Chapitre 1 — Octobre 1927
Premières impressions
p. 49-79
Texte intégral
Ils sont encore bien nerveux ici.
(lettre du 24 octobre 1927)
Lundi 17 octobre [1927], 3h 30 [Heidelberg]1
1J’ai fait un très bon voyage, fatiguant cependant. J’ai dormi presque toute la nuit, mais je me suis réveillé toutes les demi-heures ; ce soir (à Heidelberg : Pension Schlossberg 49) je dormirai sainement. Les gens jusqu’à présent sont très gentils ; un contrôleur m’a expliqué comment obtenir un supplément, il m’a conduit jusqu’au guichet, a donné lui-même mon billet au bureau (afin de le faire tamponner) — touchant. De Heidelberg je préfère ne rien dire pour le moment, car je n’en ai pas vu grand chose. Jourdan2 n’est pas là. On ne sait pas quand il sera de retour. Pas de mal du pays ( ?) — pour le moment.
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Mercredi, [19 octobre 1927] midi [Heidelberg]3
2Il faut quand même que j’écrive — et que j’écrive en allemand. Je ne l’ai pas fait hier parce que je souffrais de maux de dents et que je voulais voir ce qu’il en était. […] Espérons que cela ne sera rien. Je fais attention à ne pas prendre froid ; mais malgré tout, « the moral of that is » que l’essentiel, à l’étranger, est d’être en bonne santé. Sinon je me sens très bien et plein d’entrain. […] —J’espère malgré tout pouvoir aller demain matin à Francfort, mais comme je ne savais absolument pas ce que cela donnerait — et que je ne le sais pas beaucoup plus, je n’ai pas écrit au Dr. Simon. 4 Peut-être que j’aurai quand même la chance de le rencontrer, sinon … rien.
3[…] Lundi soir, nous sommes allés5 au concert et nous avons entendu tout d’abord un quatuor de Brahms, puis un merveilleux morceau de Beethoven : l’opus 135, en Fa majeur, puis nous sommes partis pour pouvoir nous coucher suffisamment tôt. Les discussions sur la musique sont quelque chose de particulier ici.
4Hier, nous avons déjeuné à Neckargemünd. Herbert Dieckmann a rendu visite à Ernst Robert Curtius. 6 Il travaille à présent avec lui dans le département de philologie romane. Ensuite, nous avons dîné ensemble dans notre chambre pour nous coucher vers 9 heures moins le quart : j’ai dormi jusqu’à neuf heures ce matin, avec ma joue enflée. Aujourd’hui, nous avons lu ensemble et nous avons discuté. Il m’a lu quelque chose de Schelling. Jaspers a très peu publié : une «Psychopathologie», une «Psychiatrie» et une « Psychologie de la conception du monde». 7 Herbert Dieckmann m’a dit que cela présente peu d’intérêt si on ne le compare pas et si on ne le rattache pas systématiquement aux positions kantiennes. Il semble que la tradition intellectuelle (kantienne) soit très forte en Allemagne et qu’une métaphysique ne puisse se concevoir ici que sous la forme d’un déploiement de Kant. On pense « kantien », on apprend à la manière « kantienne », on parle « kantien ».
5Heidelberg n’est pas aussi terrible que je l’avais imaginé. Je n’aimerais cependant pas vivre ici, bien que je me sente maintenant assez de courage pour pouvoir travailler n’importe où, une fois en bonne santé — et je me sens très bien, hormis la rage de dents ; je dors beaucoup, bien, et je me repose.
6J’ai reçu la première lettre (datée de lundi 3 heures) hier vers sept heures et demi. Ça m’a fait du bien. Bientôt une autre ! Ou seulement à Berlin? Je me stabiliserai alors et j’écrirai plus longuement.
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[Jeudi] 20 octobre 1927 [Francfort/Main]8
7[...] Je suis parti ce matin à dix heures de Heidelberg, j’étais ici à midi, j’ai cherché un bon hôtel qui soit propre, agréable et pas horriblement cher. Je vais me reposer un peu. J’ai flâné toute l’après-midi à travers la ville et je suis fatigué. J’ai vu la maison de Goethe ; heureusement que c’est la maison de Goethe, car sinon ça ne vaudrait pas la peine de venir la voir. La ville est assez intéressante ; ce n’est ni une ville de province, ni vraiment une capitale. Dans les vieux quartiers il y a toujours les vieilles maisons, et aussi les maisons de patriciens sur les quais : certaines sont assez belles. C’est plus important pour comprendre Goethe que la maison de Goethe elle-même. Mais je suis trop fatigué ce soir pour vous en dire plus — (Joseph Roth vit actuellement à Sarrebruck, 9 — et le Dr. Simon n’était pas là. Cela n’a pas grand sens de le voir). Il est 7 heures moins le quart à présent, je vais demander que l’on me réveille tôt demain matin, ensuite je mangerai deux petits pains que j’ai achetés et ma dernière pomme française. Je pense tellement à la Source ! 10 Je me débrouille assez bien en allemand ; je n’ai pas l’air si Français que ça.
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Dimanche [23 octobre 1927) matin, 8 heures. [Berlin]11
8Je vous avais laissés la dernière fois à Francfort, à présent je vais vous faire visiter Weimar et Berlin.
9Weimar est une ville charmante, de nombreux quartiers donnent l’impression d’un village ; les maisons sont d’authentiques maisons anciennes (pas comme à Francfort où c’est peut-être ancien mais où ça a l’air neuf), et elles sont tout à fait adaptées aux travaux des champs. Mais aucune photographie ne montre Weimar sous cette apparence rustique. Je me suis promené longuement dans les vieilles rues jusqu’à ce que je me retrouve devant la maison de Goethe. J’ai naturellement visité la maison, mais il n’y a pas beaucoup de choses intéressantes : ou bien on les connaît déjà par des images, ou bien elles ne valent pas la peine. Il n’y a que trois choses qui m’aient profondément ému. D’abord son laboratoire avec ses trois sections : théorie des couleurs, minéralogie et anatomie. Puis, il y a deux masques. Surtout celui où l’on a omis de représenter les yeux est beaucoup plus parlant que tous les portraits exécutés par des peintres ou des sculpteurs. Quand on voit ça, et quand on voit à côté de lui « son ami Lavater », on se dit : comment est-ce possible qu’il ait eu un ami. Troisièmement : son cabinet de travail et sa chambre à coucher, où il est mort. D’après les photographies, tout cela semble tout à fait splendide, « tout velours et bois de santal » ; en réalité, c’est simple, très simple, plus que simple : juste le nécessaire comme, par exemple, dans la chambre à coucher sa petite table avec une cuvette — c’est l’impression la plus forte.
10Ensuite, je suis allé chez Nietzsche, mais je raconterai cela une autre fois.12
11Le jour suivant (samedi), je suis allé me promener dans le parc. Weimar était merveilleux, car c’était jour de marché, et de toutes parts, la forêt aux teintes jaune et rouge envahissait la ville. Le parc lui-même est magnifique. J’ai vu le pavillon de jardin de Goethe — mais ce n’est qu’un « pèlerinage » désintéressé, on n’en retire pas grand chose.
12Puis, je suis parti à 12.07 et j’étais à Berlin à 15.44 + cinq minutes, car les trains allemands ont du retard, eux aussi. Bermann13 m’attendait à la gare et il m’a conduit tout d’abord à ma chambre. J’ai à présent l’adresse exacte : Berlin-Grunewald, Trabenerstrasse 25.
13J’ajoute encore quelques mots en bref, car Heinrich Mann m’attend à 10 heures 30 et il est déjà neuf heures.14 Je viens de prendre mon petit-déjeuner. Demain, je me rendrai chez les Wechssler.15 Il m’a écrit : « Monsieur, je serai très content de vous voir chez moi lundi prochain à quatre heures et demie de l’après-midi ou à peu près. Après, c’est mon confrère le professeur Gamillscheg (Berlin-Wilmersdorff) qui désire vous voir et qui vous donnera le juste programme de vos cours. Dans l’attente de votre collaboration, qui, j’espère, sera très utile. »
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Lundi 24 octobre 192716
14Hier a été pour moi une longue journée. J’ai écrit entre environ huit et neuf heures du matin, ensuite je suis parti pour aller voir Heinrich Mann, que j’ai retrouvé à l’Hôtel Excelsior comme il me l’avait écrit. Nous sommes repartis pour le théâtre : celui-ci s’appelle « Am Nollendorfer Platz », et c’est le théâtre provisoire de Piscator.17 Je joins à cette lettre le billet d’entrée. Le théâtre était bondé ; là où je me tenais, tout en haut, il y avait en majorité des jeunes gens, étudiants et étudiantes dont certains affichaient leurs convictions révolutionnaires — tous sympathiques. Cependant, certaines personnes plus âgées interrompirent les discours, même le beau discours de Heinrich Mann, qui pourtant ne parlait pas comme un politicien, mais remettait chacun à sa place et accordait avec subtilité une place à l’optimisme et au pessimisme (c’est tellement difficile d’écrire tout ça en allemand). Mais, avant les discours, Piscator avait projeté un court-métrage sur la vie dans les prisons et les forteresses, après les discours, un orchestre invisible joua une musique moderne, révolutionnaire (celle du film Le Cuirassé Potemkine18) qui exerça un effet étrange : une musique de cuivres toute discordante, c.à.d. hors des accords classiques, mais obéissant à des lois et donnant une impression.
15Ensuite la scène, « des voix montant de la prison ». Tout est plongé dans l’obscurité, ensuite un film sur la vie dans les prisons. Mais l’écran est transparent, du moins on ne le remarque pas quand le film n’est pas projeté ; et, à l’arrière-plan, quatre cellules s’éclairent l’une après l’autre : dans l’une est assis Liebknecht, dans l’autre Rosa Luxemburg etc. et ils lisent une page de leurs œuvres. Ensuite c’est terminé. Mais les jeunes gens là-haut chantent l’Internationale. C’est étrange de voir ces jeunes gens, dont certains sont presque tirés à quatre épingles, chanter l’Internationale tout comme ils chanteraient aussi « Am Brunnen vor dem Tore. » Et pourtant, ils sont pour la plupart d’entre eux des «convaincus». Il semble néanmoins que ces gens pensent comme cet orateur qui a dit : «Cette République qui n’a jamais été une république, qui ne sera guère une république, si … » (applaudissements tumultueux mais unanimes).
16Puis nous avons déjeuné (il était deux heures) avec Wilhelm Herzog, un communiste important, qui jadis a écrit « la meilleure étude » sur Kleist, et également sur Lichtenberg.19 Il nous a raconté d’effroyables scandales concernant le gouvernement allemand : un homme avait apporté au Ministère de l’Intérieur des lettres (de fausses lettres) de Hoesch et de Hindenburg disant qu’il avait travaillé pour la patrie, et il s’était fait payer en échange 750 000 Marks qu’il aurait reçus s’il n’avait pris peur brusquement ; — également l’histoire de Domela, 20 de ce faux prince prussien etc.
17L’après-midi je me suis rendu chez Olden21 qui partait le soir même pour Paris. Il est vraiment très gentil, ce Herr Dr. Olden, et c’est dommage qu’il ne reste pas ici.
18Puis je suis retourné avec Heinrich Mann, qui avait des billets, au théâtre de Piscator, pour voir la pièce de l’ex-prisonnier Ernst Toller : Hoppla ! Wir leben !22 Ou plutôt pour voir la mise en scène de Piscator. Ça m’a fait une très forte impression. Il ne s’agit plus de théâtre, de littérature … Terriblement fatiguant. Ça dure trois heures.
19D’abord des films des années de guerre : des soldats, des soldats, toujours plus de soldats, massacrés, surgissant à nouveau du sol. Comme film, c’est très bien et ça marche. Puis l’armistice ; les soldats des deux bords fraternisent, ils jettent leurs fusils et leurs baïonnettes et les foulent aux pieds. Puis vient le début de la révolution : beaucoup de scènes de la révolution. L’armée est victorieuse, les dirigeants révolutionnaires sont jetés en prison. Puis l’«écran » devient transparent, on voit la scène et les prisonniers au cachot ; les acteurs, les mêmes que ceux qui jouent dans le film, apparaissent. Désespoir des prisonniers : l’un d’entre eux veut se confesser, il va chez le prêtre, revient, les autres n’ont que mépris pour lui. Mais les autres, bien que graciés, doivent retourner en prison et seul l’un d’entre eux, Kilman, sera libéré. Retour au film : les années passent ; des fragments de films, qui durent de trois à dix secondes : tour à tour, le travail, les chômeurs, des boîtes de nuit, des courses de chevaux, des famines, des avions, la guerre au Maroc, Mussolini, révolution à Vienne, parfois interrompus par une horloge qui représente le temps qui passe. Peu à peu resurgissent le nationalisme, le militarisme, l’impérialisme, le catholicisme, et les huit années, de 19 à 27, débouchent sur une image grotesque de Hindenburg (approbation et sifflets parmi les spectateurs etc.) et sur l’image d’un canon énorme sur fond de ciel bleu. Demain ? Quoi ?
20A nouveau du théâtre, avec parfois du cinéma à l’arrière-plan ou plutôt au premier-plan. L’ancien révolutionnaire Thomas est libéré de prison, ou plutôt de l’asile d’aliénés. Il erre, sans travail, affamé. Il apprend que son ancien camarade Kilman est devenu ministre de la République. Scène : la vie du ministre. Thomas et Kilman, qui explique qu’il faut regarder la réalité en face. Maintenant il se fait appeler Excellence. Le tout entrecoupé de brèves scènes comiques. Ensuite la scène de l’élection, la seule vraie scène de théâtre qui, par rapport aux autres, semble longue et fade (ce qu’elle est vraiment, bien que Heinrich Mann aime ça). La fin (de la première partie. Après vient une seconde partie).
21Deuxième partie : la scène est entièrement plongée dans l’obscurité, on ne voit qu’un visage de femme, d’une grande pâleur, qui chante une chanson de Walter Mehring23 : « Hoppla, wir leben!», nous vivons et c’est tout — vivre, le reste nous importe peu. Toujours de la musique révolutionnaire. — Puis Thomas essaie d’expliquer aux enfants ce qu’a été la guerre, qu’il ne faut plus que ça se reproduise. Les enfants le prennent pour un idiot. Il devient maître d’hôtel dans un restaurant, sert à la table du ministre Kilman. Scandalisé, il veut l’abattre ; mais un autre s’en charge juste sous ses yeux ; il est arrêté, retourne en prison, se suicide après avoir eu une dispute avec le psychiatre, au cours de laquelle on ne sait pas qui est sain (normal) et qui ne l’est pas. Cela se termine ainsi : il faut que quelque chose change dans le monde.
22J’ai essayé de raconter la pièce ; mais à vrai dire, elle n’a pas plus d’intrigue qu’une revue de music-hall ; ce n’est qu’une succession décousue de courtes scènes ; pendant trois heures, ça va à une vitesse vertigineuse ; à la fin, on en sort épuisé.
23Avec tout ce qu’il y a de gros et de naïf, c’est très prenant, et surtout par la sincérité, la conviction qu’on sent chez l’auteur, le metteur en scène, et tous les acteurs, dont 2 ou 3 sont très bons. C’est d’ailleurs très neuf, et pas seulement par les procédés : éclairages, rideaux transparents, films, scène qui tourne sous vos yeux, etc. Mais cette espèce d’« art nouveau », qui n’a rien de la littérature, surtout de la littérature dramatique : pas un mot qui porte, le texte (inexistant) disparaît, on parle pour dire ce qu’on a à dire pour se faire comprendre ; on joue, parce qu’on est comme le héros qu’on représente ; on crie, comme on crie dans une discussion, pour montrer qu’on a raison ; l’intrigue ne compte pas ; il n’y a en somme pas de femmes en scène ; la pièce est d’une extrême violence politique. Depuis le 6 septembre jusque, mettons hier, tous les soirs, on fait à peu près salle comble, et tout Berlin ébaubi défile. Savoir ce qu’en pense le public ? C’est une autre histoire. Mais l’atmosphère dans laquelle je vivais hier était étrange ; il n’était question que d’attentats politiques, de forteresse, de guerre à la guerre, de guerre à la société, de fous et de médecins aliénistes, de scandales politiques et sociaux … Ils sont encore bien nerveux ici.
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Mardi 25 [octobre 1927] 11 h et demie du matin24
24Hier après-midi (le 24), j’ai vu Wechssler. Nous avons d’abord parlé en français aussi longtemps que nous étions seuls, puis nous avons parlé de mes cours ou de la littérature française. Donc : je dois me mettre d’accord avec Gamillscheg, mais pour le moment les choses se présentent ainsi : 4 fois par semaine (quand je veux, sans doute de 6 heures à 7 heures et demie du soir) je choisirai un livre (un ouvrage de critique récent) que les étudiants auront lu (là encore j’ai le choix) et les étudiants devront parler. Espérons que ça ne sera pas très fatiguant, surtout que je n’aurai pas toujours les mêmes étudiants et que je prendrai toujours le même texte. Qu’est-ce que tu me conseillerais en premier ? Plus tard les « Fleurs de Tarbes »25, ça plairait sûrement à Wechssler, qui est très ami avec Groethuysen.26 (Quel chaos de connaissances et de lacunes ! Il a l’intention d’écrire d’ailleurs prochainement un Panorama). Il n’aime pas tellement les livres de Soupault.27 — Puis pris le thé avec Madame Wechssler (très aimable) et leur fils de 16 ans et nous avons parlé allemand tout le temps. — Une bonne impression, donc.
25À 10 heures et demie du soir chez les Fischer.28 Smoking et tout le tralala. Thomas Mann et son épouse bien entendu. Vu : Bruno Cassirer29, bon ami de Fischer. Parlé surtout avec Feist (ou Faist)30, traducteur de Jules Romains et « connaisseur de la France » et, en particulier, avec Ernst Toller, un jeune homme fort sympathique, ami de Jean-Richard Bloch.31 Il faudrait quand même parler de « Hoppla, wir leben » en France. Mais je t’en dirai plus là-dessus une autre fois. Feist (ou Faist) a dit quelque chose qui m’a paru étrange et caractéristique : le théâtre est pour moi ce qu’il y a de plus noble, et celui qui ne s’y est pas essayé n’est pas un grand écrivain. — Les Fischer ont tous été très gentils avec moi, mais tout particulièrement le vieux Fischer. 32 Tu pourrais peut-être lui écrire ?
26Aron (NRF)33 voulait des pièces satiriques. Si tu lui proposais (avec coupures au besoin) « Das gastliche Haus » ?34 Bientôt, parce qu’il doit, je crois, partir pour Moscou.
27[…] J’irai à la banque et à Humboldt.35 Remercié Thomas Mann pour ce qu’il a fait. Je cours …
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Mardi [25 octobre 1927] 7 h du soir36
28[…] Puis les Bermann m’ont montré la maison d’édition Fischer ; assez grande, l’air assez neuve, mais ce que j’ai entendu de plus intéressant c’est qu’à peine un cinquième des livres est vendu à Berlin et que le cœur des éditions se trouve tout de même à Leipzig, où travaillent trente autres personnes.
29Puis je suis allé à la Alexander-von-Humboldt-Stiftung.37 (Il était trop tard pour aller au consulat ; j’irai demain matin). Je vous envoie déjà la photo. Je suis d’abord tombé sur une secrétaire ; Herr Dr. Göpel (c’est son nom) n’était pas là, mais le véritable directeur, c’est Herr Doktor Zimmermann « qui voudrait vous parler ». Quel n’a pas été mon étonnement en voyant un homme d’une trentaine d’années qui m’a expliqué très gentiment quelle était la situation : en fait, c’est le ministère des Affaires étrangères qui verse l’argent. Le Dr. Zimmermann (comme j’ai réussi à le savoir) travaille lui-même au ministère des Affaires étrangères. C’est donc pour lui un fromage. Il a été très aimable, m’a fait visiter les lieux : la réception, les salons, le club et ses journaux, le restaurant (où j’ai mangé deux œufs excellents) etc. Ma seule obligation consiste à venir toucher mon argent au début du mois. Rien d’autre. Mais ce serait quand même mieux si je participais aussi au « travail commun », c’est-à-dire si je venais de temps en temps ; si le cœur m’en dit, j’ai la possibilité de manger à midi et le soir pour 80 Pfennig et de participer à des sorties comme cela figure dans le programme : demain, par exemple, je vais au planétarium (ce qui n’existe qu’en Allemagne) ; avantage supplémentaire : on peut danser le jeudi soir. L’intérêt principal c’est de faire la connaissance des autres membres (50 à 70 chaque année). Je suis le premier membre français. Puis le Dr. Zimmermann m’a invité à prendre le thé ; il y avait son épouse, une Suédoise, la secrétaire, Mademoiselle Masson, une Allemande, un ami du Dr. Zimmermann, un Français (qui n’est pas membre) qui réalise ici une « enquête » sur la presse, un élève de l’Ecole des Hautes Etudes politiques.38 Tous ont été très gentils. Ensuite je suis rentré, j’ai pris mon repas du soir — et j’écris.
30Demain je vais me faire enregistrer auprès du Consulat, j’irai manger à la [Fondation] Humboldt, à cinq heures j’irai visiter le planétarium — et je ne sais quoi d’autre.
31Cela m’a fait plaisir de pouvoir bavarder ; j’ai toujours et encore des choses à raconter car il m’arrive toujours quelque chose de nouveau, mais cette époque est bientôt terminée. Je verrai encore Heinrich Mann ; il reste vraisemblablement jusqu’à la fin de la semaine. Le tour des Français viendra aussi. Mais ça ne presse pas. Les visites ici ont lieu entre 12 heures et 13 heures 30, et surtout de 16 à 18 heures, quand on a annoncé sa visite par téléphone. Mais l’idéal, c’est la visite le dimanche de 12h à 13 h 30, en costume noir, peut-être avec pantalon rayé. Ma chambre est très bien, très grande et très claire, bien que les murs soient bleus. […] J’ai gardé ma malle pour le moment. Je peux acheter ce que je veux ; je peux faire la cuisine ou bien la bonne peut s’en charger, et je peux tout conserver si je n’en ai pas besoin. Hier soir et ce soir, j’ai bu un demi-litre de lait, mangé du jambon et du pain noir. Je vais très bien et je me sens très bien, pas fatigué parce que je dors beaucoup. J’ai déjà reçu deux lettres à Berlin ; j’en attends une autre demain ou après-demain. Je vous parlerai plus tard de Madame Förster-Nietzsche.39 Je vais me faire à présent un plan de campagne.
32Je pense tellement à vous deux, là-bas, seuls avec le dictionnaire et le chat.40 […]
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Jeudi [27 octobre 1927] matin41
33Pas encore reçu de lettre ici : peut-être ce soir encore ; j’ai posté ma lettre lundi.
34Pendant que j’y pense : pourrais-tu me procurer le nom et l’adresse d’« Amance » pour Madame Förster-Nietzsche?
35Hier soir je suis allé chez Viénot 42 — très gentil avec moi et intéressant. Je dois le rencontrer aujourd’hui à cinq heures avec Marc Allégret43 et un certain Steinbömer44 — de droite, mais adversaire chevaleresque, d’une sympathique fraîcheur — je verrai bien. Je suis à présent convaincu que Bernard G.45 travaille pour le ministère des Affaires étrangères (allemand ou français ? les deux peut-être) bien que Viénot ne me l’ait pas dit ainsi. Il dit de Wechssler : « il est terriblement brouillon, il m’a fait des gaffes énormes, mais il faut lui pardonner » (à propos, Wechssler m’a laissé entendre discrètement qu’il aimerait que son livre soit traduit.46 Ma réponse : certainement, mais trop gros pour les éditeurs). Viénot va m’introduire dans des cercles de jeunes (souvent de droite) et ça va m’intéresser. Peut-être que tu le verras bientôt à Paris. Qu’est-ce qu’il m’a encore raconté ? Cela me reviendra peu à peu. Ah! oui, par exemple : Curtius.47 « Vous n’avez pas été voir Curtius ? Je pense que c’est tout à fait fini cette histoire ridicule ; je suis intimement lié avec Curtius, je lui ai expliqué, reproché : il a ce défaut de partir en guerre contre tous ceux qui veulent du bien à l’Allemagne et qui font un effort. Mais entre nous soit dit, c’est l’article culinaire, les tranches de chevreuil de Bavière qui lui ont été pénibles. Curtius est très, très gourmand etc … »
36Puis je suis allé déjeuner à la Fondation avec le Dr. Göpel ; pour un Mark on peut avoir quelque chose de tout à fait correct, mais, naturellement, on a besoin de changement.
37Ensuite je suis allé à cette « Maison du Livre »48 où Boorsch avait laissé une carte pour moi, auprès de laquelle Tonnelat49 voulait me recommander, par l’intermédiaire de Madame Rosenthal, qui, elle, connaît bien Lichtenberger50 aussi. J’étais attendu : le maître et la maîtresse de maison, sont Monsieur et Madame Reichenstein — des Russes, des Galiciens ou quelque chose comme ça. Une impression étrange et inquiétante : une salle avec ces deux, tels des croque-morts d’une entreprise de pompes funèbres (on dit ici « Beerdigungsinstitut ». Peut-être que ce serait mieux que « Beerdigungskontor » comme l’indique le dictionnaire). Un petit assortiment d’assez bons livres. La critique se vend bien ici. « Si le grain ne meurt »51 a été un succès : 20 exemplaires en 4 semaines. Derrière, de la « littérature légère ». Donc : « Madame Rosenthal vous attend. Elle a des enfants qui veulent apprendre le français. Elle espère que vous pourrez vous en charger. Si ça ne marche pas, je vous trouverai des cours particuliers pour 3 marks… ? — Hm ! — 4 marks ? … — Hm ! Peut-être plus encore. Nous avons un Foyer franco-allemand qui, à vrai dire, est de la propagande. Votre ami Boorsch52 nous a dit ici de très belles choses sur Montherlant et la jeunesse. D’abord nous avons chaque semaine un « cours » (elle parlait français) pour des jeunes gens sur la littérature française contemporaine. Trois quarts d’heures le vendredi ; ça n’est malheureusement pas bien payé : 6 marks ; ça fait de la réclame … François Porché arrive le 10 novembre.53 Pouvez-vous faire une conférence sur lui le 3 ou le 7 ? Devant un public d’adultes naturellement : entre 20 et 60 personnes présentes. » (Il n’a pas été question du prix). Ma réponse a alors été la suivante : pour ce qui est des cours particuliers, je n’ai malheureusement pas le temps, mais j’irai rendre visite à Madame Rosenthal. Et plus tard, qui sait … Pour ce qui est des jeunes gens, je ne peux rien faire, du moins pas régulièrement : mais les étudiants peuvent venir à l’université, ils pourront assister à mes cours. Je ne veux pas faire de conférence sur Porché. Tu comprends bien : « Les Butors et la Finette » 54 … même si c’est bien de la part de Porché de venir à Berlin. Parce que je trouve qu’en tant que poète il ne vaut pas grand chose.
38Madame Reichenstein était stupéfaite que je décline poliment tout ça, elle a essayé de m’appâter : des milliers de prospectus avec écrit dessus : « Pierre Bertaux fera une conférence sur François Porché» etc. Ce qu’il y a de désagréable dans l’histoire, c’est que ces personnes touchent sans doute une rémunération du ministère comme Lescure. Car l’homme m’a dit, en me montrant les livres : « Gide, Thibaudet, Barbusse. Nous avons du Barbusse, sinon on dirait que nous touchons de l’argent du ministère et, en réalité, c’est faux. » Je trouve ça suspect. J’en parlerai aujourd’hui à Viénot. Je vais donner ma réponse aujourd’hui à 8 heures, mais ce sera sans doute : non. Je garderai quand même le contact pour le cas où le besoin s’en ferait sentir, également pour le cas où Supervielle viendrait à Berlin. Ils ne le connaissent pas.
39Puis j’ai dîné dans un restaurant chinois avec Denoyer, un Français, ainsi qu’avec des Allemands. Beaucoup de riz, merveilleusement bon, pour 2 Marks 20, avec deux verres de thé.
40Viens de recevoir la première lettre ; la logeuse n’avait pas prévenu la Poste, si bien qu’une lettre, peut-être de la banque, a déjà été estampillée « n’habite pas à l’adresse indiquée », mais peut-être puis-je encore la récupérer. Cela me fait tellment, tellement plaisir d’avoir des nouvelles de chez nous … Oui, c’est promis, je vais faire une photo. Et je pense tellement à notre Source. Les arbres devant ma fenêtre sont superbes : les bouleaux, les châtaigniers sont comme dorés ; les tilleuls n’ont plus que quelques rares feuilles rouges ; un jeune thuya, comme le nôtre, arrive déjà à la hauteur de ma fenêtre au deuxième étage. Ma fenêtre donne sur le Sud-Ouest, le soleil du matin vient me réveiller dans mon lit. Mais je dors chaque nuit au minimum 9 heures et souvent 10 heures. Peu à peu, je vais pouvoir mettre tout ça en route et organiser mon travail.
41Hier, après avoir écrit la lettre, je suis allé à la Humboldt-Stiftung pour lire les journaux et pour y déjeuner. Puis j’ai traversé la ville à pied en passant par le Tiergarten et Unter den Linden jusqu’à l’université ; le ministère prussien ayant donné son accord pour que je sois autorisé à m’inscrire, j’ai pris un rendez-vous. Ensuite je suis allé chez ce Steinbömer prendre le thé — avec Viénot et Allégret — (J’étais étonné de voir que je parle bien mieux allemand que Viénot). Steinbömer a été un camarade de l’ancien Kronprinz, il vient d’une famille de la grande bourgeoisie de Hambourg, a été officier d’Etat-major avant la guerre, a démissionné en 1913 pour faire du théâtre avec Reinhardt ; de nouveau officier pendant la guerre, depuis la fuite de l’Empereur, il vit un peu comme « un oiseau sur la branche », s’occupe d’histoire de l’art, de mouvements de jeunesse55 : très intéressant. Naturellement assez orienté à droite, catholique etc. Incidemment il a été question de la Neue Rundschau. Il m’a dit : aucun Allemand n’y écrit ou alors c’est par hasard. La maison Fischer est cosmopolite, juive ; alors il est impossible d’y trouver une image exacte de l’Allemagne. […] Il a parlé un peu des mouvements de jeunesse, par exemple des Jeunes-Conservateurs avec le périodique (qui, paraît-il, est intéressant) Das Gewissen de von Gleichen.56 […] Nadler est, pour lui, un grand homme. 57 Il faudra que je poursuive cette conversation avec Steinbömer.
42Marc Allégret ?58 Un peu beaucoup sauteur. Mais je vais quand même m’arranger pour qu’il voie Piscator ; et ce matin nous devons encore tenir une « conférence » dans la maison d’édition sur « Voyage au Congo ».59 Aron n’a pas envoyé le livre à la maison d’édition : peut-être pourriez vous me l’envoyer ? Je vais lui écrire cette après-midi.[…]
43Viénot par contre semble se débrouiller très bien ici et il est très aimable avec moi. Il doit me mettre en contact, vraisemblablement après son voyage, donc le 10 novembre, avec l’Ecole supérieure de Sciences Politiques60, avec de Margerie et de Prévaux (un beau-frère, je crois) et avec le ministre Becker.61 Cela tout à fait entre nous. Becker a un fils de 22 ans, je crois.
44Les Bermann m’avaient invité le soir à dîner en compagnie des Thomas Mann et des Fischer. Il a été beaucoup question de Heinrich Mann. Madame Mann surtout est en colère contre lui et raconte des choses sur les fiancées de Heinrich Mann. Mais sinon c’était drôle d’entendre ce refrain : « après tout il n’est pas si mal que ça ; d’ailleurs il se fait avec l’âge. Et il est si gentil, pas bien adroit bien sûr ; mais il aime bien sa fille. Par exemple, il n’aime pas qu’elle … » Puis nous avons eu droit à un concert ; des trios de Schubert et de Brahms. Je ne fais vraiment aucun cas de Brahms car toute la beauté de sa musique réside dans la technique. Mais le trio de Schubert était magnifique. C’était formidable de voir tout le monde à la fin danser de joie et fredonner et reprendre les mélodies, même le vieux Samuel Fischer ! Grandiose.
45Thomas Mann racontait que ça ne va pas très bien au PEN Club62 (nicht mit guten Sachen steht. On dit ça ?). Peut-être aussi parce que c’est son frère qui a été élu président.
46On parle ici beaucoup de Ponten, qui est, paraît-il, un drôle d’oiseau.63
47Heinrich Mann vient de m’appeler ; je dois l’accompagner ce soir au théâtre.
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Vendredi 28 octobre 192764
48Vous n’allez quand même pas dire que je n’écris pas assez souvent et que je ne donne pas assez de détails quand je raconte : j’ai envoyé aujourd’hui à 11h et demi la dernière lettre et à présent j’en écris une autre. C’est pour vous raconter comment je suis devenu homme d’affaire.
49Nous avions aujourd’hui un rendez-vous avec B.65 et Marc Allégret. Sur le chemin, j’ai rencontré le vieux Fischer qui se rendait aussi à la maison d’édition ; j’ai parlé avec lui du Voyage au Congo ; comme il m’a dit : « mais le Congo n’a jamais été une colonie allemande », j’ai eu une idée.
50Pendant l’entretien, j’ai parlé du Voyage au Cameroun66 qui doit aussi paraître ; Allégret et moi avons proposé à Bermann de publier les deux livres (avec les coupes nécessaires) en un seul volume et que le mot Cameroun figure aussi dans le titre.
51Puis j’ai songé que l’on pourrait mettre ça en rapport avec le film et Bermann a mis Allégret en contact avec un syndicat du film qui possède 600 salles en Allemagne. Gide est donc censé envoyer ici le Voyage au Congo et les épreuves du Cameroun afin de voir s’ils peuvent les prendre ici.
52J’espère avoir mérité mes royalties et j’espère que je les toucherai !!! Je pense que ce serait peut-être préférable d’en parler tout de suite à Aron pour qu’il sache que je m’en occupe.
53Mais ce ne sera pas facile de faire quelque chose pour des traductions. Ils ont très peur ici de la véritable littérature, d’œuvres importantes. C’est des essais qu’ils veulent, — et L’histoire d’un blanc de Soupault leur semble trop difficile.67 Par contre ils vont vraisemblablement accepter Cinq femmes sur une galère de Suzanne Normand, « en raison de la problématique sociale » (? ? ?).68 Il faudra que je reparle à Freissler, le lecteur de littérature française.69 Loerke semble avoir le titre et c’est Freissler qui fait le travail. 70
54Tout cela était comique. Je vais à présent m’habiller pour rencontrer Heinrich Mann à l’hôtel. Il était hier à déjeuner chez Fischer ; c’est pour ça qu’il a été beaucoup question de lui hier soir ; il a beaucoup plu, au-delà de toute attente, aux Fischer et aux Bermann, et voilà pourquoi Madame Thomas Mann était tellement en colère. Elle est quand même une « crouère », une « broutche » 71 et je crois qu’elle peut être extrêmement méchante.
55C’est curieux comme ici il y a des conventions, mais il n’y a pas de convenances ; ça m’avait surtout frappé dans les autres villes, d’ailleurs. Et puis, comme ils mettent leur fantaisie à choisir un uniforme. Et puis, comme les agents de police portent souvent des serviettes sous les bras ; avec l’uniforme ça jure. Et puis leur circulation automatique, dont ils sont très fiers ; s’ils avaient le tiers de la circulation parisienne, tout serait embouteillé. — On parle du départ de Margerie pour Rome ; est-ce sérieux ?
56Voilà déjà pas mal de choses mises en train ; il faut que je me fasse un petit programme pour aujourd’hui et pour la semaine. Dans 8 jours, je me fais immatriculer. — J’écris à Godart ; je fais faire quelques lettres. Pourrai-je recevoir la NRF avec les « Nouvelles Littéraires » ?
57À suivre
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Samedi 29 [octobre 1927]72
58Je me lève : je suis allé hier au théâtre avec Heinrich Mann : Dorothea Angermann de Gerhart Hauptmann au Deutsches Theater.73 C’est aux antipodes de Piscator. Peu d’applaudissements de la part du public ; et pourtant c’est complet à chaque fois. Très bien joué ; la pièce en elle-même est par endroits d’une grande beauté dramatique ; mais elle paraît surannée. Cette âme délicate qu’est Dorothea a succombé à la brutalité de la vie ; mais, depuis, on a fait l’expérience que la vie est d’une telle brutalité qu’il n’existe plus d’âme délicate capable de compassion. Nous sommes allés ensuite dans une Weinstube où se trouvaient déjà Wieger (?), lecteur chez Ullstein et critique des journaux de la maison d’édition, Faktor, rédacteur au Berliner Börsen-Kurier (Zeitung für Börse und Theater) et Wilhelm Herzog que je connaissais déjà. Et ce matin, j’ai fait la grasse matinée : le soleil brillait, le ciel était bleu ; le temps est doux, à peu près 14 degrés dehors. Les feuilles tombent.
59Est-ce que tu pourrais m’envoyer les deux ou trois meilleures photos de Heinrich Mann pour que je puisse faire des agrandissements pour lui ?
60La suite : samedi soir.
61J’ajoute encore pêle-mêle : Berlin est quand même une ville assez agréable et pas trop sombre — mais les chauffeurs sont une catastrophe et je suis encore plus prudent dans les rues qu’à Paris.
62Avant-hier j’étais au Tiergarten ; il y a encore des roses en fleurs. A plus de 50 mètres au moins j’ai reconnu une Madame Herriot, puis aussi une Malmaison, et cette rose qui se dresse à l’entrée près du châtaignier — appelée Aron Ward ; 74 j’ai songé alors à la Source, à tout ce qu’on y trouve.
63Je suis allé voir aujourd’hui Madame Reichenstein (la Juive russe de la Maison du Livre) pour décliner au sujet de François Porché. Mais je voulais quand même rester en contact, pour plus tard, et comme Benjamin Crémieux doit arriver bientôt, je vais finalement faire une conférence sur lui. Malheureusement, je n’ai pas beaucoup de documents ici. Je lui ai écrit aujourd’hui ; mais peut-être pourrais-tu me parler brièvement de lui ? Cela ne va pas me rapporter beaucoup : 10 marks ! Mais que diable ! J’étais très indécis, mais maintenant, c’est fait.
64J’ai déjeuné à la Fondation vers 2 heures. Puis le Dr. Göpel nous a invités, cet autre Français, Denoyer (Licencié en droit, ès lettres, Diplômé de Sciences po) et moi-même à prendre le café (on prononce souvent ici Káffe avec l’accent sur la première syllabe et un e muet à la fin). Göpel est jeune : 30 ans environ, très gentil, connaît beaucoup de choses, s’intéresse aux mouvements de jeunesse, à l’économie et à la politique ; il exerce parfois des activités de critique. Nous avons beaucoup parlé politique et de l’avenir des pays. Je crois qu’une traduction de Gide arriverait au bon moment. Dommage qu’il ne soit pas un Claude Anet. 75
65Puis je suis rentré chez moi et j’ai commencé à écrire. J’ai encore quelques lettres à écrire.
66Notes disparates : il faut que j’aille demain à midi à une lecture publique de textes de la toute dernière génération de jeunes écrivains allemands. Le soir, musique de chambre chez les Bermann. Lundi matin : je traduirai 2-3 pages avec Göpel ; l’occasion de voir ce qu’il vaut dans ce domaine. L’après-midi : Gamillscheg, Madame Rosenthal (amie de Tonnelat). Dans la semaine, Allégret, dire au revoir à Heinrich Mann, s’inscrire. La semaine d’après, conférence sur Crémieux.
67Qu’est-ce que tu en penses si je prenais Bernard Faÿ76 comme texte pour le débat dans mon cours ? Est-ce que l’intérêt ne résiderait pas justement dans le fait de pouvoir librement le contredire en parlant d’œuvres ou d’auteurs importants ?
68J’ai reçu le nouvel Almanach de Fischer. La position des éditeurs à l’égard des traductions est à peu près la suivante : il leur faut publier aussi des écrivains allemands : entre deux œuvres d’égale valeur, il faut publier l’œuvre allemande. Mais on doit quand même connaître la littérature étrangère ; que va-t-on traduire ? C’est dur d’avoir le courage de publier des œuvres qui ne rencontrent pas un succès « de masse » ; c’est pourquoi ils traduisent plutôt des choses plus faciles. Mais je trouve idiot à cet égard qu’ils donnent une image plaisante, fausse de la littérature étrangère en refusant les livres difficiles et exigeants.
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Dimanche matin, 30 octobre 192777
69Le temps est doux ; je le trouve même trop chaud et trop doux ; heureusement qu’il y a le vent, qui souffle parfois très fort. Je n’aurais jamais cru qu’il ferait trop chaud à Berlin. Mais ça peut changer très vite.
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Lundi 31 octobre 1927, 7 h. du soir
70Hier, « Morgenfeier der deutschen Jugend — Einleitende Worte von Jakob Schaffner — Werke von W. Bischoff und Griese ».78 J’ai pu en prendre pour mon grade : on a maudit tous ces représentants de maisons d’éditions étrangères (109 anglo-américains) qui font éditer des traductions au détriment de ces pauvres « echt deutschen ». D’ailleurs, il me semble qu’on pourrait représenter la position des éditeurs par rapport aux traductions sous la forme d’une espèce de partie carrée entre : 1) nation, 2) internationalisme, 3) argent, 4) esprit.
71Du point de vue nation, entre deux œuvres d’égale valeur, l’éditeur prend l’œuvre allemande (voir topo de Loerke dans le Fischer-Almanach).79 C’est le minimum ; d’autres vont plus loin, en excluant toute littérature étrangère.
72Mais le point de vue européen (weltlich) commande à l’éditeur de faire connaître chez lui les œuvres des pays voisins. Mais quelles œuvres ?
73L’esprit veut que ce soient des œuvres « d’une haute valeur intellectuelle, artistique (et encore : les vers exclus) ou sociale, économique, etc. ».
74Pour que l’argent rentre, il faut que ce soient des œuvres qui atteignent le grand public : il faut des œuvres faciles, aimables, attrayantes. (Conrad80 est le summum).
75Ces œuvres comparées aux œuvres allemandes, sont « glatter ». Tout homme sérieux préférera une œuvre sérieuse allemande. (Philippe Soupault est trop grave, je te l’ai déjà dit). On revient au no1, et on recommence. C’est le courage (le bon sens) de l’éditeur qui doit rompre le cercle en tel ou tel point. Et je ne crois pas que chez qui tu sais81 ça brille par là. En tout cas, voilà la situation, claire et nette. De sorte que je m’amuserai — si ça m’amuse.
76Tuyau : « Voleurs d’enfants » abgelehnt.82 Bermann me dit : « nicht geeignet » ; il dit à sa femme : « nicht gut », je crois. C’est le lecteur qui lui a dit ça. Il faut que je voie ce sinistre individu que paraît être Freissler. Je l’ai entrevu déjà. (Que ma lettre ne soit pas lue !)
77J’attends qu’Allégret reçoive le film ; il doit le montrer à un directeur de 600 cinémas. Allégret doit me téléphoner. Mais je n’ai pas bien confiance. Pourtant, je crois que l’occasion est favorable : on connaît le « Voyage au Congo », de titre, au Auswärtiges Amt, par exemple je suppose : Göpel connaît ça. Ça intéresserait. Le gros succès est pour Conrad et Upton Sinclair.83 C’est vrai qu’ils sont submergés de littérature américaine : Harris, Sinclair etc. Göpel a écrit dans une feuille de chou un éreintement de « Hoppla ! » de Piscator plus que de Toller. La propagande communiste leur flanque une frousse …
78Un joli nom est celui de « Edelkommunisten », types qui ne sont pas seulement des snobs. Phénomène intéressant, dur à éclaircir, que celui de ce communisme mondain : idéologie ? judaïsme ? snobisme ? pas seulement. Esprit nouveau ? Göpel disait quelque chose d’intéressant : différence entre les Jugendbewegungen activistes, radicales : droite et gauche pour la propagande et la Massenfütterung — et les Jugendbewegungen qui visent à l’éducation de l’individu. Le Sciences-po Denoyer parlait de nos mouvements de jeunes et je mettais au point : ici, sie lehnen alles Erwachsene ab, chez nous, ce sont des vieux qui font la réclame … Sur « Hoppla ! » je vais toujours vous envoyer les quelques lignes que j’ai sous la main. Il faudrait faire quelque chose de plus « explétif ». Après Crémieux, peut-être. Au Seminar, je prendrai d’abord Crémieux : d’une pierre deux coups. L’article sur « Hoppla ! » n’est pas possible à « Comœdia »84 pour 36 raisons : d’abord la place est prise … — une — par un imbécile — deux — ; et je méprise « Comœdia » plus que les « Nouvelles Littéraires ». Après, on verra. Quant à Toller, je peux le voir quand je veux ; il habite Grunewald, une maison de jardinier chez des amis de Fischer. Il paraît que « Schwalben »,85 ou quelque chose comme ça, est bien.
79Je n’ai pas reçu les « Nouvelles Littéraires » encore, t’en occupes-tu ou dois-je écrire ? Et pour la NRF ? Dis-moi, la prochaine fois. J’ai rétabli le contact avec Aron et Soupault.
80Tu ne réagis pas à l’idée de présenter « Das gastliche Haus » à Aron ? Dis-moi ce que tu en penses. […]
81J’ai touché aujourd’hui à Humboldt. Je suis très bien avec les « dirigeants », Zimmermann, sa femme, Göpel, Frl. Masson, dont je ne sais pas exactement quel est son rôle là-dedans. Secrétaire, mais mieux que cela ; alors, j’ai mon argent un jour d’avance. J’en fais profiter la Wirtin, qui a des embarras d’argent. […]
82Je retrouve dans mes papiers mes notes sur le Nietzsche-Archiv86. Quelle sale impression malgré l’affabilité de rats pleins d’eux-mêmes et gras, craignant qu’on ne les inquiète, ou qu’on ne les écoute pas. Ajoutez que Mme Förster-Nietzsche dit que Lichtenberger prépare un « Nietzsche als Erzieher », si j’ai bien compris.87 (Je crois plutôt me souvenir que c’était un sujet de travail qu’elle me proposait !) Ajoutez que son dernier mot était : « alles kommt von ihm, alles führt zu ihm ! » et des radotages sans fin sur son bon ami le prince roumain qui fait un opéra charmant appelé « Hypathie » qu’on doit donner à Paris. […]
83à propos, je n’irai pas voir Harden !88 J’ai appris sa mort à midi. Lungenentzündung. — J’ajouterai le reste d’ici demain. Envoyez-moi si possible les tuyaux sur Crémieux et les anthologies Kra89. Il paraît que les anthologies ne se vendent pas, mais qu’ici la critique se vend beaucoup. […]
84Je vais avoir à voir : Rosenthal, Hesnard,90 Steinbömer. Je dois recevoir un coup de téléphone d’Allégret, de Heinrich Mann quand il partira, des cartes pour la Hochschule de la part de Viénot, un mot de l’assistant de Gamillscheg. Je dois me faire immatriculer samedi. Tu savais que Döblin est Stockjude ?
85J’irai voir les autres quand j’aurai le temps, mais pour toi d’abord Toller, aussi Döblin, Wedderkop (« Querschnitt », Fischer-Verlag) et Theodor Wolf (« Berliner Tageblatt » et Fischer-Verlag). Pour Nostitz et le milieu Hochschule für Politik, j’attends le retour de Viénot. Aussi Lauret, Krell chez Ullstein. Puis Becker. Quand j’aurai fixé mes heures de cours, ça ira mieux pour le travail […] J’enverrai un article de Thomas Mann sur la jeunesse,91 au fond bien désaxé. Thomas Mann se sent à la dérive. […]
Annexe
Annexe à la lettre du 24 octobre 1927 : Article de Pierre Bertaux dans la Revue d’Allemagne, (1927/28, p. 369-372)
Le Théâtre de Piscator à Berlin
Maintenant que Reinhardt est en tournée aux Etats-Unis, la nouveauté de la saison théâtrale est la Piscator-Bühne. D’ailleurs, Max Reinhardt est en passe de devenir aussi classique que la Comédie-Française, et l’on va chercher à Moscou le renouvellement dont on a besoin. Car c’est de Moscou, exactement de la technique théâtrale de Meyerhold, que s’inspire Piscator.
Les tentatives de ce jeune régisseur et metteur en scène ne sont pas sans soulever des protestations nombreuses et violentes ; tantôt on lui reproche d’avoir fait un théâtre communiste pour gens du monde en smoking, fourrure et grand décolleté, un théâtre communiste subventionné par des industriels, des capitalistes, tantôt on lui reproche sa propagande. C’est à ce dernier grief que Piscator échappe le plus difficilement, quoiqu’il prétende que son théâtre n’est pas politique; il serait peut-être plus exact de dire que, si Piscator n’a pas nettement en vue de répandre un idéal politique, il a du moins la prétention, la volonté de faire l’éducation du public.
L’éducation du public, c’est à quoi tend toute sa technique théâtrale ; il ne s’agit plus pour Piscator de donner aux raffinés des plaisirs esthétiques, mais de conquérir la foule, de l’instruire, de l’éduquer, de la façonner. Le théâtre n’est pas un art, il est une force, une force à dégager, une puissance à exercer sur la masse des spectateurs. Voici le problème : étant donné d’une part une salle comble, de l’autre les procédés de la technique moderne, faire du public un « bon public », briser les barrières derrière lesquelles l’individu abrite sa personne, faire irruption en lui, abolir le sens critique, mater le spectateur, le briser, l’assouplir, le rendre docile à accepter la leçon que l’on va lui donner. Cette leçon n’est pas nécessairement communiste : dans la pièce du début de la saison, le mot de la fin : es muss etwas an der Welt verändert sein : le monde est mal fait, il faut y changer quelque chose, était simplement humain.
Dans ce nouvel impressionnisme où l’impression n’effleure pas, mais frappe et pénètre à la manière d’un instrument contondant, le texte devait passer au second plan, pâlir, s’effacer presque totalement ; c’est à peine s’il a plus d’importance que le scénario d’un film. Il est significatif que le nom de l’auteur ne figure que rarement auprès du titre. Les effets littéraires, trop délicats pour obtenir à coup sûr l’impression instantanée, inexorable, ont disparu : ils cèdent la place aux jeux de lumière, surtout au cinéma et à la musique.
C’est ainsi que le drame d’Ernst Toller : Hoppla ! Wir leben ! tel que je l’ai vu jouer, il y a deux mois, n’a plus que quelques points de contact avec la pièce écrite dont il fut parlé ici. Les personnages qui, à la lecture, peuvent donner l’impression de marionnettes, prennent sur la scène une force extraordinaire. Quant à l’abstraction que l’on a pu reprocher à la satire sociale de Toller, la mise en scène, la partie cinématographique surtout lui infuse tout le concret que l’on peut désirer.
La pièce commence par un film, un film de guerre : des soldats, des cadavres, des files de camions, des mitrailleuses, des canons, des explosions, des tranchées — puis l’armistice et la révolution dans les rues de Munich, de Berlin, les marins, les soldats révoltés — le mouvement écrasé, la réaction. Ces films sont accompagnés d’une musique étrange, sauvage, dans laquelle dominent des cuivres discordants. Cette musique insistante, frénétique parfois, — les fragments de films de quelques secondes, se succédant, se surimprimant, se brouillant, papillonnant, forcent et fatiguent l’attention, — tout cela fait le vide dans l’esprit du spectateur, abolit ce qu’il peut avoir de sens critique, l’incorpore à la masse du public, l’ouvre aux sentiments simples de la foule.
À ce moment la musique se tait, des voix s’élèvent, l’écran devient transparent et laisse entrevoir la scène : une cellule de prison, les révolutionnaires condamnés faisant leurs adieux à la vie : c’est le prologue. L’écran-rideau redevient opaque, la musique de nouveau fait rage, les années, de 1919 à 1927, défilent sur l’écran : la vie dans les usines, dans les boîtes de nuit, la Bourse, les courses de chevaux, les fêtes dans la rue, les élections, la guerre au Maroc, en Chine, les famines en Asie, la révolution à Vienne. À chaque changement d’année apparaît un cadran mystérieux qui tourne, tourne inexorablement : 1925, 1926, 1927 : le militarisme, l’impérialisme, le catholicisme, le nationalisme, ont reconquis leur puissance ; un canon monstrueux se dresse dans le ciel bleu — que sera demain ?
Malgré quelques bons interprètes — comme Granach dans ce rôle de l’ancien révolutionnaire Karl Thomas qui forme le seul lien entre des scènes aussi peu cohérentes que des scènes de revue — la Piscator-Bühne ne serait qu’un théâtre comme les autres si à chaque instant les accents de la musique, les rideaux demi transparents, un fragment de film, un éclairage étrange, ne nous rappelaient qu’il lui faut faire impression sous peine de perdre tout intérêt. Et Piscator sait à merveille attacher l’attention en lui proposant toujours un objet nouveau, un objet simple, mais qui produit son effet : la scène, par exemple, est occupée par un échafaudage avec plusieurs étages de cellules qui ne s’éclairent que les unes après les autres ; et dans chacune, il y a au plus deux ou trois jeux de lumière qui fascinent ; ainsi pour représenter un salon du Grand Hôtel, il suffit de la blancheur d’une nappe, de l’habit d’un maître d’hôtel et de quatre verres de champagne violemment dorés par le pinceau d’un projecteur.
Au sortir de la pièce, qui dure trois heures, et qui n’est coupée que d’un entr’acte, le spectateur est épuisé par cette course haletante à la poursuite des images ; mais cela fait partie, semble-t-il, de la méthode pédagogique, car la nouvelle représentation Rasputin, die Romanow, der Krieg, und das Volk, das gegen sie aufstand, d’après la pièce d’Alex Tolstoi, dure elle aussi trois heures, avec une seule interruption.
Cette fois l’échafaudage est remplacé sur la scène par une énorme calotte hémisphérique en toile qui tourne sans qu’on s’en aperçoive, surtout lorsque des films sont projetés sur elle ; dans cette calotte des panneaux se soulèvent, qui laissent apercevoir les décors, à droite, à gauche, en haut, en bas, partout à la fois, et obligent les regards du spectateur à sauter d’une scène à l’autre, sans pour cela que son attention soit jamais divisée ; chaque fois elle est habilement dirigée toute sur un point. Cette gymnastique de l’attention porte ses fruits, puisque le public écoute — comme il écoute le reste — des discours longs et authentiques de Kérensky ou de Lénine ou regarde sur un écran le portrait de tous les tsars accompagnés d’une petite leçon d’histoire sommaire qui se déroule en même temps sur un autre écran. Tous ces films se mêlant les uns aux autres et aux scènes parlées, tantôt successifs, tantôt simultanés, s’impriment, pénètrent le théâtre de toute part — dans les bonnes scènes, j’entends, dans les scènes caractéristiques — et, au lieu de former une toile de fond, un décor, ils s’incorporent à la substance même du drame. L’illusion cinématographique, accélérée, grouillante, brouille et enrichit l’action forcément simple, unilinéaire, comme dans ce tableau où Lénine prononce un discours, voilé par un écran à demi transparent, sur lequel se projette l’image d’une foule aux mille têtes.
Comment réagit le public ? A certains jours enthousiaste, à d’autres complètement froid ; il rappelle dix fois les acteurs ou les laisse partir sans un applaudissement ; mais toujours il vient, toujours la salle est comble, et l’on retire les pièces de l’affiche même lorsqu’elles ont le plus grand succès pour pouvoir en monter d’autres, en particulier le Dernier Empereur, de Jean-Richard Bloch, qu’on annonce pour le début de février.
Est-ce le même public qui encourageait Reinhardt et qui fait le succès de Piscator ? Sans doute il y a loin de l’un à l’autre ; alors que Reinhardt et Hofmannsthal, par exemple, au festival de Salzbourg prétendaient encore faire de l’art et satisfaire les besoins esthétiques les plus élevés, les plus raffinés de l’individu, Toller et Piscator voient dans le théâtre un puissant moyen d’action et d’éducation de la foule, de la masse. Pourtant, y a-t-il un abîme entre les réalisations de Reinhardt et celles de Piscator ? Celles-ci ne vont-elles pas dans le même sens, ne procèdent-elles même pas des principes de celles-là ? Si Piscator sacrifie complètement le texte à la mise en scène, n’est-ce pas sur celle-ci que Reinhardt mettait déjà l’accent ? Il semble que cette conception du théâtre éducateur du peuple ait été déjà celle de Hofmannsthal, pour qui Das Salzburger Grosse Welttheater avait bien quelque chose d’un manifeste anticommuniste ; et le paysan de Hofmannsthal voulait au moins autant nous édifier par son consentement à la bonté divine que le révolutionnaire Karl Thomas se suicidant dans sa cellule veut nous émouvoir et nous convaincre.
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Annexe à la lettre du 31 octobre 1927 :
Visite au Nietzsche-Archiv
Dans un grand jardin, une maison … luxe. Contraste avec chambre et cabinet de travail de Goethe (la petite table et la cuvette). Sur la porte, écriteau : le Nietzsche-Archiv est fermé aux étrangers. Coup de sonnette, sans réponse. En knickerbockers, arrive un homme. « Est-ce que je puis voir Mme Förster-Nietzsche » … « Das geht nicht » … « Pour lui remettre une carte de M. le Professeur Lichtenberger. » « Sie sind Franzose ? » Changement à vue. J’entre. Luxe. Luxe. Reçu en présence du type, que je soupçonne être Oehler, par cette vieille petite dame volubile, toute en rose et noir, qui me laisse à peine placer un mot. Tous deux très affables. « Mein guter Freund Lichtenberger. Wir haben eine Nietzsche-Tagung gehabt … Haben Sie es nicht gewußt ? Schade … Schade. Kommen Sie wohl noch wieder ? Sie könnten hier arbeiten, wenn Sie es wünschen. » Je parle de « Commerce » […]. « Quelle histoire regrettable. La professeur Bratiamo (qu’est-elle ? Roumaine ? Américaine ? Elle écrit un excellent allemand) m’a demandé quelque chose de totalement inédit ; ridicule ; j’ai donné ceci, dont j’ai eu le bonheur de retrouver la fin exacte dans des papier prêtés par une amie. Inédit sous cette forme primitive … Dites-moi, est-ce que je ne sais plus le français, ou est-ce que le français change ? Je ne comprends rien à ‘Commerce’. » Explications. « La langue allemande a beaucoup changé depuis mon frère ; le changement qu’il a opéré est tel, qu’on ne reviendra jamais là-dessus. Les grands hommes sont immortels. J’ai lu de Stendhal, ces jours-ci ‘Rome et Naples’ ; mon frère a découvert Stendhal, l’a rendu célèbre. C’était à Bâle ; en ce temps-là, la culture française était bien représentée à Bâle. Le livre est en quelque sorte venu à mon frère … »
« Je m’excuse, je me lève ». Mme Förster-Nietzsche se dit très fatiguée par la Tagung. Je crois bien, si elle cause comme ça tout le temps. — Le type me montre tous les portraits de Nietzsche les uns après les autres ; les manuscrits sont sous verre, les éditions en fac-similé. Encore des portraits, à Bâle, étudiant à Bonn, à Leipzig, etc. ; le portrait par Klinger. Au passage, remarqué : un portrait de Spengler, un grand livre sur Mussolini.
Je pars ; le type renouvelle son invitation (c’est Oehler), me demande des nouvelles d’Armance. (Rajouter au début : Mme Förster-Nietzsche : Connaissez-vous M. Armance ? Il est venu, je voudrais savoir son nom et son adresse).
Au fond, l’un dit : je suis le cousin de Nietzsche, l’autre : je suis la sœur de Nietzsche. Le larbin doit être au 4e degré quelque chose. — Il faut ça pour vivre d’un mort dans la maison d’un mort, et quel mort !, qui aujourd’hui aurait 84 ans.
Notes de bas de page
1 Pour le texte original, en allemand, cf. ci-dessous p. 378.
2 Il s’agit du Normalien Henri Jourdan, qui était depuis 1925 lecteur français à l’Université de Heidelberg. Jourdan (1901-1993) fut, par la suite, lecteur à Berlin (1928-1930), à Bonn (1930-1933), puis directeur de la Maison académique française à Berlin de 1933 à 1939. Après la Deuxième Guerre mondiale, il prit les fonctions de directeur des émissions en langue allemande de la radiodiffusion française, de directeur de l’Institut français à Londres (à partir de 1947) et de directeur de l’Institut français de Cologne de 1960 à 1966.
3 Pour le texte original, cf. ci-dessous, p. 378.
4 Le Dr. Simon était Heinrich Simon (1880-1941), le petit-fils du fondateur de la Frankfurter Zeitung, depuis 1919 co-propriétaire de ce grand quotidien libéral.
5 Il semble que Pierre Bertaux voyageait en compagnie de Herbert Dieckmann, dont il parle souvent dans les lettres suivantes. Herbert Dieckmann (1906-1986) avait fait des études à Paris en 1926 ainsi qu’à Heidelberg, Munich et Bonn ; en 1930, son directeur de thèse de doctorat sur Paul Claudel était Ernst Robert Curtius ; Dieckmann émigra en 1933 en Italie, ensuite (1934) en Turquie, et enfin (1938) aux Etats-Unis ; depuis 1945, citoyen américain, il enseigna en tant que romaniste à la Harvard University de 1950 à 1966 ; il était un éminent spécialiste du Siècle des Lumières.
6 L’auteur se sert ici des initiales des noms H.D. et E.R.C. dans l’original. S’il n’y a pas d’erreur possible, l’éditeur a choisi de remplacer ici comme dans les lettres suivantes ces abréviations par le nom complet des personnes dont il est question.
7 Herbert Dieckmann comptait parmi ses directeurs d’études, entre autres, Karl Jaspers, Karl Vossler, Ernst Robert Curtius, Charles Andler, Henri Brunschvicg et Friedrich Gundolf. Les ouvrages de Jaspers mentionnés sont de 1913 (Allgemeine Psychopathologie), et de 1919 (Psychologie der Weltanschauungen).
8 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 379.
9 Joseph Roth (1894-1939) fut collaborateur de la Frankfurter Zeitung de janvier 1923 jusqu’en 1929 ; il avait fait la connaissance de Félix Bertaux pendant son séjour à Paris en tant que correspondant de la Frankfurter Zeitung (FZ) en 1925/26 ; il fit en octobre 1927 un voyage en Sarre, sur lequel il publia une série d’articles dans la FZ du 16 novembre 1927 au 28 janvier 1928.
10 « La Source » est le nom de la maison que Félix Bertaux avait achetée à Sèvres, en 1923.
11 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 380.
12 Cf. ci-dessous, page 77, à la suite de la lettre du 31 octobre 1927, le texte non daté : Visite au Nietzsche-Archiv.
13 Gottfried Bermann (-Fischer) (1897-1995), médecin, avait épousé la fille de Samuel Fischer, le fondateur de la maison d’édition Fischer, Brigitte, avec laquelle Pierre Bertaux était lié d’amitié depuis 1925 ; à partir de 1925, Bermann assuma des responsabilités dans la direction de la maison d’édition Fischer ; Pierre Bertaux habitait tout près des Bermann-Fischer.
14 Heinrich Mann (1871-1950) qui avait été invité à une des Décades de Pontigny en 1923 par Félix Bertaux (cf. p. 91, note 32), fut au courant de l’arrivée de Pierre Bertaux ; au cours des années suivantes il le rencontra régulièrement quand il était à Berlin.
15 Eduard Wechssler (1869-1949) était le directeur du Romanisches Seminar de l’Université de Berlin, Unter den Linden, depuis 1920 ; il avait offert au jeune Pierre Bertaux d’assurer quelques cours de « Conversation française » dans le cadre du Romanisches Seminar. Le nom de Bertaux n’apparaissait pas dans le « Vorlesungsverzeichnis » puisque les modalités de son enseignement furent fixées seulement après son arrivée à Berlin.
16 Pour le texte original, cf. ci-dessous, p. 381.
17 Erwin Piscator (1893-1966), après des études d’histoire de l’art, fut, à ses débuts de metteur en scène, influencé par l’expressionnisme ; il développa une conception du théâtre comme lieu d’agitation et de sensibilisation politique ; la mise en scène de la pièce d’Ernst Toller, dont parle Pierre Bertaux, était l’apogée de son succès durant la République de Weimar ; il venait d’ouvrir le « Theater am Nollendorfer Platz » en 1927. Piscator travailla comme régisseur de théâtre et cinéaste surtout en URSS, de 1931 à 1936. Exil à Paris et, à partir de 1938, émigration aux Etats-Unis. Rentré en République fédérale d’Allemagne en 1951.
18 Le film d’origine russe (Cuirassé Potemkine) de Serge Eisenstein connut un succès extraordinaire depuis 1926.
19 Wilhelm Herzog (1884-1960), publiciste de gauche ; après des études de littérature allemande, il fut directeur de la revue Forum de 1914 à 1929 et un des traducteurs allemands de Romain Rolland. Il avait publié entre autres : Heinrich von Kleist. Sein Leben und Wirken, München, Beck, 1911, ainsi qu’un choix de textes de Lichtenberg : Georg Christoph Lichtenberg. Schriften, Jena, Diederichs, 1907, 2 vol.
20 Il s’agissait de l’histoire d’un imposteur qui se faisait passer pour un prince prussien et en avait donné le récit dans un livre qui fit sensation : Harry Domela : Der falsche Prinz. Leben und Abenteuer von Harry Domela. Im Gefängnis zu Köln von ihm selbst geschrieben Januar bis Juni 1927, Berlin, Malik Verlag, 1927.
21 Balder Olden (1882-1949), auteur de romans et journaliste à la Kölnische Zeitung, avait été prisonnier en Inde de 1916 à 1920 et vécut à Berlin à partir de 1920 ; en 1933, exil à Prague, en 1935 en France ; en 1940, interné dans un camp en France, il s’échappa pour se réfugier en Argentine ; il mourut à Montevideo.
22 Ernst Toller (1893-1939), après des études à Heidelberg, Munich et Grenoble, avait participé aux activités révolutionnaires à Munich après 1918 ; il fut condamné à 5 ans de travaux forcés ; il écrivit des drames expressionnistes pendant sa captivité et fut libéré en juin 1924 ; il venait de publier son drame Hoppla, wir leben ! en 1927. En 1929 il adhéra au « Groupe des pacifistes révolutionnaires ». Il quitta l’Allemagne en 1933 et fut déchu de ses droits civiques par les nazis ; ses stations d’exil furent la Suisse, la France (1935) et les Etats-Unis (1936), où, désespéré, il se donna la mort.
23 Walter Mehring (1896-1981), écrivain, auteur de romans, de nouvelles, de chansons et de textes satiriques ; co-fondateur du groupe Dada à Berlin et d’un cabaret politique ; il a vécu de 1924 à 1928 à Paris et a travaillé ensuite à Berlin, notamment avec Piscator ; en 1933 exil en France, à partir de 1940 aux Etats-Unis ; durant son exil américain, il a travaillé pour l’industrie cinématographique ; rentré en Europe en 1960 il vécut principalement en Suisse ; en 1976 il fut nommé professeur honoraire à Berlin.
24 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 384.
25 Jean Paulhan : Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les lettres, texte rédigé en 1925, version définitive parue en 1941.
26 Bernard Groethuysen (1880-1946) naquit à Berlin et fit ses études à Vienne, Munich et Berlin ; disciple de Georg Simmel et Wilhelm Dilthey, il soutint sa thèse de doctorat à Berlin ; Groethuysen vivait entre Berlin et Paris depuis 1905 ; interné, en tant que ressortissant allemand, en France, de 1914 à 1918, il y resta après la guerre et fit la connaissance d’André Gide ; à la demande de Jean Paulhan il devint collaborateur de la Nouvelle Revue Française fin 1920. Publiant dans plusieurs grandes revues culturelles françaises de l’entre-deux-guerres Groethuysen devint l’ami allemand d’écrivains français (entre autres d’André Malraux) et un des pivots des rencontres franco-allemandes et européennes à Pontigny, à Colpach (Luxembourg) et à l’Union pour la vérité (Paris). Il mourut auprès de ses amis au Luxembourg.
27 Philippe Soupault (1897-1990), écrivain et critique proche du mouvement Dada et des surréalistes, avait publié jusqu’à cette date entre autres : Allemagne nouvelle : la dérive, 1923 ; Le Voyage d’Horace Pirouelle, 1925 ; Histoire d’un Blanc, 1927.
28 C’est-à-dire Samuel Fischer (1859-1934) le fondateur de la maison d’édition portant son nom ; il vivait avec sa famille dans une grande villa à Berlin-Grunewald, Erdenerstraße 8.
29 Bruno Cassirer (1872-1941), études d’histoire de l’art ; directeur d’une maison d’édition spécialisée dans les beaux-arts, la littérature et la philosophie ; directeur de la revue Kunst und Künstler. En 1933, il transfère ses droits d’édition à une maison anti-national-socialiste en Suisse ; en 1938, émigration en Grande-Bretagne, depuis 1939 propriétaire de Bruno Cassirer Publishers Ltd. London.
30 Il s’agit de Hans Feist (1887-1952), écrivain et traducteur, après un doctorat en médecine (Berlin 1913), il avait traduit en 1927 Le dictateur de Jules Romains. En 1933, il s’exila en Suisse, et il retourna en Allemagne après 1945.
31 Jean-Richard Bloch (1884-1947) fit des études en histoire (agrégation en 1907) ; il se consacra exclusivement à une carrière d’écrivain et fonda la revue L’Effort libre en 1910 ; avant et après la guerre, contacts avec des expressionnistes allemands ; ami de Romain Rolland, il publiait principalement dans les revues Europe et Clarté.
32 C’est-à-dire Samuel Fischer.
33 Robert Aron (1878–1975), historien et intellectuel engagé dans les grands débats des « non-conformistes des années 1930 » ; il fut secrétaire de rédaction à la Revue des Deux Mondes ainsi qu’à la Nouvelle Revue Française de Gallimard de 1922 à 1939 ; chez Gallimard, Aron était le responsable de la littérature étrangère ; à ce titre il était l’interlocuteur de Pierre Bertaux.
34 Comédie de Heinrich Mann, publiée en 1924, première mise en scène en 1927.
35 L’auteur se sert souvent de cette abréviation en parlant de la Alexander-von-Humboldt-Stiftung.
36 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 384.
37 La Alexander-von-Humboldt-Stiftung, dont Pierre Bertaux était le seul boursier français en 1927, avait été créée en 1925 comme instrument de la politique culturelle extérieure dans le but de sortir l’Allemagne de son isolement international après la Première Guerre mondiale. Pour masquer l’origine gouvernementale de ces fonds le Ministère avait choisi un nom prestigieux à résonance scientifique : Alexander von Humboldt.
38 Il s’agit probablement de l’école libre des Sciences politiques, Paris, rue Saint Guillaume.
39 Cf. le texte en annexe à la lettre du 31 octobre 1927.
40 Allusion aux travaux lexicographiques de Félix Bertaux, qui travaillait alors à son Dictionnaire allemand-français (co-auteur Ernest Lepointe) ; cet ouvrage parut en 1941 ; les lettres de Pierre Bertaux témoignent de son rôle actif dans la préparation de ce dictionnaire.
41 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 386.
42 Pierre Viénot (1897-1944), intellectuel et homme politique proche de l’« Union pour la vérité » de Paul Desjardins et du cercle d’amis d’André Gide. Viénot fut chargé par l’industriel luxembourgeois émile Mayrisch de préparer une organisation d’entente entre la France et l’Allemagne. Il était le représentant de ce « Comité franco-allemand d’information et de documentation » à Berlin depuis octobre 1926.
43 Marc Allégret (1900-1973), cinéaste et compagnon d’André Gide, se trouvait à Berlin pour lancer son film Voyage au Congo (1927).
44 Gustav Steinbömer (1881-1972), militaire de carrière avant 1914 ; après la guerre, études d’histoire de l’art et collaboration au théâtre de Max Reinhardt ; écrivain et protagoniste du mouvement des « jeunes conservateurs » à la fin de la République de Weimar.
45 C’est-à-dire Bernard Groethuysen.
46 Il s’agit de l’ouvrage, controversé dès sa parution, du directeur du Romanisches Seminar, Eduard Wechssler : Esprit und Geist. Versuch einer Wesenskunde des Deutschen und des Franzosen, Bielefeld, Leipzig, Velhagen und Klasing, 1927.
47 Ernst Robert Curtius, qui avait fait la connaissance de Pierre Viénot à Pontigny et l’avait invité à Heidelberg en automne 1924.
48 Sur cette librairie française à Berlin, dont on avait peu d’informations jusqu’ici, cf. aussi les lettres suivantes.
49 Ernest Tonnelat (1887-1948) était professeur d’études germaniques (médiéviste) à la Sorbonne durant les années 1930 et l’un des directeurs de thèse d’Etat de Pierre Bertaux. En 1933, il succéda à Charles Andler dans sa chaire au Collège de France.
50 Henri Lichtenberger (1864-1941) fut avec Charles Andler le père fondateur des études germaniques en tant que discipline universitaire au début du xxe siècle. Il publia avant 1914 des livres sur Richard Wagner, Friedrich Nietzsche et l’Allemagne contemporaine, qui sont devenus des classiques. Après 1918, Lichtenberger joua un rôle important de médiateur entre la France et l’Allemagne, entre autres dans sa fonction de représentant du centre européen de la Fondation Carnegie préconisant l’entente internationale. Jusqu’à sa retraite en 1934, il était le directeur officiel des travaux de recherche effectués par Pierre Bertaux.
51 André Gide : Si le grain ne meurt, Paris, Gallimard, 1927.
52 Jean Boorsch, agrégé de lettres en 1929, faisait partie de la même promotion à l’Ecole normale supérieure (1926) que Pierre Bertaux ; il était professeur de littérature française à l’Université d’Harvard aux Etats-Unis à la fin de sa carrière.
53 François Porché (1877-1944) avait été un ami de Charles Péguy. Dans la série des « Conférences françaises » au Romanisches Seminar de l’Université de Berlin, Porché prononça une conférence sur « Paul Valéry et la Poésie pure » le 9 novembre 1927.
54 « Les Butors et la Finette » est un texte de François Porché, paru en 1918.
55 Steinbömer (cf. p. 60, note 44) publiait aussi sous le pseudonyme Gustav Hillard.
56 Das Gewissen. Unabhängige Zeitung für Volksbildung, 1919-1927 ; à partir de 1927, la revue passa sous la responsabilité rédactionnelle de Heinrich von Gleichen (1882-1959) en changeant de nom : Der Ring. Politische Wochenschrift. Erweiterte Fortsetzung des « Pressedienstes » und der Wochenschrift « Das Gewissen ».
57 Josef Nadler (1884-1963), germaniste et historien de la littérature allemande, était professeur aux Universités de Fribourg en Suisse (1912), Königsberg (1925) et Vienne (1931-1945) ; il exerça une influence considérable sur les études germaniques par son approche ethnique dans l’analyse de la littérature ; cf. Josef Nadler : Literaturgeschichte der deutschen Stämme und Landschaften, Regensburg, Habbel Verlag, 1912-1928, 4 vol.
58 Marc Allégret avait accompagné André Gide dans son voyage en Afrique équatoriale française (juin 1925 - mai 1926).
59 André Gide : Le voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1927, venait de paraître.
60 La « Deutsche Hochschule für Politik » avait été fondée à Berlin sur le modèle de l’Ecole libre de Sciences politiques de Paris, en 1920.
61 Carl Heinrich Becker (1876-1933) était le ministre prussien de l’éducation et des Cultes (Kultusminister) ; Bertaux a donc fait la connaissance de C. H. Becker par l’intermédiaire de Pierre Viénot.
62 La section allemande du PEN-Club fut fondée en 1923.
63 Josef Ponten (1883-1940) : études en histoire de l’art ; écrivain et essayiste expressionniste connu surtout par ses récits de voyage (Europäisches Reisebuch, 1928 ; Griechische Landschaften, 1915, 2 vol) : ouvrage principal Volk auf dem Wege. Roman der deutschen Unruhe, 1931-1942, 6 vol.
64 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 390.
65 Gottfried Bermann-Fischer ; cf. p. 51, note 13.
66 Son voyage en Afrique noire avait mené Gide du Gabon au Cameroun en passant par le Congo et le Tchad ; cf. André Gide : Le retour du Tchad, Paris, Gallimard, 1928.
67 Philippe Soupault : Histoire d’un Blanc, Paris, Gallimard, 1927 est un récit partiellement autobiographique racontant son enfance et son adolescence.
68 Suzanne Normand : Cinq femmes sur une galère. Un roman à succès, qui connaissait en 1927 sa 12e réédition.
69 Aux éditions Samuel Fischer, Ernst W. Freissler était traducteur et responsable pour la littérature étrangère depuis 1926.
70 Oskar Loerke (1884-1941), auteur de nombreux essais et textes lyriques, fut lecteur chez Fischer de 1917 jusqu’à sa mort ; il passe pour un des grands représentants de la « Naturlyrik » moderne en Allemagne.
71 Pierre Bertaux se sert plusieurs fois de ces expressions, apparemment des néologismes faisant partie du langage interne de la famille Bertaux.
72 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 391.
73 Il s’agit d’un drame de Gerhart Hauptmann (1862-1946) publié en 1926 ; Gerhart Hauptmann fut considéré par beaucoup de ses contemporains de la République de Weimar comme le plus prestigieux poète de langue allemande.
74 « Mme Herriot », « Malmaison » et « Aron Ward » sont des noms de variétés de roses.
75 Claude Anet, pseudonyme de Jean Schopfer (1868-1931), industriel, journaliste et écrivain ; Anet était alors de passage à Berlin.
76 Bernard Faÿ (1893-1978), historien spécialiste de la civilisation américaine et de la franc-maçonnerie ; collaborateur du Courrier royal du Comte de Paris ; en 1940 il est nommé administrateur de la Bibliothèque Nationale et professeur au Collège de France par le régime de Vichy et il participe à la persécution des Francs-Maçons.
77 Pour le texte original cf. ci-dessous, p. 393.
78 Jakob Schaffner (1875-1944), d’origine suisse, était un des protagonistes de la pensée « völkisch » ; en tant que poète, il fut influencé par l’expressionnisme et préconisait une synthèse entre nationalisme et socialisme ; ouvrage principal sous la République de Weimar : Die Predigt der Marienburg. Friedrich Griese (né en 1890), fils de paysan, était instituteur et auteur de romans dont l’action se déroule dans le milieu rural.
79 Dans le Fischer-Almanach, Berlin, Fischer, 1925, la première vue d’ensemble de la production de la maison d’édition depuis 1916, Loerke avait souligné le rôle éminent de Fischer pour la littérature allemande.
80 Joseph Conrad (1857-1924) fut publié par Fischer en traduction allemande en 22 volumes entre 1926 et 1939.
81 Allusion à la maison d’édition Fischer.
82 Le voleur d’enfants de Jules Supervielle venait de paraître en 1926.
83 Upton Sinclair (1878-1968) était publié en allemand par le Malik-Verlag depuis la fin de la Première Guerre mondiale.
84 Pierre Bertaux était en train d’écrire un article sur la mise en scène de Hoppla, wir leben ! de Toller ; il parle de Comœdia, un périodique fondé en 1907 et connu pour ses articles consacrés aux questions littéraires.
85 Ernst Toller : Das Schwalbenbuch, 1923.
86 Cf. ce texte en annexe à la présente lettre.
87 Elisabeth Förster-Nietzsche avait écrit une longue introduction à la traduction du livre que Henri Lichtenberger avait consacré à son frère. Cf. Henri Lichtenberger : Die Philosophie Friedrich Nietzsches. Eingeleitet und übersetzt von Elisabeth Förster-Nietzsche, Dresden, Leipzig 1899.
88 Maximilian Harden (1861-1927), un des publicistes les plus célèbres depuis la période wilhelminienne ; il fonda sa revue Die Zukunft en 1892 et se retira de la vie publique en 1922, après qu’on eut attenté à sa vie.
89 La petite maison d’édition de Simon Kra (Paris, rue Blanche) s’était spécialisée dans la publication d’auteurs étrangers ; le livre de Félix Bertaux sur la littérature allemande contemporaine fut édité par Kra.
90 Oswald Hesnard (1877-1936), professeur d’allemand ; vécut à Berlin de 1919 à 1932 ; durant ces années de Berlin il joua un rôle d’éminence grise dans les relations franco-allemandes, toujours au courant des événements diplomatiques en préparation.
91 Thomas Mann : « Unsere Jugend, meine Kinder », in : Berliner Tagblatt du 29 octobre 1927.
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