Les jumelages franco-allemands
p. 294-297
Texte intégral
1Près de 45 ans se sont écoulés depuis le jour où quelques maires allemands et français, bien décidés à tout tenter pour que ne s’installent pas, une fois de plus, entre leurs deux pays, la haine et le désir de revanche, se rencontrèrent en Suisse pour discuter des moyens concrets de parvenir à une réconciliation durable. Persuadés, selon une formule célèbre d’Édouard Herriot, que « si tout oppose les États, tout rapproche les communes », ils décidèrent de faire des collectivités locales le creuset où se forgerait la réconciliation d’abord, une amitié durable ensuite.
2Programme ambitieux, courageux, dont l’avenir devait prouver qu’il n’était pas utopique. Il ne faut pas croire cependant que tout fut facile : si les traces les plus dures de la Seconde Guerre mondiale commençaient à disparaître, le relèvement matériel et spirituel des nations n’en était encore qu’à ses débuts, et les pays européens connaissaient tous des difficultés internes importantes. Il fallut donc attendre le 31 mai 1950 avant que l’on pût célébrer le premier jumelage officiel entre Montbéliard et Ludwigsburg.
Montbéliard et Ludwigsburg – premier jumelage
3Choisies à dessin en raison de leur passé – le pays de Montbéliard avec la Franche-Comté, fit partie pendant longtemps du Saint-Empire – mais aussi parce qu’elles avaient toutes deux beaucoup souffert des deux guerres mondiales, ces deux villes symbolisaient le désir de deux peuples voisins de bâtir ensemble un avenir meilleur. Ce jumelage fut suivi peu après notamment par ceux entre les villes de Boulogne-Billancourt et Berlin-Neuköln, Meudon et Celle, Clichy et Heidenheim, Metz et Trèves, Troyes et Darmstadt.
4Il convient également de citer celui entre Dijon et Mayence, conclu le 5 mai 1958, entre deux maires, M. Franz Stein pour Mayence et le Chanoine Kir pour Dijon, qui a été Maire de sa ville pendant une longue période et fut un grand résistant, mais aussi un ardent défenseur de la cause de la paix et de l’Europe. Mais l’aube fut longue à se lever véritablement : en 7 ans, de 1950 à 1957, on ne compte que 23 jumelages franco-allemands. C’était peu, mais c’était beaucoup à la fois, car le mouvement était lancé.
5Créé le 28 janvier 1951 à Genève, le Conseil des Communes et des Régions d’Europe (C.C.R.E.) s’est fixé comme double objectif la défense de l’autonomie communale et la promotion d’une Communauté des États européens, fondée précisément sur des collectivités locales autonomes.
6Le jumelage devait être le moyen privilégié de développer l’esprit européen dans les populations : « de la commune à l’Europe, en quelque sorte », chacun sentant bien que l’unité européenne ne pouvait se concevoir sans le rapprochement préalable de la France et de l’Allemagne. C’est pourquoi dans les deux pays, les maires et élus locaux organisèrent leur action avec vigueur au sein de l’Organisation. Cet engagement permit d’accroître rapidement le rythme des jumelages, entraînant des échanges réguliers de part et d’autre du Rhin, créant un « climat » qui devait amener les chefs d’État et de gouvernement à reconnaître l’amitié franco-allemande et à en faire un des éléments fondamentaux de leur politique. Ce fut notamment l’œuvre du général de Gaulle et du chancelier Adenauer aboutissant à la signature, en 1963, du Traité sur la coopération franco-allemande.
7Ce traité fut en quelque sorte, selon la définition du Président du Sénat français, M. Alain Poher, « la suite logique des premières initiatives de rapprochement tentées dans le cadre des jumelages ». Par la création d’un Office franco-allemand pour la Jeunesse, il a permis de développer et d’approfondir les échanges des jeunes entre les deux pays. C’est un fait remarquable qu’au cours des années qui suivirent l’installation de l’OFAJ, le nombre des jumelages s’est très rapidement élevé, passant de 120 en 1962 à la veille du traité, à 600 en 1973, pour le 10e anniversaire du traité.
8L’année 1981 verra la célébration du 1.000e jumelage franco-allemand et aujourd’hui près de 1.400 jumelages unissent les communes de nos deux pays, représentant les trois quarts des populations, soit plus de 80 millions de citoyens.
9À l’occasion du xxe anniversaire du Traité en 1983, et pour marquer l’importance qu’il revêt à leurs yeux, plus de 2.000 maires de communes jumelées françaises et allemandes étaient réunis pour la première fois à Paris, à l’initiative du C.C.R.E.
Des jumelages variés, des activités harmonieuses
10À la suite de la réforme des collectivités locales amorcée en Allemagne, réforme qui a abouti à des regroupements ou à des fusions plus ou moins importantes suivant les Länder, des solutions ont été recherchées pour permettre aux villages français de participer eux aussi aux échanges intercommunaux. Ce sont les communes elles-mêmes qui, empiriquement, les ont trouvées, soit en réalisant le jumelage sur le plan d’un canton, d’un district ou d’un Sivom, soit en se regroupant avec quelques communes voisines au sein d’une association ad hoc. Actuellement 200 communes françaises sont jumelées de cette manière.
11Parallèlement, est apparue une forme de jumelage élargie conclu entre départements ou régions français et les Kreise ou Länder allemands. Ces jumelages un peu particuliers avaient surtout pour but à l’origine de donner un cadre géographique aux jumelages de communes, et faciliter ainsi les échanges. De cette façon l’Orne s’est jumelée avec le Landkreis de Rothenburg, le Morbihan avec le Landkreis de Cologne, le Calvados avec la Basse-Franconie, la Mayenne avec le Bezirk de Souabe. Sur le plan des régions, deux régions industrielles (la région Rhône-Alpes et la Rhénanie-Palatinat), deux régions maritimes (la Normandie et la Basse-Saxe) ont également pris la décision de conclure entre elles un jumelage. Sans qu’il y ait un véritable pacte entre la Région Rhône-Alpes et la Hesse, le jumelage de Francfort et de Lyon a entraîné une sorte d’accord tacite entre ces deux régions pour que soient privilégiés les jumelages intercommunaux entre elles. De même celui de Bordeaux et de Munich a-t-il provoqué un certain nombre de jumelages entre la Bavière et l’Aquitaine.
12Il est à noter que ces jumelages, tout en ne reniant pas les motivations premières qui les ont suscités, ont un but précis, celui de mettre en contact deux régions avec leurs élus (conseils généraux et régionaux), leurs services administratifs (service d’action sanitaire et sociale, voirie départementale, service d’incendie, gendarmerie, etc.), leurs établissements scolaires et universitaires, leurs associations culturelles, sportives, etc.
13On pourrait publier plusieurs volumes si l’on voulait décrire dans le détail tout ce qui se passe dans les communes jumelées. Le nombre et la diversité des échanges confondraient facilement les sceptiques et les malveillants qui croient que les jumelages ne sont que prétextes à réjouissances et à fêtes folkloriques, encore que celles-ci doivent aussi figurer aux programmes : le mariage ne se conçoit pas sans la fête.
14Si les échanges scolaires tiennent une place des plus importantes, les sportifs eux aussi se déplacent volontiers pour disputer des matchs amicaux avec leurs jumeaux. Les « Jeux sans Frontières », les tournois internationaux regroupant les athlètes des villes partenaires sont monnaie courante. Mais les écoliers, les sportifs ne sont pas les seuls bénéficiaires du jumelage : les professionnels, jeunes et adultes, participent aussi à ces activités.
15À l’occasion de « semaines » françaises ou allemandes, de foires annuelles, des artisans de toute sorte (cuisiniers, boulangers, coiffeurs, menuisiers ...) viennent faire des démonstrations dans la ville jumelle. Les professions libérales (médecins, architectes, etc.) ont aussi leurs programmes d’échanges. Enfin, les élus eux-mêmes se rencontrent périodiquement, en conseils exceptionnels, afin de comparer les modes de gestion communale dans leur pays, de plus en plus souvent étudier et mener ensemble des projets, entre eux ou à l’égard d’autres communes, européennes ou du Tiers-Monde.
16Toutes ces rencontres, ces échanges ont un point commun et sont basées sur un principe absolu : leurs participants sont logés chez l’habitant. C’est ainsi, et ainsi seulement, qu’ils peuvent apprendre à se connaître, et que se nouent des amitiés durables, et parfois plus, comme en témoignent les enfants déjà nombreux nés de mariages conçus à l’occasion d’un jumelage.
17Voilà un tableau bien idyllique, pensera-t-on. Ainsi sur les 1.400 jumelages franco-allemands réalisés, on ne compterait que des succès ? N’ayons pas cette prétention et reconnaissons qu’il y a aussi eu des réalisations moins positives. Une chose est sûre cependant, les « ruptures » sont extrêmement rares, et cela en dépit de changements politiques parfois importants à la tête des municipalités. La difficulté, aujourd’hui, réside dans la « banalisation » des voyages et dans la facilité qui nous est donnée de rencontrer des habitants d’autres pays. Ce qui ressemblait à une « aventure » en 1963 est aujourd’hui un acte familier.
Alors, quel avenir pour les jumelages ?
18L’avenir passe, nous semble-t-il, par une nouvelle dimension à donner à ces échanges : la mise en œuvre de projets communs, la réflexion sur les grands problèmes politiques, économiques, moraux qui se posent à notre société, la coopération intercommunale, l’aide aux communes défavorisées ou sinistrées, l’organisation de séjours pour les jeunes avec objectifs précis, la connaissance réciproque et la mise en valeur commune du patrimoine culturel général.
19Il faut enfin ne pas oublier que les jumelages franco-allemands, créés au départ avec l’objectif de la réconciliation franco-allemande, s’inscrivent maintenant dans une politique plus large de construction européenne.
20Aujourd’hui, comme au cours de ces trente ans, la compréhension franco-allemande reste le meilleur moteur et garant des progrès de la construction européenne. Ils en constituent la base puisque 70% des communes françaises jumelées le sont avec une commune allemande ... et réciproquement. Aujourd’hui, avec la réunification allemande, de nouveaux espaces s’ouvrent aux jumelages qui, jusque là, étaient freinés par les problèmes de taille et de nombre des communes dans nos deux pays.
21À l’origine d’un mouvement d’opinion, chez les citoyens et chez les élus, les jumelages de communes françaises et allemandes ont favorisé la mise en œuvre du Traité franco-allemand qui, à son tour, a donné une impulsion décisive à ce mouvement de rencontre des citoyens et de coopération intercommunale transfrontalière.
22Plus de quarante ans après la naissance des jumelages, leur nombre croissant témoigne de la vitalité et de l’importance toujours plus actuelle de l’action des élus locaux et des populations dans la construction européenne, donnant toute sa valeur au propos de Robert Schuman « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ».
23Solidarité que les jumelages réalisent chaque jour davantage.
Auteur
Ancien Ministre. Député-Maire d’Issy-les-Moulineaux. Secrétaire général adjoint de l’U.D.F., Secrétaire général du parti social-démocrate, Co-Président de la Commission franco-allemande. Conseil des Communes et Régions d’Europe.
Livres publiés : L’aide de l’État à la presse, PUF, 1966 ; Le régime fiscal des sociétés étrangères en droit comparé, Paris, Éd. A. Pedone, 1985 ; Sécurité, enjeu public numéro 1, Paris, Michel Lafon-Carrère, 1986 ; L’État et la presse, LITEC, 1990 ; C’est mon opinion et je la partage, Paris, Albin Michel, 1992.
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