Le bild*
De Jean du Rivau à Joseph Rovan
p. 265-272
Texte intégral
1Le chantier européen devant lequel nous nous trouvons au début des années 1990 n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’était l’Europe il y a un peu plus de vingt ans, au moment où nous quittait le Père Jean du Rivau, ni non plus avec ce qu’elle était quand il arrivait en Allemagne comme aumônier de la Base 901, au printemps de 1945. Mais il semble que, devant ce grand bouleversement que nous sommes en train de vivre, nous pouvons tirer quelque profit d’une méditation sur ce qui a motivé et inspiré son action et doit encore sans doute motiver et inspirer la nôtre.
2Dans le courant de juin 1945, un aumônier militaire de la première Armée française rendait visite au curé allemand d’une paroisse de Ludwigshafen. La conversation lui révéla l’ampleur du désarroi de son confrère devant le désastre de son pays. Il lui demanda alors s’il serait bon que des catholiques français aidassent les catholiques allemands. La réponse fut :
« Nous ne savons ni ce qu’on fera de nous, ni où nous allons, ni ce qui se passe dans le monde. D’abord, informez-nous ».
3On peut avoir quelque peine, aujourd’hui, à se représenter ce qu’une telle entrevue avait d’insolite. Au sortir de l’Occupation, et après la découverte des horreurs des camps de concentration, nombre de Français n’avaient que rancœur et haine pour l’Allemagne, et du mépris pour les Allemands. Qu’un aumônier militaire rencontre des Allemands, c’était déjà peu banal. Leur proposer l’aide de catholiques français était d’autant plus téméraire que l’Aumônier en question n’avait pour ce faire ni mandat ni moyen d’action, et qu’il était d’ailleurs tout à fait inconnu.
4Cet aumônier militaire était un jésuite de quarante-deux ans, Jean du Rivau.
5Ce n’était pas un germanisant. Lui qui a passé sa vie à établir des contacts entre Allemands et Français, il ignora toujours l’allemand. Mais il fut le premier Français à être décoré de l’Ordre du Mérite de la République fédérale. Ce n’était pas non plus un pacifiste. Officier en 1939-40, il s’était battu et avait été fait prisonnier. Évadé, il avait été décoré.
6Il n’avait pas, ainsi que la plupart de ses contemporains, de formation politique. Lorsqu’il entre dans la vie active, en 1939, comme adjoint du P. Risquer à la « Conférence Laënnec », on pense plutôt, dans le monde religieux ouvert, en termes d’action sociale qui unit quand la politique divise. Dans les Chantiers de Jeunesse où il est aumônier de 1940 à 1944, il semble avoir délibérément décidé de ne voir que les possibilités de préparation des jeunes pour le moment de la Libération. Il devait s’en expliquer avec le général de Lattre au cours d’une entrevue orageuse. À l’époque, cette manière de voir ne lui valut pas que des amis.
Informez-nous !
7Il ne paraissait donc nullement prédestiné à jouer un rôle international. En 1939, juste avant la guerre, il est nommé Préfet des Études à l’École Sainte-Geneviève de Versailles. Un séjour en Angleterre, un voyage en Tchécoslovaquie avec des étudiants, cela ne donne guère d’indications sur une vocation. Ce n’était pas non plus un intellectuel. Il avait suivi le cursus des études de son Ordre et ne s’en repentait pas. Il avait de l’estime pour les travaux de l’intelligence et de la recherche, à condition qu’ils ne se perdent pas dans l’abstraction. Mais lui était fait pour l’action.
8Intuitif, avec un don de contact étonnant, il était prompt à discerner l’aspect humain des questions, à percevoir et à mettre en œuvre les moyens de l’action. Le savoir pour lui-même n’était pas son fait. Sa connaissance de l’Allemagne et des Allemands, il la tenait moins des livres que de ses conversations. Il écoutait, il sentait les problèmes et retenait ce qui était nécessaire pour éclairer et nourrir l’action.
9Adressée à un tel homme, la requête du curé de Ludwigshafen ne pouvait rester un propos émouvant et sans suite.
10« Informez-nous » avait dit le prêtre. Jean du Rivau commença par s’informer lui-même, à sa manière, c’est-à-dire en prenant contact avec des personnes susceptibles de lui donner des éléments concrets d’appréciation de la situation. En quelques semaines, il rencontre un directeur d’usine à Heidelberg, un aumônier d’hôpital et un curé à Mannheim, une famille de Baden-Baden, Mgr Gröber, dont il n’ignore peut-être pas les naïvetés au début du régime hitlérien, mais qui est l’archevêque de Fribourg-en-Brisgau, le diocèse où il allait résider (à Offenbourg).
11Dans ces conversations, il prend conscience d’abord de l’espèce de désespoir où sont plongés ses interlocuteurs, à cause non seulement de l’effondrement et de l’occupation, mais aussi de la présence de l’Armée Rouge au cœur du pays. Et il découvre que les Allemands aussi ont eu à souffrir de la dictature nazie et ont payé parfois très cher leur résistance. Seize prêtres du diocèse de Fribourg ont été internés à Dachau, huit y sont morts.
12Sans doute l’angoisse devant l’occupation soviétique d’une partie de l’Allemagne était-elle dans une certaine mesure aussi nourrie de la propagande anticommuniste du régime et du traditionnel mépris des Germains pour les Slaves. Et, à ce moment, l’opinion publique occidentale était plutôt portée à célébrer la participation de l’Armée Rouge à la victoire sur l’Allemagne hitlérienne.
13Mais ce que Jean du Rivau avait sous les yeux, c’était des monceaux de ruines dans les villes, l’effondrement économique et la pénurie, l’accablement des gens. À ce moment, d’ailleurs, la situation politique et économique en France, passée l’allégresse de la Libération et de la capitulation allemande, ne soulevait pas l’enthousiasme. La Belgique, les Pays-Bas, l’Italie étaient exsangues. L’Europe occidentale apparaissait comme un immense chantier et la présence soviétique sur l’Elbe renforçait l’urgence de la reconstruction si l’Occident voulait survivre avec ses valeurs spirituelles propres.
14Mais comment reconstruire ? Avec quels moyens ?
15Vers cette époque se produisit un petit fait, insignifiant en apparence mais auquel Jean du Rivau devait toujours donner une grande importance symbolique. Se trouvant à l’entrée du pont qui relie Ludwigshafen et Mannheim, il vit un soldat français se diriger vers la rive droite du Rhin. Il lui demanda ce qu’il allait faire en zone américaine. « Je vais voir mes frères », répondit le soldat. – « Quels frères ? Tu as des frères en Allemagne ? » – « Je suis communiste. Et je vais voir de l’autre côté s’il y a encore des communistes ».
16Ces deux événements, entretien avec le curé de Ludwigshagen, rencontre avec le soldat communiste, ont eu un rôle fondateur et le second, souvent raconté, et pas toujours de la même manière, acquit une valeur mythique. Interrogé à l’occasion du dixième anniversaire du B.I.L.D. en 1955, par les Informations catholiques internationales, Jean du Rivau situe là le point de départ de son action. Quelle action ? à partir de ces impressions, de ces informations, que faire ? Comment tout cela pouvait-il prendre corps ? Puisqu’il fallait bien commencer par quelque chose et que le besoin d’information paraissait le premier, Jean du Rivau décida de créer des revues. Revues bien modestes, bulletins plutôt, financés par sa solde d’aumônier-capitaine, qu’il intitule Documents et Dokumente. Le numéro un de chacune est daté du mois d’août de cette année 1945. Une revue dans chaque langue pour informer chacun sur le pays de l’autre. Et déjà apparaît ce qui restera un principe absolument fondamental : entre Allemands et Français, si l’on veut qu’il y ait dialogue, il faut que ce soit entre égaux. Nulle condescendance, nulle différence de traitement entre les uns et les autres n’étaient tolérable. Rappelons que ceci se passait en 1945.
17Un court texte, « en guise de présentation », qui sert de préface au numéro un de Documents, dit tout cela :
« Notre but en publiant ces divers documents est uniquement de servir et de renseigner de part et d’autre sur les faits et gestes de l’un et de l’autre.
Nous ne voulons pas prendre parti, nous désirons simplement éclairer les uns et les autres par des textes et permettre un jour venant de commencer à parler.
Nos publications sont simplement un instrument de travail, une information. Si l’on veut savoir ce qui se passe de l’autre côté du mur, il est généralement nécessaire de regarder par-dessus ».
18Tout est dans ces quelques mots : le refus de prendre parti, c’est-à-dire d’exclure, la volonté d’impartialité, la réciprocité totale, le désir de servir, la méthode : proposer des faits, des textes pour permettre à chacun de se faire une opinion, l’espoir qu’il sera un jour possible de parler. Ce jour devait venir plus vite que personne n’eût oser, à ce moment, l’espérer.
19Dans ce premier numéro, on peut prendre connaissance des Directives données par le Cardinal Faulhaber au clergé de Munich en juin, de la Lettre pastorale de Mgr Gröber, du 8 mai, de la Lettre commune des Évêques de Bavière, datée du 27 juin, d’une réflexion d’un jésuite allemand sur les camps de concentration. Enfin, il y a un « supplément » qui n’est autre que le récit, sous forme anonyme, des entretiens qui ont été au point de départ de l’entreprise. En contrepoint des paroles institutionnelles, la voix du petit peuple !
Le BILD, un centre de rencontres
20Dans la forme, ces cahiers s’inspirent des Dossiers de l’Action populaire, publiés par les Jésuites de Vanves. Comme eux, ils sont distribués en fiches numérotées, propres à constituer une documentation commode pour l’action.
21Mais l’activité multiforme de la maison de Vanves donne aussi à Jean du Rivau l’idée de créer un centre qui rendrait possible une action diversifiée : il y aurait la rédaction de deux revues, et un lieu de rencontre et de réflexion.
22Ainsi naquit, à la fin de 1945, dans les locaux de l’Aumônerie, à Offenbourg en Bade, le Centre d’Échanges Culturel, Économique et Social, auquel son nom ronflant servait de cache-misère et qui se transforma bientôt en Bureau International de Liaison et de Documentation, dont l’équivalent allemand fut la Gesellschaft für übernationale Zusammenarbeit. Toujours l’égalité : deux revues, allemande et française, deux associations, allemande et française, chacune comprenant des membres des deux nationalités. L’intitulé français insiste sur la volonté de créer des liens et d’informer, l’allemand met en valeur le projet de « travail en commun » par-dessus les frontières nationales.
23Dans un rapport du début de 1946, Jean du Rivau précise les objectifs de cette création.
24Le but est de « construire la paix sur le fondement de la réconciliation des peuples ». Dans cette action, les catholiques français ont un grand rôle à jouer : mieux encore que les communistes, ils doivent comprendre qu’ils ont des frères de l’autre côté du Rhin, les catholiques allemands, à aider à sortir de l’isolement où les ont plongés la guerre, le nazisme et la persécution.
25Mais « nous nous sommes aperçus qu’une tâche infiniment plus large qu’un rapprochement entre catholiques français et allemands sollicitait l’activité du Centre ». En effet, l’Allemagne, « champ clos où s’affrontent les forces mondiales » est appelée, de par sa position centrale, « à jouer un rôle de premier plan dans l’Europe de demain ». L’action proposée, qui devrait englober aussi les pays anglo-saxons, n’a pas l’intention « de mettre en tutelle le catholicisme allemand, mais de lui venir en aide à résoudre le problème difficile en face duquel il se trouve, problème qui engage l’avenir de l’Allemagne et du monde entier ».
26On aura compris que cette insistance sur l’Église et les catholiques allemands ne comporte aucune exclusive. Jean du Rivau ne raisonne pas en partisan mais en homme d’action. Il lui faut un point de départ, la fraternité postulée des catholiques le lui fournit. Mais son regard porte au-delà des limites confessionnelles.
27D’ailleurs tout le rapport invite à dépasser ce qui divise et sépare, à rassembler pour construire. Sur les moyens politiques de cette construction, rien :
«Notre seule ambition est de contribuer à établir en Europe et dans le monde ‘la Paix du Christ par le Règne du Christ’».
28Cette parole pontificale peut indiquer un but aux catholiques, elle ne tient pas lieu de pensée politique.
29Plus original, étant donné les intentions proclamées du Centre, est le refus de se laisser enfermer dans le rapprochement franco-allemand des catholiques. Celui-ci est l’élément d’un ensemble plus vaste. Mais, de par la situation géopolitique des deux peuples et de leur passé, sa valeur symbolique est immense et exemplaire.
30On trouve exprimée dans des rapports l’idée mère dont tout devait sortir par la suite. Au contact des réalités, des naïvetés disparaîtraient ; des activités alors imprévisibles seraient organisées ; l’environnement politique et économique serait modifié par l’instauration de la République fédérale, l’Allemagne devenant de plus en plus maîtresse de son destin. Mais tout se développera dans une sorte de fidélité profonde et instinctive à l’intuition créatrice originelle.
Revues et rencontres
31Sans prétendre faire l’histoire de ces développements, ce qui excéderait notablement le cadre de ces notes, il est tout de même possible d’en donner quelque idée.
32Les deux revues Documents et Dokumente, les premières nées, cessent vite d’être ces bulletins un peu misérables du début. Elles deviennent mensuelles. Dokumente parvient même un instant au tirage fabuleux de 60.000 exemplaires. Documents s’intitule désormais Revue des questions allemandes et justifie pleinement ce sous-titre par une richesse d’informations due au dynamisme d’une équipe rédactionnelle qui établit, « à travers les Allemagnes », un réseau de correspondants et d’amis. On peut dire que rien de ce qui constitue la vie allemande de cette époque, à l’Est comme à l’Ouest, n’est oublié. La nouvelle armée allemande, les réfugiés, les problèmes économiques et religieux, les relations entre les gouvernements, la jeune littérature, tout est présenté au public français. Borchert, Böll, le futur prix Nobel, sont traduits pour la première fois en français tandis que, sous l’égide de Dokumente, est publiée en allemand une traduction de la célèbre lettre pastorale du Cardinal Suhard, « Essor ou déclin de l’Église » ?
33Les deux revues publient des numéros hors série. En allemand : « L’Afrique et l’Europe » (1953), « Le film en Europe » (1955), « La culture française » (1961 et 1962), « L’économie française » (1961). En français : « L’Art allemand contemporain » (1951), « Architecture et reconstruction en Allemagne » (1952), « Économie allemande » (1962), « Arts, Lettres, Spectacles en Allemagne » (1964).
34L’autre volet de l’action du BILD était constitué par les rencontres. Elles débutèrent en 1947 pour des étudiants, à Überlingen, sur le Lac de Constance, à Lahr, en pays de Bade, pour des écrivains et des sociologues. L’année suivante, ce fut Royaumont. Pour la première fois depuis la guerre, des Allemands étaient invités en groupe à participer à un colloque avec des Français.
35Beaucoup d’autres devaient suivre. Un « Rapport d’activité » de 1964 donne quelques chiffres. À cette date, il y avait eu plus de 10.000 échanges familiaux, plus de 170 rencontres de jeunes, 59 de militants politiques ou syndicalistes, 12 de travailleurs sociaux, 27 de militants de mouvements familiaux, 10 de jeunes ruraux ... Sans parler des voyages d’études : critiques d’art allemands à Paris, architectes à Paris et au Havre. Et d’innombrables voyageurs transitaient par Offenburg, de tous horizons religieux ou politiques, à la recherche d’informations et d’adresses.
36Une mention spéciale doit être faite pour l’opération en faveur des réfugiés. Il s’agissait d’Allemands expulsés de Pologne ou de Bohême et parqués dans des camps. En 1950 et les années suivantes, le BILD envoya dans ces camps de l’Allemagne du Nord des groupes de jeunes Français, Belges, Néerlandais, pour vivre au contact des réfugiés. Puis il apparut nécessaire de prolonger ces « missions » en s’occupant des enfants des camps. Grâce à la coopération de divers organismes, il fut possible d’envoyer, en 1951, 450 enfants allemands passer un mois de vacances dans des familles françaises. Ils étaient 900 en 1952 et 1.400 en 1953, pour deux mois.
37Il est évident que Jean du Rivau ne fut pas personnellement le maître d’œuvre de chacune de ces activités. Son art était de faire confiance à une équipe qu’il avait réunie, le soutenant dans ses initiatives et dans son dynamisme.
38En 1955, ce fut le dixième anniversaire, le départ d’Offenbourg pour Cologne et le moment de faire le point. Le travail engagé dix ans plus tôt serait poursuivi contre vents et marées, et il continue à ce jour. On peut avancer que cette activité multiforme du BILD a été de celles qui contribuèrent à rendre possible le Traité de l’Élysée signé le 22 janvier 1963 qui, donnant raison à l’intuition de Jean du Rivau, institutionnalisait la coopération franco-allemande comme pièce maîtresse de la Communauté européenne en formation.
Le premier qui soit venu à nous
39Célébrant cet anniversaire à la salle de Gürzenich, à Cologne, Jean du Rivau avait marqué la permanence de l’inspiration à travers toutes les transformations du paysage et les changements des hommes. On reconnaît dans son allocution les thèmes qui furent les constants inspirateurs de son action et de celle de son équipe : refus de l’étroitesse de parti ou d’idéologie, égalité des partenaires, volonté de servir et de mettre le rapprochement franco-allemand au service d’une cause qui l’englobe et le dépasse.
« Le point, disait-il, qui fait notre originalité très particulière et absolument unique, c’est que nous sommes le seul organisme dans lequel travaillent ensemble des Allemands et des Français. C’est un organisme qui appartient vraiment autant à l’un qu’à l’autre. De plus, c’est un organisme libre, indépendant, apolitique, qui refuse absolument tout ce qui semblerait être une propagande, car toute propagande verse souvent dans le chauvinisme ou le nationalisme ... Pour nous, il s’agit de permettre aux hommes de parler par-dessus le mur qui trop souvent les sépare, afin qu’ils puissent se connaître et discuter ensemble leurs problèmes communs, persuadés que seul le contact d’homme à homme peut être aujourd’hui efficace ».
40Trois propos, prononcés par des Allemands bien différents, à bien des années de distance, montreront que cette amitié offerte a été reçue avec gratitude. Vers 1952, Walter Dirks disait à l’auteur de ces lignes en parlant de Jean du Rivau : « Nous n’oublierons jamais qu’il est le premier qui soit venu à nous ».
41En 1970, en apprenant la mort de Jean du Rivau, le directeur du Bundespresseamt (Bureau fédéral de presse), bon SPD agnostique, s’exclama :
« De ce type-là, nous, Allemands, il y a deux choses que nous n’oublierons pas. La première, c’est que quand tout le monde nous tournait le dos et nous jetait des pierres, il fut le premier qui vint à nous. La seconde, c’est que, quand, pour la première fois dans l’histoire de France, une messe a été célébrée à Notre-Dame-de-Paris pour un chancelier allemand, c’est lui qui l’a dite »1.
42En 1985, dans le numéro spécial de Documents composé à l’occasion du quarantième anniversaire du BILD, Franz Ansprenger, professeur d’économie politique à la Freie Universität de Berlin, qui avait été rédacteur à Dokumente de 1953 à 1958, évoquant ses souvenirs de la première rencontre d’étudiants à Überlingen, en 1947, écrivait :
« ... cette fois, tout comme au sein de l’Église (allemande), personne ne nous donnait tort. Jouer le jeu de la démocratie en faisant preuve d’esprit critique, dépasser les limites de sa propre prise de position, bousculer l’esprit du groupe, s’insurger contre les sacro-saintes traditions sans aucun remords, voilà, je pense, ce que j’ai appris au cours de ces rencontres franco-allemandes animées par la vitalité et l’humanité de Jean du Rivau, même s’il n’y participait pas toujours »2.
Entrer ensemble dans l’Europe du xxie siècle
43Joseph Rovan, professeur émérite à la Sorbonne et actuel président du BILD présente volontiers celui-ci comme « la plus ancienne et la plus jeune des associations » qui se consacrent au développement de la coopération franco-allemande. Le BILD et son association sœur en Allemagne forment un seul groupe franco-allemand intégré, qui élabore et exécute un programme commun dans trois secteurs principaux : l’information sur l’autre pays, les rencontres de jeunes, les colloques et journées d’études. Juridiquement ces activités reposent sur deux associations distinctes, mais intégrées : en France le Bureau International de Liaison et de Documentation ; en Allemagne, la Gesellschaft für übernationale Zusammenarbeit. Elles sont membres du Conseil allemand du Mouvement européen, de la Fédération des associations franco-allemandes, et du Comité pour les relations nationales et internationales des Associations françaises de jeunesse et d’éducation populaire. Le président de la Gesellschaft est Franz Schoser, directeur général de l’Assemblée permanente des Chambres de commerce et d’industrie.
44Les rencontres de jeunes, organisées par le BILD et la Gesellschaft, comprennent des séjours linguistiques pour jeunes français et allemands âgés de 13 à 18 ans en groupe binational dans un centre en France ou en Allemagne et des séjours de jeunes dans une famille de l’autre pays. Les rencontres à thème socioculturel sont réservées aux jeunes adultes de 18 à 25 ans. Une attention toute particulière est accordée à la formation d’animateurs : formation pédagogique, linguistique et culturelle d’animateurs pour des rencontres franco-allemandes avec activités linguistiques et formation d’animateurs-interprètes pour des rencontres ou voyages d’études (jumelages de communes, appariements scolaires, échanges entre associations).
45Depuis août 1945, le BILD et la Gesellschaft publient deux revues qui constituent ainsi un fond documentaire très riche sur la mémoire des relations franco-allemandes. Documents, revue des questions allemandes en langue française informe ses lecteurs sur l’Allemagne. Dokumente, Zeitschrift für den deutsch-französischen Dialog informe en langue allemande sur la France.
46L’action publique des deux associations se traduit aussi par des colloques, des sessions et voyages d’études et par des conférences et débats. Les colloques, sessions ou séminaires à thèmes politiques ou socio-économiques sont destinés à des experts ou responsables concernés par le sujet. Ces activités sont toujours franco-allemandes, parfois ouvertes à un pays tiers. Les voyages d’information peuvent avoir un caractère général ou spécialisé, selon la demande des groupes. Les conférences et débats permettent à des personnalités de premier plan de l’autre pays de rencontrer des responsables politiques, des journalistes, des hauts fonctionnaires, des élus, des dirigeants économiques ou des responsables syndicaux. Cette information vise à mieux faire comprendre l’autre pays et à nouer des contacts personnels.
47À travers ces multiples activités, le BILD et la Gesellschaft poursuivent trois objectifs majeurs :
Former des jeunes à mieux connaître leurs partenaires allemands et français, afin de pouvoir construire avec eux une véritable communauté européenne dans la liberté et la démocratie.
Informer et faire réfléchir sur leurs réalités et leurs perspectives les hommes et les femmes qui vivent et qui vivront dans nos pays et dans l’Europe qui s’unit. Cet effort s’adresse en particulier aux professeurs et aux étudiants, aux personnes des media, aux politiques et aux opérateurs de l’économie.
Coordonner cette action avec celle de groupes qui, en France, en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe veulent agir dans le même sens, participer à l’animation d’expériences concrètes franco-allemandes menées en commun par des Français et des Allemands, mettre en œuvre de nouvelles activités (par exemple avec les Allemands des nouveaux Länder sur le territoire de l’ex-RDA), organiser des séminaires et colloques qui consistent à informer et à former ceux qui se proposent d’agir dans la même direction.
48Fidèles à l’esprit et à l’œuvre de Jean du Rivau depuis 1945, le BILD et la Gesellschaft veulent, selon les termes de Joseph Rovan, que la France et l’Allemagne entrent ensemble dans l’Europe du xxie siècle .
Notes de bas de page
Auteur
Entré en 1937 dans la Compagnie de Jésus. Il a été le collaborateur du Père Jean du Rivau, décédé en 1970. Ancien collaborateur de la revue Études, il a travaillé aussi avec le BILD et la revue Documents.
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