lacunes des variantes lexicales plausibles dans le contexte. On pourrait accepter, pour « Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre », « Deux pigeons s’aimaient tendrement », si l’on considère que « d’amour tendre » et « tendrement » sont sémantiquement proches.
28On peut même aller plus loin et « ouvrir » les possibilités de l’exercice aux variantes de structure, ce qui est intéressant surtout dans l’exercice de « closure totale » En effet, pour se libérer au maximum des contraintes et « suivre » l’apprenant tout au long de sa production langagière, il n’est guère possible de prévoir à l’avance des mots donnés, qui nécessairement engagent certains types de structures bien déterminées. Ainsi, par exemple, on pourrait imaginer d’accepter les chaînes suivantes, en dehors de la phrase originale.
1. Deux pigeons s’aimaient tendrement.
2. Il y avait deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre (ou tendrement).
3. Il y avait une fois deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre (ou tendrement).
4. Il était une fois deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre (ou tendrement).
5. Il est question de deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre (ou tendrement).
6. Il est question ici de deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre (ou tendrement).
7. C’est l’histoire de deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre (ou tendrement).
8. On raconte l’histoire de deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre (ou tendrement).
29Et éventuellement d’autres variantes encore.
30Les chaînes 2, 3, 4 sont particulièrement intéressantes, comme le montre le schéma suivant :

31La chaîne 5 montre les limites du système : si les propositions de l’apprenant se font dans l’ordre 1. « Il » 2. « est » 3. « une fois », ou bien on suggère « question » en 3., ou bien on demande la rectification de 2., qui sur le plan morphologique (temps) est incompatible avec « il » et « une fois ». Mais comment savoir si dans le premier cas la structure « il est question » est maîtrisée par l’apprenant, ou, dans le deuxième cas, s’il est capable de rectifier son erreur de temps pour repartir sur la structure « il était une fois » ? Cette limite extrême ne met pas en cause la validité didactique du système lui‑même, surtout, comme cela serait possible, si on adjoignait au système de la procédure closure un système spécifique et autonome d’analyse d’erreurs.
32L’exemple « il est question une fois » pose un autre type de problème dans la mesure où « il est question » peut être poursuivi par « ici » ou « de », c’est‑à‑dire par une indication thématique facultative, qui peut d’ailleurs être multiple (variantes « dans ce texte », « dans ce poème », « dans cette fable » ... ), ou par le relais en tous les cas obligatoire « de ». On pourrait proposer à l’apprenant de choisir lui‑même l’une ou l’autre des deux solutions.
33Enfin, il est possible que des variantes lexicales, surtout verbales, entraînent des variations structurales, par corrélation. Ainsi, en allemand, « begegnen » et « treffen », sémantiquement quasi équivalents, ne présentent pas le même profil syntaxique : datif et sein au parfait pour « begegnen », accusatif et haben au parfait pour « treffen ». Il faudra, bien sûr, tenir compte de cette difficulté pour l’acceptation ou le refus des éléments des chaînes.
34Il est clair que ce système n’est pas « intelligent ». Toutes les variantes lexicales ou structurales doivent être prévues à l’avance, répertoriées éventuellement après une phase d’expérimentation. Mais la liberté apparente laissée à l’apprenant dans cet exercice de closure totale vaut la peine d’être mise en jeu sur un médium qui n’a que trop tendance à la rigidité par rapport à la créativité et à la flexibilité du langage.
35Par ailleurs, il ne faudrait pas interpréter la technique pédagogique ainsi décrite comme un modèle de production du langage, comme une description de l’énoncé verbal tel qu’il se présente par exemple dans le modèle stochastique, pour lequel le locuteur passerait, tout au long de l’énoncé, par une série d’« états » ; l’état où il se trouve à un moment donné serait déterminé par les segments de l’énoncé déjà produit. L’énoncé verbal représenté comme une chaîne de Markov serait une concaténation d’événements dont l’apparition serait régie par des probabilités transitionnelles. S’il est vrai que la procédure « closure » fait appel à ces probabilités transitionnelles, il n’en faudrait tirer aucune conclusion définitive sur la nature du processus de production langagière.
36[…]
Conclusion
37Ce qui frappe lorsque l’on compare le test de closure classique sur papier et la même technique transférée sur ordinateur, c’est d’une part toutes les possibilités de « perversion » qui existent par rapport aux objectifs pédagogiques initiaux, et d’autre part la dynamisation d’une pratique figée et statique dans ses utilisations traditionnelles. Les possibilités d’extensions entrevues ici, surtout dans le cadre des recherches sur la détection automatique des erreurs, sont un exemple singulièrement parlant d’une interaction intéressante entre la didactique, la technologie et la linguistique.
Notes de bas de page
1 Bulletin Officiel n° spécial 1 : 5 mars 1981.
2 Instructions officielles pour l’allemand : B.O. n° spécial 3 : 1981.
3 G. de Landsheere : Le test de closure, éd. Labor, Bruxelles, F. Nathan, Paris 1978.
4 Cité par de Landsheere p. II.
5 Cité par de Landsheere p. II.
6 Voir par exemple F. Richaudeau La Lisibilité, éd. Retz 1969 ou Linguistique pragmatique, éd. Retz 1981.
7 H . Hörmann : Introduction à la psycholinguistique, Larousse 1972, p. 91.
8 op. cit., pp. 92‑93.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Médiations ou le métier de germaniste
Hommage à Pierre Bertaux
Gilbert Krebs, Hansgerd Schulte et Gerald Stieg (dir.)
1977
Tendenzen der deutschen Gegenwartssprache
Hans Jürgen Heringer, Gunhild Samson, Michel Kaufmann et al. (dir.)
1994
Volk, Reich und Nation 1806-1918
Texte zur Einheit Deutschlands in Staat, Wirtschaft und Gesellschaft
Gilbert Krebs et Bernard Poloni (dir.)
1994
Échanges culturels et relations diplomatiques
Présences françaises à Berlin au temps de la République de Weimar
Gilbert Krebs et Hans Manfred Bock (dir.)
2005
Si loin, si proche...
Une langue européenne à découvrir : le néerlandais
Laurent Philippe Réguer
2004
France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration
Bernd Zielinski et Michel Kauffmann (dir.)
2002